Terre du Milieu - Système J

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Niemal
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Warlord - 9ème partie : premiers affrontements

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1 - Départ pour le nord
Les derniers jours à Chalnen se passèrent sans anicroche, malgré une tension certaine. Le grand félin qu'était Vif dormait le jour et surveillait la nuit, surprenant parfois - de loin - des mercenaires qui s'éclipsaient de nuit. Mais leurs escapades nocturnes avaient pour but de courir la ribaude ou de s'humecter le gosier, d'autant qu'ils venaient de recevoir leur solde grâce aux efforts de l'équipe. Geralt tâchait de garder ses troupes motivées, de même que Narmegil, et Sîralassë n'était pas le dernier à faire des efforts pour garder la flamme intacte dans le cœur des soldats. Les deux elfes veillaient aussi de nuit et faisaient les interprètes pour le félin qui était censé être leur "outil". Drilun échafaudait plans et stratégie, regrettant toutefois une distance certaine avec de nombreuses personnes du camp. Ses origines dunéennes continuaient à inspirer la méfiance chez de nombreux soldats.

Le grand jour arriva enfin, beau et chaud avec quelques nuages. Les trois groupes avancèrent, nains, mercenaires et assassins, portant ou traînant avec eux leur équipement et les matériaux destinés à leur futur camp. Les mercenaires avaient également deux chariots et autant de mules, et les nains un chariot avec mulet. Les assassins portaient tout sur eux. En fin de matinée la troupe s'arrêta en bord de rivière - l'armée longeait l'Eunreth tout du long - et commença à établir son nouveau camp, ce qui prit toute l'après-midi. Non sans s'être régulièrement assurée magiquement, grâce à Isis et Drilun, que les ennemis ne s'apprêtaient pas à leur tomber dessus.

Les assassins de Geralt, ou plutôt les hommes de la Main Écarlate, furent mis à contribution avant tout comme éclaireurs en dehors du camp, moitié le jour et moitié la nuit. Sans parler de la participation des elfes et du félin. Ce travail de repérage devait durer toute une journée, pour s'assurer que le groupe pouvait reprendre sa progression sans se faire attaquer. Des petits groupes d'orcs furent repérés de loin, visuellement ou à l'oreille, mais ils restaient à bonne distance et cherchaient avant tout à chasser et ramener de la nourriture, en forêt presque exclusivement. L'armée des orcs ne semblait pas avoir bougé, du moins celle qui était la plus proche de la rivière.

Tout le deuxième jour fut occupé à observer et préparer le déplacement du camp du lendemain, plus une petite troupe d'une vingtaine de mercenaires chargée du ravitaillement. Il ne s'agissait pas d'aller trouver de la nourriture dans les bois, mais de retourner à Chalnen où des convois de nourriture devaient arriver régulièrement pour eux. Ils furent accompagnés ou plutôt dirigés par Narmegil, Geralt et Drilun, et le trajet aller prit seulement trois-quatre heures. Des vivres étaient bien arrivés, l'équivalent de deux jours de nourriture pour toute la troupe, et tout fut ramené dans la journée sans encombre. La nuit suivante fut tout aussi calme, et le lendemain le même déménagement reprit.

En fin de matinée, le nouveau camp fut établi en bordure de rivière, comme l'avant-veille. Mais avec plus de hâte et de précautions : Barad Esher était en vue, à un peu plus de deux miles (~3-4 km), et surtout les orcs étaient présents encore plus près, de l'autre côté de la rivière, dans la forêt. Les deux groupes d'une centaine d'orcs s'étaient réunis, et une dizaine de gros loups traînaient parmi eux, d'après les écoutes magiques. Et en limite de portée des magiciens, il semblait que des troupes campaient dans les collines derrière la tour, deux ou trois miles plus loin. Sans pouvoir donner plus de précisions quant à leur nombre ou nature.

2 - A un contre trente
Tandis que le camp était monté, lentement, un petit débat eut lieu entre les aventuriers. Si certains comptaient se reposer et profiter de la nuit en premier, d'autres voyaient la proximité des orcs comme un trop grand danger. Il fallait tout de suite nettoyer la forêt des serviteurs d'Ardagor qui l'occupaient, qui sinon pouvaient leur tomber dessus à la première occasion. En fin de compte, ce dernier point de vue l'emporta, et une petite équipe de sept personnes fut constituée pour aller s'occuper des orcs : Narmegil et Isis et leurs quatre amis, mais aussi leur ancien collègue Bourrin, le nain le plus costaud qu'aucun d'eux avait jamais rencontré. C'était un excellent guerrier, et bien équipé.

Il fallait tout d'abord franchir la rivière. Le fauve magique qu'était Vif traversa sans mal en emmenant une corde et un grappin dans la gueule, grappin qu'il se débrouilla pour accrocher de l'autre côté. De cette manière, tous purent passer sans mal, même Bourrin. Car si la rivière n'était pas méchante, la quantité de métal qu'il portait sur lui aurait eu toutes les chances de l'amener au fond. Ils avaient été repérés néanmoins, comme les oreilles de Vif et les sorts des magiciens les renseignèrent. Avertis par les loups, les orcs s'étaient un peu éloignés d'eux en arc de cercle. Ils étaient deux cents orcs et dix loups environ, contre sept aventuriers.

Après discussion, Vif et Geralt, les deux plus discrets, s'écartèrent en catimini pour essayer de prendre les orcs à revers. Le chef des assassins, tel une ombre, arriva à se faufiler entre les orcs sans se faire repérer. Pendant ce temps, son amie féline replongeait dans la rivière, en apnée, pour ressortir un peu plus loin, au-delà de la ligne des orcs. Puis ils commencèrent à tuer des orcs discrètement, tandis que le reste de l'équipe attendait qu'il se passe quelque chose. L'assassin et le fauve enchanté finirent par se faire repérer : les dix loups présents arrivèrent vite sur eux tandis que les orcs se contentaient de tirer des flèches. Les deux amis, quant à eux, s'étaient mis côte à côte et dos à des arbres.

La forme magique de Vif était peu sensible aux attaques non-magiques, et Geralt portait toujours son armure de peau de dragon, d'une excellente qualité. De plus ils étaient tous deux très rapides et agiles, et la forêt était touffue. Les flèches ne leur firent absolument aucun mal, et les loups furent découpés ou éventrés en moins de vingt secondes. Vif avait subi le gros de leur attaque, tant leur inimitié pour sa forme féline était grande. Certains avaient réussi à la mordre, mais sans qu'ils puissent la blesser d'aucune manière. Une fois les loups morts, les orcs commencèrent à se carapater, tandis que le reste du groupe décidait d'avancer.

Les orcs n'avaient ni grand chef charismatique, ni expérience de ce genre d'adversaire, ni aucune qualité capable de représenter une menace réelle. Ils le découvrirent assez vite et se rendirent compte que la supériorité numérique n'était pas suffisante. En conséquence, ils ne furent pas longs à s'enfuir de toutes leurs jambes. Mais s'ils étaient trop petits et rapides en forêt pour de grands guerriers comme Narmegil, ce n'était pas le cas de Vif : elle prit Geralt sur son dos, et ils pourchassèrent les fuyards orcs pendant une partie de l'après-midi. Au total, une centaine d'orcs y laissèrent la vie, et les autres fuirent loin de la forêt et du camp des aventuriers et de leurs alliés.

3 - Machine de guerre
Arrivés en lisière de forêt, à portée de vue de la tour d'Esher, les aventuriers se divisèrent en deux groupes, après discussion. Vif, Geralt et Sîralassë choisirent de retourner au camp pour se reposer et éviter de tenter le diable en s'exposant à ce qu'il y avait dans la tour ou à ses abords, derrière les collines. Les quatre autres décidèrent de franchir l'affluent de la rivière Eunreth qui bordait la forêt, et de s'approcher de la tour, au moins jusqu'au gué. C'est Narmegil qui franchit le cours d'eau en tenant le bout d'une corde. Ce qui permit d'aider ses amis, en particulier Bourrin, chargé d'équipement métallique, mais aussi Isis, qui n'était pas une grande nageuse.

Les quatre compagnons avaient donc quitté le couvert des arbres, et ils n'avaient guère de doute sur le fait qu'ils eussent été repérés. De toute manière, certains orcs avaient échappé au carnage préalable en fuyant vers la tour, justement. Le fait de se rapprocher permit également à Drilun et Isis de mieux percevoir magiquement les forces présentes dans les collines. Ils estimèrent, en fonction des sons que leur renvoyait la terre et de leur expérience, qu'une force de deux cents individus attendait à moins de deux miles (~3 km). Deux groupes en fait, certains plus petits et légers - des orcs probablement - et d'autres plus grands et lourds, humains ou uruk-hai peut-être. Et surtout, il y avait un géant parmi eux, très lourd, probablement un troll de guerre, un olog.

Cette force commençait à se déplacer en direction de la tour, justement, et les amis décidèrent qu'ils en avaient assez vu. D'autant que des nuages noirs d'origine magique avaient brusquement obscurci le ciel, dissipés en partie au-dessus d'eux grâce à la magie de Drilun. Ils s'approchèrent du gué sur la rivière Eunreth. A cet endroit, la rivière s'élargissait à une portée de flèche, mais la profondeur diminuait fortement et permettait de passer à pied. L'eau ne dépassait guère la hauteur du genou, et en cette période de l'année - c'était le dernier jour du printemps - le courant n'était pas bien fort. Narmegil, Isis, Bourrin et Drilun s'engagèrent donc sur le gué, à environ quatre portées de flèche de la tour. Tour qui restait assez silencieuse, ce qui pouvait se comprendre si elle était occupée par des orcs - c'était encore le milieu de l'après-midi.

Mais alors que le gué n'était pas à moitié franchi, une sorte de lance atterrit au beau milieu des quatre compagnons, soulevant une gerbe d'eau et les arrosant au passage. Drilun, qui avait passé beaucoup de temps ces dernières semaines à étudier ou renforcer magiquement des mantelets, béliers et autres machines de guerre, reconnut alors une baliste au sommet de la tour. Et les silhouettes qui l'encadraient et qui regardaient dans leur direction étaient humaines. Il se souvenait, chez le prince Hallas, avoir vu des balistes qui tiraient au rythme de trois-quatre tirs à la minute. Et la force des projectiles, lui avait-on dit, était suffisante pour transpercer plusieurs personnes. Vu la distance, le projectile devait perdre en puissance, mais il devait tout de même être capable de tuer même des costauds comme Narmegil ou Bourrin !

Et manifestement, un nouveau tir se préparait, et l'autre bout du gué était loin. Malgré ses difficultés en natation, Isis jugea plus sage de s'éloigner dans la rivière avec le courant, et de sauter dans l'eau dès que cela lui fut possible, non sans avoir lancé un sort pour se protéger magiquement. Drilun utilisa aussi un sort pour se protéger, et Narmegil avait déjà une magie protectrice autour de lui. Bourrin comptait sur son excellent équipement et sur sa constitution. Les trois hommes continuèrent sur le gué avec précaution, le Dunéen plutôt à l'abri des deux autres. Ils essuyèrent encore trois tirs, tous sans autre effet que de les rafraîchir. Peut-être la grande distance expliquait-elle ce manque de résultat, peut-être la magie avait-elle dévié les projectiles, sans doute un peu des deux.

Le nain, le Dunéen et le Dúnadan retrouvèrent l'elfe un peu plus loin : elle s'était laissé porter par le courant et était sortie de la rivière une fois qu'elle avait estimé être hors de portée de la machine de guerre. Par ailleurs, les troupes qui descendaient des collines commençaient à être visibles. Les quatre amis retrouvèrent le camp fortifié et leurs amis après moins d'une heure de marche. Ils avaient pris plus de risques qu'ils ne s'y attendaient, mais le déplacement n'avait pas été inutile : ils avaient appris quelque chose d'intéressant, qui pourrait leur servir par la suite en cas d'attaque de la tour.

4 - Empoisonnement
De retour au camp, les aventuriers supervisèrent son organisation et commencèrent à réfléchir à l'attaque de Barad Esher, les jours prochains. Mais comme certains prenaient un repos bien mérité, comme Geralt et Vif, la question fut repoussée à plus tard, en soirée probablement. Chacun vaqua à ses occupations, et le reste de la journée se passa sans incident. Sauf pour le soigneur du groupe, qui ne put s'empêcher de constater quelque chose d'inquiétant au sein des assassins et mercenaires. Une fois le soir venu, tous se réunirent pour un repas sommaire à base de nourriture séchée récupérée à Chalnen. Sîralassë voulut prendre la parole, mais il fut interrompu à peine après avoir attiré l'attention de ses compagnons.

Le grand félin qu'était Vif venait en effet d'arriver en trombe sous la tente où ils se réunissaient. Elle feulait et secouait la tête de droite à gauche en montrant la nourriture posée sur la table. Cela confirma ce dont se doutait le soigneur : il avait constaté en cours de journée un nombre croissant de malades parmi les humains. Les nains ne semblaient pas affectés, mais mercenaires et assassins - un grand nombre d'entre eux - avaient de gros problèmes de coliques qui les affectaient à des degrés divers. Un tiers des humains ne montraient aucun symptôme, ou alors très bénins ; un autre tiers était gêné comme suite à une indigestion ; et les autres étaient alités et ne pouvaient faire grand-chose.

Le grand elfe avait inspecté les réserves de boisson et surtout de nourriture, mais il n'avait rien perçu. En revanche, Vif et ses sens exercés semblaient d'un avis différent. A l'aide d'un sort, l'elfe put converser avec elle, ce qui lui permit de faire savoir qu'elle avait flairé une odeur suspecte dans la nourriture, après avoir elle aussi constaté que de nombreuses personnes tombaient malades. Geralt, à l'odorat très fin lui aussi, et habitué aux poisons, sembla également percevoir quelque chose de douteux dans leur nourriture. Gâtée ou empoisonnée ? En tout cas, il fallait vite trouver la cause de tout ça, et faire quelque chose pour les malades.

La lionne inspecta toutes leurs réserves de nourriture. La capacité du félin à goûter facilement sans avaler - les papilles gustatives sont placées au bout de la langue - fut très pratique, et elle détermina sans doute possible que la moitié de leurs vivres étaient affectés par cet agent, sans doute un poison. Le soigneur, s'aidant d'un livre détaillé sur le sujet, pensa avoir trouvé qu'il s'agissait d'un champignon qui poussait dans des cavernes obscures, donc forcément d'un agent apporté ici. Les vivres empoisonnés correspondaient à une bonne partie des aliments récupérés dans les stocks que feu le chef de clan Chulainn avait mis de côté et qui leur étaient destinés. De même qu'un parchemin avait été déposé à leur intention, après le départ des guerriers de Saralainn, il était probable que la même personne avait "parfumé" les vivres avant qu'ils ne soient récupérés.

Narmegil et Sîralassë s'occupèrent des malades avec l'aide de leur magie. Les compétences du Dúnadan en la matière étaient bien plus faibles que celles de l'elfe, mais il put au moins traiter les cas les moins atteints. Tous deux se concentrèrent en priorité sur les assassins : leurs capacités étaient meilleures que celles des mercenaires, qui étaient du reste moins fiables. Mais ils n'étaient pas sûrs de pouvoir guérir tout le monde ainsi, et cela risquait de leur prendre toute la nuit voire plus ! Mais comme ils n'avaient guère le choix, ils s'attelèrent à la tâche sans tarder.

5 - La nuit, tous les chats sont gris
Tandis que soigneur et noble Dúnadan s'activaient avec les malades, la descendante des chats de Tevildo repiqua un roupillon. Elle était restée active longtemps en journée, or les félins ont besoin de beaucoup de sommeil. Après quoi, la nuit étant avancée, elle alla chasser de l'autre côté de la rivière, dans les bois. En effet, leurs provisions étant à présent réduites de moitié, un petit extra pourrait être le bienvenu pour les troupes. Elle pista et abattit un petit cerf après une heure de chasse, puis traîna le corps en direction du camp, quand elle entendit un bruit.

Discrètement, elle alla au bord de la rivière et regarda de l'autre côté : sous un ciel sans lune et sans étoiles, une troupe nombreuse progressait en direction du camp : deux cents orcs environ, plus une centaine d'humains, menés par une silhouette massive de près de quatre mètres de haut : un olog. Toujours avec le cerf dans la gueule, elle se dépêcha de filer vers le sud, traversa la rivière, et sauta d'un bond par-dessus la palissade avec le corps de sa proie, effrayant au passage quelques sentinelles qui ne s'étaient toujours pas habituées à elle...

Mais le camp était déjà en pleine effervescence. Au cours de la nuit, Isis s'était rendu compte de quelque chose. Un sort lui avait indiqué les mouvements de troupe au niveau de la tour et du gué, et tous avaient été prévenus. Les assassins avaient tous été guéris, mais il restait une cinquantaine de mercenaires malades à des degrés divers. Une trentaine d'entre eux ne pourraient pas ou peu participer au combat, et certains devraient serrer les fesses... Tout le monde avait été réveillé et s'était équipé, le bois disponible avait été rassemblé pour faire des feux afin d'éclairer le camp. On s'attendait à voir arriver les assaillants d'ici une demi-heure peut-être.

Voyant cela, le félin eut une autre idée. Il se précipita vers Narmegil et lui indiqua par signes qu'il voulait discuter. Les elfes n'étaient pas disponibles pour une conversation magique, mais le noble Dúnadan se demanda s'il n'avait pas eu la même idée que son amie. Il lui en parla, et elle acquiesça d'un signe de tête. Narmegil alla alors voir ses amis et leur posa la question suivante : se sentaient-ils prêts à se passer de la lionne et lui pour repousser les troupes du Seigneur de Guerre ? Pourraient-ils les vaincre sans eux, ou du moins tenir quelques heures, le temps qu'ils reviennent après la mission qu'ils comptaient effectuer ? Des hésitations, mais finalement les aventuriers étaient confiants. La réponse fut affirmative.

Avant l'arrivée des troupes ennemies, Vif et Narmegil franchirent la rivière et s'enfoncèrent dans les bois. Puis le Dúnadan monta sur son amie, afin de progresser plus vite : le corps de la lionne magique était plus fort et rapide, plus discret et habitué au déplacement en forêt aussi. Ils allèrent vers le nord, dépassant les orcs et hommes d'Ardagor de l'autre côté de la rivière sans être inquiétés. Après une demi-heure, ils sortirent de la forêt et franchirent discrètement l'affluent de la rivière Eunreth. A un bon demi-mile (~1 km) se dressait leur objectif : Barad Esher, qu'ils allaient prendre, à deux, tandis que le gros des troupes était occupé ailleurs.

6 - Assassin solitaire
Orcs et mercenaires arrivèrent enfin, encerclant le camp à une centaine de mètres, bien qu'il fût difficile de s'en rendre compte : la nuit était noire en raison d'épais nuages - certainement pas naturels - qui masquaient la lumière de la lune et des étoiles. Drilun avait fait magiquement une éclaircie dans ces nuages, par laquelle un peu de lumière passait, mais cela n'améliorait guère la visibilité au-delà du camp. En revanche, c'étaient d'excellentes conditions pour un assassin discret. Aussi Geralt, après avoir confié le commandement des assassins à son lieutenant et ami Eskel, décida-t-il de faire une sortie en solitaire, seul et bien équipé.

Il se dirigea vers la rivière, où les mercenaires humains étaient regroupés. La rivière était distante d'une trentaine de mètres du camp seulement, mais les ennemis avaient disposé de nombreux guerriers derrière les arbres de la ripisylve, se mettant ainsi à l'abri d'éventuels archers du camp - au grand dam de Drilun. Mais ils ne virent pas le chef des assassins se faufiler entre eux. Puis il commença son habituelle besogne, tuant silencieusement un premier homme, puis un second. Malheureusement, même s'il n'avait fait aucun bruit, un autre guerrier proche tourna la tête au mauvais moment et il ameuta ses compagnons à grands cris.

Les combattants affluèrent, mais Geralt était rapide comme l'éclair et très compétent, et il disposait d'une excellente armure en peau de dragon. Plus d'une fois il n'évita des blessures que grâce à ce cuir qu'il avait eu tant de mal à transporter, mais il pensa plus d'une fois qu'il lui faudrait remercier les elfes et son ami Drilun pour leur travail. Il fit facilement le vide autour de lui, d'autant qu'il faisait noir pour tous alors qu'il avait pris soin d'utiliser du trèfle de lune, cette décoction qui permettait de voir dans le noir aussi bien que les elfes. Néanmoins, les hommes se regroupèrent et notamment de nombreux archers, dans toutes les directions. De plus, le troll de guerre et commandant des troupes commençait à approcher en réponse aux bruits de combat. Jugeant que la fuite était salutaire, l'assassin profita d'un moment où les guerriers s'écartaient, afin de laisser place aux archers, pour sauter dans la rivière.

Il nagea le plus possible en apnée, afin d'éviter les flèches. Le troll avait donné l'ordre à des orcs de le suivre et de l'abattre ou l'empêcher de revenir sans doute, mais ils n'étaient pas assez perceptifs pour lui, et l'eau avait nettoyé ses odeurs. Il se faufila donc entre eux sans difficulté, et revint sur les lieux du combat, et vers les mercenaires humains précisément. Ces derniers avaient allumé deux feux dans lesquels de nombreux archers passaient leurs flèches qui avaient été préparées avec des tissus imbibés d'huile. Ils lançaient ensuite leurs flèches enflammées dans l'enceinte du camp, ce qui entraînait plusieurs départs de feu au niveau des tentes et du matériel.

Là encore, l'assassin fit merveille, et il tua plusieurs hommes avant qu'on s'aperçoive de lui. Si bien qu'une vingtaine d'archers durent interrompre leurs tirs pour s'occuper de cet intrus. C'est ainsi qu'à lui tout seul, au final, il tua ou occupa une trentaine d'assaillants sans recevoir une seule blessure, jouant au chat et à la souris, faisant virevolter son arme et décapitant ou éventrant les corps qui passaient trop près. Plus tard, il admettrait tout de même qu'il n'avait pas été satisfait de son action, n'ayant pas eu l'impression qu'elle avait eu grand effet. Mais sans cela, peut-être y aurait-il eu davantage de morts dans le camp en raison de ces flèches ennemies, bien plus mortelles que celles des orcs, malgré leur plus faible nombre.

7 - Archer contre troll
Au niveau du camp, le combat avait donc commencé. Peu après le problème posé par Geralt, une fois que ce dernier avait plongé dans la rivière, l'olog avait donné le signal de l'assaut. Avec difficulté, car un sort de l'archer dunéen avait eu pour effet d'atténuer considérablement sa voix, de la rendre toute fluette. Un troll de guerre à la voix de fillette, c'était nouveau pour les orcs, chez qui on sentit une certaine hésitation. Côté assiégés, par contre, le rire de certains avait redonné du moral et un peu de cœur au ventre à ceux qui en manquaient. Mais l'olog avait fini par dire à des orcs de lancer l'assaut, et il avait ponctué la chose par un coup de cor énorme et sonore.

De nombreux orcs s'étaient alors élancés avec des échelles, tandis que d'autres tiraient dans le camp ou sur les silhouettes qui dépassaient de la palissade. L'une d'elles était Drilun, installé sur une petite plate-forme de garde de manière à être le plus près possible du troll de guerre. Il n'avait pas eu le temps et les ingrédients nécessaires pour faire des flèches magiques contre ces créatures, à Fondcombe. Mais les runes gravées sur son arc lui donnaient la force d'une grosse arbalète, et ses talents d'archer restaient exceptionnels. Il espérait donc bien abattre le monstre. Par ailleurs, il comptait aussi sur son armure de peau de dragon couverte de runes magiques pour le protéger efficacement, sans parler d'un sort pour dévier les coups.

Lorsque le troll ne fut plus qu'à une quarantaine de mètres, le Dunéen visa la tête du troll, non protégée par le pavois imposant qu'il tenait. Dans l'autre main, le monstre tenait un rocher qu'il avait pris dans un sac apparemment prévu à cet effet. Le monstre vit l'archer, mais il n'eut pas le temps de lancer son projectile : la flèche le blessa à la tête, arrêtant sa progression un instant... et le rendant furieux. Il finit par lancer son rocher, qui passa au-dessus de la tête de l'archer qui venait de sauter à terre. Un peu de prudence ne fait pas de mal... mais il remonta vite.

Le troll avait été rendu prudent lui aussi après ce petit carton, et il se dissimulait derrière son pavois tout en avançant doucement, comportement assez inhabituel pour un troll. Cette fois-ci, Drilun prit plus de temps pour viser, attendant soigneusement une ouverture pour décocher sa flèche. Sans voir qu'il était lui-même pris pour cible, car le troll avait donné quelques ordres : deux orcs visèrent l'archer, depuis une position de côté, et il ne resta indemne que grâce à son sort défensif, à présent affaibli, et à son armure de peau de dragon couverte de runes magiques. Il continua à guetter l'ouverture, qui arriva enfin.

En effet, les nains avaient tenté une sortie, groupés en une masse compacte, balayant les orcs autour d'eux pour se frayer un chemin en direction du troll et chef des troupes. Percevant cette menace qui s'approchait vite de lui, l'olog se tourna légèrement et leva le bras pour lancer un nouveau rocher. Et Drilun tira, une fois de plus en pleine tête. Le monstre ne fut pas tué sur le coup, mais il paraissait lutter pour ne pas s'évanouir et s'étaler de tout son long. Il était sans défense et il ne manquait plus que quelqu'un pour achever le travail. Quelqu'un qui arrivait justement à proximité.

8 - Victoire
Le début de la bataille, au sein du camp, n'avait pas vraiment tourné à l'avantage des défenseurs : les nombreuses flèches avaient fait des blessés, parmi les malades entre autres et moins parmi les archers, mais tout de même. Des départs de feu avaient également menacé, mais la magie de la belle elfe avait permis de les éteindre assez vite, en même temps que quelques feux de camp qui éclairaient la scène. Et surtout, ce déluge de grêle d'acier avait permis aux orcs et aux hommes de commencer à franchir la palissade.

Même sans Vif et Narmegil, heureusement, les défenseurs ne manquaient pas de bons guerriers. En particulier le nain Bourrin, qui avait choisi de sauter en dehors du camp pour permettre à sa hache de goûter à du sang d'orc frais. Les assassins, de leur côté, résistaient bien et leurs flèches avaient fait des dégâts sur les assaillants avant même qu'ils n'arrivent. Les mercenaires étaient un peu le point faible, et il semblait que si certains étaient encore là, c'était bien parce qu'ils ne pouvaient fuir nulle part.

Sîralassë et Drilun avaient compris néanmoins que le véritable moteur de cette attaque était le troll. Lui parti, les orcs ne resteraient pas longtemps. Tandis que l'un utilisait ses flèches pour le blesser voire le tuer, l'autre l'invectivait pour l'amener à l'approcher et pouvoir le combattre. Mais Khanli, le chef des nains, avait lui aussi bien analysé la situation. Et c'est pourquoi, après un moment, son groupe compact s'était élancé vers l'olog, écrasant les orcs au passage sous leur supériorité matérielle et leur savoir-faire. Bourrin s'était bien vite joint à eux, et il se trouva vite en tête du groupe aux côtés de son chef.

Le troll de guerre aurait pu leur faire vraiment mal avec ses rochers, car c'était une arme difficile à contrer. Mais la blessure mortelle causée par la flèche de Drilun leur facilita grandement la tâche. Khanli et Bourrin s'attaquèrent chacun à une jambe du troll, enfonçant profondément leurs haches dans les chairs du monstre dont le sang noir gicla. Sous les coups redoublés, l'olog finit par flancher sans pouvoir répliquer et il s'écroula enfin, pour être bientôt achevé par un coup magistral de Khanli, aidé par Bourrin ainsi que Sîralassë qui était arrivé lui aussi. Après quoi le visage de la bataille changea du tout au tout : brusquement, les orcs furent privés de chef et confrontés à des forces qui paraissaient invincibles.

Ils ne furent pas longs à s'enfuir dans toutes les directions, sans aucun ordre ni méthode. Les mercenaires humains d'Ardagor sentirent aussi le vent tourner et ils se retrouvèrent en position d'infériorité numérique, sans parler de la présence de Geralt qui avait un peu fait le vide parmi eux. Ils choisirent aussi la fuite, ce qui n'empêcha pas de nombreuses pertes grâce aux assassins lancés à leur poursuite. Au final, plus de la moitié des ennemis avait trouvé la mort au cours de la bataille, contre une dizaine de défenseurs - dont un seul assassin. A cela il fallait rajouter une quarantaine de blessés ou malades un peu sérieux, et beaucoup de blessés légers dont les jours n'étaient pas en danger. Et la perte d'une mule et de divers matériel comme des tentes.

9 - La chute de Barad Esher
Pendant tout ce temps-là, Vif et Narmegil arrivaient discrètement au pied de la tour d'Esher, sans qu'il y ait de réaction les concernant. Un escalier de pierre courait le long de la tour ronde jusqu'à l'entrée au premier étage, difficile à prendre par surprise. Mais il existait une autre voie : le Dúnadan s'agrippa à la lionne qui grimpa au mur tel un gigantesque écureuil. Les trois orcs au sommet étaient trop occupés à regarder au loin et le félin et son ami firent en sorte qu'ils ne voient plus jamais rien. Les orcs avaient néanmoins fait du bruit, et des bruits de voix humaine parvinrent de dessous une trappe.

La trappe finit par s'ouvrir et laissa passer la tête d'un mercenaire humain. En bas, d'autres hommes étaient armés et des torches et lanternes éclairaient la scène. Un coup de patte, et la tête du mercenaire vola d'un côté pendant que son corps retombait dans la pièce. Mais les pattes d'un fauve ne sont pas les plus douées pour prendre un anneau de fer et soulever une trappe. Narmegil s'approcha alors et utilisa sa lance et sa magie pour arracher la trappe de ses gonds. En bas, la lumière lui permit de distinguer, au milieu des mercenaires, un homme habillé non comme un guerrier mais comme un prêtre, qui se mit à proférer des menaces en agitant les bras. Mais sa magie se heurta à la grande volonté du Dúnadan, aidée par un objet fabriqué par Drilun à l'aide de ses runes magiques. Bref, Narmegil se contenta de sourire avec mépris à la face du sorcier.

La lionne plongea directement quatre mètres plus bas sur un homme qui supporta mal ses cent cinquante kilos. Puis le sorcier utilisa vers elle sa magie et lui envoya des ondes et images de peur qui la saisirent un moment. Mais sa volonté fut la plus forte et elle mit le sorcier en miettes avant qu'il ait eu le temps de faire d'autres tours. Le temps que Narmegil se laisse pendre puis tomber sur le sol, son amie avait pratiquement déjà fait le ménage, et il ne resta bientôt plus personne de vivant à l'étage - en dehors d'eux bien entendu.

Des voix d'orcs avaient néanmoins été perçues derrière une porte - fermée - et plus bas. Le Dúnadan démolit la porte de la même manière que la trappe, et le reste de la tour n'opposa bientôt aucune résistance. Les orcs s'enfuirent vite, poursuivis par Vif qui put ainsi en tuer au moins la moitié - près d'une cinquantaine. Au loin, elle perçut également grâce à son ouïe féline très fine des clameurs annonçant la victoire de leur camp sur les orcs et humains d'Ardagor. Ses amis avaient sûrement réussi à tuer le troll, ils s'en étaient très bien sortis sans eux. Elle retourna à la tour voir ce que son ami avait pu trouver dans ses flancs.

La chose la plus perceptible dans Barad Esher était la saleté dont les orcs avaient empli le bâtiment. Après peut-être trois ans de présence de ces créatures, les sols et les murs comportaient une croûte de déchets et immondices de toutes sortes, nettement moins accentuée au dernier étage et sur le toit. Mais l'odeur était abjecte et n'incitait pas à rester longtemps. Narmegil ne trouva pas grand-chose d'utile dans les quartiers des orcs, mais chez les hommes la récolte fut meilleure : en plus de matériel divers, d'armes et armures, et un peu d'or et de nourriture, un livre qui ferait sans doute la joie de Drilun décrivait précisément l'utilisation de la baliste. D'ailleurs, au sommet, de nombreuses marques sur le sol et les créneaux servaient certainement de viseurs pour ajuster les tirs de la machine de guerre.

Mais l'essentiel, c'était la tour elle-même, prise aux forces d'Ardagor. Il faudrait à présent informer les alliés de leur avancée et apprendre où ils en étaient eux-mêmes, qu'il s'agisse des forces de Minastir ou celles de Finduilas ou d'Hallas. Le camp provisoire devrait être déplacé au pied de la tour, qui serait elle-même garnie et tenue par les forces alliées - une troupe de mercenaires conviendrait sans doute très bien pour cela. Et ensuite, il leur resterait à se tourner vers leur objectif militaire suivant : le village de Deveney, à une demi-douzaine de miles de là à vol d'oiseau. Et l'étau se resserrerait encore un peu plus sur Creb Durga et le Seigneur de Guerre qui y résidait.

Narmegil se rappela alors que c'était jour de fête consacré à Eru, et même le premier des deux jours d'enderi puisque c'était une année bissextile - 1640 du 3e âge. C'était le solstice d'été et ce devait être jour (et nuit) de fête un peu partout en Eriador. En Arthedain, le roi devait voyager et bénir les gens dans le pays comme lorsqu'ils l'avaient rencontré l'année passée, lors du coup d’État manqué des Tarmas et Ekettas. Ici, ils pourraient fêter la victoire des peuples libres contre les serviteurs d'Angmar et consorts. Tout un symbole, pensa-t-il en adressant prières et remerciements à Eru pour leur succès.
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Warlord - 10ème partie : l'étau se resserre

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1 - Organisation
Le premier jour d'enderi n'était pas seulement un jour de fête consacré à Eru, c'était aussi l'anniversaire de Míriel, la fille d'Isis et Narmegil : elle avait un an ! Plus tard, quand les époux se retrouvèrent, ils ne purent s'empêcher d'avoir un petit serrement de cœur. Bien sûr, elle avait tout ce qu'il lui fallait chez Elrond, mais eux en tout cas avaient raté quelque chose : les enfants des elfes voient leur intelligence progresser très vite la première année de leur vie, contrairement aux humains à qui il faut plusieurs années. A un an, les enfants elfes sont comme des adultes en miniature, l'expérience - et son lot de joies et peines - en moins. Míriel devait à présent parfaitement marcher et parler, et sans doute devait-elle souvent demander où étaient passés ses parents...

Mais en attendant de pouvoir la retrouver, il y avait des choses à faire. Vif arriva au camp et donna des nouvelles de la chute de la tour par l'intermédiaire des elfes, qui pouvaient lui parler magiquement. Des mercenaires allèrent occuper la tour très vite, puis, c'est l'ensemble du camp qui fut déménagé dans la journée. La moitié des hommes commandés par le capitaine Nar resteraient dans la tour, soit environ quarante-cinq guerriers. Mais il fallait la nettoyer, et vu son état, cela ne motivait personne. Drilun essaya bien de purifier l'air magiquement, mais tant que les déchets incrustés du sol au plafond ne seraient pas retirés, ses efforts seraient vains : l'odeur revenait aussi vite qu'elle disparaissait.

Sîralassë avait fort à faire pour soigner tout le monde, même s'il fut secondé par Geralt et Narmegil. Le premier tâchait aussi de maintenir le moral de ses troupes en leur inspirant encore plus de confiance, et le second était lui aussi un soigneur et magicien. Mais il donna la priorité à Isis avec qui il s'isola dans les collines un moment, afin de profiter l'un de l'autre. Puis il se mit au travail et ne ménagea pas sa peine. Drilun, lui, sortit ses outils et commença la fabrication d'une flèche spéciale : avec les os et le sang de troll, et l'aide de sa magie, il espérait bien fabriquer une arme spéciale contre ces monstres. Ainsi, la prochaine rencontre avec l'un d'eux - et il y en aurait certainement - serait sûrement plus brève et moins risquée pour tout le monde... sauf le troll.

Le Dunéen passa aussi du temps à faire le compte-rendu de leur attaque et de la prise de Barad Esher sur un parchemin, en sindarin. Il rédigea également une note en ouistrain, plus ou moins dictée par Geralt, à l'attention de ses assassins qui participaient aux autres groupes armés, à l'est. Vif allait en effet porter ces messages, comme deux semaines auparavant, pour donner et prendre des nouvelles de l'avancement de la campagne militaire. Et pour pouvoir répondre à cette question essentielle : fallait-il avancer au plus vite sur leur deuxième objectif, la ville de Deveney, ou attendre, et jusqu'à quand ? En effet, cette ville n'était distante que de 6-7 miles (~10 km), et certains auraient voulu attaquer au plus vite.

Après s'être bien reposée, la lionne qu'était Vif quitta le camp en début de matinée, plus d'un jour après les combats. Elle partit vers l'est, comme la première fois, dans la direction supposée des troupes de Finduilas. Elle irait ensuite voir le camp de Dol Tinarë, avec Pelenwen, Pelendur et Bemakinda, puis passerait par le nord pour trouver Niemal et Minastir, et les troupes d'Arthedain. Elle serait sans doute absente plus d'une semaine : il fut convenu qu'elle aurait deux semaines pour accomplir son périple avant que ses amis ne s'inquiètent. Elle portait sur elle le petit sac qui avait déjà servi avec les parchemins rédigés par Drilun. Elle traversa la rivière au sud-est, puis disparut dans les bois sans un bruit.

Geralt et Narmegil eurent aussi à calmer les esprits et les ardeurs. Certains mercenaires prenaient un peu trop facilement les femmes-assassins pour autre chose que des guerriers. A leur décharge, il est vrai qu'elles étaient aussi autre chose, et jouer de leurs attributs physiques autrement qu'avec des armes faisait partie de leur formation. Mais les points furent mis sur les 'i' et les problèmes liés à la mixité restèrent limités. A peine quelques blessés légers pour aider certains à comprendre que les femmes pouvaient être aussi douées que les hommes au combat, et qu'elles savaient dire non si elles le désiraient...

Quant à Isis, le capitaine Nar lui demanda d'utiliser ses yeux, la nuit, et ses pouvoirs d'elfe, à tout moment, pour s'assurer que des ennemis n'approchaient pas. La longue-vue de Sîralassë et la position de la tour permettaient certes de se prémunir d'une attaque par surprise, mais l'homme restait prudent. L'ennemi disposait apparemment de sorciers, et certains orcs savaient se faire discrets. Également, l'elfe servit beaucoup à un sinistre nettoyage : les corps des ennemis étaient trop nombreux pour les brûler ou les enterrer, mais ils furent rassemblés en plusieurs tas plus faciles à surveiller. Isis y mit ensuite le feu, qu'elle attisa magiquement, afin de détruire leur matériel - ce qui n'avait pas été récupéré - et limiter le développement de maladie ou l'arrivée des charognards. Et de la terre fut ensuite jetée sur les corps en partie calcinés pour limiter encore plus les maladies ou d'éventuelles visites.

2 - Gardes et patrouilles
Car ces dizaines et dizaines de corps présentaient encore de l'intérêt pour certains. Si le matériel des mercenaires humains avait été récupéré pour servir ou vendre, et celui des orcs brûlés (à l'exception de quelques fioles de poison récupérées par les assassins), il restait de la viande non calcinée pour des charognards à deux pattes. Et à défaut d'attaquer leur prochain objectif, les nains de Khanli, assassins de Geralt et mercenaires du capitaine Nar devaient sécuriser la zone. Ils devaient donc repérer et éliminer toutes les patrouilles adverses qui oseraient s'approcher trop près, quels que fussent leurs objectifs : repérage, guérilla ou simplement ravitaillement... dont la récupération de charognes pour les orcs.

En journée, la longue-vue de Sîralassë faisait merveille. Mais les rares patrouilles humaines de l'adversaire restaient éloignées et s'occupaient surtout de garder les abords de la ville de Deveney, leur prochain objectif. Régulièrement, le soigneur elfe appelait également un rapace pour lui demander de surveiller la zone. L'information rapportée se limitait à des mouvements de troupe à l'est, mais cela concernait la zone où les armées de Finduilas devaient attaquer. En revanche, la nuit, les choses étaient tout autre, comme les assassins s'en rendirent compte.

Geralt, malgré qu'il en ait, participait à des patrouilles avec ses hommes chaque nuit. Lors de l'une d'elles, la nuit après le départ de Vif, il repéra un groupe d'orcs dans les collines qui semblait vouloir contourner la tour d'Esher. Ses dix assassins et lui se faufilèrent sans se faire repérer jusqu'aux orcs, au nombre d'une trentaine. Tandis que ses hommes prenaient place tout autour des orcs, Geralt, en grand maître de la discrétion, se faufila jusqu'aux premières créatures. De nombreux orcs étaient assez petits, et lorsque l'un d'eux s'arrêta pour renifler l'air, il comprit qu'il s'agissait de pisteurs, discrets et perceptifs : son odeur était en train de le trahir, ou celle de ses hommes...

Rapidement, il abattit un orc proche et il fut découvert. Mais les orcs autour de lui mirent un peu de temps à réagir et à le repérer tous pour de bon, ce qui lui permit d'en tuer encore quelques-uns. Après quoi ils l'entourèrent en hurlant : les premiers coups furent facilement évités grâce à sa rapidité et son excellente armure de cuir de dragon, mais cela risquait de ne pas durer. A ce moment, ses assassins, qui avaient pris le temps de viser pour ne pas le blesser, laissèrent filer leurs flèches. Les assaillants de Geralt tombèrent tous, et les autres orcs paniquèrent : la moitié des leurs étaient à terre et ils comprirent qu'ils étaient tombés dans une embuscade. Aucun ne survécut à la lame de Geralt ou aux flèches de ses hommes.

Il y eut encore une autre rencontre similaire, qui se passa de manière identique. De l'autre côté de la tour, plus à l'ouest, les nains avaient une tactique très différente mais qui semblait porter ses fruits elle aussi : ils patrouillaient eux aussi par dix, sans chercher à être discret. Au contraire, ils montraient clairement qu'ils étaient bien là et déterminés à y rester. Certains d'entre eux repérèrent quelques orcs au loin, mais toujours en train de fuir ou s'éloigner... Après quelques jours, les patrouilles nocturnes d'orcs cessèrent complètement, ou bien elles restèrent à une distance suffisante pour ne pas représenter de menace.

3 - Espionnage
Le camp tomba dans une certaine routine qui ne convenait trop à personne. Les blessés guérissaient rapidement - un seul était mort de ses blessures - et plus aucun ennemi ne menaçait directement la tour et ses environs. Geralt partait quand il le fallait récupérer des provisions à Chalnen et ses assassins et lui n'étaient jamais inquiétés. Les forces d'Ardagor restaient à distance prudente, sauf à deux endroits : du côté de Dol Ninden, à l'est, où les oiseaux envoyés par Sîralassë voyaient des armées s'affairer ; et à Deveney, au nord, où les paysans se dépêchaient de terminer les récoltes et de brûler ensuite la terre pour qu'elle ne serve pas d'abri ou de source de nourriture.

Des discussions eurent lieu dans une ambiance tendue voire conflictuelle. Certains étaient partisans de vite attaquer pour éviter que leurs ennemis n'engrangent trop de céréales et autres vivres. D'autres pointaient le risque d'une part de désorganiser l'attaque globale : il fallait faire un front uni pour gêner au maximum Ardagor, sans quoi il pouvait déplacer ses forces pour traiter un problème après l'autre ; et d'autre part, et Geralt ne fut pas le dernier à l'évoquer, le risque de mettre en danger de nombreuses familles de paysans ou de les transformer en nourriture pour orc ou troll.

Une semaine après le départ de Vif, il fut néanmoins convenu qu'il fallait en apprendre le plus possible pour préparer l'attaque sur Deveney. Geralt choisit trois groupes de dix assassins pour une mission de reconnaissance de la ville, mission à laquelle se joignirent Isis et Narmegil. Le matin du neuvième jour après le départ de la lionne, le groupe progressa à travers de nombreuses terres brûlées. La belle elfe utilisa sa magie pour que tous se fondent un peu mieux dans le paysage désolé. Le Dúnadan bénéficiait également du manteau de Drilun, qui rendait son porteur plus difficile à percevoir. En passant de restes calcinés de haies en restes calcinés de bosquets, ils arrivèrent tous à éviter les patrouilles ennemies et à se rapprocher à quelques portées de flèche des portes sud de la ville de Deveney.

Les sorts de la magicienne donnèrent quelques indications sur le nombre de personnes présentes et leur composition : Isis put ainsi "sentir" à travers le sol des centaines de femmes et d'enfants répartis dans trois bâtiments à l'ouest. Mais aussi autour d'une cinquantaine d'orcs réunis dans deux bâtiments à l'est, et autant d'hommes en armes aux alentours de la ville ou à l'intérieur. Sans parler de nombreuses autres personnes qui allaient et venaient des environs à la ville ou dans la ville même, sans doute des artisans et des paysans.

Mais il fallait en savoir plus. A l'aide de la longue-vue de Sîralassë que Geralt avait encore empruntée - il lui arrivait même d'oublier de la rendre - Isis mémorisa l'aspect d'un mercenaire d'Ardagor aux probables origines orientales. Puis elle prit magiquement son apparence, complétée par Geralt qui l'affubla d'équipement aux allures similaires. Lui-même se grima en mercenaire d'origine dunéenne comme de nombreux soldats humains d'Ardagor. Après quoi ils firent un large détour qui leur prit une heure environ, afin d'aborder la ville par le nord et son autre porte.

Discrets tous deux, ils ne se firent pas repérer, et ils arrivèrent sans mal à se mêler à un groupe de paysans chargés d'une récolte de céréales et accompagnés de quelques gardes. Arrivés à la porte nord, leurs talents d'orateur - magiquement stimulés pour la belle elfe - leur permirent d'entrer sans difficulté. Ils firent un tour chacun de leur côté - discrètement pour Geralt et plus ouvertement pour Isis - et se retrouvèrent au centre du village. Ils n'avaient pas perdu une miette de tout ce qu'ils avaient vu, et ils échangèrent leurs observations en tirant un peu d'eau du puits central pour se rafraîchir.

4 - Départ brusqué
Ce qu'ils avaient vu complétait parfaitement leurs observations extérieures. La ville était entourée d'une palissade qui devait mesurer autour de 500 m de long et 300 de large. La palissade, d'une hauteur de trois mètres, était érigée sur une butte de terre d'un mètre de haut qui rendait l'appui d'échelles problématique, et des pieux pointus dirigés vers l'extérieur rendaient le franchissement encore plus difficile. D'autant qu'une plate-forme couvrait tout le tour des fortifications et servait de chemin de ronde bien employé. Des tours de guet ou défense ponctuaient les angles et encadraient les deux portes de la ville.

Les bâtiments de stockage de nourriture ou d'hébergement des troupes (d'orcs ou d'humains) furent repérés, ainsi que les hangars où vivaient de nombreuses familles. Elles ne semblaient pas particulièrement gardées mais faisaient plutôt penser à des groupes de réfugiés. Mais les portes de la ville étant fermées et gardées, cela ne changeait pas grand-chose. Les femmes et les enfants devaient servir d'otage pour s'assurer que les hommes ne chercheraient pas à s'enfuir mais resteraient motivés pour revenir. Des artisans vaquaient à leurs occupations sans avoir l'air trop déprimés, mais tous évitaient soigneusement les anciennes écuries où vivaient - bruyamment - les orcs, que l'on entendait régulièrement se battre...

Tandis que les deux amis échangeaient ainsi, ils virent venir à eux un guerrier à l'air important accompagné de deux gardes. Isis fut interpellée la première et elle comprit vite que l'homme, qui devait être le capitaine, la prenait pour celui dont elle avait pris l'apparence. Elle ne broncha pas quand il la réprimanda sèchement et la renvoya vers les portes sud et son poste, où elle se dirigea lentement. Pendant ce temps, elle entendit la voix méfiante du capitaine qui interrogeait Geralt pour essayer de comprendre qui il était vraiment et ce qu'il faisait là.

Le chef des assassins eut beau jouer le mercenaire lambda qui va là où on lui dit, il ne savait pas assez de choses sur la vie du camp pour répondre correctement à la batterie de questions à laquelle il était soumis. Bientôt le capitaine hurla à l'espion en mettant la main sur son arme. Mais il ne dit jamais plus rien d'autre : rapide comme l'éclair, Geralt sortit son épée et lui trancha la tête comme il savait si bien le faire. Puis il courut dans une ruelle tandis que divers gardes se lançaient à sa poursuite. Il était rapide et discret mais il ne connaissait pas les lieux, et d'ici peu il risquait d'être noyé sous le nombre.

Tandis que l'assassin abattait une nouvelle personne, Isis se rapprochait de la porte et demandait à ce qu'on lui ouvre afin de rejoindre les autres gardes à l'extérieur - dont son sosie qu'elle appréhendait de rencontrer de près. Le garde s'apprêtait à lui ouvrir quand une voix forte lui fit oublier son geste : un garde hurlait que l'intrus était dans la tourelle, si convaincant que tout le monde se dirigea dans cette direction. L'elfe ajouta à la confusion en faisant s'enflammer le toit de chaume d'un bâtiment proche, et les appels au feu jaillirent à leur tour dans l'air de la ville. Les gardes arrivés à la tour constatèrent que l'intrus n'y était pas : Geralt, qui avait lancé cette fausse piste, s'était en effet mêlé aux autres gardes - qui se souvenait de lui ? - avant de monter sur le chemin de ronde et de sauter de l'autre côté... Bientôt les gardes sur la tour sud-est le virent s'enfuir et donnèrent l'alarme tout en bandant leurs arcs.

Isis arriva enfin à sortir tandis que les flèches commençaient à pleuvoir sur son ami, heureusement rapide et bien protégé par son armure. Mais des gardes lui bloquaient le passage et d'autres sortaient de la ville, arc et flèche à la main. Tandis que son ami faisait sauter quelques têtes et recevait - sans grand mal - de nouvelles flèches, l'elfe appela sa magie à elle pour faire se lever un épais brouillard. Rapidement, depuis la rivière toute proche, d'épais bancs de brume se déversèrent sur le sol et noyèrent le paysage dans un gris uniforme qui bloquait la vue à une vingtaine de mètres. Isis et Geralt purent ainsi rejoindre leurs amis sans trop de mal et tous firent demi-tour vers Barad Esher.

5 - Premières tribulations d'une lionne
Le soir même, tandis que les esprits s’échauffaient et envisageaient déjà tous les angles d'attaque possibles sur Deveney, la lionne qu'était Vif fit irruption dans le camp après avoir déjoué la surveillance des gardes. Elle portait toujours la sacoche adaptée à sa morphologie grâce aux bons soins de Drilun afin de transporter des messages. Et tandis que certains lisaient les documents écrits à leur attention, Isis et Sîralassë utilisaient leur magie afin de parler avec elle et d'en faire profiter leurs amis. Et il y avait beaucoup de choses à raconter.

Vif était donc partie vers l'est, le plus discrètement possible, donc assez lentement. Après avoir traversé les bois qui longeaient la rivière, elle avait abouti non loin de la ville de Dol Ninden qui connaissait une assez forte activité. Globalement, en plus de nombreuses patrouilles tant diurnes que nocturnes, un certain nombre de régiments semblaient se diriger vers Balost et les probables forces de Finduilas, tandis que des paysans chargés de céréales et de biens divers allaient dans l'autre sens.

Poursuivant son chemin parallèlement à la route, elle avait fini par distinguer au loin, dans la nuit tombante, le camp des forces de Finduilas. Au passage, elle avait repéré quelques camps ennemis, en particulier celui d'un groupe de wargs montés, en observation sur une colline proche. La nuit étant bien avancée, elle était arrivée sans trop de mal, si discrète était-elle, à approcher du camp de ses alliés sans se faire repérer, et à sauter sans bruit par-dessus la barrière de pieux qui servait de défense. Elle avait repéré ensuite la tente de Finduilas et avait fait sursauter les gardes de faction en s'approchant, tout en miaulant affectueusement...

Les gardes n'avaient pas mal réagi, heureusement, et la princesse de Dol Calantir avait vite reconnu cette "envoyée des elfes". Après avoir légèrement réprimandé les gardes mais rappelé de ne pas toucher à la lionne, elle avait lu le document qui lui était destiné, voire d'autres. Puis elle avait raconté et écrit ce qui s'était passé : ses troupes avaient pris encore un peu de retard suite à de nouveaux sabotages, mais la surveillance à présent très stricte donnait de bons résultats, même si elle ralentissait leur progression. Un tiers de leurs vivres avait dû être jeté, mais ce n'était pas gênant pour le moment. Finduilas pensait que Dol Ninden serait attaquée d'ici deux semaines, et qu'il fallait attendre afin que les troupes de Narmegil attaquent en même temps que les siennes.

Le groupe de la "Main Écarlate" dépêché auprès de Finduilas donnait satisfaction, même si l'intégration posait parfois problème. Le chef du groupe fut enchanté d'avoir des nouvelles de son chef, même s'il fallut lui lire le parchemin qui lui était destiné car il ne maîtrisait pas trop bien la lecture. Par divers signes de patte et de tête, Vif donna aussi quelques indications sur les troupes adverses qu'elle avait repérées. Puis elle demanda à manger, ce qu'elle obtint sans problème, et elle s'installa pour dormir. Elle repartit en fin de journée, fraîche et dispose, en direction du camp de Dol Tinarë, au nord.

6 - Au nord, à l'est et à l'ouest
Le trajet n'avait posé aucun problème : très à l'aise en nature et ayant bien étudié les cartes auparavant, Vif aurait eu du mal à se perdre, d'autant qu'elle était déjà passée par là. Au cours de son voyage, elle avait débusqué également une patrouille de ravitailleurs orcs et en avait fait son affaire, tout en profitant de leur chasse pour s'offrir un bon déjeuner. La deuxième nuit après être partie, elle était arrivée aux alentours du fortin de Delbarad, cible des forces de Dol Tinarë, accompagnées par Pelenwen et son frère Pelendur, Bemakinda, et leurs quelques hommes. Les alliés avaient monté leur camp de l'autre côté de la rivière proche du fortin, et l'attaque semblait imminente.

Là encore, la lionne était arrivée de nuit et s'était jouée des gardes, mais elle avait vite été reconnue lorsqu'elle s'était montrée. Pelenwen et Pelendur savaient qui elle était vraiment, ce qui facilitait les échanges, et tous avaient lu, écrit ou fait part des dernières nouvelles : l'attaque était prévue pour le lendemain, tout allait à merveille. Bemakinda piaffait d'impatience de se frotter au troll de guerre qui avait été repéré, et beaucoup pensaient que l'assaut ne poserait pas de problème. Les assassins donnaient encore satisfaction là aussi, et ils s'intégraient mieux aux troupes grâce aux efforts de Pelenwen et son frère qui connaissaient leurs origines.

Vif n'était donc pas restée plus longtemps, d'autant qu'elle avait déjà bien mangé. Après avoir donné quelques indications sur les troupes qu'elle avait repérées, elle s'était éloignée vers le nord puis l'ouest. Évitant divers groupes d'orcs, elle avait trouvé un bois dans lequel se reposer. Puis elle était repartie, notant soigneusement les traces et indices de présence des armées ou patrouilles adverses. L'endroit était assez sauvage néanmoins, et sa progression avait été lente mais régulière. Elle avait ainsi pu atteindre un nouveau bois sans avoir fait de rencontre particulière.

Ayant progressé au plus profond des bois, de nuit, elle avait néanmoins été avertie par ses sens extrêmement fins qu'elle s'approchait d'un groupe armé en bordure de forêt. Comme il lui avait semblé entendre des loups, elle avait pris la précaution de se rouler dans des herbes odorantes ou dans de la boue afin de pouvoir approcher sans se faire repérer par son odeur. S'approchant même encore plus près dans l'eau d'une rivière proche, elle avait en fait pu distinguer deux armées : une cinquantaine de cavaliers humains chevauchaient non loin d'un nombre équivalent d'orcs montés sur de gros loups - des wargs.

Les deux groupes avançaient de concert, en parallèle, et leurs chefs se réunissaient de temps en temps pour se coordonner. Ils étaient alliés et servaient sans nul doute Ardagor, et leur objectif paraissait évident : au loin, elle arrivait à distinguer les feux d'un camp, sans doute celui du prince Minastir et des troupes d'Arthedain. Elle avait pensé à aller prévenir ses alliés de cette embuscade nocturne, quand elle vit, loin au-dessus d'eux, un rapace nocturne parfaitement silencieux filer en direction du camp. Connaissant Niemal, elle avait souri intérieurement et avait changé ses plans. Elle allait bien s'amuser...

7 - Charge nocturne
Les armées d'Ardagor avançaient silencieusement en direction du camp. Le vent venait de l'ouest, ce qui arrangeait tout à fait la lionne qui progressait derrière ses ennemis, à l'est donc. Elle se tenait plus près des cavaliers humains, d'une part pour que l'odeur des chevaux masque la sienne, d'autre part car c'était sa cible prioritaire. Tout en progressant, il lui avait semblé percevoir, mais très faiblement, une activité légère près du camp de ses amis. Elle devinait parfaitement les troupes d'Arthedain se préparant au combat, silencieusement, dans la lumière de la lune.

Alors que le camp d'Arthedain n'était plus qu'à quelques portées de flèche, les choses s'étaient brusquement précipitées. De derrière un repli de terrain, la cavalerie de l'armée royale d'Arthedain avait chargé droit sur les orcs, les plus proches, tandis que l'infanterie, plus éloignée, apparaissait d'un autre côté. Les orcs se mirent à hurler et les wargs foncèrent sur les cavaliers, mais ils furent les seuls : les mercenaires d'Ardagor n'avaient pas eu le temps de faire avancer leurs chevaux qu'un fauve rugissant était tombé parmi eux, semant la panique parmi les chevaux.

La surprise et les griffes acérées de la lionne avaient ainsi désarçonné la moitié des cavaliers. Par la suite, elle n'avait pas eu beaucoup de mal à éviter les attaques et à faire tomber les cavaliers qui essayaient de s'en prendre à elle : malgré la clarté du ciel et la lune présente, les hommes étaient handicapés, contrairement à elle. Et ils avaient du mal à maîtriser leurs montures qui étaient affolées - avec raison - par l'odeur de ce fauve. De plus, l'infanterie d'Arthedain s'apprêtait à arriver sur eux, tandis que là-bas, les orcs montés se faisaient mettre en pièces.

Le résultat de la bataille avait été éloquent : tous les orcs et les wargs avaient été tués, ainsi qu'une majorité de mercenaires, et un certain nombre de chevaux avaient pu être récupérés. En face de cela, les armées d'Arthedain n'avaient eu que quelques blessés légers à déplorer, et une égratignure ou deux, voire quelques poils en moins pour la lionne... une bien belle victoire. Niemal était présent, bien sûr, et le prince Minastir connaissait l'identité réelle du félin qui se trouvait devant lui. Les deux hommes, tout en restant discrets, avaient donc pu facilement discuter avec Vif et échanger des nouvelles.

Le prince avait été encore retardé par des problèmes de ravitaillement : les bandits qui dressaient des embuscades, tant des orcs que des humains, ne pouvaient pas ne pas être au courant des trajets et dates exactes des convois. Il devait donc régulièrement utiliser une partie de ses hommes pour escorter certains convois, ce qui les avait ralentis, et Niemal ne pouvait pas trouver de la nourriture pour toute la troupe. Par la suite, Minastir hésitait entre la réalisation d'un camp bien fortifié d'où mener ses expéditions, en particulier vers la ville d'Edirey, son objectif ; ou attaquer tout de suite la ville et monter son camp ensuite. Mais cela lui faisait moins souci, comme à Niemal, que de savoir que de la traîtrise était à l’œuvre quelque part.

Vif avait hésité à aller débusquer les bandits et orcs, d'autant que Niemal lui avait dit que les fils d'Elrond étaient partis pour prévenir leur père de la découverte de la sœur de Sîralassë aux mains d'Ardagor. Mais la tâche l'aurait trop retardée, elle devait rejoindre ses amis rapidement à présent. Après s'être reposée, et le temps pour Niemal de rédiger un parchemin pour Narmegil et ses amis, elle était repartie vers le sud. Elle était passée près de Deveney encore en émoi, et avait continué pour arriver enfin à Barad Esher, au terme d'un petit périple qui avait duré neuf jours.

8 - La fin du chat
Le retour de Vif ravit de nombreuses personnes, et en particulier certains va-t-en-guerre. Une idée commençait effectivement à germer qui semblait pouvoir concilier de nombreux intérêts : le maintien de troupes à Barad Esher et la prise de Deveney sans mettre les otages en danger. Il fallait en effet attendre l'attaque des forces de Finduilas avant de se ruer sur Deveney, afin d'être constamment une menace pour les troupes d'Ardagor stationnées à Dol Ninden, distante d'une bonne douzaine de miles (~20 km).

L'idée était la suivante : nul besoin de toutes leurs armées pour prendre Deveney : à l'aide d'une brume invoquée par Isis, Geralt, Vif et Narmegil pouvaient entrer subrepticement dans la ville et éliminer les défenseurs tout en protégeant les otages. Avec leurs compétences, leur magie et leur équipement, ils étaient presque invulnérables sauf face à une force coordonnée d'adversaires de qualité - ou face à la magie. Toutes choses qui manquaient ici. Certains trouvaient que les risques restaient importants pour les otages : et si les mercenaires ou les orcs mettaient le feu à la ville ? Mais les pouvoirs d'Isis sauraient aider à lutter à ce moment-là...

Néanmoins, la Femme des Bois, par l'intermédiaire des elfes, annonça qu'elle devait d'abord reprendre forme humaine, et se reposer avant de se retransformer : cela faisait plus d'un mois qu'elle était sous sa forme féline, et si elle continuait ainsi, le chat en elle risquait de la dominer et elle pourrait perdre son humanité. Elle était donc d'accord pour participer, mais après au moins deux-trois jours qui lui étaient nécessaires pour s'occuper d'elle. Tous furent d'accord avec cela, et il fut déclaré officiellement que la lionne allait repartir en mission - Vif resterait isolée pour ses transformations et son repos - et que l'assaut prendrait place ultérieurement.

Ce qui fut fait. Vif alla dans les bois, où elle reprit forme humaine. Fatiguée par sa transformation, elle se reposa longuement, aidée par la magie de Sîralassë. Après un peu plus d'une journée, quand elle sentit qu'elle avait recouvré ses forces et que les conditions étaient idéales, elle décida de reprendre forme féline. Son ami soigneur l'accompagnait, au cas où quelque chose de spécial arriverait : la magie d'où Vif tirait ses pouvoirs était quelque chose de mystérieux, qu'elle ne maîtrisait pas toujours, et les soins magiques du Noldo pouvaient l'aider en cas de besoin.

Mais dans la nuit, le soigneur revint seul, sans Vif : il annonça que quelque chose était arrivé, quelque chose qui remettait un certain nombre de leurs plans en question. Vif n'avait pas pu se transformer en lionne. Mais pire que ça, elle semblait à présent dépourvue de tous ses pouvoirs si particuliers : elle ne sentait plus le chat en elle, et les pouvoirs de l'elfe n'avaient rien pu y faire. La Femme des Bois était effondrée : c'était la première fois qu'une telle chose lui arrivait, c'était une partie d'elle-même qui avait disparu ! Elle était restée dans les bois, ne sachant que faire et espérant que le chat en elle finirait par revenir, peut-être...

9 - Flottements
Si Narmegil envisagea de maintenir l'expédition sur Deveney avec juste Geralt et lui pour infiltrer la ville, il ne fut pas suivi par tous : comment tout à la fois assurer la protection des otages et éliminer les troupes d'Ardagor à seulement deux personnes ?!? Le capitaine Nar, militaire jusqu'au bout, n'était pas non plus d'accord pour entamer une action sans coordination avec les troupes proches de Finduilas. Et puis, si certains regrettaient la disparition du formidable félin magique parmi eux, quelques-uns, comme Isis ou Sîralassë, pensèrent quand même au choc que cela devait être pour Vif et tâchèrent de la réconforter par quelques mots et signes d'amitié...

Tandis que la Femme des Bois restait à l'écart, la tension montait entre les autres aventuriers, incapables de se mettre d'accord. Certains voulaient aller attaquer Deveney ; d'autres auraient préféré aller voir du côté de Dol Ninden pour faciliter l'arrivée de leurs alliés ; certains étaient partisans d'attendre... Au bout du compte, il fut convenu de continuer les patrouilles, mais plus en direction de l'est cette fois. En fait, exaspéré par ces discussions, Geralt avait pris de lui-même l'initiative de prendre des assassins avec lui pour aller voir le terrain autour de Dol Ninden et voir ce qui pourrait éventuellement être fait.

De son côté, comme son chat ne revenait pas, Vif avait dû se décider à rentrer au camp, sous le prétexte qu'elle revenait de mission. Mais elle retournait néanmoins en forêt dans l'espoir qu'il se passerait quelque chose qui lui permettrait de renouer avec la partie d'elle-même qui lui faisait défaut. Elle attendait donc quelque chose... ou quelqu'un. Certains soupçonnèrent d'ailleurs Tina/Tevildo, même si Vif déclara ne pas l'avoir perçu. Sîralassë avait cherché un félin en forêt mais n'avait rien trouvé. Intrigué, il appela un oiseau qui lui apprit qu'il y avait quelque chose dans les bois qui lui faisait peur. Un autre oiseau précisa les choses : un lynx blanc était présent, et il se dégageait de lui une menace qui faisait fuir les animaux... sauf les félins.

A la nuit, les assassins revinrent à Barad Esher, sans leur chef qui avait décidé de rester seul afin d'observer ce qui se passait de nuit. Ils avaient réussi à approcher à quelques portées de flèches de Dol Ninden, mais il était impossible de s'approcher plus : en dehors des nombreuses patrouilles, le terrain avait littéralement été nettoyé de tout ce qui pouvait bloquer la vue, rochers et herbe compris ! La ville semblait se préparer à une attaque prochaine, et des combats avaient déjà eu lieu, au vu des blessés qui revenaient sur la route. Par ailleurs, un convoi de nourriture ou autres marchandises, portées à dos d'homme - par des paysans selon toute vraisemblance - prenait la direction du nord, vers Creb Durga ou une autre forteresse proche.

Les assassins rapportèrent aussi qu'un camp fortifié avait été monté non loin de Dol Ninden - à deux miles (~ 3 km) peut-être, et rempli d'orcs. Geralt revint plus tard dans la nuit et apporta d'autres précisions sur ce camp : selon lui, il abritait au moins une centaine d'orcs qui s'occupaient des patrouilles nocturnes et surveillaient les convois de marchandise. Mais également, il avait vu au loin les lumières d'un grand camp : les troupes de Finduilas n'étaient pas loin, leur attaque était sans doute imminente : un, deux, trois jours ?

10 - Donner son âme au chat
Une journée de plus fut consacrée encore à attendre, se préparer, et ronger son frein. Plusieurs aventuriers passèrent du temps en forêt, avec Vif, tout en discutant de Tina/Tevildo et du sort à lui réserver un jour, peut-être... Quand brusquement, la Femme des Bois se rendit compte qu'un lynx - non blanc - la regardait non loin dans les bois. Sans aucun doute, le seigneur des chats l'invitait à venir la voir : dès qu'elle approcha du félin, ce dernier commença à s'éloigner un peu plus loin, sans se presser. Vif déconseilla à ses amis de l'accompagner : le lynx blanc souhaitait la voir seule, et il était dans son élément. Isis rappela à son amie qu'elle avait déjà une dette envers lui, et que vendre son âme n'était pas la solution. La Femme des Bois acquiesça, puis elle les quitta silencieusement.

Une heure après peut-être, certains magiciens du groupe sentirent une magie puissante au fond des bois. Sîralassë en particulier, qui était resté en arrière, vit son amie arriver après un moment, sous forme de lionne. Elle revint avec lui au camp, l'air fatiguée et abattue, comme souvent après ses transformations. Elle annonça à ses amis elfes qui pouvaient lui parler qu'elle avait accepté un nouveau service, plus tard, pour le compte de Tina. Un service qui ne mettrait pas en danger les peuples libres, directement ou non. Et Tina l'avait "soignée" et elle avait retrouvé le chat en elle. Épuisée, elle laissa Sîralassë lui jeter un sort de soin et elle tomba dans un profond sommeil réparateur.

Mais les elfes ne traduisirent pas l'histoire à leurs compagnons, malgré la demande de Drilun. Il se rendit donc sur-le-champ en forêt, après avoir pris du trèfle de lune, pour trouver magiquement ce qu'on omettait de lui dire. Sa magie ne lui permit pas de voir grand-chose d'intéressant à partir de quelques traces repérées : des allées et venues de son amie et d'un lynx, et c'était à peu près tout. Il chercha également à percevoir magiquement des présences dans les environs, mais il ne trouva rien : ou bien sa magie était bloquée, ou bien ceux qu'il cherchait étaient dans les arbres et ne faisaient aucun bruit au sol, dont les vibrations étaient rapportées par son sortilège. Dépité, il reprit le chemin du camp.

Mais il n'alla pas loin. Il vit tout d'un coup le lynx blanc sur une branche devant lui, et il se rendit vite compte que des ombres félines l'entouraient. Peut-être une dizaine pour ce qu'il pouvait voir, sans doute juste des lynx et des chats sauvages. Il sortit sa dague de son fourreau, lorsqu'il vit Tina descendre de son arbre et se diriger vers lui, lentement, comme un félin s'approche de sa proie... tandis que les autres félins en faisaient autant, tout autour de lui. Le regard fixe du lynx blanc posé droit sur lui, il sentit une influence dans sa tête mais il la repoussa avec un effort. Les félins se rapprochèrent encore, jusqu'à un mètre de lui...

Au camp, malgré le sort puissant que le soigneur avait lancé, Vif fut immédiatement réveillée : on l'appelait dans les bois. Pestant après Tina/Tevildo, elle sortit en courant du camp et sauta par-dessus les fortifications. Elle franchit la rivière proche et pénétra dans les bois de l'autre côté. Quelque temps après, ses amis la virent revenir au camp, portant ou traînant le corps de leur ami. Ses vêtements étaient déchirés et imbibés de sang, il semblait dans un profond coma, et pourtant... il ne portait aucune blessure ! En revanche, il arborait de nombreuses cicatrices nouvelles, comme de griffures nombreuses et profondes... et celle d'une lame de couteau au niveau de la gorge.

Vif raconta qu'elle avait trouvé le corps dans cet état-là, comme s'il avait eu de nombreuses blessures et avait été instantanément guéri. Il y avait semblait-il eu un combat, mais Tina l'avait soigné. Au petit matin, comme il ne se réveillait toujours pas, Sîralassë utilisa sa magie des soins et le Dunéen se réveilla enfin. Il expliqua alors ce qui s'était passé, et qu'il n'avait pensé qu'à une seule solution pour échapper aux chats... se suicider. Ses souvenirs de la rencontre restaient flous, mais encore plus ses sentiments à l'égard du félin blanc. Il aurait dû le détester ou le craindre, mais il ressentait néanmoins une certaine gratitude pour l'avoir soigné et laissé en vie. Mais sa raison lui disait qu'il n'était plus le même et que de la même manière que Tevildo avait une certaine influence sur Vif ou Míriel, lui aussi était désormais marqué.

Plus tard, à un moment de moindres tensions, l'archer dunéen vit venir à lui la magicienne. Elle commença par le gifler - sans y mettre trop de force - en lui expliquant que ça, c'était pour avoir essayé de se suicider face au félin. Ensuite, elle le prit dans ses bras pour lui faire comprendre qu'elle était heureuse de le voir en vie. Malgré les problèmes qu'ils avaient à affronter, elle tenait à lui témoigner à quel point ils formaient une équipe et que ce qui l'affectait les affectait tous. Et qu'on pouvait plus facilement trouver des solutions à plusieurs... En attendant, Drilun demanda à Sîralassë de lui confectionner un onguent pour masquer sa nouvelle collection de cicatrices. Contrairement à beaucoup de son peuple qui les arboraient fièrement, il ne tenait pas trop à ce qu'elles soient visibles toute sa vie. Également, l'archer se fit expliquer tout ce que Vif avait dit de ses conversations avec Tina. Il médita sur le fait qu'apparemment, il avait réagi comme l'être magique l'avait souhaité...

11 - Armée en marche
Le retour du félin relança la discussion sur l'attaque de Deveney. Fallait-il infiltrer la ville à quelques-uns ? Mais plusieurs objectèrent que la présence de Tina changeait tout, il fallait être plus prudent. Maintenant que l'armée de Finduilas était toute proche, ne fallait-il pas lancer l'attaque avec toutes leurs troupes dès le lendemain ? Ce à quoi il fut répondu - le capitaine Nar en particulier - que la présence proche de l'armée de Dol Calantir ne voulait pas forcément dire une attaque dès le lendemain. Ce même capitaine était d'ailleurs lui aussi opposé à une infiltration-surprise, en raison du risque pour les otages, mais il s'en lavait les mains si Narmegil en prenait la responsabilité.

Au bout du compte, le groupe arriva enfin à une décision claire : des hommes de la Main Écarlate iraient porter un message à Finduilas pour coordonner leurs deux armées. A la suite de cela, les armées attaqueraient le même jour. Pour les troupes de Geralt, Khanli et du capitaine Nar, sauf les mercenaires laissés à la tour d'Esher, cela voulait dire marcher sur la ville de Deveney voire peut-être pour certains sur Dol Ninden. La ville de Deveney serait assiégée, et des négociations seraient tentées afin d'entrer dans la ville sans combat et sans mettre la vie des otages en danger.

Les assassins de Geralt partirent peu de temps après, passant à bonne distance de Dol Ninden et ses patrouilles. Ils revinrent après moins d'une journée, avec la réponse de la princesse de Dol Calantir. L'armée de Finduilas était prête, mais l'attaque aurait seulement lieu le surlendemain. La princesse était confiante et ne souhaitait aucune aide pour prendre Dol Ninden. Narmegil et ses amis avaient donc deux nuits et une journée pour se préparer, ainsi que leurs troupes. Le camp serait levé à l'aube, et la ville de Deveney serait sans doute atteinte dans la matinée.

Ce qui fut fait. Par une matinée claire et qui s'annonçait chaude, la troupe leva le camp : trente nains, près de quatre-vingt assassins de la "Main Écarlate", et environ quarante-cinq mercenaires - les "Hacheurs" du capitaine Nar - marchèrent vers le nord avec tout leur équipement, leurs provisions, des mantelets et un bélier pour faire le siège de la ville. La matinée était bien avancée quand ils arrivèrent enfin, faisant fuir les patrouilles qui se réfugièrent vite derrière les fortifications. Des troupes furent envoyées au nord afin que les deux portes fussent surveillées et toute tentative de fuite impossible.

La magie d'Isis et Drilun confirma la présence des troupes déjà détectées auparavant : une cinquantaine de mercenaires et autant d'orcs. Sans compter de nombreuses familles et autant d'otages potentiels. Une délégation avança alors vers la porte sud. Elle était composée de Narmegil, monté sur Vif sous forme féline, et il tenait à la main sa lance au bout de laquelle avait été fichée la tête de l'olog abattu dans l'attaque contre leur camp, près de Barad Esher. Geralt, Drilun, Bourrin et Sîralassë les accompagnaient. Ils approchèrent de plus en plus des fortifications, en haut desquelles une trentaine d'archers humains les visaient, flèche encochée.

12 - Diplomatie
S'approcher autant pouvait paraître risqué, mais le risque était calculé : d'une part, Narmegil et ses amis étaient bien protégés par leur magie et leur équipement ; d'autre part, le but était de faire clairement entendre aux troupes d'Ardagor qu'elles étaient largement surclassées et qu'elles n'avaient aucune chance. Il s'agissait donc de démarrer les manœuvres diplomatiques en sapant le plus possible le moral de l'adversaire afin de garantir sa reddition. La tête de troll en était le parfait symbole, et elle valait bien un drapeau blanc... en nettement plus menaçant.

A une cinquantaine de pas, un mercenaire leur ordonna d'arrêter, ce qu'ils firent, et leur demanda ce qu'ils voulaient. Narmegil prit alors la parole et exposa les faits de la manière la plus claire et froide possible : Deveney serait repris, cela ne faisait aucun doute. Les autres troupes d'Ardagor étaient attaquées ce même jour et personne ne viendrait à leur secours. Non seulement les troupes de Narmegil disposaient de guerriers puissants et bien équipés, mais ils avaient également des elfes et mages parmi eux, comme certains avaient déjà pu le constater lors de leur précédent passage. Et donc, afin d'éviter de verser du sang inutilement, le Dúnadan demanda aux mercenaires d'Ardagor de se rendre.

Ces derniers - du moins un lieutenant qui devait servir de capitaine en remplacement de celui que Geralt avait tué - répliquèrent qu'ils disposaient de centaines de paysans, dont une grande partie de femmes et d'enfants. Attaquer la ville serait signer leur arrêt de mort. Ce à quoi Narmegil répondit que les laisser aux mains d'Ardagor signifiait aussi leur arrêt de mort, comme esclaves voire nourriture pour orcs et trolls. S'ils étaient mis à mort, aucun mercenaire ne repartirait vivant. En revanche, s'ils se rendaient, le Dúnadan leur promettait la vie sauve. Bien sûr, il ne pouvait aucunement prouver qu'il tiendrait son engagement, si ce n'est qu'il leur promettait sur son honneur. Et lui était bien quelqu'un à respecter sa parole, contrairement à d'autres dirigeants...

Le capitaine des mercenaires par intérim demanda un délai pour discuter de cette proposition avec ses collègues. Après un moment, un battant de la porte sud s'ouvrit et trois hommes en sortirent, dont l'un qui portait un drapeau blanc. Ils s'approchèrent de Narmegil et ses amis et discutèrent avec eux à voie basse, de manière à ce que personne en dehors de leur petit groupe ne puisse entendre. Ils avouèrent qu'ils étaient tombés d'accord pour se rendre, encore fallait-il savoir à quelles conditions. Et les orcs ne l'entendraient pas de cette oreille.

Le noble Dúnadan précisa alors les termes de la reddition. Les hommes auraient non seulement la vie sauve, mais également la liberté. Ils devraient remettre leurs armes aux vainqueurs et promettre de ne plus jamais se battre pour des pareils à Ardagor, sans quoi il n'y aurait plus aucune pitié. Ils pourraient même prendre un peu de nourriture et d'équipement et ils partiraient sur-le-champ sur les routes du sud. Les orcs, quant à eux, seraient massacrés jusqu'au dernier, si possible avec le minimum de souffrance. Restait encore à voir comment.

Après discussion, une solution à ce problème fut proposée : les mercenaires devaient convaincre les orcs de participer à une sortie contre Narmegil et ses amis, qui resteraient proches de la porte, et les armées à distance. Pour les orcs, il s'agirait de couper la tête de l'armée adverse, tête imprudemment approchée de leurs ennemis. Les mercenaires étaient étonnés, mais Narmegil les assura que les orcs ne pourraient rien contre eux. Néanmoins, les hommes d'Ardagor proposèrent, après avoir laissé sortir les orcs par la porte, de refermer cette même porte derrière eux... et de laisser les archers sur les fortifications leurs tirer dans le dos.

13 - Libération
Les mercenaires tinrent parole : les orcs sortirent peu après en hurlant et se précipitèrent sur le Dúnadan et ses amis. Les armées qui attendaient plus loin avaient été prévenues et avaient reçu la consigne de ne pas intervenir. Les portes se refermèrent sur le dernier orc, et le massacre put commencer. La moitié tomba sous les flèches des ex-mercenaires d'Ardagor, et les autres furent balayés par les griffes de Vif, la lance de Narmegil, l'épée de Geralt ou celle de Drilun, ou encore la hache de Bourrin. En une vingtaine de battements de cœur, il n'y eut plus aucun orc vivant dans les environs.

Les mercenaires lancèrent alors leurs armes par-dessus la palissade et ils ouvrèrent grand les portes. Les troupes de Narmegil entrèrent et furent accueillies avec une immense ovation et une joie plus que palpable par les ex-otages et familles de paysans. Les mercenaires d'Ardagor filèrent doux et tâchèrent de se faire oublier, mais deux incidents gâchèrent la libération. Tout d'abord, certains hommes du capitaine Nar commencèrent à profiter de leur statut de vainqueur pour s'octroyer certains bénéfices directement sur le dos de la population juste libérée. Et en parallèle, une femme cria sa haine pour les mercenaires d'Ardagor qui avaient maltraité sa famille et elle, et elle réclama leur mort en échange des viols qu'elle avait subis. Et elle ne fut pas la seule à crier ainsi.

Les hommes du capitaine Nar qui souhaitaient se défouler sur les femmes qu'ils venaient de libérer en furent pour leurs frais : tandis que Vif se mettait à rugir et qu'Isis mettait le feu à un pantalon baissé trop près d'elle, Narmegil réprimandait vertement le capitaine Nar pour le manque de tenue de ses hommes. Geralt, lui, assomma un des agresseurs et promit un châtiment rapide et douloureux à ceux qui persévéreraient, allant jusqu'à la perte possible de la partie de leur anatomie qui leur posait problème. En ajoutant que ce ne serait peut-être rien comparé à ce que les femmes de la Main Écarlate, Isis ou la lionne leur réservaient. Le feu de certains fut ainsi étouffé aussi vite qu'il s'était allumé...

Pour répondre aux désirs de vengeance qui s'élevaient de plus en plus nombreux dans la foule, plusieurs voix se firent entendre qui arrivèrent à calmer le jeu. Drilun, par exemple, rappela que la vie des ex-otages n'avait tenu qu'à une décision de ces mêmes mercenaires qui auraient pu préférer le combat et la mort pour beaucoup. Nombreux étaient donc ceux qui leur devaient la vie, d'une certaine manière. Il était vain de vouloir revenir sur le passé, seul l'avenir comptait désormais. Narmegil avait donné sa parole et il comptait qu'elle fût respectée.

Les ex-mercenaires d'Ardagor furent donc autorisés à prendre un peu de nourriture avant de partir sans être molestés ou inquiétés. A cela, Narmegil ajouta une pièce de bronze à chacun pour les encourager à trouver de bons employeurs la prochaine fois. Il demanda aussi à Vif d'aller porter un message à Barad Esher pour expliquer ce qui s'était passé et dire de laisser les mercenaires désarmés partir tranquillement vers le sud. Chose que la lionne exécuta sans faillir : en une heure elle avait porté le message et était revenue.

14 - Dol Ninden
Si certains se laissaient aller à la joie de la libération, d'autres avaient encore l'esprit enflammé par les combats possibles. Il était juste midi, et les combats à Dol Ninden entre les troupes d'Ardagor et celles de Finduilas faisaient peut-être encore rage. Mais si la route était bonne et sans possibilité de se perdre, elle était longue également - près d'une vingtaine de miles (~30 km). Et à part Vif, les autres n'avaient que deux pattes à leur disposition. A pied, ils arriveraient certainement après la bataille...

Geralt, plein d'entrain et ayant oublié toute flemme, proposa alors à la lionne de le prendre sur son dos et de partir au plus vite. Elle accepta, et malgré le poids de l'assassin elle fila à grande allure sans trop se fatiguer. Derrière elle les suivirent quelques-uns de leurs amis qui avaient trouvé des montures pour les porter : Drilun tout d'abord, qui à force allait finir par devenir un bon cavalier ; Narmegil ensuite, qui ménageait sa monture en raison de son propre poids ; et Bourrin, grand amateur de combats, qui avait trouvé une mule pour le porter.

La lionne et son cavalier arrivèrent juste à temps pour voir un événement majeur de la bataille. Les forces de Finduilas avaient pris position près de la ville quand les forces d'Ardagor avaient fait une sortie, menées par un troll de guerre (olog). Ce dernier avait commencé à faire des ravages dans les rangs, jusqu'à arriver à proximité de Finduilas elle-même. Cette dernière avait alors utilisé un sortilège sur le troll qui brusquement s'était pris pour un chevalier du Cardolan. Il avait alors retourné son arme contre ses propres troupes qui, démoralisées ou blessées, s'étaient éparpillées ou avaient été éliminées. Les Piquiers du capitaine Tarhad s'étaient alors tournés vers le troll et avaient fini par l'abattre avec leurs piques, noyé sous le nombre.

Mais les orcs s'étaient retranchés dans leur camp fortifié près de Dol Ninden, à la croisée des routes. Geralt et Vif se comprirent d'un regard et ils se dirigèrent là-bas. Le chef des assassins récupéra un bouclier sur un mort et il le tint au-dessus de lui et de son amie et monture alors que cette dernière approchait de la palissade qui entourait le camp. Les orcs lancèrent des flèches dans leur direction mais aucune n'arriva à les blesser, et la lionne accéléra encore lorsqu'elle arriva sur le mur de bois. Avec son élan, elle sauta par-dessus la palissade, malgré le poids de son ami qui eut beaucoup de mal à ne pas tomber à bas de la lionne...

Les deux amis entamèrent alors une ronde mortelle pour les orcs présents, dont le moral chuta plus vite que leur nombre. Après avoir perdu le quart de leur effectif en près d'une minute, sans aucunement freiner leurs adversaires, ce fut la débandade et le chacun-pour-soi. Lorsque Narmegil, Drilun et Bourrin arrivèrent, il n'y avait plus aucun ennemi à poursuivre, juste des blessés à soigner. Les objectifs avaient été atteints et de nombreux ennemis étaient morts. Restait bien quelques places-fortes à prendre, mais cela semblait maintenant de l'ordre de la routine. Mais il fallait à présent trouver Creb Durga et son maître, et les forces qui les gardaient risquaient d'être autre chose que des orcs mal équipés et gênés par le soleil.
Modifié en dernier par Niemal le 06 septembre 2012, 10:17, modifié 3 fois.
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Warlord - 11ème partie : nouvelles avancées

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1 - Premier interrogatoire
Après la bataille, Finduilas, princesse de Dol Calantir, vint voir les aventuriers présents. Elle félicita Geralt pour son aide et ses compétences et s'émerveilla de la puissance et autres qualités du félin enchanté appelé par les elfes... qui n'étaient d'ailleurs pas présents, à son grand dam. Elle aimait en effet particulièrement la présence des utilisateurs de magie, mais elle avait une autre raison également : en plus d'échanger des informations sur les progrès accomplis çà et là, elle annonça la tenue prochaine d'un interrogatoire. Elle comptait sur les charmes magiques des elfes pour aider à délier les langues des prisonniers, mais seuls leurs amis étaient là. Néanmoins, elle leur proposa de participer voire de conduire cet interrogatoire. Elle avait cru voir ou deviner que Narmegil et ses amis avaient de nombreux tours dans leur sac...

Geralt, après les nombreux combats qu'il avait faits, aurait bien voulu se reposer, mais il comprit vite que ses compétences relationnelles allaient être en forte demande. Il accepta donc de suivre ses amis jusqu'à une tente dressée pour l'occasion, en dehors de Dol Ninden où les prisonniers étaient gardés. Certains avaient d'ailleurs été soignés par Narmegil, qui avait passé beaucoup de temps sur les blessés avant l'arrivée de Finduilas. Dans la tente, ils retrouvèrent Tarhad, chef des Piquiers, une célèbre formation de mercenaires du Cardolan aux ordres de la princesse. Il aurait dû mener l'interrogatoire lui-même, mais apparemment il avait entendu des propos flatteurs concernant Narmegil et ses amis, et il semblait tout à fait disposé à leur laisser la main et à observer.

Il annonça que seuls des mercenaires humains payés par leur ennemi Ardagor avaient été faits prisonniers. Aucun orc n'avait été gardé vivant. Parmi les prisonniers, trois étaient peu voire pas blessés et semblaient capables de soutenir un entretien. En revanche, aucun d'entre eux ne semblait avoir fait partie du commandement. Sur les trois hommes, deux ressemblaient à des mercenaires comme tant d'autres en Eriador, mais le troisième avait une apparence un peu différente, il semblait provenir d'une culture à part. Les aventuriers décidèrent de le garder pour la fin, et ils demandèrent à ce qu'on amène le premier des deux autres.

Il n'était pas question de torturer ces hommes, mais ils n'étaient pas censés le savoir. Tout l'art de cet interrogatoire consistait donc à les mettre en condition de le croire afin que leur langue se déliât plus facilement. Pour se faire, Geralt allait diriger l'entretien : habillé de son armure de peau de dragon bien visible, il était effrayant à voir et il savait en jouer. Dès que l'homme entra, il fut accueilli par des paroles sèches et dures dans lesquelles transparaissait un manque total de patience et de pitié. Auparavant, Narmegil lui avait souhaité bonne chance en lui demandant de faire en sorte que ses soins ne soient pas gaspillés pour rien - il avait auparavant utilisé ses talents de soigneur sur l'homme. Ajoutons à cela un regard féroce de Bourrin qui caressait sa hache, et l'on comprendra pourquoi l'homme était pâle et avait les genoux qui tremblaient. D'autant que divers instruments à portée semblaient avoir pour principale utilité celle de faire mal et de libérer la parole d'autrui...

Vif, sous sa forme féline, avait voulu rajouter un rugissement juste derrière l'homme pour tester un peu plus sa volonté et ses sphincters, mais elle avala quelque chose de travers et s'étouffa à moitié. L'effet était plutôt raté voire comique, mais le prisonnier n'avait pas le cœur à rire. Il était déjà suffisamment en condition et ne souhaitait que parler, mais la peur en lui était telle qu'il avait du mal à émettre des sons. En fin de compte, encouragé par ses geôliers, il finit par se reprendre et se mit à table. Ce qui n'apporta pas grand-chose comme information, car l'individu était un pur exécutant et il ne savait rien de bien intéressant.

Certains comme Drilun avaient deviné qu'il devait venir du Rhudaur, ce qui fut confirmé. Il faisait partie d'une troupe de mercenaires d'origine dunéenne sous le commandement du roi Ermegil de Rhudaur, et ce dernier avait envoyé leur groupe - une quarantaine de personnes - dans le Cardolan, pour se mettre aux ordres du Seigneur de Guerre Ardagor. Il avait participé aux opérations autour de Dol Ninden et avait fait des patrouilles dans les environs. En revanche, il n'était jamais allé à Creb Durga, qui était réservé aux seuls hommes venant d'Angmar, semblait-il. Le prisonnier donna encore quelques renseignements de moindre importance, puis il fut congédié. Mais il ne fut pas ramené à la prison qu'il partageait avec ses collègues.

2 - Bluff et pépite de cuivre
Ce premier prisonnier fut mis en sécurité à l'écart, après avoir donné ses vêtements. Sur une suggestion de Bourrin, le cadavre d'un autre mercenaire fut amené et le nain lui trancha la tête, tête qui fut cachée. Le corps fut habillé avec les affaires de la personne interrogée, et il fut "préparé" de manière à faire penser qu'il avait subi d'horribles tortures. Vif en rajouta un peu en se faisant les griffes sur le corps, dont la vue avait de quoi donner des nausées... Et la seconde personne fut amenée sous la tente.

L'homme se mit à trembler en voyant la scène et devant les airs de Geralt ou le rugissement de Vif. Il ne fit aucune difficulté pour parler de ce qu'il savait. Mais, comme pour le collègue passé avant lui, son histoire et ses connaissances n'apportaient rien de plus que ce qui avait déjà été dit. Il fut congédié comme le précédent, qu'il rejoignit, après avoir laissé ses vêtements qui servirent pour un nouveau corps à la tête tranchée. Le troisième et dernier prisonnier fut enfin amené, celui-là même qui, s'il n'était pas un guerrier plus important que les deux autres, semblait tout de même différent.

Son cœur semblait plus accroché que ses deux collègues, car la scène, avec les deux cadavres, ne suscita pas autant de réaction de sa part : il paraissait calme et résigné, un peu fier et défiant, même. Mais surtout, plusieurs aventuriers reconnurent en lui un Homme des Collines, originaire du Rhudaur. Ce qui était un peu étonnant, car son peuple était xénophobe et n'aimait pas voyager en dehors du pays. Par ailleurs, si Ermegil, roi du Rhudaur, était censé commander aux Hommes des Collines, en pratique c'était loin d'être aussi évident. Ces gens reconnaissaient avant tout Broggha, leur "Targ-Arm" ou grand chef.

L'homme, plus maître de lui que ses prédécesseurs, ne donna pas plus d'informations, et même moins. Il semblait garder des choses par devers lui, néanmoins, mais il n'était pas prêt à les fournir. Pourtant, il fut assez ébranlé quand il entendit Geralt ou Drilun lui parler en Blarm, sa langue. Mais il était surtout gêné par le félin qu'était Vif : dans la culture des Hommes des Collines, l'un de leurs dieux commandait aux grands félins qu'étaient les chetmíg, auxquels Vif ressemblait. Et Narmegil sema le doute dans son esprit quand il lui dit que ce même dieu avait envoyé le félin pour les aider, ses amis et lui. Ce que Vif appuya en faisant preuve d'un comportement à la fois intelligent et en accord avec les paroles du Dúnadan.

Vif et d'autres se souvinrent aussi d'une chose : les Hommes des Collines portaient sur eux une pépite de cuivre donnée à leur naissance et censée renfermer leur âme. Aussi le grand félin se mit-il debout sur ses pattes arrières et commença-t-il à approcher sa tête de la gorge de l'homme, qui ne pouvait rien faire : ses mains étaient attachées dans son dos, et Narmegil l'empêchait de bouger. Vif finit par trouver la lanière de cuir au bout de laquelle la pépite était accrochée, et elle l'arracha avec ses dents, au grand désespoir de l'homme qui se mit à crier pour qu'on lui rende son bijou...

Au bout du compte, piégé par ses adversaires qui semblaient aidés par un de ses dieux, il accepta de dire tout ce qu'il savait sur Creb Durga en échange du retour de son âme sur lui. Et il tint parole, apportant quelques informations intéressantes une fois qu'il eut récupéré sa pépite. Il n'était pas un mercenaire important dans la hiérarchie, mais il avait les oreilles baladeuses, même s'il était un peu à part dans le groupe de mercenaires. Et il avait entendu parler les hommes d'Angmar, plus proches d'Ardagor que ceux venus du Rhudaur comme lui.

3 - Informations et interrogations
L'homme passa brièvement sur son histoire personnelle. Ayant fait une "bêtise" qu'il ne voulut pas détailler, il s'était retrouvé proscrit au sein de son peuple, qu'il dut quitter. Discret, perceptif et adepte des embuscades nocturnes comme de nombreux Hommes des Collines, il trouva sans mal à se faire employer dans les troupes de mercenaires directement commandées par Ermegil, même s'il ne s'intégrait pas trop bien. C'est ainsi qu'il fit partie du groupe du Rhudaur envoyé du côté de Dol Ninden, deux ans auparavant. Groupe qui faisait des patrouilles dans la région ou escortait des convois de nourriture jusqu'au "Pavillon de Chasse", une autre place-forte tenue par les troupes d'Ardagor, et plus proche de Creb Durga.

Comme les deux précédents prisonniers, l'Homme des Collines détailla l'organisation au sein des troupes d'Ardagor. Divers mercenaires aux alentours, dans le territoire contrôlé par le Seigneur de Guerre, et des troupes d'Angmar fidèles à Ardagor dans et à proximité de Creb Durga. Il avait surpris quelques échanges d'où il avait déduit qu'il y avait un vaste réseau souterrain, qui abritait - à tout le moins - des orcs, des hommes d'Angmar et des trolls. Les orcs qui venaient de là-bas passaient par des entrées au nord et à l'ouest, tandis que les humains utilisaient une grotte à l'est de Creb Durga, où étaient envoyés la plupart des ravitaillements.

Cela n'avait pas toujours été le cas. Depuis deux ans qu'il était là, les choses avaient changé. Au départ, il avait aussi entendu parler d'une entrée au sommet de la plus haute colline du secteur, par où passaient divers biens et personnes. Et puis avec la menace grandissante de la guerre, il avait cru comprendre que cette entrée avait été condamnée ou fortifiée, mais qu'elle ne servait plus pour le passage des cargaisons. Néanmoins, même les hommes d'Angmar n'étaient jamais passés par là, ce passage semblait réservé aux trolls et peut-être à des messagers particuliers.

Également, devant la menace de guerre avec le Cardolan, de nombreux champs avaient été abandonnés, et les paysans avaient porté leur récolte jusqu'à Creb Durga même, pour ne plus en revenir. En plus des rumeurs qui parlaient de leur rôle comme nourriture pour les orcs et trolls, il avait entendu dire que certains au moins travaillaient dans des mines. Les hommes d'Ardagor qui vivaient là-bas n'étaient pas sûrs de ce qui était extrait, mais plusieurs pensaient qu'il s'agissait de minerais précieux. Le mystère était encore approfondi par le fait qu'un groupe d'hommes d'Angmar semblait gérer les mines, hommes qui ne combattaient pas et qui ne se mélangeaient pas aux guerriers.

A une question qu'on lui posa, l'homme répondit qu'il avait effectivement entendu parler de vignes au nord de Creb Durga. Vignes qu'il n'avait pas vues et qui semblaient gardées par les forces les plus fidèles du Seigneur de Guerre. Les mêmes personnes parlaient également d'une grande femme très belle, ce qu'il avait du mal à croire tellement l'idée lui paraissait absurde. Par ailleurs, des marchands et messagers passaient autrefois régulièrement en direction de Creb Durga et ils n'étaient pas inquiétés, puisqu'ils en revenaient. Mais il ne pouvait décrire personne de particulier.

L'homme avait apporté de nombreuses informations intéressantes et il paraissait honnête. Au départ, Narmegil et ses amis voulurent le libérer, mais ils comprirent qu'il ne pouvait rentrer chez lui puisqu'il était proscrit, et ce serait un mercenaire de plus sur les routes. Aussi Geralt lui proposa-t-il d'intégrer ses propres troupes, d'autant que le groupe qu'il avait confié à Finduilas avait subi deux pertes. L'homme hésita, surtout parce qu'il avait du mal à admettre qu'il lui faudrait obéir à un Dúnadan ou un de ses amis. Mais Vif lui fit comprendre sous sa forme féline que c'était la volonté de son dieu qui commandait aux félins, et Narmegil lui assura qu'il ne prendrait ses ordres que de Geralt et pas de lui. En fin de compte, l'homme accepta, après que Finduilas et Tarhad eurent donné leur accord.

4 - Pavillon de Chasse
Après un repos bien mérité, les cinq amis décidèrent de rentrer à Deveney en faisant un crochet par le nord, en direction du Pavillon de Chasse. Ils voulaient arriver assez près de l'endroit pour que Drilun utilise sa magie afin de déterminer qui y était présent, mais aussi pour pouvoir déterminer d'éventuelles ressources minières sur le site de Creb Durga. Le Pavillon, qui servait anciennement pour un seigneur du Cardolan, était une demeure fortifiée, avec enceinte, pour se prémunir des orcs présents dans la région. Le bâtiment était distant d'une quinzaine de miles (~24 km) de Dol Ninden.

Le terrain passant par de la forêt sur la fin, les aventuriers décidèrent d'y aller à pied. En chemin, Geralt, à l'aide de la longue-vue de Sîralassë, distingua de nombreuses silhouettes d'orc sur une colline que la route contournait. A l'aide d'un sort, le Dunéen précisa qu'ils étaient une centaine, et qu'il y en avait d'autres dans les forêts à quelques miles au-delà. Le groupe décida alors de se scinder en deux : Narmegil, Bourrin et Geralt iraient nettoyer la colline, tandis que Drilun et Vif iraient en catimini jusqu'aux forêts proches du Pavillon pour que l'archer-magicien puisse faire ses sorts de reconnaissance. Un peu de nettoyage ne serait pas non plus interdit.

Les trois guerriers montèrent à l'assaut de la colline sans se cacher. Arrivés à portée de flèche des orcs, le Dúnadan passa en avant : protégé par sa magie, qui faisait trembler ses adversaires, et par sa cotte de mithril, il ne craignait pas les traits des orcs qui étaient de plus mal équipés et de bien mauvais tireurs. Il essuya la première salve de flèches sans être aucunement inquiété - en fait très peu arrivèrent jusqu'à son armure. Mais il fut surpris, alors qu'il arrivait presque au corps à corps, d'être touché par un certain nombre de tirs plus inspirés. Il prit sur lui - les blessures étaient légères - et commença à exterminer ces viles créatures qu'il détestait tant. Aidé par ses amis, les orcs furent vite mis en déroute.

Plus loin, pendant ce temps, Drilun était monté sur le dos de la lionne qu'était Vif et il s'était enroulé dans sa cape qui l'aidait à se fondre dans le paysage. Le pas de son amie était tellement discret qu'il avait l'impression de chevaucher un nuage... Ils virent tous deux la débandade des orcs, vaincus par Narmegil, Bourrin et Geralt, et leur fuite en direction des bois proches du Pavillon. Cela ne les empêcha pas d'atteindre ces mêmes bois sans être inquiétés. Le Dunéen ayant magiquement senti qu'il n'y avait que des orcs à proximité immédiate, Vif alla faire sa dose de nettoyage, tombant par surprise au milieu des orcs quand elle ne pouvait pas égorger en silence ceux qui étaient isolés. Drilun en combattit également quelques-uns, lorsqu'il fut sûr que les autres étaient trop occupés pour venir à leur secours.

Geralt, accompagné de Bourrin et Narmegil, finit par retrouver Drilun et Vif grâce à leurs traces. Les nombreux orcs survivants s'étaient réfugiés plus près du Pavillon, dans lequel était présent un probable troll de guerre (olog) mais aussi des humains. Le Dunéen avait aussi sondé magiquement le sous-sol de la région, et il avait "senti" le labyrinthe de cavernes - certaines très profondes - qui le composait. Il avait aussi pu déterminer les emplacements de plusieurs entrées de bonne taille : trois à l'ouest (rapprochées), une au nord, une à l'est et une au sud, mêlée à de l'eau. Il sentit aussi que des ressources minières étaient exploitées, mais ne sut dire de quoi il s'agissait - il devait manquer de pratique pour cela.

Geralt et Vif allèrent chercher de l'athelas afin de permettre à Narmegil de se soigner en partie, puis l'équipe partit vers l'ouest en direction de Deveney. Arrivés aux abords de la ville, il leur fallut franchir la rivière qui la bordait. Elle coulait rapidement au fond d'une gorge peu profonde dans le plateau calcaire environnant, mais des cordes aidèrent à franchir cet obstacle. L'aide de Vif - excellente nageuse sous sa forme féline - ne fut néanmoins pas de trop pour aider à faire passer Bourrin, lourdement chargé par son armure de mailles complète, et Narmegil, moins chargé mais encore un peu blessé.

5 - Nouvelles du nord
Vif se prépara à partir faire un nouveau tour des alliés autour de Creb Durga. Cette fois-ci elle commencerait par le groupe d'Arthedain, où Niemal pouvait facilement lui parler. Ensuite elle irait vers l'est et prendrait des nouvelles des troupes de Dol Tinarë (menées par Celedur), Tyrn Gorthad (Pelendur et Pelenwen), et des Cantons de Fëotar (Bemakinda). L'équipe avait eu quelques informations par Finduilas, qui avait reçu des messagers du nord-est : le fortin de Delbarad avait été pris sans grand mal, et l'olog avait été vaincu par Bemakinda, aidé de Pelendur et Celedur. Les troupes s'étaient mises en route vers la ville de Quiel qui était peut-être déjà prise à présent.

Le lendemain, la lionne partit pour le nord et la zone où elle pensait trouver Niemal et le prince Minastir. Elle emportait à nouveau quelques parchemins écrits par Drilun pour ceux qui ne pouvaient pas lui parler magiquement. Suite à l'avancée des combats, les patrouilles ennemies étaient moins à craindre mais la Femme des Bois resta prudente et discrète. Elle trouva un nouveau camp à la croisée de deux routes, camp fortifié en cours de construction où les troupes d'Arthedain étaient installées. Le village d'Edirey, non encore repris, était trop à l'ouest pour servir de base, et il n'existait pas d'autre ville ou fortification d'où mener les patrouilles ou autres opérations militaires.

Après cette phase de consolidation, le prince Minastir pensait prendre sans coup férir le village d'Edirey, qui était maintenant complètement isolé et coupé des autres forces d'Ardagor. De plus, les oiseaux qui espionnaient pour Niemal avaient montré qu'il était peu gardé, par seulement quelques dizaines d'orcs et d'hommes. En apprenant cela, Vif proposa de s'en occuper et de leur faire gagner du temps : elle était presque invincible sous sa forme actuelle face à des orcs et hommes normaux, et la nuit elle était aussi insaisissable qu'un courant d'air. Et elle se riait des obstacles.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Dans la nuit, elle couvrit la dizaine de miles (~16 km) qui la séparaient de la ville fortifiée, suivie non loin par une troupe de cavaliers d'Arthedain. Elle sauta sans bruit par-dessus la palissade, et tua dans la nuit tous les ennemis, silencieusement, les uns après les autres. La ville fut ainsi libérée sans réel combat et sans risque pour la population. Le prince Minastir confia la gestion et la surveillance de la ville et ses environs au futur baron de Girithlin, Echorion, et ses hommes. Après s'être reposée, Vif repartit vers l'est, en fin de journée.

Après une nuit au nord de Creb Durga et un repos diurne, elle orienta sa course discrète vers le sud-est, où elle pensait que devait se tenir le village de Quiel. Car c'était là que les troupes alliées devaient être à présent, et si jamais la ville n'était pas encore prise, elle comptait bien donner un coup de main - ou plutôt de patte. Par ailleurs, son trajet la ferait passer non loin d'une tour de garde nommée Dol Ormë, encore aux mains des troupes d'Ardagor. Elle espérait ainsi les espionner et apprendre quelque chose d'utile peut-être. Et elle ne fut pas déçue.

Arrivant en vue de la place-forte en début de nuit, elle vit que de nombreux orcs s'y amassaient, et qu'ils commençaient à se diriger vers le sud-est et la probable ville de Quiel. Ils étaient accompagnés de quelques humains et gros loups, et malgré la distance elle put aussi distinguer un olog. Par ailleurs, elle vit ce même troll parler avec un humain qui n'avait pas l'air d'un guerrier mais semblait néanmoins commander, et elle soupçonna un sorcier. Contournant cette armée discrètement, elle se dirigea vers Quiel afin de prévenir ses alliés de ce qui allait leur tomber dessus.

6 - La bataille de la crête de Quiel
La féline Femme des Bois arriva bientôt à Quiel, qui avait en effet été prise sans difficulté par les forces alliées. La lionne se fit reconnaître et, avec l'aide de Pelenwen, elle arriva à se faire comprendre et à prévenir ses alliés du danger. Bemakinda proposa alors de tendre un piège aux forces d'Ardagor : aidées par celle qui était pour lui le "fauve appelé par les elfes", leurs troupes allaient faire comme si elles n'étaient pas conscientes de la présence de l'ennemi pour lui tomber dessus au meilleur moment pour eux. Vif serait chargée de les surveiller discrètement et de donner le coup d'envoi, en quelque sorte.

Et le plan fut adopté. Quiel était au fond d'une vallée, non loin de falaises calcaires en haut desquelles l'ennemi allait arriver. Il s'abriterait très certainement là-haut dans une forêt où se protéger des regards comme des rayons du soleil. Vu la distance à parcourir et la difficulté à gérer des centaines d'orcs un minimum discrètement, les ennemis n'arriveraient sans doute pas avant la fin de la nuit et n'attaqueraient pas de jour. Tous les éclaireurs furent rappelés. Tandis qu'une partie de l'infanterie montait en haut de la falaise, au nord, la cavalerie prenait place au sud, où ils attendirent tous, cachés. Et Vif alla surveiller discrètement la progression de l'ennemi.

Tout se passa comme Bemakinda avait prévu. La Femme des Bois prévint ses alliés et l'assaut fut lancé au petit matin. Tandis que la cavalerie éliminait proprement les loups montés, les orcs n'offraient qu'une résistance dérisoire face aux soldats bien entraînés et équipés qu'ils avaient en face d'eux. Sans parler d'un félin rugissant qui passait parmi eux comme un gros chat dans une armée de petites souris. Au bout du compte, il ne resta plus bientôt que le cœur de l'armée ennemie, à savoir le troll et les humains, acculés au sommet de la falaise.

La victoire semblait certaine, mais l'adversaire restait tout de même coriace. Lorsque le troll était entré en lice, personne n'avait tenu face à lui, jusqu'à ce que Bemakinda et Pelendur n'arrivent et ne bloquent sa progression. Le sorcier vociférait des imprécations qui faisaient peur aux guerriers, même si la présence de Pelenwen, non loin, en amenuisait sans doute les effets magiques. La lionne décida alors d'accélérer un peu les choses et elle bondit dans la mêlée par-dessus la première ligne de combat, non loin de l'endroit où le troll bataillait.

Malgré des attaques contre elle de tout côté elle fit vite place nette autour d'elle, suffisamment pour pouvoir se tourner vers le troll. Ce dernier, néanmoins, ne jugea pas nécessaire de se tourner vers elle et préféra se concentrer sur ses deux adversaires humains, qui cherchaient une ouverture pour le blesser. Vif lui laboura profondément le côté malgré son pavois, et le monstre hurla, étourdit de douleur. Ce fut l'ouverture que cherchaient les deux guerriers humains, qui blessèrent chacun une jambe de l'olog, qui tomba à terre. Il ne put plus se relever et ce fut le début de la fin de la bataille.

Mais restait le sorcier, vers lequel se dirigeait la lionne. Il tenta de la noyer sous un flot magique de peur et de désespoir, mais elle se rit de sa tentative : vu sa position désespérée, il n'était guère en mesure de briser sa volonté à elle avec des pensées négatives. Mais elle n'arriva pas jusqu'à lui : alors qu'il se tenait dos au vide, le plus loin possible des combats, il fut atteint par un des archers postés au pied de la falaise, et tomba dans un dernier cri. Les derniers humains se rendirent, la bataille était gagnée. Après un bon repos et un repas de quelques kilos de viande, Vif quitta ses alliés et revint vers Deveney, après passage par Dol Ninden. C'est ainsi qu'elle retrouva ses amis le lendemain soir, après moins d'une semaine de voyage mouvementé.

7 - Des corps difficiles à brûler
L'équipe à nouveau réunie, restait à répondre à cette question essentielle : que faire à présent ? Tous les objectifs du groupe avaient été atteints sur un plan militaire. Geralt avait organisé ses hommes pour faire des patrouilles serrées dans la région, en coordination avec les troupes adjacentes - celles de Finduilas et de Minastir - et avec les nains de Khanli. Les troupes de Dol Tinarë et Dol Calantir allaient s'occuper des deux seules places-fortes encore occupées par les troupes d'Ardagor. Les hommes du capitaine Nar s'occuperaient tranquillement de gérer Deveney pendant ce temps, sans parler de surveiller autour de Barad Esher.

Les alliés souhaitaient, quant à eux, que Narmegil et ses amis trouvent où se terrait Ardagor lui-même, et les forces qui lui restaient. Ainsi la suite des opérations pourrait-elle être décidée... Car la guerre était loin d'être terminée : les aventuriers n'avaient encore pas vu l'ombre de la queue du loup-garou Caran Carach, et des saboteurs et assassins couraient toujours. Sans parler de probables sorciers, dont l'un au moins maîtrisait une rare magie élémentaire, comme tous l'avaient vu à Tharbad. Ardagor lui-même avait la réputation d'être un sorcier puissant, et Tina/Tevildo rôdait dans les parages...

Mais alors que l'équipe s'apprêtait à explorer les environs de Creb Durga, un cavalier venu de Quiel apporta un message : sur le site de la bataille récente au-dessus de Quiel, les morts se relevaient et empêchaient qu'on les brûle ! Ils étaient chaque nuit un peu plus nombreux, et se terraient dans le bois en journée. Certains hommes étaient morts sous leurs coups, et plus personne ne voulait plus aller là-bas. Selon Pelenwen, il fallait trouver la source de cette magie noire et l'éliminer, et purifier les lieux avec la magie des soins. L'aide des aventuriers était sollicitée...

L'équipe alla immédiatement sur les lieux. Tout en examinant la falaise depuis le bas, les aventuriers apprirent que le corps du sorcier n'avait pas été retrouvé. En fait, Vif soupçonna le corps d'avoir été bloqué sur une corniche, comme elle en voyait d'ailleurs plusieurs à distance. Elle se mit à grimper sur la paroi afin de terminer les recherches inachevées, suivie, mais plus lentement, par certains de ses compagnons. Elle ne trouva pas le corps recherché, mais en revanche elle tomba sur des traces sanguinolentes qui semblaient remonter depuis une corniche. Comme si un corps bien blessé était remonté en haut de la falaise, malgré ses blessures. Et vu le nombre et l'emplacement des traînées, elles n'avaient pas pu être faites en tombant.

Pendant cet examen, le temps pourtant dégagé s'était fait noir, et les magiciens de l'équipe avaient senti de la magie des ténèbres à l'œuvre. Dont le Dunéen, premier arrivé après son amie féline : brusquement assailli par des noires pensées d'inutilité et de suicide, il avait néanmoins résisté au sortilège et fait mine de sauter du haut de la falaise - sur une corniche en fait - le temps pour ses amis d'arriver. Les sorts d'Isis et Drilun firent partir les nuages les plus proches ou les odeurs de décomposition, et les morts-vivants restèrent tapis en forêt.

La tâche semblait simple : trouver la source de magie - probablement sur le corps du sorcier - et la détruire. Ce qui voulait dire pénétrer les bois et combattre les créatures qui les attendaient. Plus facile à dire qu'à faire ! Comment tuer quelqu'un qui est déjà mort ? Les aventuriers, lorsqu'ils virent une trentaine de corps venir lentement les assaillir, constatèrent le peu de dégâts que faisaient leurs armes. La magie des soins maniée par Narmegil et surtout Sîralassë avait plus d'effet : les corps ainsi guéris retrouvaient le repos et ne bougeaient plus...

Tandis que ses amis combattaient difficilement les zombies, Vif avait décidé de passer d'arbre en arbre pour s'abattre brutalement sur le corps du sorcier qu'elle avait repéré au loin. Elle devina ou sentit que l'amulette qu'il portait était la source de leurs maux, et elle lui arracha, provoquant l'arrêt des morts-vivants. Narmegil utilisa ensuite sa lance elfique et son pouvoir pour briser l'amulette en miettes, et le soigneur noldo utilisa toute sa magie pour purifier l'endroit et les corps présents, enfin morts pour de bon. Ils allaient pouvoir être brûlés sans plus nuire à personne.
Modifié en dernier par Niemal le 01 septembre 2012, 21:54, modifié 3 fois.
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Niemal
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Warlord - 12ème partie : renforts

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1 - Changement de combat
Si certains soldats avaient parié contre Narmegil et ses amis, ils en furent pour leurs frais. Mais ils furent néanmoins contents du résultat puisque, malgré leurs craintes, aucun mort ne se releva plus. Les aventuriers furent donc remerciés et fêtés, même si certains n'eurent pas de plus grande récompense personnelle que de pouvoir aller se reposer, satisfaits du devoir accompli. A présent, la fin de la guerre contre Ardagor semblait proche, même s'il restait encore deux places-fortes à conquérir. Et, surtout, il fallait débusquer le Seigneur de Guerre, sachant qu'il réservait certainement ses meilleures troupes pour la fin : très peu de trolls de guerre avaient été vus, mais suffisamment pour avoir la garantie qu'ils n'étaient pas une légende.

Des échanges eurent lieu avec les seigneurs présents à Quiel, ainsi qu'avec ceux plus éloignés, via divers messagers. Le Pavillon de Chasse et Dol Ormë, encore tenus par l'ennemi, ne paraissaient pas poser de problème aux troupes alliées, qui allaient se regrouper pour les derniers assauts. Tout en assurant à proximité de Creb Durga une présence suffisante pour décourager les patrouilles de ravitailleurs orcs. Le conseil de Celedur, qui dirigerait les opérations, était donc d'aller en quête de la cachette d'Ardagor lui-même. Les troupes donneraient l'assaut d'ici quelques jours sans doute, et c'était le meilleur moment pour tenter d'investir les cavernes de Creb Durga, pendant que le regard de l'ennemi était dirigé ailleurs.

Les sept amis rentrèrent donc tranquillement à Deveney, tout en discutant de la suite à donner. Drilun avait repéré les entrées principales grâce à sa magie, de manière approximative, et l'interrogatoire de l'Homme des Collines, quelques jours auparavant, fournissait quelques éléments supplémentaires. L'entrée sud ne paraissait pas gardée, sauf par les éléments. Et l'eau qui inondait le passage rendait la progression périlleuse pour les guerriers lourdement chargés d'armes et armures métalliques. L'entrée de l'est, tenue par des humains, était sans doute mieux gardée que les autres, tenues par les orcs. Restait donc ces dernières : trois à l'ouest, proches les unes des autres, et une au nord, un peu éloignée de tout.

C'est cette dernière qui fut choisie. En effet, l'accès aux entrées de l'ouest obligeait à pénétrer sur une longue distance le territoire encore contrôlé par Ardagor. Car la limite ouest correspondait aux gorges de la rivière Eunreth, gorges impossibles à franchir par des armées ou même des petits groupes, et facile à surveiller. En revanche, il était possible de faire un large détour par l'ouest et le nord, dans un terrain accidenté et boisé. La progression serait lente mais il serait facile de surprendre l'ennemi. Entre les sorts d'Isis et Drilun, les perceptions de Vif et Geralt et la longue-vue de Sîralassë, il ne devrait sans doute pas être trop dur de repérer l'entrée nord sans se faire remarquer des orcs et autres gardiens.

Car l'objectif était bien ici la discrétion. Les orcs étaient de piètres guerriers, en particulier ceux de Creb Durga. En soi ils n'étaient aucunement une menace, et d'ailleurs les villages de la région avaient longtemps supporté leur présence et la faible gêne qu'ils représentaient. Mais les sorciers et trolls que commandait Ardagor, sans parler du Seigneur de Guerre lui-même, représentaient un autre danger. Et personne ne savait ce qu'abritaient au juste les cavernes de Creb Durga, qui semblaient s'enfoncer jusqu'au cœur de la terre elle-même, là où des légendes racontaient que des terribles créatures s'étaient autrefois réfugiées...

2 - Balade champêtre
Cela en tête, Narmegil et ses amis se demandèrent s'il ne fallait pas inviter à nouveau leur ami nain, Bourrin. D'autant que si les principaux combats se terminaient, et sans l'aide des nains qui plus était, il risquait fort de s'ennuyer. Les patrouilles n'étaient pas son fort, tandis que combattre des adversaires de poids comme les trolls de guerre... Ces derniers appartenaient pour beaucoup aux seules légendes, et Bourrin aimait énormément les combats de légende - peut-être parce qu'il en était un peu une lui-même.

L'intéressé demanda à son chef, Khanli, d'accompagner ses anciens amis, mais il savait mieux manier la hache que sa langue. Le noble Dúnadan, lui, qui était aussi le financeur du groupe de nains, sut trouver les bons mots. Il sut être diplomate et moins rentre-dedans que son petit et large ami. Khanli accepta donc de laisser partir son meilleur guerrier quelque temps, et il lui permit aussi de prendre un peu de matériel supplémentaire en réserve, comme un marteau de guerre et un bouclier. Certains, dans l'équipe, se demandaient tout de même s'il était raisonnable de faire venir avec eux un tel arsenal ambulant et bruyant pour une mission d'infiltration en catimini...

Avant le départ, Vif décida d'aller voir Niemal pour lui demander conseil et surtout récupérer d'éventuelles herbes. Elle avait bien trouvé de l'ail des ours avec l'aide de Sîralassë, pour masquer les odeurs, mais certains de ses amis, tel Drilun, auraient voulu quelque chose contre le feu - qui savait ce qui se trouvait à Creb Durga ? - ou la fatigue. Le soigneur noldo avait déterminé qu'il n'y avait pas d'herbe adaptée dans la région, mais la lionne comptait sur l'érudit pour la surprendre. Elle le trouva à Edirey, et Niemal confirma qu'il n'y avait pas ce qu'il fallait dans le coin. Mais il jugea qu'il était peut-être temps de remettre à la lionne un cadeau d'Elrond : une fiole du cordial d'Imladris, un puissant fortifiant qui faisait oublier la fatigue. Vif revint ensuite apporter ce cadeau à ses amis.

La route du nord étant maintenant régulièrement patrouillée et exempte d'ennemis, le groupe l'emprunta un beau matin, à pied. Longeant à quelque distance la rivière Eunreth et ses gorges, à l'est, il ne rencontra que quelques patrouilles alliées au cours de cette balade estivale et champêtre. Les gorges de l'Eunreth, trop profondes, bloquaient les sorts d'écoute à distance d’éventuels ennemis à l'est, comme Drilun s'en rendit compte. Après avoir monté, le terrain finit par redescendre, et en fin de journée l'équipe retrouva la rivière avant son entrée dans les gorges. La route fut laissée - elle se dirigeait plus vers l'ouest - et le cours d'eau fut suivi jusqu'au soir, au moment d'entrer dans une forêt.

Le camp fut installé là, et la nuit se passa sans incident. La lionne qu'était Vif dormait dans un arbre, et tous savaient que son ouïe était si fine qu'elle serait réveillée avant même qu'un garde puisse se rendre compte que quelque chose arrivait. Et les elfes, qui ne se reposaient guère, veillaient aussi la majeure partie de la nuit. Au matin, le camp fut levé et la rivière fut suivie plus profondément dans la forêt. Objectif : trouver un endroit pour franchir la rivière avec le moins de difficulté possible. En particulier pour Bourrin, qui savait bien mieux couler que nager, avec tout le lest métallique qu'il portait. La rivière n'était plus guère profonde, mais assez pour lui poser des problèmes, vu sa petite taille.

C'est à l'endroit où deux branches du cours d'eau confluaient qu'il fut décidé de passer. Vif sauta de pierre en pierre sans effort, et les elfes en firent autant avec une grâce propre à leur race. Narmegil glissa et tomba dans l'eau, dériva un peu avant de pouvoir revenir, et finit par passer la rivière avec de l'eau jusqu'à la taille. Les autres, à l'instigation de Geralt, toujours avare d'efforts, demandèrent l'assistance de Vif. Elle revint donc et fit passer sur son dos l'assassin, puis le Dunéen, et même le nain. Avec tout son équipement il était plus lourd qu'elle, mais elle était assez forte et adroite - un vrai grand félin - pour que ça ne lui pose aucun problème.

3 - Au milieu des orcs
Le groupe étant maintenant en terrain ennemi, la discrétion était de rigueur. Ce qui était plus facile en forêt, mais plus lent aussi. Heureusement, les sorts d'Isis, qu'elle masquait aux perceptions d'un éventuel sorcier, permettaient de détecter les ennemis d'assez loin pour ne pas avoir besoin de faire particulièrement attention. Ce qui était tant mieux, car pour Bourrin en particulier il valait mieux ne pas avoir d'ennemis trop près. Par ailleurs, des petits félins furent également sentis, ou leurs traces repérées, et Vif cru bien deviner que Tina/Tevildo n'était pas très loin. Elle les avait devancés en au moins un endroit. De rares traces de loup étaient aussi présentes.

La première colline dénudée rencontrée abritait des orcs à son sommet, ainsi qu'à son pied, dans la forêt. Il fut question de les éliminer, mais certains objectèrent que cela allait vite trahir leur présence, que d'autres donneraient tôt ou tard l'alerte. Il fut donc décidé de faire un large détour pour les contourner sans risque de se faire repérer, après s'être enduits d'ail des ours pour masquer leur odeur. De toute manière, la longue-vue de Sîralassë montra que les orcs, détestant le soleil, cherchaient plus à s'en abriter qu'à faire une garde efficace. Ces orcs-là ne posèrent donc aucun problème et ils n'entendirent même pas Bourrin, pourtant peu discret malgré ses efforts.

Mais une nouvelle zone sans couvert forestier fut rencontrée dans l'après midi. Une colline plus importante comportait aussi des guetteurs, mais là il fallait passer et il n'était pas possible de contourner. Par ailleurs, certains virent à distance, côté ouest voire plus au sud de la colline, de la végétation qui faisait penser à des vignes. Étaient-ce les fameuses vignes de Creb Durga, qui produisaient le vin dont les Tarmas et Ekettas avaient souffert ? L'endroit était plus délicat, et Isis et Drilun décidèrent d'utiliser leur magie afin d'en savoir le plus possible. Sur leurs ennemis proches, mais aussi sur les cavernes de Creb Durga, qui ne devaient plus être très loin.

Des orcs se tenaient bien en position dominante ou plus bas, abrités dans la forêt, en lisière. Un autre sort montra que l'entrée nord des cavernes n'était pas très éloignée, mais qu'il fallait bien passer là où les orcs reposaient, ou peu s'en fallait. Le jour d'avant, un sort du Dunéen lui avait permis de percevoir de manière très nette le labyrinthe de souterrains qui s'étendaient un peu plus loin. Ayant pris la précaution d'emmener plume, encre et parchemin, il avait passé un moment à dessiner un plan des plus grandes cavernes et des plus gros passages qui les reliaient. Il avait senti aussi que des ressources étaient exploitées dans certaines cavernes proches du centre, mais il ne savait toujours pas ce qui était recueilli. Une copie avait aussi été faite et remise aux gens de Minastir.

L'obstacle des orcs pouvait facilement être levé par le combat, mais là encore le désir de discrétion fut le plus fort. Il y avait peut-être cinq portées de flèche à franchir en vue des sentinelles, dans un terrain dégagé seulement envahi d'herbes hautes. Pour rester discret, une seule méthode : ramper. Long et fatigant, mais difficile de faire autrement sans se faire repérer. Les plus discrets passeraient en premier et se cacheraient parmi ou autour des orcs, prêts à intervenir en cas de pépin. Vif se faisait fort de ne laisser aucun survivant, mais les cadavres ou les absents montreraient qu'il s'était passé quelque chose...

La lionne qu'était Vif traversa sans problème et rapidement, et elle finit par se cacher dans des arbres au-dessus des premiers orcs. Geralt pesta après l'effort que cela lui demandait, mais il n'eut aucun mal non plus. Les elfes, aidés par leur magie, trouvèrent la tâche routinière. Enfin, les autres s'aidèrent de la cape de camouflage de Drilun : après être passé, ce dernier la remit à Vif qui la ramena à Narmegil, et de même pour Bourrin. Ce dernier enleva sa cotte de mailles, trop bruyante, et il la mit dans un sac qu'il attacha à la lionne, qui le ramena sans problème. Le nain ne fit pas une prestation formidable, mais de jour, les orcs n'étaient vraiment pas des bonnes sentinelles. Et la cape l'aida bien à rester inaperçu.

4 - Alerte !
Une fois les orcs passés, il ne fallut pas longtemps pour trouver l'entrée nord des cavernes de Creb Durga. Avec l'aide de Vif, qui repéra vite une bessière : Bemakinda autrefois, mais aussi Niemal (grâce à ses oiseaux espions), avaient en effet parlé d'une entrée cachée dans une futaie de bouleaux (ou boulaie, ou bessière). Cette entrée était cachée derrière quelques gros rochers, et la Femme des Bois put entendre une dizaine d'orcs qui occupaient ou gardaient l'entrée. Il ne restait plus qu'à trouver un moyen de disposer discrètement des gardes orcs pour pénétrer dans les cavernes de Creb Durga...

Tandis que le débat commençait sur la meilleure manière d'entrer discrètement et de gérer les orcs, Geralt et Vif distinguèrent un martinet qui voletait rapidement au-dessus de la cime des arbres et qui semblait chercher quelque chose. Cet oiseau fin et très rapide était souvent utilisé comme messager diurne par des elfes tels que Niemal. Les deux amis prévinrent le reste du groupe et en particulier les elfes, qui avaient une magie qui leur permettait de parler aux animaux. Sîralassë jeta un sort pour appeler l'oiseau, qui vint se poser sur son épaule. Il put lui parler magiquement, et l'animal lui transmit un message de la part de Niemal.

Les nouvelles étaient mauvaises. Niemal se trouvait à Edirey, village fortifié le plus à l'ouest de l'ancien territoire contrôlé auparavant par Ardagor. Après le "nettoyage" que Vif y avait fait, le village avait été libéré et donné à Echorion, futur Baron de Girithlin, et ses hommes, pour le gérer. La plupart des habitants les plus costauds avaient auparavant disparu pour Creb Durga à l'est, il restait avant tout des femmes et enfants, des vieillards, blessés et malades, et très peu de monde capable de combattre. Mais le village avait été complètement isolé des troupes du Seigneur de Guerre par les forces d'Arthedain, et donc il était considéré comme sûr - c'est pourquoi il avait été confié au jeune Echorion et ses guerriers de piètre qualité.

L'érudit elfe venait de découvrir que le village n'était peut-être pas si sûr que ça : il avait senti que de la magie noire était utilisée dans la forêt proche du village. De plus, devant l'attitude bizarre de certains gardes, il avait sondé leur esprit et découvert qu'ils avaient été achetés récemment : ils s'apprêtaient tous à déserter avant la tombée de la nuit, et avaient été prévenus qu'une force allait bientôt attaquer. Le prince Minastir et ses cavaliers étaient partis pour l'est et un assaut sur le Pavillon de Chasse, et seules restaient quelques patrouilles à pied occupées à garder le secteur plus à l'est et au nord.

Autrement dit, Echorion et tout le village d'Edirey étaient menacés par une force qui allait probablement passer à l'attaque à la tombée de la nuit... d'ici quatre-cinq heures. Seuls les aventuriers étaient susceptibles de venir assez vite prêter main-forte, et Niemal demandait leur aide ! Mais Edirey se trouvait à une dizaine de lieues peut-être, dont le premier quart était occupé par de la forêt riche en orcs... Narmegil et ses amis étaient à pied, sauf Vif en un sens, et il n'était pas évident pour eux d'arriver assez vite. Et s'ils essayaient, ils devraient courir et ne plus penser à la discrétion. Les orcs n'étaient pas vraiment une menace, mais la présence des sept amis deviendrait évidente et cela risquerait de compromettre une future expédition par ici.

Mais les problèmes ne faisaient que commencer. Alors que le débat commençait entre les aventuriers, débat déjà vif, un autre martinet fut repéré. Appelé à nouveau magiquement, l'oiseau fit part d'un message bref mais éloquent : suite à une attaque d'orcs à la frontière d'Arthedain, attaque destinée à les faire regarder où il ne fallait pas, les elfes avaient laissé passer une force de gros loups menés par un géant parmi eux, tous venus du Rhudaur. Force qui se dirigeait vers Creb Durga et qu'elle atteindrait sans doute dans la nuit qui venait. Les elfes avaient alors relayé l'information de proche en proche par des oiseaux messagers. Mais en bref, l'information semblait limpide : le loup-garou Caran Carach était en train d'arriver avec des renforts pour Creb Durga... ou pour les aventuriers.

5 - Un choix difficile
Le débat fit rage entre des aventuriers qui ne parlaient pas vraiment d'une seule voix. De nombreuses idées fusèrent :
- les martinets envoyés étaient un piège destiné à les leurrer et leur faire prendre de mauvaises décisions
- il fallait s'occuper de Creb Durga, l'occasion ne se représenterait peut-être plus
- il n'était pas possible d'arriver à Edirey à temps pour le coucher du soleil, tout le monde serait mort à leur arrivée
- si Echorion mourait, son oncle, régent actuel, deviendrait baron, alors qu'il était éminemment louche et retors
- l'arrivée du loup-garou était la preuve qu'il ne fallait pas entrer dans Creb Durga mais vite se diriger vers Edirey
- tout ne serait pas forcément fini au crépuscule, même une ou deux heures après, tout pouvait être changé
- Vif pouvait être là-bas à temps avec une personne, tandis que le reste du groupe suivait plus lentement
- diviser le groupe en deux serait le fragiliser et en faire une proie facile pour le loup-garou ou le sorcier repéré

La question de la mission à Creb Durga fut réglée en premier : certains contestèrent l'utilité de se détourner de leur mission, en raison de deux idées déjà évoquées. La première était qu'il n'y avait aucune garantie sur l'origine de l'émetteur des messagers aviaires. La seconde était qu'il n'était pas possible d'arriver à temps pour empêcher l'irréparable de se produire. Si jamais ces deux idées pouvaient trouver une réponse satisfaisante, alors bien sûr, il fallait aller se porter au secours d'Echorion sans tarder et fuir l'arrivée du loup-garou. Même si cette idée ne plaisait pas du tout à Bourrin, qui avait banni le mot "fuir" de son vocabulaire - quand cela le concernait en tout cas.

Vif, traduite par Sîralassë, dit qu'elle avait déjà vu Niemal utiliser des martinets comme messagers. Et si plusieurs aventuriers envisageaient que l'ennemi puisse utiliser la même magie que les elfes, une majorité estimait que c'était improbable. Par le passé, les sorciers avaient tous utilisé des crebain - des corneilles magiquement envoûtées - et des loups, mais pas d'autres animaux. Par ailleurs, même si le groupe dans son ensemble n'arrivait pas assez vite, rien ne pouvait dire que le mal arriverait immédiatement à la nuit tombée. Et même ainsi, qui pouvait garantir qu'Echorion mourrait dans l'heure ? Il ne fallait jamais perdre espoir et envisager le pire. Et donc il fut décidé d'aller à Edirey.

La division de l'équipe en deux fut un tout autre débat, bien plus difficile, qui amena les aventuriers à perdre un temps précieux. A tel point que Sîralassë, après un moment, finit par s'emporter et déclara qu'il partait sans plus attendre, achevant sa sortie par un "qui m'aime me suive" ! Il faut dire que l'affaiblissement de l'équipe n'était pas du tout du goût de certains, tandis que d'autres étaient plus confiants. Arriver en un seul groupe garantissait de pouvoir faire face de manière optimale aux menaces, mais risquait de sceller le sort d'Echorion...

La question d'un départ de Geralt sur Vif fut très vite écartée : il était hors de question de priver les deux personnes les plus perceptives du reste du groupe. Narmegil sur Vif fut ensuite évoqué : le Dúnadan, en plus d'être un excellent combattant, était un soigneur et sa magie permettait de lutter contre la magie noire. Mais Geralt ne pensait pas pouvoir tenir contre le loup-garou sans son noble ami, et d'autres trouvèrent aussi qu'une fois les deux plus puissants combattants partis, le reste serait une proie trop facile.

Quelqu'un suggéra alors que Sîralassë profite de la rapidité de la lionne. Le Noldo était soigneur mais aussi compétent en armes, et Narmegil et Geralt pourraient certainement faire face, à eux deux, à Caran Carach. Et dans chaque morceau d'équipe, une personne connaissait la magie des soins qui permettait de lutter contre la magie noire. Et ainsi fut-il fait. Vif ne pourrait pas tenir longtemps avec un tel poids sur son dos, mais la magie du soigneur saurait renforcer sa résistance et lui faire oublier la fatigue qu'elle ne manquerait pas d'accumuler. Et les cinq autres bénéficieraient des soins magiques de Narmegil et du cordial d'Imladris. Une fois la décision prise, celui qui se faisait autrefois appeler "Grandes-Gigues" monta sur la lionne et ils furent partis.

6 - Marathon
Vif se faufila entre les arbres en tuant au passage les orcs qui avaient le malheur de se trouver assez près. Lesquels orcs comprirent vite qu'ils n'avaient rien à faire sur son passage... Son corps puissant et magique était adapté au déplacement en forêt, et elle progressa vite. Elle franchit le confluent de deux puissantes détentes par-dessus les deux rivières qui fusionnaient pour donner l'Eunreth, malgré le poids de son cavalier qui était supérieur au sien, son équipement compris. Malgré cela, son corps magique résistait bien à la fatigue et elle n'eut pas trop besoin des talents de son ami, qui servirent un peu plus tard.

Une fois la forêt derrière elle, la féline Femme des Bois prit le chemin d'Edirey à allure soutenue, même si ça n'était pas très rapide pour elle : à peu près la vitesse d'un cheval au trot. Mais le fardeau qu'elle portait était bien assez lourd pour elle et sa rapidité était suffisante, pour ce qu'elle connaissait du chemin. Elle eut tout de même besoin de son ami pour arriver comme fraîche et dispose, et avant même la tombée de la nuit. Néanmoins, à l'approche d'Edirey, son compagnon et elle virent de noirs nuages qui paraissaient venir du nord, où se trouvait une forêt, et le soigneur sentit de la magie noire à l'œuvre. Sous ces nuages, le crépuscule commençait déjà et les deux amis espérèrent ne pas arriver trop tard.

Mais ils furent rassurés en arrivant au village d'Edirey, même s'ils furent accueillis par la flèche d'un garde trop zélé. Niemal et Echorion les firent entrer, et l'érudit elfe confirma qu'il avait bien envoyé le martinet les prévenir et demander leur aide. Ses craintes s'étaient réalisées, puisque tous les hommes d'Echorion avaient fui dès qu'ils s'étaient trouvés assez éloignés de leur chef. Heureusement, Niemal avait pu trouver et faire venir une patrouille de dix soldats de l'armée d'Arthedain, mais cela faisait peu pour résister à une force qui comprenait au moins un sorcier.

Une fois la lionne et son cavalier partis, les cinq autres aventuriers s'étaient mis à courir dans la forêt en direction du nord et de l'ouest, en repassant sur leurs traces à l'aller. Ils avaient vite entendu des orcs pousser des cris, de combat d'abord puis rapidement de douleur ou de fuite. Ils avaient croisé certains d'entre eux qui ne s'étaient pas fait prier pour ne pas croiser leur chemin, et les cinq amis les avaient laissé partir sans plus s'en occuper. Bien qu'il en coûtât à Bourrin de ne pas donner quelques coups de hache et de partir comme s'il fuyait : il devait se contenter d'utiliser sa hache pour ouvrir le chemin. Celui du félin était émaillé de quelques cadavres, et Isis et Geralt aidaient leur ami nain à suivre les traces de leurs compagnons plus rapides.

Il leur fallut peut-être deux heures pour traverser la forêt et les collines en courant, plus un peu de temps pour franchir le confluent de la rivière Eunreth. La course fut ensuite plus rapide sur le chemin qui menait à Edirey, mais elle dura longtemps, plus de trois heures. Narmegil et Bourrin, très endurants, étaient rompus à ce genre d'exercice, et ils n'eurent pratiquement pas besoin d'une aide magique ou du cordial d'Elrond. Pour Geralt, globalement bon athlète, son corps lui posa moins de problème que son esprit rétif aux efforts : son moral chuta bien plus vite que la fatigue ne gagnait ses muscles. Quant à Drilun et Isis, moins adeptes du marathon, ils souffrirent plus et utilisèrent plus fréquemment le cordial ou la magie de Narmegil.

7 - Renforts d'un nouveau genre
Niemal suggéra aux deux amis arrivés en premier d'aller jeter un œil dans la forêt proche, où il sentait la source de la magie noire. Sîralassë et Vif ne se firent pas prier et ils se dirigèrent vers le lieu en question, le plus discrètement possible. Le pas de la lionne était aussi silencieux qu'un nuage et elle se confondait avec les herbes dans lesquelles elle évoluait. Son ami, quant à lui, était environné d'une magie qui le rendait difficile à percevoir. Dans la nature, immobile, il était même impossible à voir, comme s'il était invisible.

Tous deux arrivèrent donc à la forêt sans être inquiétés, et Vif entendit très vite que les lieux étaient occupés. Elle laissa son ami en arrière, et s'approcha discrètement de l'armée qui se préparait à donner l'assaut : une centaine d'orcs environ, et pas ceux de Creb Durga. Ceux-là paraissaient plus aguerris, plus costauds, mieux équipés. Et une dizaine de grandes silhouettes étaient aussi présentes - des trolls ! Mais ces derniers étaient plus petits que les quelques-uns qu'ils avaient vus jusqu'à présent commander aux armées d'Ardagor, et ils n'avaient pas le même équipement : c'étaient des trolls plus communs, appelés en général des trolls des collines, hauts de moins de trois mètres et armés de gros gourdins de la taille d'un homme...

Mais surtout, tout ce beau monde semblait commandé par un orc qui n'était pas équipé comme un guerrier, même si manifestement c'était le chef. Même les trolls lui obéissaient sans discuter, et la lionne devina qu'il devait s'agir du sorcier. Il était en train de donner les derniers ordres, entouré des trolls et des meilleurs guerriers orcs. Apparemment, il n'y avait pas d'autre ennemi important, pas d'autre chef. Un simple sorcier, juste un orc, si facile à éliminer. Sous les arbres, sous les nuages noirs sans doute appelés par le sorcier, il faisait sombre même pour des orcs, mais cela ne dérangeait guère la lionne qu'elle était.

Elle grimpa sans bruit à un arbre et passa silencieusement d'arbre en arbre, assez haut et assez discrètement pour qu'on ne puisse pas la repérer. Elle finit par arriver au-dessus du sorcier qui commençait à peine à se déplacer, entouré des trolls. D'une hauteur d'une dizaine de mètres, elle se laissa tomber sur le chef de cette armée, toutes griffes dehors. Plus loin, le soigneur noldo n'entendit pas un cri mais plutôt un bruit de choc mou associé à des craquements comme de nombreux os brisés lors d'une chute. Puis des cris puissants de trolls et de nombreux cris d'orcs - une grande confusion semblait régner, et le bruit se dirigeait vers lui. Invisible grâce à sa magie, il attendit de voir ce qui arrivait.

Vif arriva vers lui à toute allure. Malgré son invisibilité magique, elle l'avait repéré à son odeur et à ses traces. L'elfe comprit vite ce qui se passait lorsque les orcs et trolls approchèrent en hurlant, et il ne tarda pas à monter sur le dos de son amie. Elle avait réduit le sorcier en chair à pâté et elle s'était esquivée entre les jambes des trolls avant qu'ils ne puissent réagir, et par-dessus les orcs qui essayèrent de l'arrêter. Elle sortit du bois à vive allure, et se dirigea vers Edirey non loin, toujours suivie par la horde hurlante d'orcs et de trolls.

8 - La bataille d'Edirey
Narmegil, Isis, Drilun, Geralt et Bourrin étaient en train d'arriver dans les parages de la ville. En voyant les nuages noirs qui masquaient la lune et les étoiles, Isis fit un sort qui les repoussa loin d'elle, sur quelques centaines de mètres. C'est ainsi qu'elle permit à Edirey de bénéficier d'une belle lumière lunaire plutôt que d'un noir de poix. Plusieurs purent aussi repérer une silhouette féline et montée arriver dans leur direction, poursuivie par des beuglements qui ne laissaient guère de place au doute : la ville était sur le point d'être attaquée.

Vif et Sîralassë mirent leurs amis au courant, et ils se cachèrent à l'extérieur de la ville, non loin du passage probable des ennemis. Les trois meilleurs guerriers - Narmegil, Geralt et Bourrin - se postèrent bien visibles devant la palissade qui entourait Edirey, droit sur le trajet des créatures hurlantes. Drilun et Isis se postèrent chacun dans une des tours d'angle de la palissade, arc bandé et flèche encochée, et chacun accompagné par un homme de l'armée d'Arthedain équipé de même. Niemal, pour sa part, était resté dans le village et avait persuadé Echorion de rester défendre les portes et les habitants du village.

Les premiers à arriver furent les trolls. Avant même qu'ils ne puissent arriver au corps à corps, l'un d'eux avait eu le crâne transpercé par une flèche de Drilun, puis un deuxième. Narmegil, aidé par sa magie de roi, transperça à mort un autre troll, esquiva le corps qui tombait avant de tuer un orc proche, et répéta tout cela une deuxième fois. Bourrin et Geralt tuèrent ou blessèrent mortellement plusieurs trolls, Isis et les archers dúnedain blessèrent eux aussi quelques monstres, et Vif et Sîralassë achevèrent les derniers en les prenant par surprise, par derrière ou par le côté. En une douzaine de battements de cœur, les dix géants étaient tous à terre, morts ou agonisants.

Les orcs tentèrent d'attaquer dans le même temps, mais ils n'arrivèrent à rien de concret et commencèrent à se faire massacrer. Voyant qu'ils n'avaient aucune chance face à cinq formidables guerriers et quelques archers, l'attaque se changea vite en déroute totale. Les guerriers les poursuivirent un moment, mais aucun avec plus de rapidité et d'efficacité que Vif sous sa forme féline, qui fit un carnage. Les ennemis étaient venus en hurlant, bien peu repartirent, et toujours en hurlant, mais pas de la même manière...

Par la suite, les corps furent fouillés, en particulier celui du sorcier que Vif avait tué. Il ne portait rien de spécial hormis un pot d'onguent que Niemal identifia comme du baume de soin orc. C'était un puissant mélange qui permettait de très vite fermer des blessures même graves, au prix d'une grande douleur et de cicatrices bien visibles et peu esthétiques. Ils découvrirent aussi les corps des ex-gardes d'Echorion, non loin, et purent récupérer l'argent qu'ils avaient reçu pour leur désertion - et leur mort : une pièce d'argent chacun...

Narmegil et ses amis furent fêtés par la population et Echorion, tandis que Niemal parlait des informations qu'il avait pu glaner dans la tête des orcs ou à travers leur équipement : ils ne venaient pas de Creb Durga mais d'une forêt côtière de Girithlin, forêt à la sinistre réputation, Eryn Vorn. L'armée avait marché de nuit, pendant plusieurs jours, dans une région dépeuplée de Girithlin. Néanmoins, orcs et trolls avaient paru étonnamment bien renseignés sur les chemins à prendre et les forces qu'ils s'attendaient à rencontrer. Autrement dit, ils avaient certainement été renseignés par une personne de la région. De toute manière, les ex-gardes d'Echorion avaient été achetés par un humain. Ardagor avait de nombreux espions sous ses ordres, et une influence et des renforts inattendus...

Après cela, certains demandèrent à Niemal s'il pouvait confirmer l'arrivée de Caran Carach à Creb Durga, mais l'elfe ne le put : ce n'était pas lui qui avait envoyé le second martinet. Néanmoins, il avait régulièrement informé d'autres elfes qui maîtrisaient le langage des animaux, comme lui, de la progression des aventuriers. Il demanda confirmation par un nouveau messager. La réponse arriva le lendemain : c'étaient bien d'autres elfes qui avaient prévenu. Le loup-garou et ses wargs avaient attaqué les armées qui s'apprêtaient à prendre Dol Ormë, et ils avaient tué de nombreux guerriers. Puis ils étaient partis pour Creb Durga. Le Pavillon de Chasse avait été pris, lui, et Dol Ormë le serait sans doute bientôt quand même. Les aventuriers avaient sauvé Echorion et les gens d'Edirey, mais ils ne pouvaient être partout à la fois...
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Warlord - 13ème partie : des ennemis puissants

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1 - Nouveau départ
A l'issue d'une nouvelle journée, la ville d'Edirey vit arriver une compagnie d'une dizaine de cavaliers d'Arthedain. Ils étaient chargés par Minastir de patrouiller et d'assurer la sécurité de la ville avec un groupe de fantassins. Comme l'annonça le capitaine à Narmegil et à ses amis, tout cela n'arrangeait guère le prince. Ses forces étaient à présent étalées sur un vaste territoire à surveiller, et divisées en de nombreux groupes. Sans parler des problèmes d'approvisionnement : la prudence recommandait là aussi de divertir des forces afin d'assurer que tous les hommes pourraient convenablement manger. Néanmoins, les aventuriers furent chaudement remerciés pour l'aide qu'ils avaient apportée.

L'homme déclara aussi que la prise de Dol Ormë était imminente. Seule l'arrivée du loup-garou et de ses wargs avait empêché de prendre cette petite forteresse, alors que le gros des troupes et des meneurs était au Pavillon de Chasse, mieux gardé. Maintenant que ce dernier était pris, les forces allaient se reporter sur la tour et dernier bastion clairement identifié des forces d'Ardagor. Autrement dit, d'ici un ou deux jours, selon le militaire, la tour serait prise. Le groupe pouvait donc reprendre immédiatement son exploration des souterrains de Creb Durga, les actions seraient simultanées. Cela dit, maintenant qu'il ne restait plus que Dol Ormë à Ardagor, et comme elle était isolée, le capitaine pensait qu'Ardagor allait plutôt se concentrer sur Creb Durga.

La discrétion était donc plus que jamais de mise, ce qui posait un problème : malgré ses grands talents comme guerrier, le nain Bourrin n'était pas franchement discret. Ce n'était pas dans sa nature, et son équipement important et métallique était facile à repérer de loin. Dans la nature, aidé par le manteau de camouflage de Drilun, cela avait passé, mais pas de beaucoup. Et encore avait-il dû enlever sa cotte de mailles, et les gardes orcs étaient gênés par le soleil et pas très motivés. Mais sous terre... Bourrin resterait donc en arrière, et pour aider à faire passer la pilule, ses anciens amis lui dirent que la ville d'Edirey avait besoin de lui : peut-être aurait-il bientôt d'autres orcs et trolls à combattre ?

Le lendemain matin, les six amis reprirent la route de l'est, à pied : Narmegil, Isis, Sîralassë, Drilun, Geralt, et bien sûr Vif sous sa forme féline. Il faisait beau et chaud et Geralt pesta après les dix lieues de marche qu'ils firent dans la journée, mais ses amis ne l'entendirent pas tellement ils avaient l'habitude de ses récriminations dès qu'il avait autre chose à faire que de se reposer. Ils retrouvèrent l'endroit où ils avaient dressé le camp près de la rivière Eunreth, et choisirent de ne pas aller plus loin cet après-midi-là. Après une soirée reposante et une bonne nuit, tôt le matin, ils reprirent la route de Creb Durga en pleine forme. Et ils connaissaient le chemin à présent.

Toujours discrets, leur avancée ne posa aucun problème. La rivière fut franchie légèrement pour les elfes, à dos de félin pour les autres. Les mêmes orcs furent évités aux mêmes endroits, il fallut ramper encore une fois dans les herbes hautes et subir la mine renfrognée de Geralt face à cet effort. Enfin, ils arrivèrent à proximité de l'entrée souterraine au milieu de la bessière. Les plus perceptifs distinguaient les voix des orcs, et un sort d'Isis, masqué pour éviter que des sorciers puissent le détecter, permit de préciser leur nombre : onze orcs leur barraient le passage. Ils étaient tous dans le souterrain, et deux d'entre eux légèrement à part, sans doute des gardes près de l'entrée de la grotte. A présent, il fallait les éliminer sans qu'ils puissent donner l'alerte.

2 - Voie libre
Après réflexion, les membres du groupe se rapprochèrent silencieusement de l'entrée, les plus discrets en premier. Deux gardes bloquaient effectivement le passage à quelques mètres de l'entrée, à l'intérieur, tandis que les autres semblaient occuper un espace un peu plus éloigné. Les deux orcs visibles semblaient nerveux mais tout de même attentifs : ils jetaient fréquemment des regards vers l'extérieur, malgré le déplaisir que leur procurait la lumière du soleil. En dehors des jurons et invectives qu'ils échangeaient avec leurs compagnons bien abrités du soleil, les deux gardes se parlaient beaucoup, semblait-il pour se rassurer. Drilun, qui commençait à maîtriser suffisamment leur langue grâce aux cours donnés par Niemal, arriva bientôt à comprendre la raison de leur nervosité.

Si les deux orcs râlaient encore plus fort que Geralt, ils avaient en effet de bonnes raisons. Leurs chefs leur avaient prédit la venue probable d'un groupe de grands guerriers et d'elfes contre lesquels ils n'avaient aucune chance en combat. Ils devaient donc juste garder le passage pour donner l'alerte dès que les intrus arriveraient. Les deux orcs postés près de l'entrée étaient donc des sacrifiés d'avance ; les autres, plus éloignés, avaient peut-être une petite chance de s'enfuir, mais pas eux ! Ce qui expliquait les nombreuses invectives et le peu d'empressement des autres orcs à venir remplacer les deux gardes...

Tandis que Geralt et Vif se plaçaient de chaque côté de l'entrée, Isis et Drilun se positionnaient un peu plus loin, mais de manière à pouvoir tirer à l'arc sur les gardes. Ces derniers avaient peu de chances de repérer leur odeur grâce à l'ail des ours dont tout le monde s'était enduit, grâce aux recherches faites par le soigneur et la lionne. Silencieusement, par gestes, les deux archers se coordonnèrent et envoyèrent leur trait en même temps. Malheureusement, ils ne s'étaient pas mis d'accord sur l'orc qu'ils visaient, et un des deux gardes mourut sur-le-champ, percé de deux flèches. Mais son collègue n'eut pas le temps de réagir : à peine eut-il le temps de comprendre ce qui se passait que Geralt était entré d'un bond et faisait sauter sa tête...

Le reste du groupe entra alors dans l'espèce d'antichambre, et Drilun, tâchant d'imiter de son mieux la voix grossière des orcs, lança une invective à l'adresse des autres. Des jurons moqueurs lui répondirent quant à la relève et aux désirs d'endroit sombre, mais apparemment il avait fait illusion, malgré son accent certain. Restaient donc neuf orcs, trop occupés à jurer ou se battre pour se rendre compte que certains de leurs ennemis les observaient à quelques mètres : six orcs occupaient une espèce de petite grotte élargie, tandis que trois autres devaient se trouver un peu au-delà. Les humains, gênés par l'obscurité, utilisèrent du trèfle de lune pour voir aussi bien que les elfes dans le noir.

Il fallait bloquer toute possibilité de fuite pour les orcs. Aussi le plan suivant fut-il adopté : Vif porterait Geralt et elle filerait à travers la petite grotte jusqu'au passage à l'autre bout. Les deux amis devraient liquider les trois orcs les plus éloignés et empêcher les autres de fuir. La lionne remplit sa part du contrat à merveille : elle fila dans la petite grotte à une telle allure que les orcs mirent un temps avant de comprendre ce qui venait de passer. Elle ne pouvait sauter par-dessus les orcs car le plafond de la grotte était trop bas, mais elle zigzagua entre les gardes jusqu'à atteindre les trois plus éloignés, dans le passage qui se poursuivait. Quelques secondes après, tous les trois étaient morts.

Les six orcs restants ne firent pas long feu. Quatre moururent en quelques secondes, grâce aux flèches des archers - ils s'étaient mis d'accord cette fois pour ne pas tirer le même - et aux armes de Narmegil et Sîralassë. Les deux survivants crièrent et firent mine de prendre la fuite, qui était bloquée, et deux autres cadavres allèrent rejoindre leurs pareils au sol. L'un d'eux avait un cor au côté, comme certains des compagnons morts l'instant d'avant, mais il n'avait pas eu le réflexe d'essayer de le prendre et de souffler dedans. Aurait-il essayé, peut-être même n'aurait-il pas trouvé le temps, tant les choses s'étaient déroulées rapidement ! La voie était maintenant libre vers le labyrinthe des cavernes de Creb Durga.

3 - Exploration humide
Les orcs n'avaient rien d'intéressant sur eux, mais un cor fut pris par Isis. Avant d'avancer plus avant, se posa la question des corps : que faire de tous ces cadavres ? S'ils étaient découverts, l'alarme serait tout de suite donnée, et sans doute au plus mauvais moment. D'un autre côté, si les corps disparaissaient, le risque était pratiquement aussi grand d'avoir le même résultat. Mais Sîralassë eut une idée, vite approuvée par les autres : les orcs éventrés par la lionne furent découpés de manière à simuler une macabre scène de cannibalisme orc. Et les autres furent disposés pour suggérer une bagarre qui avait mal tourné et où tous les protagonistes s'étaient transpercés de leurs armes. Le résultat était très convaincant !

Avant de partir, Isis fit à nouveau un sort d'écoute le plus discret possible sur un plan magique. Le souterrain qu'ils allaient emprunter semblait vide d'occupant sur un demi-mile environ, après quoi les sons semblaient bloqués par quelque chose - de l'eau sans doute. Cela correspondait au plan que Drilun avait dressé, sa magie lui ayant indiqué la présence d'eau dans la première grande caverne qu'ils devaient rencontrer. Le groupe avança donc, éclairé par la faible lumière de l'aura que les elfes avaient appelé autour d'eux. Chacun avançait discrètement, d'autant que les sons portaient loin et étaient amplifiés dans les grottes. Et Vif, grâce aux vibrisses que son corps félin portait entre autres au niveau des pattes, sentait particulièrement bien les vibrations sur le sol de pierre. Même dans le noir le plus total, aucun ennemi ne pouvait la surprendre.

Après un moment, le groupe atteignit la caverne attendue. Le sol en était effectivement recouvert d'eau, jusqu'à une hauteur maximale de un mètre environ. Le félin qu'était Vif était entièrement trempé, tête exceptée, mais les humains furent aussi affectés par la grande fraîcheur de l'eau. Heureusement, tous étaient robustes et endurants, et seul le moral de Geralt en fut affecté. La grotte était très grande, et une ouverture fut repérée sur la gauche. Le reste de la caverne, dont une partie était au sec, fut tout de même exploré, mais rien de particulier ne fut découvert. De l'eau gouttait par des fissures qui conduisaient peut-être à la surface, fissures qui ne pouvaient laisser passer aucun d'eux.

Le couloir souterrain de gauche fut donc pris, et comme il remontait un peu, l'eau resta en arrière, en dehors de celle qui trempait leurs affaires et leurs corps. Isis put alors faire un autre sort d'écoute, qui lui indiqua la présence de très nombreux ennemis. Il y en avait trop pour déterminer leur emplacement à tous, plus de mille sans doute. Les estimations concernant les forces d'Ardagor étaient bien en dessous de la réalité ! Mais concernant les ennemis les plus proches, elle arriva à distinguer et à isoler assez bien les bruits grâce à sa magie pour se faire une bonne idée de ce qui les attendait. Sans parler des sens exercés de Geralt et Vif, qui fournissaient leur lot d'informations.

L'air se chargeait de bruits, de chaleur et d'odeurs : un village d'orcs était proche, qui rassemblait sans doute autour de deux cents guerriers orcs, et nombre de créatures de plus petite taille, sans doute des femelles et des enfants. Mais un autre être, lui très lourd et massif, était aussi présent : sans aucun doute un troll. Les plus proches ennemis étaient une demi-douzaine d'orcs probablement postés à l'entrée d'une grande caverne où vivaient une cinquantaine de leurs congénères. A présent, le temps de la discrétion arrivait à sa fin. Le temps du combat arrivait, et si les orcs étaient quantité négligeable, le troll méritait une attention particulière.

4 - Orcs, olog et humains
L'équipe s'approcha en catimini de la demi-douzaine de gardes orcs qui se tenaient à l'entrée de la caverne. Puis, rapidement, six cadavres tombèrent sur le sol. Cela ne passa pas inaperçu, car l'endroit où la garde avait été éliminée donnait directement sur une grande caverne éclairée par divers feux, où peut-être une cinquantaine d'orcs vaquaient à leurs occupations, comme s'injurier, se battre et manger, entre autres choses. Quelques orcs aperçurent les intrus et finirent par alerter leurs congénères. Petit à petit, tous prirent leurs armes et se mirent à crier de plus en plus... mais sans s'avancer pour autant. Manifestement, ils avaient peur des aventuriers, et ils attendaient quelque chose...

Narmegil et ses amis attendaient la même chose, qui finit par arriver : un troll d'environ quatre mètres de haut sortit de derrière un gros pilier de la caverne, équipé entre autres d'un pavois. Drilun visa la tête du monstre, mais entre la distance, la mauvaise lumière et le grand bouclier, il n'arriva pas à inquiéter l'olog, qui s'avança. Mais pas autant que Vif et Geralt. Le maître assassin avait une nouvelle fois embarqué sur le dos de la lionne, qui sauta par-dessus les orcs ou zigzagua entre eux. Geralt eut toutes les peines du monde à ne pas tomber, et il finit par se laisser chuter en un roulé-boulé impeccable lorsque Vif s'approcha assez près du monstre, qui avait dégainé une grande épée.

La lionne fonça sur le troll, qui donna un grand coup d'épée. Épée qui frôla le félin mais sans le toucher : Vif voulait juste passer entre les jambes de l'olog et elle avait bondi pour éviter le coup et se retrouver dans le dos de la créature monstrueuse. Créature qui tournait maintenant son attention vers Geralt : ce dernier approcha en faisant tournoyer sa lame, et, rapide comme toujours, il parvint à blesser légèrement l'olog et à le mettre sur la défensive avant qu'il ne puisse porter une attaque. L'assassin vit aussi la lionne faire demi-tour et sauter à la tête du monstre, dans son dos, puis une gerbe de sang... et Geralt dut faire un plongeon sur le côté pour éviter la chute du monstre.

Les orcs étaient restés immobiles, attendant de voir le résultat du combat de leur chef. Ce fut brusquement la panique, et ils fuirent le plus loin et le plus vite possible, annonçant par leurs cris l'arrivée des grands guerriers et des elfes dans les cavernes adjacentes. La panique se propagea rapidement, alimentée par le carnage que faisaient Vif et ses amis autant qu'ils le pouvaient. Certains des orcs les plus petits ou les plus jeunes cherchaient à se cacher dans des fractures étroites et parfois peu profondes, et ils furent massacrés chaque fois que c'était possible. Pas que la chose plaisait au groupe, mais c'était pour eux l'équivalent d'une corvée de nettoyage, sale mais nécessaire.

Tous les habitants de la caverne ne furent pas tués néanmoins : deux esclaves humains étaient là, avec lesquels les orcs s'amusaient un peu avant l'arrivée des aventuriers. Ils n'étaient pas trop amochés et pouvaient envisager de combattre, mais tout ce qu'ils désiraient, c'était de sortir à l'air libre et de se retrouver en sécurité. Quand ils comprirent qu'ils ne pouvaient pas vraiment suivre leurs libérateurs là où ils allaient, ils choisirent d'essayer de passer par le nord jusqu'à la sortie à l'air libre. Peut-être attendraient-ils là que leurs sauveurs les rejoignent, ou peut-être tenteraient-ils leur chance malgré la présence des orcs, ils verraient...

Mais avant leur départ, ils renseignèrent du mieux possible leurs libérateurs. Ils expliquèrent que le groupe de cavernes s'appelait le village du puits, en raison d'un puits sans fond où les prisonniers étaient parfois jetés. Quelquefois, un rire sinistre semblait monter du fond du puits... Mais ces pratiques avaient fortement diminué les derniers mois, quand les esclaves humains avaient été réquisitionnés - et protégés - pour travailler de plus en plus aux mines. Les deux hommes expliquèrent en quoi cela consistait : ramasser eau et gravier ou morceaux de roches là où l'eau coulait, les mettre sur une rampe inclinée avec des tasseaux espacés comme obstacles. Les tasseaux retenaient une partie des roches fines, d'où un humain retirait parfois des petits bouts qu'il mettait dans un petit coffret. Les équipes des mines consistaient en dix esclaves, dix orcs, un olog et un humain. Isis avait senti certains de ces groupes à distance grâce à ses sorts, et Vif avait entendu et senti les coups de pic sur la roche, au loin.

5 - Le village du puits
Mais avant d'arriver à ces mines, il restait du travail d'exploration et nettoyage à faire. Après le départ des ex-esclaves avec des torches et autre matériel, le groupe entreprit de continuer à fouiller les différentes cavernes du village du puits. La plupart des orcs avaient fui, mais certains s'étaient juste cachés dans des anfractuosités. De plus, un certain nombre de ces petites créatures semblaient avoir élu domicile dans une caverne proche, contrairement aux nombreux autres qui mettaient autant de distance que possible avec les aventuriers.

Intrigués, Narmegil et ses amis se dirigèrent vers la caverne en question. Certains remarquèrent que l'air était notablement plus chaud par là, impression qui s'accentua encore alors que le groupe entra dans la caverne. Les orcs présents s'enfuirent alors dans un passage au bout de la caverne, mais ils n'allèrent pas très loin, comme si quelque chose les retenait de continuer. Pourtant, d'après le plan dressé par Drilun, il devait y avoir une autre caverne par là, puis encore des boyaux qui s'enfonçaient sans fin jusqu'aux profondeurs de la terre...

La source de chaleur fut vite trouvée dans la caverne : il s'agissait d'une cheminée ou puits dans le sol, effectivement sans fond apparent, d'où remontait un air chaud. Les plus perceptifs pouvaient même distinguer comme de lointains grondements venant du fond, très éloignés... Plusieurs aventuriers se méfiaient du puits et ne l'approchaient pas trop. Le groupe prit ensuite le passage emprunté par les orcs, qui se tenaient non loin, attendant peut-être que les aventuriers s'en aillent. Geralt n'eut aucun mal à leur faire peur d'un cri et d'une grimace, et ils s'enfuirent à toutes jambes, et cette fois-ci sans s'arrêter. Vif les entendit qui s'éloignaient sans fin et de plus en plus profondément...

Les aventuriers débouchèrent alors dans une nouvelle caverne. Mais elle était différente de toutes les autres en ce sens qu'elle ne montrait aucun signe de vie des orcs, ou plutôt juste un : à l'entrée de la caverne se tenaient les restes d'un campement. Il laissait penser que des gardes orcs se tenaient là pour empêcher que quelque chose vienne de la caverne et des profondeurs pour envahir leur village. Le sol était aussi marqué par des traces anciennes de quelque chose de très gros qui avait raclé voire usé la roche. Intrigué, Isis lança un sort afin d'avoir une vision de la créature ou chose qui avait laissé de telles traces. Ce qu'elle vit magiquement ressemblait à un énorme lézard de plus de dix mètres de long. Elle se dit qu'elle avait eu la vision de ce qu'on appelait aussi un ver, autrement dit, un dragon sans ailes.

Le comportement des orcs parut plus compréhensible, et les six amis décidèrent de ne pas pousser plus loin leur exploration. D'autant que les orcs étaient maintenant trop loin. En revanche, tandis que d'autres cavernes du village étaient parcourues, des signes très nets de l'arrivée d'une armée abondaient. Avec un sort, l'ennemi put être plus facilement dénombré et localisé : au moins deux cents orcs, et d'autres arrivaient sans cesse, des wargs, et trois créatures bien lourdes qui devaient être des trolls de guerre. Tout ce beau monde était en train de s'amasser dans une caverne toute proche du village, de chaque côté du passage qui débouchait en plein milieu. Les aventuriers étaient attendus, et l'affaire se corsait un peu. D'autant qu'ils n'avaient pas vu d'autre ouverture : pas d'autre choix que de repartir en arrière ou d'affronter plusieurs adversaires de taille.

6 - Retraite
Mais Vif sentit les vibrations du sol annoncer encore l'arrivée de quelque chose d'autre de lourd et massif. Sîralassë traduisit ses feulements grâce à sa magie, et Isis fit un nouveau sort d'écoute. Sort qui annonça l'arrivée prochaine de quelque chose d'autre qui faisait encore plus vibrer le sol que les trolls, sans pour autant qu'elle puisse dire de quoi il s'agissait. L'équipe se posta alors dans la caverne du village la plus proche de l'armée ennemie, derrière des parois et stalagmites, attendant de voir ce qui allait déboucher du passage. De nombreux tambours se mirent à résonner du côté des ennemis, suivis par les cris frénétiques de nombreux orcs. Bientôt, les vibrations du sol furent perceptibles de tous comme autant de chocs sourds de la pierre contre la pierre...

La créature finit par apparaître dans l'ombre du passage. Elle était nettement plus petite qu'un troll, mais plus large, et sa forme était vaguement humanoïde. Elle ne comportait aucun autre trait distinctif, pas d'articulation franche, pas de traits du visage, pas de cheveux, encore moins des vêtements. En gros, elle ressemblait à une masse informe de pierre vivante et animée. Masse derrière laquelle s'abritaient deux trolls qui tenaient haut leur bouclier, puis diverses silhouettes plus petites, encore un troll, et encore beaucoup de monde... Vif et certains de ses amis se rappelèrent l'eau vivante que la Femme des Bois avait combattue à Tharbad, et que seule l'intervention de Tina/Tevildo avait réduite à néant. C'était ici la même chose, mais en pierre...

Peut-être la chose était-elle vulnérable à la magie ? Drilun essaya d'utiliser tout son pouvoir pour repousser, maîtriser ou blesser la créature, mais sans succès. En revanche, il sentit qu'une autre magie contrôlait la créature, magie qui bloquait complètement la sienne. Autrement dit, un sorcier était à l'œuvre qui contrôlait ce monstre de pierre. Niemal n'avait-il pas parlé d'une magicienne qui avait trouvé un anneau elfique ancien qui permettait ce genre de magie très puissante ? Seule, la créature de pierre aurait peut-être pu être un défi gérable. Avec les trolls, wargs et autres derrière, cela relevait plutôt du suicide, et le groupe commença à faire retraite en direction du nord, par là où il était arrivé.

Pris d'une inspiration soudaine, Geralt proposa un plan à ses amis : s'il se maquillait en orc et qu'il laissait passer le monstre, il arriverait sans doute à identifier le sorcier qui tirait les rênes de cette magie. Il ne lui resterait alors plus qu'à lui régler son compte, et cela serait un problème de moins. Devant l'approbation plus ou moins silencieuse de ses compagnons, le maître assassin fila en avant et récupéra diverses affaires sur les cadavres orcs, affaires dont il se couvrit. Il se roula aussi dans leurs immondices afin de masquer son odeur, puis il fit le mort parmi les nombreux cadavres de la première caverne qui avait été "nettoyée".

Ses amis passèrent, et il resta seul, entendant la progression lente mais sûre de la créature de pierre vivante, suivie par les trolls de guerre et les orcs bruyants. Mais un doute le prit soudain : bon, il tuerait le sorcier, très bien, et ensuite ? Il se retrouverait seul, le chemin vers la sortie bloqué par les monstres qu'il allait laisser passer. Et il partirait par où alors ? Il serait obligé de s'enfoncer au cœur des cavernes pleines d'orcs, de trolls, de wargs et d'autres, alors qu'il ne connaissait ni le chemin ni aucune sortie ? Mais il était complètement cinglé, il n'avait aucune chance !!! Alors que la créature de pierre commençait à apparaître, il se releva et s'élança à toutes jambes vers le nord afin de rattraper ses amis.

Tandis qu'il partait en courant, une voix forte et moqueuse lui parvint de derrière lui, voix qu'il reconnut aussitôt : Caran Carach se désolait de le voir partir aussi vite et regrettait qu'il n'ait pas choisi de rester un peu plus longtemps... Geralt comprit à quel point il était passé près de la mort. Son travestissement avec les affaires des orcs n'était pas assez pour tromper les sens redoutables du loup-garou, et si ses amis avaient été plus éloignés, Caran Carach l'aurait sans doute poursuivi dans le passage et abattu... Une fois ses amis rejoints, il profita de l'eau de la caverne en partie submergée pour se nettoyer, tandis que les bruits de poursuite s'arrêtaient derrière eux. Ils continuèrent tous vers la sortie : ils avaient affaire à trop fort pour eux, et devaient trouver autre chose pour découvrir Ardagor dans les méandres de Creb Durga.

7 - Suite à donner ?
Les deux ex-esclaves furent rejoints. Désormais bien encadrés, ils ne risquaient plus de mal tomber et leur survie était garantie. C'était le point le plus positif de cette expédition peut-être, en plus de la mort d'un olog. Sans parler des informations qu'ils possédaient sur Creb Durga. En plus du travail de la mine, les ex-esclaves avaient confirmé les bruits qui couraient entre eux sur les vignes et la belle et grande jeune femme qui venait s'en occuper parfois. Jeune femme dont certains parlaient comme d'une elfe, et dont la description évoquait fortement la sœur de Sîralassë. Leur connaissance de Creb Durga était sinon trop limitée, d'autant qu'ils n'y étaient pas depuis si longtemps que cela. Mais c'était tout de même autant de pris.

Lorsque la sortie fut atteinte, la nuit tombait, mais les orcs ne furent aucunement un problème. Au contraire, Vif en profita pour se défouler un peu et poursuivre le "nettoyage". Au bout du compte, personne ne se reposa, et le camp d'Arthedain, à l'ouest, fut atteint alors que la nuit était bien avancée. Après quelques hésitations - certains voyaient des traîtres un peu partout - le commandant du camp reçut un compte-rendu détaillé de l'expédition à l'attention du prince Minastir, lorsqu'il serait rentré. En échange, les aventuriers apprirent que la tour de Dol Ormë était tombée sans coup férir aux mains de la coalition Cardolan-Arthedain.

Après un repos trop bref aux yeux de certains, dont le moral avait bien souffert, il fut décidé d'aller voir Niemal pour reparler de la magie qu'ils avaient rencontrée. Narmegil arriva à convaincre le commandant du camp de leur prêter des chevaux pour la journée, et ils furent partis à Edirey, où l'elfe érudit était censé se trouver. La route était bonne et le temps clément, les chevaux de qualité, et les aventuriers étaient pressés. Le trajet fut couvert en une heure, sans incident notable, et la ville fut atteinte. Niemal était bien là, qui prit de leurs nouvelles avec intérêt, et répondit aux questions qui lui furent posées.

La magie de contrôle des esprits élémentaires provenait bien d'une babiole créée par les elfes au second âge. C'était un anneau redécouvert peu auparavant dans une ancienne cache secrète des environs de Tharbad. Parmi les aventuriers qui avaient mis la main dessus se trouvait une magicienne très douée, du nom de Moriel, qui avait réussi à débloquer la magie de l'anneau et à apprendre à s'en servir. Mais cette petite femme - une humaine atteinte de nanisme, pas plus grande qu'un hobbit - était avant tout avide de pouvoir et elle avait des liens avec Angmar. Elle avait fini par trahir ses compagnons pour rejoindre ses anciens maîtres, qui lui avaient repris l'anneau. Anneau qui agissait sur elle comme une drogue, et dont elle ne pouvait sans doute plus se passer. Les créatures que l'anneau permettait d'invoquer pouvaient être puissantes, et seule la magie les affectait. Mais le porteur de l'anneau devait rester en permanence à proximité, ou bien les créatures ne pouvaient être très puissantes.

Niemal fut également très intéressé par la description des mines. Du peu qu'il en savait, le travail d'extraction décrit faisait furieusement penser à l'extraction de l'or. Cet or était d'ordinaire présent dans les roches du centre de la terre, roches présentes au cœur de Creb Durga. Les eaux des collines et marais au-dessus, en dégradant ces roches, lessivaient ces éléments qui pouvaient se déposer à certains endroits. Cela expliquerait bien des choses, et en particulier les moyens économiques formidables dont Ardagor semblait disposer, sans parler d'Angmar. En revanche, ce savoir devait être tenu secret : si jamais les seigneurs du Cardolan venaient à savoir cela, cela risquait d'entraîner la guerre entre eux. Creb Durga était à la frontière de la plupart des baronnies et principautés du Cardolan, et leur besoin de richesses pouvait signer leur perte, même sans le Seigneur de Guerre pour les pousser les uns contre les autres !

Restait à déterminer une nouvelle approche de Creb Durga. Le commandant du camp d'Arthedain, en bon tacticien, avait analysé les choses de la sorte : l'équipe, face à des ennemis plus puissants qu'eux, avait passé trop de temps à explorer le village du puits, ce qui avait permis aux forces adverses de s'organiser. La vitesse était essentielle pour ne pas se laisser piéger par des forces trop importantes. Par où passer à présent ? Toutes les entrées seraient sans doute surveillées d'une manière ou d'une autre, et même celle du sud, non utilisée, devait avoir ses obstacles, naturels ou non. Passer à nouveau par le nord était peut-être le choix le plus improbable, mais l'intelligence de Moriel ou d'Ardagor ferait sans doute qu'ils ne négligeraient pas cette possibilité.

8 - Explorateurs en maraude
L'équipe repartit dans la matinée et retourna au camp d'Arthedain rendre les chevaux. Le reste de la journée la vit revenir au même lieu de campement que précédemment, près de la rivière Eunreth, où tous se reposèrent bien. Tôt le lendemain, le groupe franchit à nouveau la rivière et approcha de Creb Durga par le nord, comme avant. Mais pas discrètement, car il n'était pas question d'entrer en catimini dans les cavernes. Les orcs furent laissés en pâture à Vif, et lorsqu'ils furent tous éliminés, le réel travail commença : explorer tous les abords de Creb Durga, de plus en plus près. A l'aide de la magie d'Isis ou Drilun, des sens exercés de Geralt ou Vif, et de la longue-vue de Sîralassë, les abords du siège d'Ardagor furent passés au peigne fin.

Et ils étaient bien gardés. Une dizaine de loups ou wargs, cinq trolls de guerre - trois en groupe et deux chacun d'un côté - plus une trentaine d'hommes. Et le terrain jouait pour eux : les sentinelles étaient en hauteur, masquées par des forêts plus ou moins épaisses, tandis que tout le secteur était entouré par des zones marécageuses faciles à surveiller. Sauf en un endroit, vers le sud-est, où une petite colline - occupée par seulement cinq loups - masquait la vue aux observateurs sur la colline de Creb Durga. Après concertation, c'est par là que l'équipe décida d'avancer. De l'ail des ours avait été ramassé et encore utilisé, le principal obstacle restait donc une étendue marécageuse d'une portée de flèche de large.

A l'aise en nature, la lionne qu'était Vif ne mit qu'une minute à franchir l'obstacle. Les elfes et leur pied léger mirent trois fois plus de temps, et ils vinrent se cacher dans la forêt proche au pied de la colline, auprès de leur amie féline, en attendant les autres membres de l'équipe. Drilun, qui avait un mauvais souvenir d'une précédente tentative, à Tharbad, trouva plus de ressources en lui et ne mit que dix minutes ; alors que Narmegil et Geralt pataugeaient derrière, n'ayant au mieux franchi que le tiers du trajet dans le même temps. Mais le Dunéen, fier de sa prouesse, déchanta quand il vit les gros loups - des wargs - sortir de la forêt en hurlant dans sa direction.

La manœuvre des wargs avait surpris elfes et Femme des Bois. Cette dernière bondit hors du bois et deux des agresseurs se détournèrent de l'archer-magicien pour se diriger vers elle. Le premier fut instantanément démembré d'un puissant coup de patte, mais le second parvenait à blesser légèrement la lionne. Isis tira une flèche en plein dans la tête d'un warg qui se dirigeait vers Drilun, qui eut tout juste le temps de se protéger d'un sort et de prendre son bouclier - la combinaison des deux lui évita de prendre des blessures face aux deux attaques. Sîralassë sortit du bois en courant, mais il était trop lent. Geralt et Narmegil étaient trop loin et ne pouvaient rien faire.

Tandis que Vif éliminait son assaillant et fonçait vers son ami dunéen, Isis blessait mortellement un autre warg tandis que Drilun sortait son épée et se défendait du dernier. Puis il le transperça de son épée, en même temps que la lionne faisait jaillir le sang d'un nouveau coup de patte. Le combat était fini, mais il avait eu un témoin : à quelques centaines de mètres, un olog avait pu observer la scène et il soufflait à présent dans un énorme cor. Tout Creb Durga devait être prévenu, et un sort d'Isis montra que les autres wargs se dirigeaient à présent vers eux, de même que de nombreux humains. Pas les trolls, en revanche.

Vif alla aider Narmegil à sortir du marais, et cinq nouveaux wargs arrivèrent juste comme elle sortait du bourbier. Les bêtes furent massacrées en un rien de temps, cette fois. Le soigneur prépara de l'athelas pour guérir la blessure de Vif tandis qu'elle allait chercher Geralt. Le troll, là-bas, sonnait à nouveau mais de manière différente à présent : tous les humains et les deux trolls isolés se dirigeaient à présent vers le sommet de la colline afin de se regrouper. Ils étaient désormais sur le site de l'entrée principale de Creb Durga, et semblait-il à présent condamnée, selon les dires d'un ancien mercenaire d'Ardagor. Trente hommes, deux trolls... la bande d'aventuriers se dirigea dans leur direction, prête à en découdre.
Modifié en dernier par Niemal le 01 septembre 2012, 22:59, modifié 3 fois.
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Warlord - 14ème partie : les latrines de Creb Durga

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1 - Reconnaissance
En fait, toute l'équipe ne se précipita pas vers l'ennemi. Geralt traînait les pieds, tant et si bien que ses petons finirent par s'arrêter d'eux-mêmes. Avec sa tête de chien battu comme dans ses plus mauvais jours, le chef des assassins refusa de continuer. Ses amis connaissaient son moral changeant et sa flemme légendaire. Ils savaient que l'assassin n'avait pas peur de mourir. Non, ce qui le rebutait le plus, c'était la pensée de se fatiguer à combattre sans cesse, encore et encore, de se fatiguer corps et âme sans en voir le bout. Sans être un foudre de guerre, ce n'était pas un lâche. Mais il avait moins peur de combattre un olog seul à seul et de risquer sa vie en le faisant, que de l'effort pour ce faire et de la sueur que cela lui coûterait.

Il choisit donc de laisser ses amis en arrière, au pied de la colline, à l'orée du bois. Il resterait tapi là, à surveiller les environs, bien caché - il se faufila dans un épais buisson pour pouvoir voir sans être vu. Il attendrait le retour de ses amis, qui voulaient au minimum aller voir en quoi consistait l'entrée principale de Creb Durga, censée être bloquée. Par ailleurs, l'équipe se demandait pourquoi trois trolls n'avaient pas rejoint le reste du groupe non loin du sommet de la colline. Que gardaient-ils qui les empêchait de rejoindre les autres forces ? A tout le moins, cela méritait bien un petit détour. Et trois trolls paraissaient une cible plus facile à aborder que deux trolls et une trentaine d'humains sans doute bien entraînés.

Les cinq aventuriers restants commencèrent à monter avec l'idée d'aller au sommet pour pouvoir distinguer le rassemblement de force un peu plus loin au nord. Mais la pente de plus en plus raide les amena à modifier leurs plans. Sur une proposition de Vif, traduite par Sîralassë, il fut décidé que la lionne irait seule au sommet et choisirait un arbre bien haut afin de pouvoir avoir la meilleure vue. Elle espérait voir ainsi la fameuse entrée et le rassemblement de troupes, tandis que ses amis s'approcheraient des trois trolls et de ce qu'ils gardaient. Puis la Femme des Bois rejoindrait ses quatre compagnons pour leur faire part de ce qu'elle aurait vu, et pour les aider à gérer le trio de monstres géants.

Ce qui fut fait. La lionne grimpa sans mal le terrain pentu, par petits bonds discrets, tandis que Narmegil, Isis, Drilun et Sîralassë suivaient le terrain de niveau vers la gauche et l'ouest, puis le nord-ouest. Une fois en haut de la colline sans avoir rencontré personne qui vive, Vif trouva un arbre grand et robuste à son goût et y grimpa sans mal à l'aide de ses griffes. Arrivée au-dessus de la cime des arbres, elle observa les alentours en direction du nord. Elle vit une zone dépourvue d'arbres, un large trou dans la canopée, mais ce trou n'était pas assez grand, ou elle pas assez près ou haute, pour voir ce qu'il y avait au fond.

En revanche, un éperon rocheux émergeait au-dessus des arbres, éperon sur lequel entre vingt et trente hommes armés d'arcs se tenaient, en partie abrités derrière des protubérances du rocher. Elle arrivait même à distinguer un escalier en partie éboulé, à une extrémité, par où les hommes avaient dû monter. Quant aux trolls, si elle ne les voyait pas, elle sentait leur odeur infecte, plus forte que celle des orcs. Ils devaient rester au fond de l'ouverture, où devait se trouver l'entrée de Creb Durga. Ou du moins une de ses entrées. Satisfaite, elle descendit de son arbre et de la colline, et rejoignit ses amis à l'oreille ou grâce aux traces qu'ils avaient laissées. Ils se tenaient sur le flanc ouest, au bas de la colline, à l'orée du bois. A moins d'une portée de flèche se dressait l'ouverture béante d'une grotte dans le flanc de la colline.

2 - La caverne aux trolls
Les sorts d'Isis apportèrent les informations suivantes : d'une part, les trois trolls étaient bien présents dans la caverne ; pas exactement devant l'entrée, mais un peu en retrait. En fait, la grotte était composée de trois chambres adjacentes, et les monstres se tenaient à la jonction de la première et de la deuxième, plus ou moins. Chose intéressante : un boyau taillé dans la pierre partait de la dernière chambre, même s'il n'y avait pas de jonction nette à ses sens magiques - il devait y avoir une porte épaisse entre les deux. Autrement dit, les trolls paraissaient garder une entrée secrète dans les cavernes de Creb Durga. Ce qui expliquerait pourquoi ils n'étaient pas allés au rassemblement des forces à quelques centaines de mètres de là.

Drilun passa au-dessus de l'entrée en escaladant un peu la colline, afin de pouvoir s'approcher de l'ouverture de la grotte par le nord. Tous ses amis étaient au sud, et en particulier Vif, qui allait servir d'éclaireur et d'appât éventuellement. L'archer-magicien voulait donc avoir une bonne ligne de tir pour utiliser une de ses flèches magiques préparées tout spécialement contre les trolls. Malheureusement, les conditions visuelles étaient mauvaises : le soleil éclairait l'entrée de la grotte, mais le contraste avec l'intérieur bien sombre allait le gêner fortement. Il encocha sa flèche, néanmoins, et fit un signe à son amie féline.

Cette dernière approcha discrètement de l'entrée, marquée par une ligne de petits rochers. Cet amoncellement n'était pas bien haut, un mètre tout au plus ; il ne devait pas gêner les trolls, mais leur servir surtout de réserve de projectiles, tout en gênant d'éventuels assaillants. Elle leva prudemment la tête par-dessus les rochers et vit un troll non loin dans l'obscurité, sur le seuil d'un passage étroit - pour un troll - qu'il encombrait complètement. Elle arrivait à entendre deux autres trolls derrière lui. Celui qui montait la garde avait un rocher à la main, et il guettait un éventuel ennemi... mais il ne l'avait pas vue. Elle vit également un angle mort où il aurait du mal à la toucher sans s'avancer un minimum... et offrir une meilleure cible pour son ami.

Les choses se passèrent très vite ensuite. La lionne bondit à l'intérieur de la grotte, mais le troll mit du temps à bouger, tellement il était surpris et lent à réagir. Puis la Femme des Bois féline se jeta de côté, dans l'angle mort, pour éviter le rocher que le monstre allait bientôt lui lancer - sans faire mouche. Dans le même temps, l'archer-magicien avait fait un pas en avant en dehors des buissons et il avait commencé à viser la silhouette indistincte du troll dans l'obscurité, et en particulier sa tête. Il laissa filer sa flèche, qui fit une estafilade dans le cuir du monstre, qui poussa un cri et recula d'un pas. Il n'était pas mort, mais au moins la voie était-elle libre. Le reste de l'équipe bondit dans la grotte, sauf Isis qui resta en arrière pour surveiller les environs.

Le troll hurla encore quand la lionne lui sauta au visage et lui laboura le cuir de ses griffes acérées. Il fut une cible facile pour Narmegil qui le transperça de sa lance elfique, sans parler du coup d'épée bâtarde de Sîralassë. Drilun retint une nouvelle flèche, car il aurait pu toucher un de ses amis, et il se contenta de rentrer dans la caverne pour avoir un meilleur angle de tir. Bientôt le monstre tomba en avant, tandis que chacun sautait sur le côté pour éviter le corps. Restaient encore deux trolls derrière, qui devaient se tenir de chaque côté du passage. L'un d'eux se mit à souffler avec force dans un cor et il émit deux puissants appels courts et un long, comme l'équipe avait déjà entendu.

Après que Drilun eut lancé une torche dans le passage, ce qui perturba l'un des deux trolls, Vif plongea en avant. Deux lames vinrent à sa rencontre, l'une avec trop de retard, et l'autre qui ne lui fit qu'une égratignure. La lionne fit demi-tour quelques mètres plus loin tandis que le Dúnadan et l'elfe noldo, ce dernier entouré d'une aura magique lumineuse, entraient dans la grotte l'arme à la main. Sous les effets combinés des trois guerriers, et en particulier des griffes de la lionne qui attaquait toujours à la tête, les deux monstres churent à leur tour. La grotte était aux mains des aventuriers. Mais Isis entra dans la caverne avec une nouvelle importante : selon sa magie, la force d'une trentaine d'humains et de deux trolls venait à présent dans leur direction.

3 - Otage
Une voie pavée de noir passait non loin de la colline et montait à son assaut. C'est de là que venaient les troupes d'Ardagor, interrompant les fouilles des aventuriers. Entre vingt et trente guerriers humains se disposèrent en arc de cercle, les arcs bandés et flèche encochée, tandis que trois silhouettes se tenaient légèrement plus près de l'entrée de la grotte. Deux d'entre elles appartenaient à deux grands trolls, brutes de plus de trois mètres de haut équipées entre autres d'un pavois. L'une d'elles tenait autant qu'elle poussait devant elle une belle et grande femme. L'air de famille avec le soigneur du groupe était manifeste.

A l'aide de sa longue-vue, ce dernier observa celle qui ressemblait fort à sa sœur, qui se dénommait Olorní, nom qui signifiait "Femme-Rêve". Il chercha un signe de tromperie mais ne trouva rien, sauf peut-être un air vague, comme si elle était droguée, mais il s'y attendait en fait. A ses côtés, ses amis étaient prêts à agir : après avoir retrouvé sa flèche magique contre les trolls cassée contre la paroi de la caverne après le précédent combat, Drilun en avait pris une seconde. Narmegil avait sa lance prête, Vif était susceptible de bondir à tout moment, et Isis réfléchissait à des sorts. Et puis le troll qui tenait la sœur de Sîralassë se mit à parler.

Sans grande surprise, il titilla les aventuriers avec son otage, les invitant à venir l'examiner pour vérifier qu'il s'agissait bien de la personne qu'ils croyaient. Il la projeta même de quelques mètres en avant et elle s'affala par terre, sans plus bouger, comme quelqu'un d'éveillé mais saoul et dont l'esprit vagabonde. Se ruer en avant pour récupérer l'elfe était tentant, mais la présence de moins d'une trentaine d'archers derrière les trolls était une menace à prendre avec précaution, même si Narmegil semblait prêt à courir le risque. Alors que le soigneur essayait de négocier et d'obtenir des garanties concernant l'otage, se risquant même à faire quelques pas dehors (à l'abri d'un bouclier de troll), un sort d'Isis commençait à prendre effet...

Non loin de là, Geralt s'approchait prudemment. Il avait entendu les allées et venues et avait réussi à se forcer à faire quelque chose : d'une part, il ne pouvait laisser ses amis affronter des dangers sans au moins évaluer les forces et peut-être les aider ; d'autre part, il se disait que s'il leur arrivait malheur, ses problèmes ne feraient que commencer et ses efforts pour s'en sortir seraient encore plus grands que par le passé. Il se tenait donc en lisière des bois, à une portée de flèche de la grotte et des troupes d'ennemis, qui ne l'avaient pas perçu. Mais il aperçut bientôt un élément nouveau qui risquait de troubler la scène.

Un brouillard épais montait du marais derrière lui et engloutissait la voie pavée en direction des guerriers et des trolls. Il devina là un tour de son amie magicienne et décida d'en profiter. Il se laissa envelopper d'humidité jusqu'à ne plus pouvoir distinguer ses ennemis, puis il se glissa dans leur direction à la même vitesse que la brume. Il entendait certains d'entre eux qui réagissaient à l'arrivée de ce brouillard inhabituel, et il arriva à se glisser dans leur dos sans être perçu. L'épée levée, il décida d'entrer en action comme il savait si bien le faire : efficacement et mortellement.

Non seulement il tua plusieurs hommes sans véritablement rencontrer de résistance, mais il profita de la brume pour semer la confusion : d'une voix très convaincante, il lançait des alertes ou des ordres aux hommes qu'il ne voyait pas comme s'il était l'un d'eux, poussant certains à chercher partout sauf en direction de la grotte, voire même à s'attaquer les uns les autres. Il réussit ainsi, directement ou indirectement, à neutraliser peut-être une douzaine de guerriers. L'effet fut encore renforcé par l'action d'Isis, qui prit magiquement la voix d'un troll et donna aussi des ordres contraires aux intérêts de l'ennemi. Geralt réussit même à faire un prisonnier, après quoi il se dirigea là où il estimait - avec raison - que devaient se trouver les cavernes où ses amis étaient allés.

4 - Mauvaise surprise
Pendant ce temps, ces derniers n'étaient pas restés à se tourner les pouces, telle la magicienne et son imitation de voix magique. Drilun avait laissé voler une nouvelle flèche sur le troll qui parlait, mais sans faire grand mal. En revanche, la Femme des Bois avait bien visualisé la scène, odeurs comprises, afin de pouvoir retrouver la sœur de Sîralassë dans le brouillard. Et elle avait plongé dans la brume une fois estimé que cette dernière la cachait efficacement aux yeux des archers. Arrivée à la forme de l'elfe au sol, elle avait commencé à la prendre par la gueule, mais lorsque la femme avait bougé et voulu se placer à califourchon sur la lionne, cette dernière l'avait laissé faire.

Sîralassë et Narmegil s'étaient également avancés, protégés par leur magie voire par un pavois emprunté aux trolls défunts de la caverne. Mais avant d'arriver jusqu'aux deux trolls encore vivants, ils perçurent que leur amie féline avait eu un problème : elle ne semblait pas revenir vers la grotte mais au contraire s'en éloigner. En effet, la forme elfique juchée sur Vif avait sorti une dague qu'elle avait plantée dans le corps de la lionne. Sans faire grand mal en fait, en raison de la magie de sa forme, mais suffisamment pour faire pénétrer le poison violent qui couvrait les bords de la lame. La plaie, quoique légère, se mit à brûler, tandis que l'elfe - ou prétendue telle - sautait d'un bond par terre et courrait se réfugier en direction des trolls et guerriers humains.

Mais Vif ne comptait pas la laisser partir si facilement. Sa proie se montrait particulièrement vive et agile, et elle avait réussi à la surprendre, mais il en fallait plus pour la faire abandonner. Elle se précipita sur ses traces, jusqu'à se trouver face aux deux trolls dans la brume. Ils n'eurent pas le loisir de la combattre cependant : ils lui firent juste perdre quelques secondes alors qu'elle plongeait entre les deux, puis elle retrouva la piste qui la mena à un groupe de guerriers humains. Le premier qui lui barra le chemin perdit la tête, et elle plongea sur l'elfe qu'elle attrapa par la jambe. Les guerriers échouèrent à la blesser alors qu'elle faisait un bond puissant dans le brouillard en direction de la grotte, qu'elle atteignit peu après.

De leur côté, Narmegil et Sîralassë arrivaient à blesser puis achever les deux trolls, aidés par la confusion provoquée par Drilun, Vif ou Geralt. Devant leurs pertes et le sort de leurs chefs, les guerriers humains s'éparpillèrent bientôt dans une déroute totale. L'équipe se retrouva réunie dans la grotte, à l'abri, avec deux prisonniers : un guerrier humain inconscient et une soi-disant elfe noldo qui jurait en ouistrain et manifestait une attitude qui ne ressemblait pas du tout à celle du soigneur du groupe. A côté de cela, seule Vif avait été blessée, et empoisonnée également. Mais la blessure était légère, et elle avait perdu un peu de temps dans le brouillard pour lécher sa plaie et évacuer l'essentiel du poison. Sa constitution magique exceptionnelle avait fait le reste, et son état ne présentait plus aucune menace.

Si la "sœur" de Sîralassë avait bien le visage que son frère gardait en souvenir, en revanche elle n'avait pas la même taille. Les aventuriers se rendirent compte qu'elle n'était pas très grande, au contraire de leur ami, et Vif et Geralt eurent tôt fait de voir qu'elle était en fait maquillée. Ce n'était qu'une humaine ! Certes très douée pour jouer la comédie, manier une arme et se faufiler dans la brume en courant, mais cela n'avait pas suffi. En revanche, les tentatives de lui extorquer des renseignements se soldèrent tous par des échecs. Après avoir reçu plus d'une fois ses crachats au visage, Sîralassë n'y tint plus et l'abattit d'un coup d'épée. Isis finit par reconnaître cette femme-assassin après l'avoir débarbouillée pour bien mémoriser son visage : c'était Grani, femme rencontrée à Tharbad, et qui les avait autrefois aidés... ce dont beaucoup furent stupéfaits en se souvenant d'elle.

Le prisonnier amené - inconscient - par Geralt eut droit à une séance d'interrogatoire spéciale, comme l'assassin avait l'habitude de faire : réveillé, à côté d'un cadavre ensanglanté, par des paroles dures et menaçantes, il ne fit aucune difficulté pour dire tout ce qu'il savait... ce qui n'était pas grand-chose. Mais il donna quelques renseignements intéressants concernant les cavernes dont il venait et l'organisation des forces d'Ardagor... et la récolte de raisin aux vignes entrevues plus au nord. Également, il fit une description étonnante de la sœur de Sîralassë et de son comportement : Olorní traitait les trolls comme des amis proches, et les humains comme des créatures repoussantes. Une fois l'interrogatoire achevé, la guerre étant ce qu'elle est, l'homme fut tué rapidement et proprement. Et la recherche de l'entrée secrète des cavernes de Creb Durga put être reprise.

5 - Les latrines de Creb Durga
Les corps des trolls dans les grottes ne recelèrent aucune possession particulière, à l'exception de casse-croûtes peu ragoûtants çà et là. Leur équipement guerrier était difficilement recyclable, et leurs cors étaient trop gros pour pouvoir facilement servir. Seul Narmegil avait tenté la chose - avec succès - mais ce ne fut pas une partie de plaisir. Les cavernes qu'occupaient les trois trolls ne comprenaient pas grand-chose, et encore moins de choses intéressantes. L'ensemble composait à première vue un poste de garde avec des réserves - pour troll - pour plusieurs jours et de quoi faire des feux. La composition des cavernes était la suivante :
- une première grotte spacieuse servant de "salon-salle à manger", et permettant de surveiller les environs
- une seconde grotte plus petite avec des paillasses, sans doute une sorte de chambre
- une troisième grotte sur deux niveaux, dont le fond servait de dépotoir et de latrines

C'est la dernière grotte qui concentra les recherches, malgré l'odeur et le reste. La majeure partie du lieu était composée d'un fossé de trois mètres de profondeur, dont le fond était couvert de détritus et excréments divers. C'est néanmoins là qu'Isis avait senti magiquement un couloir partir vers les profondeurs de Creb Durga. En fait, des signes manifestes de passage amenaient à un endroit qui ressemblait, pour les plus perceptifs, à une porte de pierre taillée dans la paroi. Mais aucun mécanisme ne fut découvert, et la lance de Narmegil, aidée par sa magie, fut incapable de percer cette barrière.

En fait, l'équipe finit par comprendre que le passage avait été fait par des trolls et pour des trolls : la "porte" était en fait très lourde et raclait par terre, nécessitant donc une force considérable pour s'ouvrir. La lionne qu'était Vif n'avait pas la force d'un olog, mais elle était tout de même remarquable. Aidée par Narmegil, très costaud lui aussi, elle arriva à ouvrir le passage après une bonne suée. Une fois entrouverte, la porte de pierre ne frottait plus et était plus facile à bouger. De l'autre côté de la porte, une grosse poignée permettait de tirer pour ouvrir. Mais surtout, un boyau s'enfonçait dans la colline, avec des traces de passage régulier par des grands pieds.

Pendant que certains s'escrimaient avec la porte secrète, d'autres jouaient aux éboueurs. Un autre en fait : Drilun se transforma en fouille-merde - au sens propre et pas du tout figuré - dans l'espoir de trouver quelque chose d'intéressant. Au départ il cherchait un mécanisme d'ouverture de la porte. Ses efforts ne furent pas totalement vains, car après un moment il trouva une clef assez grosse, comme de celles qui ouvrent des portes ou des coffres. Après l'avoir nettoyée - en même temps que ses mains - grâce à un tonneau contenant un peu d'eau, il la garda sur lui en rêvant à des mystères ou trésors que la clef pourrait peut-être révéler. Ses amis, eux, doutaient un peu de l'utilité d'une clef retrouvée dans un pareil lieu...

Mais pour trouver à quoi pouvait servir l'objet, il fallait poursuivre l'exploration de Creb Durga. L'équipe fit un peu de lumière et s'enfonça donc dans le boyau taillé dans la pierre. Après quelques petites minutes de marche prudente, un escalier aux marches adaptées à la taille des trolls amena à une paroi de pierre. Paroi qui faisait furieusement penser à une nouvelle porte secrète, d'autant que la grosse poignée qui y était sertie laissait clairement entendre sa fonction. Vif et Geralt n'entendirent rien de l'autre côté, sauf peut-être quelques sanglots étouffés, et une corde - doublée - fut attachée à la poignée et enroulée autour des épaules de la lionne. Elle tira, aidée par ses amis, et la porte s'ouvrit à son tour, non sans une nouvelle dose de sueur et de fatigue.

6 - Petit bluff sur gardiens de prison
La porte à peine ouverte, non sans un certain bruit, la lionne passa la tête dans l’entrebâillement et examina la pièce dans laquelle le boyau débouchait. C'était une grotte de forme ovale, assez longue - une quinzaine de mètres environ. A l'autre extrémité, une large ouverture sur la gauche était encadrée par deux torches qui éclairaient faiblement un tableau peu reluisant : des chaînes et menottes étaient accrochées aux murs de chaque côté. La grotte était une espèce de prison, et une douzaine de prisonniers humains se tenaient là, debout ou suspendus par les mains, mais tous attachés.

La Femme des Bois perçut également d'autres présences à l'extérieur de la grotte, ce qui fut confirmé par un sort d'Isis peu après : trois trolls se tenaient dans une autre grotte attenante, dont deux à proximité du passage provenant de la prison. Ils ne faisaient pas de bruit, et n'en firent pas plus lorsque la lionne se montra, entraînant des hoquets ou petits cris de surprise de la part de certains prisonniers. Ce qui laissait penser à une embuscade possible. En prévision d'un futur combat, Drilun prêta son épée couverte de runes magiques à Geralt, afin qu'il puisse faire davantage de dégâts. Lorsque le reste de l'équipe commença à rentrer furtivement dans la grotte, plusieurs prisonniers se mirent alors à faire des gestes et mimiques ou à parler à voix basse pour prévenir de gardes trolls non loin.

D'après Isis, il n'y avait pas d'autres trolls à proximité, mais elle ne pouvait tout sentir : le son à la surface de la pierre était "cassé", probablement par un escalier, et des renforts pouvaient être susceptibles d'arriver - mais pas dans l'immédiat. Après discussion, le choix fut fait de tenter un coup de bluff : l'elfe magicienne avait mémorisé le visage de la femme-assassin qui s'était déguisée en elfe, tant le visage maquillé que naturel. Elle prit alors l'apparence de la femme, de même que le vêtement qu'elle portait et qu'elle avait pensé à emmener. Elle marcha alors tranquillement dans la prison et passa dans la grotte suivante, très grande et éclairée par des torches. Plusieurs ouvertures débouchaient là, et deux trolls proches se tenaient prêts à combattre, tandis qu'un autre attendait à une trentaine de mètres, au pied d'un escalier.

La magicienne leur ordonna d'une voix ferme de les suivre : elle avait des prisonniers à leur faire porter. Elle se retourna alors et commença à se diriger vers l'ouverture de la prison, sachant que ses amis étaient cachés de chaque côté, prêts à attaquer. Les deux trolls les plus proches firent mine d'obéir et commencèrent à la suivre, mais elle perçut au dernier moment qu'ils levaient en fait leur arme pour attaquer ! Elle fit un plongeon vers l'avant, mais les deux géants n'avaient eu besoin que d'une grande enjambée pour être à portée d'épée, vu la taille de leurs membres et de leurs armes. Seul un sort de protection qu'elle avait eu la prudence de lancer peu auparavant l'empêcha d'être coupée en trois morceaux. Néanmoins, elle tomba au sol, mortellement blessée et inconsciente.

Vif et Geralt réagirent immédiatement et attaquèrent les deux trolls après une course rapide. Tandis que les deux monstres étaient blessés et rapidement tués, avec l'aide de Narmegil et du reste de l'équipe, le troisième troll, qui s'était tout d'abord rapproché, décida de fuir en appelant à l'aide. Tandis qu'il était pris en chasse par la lionne, Geralt visitait les ouvertures qui donnaient en fait sur des cavernes très froides où de nombreuses carcasses - dont celles de femmes et enfants - étaient suspendues à des crochets de boucher. Ce macabre tableau était complété par des petites niches creusées dans la pierre, avec des signes bizarres, et dans ces niches le maître assassin vit des crânes humains dont les orbites étaient emplies par des yeux... Soupçonnant de la magie, il laissa le soin de détruire ces sinistres ornements à son ami dúnadan, lorsque ce dernier serait prêt.

Ailleurs, Narmegil retirait sa lance du monstre qu'il avait transpercé et tué, avant de se précipiter vers son épouse : Sîralassë était bien occupé à stabiliser l'état d'Isis pour qu'elle arrête de saigner à mort. Drilun, à la demande des prisonniers, avait trouvé un trousseau de clefs et commençait à ouvrir leurs menottes. Les premiers l'embrassèrent en pleurant, mais la situation changea brusquement. Le Dunéen sentit tout d'un coup un bras costaud le ceinturer par derrière, et une lame au contact huileux appuyer sur sa gorge. L'un des prisonniers délivrés était en fait un agent d'Ardagor. Pourtant Geralt, extrêmement méfiant, les avait tous examinés ; mais ou bien il n'avait jamais vu l'homme auparavant, ou bien il était trop doué pour jouer la comédie, ou particulièrement bien maquillé.

7 - A la vie, à la mort
Un simple geste et c'en était fini de l'archer-magicien, et c'est ce que fit clairement entendre le faux prisonnier. Il ordonna aux aventuriers de lâcher leurs armes, ajoutant que des renforts allaient arriver et qu'il n'avait aucune patience. Le soigneur ne changea rien à ce qu'il faisait, tandis que le Dúnadan, à gestes lents et mesurés, laissait tomber sa lance sur le sol. Au loin, des cris puissants qui se rapprochaient laissaient entendre que la lionne était poursuivie par plusieurs trolls. Quant à Geralt, il se jeta sur un côté de la grotte, hors de vue de son ami et de celui qui le menaçait, et il commença à préparer son arc.

Drilun avait beau être protégé par un sortilège, cela ne risquait pas de faire grande différence pour la lame contre sa peau. Mais il se concentra sur un autre sort qui pouvait peut-être le sauver, un sort dans lequel il allait mettre toute son énergie magique, et qui allait lui prendre du temps à lancer. Temps qui risquait de lui manquer : le faux prisonnier avait repéré la manœuvre de Geralt, et après avoir prévenu une première fois, il entama le cou du Dunéen. La blessure était très légère, mais suffisante pour faire entrer le poison dans le sang, et l'archer-magicien sentit le cou lui brûler de plus en plus. Malgré un cri de douleur, il arriva à terminer son sort alors que, rapide comme l'éclair, Geralt apparaissait et lâchait la corde de son arc.

Lui aussi assez vif, le faux prisonnier aurait pu trancher la gorge de Drilun, ce qu'il avait bien eu l'intention de faire... si sa dague n'avait pas brusquement été arrachée de sa main par la force magique appelée par l'archer-magicien. Mais il n'eut pas le temps de s'en étonner : la flèche envoyée par le maître assassin lui traversa un œil et il mourut sur-le-champ. Drilun était sauvé, mais son cou le brûlait de plus en plus et enflait, tandis que dans la grande grotte, deux trolls arrivaient à la suite de Vif. Et Sîralassë n'avait pas encore fini de panser Isis, dont la vie restait suspendue à des soins immédiats.

Narmegil se porta au combat contre les trolls. Vif avait en fait réglé son compte dans l'escalier à celui qu'elle poursuivait, mais elle avait fui devant les deux collègues qu'il avait eu le temps d'appeler. Avec plus de place pour manœuvrer dans la grande grotte, néanmoins, et l'aide de son ami dúnadan, elle eut à nouveau recours à sa tactique favorite : elle plongea dans le dos d'un troll tout en évitant son attaque, puis lui sauta au cou par derrière. Son coup de griffe fut si puissant que la tête du monstre se détacha du torse. Narmegil et elle n'eurent aucun mal à venir à bout du dernier. De son côté, le soigneur elfe finissait enfin de bons bandages pour Isis, qui commençait à revenir à elle.

Geralt faisait face à une situation plus délicate : il voyait son ami qui risquait de connaître les affres du poison qu'il avait déjà expérimenté. Dirhavel, à Tharbad, lui avait remis un cataplasme pour annuler les effets d'un tel poison, mais il ne savait pas comment l'appliquer, et ses amis étaient tous pris ! Et il n'avait que quelques secondes pour apprendre... ce qu'il fit : il était prêt à tout pour sauver son ami. Ce n'était pas bien dur heureusement, mais il poussa un gros soupir intérieur lorsqu'il vit dans le regard du Dunéen que la douleur refluait. Il s'était concentré du mieux qu'il avait pu, et cela avait réussi, il avait correctement appliqué le cataplasme. Drilun était sauvé ! Les efforts de l'alchimiste de Tharbad n'avaient pas été inutiles...

Méfiants, les aventuriers laissèrent le trousseau de clefs aux prisonniers pour qu'ils finissent de se délivrer eux-mêmes, et ils leurs donnèrent des consignes pour pouvoir s'enfuir. Eux ne comptaient pas partir tout de suite : malgré l'état de leur magicienne, qui semblait hors de danger pour l'instant, ils ne pensaient pas s'en arrêter là. Une discussion rapide montra que le groupe souhaitait continuer la traque d'Ardagor - dix trolls avaient déjà été tués, et deux assassins sans doute parmi les meilleurs éléments du Seigneur de Guerre ! Restait tout de même sans doute encore des trolls, et sans doute aussi des sorciers. Tout semblait calme et les ennemis n'accouraient pas, mais pour encore combien de temps ? Ou peut-être se préparaient-ils à les recevoir dignement...

En attendant, l'équipe profita de ce répit pour examiner la seule porte qui donnait sur la grande caverne adjacente à la prison. Il en émanait une odeur de vin, mais aucun son. Sans surprise, une fois la porte ouverte, les aventuriers découvrirent presse, fouloir et cuves, et tous les équipements nécessaires à la fabrication du vin. Mais aussi, derrière des paravents, un espace de vie pour une grande dame, d'après des vêtements trouvés dans un meuble, vêtements que Sîralassë n'oublia pas de prendre avec lui. C'était donc probablement là qu'Olorní vivait une partie du temps. Par contre, de nombreuses runes couvraient les murs et la magie était facilement perceptible, une magie liée aux influences, d'après Drilun. Magie qui devait servir autant pour Olorní que pour le vin qui était fabriqué. Narmegil prit sa lance et s'en servit pour briser les runes, avec l'aide de son propre pouvoir, de même que les crânes des autres pièces. Les cuves et barriques furent percées, et le groupe s'apprêta à y mettre le feu.
Modifié en dernier par Niemal le 03 octobre 2012, 15:18, modifié 8 fois.
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Niemal
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Warlord - 15e partie : piégés !

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1 - Rires et hurlements
Avant de brûler tout ce qui pouvait l'être, il fallait choisir la route à prendre, car il n'y aurait pas de retour en arrière possible. Or Narmegil n'était pas d'accord avec le reste du groupe sur la direction à prendre. Selon lui, l'état d'Isis était incompatible avec une poursuite de l'exploration de Creb Durga. Ses blessures étaient trop sérieuses, et même si leur soigneur avait fait de son mieux, il ne pouvait souder les plaies d'un battement de cil. Sortir de là et l'amener en lieu sûr, où la magie de Sîralassë pourrait avoir le temps de pleinement agir, était déjà un défi, vu tout le terrain à parcourir. Mais progresser plus avant dans un territoire inconnu empli de sorciers, de trolls et autres, était de la pure folie ! Pour elle-même car on ne pouvait garantir qu'elle ne ferait que marcher lentement ; pour le reste du groupe car le poids mort qu'était Isis les handicaperait fortement.

Les autres membres de l'équipe se rendirent peu à peu à la raison. Néanmoins, pendant que certains finissaient de préparer les bûchers ou un meilleur pansement pour l'elfe magicienne, d'autres pouvaient essayer d'en savoir un peu plus sur les cavernes de Creb Durga. Après discussion, il fut convenu d'envoyer deux éclaireurs dans l'escalier qui montait, et par où des trolls étaient arrivés : Vif d'une part, pour ses sens, sa rapidité et ses griffes ; et Drilun, pour ses talents magiques. La Femme des Bois transporterait le Dunéen jusqu'à un futur lieu propice à quelques sorts de perception, ou jusqu'à ce que des ennemis proches soient perçus et, si possible, identifiés.

L'archer-magicien dunéen monta donc sur le dos puissant de la lionne. Moins à l'aise que Geralt, il eut encore plus d'appréhension quand ils pénétrèrent dans l'obscurité quasi-totale de l'escalier. Si lui était aveugle, son amie percevait suffisamment de choses pour avancer, sans parler de ses sens félins du toucher : elle ne risquait pas de se cogner, même s'il fallait rester méfiant. Mais elle percevait une lumière non loin, plus haut, et les deux amis débouchèrent dans une caverne éclairée par deux torches, d'où partaient deux autres boyaux : l'un, à droite, donnait sur le même genre d'escalier démesuré - pour trolls - et il descendait ; l'autre, en face, donnait sur un autre escalier similaire, mais qui montait.

Drilun descendit du dos de son amie. L'ouïe extrêmement fine de la lionne lui apportait de nombreuses indications alors qu'elle passait devant chaque ouverture. Vers le bas, elle entendit distinctement des voix humaines éloignées ainsi que des trolls, et de nombreux pas encore plus lointains qui résonnaient dans les cavernes et qui semblaient s'approcher. Vers le haut, par contre, elle entendit de nombreux grognements... de loups, et proches ! Elle se mit à tirer sur les vêtements de son ami concentré sur sa magie. Magie qui lui permit d'arriver aux mêmes conclusions : même si les escaliers cassaient un peu la progression du son, il avait senti de nombreux loups qui les attendaient non loin, mais aussi des trolls, et il y en avait peut-être encore d'autres au-delà de ses perceptions...

Plus bas, Sîralassë et Narmegil s'affairaient tandis qu'Isis se préparait, dans l'ancienne prison, et que Geralt montait la garde, concentré surtout sur l'escalier où étaient partis ses amis. Soudain, des hurlements sauvages de nombreux loups se firent entendre, provenant de ce même escalier. Peu après, alors que les quatre amis se réunissaient, un nouveau bruit se fit entendre, venant d'une autre direction : la lourde porte de pierre qui menait de la prison aux latrines et grottes extérieures venait de se fermer ! Vif et Drilun arrivèrent à ce moment-là, le second porté par la première : les ennemis n'étaient pas loin, il fallait partir sans plus attendre ! Les loups et leurs maîtres n'attendaient probablement qu'un signal pour attaquer...

Mais par où sortir à présent ? Vif se précipita sur la porte qui s'était refermée. Elle poussa de toutes ses forces, aidée par Narmegil et Geralt, mais la pierre ne bougea pas d'un pouce. Il lui sembla entendre divers bruits : entre autres, comme s'il y avait un gros courant d'air de l'autre côté de la porte... et aussi un petit rire féminin. Sîralassë confirma ce que certains redoutaient : de la magie était présente juste derrière, sans doute l'œuvre de la petite sorcière nommée Moriel dont Niemal avait parlé. Il fallait trouver une autre issue, ce qui impliquait de prendre l'escalier vers les loups... Avant de s'arracher à la porte, alors que les autres étaient déjà partis, Narmegil entendit une petite voix demander à travers la porte : "Vous êtes toujours là ?". La rage au cœur, il quitta la pièce sans perdre plus de temps.

2 - Descente
Le feu fut mis aux réserves de viande et de vin, et le groupe se dépêcha de monter l'escalier. Lorsqu'il arriva à la grotte-carrefour, les hurlements des loups, plus haut, redoublèrent. Manifestement, l'escalier qui montait arrivait au quartier général de Creb Durga, qui concentrait sorciers, trolls, wargs et sans doute le loup-garou. Peut-être pas le meilleur chemin pour fuir ! De l'autre côté, le deuxième escalier qui descendait amenait à l'inconnu, mais d'après les perceptions de la lionne, il s'agissait sûrement d'un passage vers les cavernes où résidaient orcs et humains. Arriveraient-ils à se frayer un chemin par là et à trouver la sortie ? Une seule manière de le savoir : il fallait essayer !

L'escalier fut donc descendu, toujours taillé pour des trolls : de très hautes et larges marches, un boyau de trois mètres de large et quatre de haut, assez pour le passage de ces monstres... voire pour leur permettre de combattre. Mais un seul pouvait sans doute facilement bloquer le passage, même si quelqu'un d'assez rapide et adroit pouvait passer entre leurs jambes, comme la lionne l'avait fait plus d'une fois. Elle était en tête du groupe, et ses amis la virent ralentir, puis s'arrêter : ils arrivaient à une nouvelle caverne. Vif resta un bref moment à observer discrètement, puis elle vint tenir conseil avec ses amis, Sîralassë traduisant ce qu'elle disait grâce à sa magie.

La pièce dans laquelle ils arrivaient était vaste, peut-être quarante mètres de long sur vingt de large, et éclairée par des torches. C'était un lieu de passage, un carrefour comportant quatre ouvertures. En plus de l'escalier par où ils arrivaient, qui se situait à un bout de la grotte, elle avait perçu trois autres ouvertures, toutes occupées : loin en face, deux trolls attendaient, un rocher à la main et un bouclier dans l'autre, dans un passage vers une autre caverne. Vers le milieu de la paroi gauche de la caverne, une autre ouverture était occupée par deux trolls, en face d'une troisième ouverture qui donnait sur un escalier qui descendait. Escalier occupé par des hommes, et il y en avait aussi derrière les trolls.

Un sort confirma ses dires et affina les nombres : plus d'une vingtaine d'humains, pas d'autres trolls, mais Vif entendait du monde arriver par l'escalier, au loin. Sans parler des loups qui commençaient à s'approcher doucement. Ils étaient pris en tenaille... Les loups - et sans doute le loup-garou et d'autres trolls - attendraient sans doute d'entendre des bruits de bataille pour se précipiter au combat. Les aventuriers seraient alors attaqués sur au moins deux fronts, par des trolls et des wargs au moins, sans parler des archers. Et les éventuels tirs de rocher pouvaient être dévastateurs s'ils étaient faits dans le boyau. Isis, en particulier, n'était pas en état d'esquiver un gros projectile lancé dans sa direction ou qui pouvait rebondir contre les parois.

Il ne restait qu'une solution : attaquer avant de se faire attaquer, prendre l'ennemi de vitesse, et vite quitter l'escalier. Mais comment faire ? Les premiers à pénétrer dans la caverne seraient pris sous un tir croisé de flèches et de rochers ! Vif alliait résistance et rapidité, mais elle se voyait mal affronter deux trolls ou plus à la fois. En fin de compte, l'éternel duo lionne-assassin fut reformé. Geralt était le seul capable de tenir sur le dos de Vif alors qu'elle allait filer ventre à terre en esquivant les projectiles. Ils iraient en face s'occuper des deux trolls, et Narmegil et Sîralassë, aidés par leur magie, iraient à la rencontre des deux autres trolls. Drilun et Isis couvriraient leurs amis avec leurs arcs.

3 - Explosion de violence
Une fois l'assassin bien accroché à son dos, la lionne partit comme une flèche. Même s'il commençait à en prendre l'habitude, Geralt eut du mal à anticiper ses changements de direction tandis qu'elle bondissait et esquivait les projectiles qui venaient d'en face. Mais il tint bon, et les rochers passèrent loin d'eux ; un troll fut même trop surpris pour avoir la présence d'esprit de lancer son rocher. Certaines flèches sifflèrent à ses oreilles mais sans toucher aucun d'eux. Au dernier moment il se laissa tomber du dos de la lionne, et après un excellent roulé-boulé - vive l'entraînement ! (et le cuir de dragon) - il se retrouva debout, l'épée au poing, face à son ennemi : un troll dont la main se baissait seulement pour prendre son arme.

Derrière, le Dúnadan et l'elfe noldo s'étaient eux aussi précipités. Narmegil en particulier avait couru comme jamais, motivé par l'idée de vite revenir protéger son épouse. Il arriva ainsi sur le premier troll de l'ouverture de gauche, celui-là même qui avait été surpris par le passage éclair de la lionne montée et qui n'avait pas eu le temps de réagir. Il lui enfonça la lance dans le ventre, lance que le monstre prit dans les mains, l'air hébété. Sîralassë arrivait derrière son compagnon, plus lentement, tandis que le troll vers qui il se dirigeait commençait à prendre son arme. Plus loin, les deux archers descendaient les dernières marches, arc bandé et flèche encochée, tandis que le vacarme des hurlements de loup semblait s'approcher.

Parmi tous les combats que le groupe avait faits, celui-là fut d'une rare violence. Les trolls hurlaient, tant pour prévenir de probables forces au loin que sous la douleur. Geralt et Vif furent bientôt couverts de sang de troll. Le premier arriva à faire tomber son adversaire et l'acheva en lui tranchant la tête à l'aide de l'épée runique confectionnée par Drilun, que ce dernier lui avait laissée. Les hommes qui se tenaient derrière en furent tellement épouvantés qu'il n'eut aucun mal à les faire fuir en leur criant après. Mais ils n'allèrent pas bien loin car l'ouverture donnait sur une pièce fermée, un dortoir. Puis l'assassin éventra le troll sur lequel Vif était juchée, lui labourant le visage de ses griffes pendant que le monstre essayait vainement de la décrocher en hurlant.

Les guerriers de haute taille - Narmegil et Sîralassë - eurent un peu plus de mal mais ils s'en sortirent bien. Le noble Dúnadan avait dû secouer sa lance pour blesser encore plus son adversaire, qui avait fini par lâcher la lance et tomber en avant, bousculant au passage le guerrier qui était tombé. Narmegil avait aussi été pris pour cible par des archers dans son dos, et il n'était pas protégé par sa magie, concentrée plutôt sur l'attaque cette fois-ci. Plus d'une fois, il sentit des flèches le piquer, mais sa cotte de mailles de mithril l'empêcha d'être vraiment blessé et il ignora les piqûres occasionnées. Quant au descendant de roi elfe, il avait fini par faire basculer son grand adversaire en arrière, avec l'aide de son ami dúnadan qui avait achevé le monstre ; puis il s'était attaqué aux deux archers qui le prenaient pour cible et les avait occis. Les autres humains, peu nombreux, s'étaient cachés derrière des machines étranges, mais la nouvelle grotte qui s'ouvrait à lui ne présentait pas de nouvelle ouverture.

Des humains, archers ou équipés d'épées, avaient fait irruption dans la caverne depuis le passage de droite et l'escalier qui descendait. Isis avait blessé ceux qui s'approchaient trop de son époux, occupé par son troll, tandis que Drilun abattait ceux qui venaient vers Isis et lui les uns après les autres, de la même manière : une flèche dans l'œil. Tant et si bien que les autres, voyant Narmegil se relever et devant faire face à la lionne et à l'assassin déchaînés, commencèrent une prudente retraite. Mais ils furent bousculés par un troll qui arrivait de derrière eux et qui se précipita dans la pièce. Le Dúnadan se porta à sa rencontre, tandis que les premiers wargs arrivaient en hurlant.

4 - Griffes contre crocs
Mais avant cela, Geralt avait perçu le problème : Drilun et Isis étaient un peu à l'écart du combat, non loin de l'escalier par où ils étaient tous arrivés, et ils seraient les premiers sur le chemin des wargs... Après avoir abattu un guerrier qui lui barrait le passage, il sauta sur le dos de la lionne qui venait de faire de même avec un autre homme. Vif, ayant perçu tout ce qui se passait, comprit son compagnon sans qu'il eût besoin de dire un mot. Elle sauta par-dessus les corps et les combattants restants, emmenant son ami avec elle, et en quelques grands bonds elle fut à la hauteur de leurs deux archers. Une partie des wargs se dirigea vers eux, ne laissant que deux bêtes sur Isis et Drilun.

Tandis que Sîralassë invectivait les hommes cachés derrière les étranges machines, puis se détournait de la pièce sans issue, Narmegil tuait le troll qui venait d'arriver d'un coup de lance dans la tête. Les autres humains se terrèrent dans les grottes adjacentes sans plus participer, tandis que ceux arrivés par l'escalier s'enfuyaient devant le grand guerrier qui commençait à les poursuivre. Isis et Drilun concentrèrent leurs tirs sur les loups enchantés qui les attaquaient. La première blessa suffisamment celui qui s'apprêtait à lui sauter dessus, qui s'arrêta avec un jappement de douleur, avant de remontrer les crocs. Mais de nouvelles flèches le maintinrent à distance, l'affaiblissant peu à peu. Celui qui allait vers le Dunéen roula au sol, une flèche plantée dans la tête, mort.

Quant à Geralt et Vif, ils étaient pris d'une frénésie qui faisait peur à voir : les têtes des wargs volaient littéralement à travers la pièce, arrachées par les coups de griffe de la lionne ou tranchées par l'épée maniée par l'assassin. Ils arrivaient à les tuer aussi vite qu'ils sortaient de l'escalier, sauf parfois un rescapé que l'archer-magicien cueillait avec ses flèches. Mais Vif voulait aller plus loin : elle avait perçu la présence de Caran Carach, et elle était prise d'une rage meurtrière en se rappelant ceux qu'il avait tués chez les Hommes des Bois, et les années passées à lui courir après. Pour la première fois, elle avait une chance de régler ses comptes avec lui, et la capacité de le faire !

Un hurlement plus terrible encore que tous les autres surgit de la gueule de Caran Carach. Un hurlement chargé de magie noire, qui glaçait la volonté autant qu'il nouait les tripes. Hormis le noble Dúnadan, hors de vue dans l'escalier (et qui revint vite en courant), tous se sentirent affectés à des degrés divers. Geralt, rompu aux intimidations, fut le moins affecté, et ne ressentit guère que ses cheveux se dresser sur la tête. Vif et Sîralassë sentirent un froid mordant gagner leur cerveau, mais ils le repoussèrent avec plus ou moins d'effort. Quant à Isis et Drilun, ils se mirent à trembler tandis que leurs chausses se mouillaient sous l'effet de la peur. Ils auraient voulu se cacher dans un trou, et ne se sentaient plus aucune volonté de combattre.

Le combat continua néanmoins. La féline Femme des Bois entendait arriver au moins deux trolls dans l'escalier, et autre chose encore, comme un courant d'air. N'y tenant plus, elle bondit par-dessus le dernier warg qui la séparait de Caran Carach et sauta droit sur ce dernier. Le loup-garou était plus fort, c'était un combattant bien plus expérimentée qu'elle, et très rapide lui aussi. Mais, aveuglée par sa haine, la lionne ne pensa à rien de tout cela. Chat contre chien, grand loup contre grand félin, la conclusion d'années de quête allait toucher à sa fin. Une lueur maléfique dans les yeux, le loup-garou se prépara au choc et ouvrit sa terrible gueule...

Le temps sembla comme se ralentir. Geralt était encore occupé avec des wargs, il ne pouvait rien faire. Sîralassë était trop loin, et il sentait le mal qui affectait Drilun et Isis. D'ailleurs, à force de tirer à l'arc, la blessure de cette dernière s'était rouverte et elle était en train de saigner à mort à nouveau. Narmegil arrivait, mais il était encore trop loin. Drilun, une flèche magique encochée, pouvait tenter de toucher le loup-garou, malgré les multiples obstacles entre eux. Mais en avait-il la volonté, en avait-il la capacité, que pouvait-il faire contre un tel monstre ? Il sentait que son amie allait à la mort, mais n'était-ce pas leur proche destin à tous ? Était-il encore nécessaire de lutter ?

5 - Corruption par amitié
Le temps s'arrêta totalement pour le Dunéen. Il sentit en lui une influence extérieure : Tina ! Ou plutôt Tevildo, prince des chats et esprit de l'ancien temps, qui possédait le corps de cette formidable soigneuse figée dans un corps de lynx blanc. L'archer-magicien se rendit à nouveau compte, plus ou moins consciemment, qu'il avait été marqué par sa précédente guérison aux bons soins de Tina/Tevildo. Ainsi, le prince des chats arrivait à suivre à distance, à travers lui, ce qui se passait. L'esprit avait perçu le danger que courait Vif, et maintenant il poussait Drilun à se dépasser, balayant momentanément les effets de la magie noire qui l'avait affecté au travers du hurlement du loup-garou.

Pendant un moment intemporel, Drilun hésita : s'il laissait faire Tina/Tevildo agir ainsi en lui, l'esprit aurait certainement encore davantage prise sur lui à l'avenir. Fallait-il se laisser corrompre pour sauver son amie ? A force, deviendrait-il un pantin, une marionnette entre les pattes de cet être vieux comme le monde ? D'un autre côté, la vie de Vif était en jeu. Elle mise hors jeu, l'affrontement avec le reste des forces d'Ardagor allait être encore plus problématique. Et puis, malgré son côté étrange et solitaire, elle faisait partie, comme les autres, de la seule famille qui restait à Drilun, elle faisait partie de son "clan". Il laissa la confiance instillée par le prince des chats l'envahir...

Drilun cessa de trembler, entièrement concentré sur sa cible. Alors que le temps reprenait son cours, sa main droite lâcha la flèche, qui vola en direction du loup-garou. Malgré sa rapidité et la dureté de son cuir magique, la pointe enchantée pénétra la chair du monstre. Même si ce ne fut pas très profond, l'effet fut immédiat : Caran Carach recula en hurlant sous la douleur au lieu d'attaquer. Il esquiva le coup de griffe de la Femme des Bois, qui était arrivée à son contact, mais il n'était plus du tout en posture d'attaquer : envahi encore une fois par sa lâcheté, il ne cherchait désormais qu'à fuir le combat, et il se plaqua contre une paroi du bas de l'escalier pour laisser passer le troll qui arrivait derrière lui.

Ce dernier était encore plus énorme que les autres, et son équipement était différent : c'était la première fois que l'équipe voyait un troll qui portait une cotte de mailles. Un autre suivait derrière, mais il était plus petit, moins bien équipé, et il n'avait pas la place de passer. Et Vif entendait toujours comme un fort courant d'air peu éloigné qui arrivait dans l'escalier, sans doute l'œuvre d'un sorcier. Narmegil arrivait enfin, mais il était lui aussi bloqué à l'entrée de l'escalier, juste derrière son amie féline. Et il n'avait pas l'adresse et la souplesse de Geralt ou Vif pour se faufiler entre les combattants tout en évitant les coups, pour faire face au probable chef troll.

Mais si Drilun, malgré la satisfaction du devoir accompli, se sentait à présent épuisé, peut-être encore plus que ses compagnons, tout n'était pas fini pour lui. Il sentit soudain le contact d'une main d'elfe et un grand bien-être l'envahit. L'effet de la magie noire disparut d'un coup, à défaut de l'humidité de certains de ses vêtements, et l'influence de Tina/Tevildo reflua - mais sans disparaître totalement. Sîralassë venait d'utiliser sa magie pour le soigner de ses influences, et il avait réussi comme jamais. Encore secoué mais parfaitement maître de sa volonté à présent, l'archer prit une nouvelle flèche et s'apprêta à la tirer en direction du troll. Tout cela n'avait pris que quelques secondes, tous les acteurs ayant agi en une harmonie presque parfaite.

6 - Nouveaux venus
Prudente, Vif recula et resta sur la défensive devant ce nouveau troll. La flèche lancée par Drilun à la tête du monstre ne fit que l'égratigner et il ne cilla même pas. Il attaqua la lionne qui réussit à s'en tirer sans grand dommage, et elle finit par bondir en arrière afin de permettre à son ami dúnadan de prendre sa place. Pendant ce temps, Geralt abattait le dernier warg et arrivait à son tour au contact du loup-garou. Il l'engagea prudemment, profitant que le troll était occupé par la lance elfique de son grand ami, mais Caran Carach était trop rapide et dur à cuire pour le blesser facilement. Avec l'aide de nouvelles flèches de Drilun, le monstre fut une nouvelle fois blessé, mais peu profondément, et il continua à reculer.

Alors que le guerrier Dúnadan réglait son compte au chef troll d'un nouveau coup magistral de sa lance dans la tête, Vif et Geralt se gênaient pour pouvoir combattre le loup-garou, qui finit par laisser passer le dernier troll devant lui. Puis il se retourna, plus haut dans l'escalier, et partit à toute allure. Mais le maître des assassins de Tharbad ne comptait pas en rester là : après avoir abattu le troll qui lui barrait le passage, il commença à s'engager dans l'escalier. Quand soudain il fut comme aspiré par un tourbillon qui le maintenait en l'air en tournant à toute allure, à tel point qu'il perdit toutes ses perceptions. Il n'était plus qu'une poupée humaine qui se retenait à grand peine de vomir...

Tandis que ces combats se finissaient et que la lionne partait à la poursuite du tourbillon qui emmenait l'assassin plus haut dans les escaliers, un nouveau combat avait lieu plus bas. Alors que le soigneur elfe arrêtait presque instantanément le saignement d'Isis de ses mains expertes, il vit de nouveaux acteurs entrer par l'autre escalier qui donnait dans la pièce. Il fut d'abord très étonné de reconnaître un grand guerrier Dúnadan costaud qu'il avait déjà vu chez Elrond. C'était en effet le descendant d'une noble lignée du Rhudaur, la famille Elenen, qui vivait non loin de Fondcombe. Leur château avait été attaqué par le Rhudaur et détruit, et seul le fils avait pu être sauvé, gravement brûlé. Elrond avait pu le soigner, mais il était facile à reconnaître en raison de ses nombreuses brûlures au visage. Plus tard, l'homme était entré chez les rôdeurs d'Arthedain et il avait beaucoup combattu le Rhudaur.

Sîralassë pensa un moment que l'homme faisait partie d'un groupe d'alliés venus prêter main-forte, mais les autres hommes qui apparurent étaient bien des gens d'Angmar, selon toute apparence. Armés d'arcs et de flèches, ils tirèrent en direction du groupe, sans faire vraiment de mal heureusement : les aventuriers étaient trop bien protégés par leur magie ou leur équipement. Alors que les premiers arrivés, dont le fils Elenen qui semblait être le chef, sortaient leurs épées, d'autres humains arrivaient par l'escalier. Narmegil se porta à leur rencontre tandis que les flèches de Drilun fusaient à nouveau, vers les nouveaux arrivants.

Les deux Dúnedain se retrouvèrent face à face, et le fils Eldanar reconnut le fils Elenen : il l'avait vu à une occasion ou l'autre à Fornost Erain. Il soupçonna ce que ressentait Sîralassë avec ses perceptions magiques : l'homme était magiquement influencé, comme les Tarmas et Ekettas l'avaient été autrefois, et sans doute aussi la sœur de l'elfe noldo. Il chercha donc à l'assommer avec la hampe de sa lance par un coup bien placé sur la tête, tout en combattant d'autres adversaires. La première fois il fit tomber l'homme, mais il se releva trop vite, et le deuxième coup fut un échec. La troisième tentative fut plus appuyée, mais il sentit que cela était trop. L'homme tomba à nouveau, la tête ensanglantée. A l'issue du combat, le soigneur du groupe ne pourrait que constater qu'il ne se relèverait plus jamais.

Une fois leur chef par terre, et ayant subi de lourdes pertes, les derniers ennemis s'enfuirent par l'escalier qui descendait et d'où ils étaient arrivés, du moins ceux qui le purent. Un moment, le silence dû à l'absence de combat parut presque assourdissant. C'est alors que Vif arriva tranquillement par l'autre escalier... seule, sans Geralt. Elle fit comprendre au soigneur, grâce à la magie de ce dernier, que des gens arrivaient derrière elle et qu'il ne fallait pas attaquer. Le message une fois transmis elle grogna, et cinq êtres apparurent lentement : un autre Dúnadan, une boule de feu crépitante qui volait à mi-hauteur, un tourbillon d'air difficile à percevoir, avec Geralt en son sein, et derrière tout cela, comme une petite fille aux cheveux noirs de la taille d'un grand hobbit.

7 - Explications et tractations
Toujours dans son parler félin traduit par le Noldo, la lionne expliqua qu'elle avait suivi Geralt emmené dans les airs, jusqu'à arriver au carrefour entre trois escaliers qu'ils avaient tous empruntés pour venir. Là, elle avait été accueillie par le spectacle de ces êtres et par une invitation de Moriel à parlementer : c'était non pas une fille de la taille d'un hobbit, mais une véritable humaine, atteinte de nanisme, et sorcière de son état. C'était elle qui contrôlait les éléments, et elle tenait Geralt en son pouvoir. Mais elle ne venait pas pour menacer, juste pour solliciter de l'aide... et apporter la sienne. Un troc en quelque sorte : je vous aide à sortir, et vous m'aidez à partir libre, avec toutes mes possessions, quels que soient ceux qui voudraient s'y opposer.

Le Dúnadan qui la protégeait était - le monde est petit - encore quelqu'un de connu. Narmegil l'avait vu également à Fornost Erain et il avait entendu parler de lui : il s'agissait de Taurgil, dernier descendant de la prestigieuse famille Melossë, du Rhudaur. En fait, cette famille était celle qui avait le plus de droits au trône du Rhudaur, anciennement contrôlé par des Dúnedain. Chassée de ce pays et privée de ses biens, la famille était pauvre et son jeune descendant n'avait eu de cesse de combattre le Rhudaur parmi les armées du Cardolan ou de l'Arthedain. Moriel expliqua que c'était un ancien compagnon avec qui elle s'était séparée en assez mauvais termes et qui l'avait poursuivie. Capturé par les forces d'Ardagor, elle lui avait sauvé la vie en le forçant à devenir un serviteur involontaire...

Moriel expliqua qu'elle avait rejoint les rangs d'Ardagor de manière un peu forcée, afin de récupérer une affaire à elle. Mais elle n'aimait pas pour autant tout ce qu'il faisait, ni la tournure que prenaient les événements. Elle jugeait que les jours du grand sorcier étaient comptés et elle préférait trahir Angmar plutôt que de continuer à servir... morte. Au moins gagnerait-elle un peu de temps ! Elle justifia ses actions contre le groupe en expliquant qu'elle devait elle aussi obéir, et elle n'avait pas eu d'autre occasion de s'entretenir avec les aventuriers. Sauf une : après avoir scellé la porte de pierre de la prison, comme demandé par Ardagor, elle avait tenté de leur parler, mais sans succès.

Son histoire en laissait plus d'un méfiant, mais elle montra sa bonne volonté en libérant Geralt, qui eut beaucoup de mal à ne pas tomber - l'aide de la lionne ne fut pas de trop. Il lui fallut un moment avant de retrouver le sens de l'équilibre. Par ailleurs, elle souligna le fait qu'elle prenait de gros risques en venant parmi eux : elle pourrait peut-être tuer l'un d'eux, mais si le groupe décidait de la tuer elle ne pourrait rien faire. Et désormais elle était grillée auprès d'Angmar, si jamais Narmegil et ses amis tombaient entre les pattes d'Ardagor. Elle invita ses futurs "associés" à lui poser des questions sur Creb Durga et ses habitants, afin là encore de prouver sa bonne volonté et d'aider à ce qu'ils puissent tous s'en sortir.

Sîralassë sauta sur l'occasion pour demander des nouvelles de sa sœur. Devant l'insistance de l'elfe, la petite sorcière prit quelque chose dans une poche qu'elle lui lança : une oreille, qu'il reconnut sans erreur possible... Car Ardagor lui avait donné pour mission d'affecter le moral du groupe en montrant qu'il n'hésiterait pas à torturer ou sacrifier ses pions. Elle expliqua qu'elle n'y pouvait rien et qu'il fallait s'attendre à pire, mais le soigneur lui fit savoir que tout accord avec elle était impossible - au mieux s'agissait-il d'une trêve. Elle s'y attendait, mais elle attendit les avis des autres membres du groupe.

Après discussion, et le rappel de ce que Niemal avait dit à propos de ce petit bout de femme, les autres membres finirent par trouver un accord possible. Avec l'aide de Moriel, ils quitteraient Creb Durga et l'aideraient à fuir avec ses possessions. Mais uniquement après s'être soumise à quelqu'un qui pourrait sonder ses pensées et vérifier qu'elle ne préparait aucune traîtrise. Ce qu'elle accepta. Il lui faudrait aussi laisser Taurgil, ce qu'elle accepta aussi, même si elle ne pouvait le soigner de son état magique : seuls le temps ou une puissante magie des soins pouvaient lui rendre sa volonté.
Modifié en dernier par Niemal le 06 septembre 2012, 10:37, modifié 2 fois.
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Warlord - 16e partie : combats de taupes

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1 - État des lieux
Plusieurs questions restaient en suspens concernant Moriel, mais le soigneur vint rappeler l'état dans lequel certains et plus particulièrement certaine se trouvaient. Il venait de terminer de refaire les pansements d'Isis, et son bilan fut sans appel : elle ne devait plus faire aucun effort, même se tenir debout, et surtout pas tirer à l'arc ou lancer des sorts. Son état de faiblesse était tel que cela mettrait sa vie en danger - comme si elle ne l'était déjà pas assez ! Tout effort risquait fortement de faire se contracter des muscles déjà trop sollicités, ce qui amènerait à rouvrir des blessures déjà suffisantes pour plonger une personne normale dans le coma. L'elfe n'était encore consciente que par un effort de volonté. Son côté tête de mule refusait à son corps d'admettre que tout cela faisait trop pour lui...

Autrement dit, elle devait être transportée allongée et le plus confortablement possible, sans heurt ni à-coup qui risquait de rouvrir les blessures. Il faudrait un brancard ou équivalent... ce qui immobiliserait deux paires de bras. Vif émit la suggestion que l'elfe blessée soit transportée sur son dos, mais le soigneur rejeta immédiatement l'idée : les efforts pour tenir en équilibre rouvriraient sûrement les blessures, sans parler du fait qu'ils n'allaient pas faire une balade de santé et qu'Isis aurait sûrement à descendre plus d'une fois. Non, il fallait un brancard et des porteurs, porteurs qui ne laisseraient pas tomber leur charge pour prendre une arme ou esquiver un projectile...

En même temps, le reste de l'équipe n'était guère en forme. En dehors de l'elfe noldo qui avait été relativement épargné par les coups et les situations difficiles, tous ressentaient de la fatigue, pour ne pas dire de l'épuisement. Aucun ne portait de blessure sérieuse, en dehors d'Isis, mais l'abattement de certains était clairement visible. Pour une fois, Geralt n'était pas le plus à plaindre, malgré tous les efforts tellement contre-nature pour sa flemme légendaire. Drilun ressentait le contrecoup de l'espèce de pacte qu'il avait fait avec Tevildo, qui lui avait permis de sans doute sauver la lionne d'une mort certaine. Malgré le soin magique de Sîralassë, il était à présent encore plus démoralisé que l'assassin. Et Vif ne valait pas beaucoup mieux.

Pourtant, Moriel estimait que les efforts étaient loin d'être terminés : alors qu'ils discutaient, les forces d'Ardagor devaient s'amasser dans la caverne du bas. Il restait des trolls et des humains, et sans doute des centaines d'orcs devaient les attendre à présent. Et sortir des cavernes leur prendrait bien une heure, vu les distances à parcourir, et dans la mesure où ils ne seraient pas ralentis en chemin. D'ailleurs, la question fut posée de quelle route prendre. La petite sorcière connaissait un peu les chemins vers l'est, l'ouest, le nord et le sud, mais quel était le meilleur ? Celui du sud n'était pas gardé à sa connaissance, mais le passage inondé ne tentait guère de monde. Globalement, l'équipe préférait aller vers le nord, qu'elle connaissait un peu.

Restait toujours la question d'Isis et de son transport. Un brancard ne serait pas trop difficile à fabriquer, car les affaires des mineurs et orpailleurs d'Angmar présentes dans une caverne proche - avec ces mêmes mineurs et orpailleurs, d'ailleurs - fourniraient tout ce qu'il fallait. Moriel envisagea d'ailleurs d'essayer de faire transporter Isis par ces hommes d'Angmar, mais les aventuriers ne pouvaient pas avoir assez confiance en eux. La sorcière leur proposa alors de se charger d'Isis elle-même : elle allait créer un nouvel être élémentaire animé par magie, un être de pierre cette fois. Il serait largement assez costaud pour transporter l'elfe blessée, et elle-même par-dessus le marché. Proposition qui souleva de nouveaux commentaires, questions et discussions sur Moriel, les garanties qu'elle apportait et la confiance qu'on pouvait lui faire.

2 - Nouvelles discussions
Sîralassë monta une nouvelle fois au créneau pour dénoncer les manigances de cette sorcière qui ne se mouillait aucunement et qui pouvait précipiter le groupe dans un piège. Quelle contrepartie donnait-elle, quelle preuve de sa sincérité ? Rien. Alors lui mettre la vie de leur amie entre ses mains... Et il est vrai que Moriel n'était pas prête à n'importe quoi, même si elle avait ses arguments. Ainsi, elle tenait à être protégée dans les bras de son être de pierre entre autres pour garder un contact direct qui permettait de le faire tenir plus longtemps, le temps du trajet. Accessoirement, avec ses petites jambes elle risquait de vite se fatiguer, et sa magie l'épuisait déjà suffisamment.

Le soigneur proposa également de libérer Taurgil de son état de zombie obéissant, mais là encore la sorcière opposa son veto : elle dit qu'elle redoutait la réaction du Dúnadan ensorcelé, et elle ne pourrait avoir aucunement confiance en lui, quels que soient les engagements de Narmegil et compagnie. Elle avait déjà bien du mal avec certains membres de l'équipe comme l'elfe noldo ou le Dunéen, pour se rajouter encore une personne à surveiller de près. Elle était prête à partager ses informations et à dire ce qu'elle savait pour aider, mais elle n'allait pas se livrer non plus pieds et poings liés à des gens dont certains avaient l'épée ou la flèche qui les démangeaient !

De nouvelles questions fusèrent afin de mettre sa sincérité à l'épreuve. Moriel donna de nouveaux détails sur Creb Durga et ses habitants, sur Ardagor, ses espions et ses contacts dans le Cardolan, voire sur de tout autres sujets. La sorcière confirma le rôle d'Ardagor dans la tentative de coup d'État en Arthedain par les Tarmas et Ekettas, ainsi que dans la tentative de Breog - un lieutenant assassin de Tharbad - de prendre la place de Geralt en le défiant en duel. Mais elle parla aussi de certains que les aventuriers recherchaient et dont Moriel avait entendu parler.

Elle donna des informations sur Angmar, où elle avait entendu parler de deux elfes torturés et encore vivants. Elle ne pouvait garantir qu'il s'agissait de Penargil (ancien ami ou connaissance indirecte d'Isis et Drilun) et Ascarnil, deux elfes d'Elrond disparus quelques années auparavant ; mais cela laissait un peu d'espoir. Et elle avait eu la garantie (par Ardagor) que Vesemir, le père adoptif de Geralt, était aussi prisonnier là-bas, au troisième niveau de la forteresse. Il concoctait des poisons - c'était sa spécialité - pour les armées d'Angmar... Quant à ses projets à elle, elle rejeta l'idée d'aller à Imladris, une prison où elle ne serait pas bien accueillie, et évoqua l'idée de partir dans le sud, en Gondor.

Au bout du compte, Geralt proposa de lui faire boire un poison puissant mais dont les effets mettraient une heure avant de se déclarer. Il faudrait une heure pour sortir, et une fois que ce serait fait, Sîralassë pourrait la soigner si tout s'était bien passé. Moriel hésita un peu, dans l'attente de l'engagement du soigneur à retirer le poison de son corps. Mais lorsque l'assassin se tourna vers son ami pour avoir confirmation, ce dernier refusa de prendre un tel engagement. Il soignerait peut-être Moriel mais il ne promettrait rien, et donc Moriel refusa.

L'attitude de Sîralassë rendit Geralt furieux. Il rappela qu'il avait été à la merci de la sorcière et, comme elle l'avait dit, elle aurait pu se débarrasser de lui et attendre d'en faire autant avec d'autres membres de l'équipe. Vif aussi était plutôt d'accord : la sorcière avait montré des signes de confiance, et même si tout cela était calculé dans son intérêt à elle, leur intérêt restait commun. De toute manière, il n'était pas possible de rester là, il fallait avancer et sortir de Creb Durga sans plus tarder. Geralt conclut en disant qu'il y avait eu un moment la possibilité d'avoir une garantie, mais que par l'entêtement de certains, on n'avait rien. Et pourtant on allait confier Isis à Moriel...

3 - Préparatifs
A la demande de la petite sorcière, Isis fut déposée sur le sol, devant elle, et les aventuriers s'écartèrent, tandis que Taurgil continuait à monter la garde. Les deux élémentaires de feu et d'air disparurent d'un coup, et Moriel commença à se concentrer. Petit à petit, le sol bougea autour d'Isis et elle, puis s'érigea en une forme vaguement humanoïde avec les deux femmes dans ses bras. Comme un être de pierre plutôt petit et très trapu, presque aussi large que haut, qui laissa un trou dans le sol lorsqu'il s'en détacha. Un autre tourbillon, autre élémentaire fait d'air, mais plus petit que celui qui avait pris Geralt, se forma également à ses côtés.

Restaient encore deux problèmes à régler, que Moriel fit obligeamment remarquer. D'une part, les mineurs et orpailleurs d'Angmar étaient toujours là, dans les cavernes adjacentes, à attendre le départ du groupe. Ils étaient assez intelligents pour avoir vite compris qu'une attaque serait suicidaire, néanmoins ils étaient susceptibles d'appeler à l'aide ou de renseigner Ardagor une fois l'équipe partie. Et plus bas, au bout de l'escalier que Narmegil et ses amis devaient prendre, les troupes d'Ardagor avaient certainement eu largement le temps de s'organiser. Chose qui fut confirmée par ce que l'oreille féline de Vif percevait. Il fallait donc s'attendre à quelques centaines d'orcs, au moins une demi-douzaine de trolls, quelques humains... Le bruit trahissait aussi la présence probable d'esclaves, mais dans quel but, cela restait à voir. La salle était large et permettrait aux assaillants de faire pleuvoir des projectiles de toute sorte sur le groupe, flèches surtout mais aussi gros rochers...

Après discussion, la sorcière proposa la chose suivante : elle descendrait et parlerait aux trolls - qui ne savaient pas qu'elle avait tourné sa veste - pour leur dire que les aventuriers avaient fui vers le haut et que leur aide était réclamée. Seuls les trolls et quelques humains avaient le droit de monter vers le quartier général, mais c'étaient les plus dangereux. Les aventuriers se cacheraient là même où les orpailleurs attendaient, afin de laisser passer les trolls et de descendre ensuite. Cela voulait dire faire confiance à Moriel, d'autant qu'elle aurait Isis avec elle. Cela serait une preuve supplémentaire de ce qu'elle annoncerait aux trolls : elle dirait qu'elle avait pris l'un des aventuriers mais qu'il restait les autres...

Après tout ce qui s'était déjà dit à propos de la sorcière, Narmegil et ses amis ne firent pas d'objection. Mais les agents d'Angmar risquaient de les révéler aux trolls... Certains, comme Vif, auraient volontiers éliminé ce risque de la manière la plus directe qui fût. Mais d'autres étaient contre cette solution et las de tout ce sang. Même si c'étaient des agents d'Angmar, ils ne les avaient pas attaqués. Moriel ne pouvait-elle les ensorceler ? La réponse fut négative, ils étaient trop nombreux. Elle pouvait sans doute les convaincre, mais d'après ce qu'elle avait constaté, il lui semblait que certains membres du groupe seraient au moins aussi efficaces qu'elle.

La solution retenue fut la suivante : après un appel de Moriel, Vif alla chercher les agents d'Angmar - ils étaient treize - et les réunit au centre de la caverne principale, où débouchaient les issues. Les hommes ne firent aucune difficulté devant l'air agressif de la lionne et le souvenir de ce qu'ils avaient vu. Puis Geralt les sermonna à sa manière de maître des assassins. Il expliqua ce qui allait se passer, et il les prévint : au moindre son qu'ils feraient, à la moindre incartade, les fautifs seraient en charpie avant d'avoir pu voir les trolls se retourner. Les grondements et feulements de la lionne qui accompagnaient le discours furent superflus : les hommes tremblaient et ils avaient tous parfaitement compris.

En prévision des difficultés à venir, Sîralassë offrit à Drilun, le plus épuisé de tous, un peu du cordial d'Imladris que Niemal leur avait remis de la part d'Elrond. Le Dunéen se sentit tout de suite mieux, même si cela n'était pas encore bien brillant. Aussi bénéficia-t-il aussi d'une infusion de Bonneherbe, qui le rendit brusquement optimiste. Tous se cachèrent dans les deux cavernes adjacentes, tandis que Moriel, ses êtres élémentaires et Taurgil, commençaient à descendre l'escalier. Vif l'entendit parler dans une langue gutturale qu'elle ne comprenait pas, et elle perçut ensuite la réponse manifeste de trolls dans la même langue. Et enfin, des pas lourds et rapides dans l'escalier, venant dans leur direction...

4 - Jeux de cache-cache et bowling
Six grands trolls passèrent dans la caverne principale, allant d'un escalier à l'autre en grande hâte. Geralt jeta un œil et vit les derniers s'engouffrer dans le passage qui menait au quartier général de Creb Durga. Les hommes d'Angmar étaient restés silencieux, et ils soupirèrent lorsqu'ils virent l'équipe commencer à sortir des cavernes pour se précipiter vers l'escalier du bas. Des bruits de pas sonores en montaient, mais il s'agissait de Moriel (et Taurgil) et de son être de pierre vivante. Elle prévint qu'il devait rester deux trolls en bas, et que les esclaves avaient été attachés à des cadres de bois pour servir de paravents et boucliers. Il faudrait un peu de temps avant que ces "fortifications" soient défaites.

Le groupe descendit l'escalier en prenant deux torches au passage. En bas, Vif partit en avant pour avoir une idée de ce qui les attendait. Le boyau débouchait sur une vaste caverne pleine de feux allumés, bondée d'orcs et de quelques humains, ainsi que deux trolls. Juste à l'entrée, un passage venait de la droite et permettait de se diriger vers la sortie sud. Plus loin dans la caverne, sur le mur de gauche, une ouverture permettait de rejoindre la sortie ouest. Un autre passage devait exister de l'autre côté de la caverne, selon Moriel, qui amenait aux sorties est et nord. Il faudrait donc traverser toute la caverne et balayer ses occupants...

Mais en revenant, l'ouïe féline extrêmement fine de Vif entendit autre chose par où ils étaient arrivés, et où étaient partis les six trolls qu'ils avaient laissé passer. Elle ne comprit pas la nature des paroles, qui étaient dans une langue propre aux trolls et autres serviteurs du mal, mais elle reconnut le timbre de la voix. Plusieurs fois par le passé le groupe avait-il été en butte à son possesseur, qui s'était dernièrement moqué de Geralt dans ces mêmes cavernes, plus au nord : Caran Carach ! La Femme des Bois se rappela que le loup-garou avait lui aussi les sens très exercés. En dépit de ses blessures, il avait dû rester pas très loin, suffisamment près pour percevoir leurs préparatifs et deviner leurs intentions...

Geralt perçut à son tour que quelque chose clochait : après s'être arrêtés, les bruits que faisaient les trolls en montant l'escalier semblaient reprendre, mais ils descendaient. Ils étaient accompagnés de hurlements nouveaux facilement perceptibles par tous, y compris des orcs et trolls qui se trouvaient dans la caverne plus bas. Drilun, alerté par les mimiques de la lionne qui montrait de l'inquiétude et de l'urgence, put saisir les propos qui s'échangeaient dans les airs en noirparler, cette langue des trolls et autres serviteurs d'Angmar dont Niemal lui avait enseigné les bases. Le son, conduit par les murs des cavernes, n'était pas trop dur à percevoir, et le Dunéen s'étonna de comprendre si facilement les nuances dans les voix des trolls.

Caran Carach avait donc indiqué aux trolls qu'ils s'étaient fait flouer, et ces derniers redescendaient en hurlant que les intrus arrivaient et qu'il fallait les arrêter. Manifestement, ils arrivaient vite, et l'équipe, ralentie par l'être de pierre magique de Moriel, serait assez vite rattrapée. Plutôt que de devoir combattre en plein milieu de la grande caverne, le groupe décida de rebrousser chemin pour faire face aux trolls dans l'escalier : il était assez large pour laisser combattre une seule de ces créatures, mais deux personnes de taille humaine. Même si les trolls étaient plus en hauteur, le terrain était à l'avantage des aventuriers, qui se mirent à remonter.

Geralt monta une nouvelle fois sur le dos de la lionne, qui bondit dans l'obscurité. Derrière suivaient Narmegil et Drilun, avec une torche, tandis que Moriel et ses serviteurs restaient plus bas avec Isis, et Sîralassë à proximité, qui éclairait faiblement le tunnel avec une aura elfique magique. Plusieurs entendirent les trolls s'arrêter plus haut et hurler quelque chose. Drilun traduisit avec une certaine inquiétude que les trolls demandaient des tonneaux aux hommes d'Angmar restés dans leurs cavernes. Puis les bruits de pas pesants des trolls reprirent. Ils allaient jouer au bowling dans l'escalier, heureusement large, et les quilles étaient les aventuriers...

5 - Eau et bière
Geralt et Vif étaient dans une obscurité totale pour un œil normal : les torches les plus proches, derrière comme devant, étaient trop éloignées pour éclairer quoi que ce fût. Mais la vision féline de Vif compensait largement cette obscurité, et le maître-assassin avait mis du trèfle de lune dans ses yeux, ce qui lui permettait de voir aussi bien qu'un elfe dans le noir. C'était ici limite mais cela lui permettait de ne pas être aveugle. Ils virent donc les trolls avec leurs projectiles à la main. La lionne fonça vers le premier d'entre eux, tandis que Geralt se laissait tomber de son dos, avec un peu plus de mal cette fois-ci : son armure n'avait pu complètement amortir le choc contre une des marches hautes de l'escalier.

Il se releva juste à temps pour esquiver un tonneau qui arrivait dans sa direction et se précipita pour engager le combat que Vif avait commencé, accrochée à un bras du premier troll, bras qu'elle lacérait consciencieusement. Derrière, Dúnadan et Dunéen virent le tonneau rebondir et foncer dans la direction du grand guerrier. Tandis que Drilun s'écartait prudemment, Narmegil choisissait de faire face au tonneau, avec sa lance et sa magie. Le projectile explosa sous le choc et les magies combinées de la lance elfique et du Dúnadan. L'eau contenue dans le tonneau trempa le guerrier, qui resta debout malgré le choc, grâce à sa force et à sa cotte de mithril. Puis il courut à toute allure, distançant l'archer-magicien.

Un deuxième tonneau surgit peu après, et Narmegil, qui n'était pas encore au contact des trolls, utilisa la même technique afin d'éviter que les tonneaux soient une menace pour ceux plus bas. Avec la même efficacité, il fut cette fois couvert de bière, et de mousse... Au cours du combat qui s'ensuivit, deux autres tonneaux roulèrent dans les escaliers jusqu'à Sîralassë et Moriel. Si l'elfe n'eut pas grand mal à les laisser passer, ce fut autre chose pour l'être de pierre. Le premier tonneau fut dévié par le petit être d'air tourbillonnant, tandis que le deuxième éclata sur le dos de l'être de pierre sans lui faire aucun mal. Mais Taurgil, plus avancé, déclara que deux trolls arrivaient de la grande caverne...

Plus haut, la bataille faisait rage, mais elle fut loin d'atteindre en intensité la précédente. Un à un, les trolls se firent découper, transpercer ou flécher sans vraiment menacer les aventuriers. Tant et si bien que les deux derniers, percevant le danger, commencèrent à reculer, et le plus éloigné se retourna même pour s'enfuir en courant. Mais la lionne esquiva le premier des fuyards pour se jeter au dos - et à la nuque - du second, pendant que Geralt attaquait l'autre qui reculait plus lentement. Au bout du compte, à trois guerriers et un archer, les six trolls avaient été vaincus. L'escalier empestait, rempli de sang et de grands cadavres, et le parcourir était maintenant bien difficile. Vif aurait voulu continuer à monter pour affronter le loup-garou, mais elle perçut qu'il ne les avait pas attendus.

Plus bas, la situation n'était pas très brillante au premier abord. Taurgil fit face au premier monstre et il donna un coup de son épée large, coup qui entama à peine le cuir du monstre, qui ne sentit pratiquement pas l'égratignure. Il allait répliquer par un coup assez puissant pour démembrer le serviteur de Moriel quand cette dernière prononça quelques mots qui firent s'arrêter le premier troll. Puis il se retourna vers le second, juste derrière lui... et lui assena un coup violent avec son arme ! Le deuxième troll fut sonné, tant par la surprise que par la douleur. Taurgil et Sîralassë en profitèrent pour se glisser sur les côtés du premier - ils avaient compris qu'il avait été ensorcelé par Moriel - et s'attaquer au second. Qui mourut brutalement d'un deuxième coup de son congénère en pleine tête, qui éclata.

Mais la sorcière prévint que le sort qu'elle avait lancé n'avait plus d'effet. Effectivement, après un moment de confusion, le premier troll s'attaqua aux deux hommes, qui utilisèrent leurs armes contre lui. Ils ne firent pas grand dégât et le soigneur concentra la furie du monstre. Grâce à sa magie il dévia le coup qui lui était destiné, tandis que Taurgil se faufilait dans le dos du troll. Leurs attaques combinées réussirent à blesser légèrement le monstre mais régulièrement, le forçant à se protéger des coups qui pleuvaient sur lui des deux côtés. Enfin, la lionne finit par arriver et bondit par-dessus Taurgil afin d'attaquer la nuque du troll d'un puissant coup de griffe. Sa tête se détacha presque entièrement. Le combat dans les escaliers était achevé.

6 - La fureur du Dúnadan
Mais plus bas, des centaines d'orcs étaient là, ainsi qu'une douzaine d'hommes pour commander le tout. Pire, les esclaves étaient restés pour servir de bouclier. Mais une petite inspection discrète par Vif montra que les boucliers ne faisaient pas une ligne continue. Avant toute attaque, néanmoins, des têtes et autres morceaux de troll furent lancés au milieu de la caverne et Geralt - entre autres - tenta de faire fuir les ennemis. Si les orcs se mirent à trembler, les humains ne flanchèrent pas et réussirent à maintenir les troupes en place. Il fallait passer à la phase offensive.

Geralt monta encore une fois sur le dos de la lionne. Une fois prêts, le félin fonça ventre à terre sous une grêle de flèches en direction d'un espace entre les paravents d'esclaves attachés. Elle se jeta sur les humains qui étaient à la tête de l'armée adverse, décapitant l'un d'eux d'un coup de patte dans une parfaite illustration de ce qu'elle voulait faire avec l'armée. Mais si aucune flèche ne l'avait touchée, Geralt n'eut pas ce bonheur. Malgré son armure, il avait été atteint - légèrement seulement - et, sous le choc et la douleur, il avait lâché prise, atterrissant en plein milieu de l'espace dégagé, juste sous le feu de quelques dizaines d'archers tout autour de lui. Les choses s'annonçaient plutôt mal...

Alors que Vif continuait son carnage et que Geralt allait commencer une série de plongeons en tous sens, Narmegil entra, lance à la main, avec une tête de troll fichée au bout. Auréolé par sa magie qui le rendait plus impressionnant aux yeux des ennemis, sa voix porta sur eux comme un tsunami. Les orcs abandonnèrent leur place et ce qu'ils avaient en main pour fuir sa fureur vers la plus proche sortie possible, le plus loin de cet ennemi qui paraissait encore plus terrible que le Seigneur de Guerre lui-même... La lionne poursuivit le carnage dans son coin, s'assurant qu'il ne resterait plus aucun guerrier d'Angmar, et les esclaves - une trentaine - purent être délivrés.

Ils furent effrayés par l'arrivée de Moriel et surtout de ses serviteurs magiques, mais furent aussitôt rassurés. Nourris et soignés, ils furent bientôt prêts à suivre leurs sauveteurs vers la liberté. Guidée par Moriel, la troupe remonta les cavernes jusqu'à celles le plus au nord, dont certaines qui firent ressurgir des souvenirs chez les aventuriers. Il fallut parfois s'arrêter pour encourager ou soigner encore certains esclaves, et Vif en prit plusieurs sur son dos. Après avoir traversé une zone inondée qui n'avait guère changé, les quarante silhouettes prirent le tunnel qui menait vers la sortie nord et que les aventuriers avaient déjà emprunté.

Lorsqu'une odeur d'air frais et chaud se fit sentir, ainsi que des bruits de vent et d'oiseaux, Drilun utilisa un sort pour sonder la présence plus ou moins proche de possibles ennemis. Il sentit qu'un humanoïde de poids moyen se tenait près de l'entrée, et quelques membres du groupe sortirent alors. Assis contre un rocher, un vieillard à la barbe grise, tenant un bâton, semblait les attendre. Une voix elfique l'interpela alors en sindarin, provenant d'un arbre où nulle silhouette ne pouvait être distinguée par des yeux normaux. Elle dit à peu près : "Une fois de plus, maître Mithrandir, vous aviez parfaitement raison !". Niemal descendit adroitement de son arbre, tandis que Gandalf se redressa pour accueillir les aventuriers et ceux qui les accompagnaient.

7 - Départs
Tandis que beaucoup se précipitaient dehors pour retrouver enfin la sensation du soleil et de l'air chaud sur la peau, les méfiants attendirent que Moriel passe devant eux. Mais elle était tout autant méfiante, et elle insista pour être la dernière à sortir. En fin de compte, de guerre lasse, tous sortirent, Moriel en dernier. Où elle fut accueillie par Gandalf, qui semblait l'attendre avec impatience. Tout de suite la petite sorcière rappela le contrat aux aventuriers, ce qui fit froncer les sourcils du magicien. Mais elle avait tenu parole, et Niemal put vérifier grâce à ses pouvoirs qu'elle disait la vérité quand elle prétendait vouloir fuir sans préparer quelque coup fourré.

Gandalf ne fut pas franchement ravi du tour qu'elle avait joué pour tenter de se tirer d'affaire. Il respecterait le vœu de Narmegil et de certains de ses compagnons, mais il avertit qu'il pourrait être amené à leur demander de l'aide ultérieurement, lorsque Moriel poserait problème. Et il prévint la sorcière qu'elle avait fait un terrible choix qu'elle regretterait probablement tôt ou tard, alors qu'il aurait pu l'aider. Les aventuriers se montrèrent ouverts à une aide future au magicien, sans s'engager fermement, sauf Narmegil : il déclara que pour sa part, et sans doute Isis, mal en point, les aventures étaient terminées ! Dès que possible, ils rentreraient s'occuper de leur famille et contribueraient au bien-être des peuples libres depuis chez eux.

Dès qu'ils furent sortis, Sîralassë soigna Taurgil du mieux qu'il put, mais il n'arriva pas à éliminer complètement les effets du sortilège jeté par Ardagor. Néanmoins, le rôdeur dúnadan commença à retrouver partiellement la mémoire de son passé, même si les émotions en étaient encore absentes. Rapidement, toute la troupe se dirigea vers le camp d'Arthedain et du prince Minastir, qui y était récemment revenu. En chemin, ce qui prit plus d'une journée vu les ex-esclaves à soigner et nourrir, Narmegil et ses amis racontèrent à Gandalf et Niemal ce qu'ils avaient vu à Creb Durga, avec des ajouts de Moriel elle-même, qui compléta ainsi les plans de la demeure d'Ardagor - ce qu'elle en connaissait, du moins.

En particulier, Moriel put détailler le processus de fabrication de l'or. Sur place, elle avait décrit les machines qui servaient pour cela : un four pour faire des lingots, un laminoir pour leur donner la bonne épaisseur, une autre machine pour découper les pièces, et une presse à balancier pour graver rapidement et avec une très bonne qualité les pièces comme si elles venaient d'Arthedain, grâce à des moules contrefaits. Toutes ces techniques semblaient avoir été empruntées aux nains par Angmar, et avaient permis à Ardagor d'être à la tête d'un véritable trésor. Cela lui avait bien servi pour corrompre et acheter ce qu'il lui fallait, mercenaires compris.

Le camp de Minastir fut enfin atteint, à la plus grande joie des humains tirés de l'esclavage de Creb Durga. Plus tard ils seraient amenés à la ville d'Edirey, toute proche, où certains resteraient tandis que d'autres rejoindraient leur foyer d'origine ou ce qu'il en restait. Au camp d'Arthedain, tous purent se reposer, et en particulier Isis, dont l'état commença à s'améliorer, malgré la gravité de ses blessures. Mais elle resterait là jusqu'à sa guérison, et ensuite elle reviendrait à Imladris avec son époux pour retrouver enfin leur fille qu'ils n'avaient pas vue depuis des mois. La page était tournée pour elle, et sa décision était définitive.

Après un bon repos, Moriel prit congé et quitta la première tout ce beau monde. Elle obtint un poney pour ses déplacements et des vivres pour quelques jours, et elle s'en alla sans montrer d'inquiétude malgré son apparente fragilité dans ce monde violent. Dans ses derniers échanges avec les aventuriers, elle n'écarta pas l'idée qu'ils se revoient un jour, à condition qu'ils puissent la retrouver... En attendant que Taurgil reprenne tous ses esprits, elle lui commanda d'obéir aux ordres de Sîralassë, qui accepta cette petite charge. Au moment où elle s'éloignait, elle eut une phrase cryptique concernant le Dúnadan. Phrase qui disait plus ou moins que lorsque Taurgil poserait la question, il faudrait lui dire que la réponse était "oui". Mais elle ne précisa pas quelle était la question...

8 - Or et magie
Mais Ardagor était encore là avec quelques trolls, sans parler de nombreux orcs et sans doute encore des esclaves à libérer. En revanche, il ne devait plus rester beaucoup d'hommes d'Angmar, hormis les orpailleurs qui n'étaient pas franchement de grands guerriers sanguinaires. Néanmoins, Caran Carach était encore là-bas, et Moriel avait prévenu qu'Ardagor était un sorcier accompli qui avait de nombreux secrets, et il maîtrisait plusieurs formes de magie. Eru seul savait ce qu'il aurait le temps de préparer avant un éventuel retour des aventuriers...

Minastir discuta beaucoup de stratégie et de politique avec Gandalf et les héros du jour, dès leur arrivée en fait, avant même qu'ils aient eu le temps de prendre un repos complet. En effet, la présence des mines d'or l'inquiétait beaucoup, ainsi qu'une probable grande quantité d'or entre les mains d'Ardagor. Creb Durga était au carrefour de quatre principautés ou baronnies du Cardolan, et les mines d'or pouvaient semer la zizanie voire la guerre de manière presque aussi efficace que le Seigneur de Guerre lui-même. Sans doute qu'en définitive elles ne pourraient jamais être utilisées, car il resterait toujours des orcs pour empêcher les lieux d'être sûrs, mais un tas d'or pouvait facilement tourner la tête de certains... Et vu la taille des cavernes, il paraissait irréalisable de les condamner toutes.

Après réflexion, il semblait que ces mines d'or restaient encore un secret. Les esclaves ramenés n'avaient pas conscience de ce qu'ils avaient fait, ils auraient pu tout aussi bien croire que tout cela faisait partie d'une quelconque sorcellerie d'Ardagor. Même si le bruit de mines d'or venait à se répandre, cela ne resterait qu'une rumeur que sans doute personne ne chercherait à éclaircir vu la situation. Sauf si des tas d'or et des machines perfectionnées étaient trouvées... Il faudrait donc, si c'était possible, escamoter tout l'or présent chez Ardagor - ou en tout cas l'essentiel - avant que les seigneurs du Cardolan ne mettent la main dessus.

Des aventuriers suggérèrent que l'or soit récupéré par l'Arthedain, ce qui lui servirait bien dans son combat contre Angmar. Minastir fut touché de la proposition, qui ne le laissait pas de marbre mais soulevait de nombreux espoirs en lui. Restait à régler son compte à Ardagor et mettre la main sur son trésor, ce qui ne serait pas une partie de plaisir. Toutes les bonnes volontés seraient les bienvenues, sachant que le Cardolan devait être tenu à l'écart de tout cela. Narmegil accepta de participer une dernière fois, il tenait à tuer Ardagor, cette marionnette d'Angmar, de ses propres mains.

Minastir décida qu'il viendrait avec une cinquantaine de ses hommes. Gandalf participerait aussi, non pour nettoyer de l'orc ou du troll mais pour s'assurer qu'Ardagor ne fuirait pas. Et il était aussi à l'affût de Tina, qui rôdait dans les parages. Les autres seigneurs du Cardolan seraient prévenus pour que leurs armées puissent encercler Creb Durga, mais ce seraient les armées d'Arthedain et les aventuriers qui donneraient l'assaut. Encore fallait-il décider comment. D'une part les ressources d'Ardagor étaient sans doute loin d'être toutes épuisées, d'autre part il tenait en otage Olorní, la sœur de Sîralassë. Quelle route prendre et quelle tactique adopter ? Tout restait à décider.
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Warlord - 17e partie : sorcellerie et magie noire

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1 - Plan d'action
Après une bonne nuit de sommeil, la matinée fut vaquée aux préparatifs de l'assaut. Les derniers détails furent mis au point aux premières heures, permettant au prince Minastir de donner les ordres nécessaires, de préparer les messages à l'attention des princes et barons du Cardolan, etc. Le camp allait prochainement se vider, pour ne laisser que le minimum vital : le tiers des hommes resterait sur place à garder le camp, s'occuper des bêtes, ou à patrouiller les environs proches. Soit une cinquantaine d'hommes d'Arthedain. A cela il fallait ajouter Niemal, qui resterait au camp pour veiller sur Isis. Il enverrait tout de même des oiseaux espions pour le tenir au courant de l'évolution de la situation à Creb Durga.

Un tiers des hommes viendrait avec Minastir, à pied jusqu'au sommet de Creb Durga. Narmegil et ses amis les accompagneraient, et le voyage devrait durer une journée. Après discussion, il fut décidé de franchir la rivière par le nord, puis de suivre son cours et la gorge qu'elle traversait vers le sud, avant d'obliquer vers Creb Durga lorsque la troupe serait à proximité des hauteurs. Mithrandir serait aussi du voyage, mais il précisa qu'il ne participerait pas au combat, même s'il était susceptible d'intervenir, néanmoins. Il faisait confiance aux aventuriers pour régler son compte à Ardagor, mais lui pêchait un autre poisson, avec l'aide des fils d'Elrond.

En parallèle, les derniers hommes de Minastir, tous à cheval, patrouilleraient les environs proches de Creb Durga avant même l'arrivée de leur chef et de ses amis. Ils transporteraient aussi le plus gros du matériel afin d'alléger les marcheurs et leur permettre d'avancer plus vite. Ils resteraient en limite de la zone des marais, que les chevaux appréciaient peu, mais ils seraient susceptibles d'intervenir assez vite au besoin. Et les montures, une fois la barrière marécageuse franchie, pourraient être une aide précieuse pour embarquer blessés ou équipement lourd ou précieux.

A côté de ça, des messagers furent envoyés à l'attention de leurs alliés du Cardolan, afin de les mettre au courant de la tournure des événements et de leur demander de faire venir leurs troupes. Mais pas trop vite néanmoins : Minastir donna des consignes claires aux cavaliers, afin que les messages arrivent au moment où les choses se termineraient. Ainsi, il espérait pouvoir escamoter l'or d'Ardagor et éviter qu'il ne soit le prétexte à une guerre entre alliés. Il justifiait sa hâte, dans son message, par la nouvelle d'un otage important entre les mains du Seigneur de Guerre, otage dont les jours étaient menacés, ce qui excluait une préparation trop longue. Ce qui était effectivement le cas, et la présence du soigneur noldo qui rongeait son frein ne permettait pas de l'oublier.

Après un dernier repas chaud à midi, les hommes prirent leur matériel (Vif n'en avait pour ainsi dire pas, sous sa forme féline) et Narmegil fit ses adieux à son épouse. Niemal arriva juste avant le départ pour dire que ses oiseaux avaient vu des humains - une demi-douzaine - fuir par l'entrée orientale des souterrains. Puis la troupe se dirigea vers l'est, afin de franchir la rivière Eunreth au nord de Creb Durga. En chemin, les aventuriers décidèrent de leur tactique. Suivant la suggestion de Geralt, ils iraient voir une supposée entrée secrète au fond d'un puits. L'idée était de profiter de l'attaque frontale des hommes de Minastir pour envahir discrètement Creb Durga par là. Et si possible surprendre l'ennemi.

2 - Approche
L'après-midi se passa sans incident, et la rivière put être franchie sans mal, la troupe bénéficiant des conseils éclairés des aventuriers qui étaient déjà passés par là. Grâce à cela, les guerriers purent même avancer un peu vers le sud et monter le camp à une demi-douzaine de miles seulement (~10 km) du quartier général d'Ardagor. Tandis que Sîralassë et Vif partaient chercher quelques herbes ou autres ingrédients utiles dans les bois, rochers et cours d'eau, les hommes d'Arthedain montèrent un camp sommaire mais néanmoins légèrement fortifié, ainsi que des tentes amenées par des collègues à cheval.

Le soigneur et la féline Femme des Bois virent leurs recherches couronnées de succès. Entre autres choses, ils avaient réussi à repérer une espèce très rare de vipère dont la glande à venin, une fois séchée, pouvait se révéler un remède miraculeux. Les bestioles étaient difficiles à surprendre et attraper - sans parler de leur poison - mais la lionne avait pu se faufiler jusqu'aux reptiles sans éveiller leur méfiance, puis elle avait bondit et les avait écrasés sous son poids. Le reste de la soirée et de la nuit n'avaient pas apporté d'incident notable, et le lendemain, tous se levèrent frais et dispos, motivés pour voir la tête d'Ardagor sur une pique avant la fin de la journée.

Cela dit, la présence du Seigneur de Guerre se faisait sentir. Non seulement le ciel était gris et lourd, presque menaçant, mais des bandes de corvidés les suivaient dans le ciel, au-delà de portée de flèche, croassant et allant et venant sans cesse au-dessus d'eux ou en direction de Creb Durga. Très certainement il s'agissait là de crebain enchantés qui rapportaient à leur maître l'arrivée de ses ennemis. De toute manière, l'élément de surprise n'était pas recherché, du moins pas encore. Les gorges de l'Eunreth furent laissées en arrière et la troupe se rapprocha des hauteurs de Creb Durga, après le passage plus ou moins aisé d'une zone marécageuse à l'endroit jugé le plus aisé pour des hommes lourdement chargés.

Un moment, Mithrandir demanda un temps d'arrêt, et il émit un long sifflement puissant, étonnant dans la bouche d'un vieillard tel que lui, ou qui en avait l'apparence en tout cas. Elladan et Elrohir, les fils d'Elrond, apparurent bientôt et donnèrent quelques nouvelles. Pendant les quelques jours depuis lesquels les aventuriers étaient partis, ils avaient entendu de nombreux cris de souffrance et de mort venir des cavernes de Creb Durga, même à travers la roche qui protégeait le Seigneur de Guerre et ses serviteurs. Et ils avaient senti de la magie, ce qui fut confirmé par le magicien : Ardagor avait dû user de sinistres rituels pour préparer le terrain à l'attention de Narmegil et de ses compagnons. Sinon, Caran Carach et Tina/Tevildo rôdaient tous deux dans les parages, loin l'un de l'autre, et le premier ne semblait aucunement blessé.

Tous se rapprochèrent du puits, bien visible, qui n'était distant que de deux ou trois portées de flèche des hauteurs de Creb Durga et de l'entrée principale des cavernes. Des barreaux métalliques descendaient effectivement au fond, où un passage possible semblait se dessiner dans la paroi, comme si une portion pouvait pivoter. Vif et Geralt descendirent et confirmèrent la présence d'un passage secret, mais ils ne virent aucunement la manière de l'ouvrir. Les aventuriers se tournèrent alors vers Gandalf. Sa magie ne pouvait-elle faire quelque chose ?

Avec un soupir, le magicien empoigna les barreaux, son bâton à la main, et il descendit avec une vigueur étonnante pour un corps de vieillard. Arrivé au niveau de l'ouverture possible qui était en partie recouverte de l'eau du puits, il donna quelques coups de son bâton comme pour demander à entrer, puis sembla écouter. Il expliqua alors qu'un mécanisme bloquait l'ouverture du passage, et il ne pouvait être actionné de l'extérieur. Il se concentra néanmoins, et alors que Drilun et Sîralassë sentaient la magie affluer, le passage s'ouvrit brusquement et l'eau s'engouffra à flot dans l'ouverture, aussitôt suivie par Vif. Un nouveau passage vers Creb Durga venait de s'ouvrir à eux.

3 - Tête tranchée et magie noire
Mithrandir ressortit du puits pour laisser la place aux aventuriers, en leur souhaitant bonne chance. Minastir allait désormais lancer l'attaque sur Creb Durga, et le magicien et les fils d'Elrond allaient se mettre en quête de leur gibier, tout en gardant un œil pour être sûr qu'Ardagor ne s'enfuie pas. Les aventuriers descendirent tour à tour les barreaux métalliques jusqu'à l'ouverture du puits et la petite pièce inondée qui jouxtait le passage. Et la lionne qui les attendait. Ils étaient à nouveau seuls, avec Ardagor pas loin qui les attendait. Avant de venir, les derniers avaient vu les crebain se précipiter vers Creb Durga, donc leur maître serait bientôt au courant de leur arrivée. Il fallait faire vite.

L'intérieur de la pièce était dans une obscurité presque totale, mais l'aura elfique de Sîralassë et la lanterne de Geralt eurent vite fait d'éclairer le lieu. Narmegil et ses amis virent en effet qu'il aurait été bien difficile d'entrer : le passage de pierre était en fait bloqué par des barres métalliques à l'intérieur même du portail de pierre, barres actionnées par une grosse manivelle présente dans la pièce. De l'extérieur, seule une puissante magie pouvait venir à bout de ce mécanisme. Maintenant, il fallait en profiter.

La petite pièce était nue mais un boyau s'en détachait qui montait légèrement en direction du quartier général d'Ardagor. Les aventuriers eurent vite les pieds au sec, et plusieurs virent des traces manifestes de creusement récent : cette issue avait quelques mois ou quelques années au plus, mais sûrement pas quelques siècles. C'était un ajout récent d'Ardagor à ses fortifications. Lorsque le groupe eut progressé ce qui semblait une distance similaire à deux portées de flèches, il arriva au pied d'un escalier, que Geralt et Vif montèrent prudemment.

Ils redescendirent bientôt quémander de l'aide : de la magie était sûrement à l'œuvre plus haut. L'escalier donnait dans une petite pièce de quelques mètres de diamètre où aboutissaient trois escaliers qui y montaient tous. La pièce était couverte de signes bizarres tracés avec du sang et décorée avec des morceaux de tripes et parties de corps en début de putréfaction. Et au milieu de la pièce trônait la tête décapitée d'une femme qui aurait bien pu ressembler à la description que Sîralassë faisait de sa sœur. Deux torches éclairaient l'ensemble et malgré l'habitude de scènes sanglantes, les spectateurs devaient faire attention à maintenir leur estomac en place.

Toute l'équipe monta et accusa le coup, et le soigneur reconnut bien la tête d'Olorní, ce qui fit changer de couleur plusieurs fois son visage. Mais il sentit aussi de la magie, magie qui se concentrait dans la tête tranchée. Taurgil planta une flèche dedans, ce qui la renversa, sans autre effet notable. Narmegil essaya de briser les signes tracés avec du sang à l'aide de sa lance, sans que cela ait beaucoup d'effet sur un plan magique. En fin de compte, Geralt sortit sa corde et son grappin et essaya d'attraper la tête tranchée pour la ramener jusqu'à eux.

Il lui fallut de nombreux essais, car son grappin n'était pas le plus adapté pour s'accrocher à quelque chose de rond. Mais il finit par y arriver. Lorsque la tête quitta la pièce, elle se transforma instantanément : ce n'était plus que la tête d'un homme, qui faisait d'ailleurs penser à l'un des orpailleurs d'Ardagor. En revanche, ses yeux avaient été arrachés et remplacés par d'autres yeux fins, que Sîralassë reconnut tout de suite : c'étaient bien les yeux de sa sœur, et il sentit qu'en fait la magie était liée à lui : la tête aurait prononcé quelque chose dès le moment où il serait entré dans la pièce. Sans tête, la magie de la pièce s'étiola et finit par disparaître en quelques minutes. Le groupe put alors pénétrer dans cette caverne au carrefour de trois escaliers.

4 - Nettoyage et jonction
Depuis leur escalier, les aventuriers faisaient face à un autre escalier, tandis que le troisième courait sur leur droite. Un sort de Drilun lui annonça que la voie semblait barrée sur leur droite et il ne sentait personne, tandis que deux trolls les attendaient en face, mais que quelque chose bloquait sa perception magique au-delà des deux trolls. Vif, par l'intermédiaire du soigneur noldo, confirma qu'il y avait deux trolls dans une pièce proche devant eux, qui chuchotaient, mais elle en sentait et entendait d'autres un peu plus loin. Il lui semblait donc qu'on les attendait et qu'une embuscade se préparait.

Le magicien dunéen essaya un nouveau sort afin d'essayer de mieux percevoir les tunnels de Creb Durga. Il savait que sa magie n'était pas très efficace sur les cavernes artificielles, mais il espérait tout de même apprendre quelque chose. Et il ne fut pas déçu ! Ou bien il avait beaucoup progressé, ou bien le lieu était propice à la magie... ou alors il avait eu de la chance. Quoi qu'il en fût, il perçut l'intégralité du quartier général d'Ardagor, et put faire la jonction avec les plans et indications donnés par Moriel. L'escalier de droite aboutissait à une lourde porte de pierre qui donnait sur les quartiers humains décrits par la sorcière, tandis que celui en face amenait aux quartiers résidentiels d'Ardagor. Il arrivait même à sentir une pièce cachée derrière la probable demeure du Seigneur, et il comprit ce qui avait bloqué son précédent sort : un seuil d'un mètre, dans le sol, bloquait en partie les vibrations.

Que fallait-il faire, vers où fallait-il aller ? Le débat fut animé, alimenté par un élément nouveau apporté par Vif : droit devant, l'odeur de charnier était épouvantable, et une nouvelle magie était à craindre. Par ailleurs, elle commençait à entendre le bruit de l'attaque des troupes de Minastir et des coups de bélier et de hache sur une porte, au loin. En fin de compte, l'équipe choisit d'aller à droite et de rejoindre Minastir, afin plus tard d'affronter Ardagor à plus de cinquante plutôt qu'à quelques-uns. C'est donc l'escalier de droite qui fut pris.

Il aboutit à une lourde porte de pierre comme ils en avaient déjà rencontré, une porte pour trolls. Une grosse poignée était là, à laquelle fut attachée une corde que Vif tira, tandis que Taurgil et Narmegil, les plus costauds, tiraient de leur côté. La porte s'ouvrit sans mal sur une petite pièce que Taurgil reconnut : c'était là où il dormait auparavant, dans un coin. Des cloisons en bois étaient dressées pour délimiter des pièces pour les serviteurs importants d'Ardagor, comme la sorcière Moriel. Après un sort de Drilun qui permit de repérer à distance les adversaires présents, Geralt et Vif avancèrent discrètement jusqu'à l'ouverture en face. Au-delà, un troll regardait par une meurtrière, tandis qu'un autre faisait de même dans une pièce adjacente.

La lionne bondit dans le dos du troll le plus proche, vers sa tête. Tête qui tomba avant même le reste du corps. Geralt se précipita et prit par surprise le deuxième troll, et il trancha viscères et colonne vertébrale avant que le monstre ait pu réagir. Plus loin, deux autres monstres gardaient un carrefour, à faible distance de l'entrée où les troupes de Minastir continuaient à enfoncer des portes qui étaient sur le point de céder. Une fois de plus, les deux trolls n'eurent pas le temps de porter la moindre attaque et ils tombèrent, morts.

Les portes attaquées par les troupes de Minastir cédèrent au même moment. Mais la lionne, inquiète, se mit à feuler et rugir : elle avait senti une odeur bizarre, en plus des nombreux cadavres qui semblaient joncher le sol de l'entrée où les troupes d'Arthedain étaient sur le point d'entrer. Geralt se précipita, et il vit également, à distance, des signes de sang sous les cadavres. Il hurla à Minastir qu'il y avait un piège et qu'il ne fallait pas entrer, juste au moment où les premiers guerriers avançaient. Une étincelle s'alluma alors magiquement, et la pièce, chargée d'huile pour lanterne et d'autres combustibles, s'embrasa instantanément.

5 - Griffes et crocs, magie des bêtes et magie de l'esprit
Le feu était trop important pour que Drilun puisse l'éteindre ou le diminuer dans un premier temps, et d'après les cris, quelques hommes avaient été touchés. Tandis que le Dunéen partait fouiller les pièces traversées auparavant, Narmegil commença à attaquer les meurtrières à l'aide de sa lance afin de les élargir et permettre de laisser entrer du monde plus gros qu'un petit hobbit. D'autres se joignirent aux fouilles, et Taurgil annonça qu'il allait examiner l'escalier à l'odeur de charnier. Son idée était de surveiller que personne n'arrive et peut-être apprendre une ou deux choses en observant le charnier de plus près.

Il commença à monter l'escalier de pierre au-delà de la lourde porte de pierre restée ouverte, tous les sens aux aguets, quand son ouïe lui indiqua que des pattes semblaient se diriger discrètement dans sa direction. Il connaissait ce bruit, c'était celle du loup-garou en embuscade ! Il rebroussa chemin à reculons, quand brusquement les pattes s'accélérèrent devant lui, sans plus chercher à être discrètes : le loup-garou avait senti que sa proie l'avait repéré, et il arrivait à toute allure pour la croquer. Le Dúnadan du Rhudaur venait juste de passer la porte de pierre en reculant lorsqu'il aperçu le loup-garou qui lui bondissait dessus.

Vif n'était pas très loin et elle perçut immédiatement ce qu'il se passait. Elle bondit à son tour et arriva dans la pièce juste à temps pour voir sa Némésis s'attaquer au grand rôdeur. Ce dernier, par une manœuvre de parade désespérée de son bouclier et de son épée, parvint tout juste à bloquer la gueule du monstre à un pouce de son propre visage. Assez près pour pouvoir compter toutes les dents du loup ! En deux-trois bonds, la lionne arriva sur son ennemi juré, mais avec moins d'ardeur que la fois précédente. Elle ne tenait pas à refaire la même erreur que précédemment, elle savait que Caran Carach était plus fort qu'elle. Drilun arriva au même moment dans la pièce, arc et flèche à la main.

Taurgil recula encore, sur la défensive, mais le loup-garou ne s'intéressait plus à lui : il faisait face à la féline, les yeux brillants de haine. Canidé contre félin, la lutte promettait d'être belle. Mais elle fut en fait très brève. Car l'esprit de Tevildo fit en effet irruption dans la tête de Vif, pour qui le temps sembla ralentir. Comme pour Drilun auparavant, l'esprit des chats s'immisçait dans sa tête, à distance. Pas pour la même chose cette fois : Vif lui devait deux services, et il en exigeait un tout de suite : il voulait qu'elle se laisse utiliser comme vecteur d'une puissante magie. Tevildo voulait pénétrer l'esprit de Caran Carach afin d'en extirper de nombreux secrets qui l'intéressaient de plus en plus. Vif avait promis, elle n'avait pas le choix, elle se laissa donc faire.

Les yeux de la lionne se fixèrent à ceux du loup. Celui-ci n'attaqua pas, surpris et concentré afin de résister à cette influence magique. Il était conscient des alentours, de Drilun qui se plaçait et préparait sa flèche, des autres qui arrivaient plus loin. Il bougeait lui-même de façon à ne pas trop s'exposer, ce qui n'empêcha pas la flèche de l'archer dunéen de s'enfoncer dans une épaule. Le loup-garou poussa un jappement de douleur, puis il tourna les talons et s'enfonça dans l'escalier avant que Drilun, rageur, n'eut le temps de tirer une nouvelle flèche.

Vif, quant à elle, fut parcourue par de nombreuses pensées confuses auxquelles elle ne comprit pas grand-chose, hormis quelques bribes du passé du loup-garou à Dol Guldur, où une ombre sinistre demeurait. Mais elle sentit l'éclair de joie de Tevildo dans sa tête, joie et haine mêlées, à un niveau qu'elle n'avait jamais ressenti. Comme des sentiments vieux de plusieurs âges et plus vifs avec le temps. Elle vit son ennemi juré s'enfuir à toutes pattes, et elle comprit qu'elle n'arriverait pas à le rattraper. Pas cette fois-ci, mais le temps viendrait bien, tôt ou tard. Elle regrettait aussi de n'avoir pas tout saisi de ce qui était passé à travers son esprit, et qui aurait certainement bien servi à ses compagnons et elle, voire à l'ensemble des peuples libres. Qui sait si Tevildo ne savait pas à présent l'identité du Nécromancien de Dol Guldur ?

6 - Charnier et nécromancie
Après cet épisode ayant enseigné à Taurgil les bienfaits d'une action concertée plutôt qu'une action individuelle, le feu dans l'entrée finit par s'éteindre et Narmegil put terminer d'élargir les ouvertures vers l'extérieur. Le prince Minastir et ses hommes arrivèrent enfin. Le prince avait été légèrement blessé par le feu, mais le cri de Geralt l'’avait prévenu juste à temps, sans quoi il aurait été bien plus brûlé, comme deux de ses hommes qui n'avaient pas pu reculer assez vite. L'un en particulier était grièvement blessé, mais les talents magiques de Sîralassë stabilisèrent sa condition. L'homme était costaud, le soigneur estima qu'il s'en sortirait. Mais il resterait défiguré à vie par les brûlures qu'il avait subies.

La fouille des pièces n'avait pas apporté grand-chose : pratiquement tout ce qui avait pu avoir de la valeur ou une utilité semblait avoir été enlevé ou utilisé. Tout au plus Drilun trouva-t-il l'origine de la clef qu'il avait trouvée dans les déchets des trolls : c'était celle d'un coffre de menues babioles de valeur, coffre resté ouvert. Son propriétaire troll avait dû perdre la clef en se soulageant... L'équipe reprit alors l'escalier menant aux quartiers d'Ardagor, après avoir mis Minastir et ses hommes au courant. Arrivés au carrefour des trois escaliers, suivis de près par les troupes d'Arthedain, les aventuriers prirent le dernier escalier encore inconnu, sur leur droite. Là encore, Vif et Geralt partirent en avant, en bons éclaireurs chargés de déminer le terrain à venir. Et ils ne furent pas déçus, tant le charnier sur lequel ils tombèrent avait de quoi inquiéter, sans parler de retourner l'estomac...

Une vaste caverne d'une vingtaine de mètres de long était bourrée de dizaines et dizaines de cadavres. Ces derniers avaient été éventrés, défigurés, énucléés, et leurs entrailles avaient entre autres servi à décorer les murs, à moins que cela ne fît partie d'un sombre rituel de magie noire. Sans parler du début de putréfaction qui gagnait ces restes... Également, le sang des victimes - surtout des orcs, mais des corps d'hommes voire de femmes étaient présents - semblait avoir servi pour des tracés bizarres sur le sol, en grande partie recouverts par les corps. Le reste de l'équipe fut amenée, et Sîralassë confirma la présence de magie noire. Tous imaginèrent trop bien les corps morts revenir à la vie au cas où l'un d'eux voudrait traverser. Avec un soupir, Geralt reprit son grappin et sa corde et commença à faire le fossoyeur, tandis que des hommes d'Arthedain allaient fabriquer un autre grappin avec ce qu'ils trouveraient.

La tâche commença, longue et fastidieuse. Le soigneur noldo sentit que les corps, une fois sortis de la pièce, perdaient leur aura de magie de mort rapidement, et devenaient de simples cadavres. Mais tout cela paraissait trop long pour Narmegil, qui finit par entrer dans la pièce, au grand dam de ses compagnons. La pièce fut alors parcourue d'un frisson et les cadavres remuèrent, avant de tenter de s'agripper au noble Dúnadan. Ce dernier, bientôt aidé, repoussa les morts-vivants et tâcha de briser leur corps ou de leur apporter la paix avec la magie des soins. Geralt découvrit vite que les corps étaient lents et pouvaient facilement être renversés à l'aide d'une corde, et emportés en dehors de la pièce ou soignés par Sîralassë. Après beaucoup de fatigue, de peur et d'estomacs vidés, le calme finit par revenir dans la salle sans que personne n'ait été blessé ou étouffé par les corps animés.

D'après les sens de Vif, il n'y avait plus aucun troll dans la pièce, mais un groupe de ces créatures devait se tenir non loin sur la gauche, dans une caverne adjacente que l'on pouvait sans doute atteindre par un boyau qui s'enfonçait dans cette direction. De l'autre côté, vers la droite, une petite pièce annexe était remplie par une cuisinière à bois et tout ce qu'il fallait pour remplir un estomac délicat. La taille et la qualité des plats et ustensiles dénotait non pas les goûts d'un troll, mais plutôt ceux de quelqu'un de raffiné, comme on pouvait rencontrer à la cour des rois. Manifestement, cette cuisine devait servir à l'usage exclusif d'Ardagor. Restait toujours à trouver le sorcier.

7 - Le dernier bastion
Le boyau sur la gauche amenait à un carrefour, juste après le franchissement d'un dénivelé brutal d'un mètre de haut vers le bas. En face/à droite, l'ouverture donnait sur un long corridor qui amenait à plusieurs pièces. Selon Drilun, les quartiers d'Ardagor devaient être par là, et il sentait magiquement les présences de trois personnes dans la pièce la plus éloignée : un grand et lourd troll de guerre, sans doute un capitaine ; une personne de dimension humaine, probablement Olorní ; et une personne de poids intermédiaire, qui devait être Ardagor. A gauche, l'ouverture faisait un coude qui débouchait sur une vaste pièce où résidaient six trolls. L'entrée était barricadée par des débris et une table, et la première personne à passer le nez serait sous le feu croisé des six monstres, dont deux se tenaient de chaque côté de l'ouverture, prêts à prendre des intrus par surprise.

Aller vers les quartiers d'Ardagor signifiait avoir des trolls dans son dos, ou à tout le moins maintenir une force suffisante pour les empêcher de passer. S'attaquer aux trolls avant d'aller voir le Seigneur de Guerre paraissait problématique : si Vif pouvait espérer passer les deux premiers trolls avant qu'ils ne puissent tenter de lui porter un coup, elle se voyait assez mal jouer au chat et à la souris avec les quatre autres le temps que ses amis interviennent. D'autant qu'il leur faudrait escalader la barricade, moment où ils seraient particulièrement vulnérables à des attaques au contact voire à distance. Les avis étaient partagés, et du temps fut occupé à discuter de la chose, au grand dam de ceux pour qui le sentiment d'urgence ne faisait que croître.

En fin de compte, s'occuper d'Ardagor passa en priorité. Mais pour éviter les mauvaises surprises, il fut décidé que le coude qui menait à la caverne aux trolls serait en partie obstrué et gardé. Tandis que des grands guerriers comme Minastir et Narmegil bloquaient le passage, pour ne rien dire des troupes de l'armée d'Arthedain juste derrière, du bois fut récupéré - à partir des cloisons qui divisaient certaines pièces, entre autres - et entreposé dans le passage. L'huile à lanterne que les troupes de Minastir avaient emportée fut déversée sur le bois, prêt à s'enflammer à la moindre torche lancée. Entre l'armée d'Arthedain, dont certains équipés de lances, et le brasier potentiel, la question des trolls fut momentanément considérée comme réglée.

Pendant ce temps, les aventuriers avaient pu avancer dans le couloir qui menait aux quartiers d'Ardagor. Ils avaient remarqué qu'une odeur de brûlé flottait dans l'air, sans parler d'un peu de fumée. Après avoir laissé sur leur droite une ancienne salle de garde désertée, Narmegil et ses amis arrivèrent à une porte en bois cerclé de fer, d'où venait la fumée. L'intérieur contenait les restes d'un bureau-bibliothèque dont une partie achevait de se consumer. Si Drilun, grâce à ses pouvoirs, put très vite étouffer les flammes restantes, il ne put que constater les dégâts : de nombreux grimoires et parchemins étaient illisibles. Il arriva à déchiffrer des mots en noirparler, la langue des officiers orcs et trolls ou des sorciers, mais il ne restait pas grand-chose de récupérable. Il lui sembla que ce qui avait brûlé pouvait être séparé en deux tas : des grimoires décrivant de maléfiques rituels d'une part, et des notes et rapports sur les activités et espions du Cardolan. Heureusement, le manque d'air avait empêché que tout ne soit réduit à l'état de cendres, mais il faudrait du temps avant de pouvoir tirer de maigres renseignements de tout cela.

Alors que la caverne aux trolls semblait bien bloquée, l'équipe, accompagnée de Minastir, s'approcha de l'extrémité du couloir. Sîralassë était en tête, qui ne supportait plus d'attendre en pensant à sa sœur toute proche. Une lourde porte de pierre, comme celles qu'utilisaient les trolls, bloquait le passage et marquait la probable entrée des quartiers privés d'Ardagor. La porte semblait devoir se pousser, mais les efforts de Vif, Taurgil et Narmegil combinés n'avancèrent à rien. Quelque chose devait la bloquer. Un coup de la lance elfique du noble Dúnadan ne la brisa pas plus qu'il n'avait réussi à briser les autres. Des hommes d'Arthedain vinrent avec un madrier pour la défoncer, mais leurs efforts semblèrent vains. De rage, Sîralassë hurla après Ardagor. Ses cris ne restèrent pas sans réponse...

8 - Torture et magie noire
Une voix suave et habile répondit au soigneur qu'il - Ardagor - était bien là, accompagné d'Olorní. Le sorcier était tout à fait prêt à ouvrir à Sîralassë... à condition qu'il soit le seul à entrer. Les quelques échanges qu'il put y avoir se révélèrent totalement infructueux : le Seigneur de Guerre ne faisait que jouer avec les mots et surtout avec les sentiments des aventuriers. Il était très doué pour souffler peur, fureur et autres sentiments négatifs. En tout cas, il ne semblait pas prêt à la moindre concession et il ne paraissait pas croire une seconde à la possibilité de pouvoir partir sain et sauf. Peut-être espérait-il tuer quelques personnes importantes pour mériter le pardon du roi-sorcier d'Angmar pour son échec ?

La porte restant un obstacle infranchissable, il fallait la démolir. Armé de sa lance elfique, Narmegil recommença à la frapper, pour enlever moreau après morceau. Il y passerait le temps qu'il y fallait, mais sa lance était plus solide que la pierre ! Le sorcier répondit par une vague de magie comme ses adversaires n'avaient jamais connu : sa voix se fit dure, mordante et menaçante comme si le roi-sorcier d'Angmar lui-même était là. Une vague de peur et de désespoir balaya les plus proches aventuriers de l'autre côté de la porte. Narmegil, Sîralassë et Vif résistèrent grâce à leur magie, la force de leur volonté ou la protection conférée par les anneaux ou collier que Drilun avait confectionnés. Geralt mouilla son pantalon, par contre, et il aurait voulu trouver un trou pour pouvoir s'y cacher. Quant à Drilun, il fit plus que mouiller ses braies, et lui non plus ne désira plus rien d'autre que se cacher pour mourir...

Après que Narmegil et Sîralassë eurent soigné leurs amis à l'aide de leur magie - heureusement ils n'avaient pas été trop affectés - le noble Dúnadan reprit sa besogne. Ardagor prévint alors qu'il rendrait coup pour coup... sur la personne de la sœur du soigneur. Et effectivement, pour chaque coup de lance, il brisa un os du corps de l'elfe prisonnière, qui se mit à hurler de douleur. Écœurés, certains membres de l'équipe s'éloignèrent pour ne plus entendre cela, Geralt en tête. Narmegil continua néanmoins, approuvé par Sîralassë qui restait là sans flancher. Lorsque Olorní n'émit plus aucun son, sans doute vaincue par la douleur, le sorcier produisit de nouveaux bruits, suivis par la description détaillée de la partie du corps qu'il venait de tordre ou d'arracher à sa captive : un doigt, un autre doigt, le poignet, l'avant-bras...

Cette fois-ci, le Dúnadan arrêta de frapper la porte de sa lance. Un rapide conciliabule pointa la seule solution qui leur restait : le magicien. Vif se précipita à l'extérieur pour retrouver Mithrandir et lui demander de l'aide. Elle finit par le retrouver dans les collines de Creb Durga, avec les fils d'Elrond. Elle apprendrait plus tard que Tina/Tevildo leur avait filé entre les doigts, ce dont Caran Carach avait profité pour en faire autant. Ils revenaient de remonter les traces du loup-garou, mais ce dernier était déjà trop loin. Comprenant que sa présence était désirée, le magicien suivit la lionne jusqu'à l'entrée de la demeure d'Ardagor. A sa venue, le sorcier, qui continuait à jouer avec les nerfs de ses interlocuteurs, très fier de lui, demeura tout d'un coup silencieux.

Le magicien frappa la porte du bout de son bâton, et il expliqua qu'elle ne pourrait être ouverte, elle était trop bien bloquée. Mais il n'était pas impossible de la briser, elle ou ses gonds, néanmoins. Il conseilla aux aventuriers ou aux hommes d'Arthedain de se couvrir les yeux, et une lumière aveuglante envahit le boyau. Certains entendirent même le magicien prononcer "Edro" ("ouvre-toi") d'une voix singulière. Dans tous les cas, le résultat fut à la hauteur des espérances : la porte bascula en arrière, ses gonds arrachés de la pierre. Les aventuriers se ruèrent à l'intérieur. A droite, un passage semblait mener à une pièce isolée et sans vie, malgré une odeur écœurante de sang ; à gauche en revanche, de la lumière et du bruit trahissaient la présence de plusieurs personnes : dans une chambre de luxe, un troll habillé de mailles se tenait sur la droite, prêt au combat. Sur la gauche se tenait Ardagor, armé d'une grande épée d'une main, avec le corps d'une elfe ensanglantée dans l'autre, comme un bouclier improvisé. Vif ne l'entendait pas respirer. Des armes dégoulinaient une substance huileuse...

Geralt, premier à s'élancer, se sentit soudain tomber dans des sables mouvants - comme ceux aux alentours de Tharbad - au fond desquels des mains crochues l’agrippaient. Toutes ses précédentes victimes le réclamaient... Narmegil, en entrant dans la pièce, fut lui assailli par un déluge de feu, tandis qu'il entendait les cris de sa famille et de ses amis. Eldanar ("feu elfique"), nom de sa famille, prenait son dû à ceux qui avaient emprunté son nom. Vif, consciente de la présence de signes cabalistiques au sol, essaya de sauter par-dessus. Mais alors qu'elle volait dans les airs, elle vit une tête de loup gigantesque s'ouvrir devant elle et s'apprêter à l'avaler. Sîralassë s'avança à son tour, quand un vortex s'ouvrit devant lui, d'où sortirent de nombreux bras prêts à le happer. C'étaient ceux de sa famille, prisonnière des cavernes de Mandos, et de tous ceux qu'ils avaient entraînés dans la souffrance et la mort, sans pardon possible des Valar ; et il allait les rejoindre !

Drilun, qui s'était retenu d'entrer, comme Mithrandir, vit ses amis lutter... et passer. Toujours grâce à leur magie, leur volonté ou ses babioles magiques qu'il leur avait préparées pour cette occasion, ils avaient réussi à rejeter le puissant cauchemar éveillé dans lequel Ardagor avait voulu les faire tomber. Un petit coude dans le passage de gauche ne lui permettait malheureusement pas d'avoir une vue claire d'Ardagor, il le devinait plus qu'il ne le voyait. Certains de ses amis semblaient se précipiter sur lui, les autres se dirigeant sans doute vers le capitaine troll. Ils allaient bientôt porter le combat sur les moelleux tapis qui occupaient la pièce à une certaine distance. Pièce qui semblait pleine de magie.
Modifié en dernier par Niemal le 06 septembre 2012, 10:52, modifié 4 fois.
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Warlord - 18e partie : retour au foyer

Message non lu par Niemal »

1 - Un goût d'enfer...
Vif se rendit vite compte que les tapis en question cachaient quelque chose : ses sens exercés ne pouvaient s'empêcher de remarquer qu'ils avaient été déplacés récemment, et des traces sanguinolentes et récentes se voyaient çà et là, pour ne rien dire de l'odeur que son nez félin percevait. Elle ralentit et commença à feuler pour prévenir ses compagnons du danger, s'arrêtant avant les tapis. Mais Geralt et Narmegil n'avaient pas ses sens, et ils étaient obnubilés par l'adversaire qui se dressait devant eux : l'assassin fonçait vers Ardagor avec la sœur de Sîralassë à un bras et un espadon dans l'autre, tandis que le Dúnadan courait vers le capitaine des trolls équipé d'un pavois, d'une cotte de mailles et d'un énorme gourdin hérissé de pointes diverses. Les deux armes dégoulinaient d'une substance huileuse - très probablement un poison violent...

Au moment où Geralt marcha sur le tapis, un mur de flammes de plusieurs mètres d'épaisseur se leva juste devant Ardagor et le troll. Il était trop tard pour reculer, Geralt était de toute manière déjà dans les flammes. Il accéléra encore pour franchir le feu magique sans devenir une torche vivante, tout en remerciant d'une pensée ceux qui avaient permis qu'il porte une armure de peau de dragon, qui le protégeait efficacement. Il sortit des flammes les cheveux roussis et la peau rouge et douloureuse par endroits, les vêtements fumants, mais vivant et sans réelle brûlure. De son côté, Narmegil ne ralentit pas non plus, confiant dans sa cotte de mailles de mithril et sa robuste constitution. Lui aussi émergea des flammes avec une odeur de porc grillé, mais sans brûlure plus conséquente que celle de son ami.

Vif, quant à elle, avait repéré un espace entre les deux adversaires, à présent en bonne partie masqués par les flammes. Elle bondit dans cette direction, droit dans le mur incandescent, confiante dans sa forme féline magique. Elle aussi s'en tira sans grand mal, et elle passa entre Ardagor et le troll, tous deux occupés. Si Narmegil avait réussi à blesser le troll et à l'étourdir, Geralt n'en menait pas large : juste en sortant des flammes, il avait heurté une table invisible qui s'était renversée - et lui avec - juste aux pieds d'Ardagor. Assis par terre, il avait pu dresser le bouclier et l'épée prêtés par Drilun, lui sauvant probablement la vie. Mais ce ne fut pas suffisant pour empêcher Ardagor de le blesser. Un froid mortel envahit son corps et surtout son esprit, tandis qu'en même temps la brûlure d'un poison s'infiltrait dans ses veines. Terrassé par la magie noire et la douleur, il se roula par terre en hurlant et en cherchant à mourir au plus vite...

Derrière le mur de flammes, Sîralassë s'était arrêté, impuissant, tandis que plus loin, Drilun essayait de combattre le feu avec sa propre magie... sans effet. Le sort était trop puissant pour lui, il n'arrivait pas à baisser ou faire refluer les flammes. Gandalf, quant à lui, s'avança dans la pièce. Il ne parut aucunement affecté par les runes marquées au sol qui avaient fait surgir un terrible cauchemar dans la tête des aventuriers déjà passés. Il s'approcha du mur de feu, le bâton levé, et recommanda à tous de se protéger les yeux. Un éclair aveuglant emplit toute la pièce, et lorsque l'elfe noldo rouvrit les yeux, les flammes avaient disparu.

Entretemps, Taurgil était entré à la suite du magicien. Brusquement sa vision avait changé : il était au château de sa famille, Minas Brethil, et restauré ! Mais la demeure était occupée par des orcs, des Hommes de Collines ou des gens d'Ermegil, et même le roi-sorcier d'Angmar qui s'approchait de lui. Il se rendit compte alors qu'il était attaché, prisonnier, et soudain il fut l'objet d'effroyables tortures qui le firent hurler de douleur. Drilun voyait ce grand Dúnadan costaud à terre, hors de sa portée, et semblant souffrir mille morts. Vite, il prit un tissu pour commencer à effacer les runes magiques à terre, qui avaient été simplement dessinées avec du sang frais. Il vit alors le prince Minastir avancer d'un pas ferme vers Taurgil, sur les runes sanguinolentes.

2 - Un, deux, trois morts
Le prince cadet d'Arthedain paraissait, aux yeux du Dunéen, d'un grand charisme et d'une maîtrise de lui totale. Ce qui n'était pas sans rappeler Narmegil et la magie qu'il pratiquait, réservée aux familles royales ou aux personnes destinées à un destin exceptionnel. En tout cas, le prince sembla résister au cauchemar que la sorcellerie qu'il foulait faisait naître en lui, et il en sortit Taurgil. Ce dernier resta un moment par terre, épuisé et tremblant, mais encore conscient. Petit à petit, il recouvrait ses perceptions de la présente réalité.

Cette dernière évoluait vite, même si un coude empêchait Drilun de s'en assurer. Il y avait eu un moment de silence lorsque l'éclair de Mithrandir avait aveuglé les combattants présents. Narmegil et le capitaine des trolls étaient restés inactif un petit moment, mais ils s'étaient repris en même temps. Pour Geralt, cela n'avait pas changé grand-chose, le poison brûlait son corps et la magie noire lui avait pris presque toutes ses ressources. Du coup, Ardagor avait pu faire face à Vif. Aveuglée elle aussi, comme son adversaire, elle avait utilisé ses sens félins du toucher, coussinets et vibrisses, pour se glisser à tâtons sur le côté gauche du sorcier. Lorsque la vue leur revinrent à tous deux, il fallut quelques secondes à Ardagor pour la retrouver. Quelques secondes qui suffirent à la lionne pour se ruer sur le flanc de son adversaire.

La patte du félin déchira la veste de cuir d'Ardagor et ses griffes s'enfoncèrent profondément, détruisant au passage quelques organes vitaux. Quand Sîralassë vit le sorcier encore plus grand que lui tomber en lâchant le corps inerte de sa sœur, il se précipita vers cette dernière. Vif s'assura de la mort de leur ennemi en tranchant sa tête avec ses grandes griffes, puis elle alla aider Narmegil. Ce dernier maintenait le capitaine des trolls sur la défensive, le blessant petit à petit sans faire de blessure vraiment grave. L'aide de la lionne permit de terminer ce combat à l'issue inévitable plus rapidement. Les maîtres de Creb Durga n'étaient plus, Angmar venait de perdre quelques serviteurs de plus...

Le soigneur du groupe mit toute sa magie pour essayer de redonner un souffle de vie dans le corps de sa sœur. Vif avait perçu depuis un moment qu'elle ne respirait plus, mais la mort était très récente, peut-être y avait-il un espoir ? Mais ses efforts furent vains. Le corps avait été torturé et martyrisé au-delà du supportable, et l'âme d'Olorní avait déjà quitté cette dépouille pour les cavernes de Mandos, où elle attendrait éternellement. Elle ne connaîtrait jamais Valinor, les Valar ayant interdit tout retour là-bas à la famille de Fëanor et à ses descendants, dont elle était, comme lui...

Minastir commençait alors à s'occuper de Geralt, qui souffrait mille morts, et le soigneur vint le rejoindre. Si sa magie avait été impuissante à faire revenir sa sœur, elle fut par contre suffisante pour empêcher l'assassin de partir. Bientôt le poison dans ses veines disparut, et la magie noire dont il avait été l'objet ne fut plus qu'un mauvais souvenir. A nouveau il voulait vivre ! Mais s'il était conscient, il était dans un tel état qu'il ne pouvait ou voulait faire rien d'autre que se reposer. Sa faiblesse était telle que sa guérison risquait d'être à tout le moins longue et difficile, si même il arrivait à la surmonter. Mais il avait confiance dans les capacités de son ami à le remettre sur pied au plus vite.

3 - Fouille
Tandis que Drilun achevait de détruire l'œuvre de sorcellerie à l'entrée des quartiers d'Ardagor, Minastir se dépêcha de retourner voir ses hommes. Ils surveillaient toujours l'entrée de la caverne où six trolls s'étaient réfugiés, mais ces derniers n'avaient pas bronché. Ils étaient difficilement délogeables, mais ils étaient assez intelligents pour reconnaître qu'une sortie scellerait leur fin. Dans la chambre d'Ardagor, pendant ce temps, les curieux se pressaient autour du corps d'Ardagor, toujours recouvert par un casque qui lui couvrait tout le visage. Qu'est-ce que ce casque pouvait bien cacher ? Le sorcier ressemblait à un très grand et très costaud Dúnadan, mais qui était-il en vérité ?

Le casque une fois retiré laissa voir un visage hideux, aussi laid que celui d'un troll. Autant le corps était musclé et bien proportionné, autant la tête d'Ardagor inspirait le dégoût. En revanche, le casque semblait lui apporter du charisme et le rendre plus menaçant, et Gandalf confirma qu'il avait des propriétés magiques. Mais moins que l'amulette que le sorcier portait au bout d'une chaîne autour de son cou. Lorsque Drilun eut enfin effacé les glyphes de sang de l'entrée, cette amulette fut sa première destination. Utilisant son savoir et sa maîtrise des runes magiques, il plongea dans la magie de l'objet... et le rejeta immédiatement loin de lui. Il en avait assez perçu pour dire que l'amulette augmentait la puissance de la magie noire émise par son porteur. Mais c'était aussi un objet qui corrompait son possesseur. En fin de compte, Narmegil utilisa sa magie et sa lance elfique pour détruire l'objet.

Le sorcier ne portait pas grand-chose d'autre, en dehors de ses armes et d'un trousseau de clés. Ses armes - une hache de lancer qui ne lui avait pas servi, et un espadon couvert de poison - semblaient de très bonne facture. Les clés devaient permettre d'ouvrir diverses portes de Creb Durga, voire des coffres. Gandalf trouva aussi l'emplacement d'un passage dérobé derrière des tentures, et Vif trouva sans mal le mécanisme d'ouverture qui était à peine caché. Mais le magicien prévint qu'il sentait une présence et de la magie derrière. Et lorsque le passage fut ouvert, qui donnait sur une pièce glaciale abritant six coffrets - trois ouverts et vides et trois fermés - les choses allèrent très vite.

Narmegil s'avança sur le seuil de la pièce secrète, quand Vif remarqua un déplacement dans l'air non loin de lui. Comme si quelque chose d'invisible arrivait sur le grand guerrier. Elle bondit sur lui, prit ses habits et cotte de mailles dans la gueule et tira brusquement en arrière, malgré la résistance et le poids du Dúnadan. Ce dernier fut encore plus surpris de sentir comme une lame glisser sur sa cotte de mithril et découper les lambeaux de tunique qu'il portait par-dessus... Gandalf s'interposa et expliqua que la pièce comportait tous les signes d'un rituel qui maintenait un spectre gardien invisible à l'intérieur de la petite grotte. Il lança un éclair qui réduisit les signes et autres éléments du rituel en fumée, et un long cri marqua le départ du spectre. Le trésor d'Ardagor était maintenant à la portée du groupe.

Les trois coffrets fermés furent ouverts à l'aide du trousseau de clés d'Ardagor. Au total, les coffrets contenaient environ 1900 pièces d'or et des bijoux pour une valeur approximative de 300 pièces d'or de plus. Une fameuse somme ! C'était tout pour la chambre d'Ardagor, mais il fallait aussi compter avec la qualité des soieries, de la vaisselle, et autres objets de luxe qui tapissaient la chambre, pour une valeur de peut-être encore quelques dizaines de pièces d'or auprès des bons acheteurs. Cela comprenait aussi les objets trouvés dans le salon d'Ardagor, que l'on atteignait en prenant à droite depuis l'entrée. Un salon qui était autant une salle de torture pour orcs manifestement, dont une collection de crânes décorait un des murs, entre des portions de squelettes nettoyés accrochés aux murs par des chaînes...

Gandalf se rappela ce que disait Moriel à propos des désirs de meurtre que les orcs inspiraient à Ardagor. Si les aventuriers l'avaient occupé avec des illusions ou des voix d'orc, sans doute le sorcier aurait-il été trop pris par ses pulsions pour penser à torturer et tuer Olorní... Mais c'était trop tard à présent. Le magicien fut plus intéressé par une corde épaisse de dix mètres avec du cuir aux extrémités trouvée dans le salon. Il en montra un bout à Drilun, qui en regardant bien découvrit des runes magiquement masquées formant le mot "lýg" - "serpent" en sindarin. L'objet était manifestement magique, et devait pouvoir se transformer en serpent, mais le Dunéen n'osa pas tenter l'expérience. Pas encore...

4 - Discussions et préparatifs
Gandalf et Minastir rappelèrent que les alliés du Cardolan pouvaient arriver d'un instant à l'autre. Il convenait de se préparer à leur venue. Que fallait-il dire ou montrer, en particulier concernant l'or ? En effet, la présence de trop d'or, sans parler des machines de faux-monnayage, pouvait soulever des soupçons amenant à la découverte que Creb Durga était une grosse mine d'or. Mine d'or que les princes et barons du Cardolan pourraient alors vouloir pour eux : la colline et ses environs étaient en effet à la frontière des territoires de Dol Tinarë, Dol Calantir, Saralainn et Girithlin... Une nouvelle guerre pourrait signifier la fin du Cardolan, quand bien même Ardagor serait mort !

Narmegil et ses amis décidèrent de garder cinq cents pièces d'or pour eux, d'en donner une centaine aux gens du Cardolan, et le reste à l'Arthedain. La quantité laissée au Cardolan parut un peu juste aux yeux de certains, mais elle fut maintenue. En revanche, toutes les pièces étaient neuves et paraissaient avoir été frappées dans l'Arthedain au vu des gravures, ce qui pouvait paraître bizarre, pour un trésor situé un plein milieu du Cardolan ! Les aventuriers firent leurs poches et en ressortirent des pièces issues du trésor du dragon dans les Monts Brumeux, au nord. Au final, ils arrivèrent à une cinquantaine de pièces d'origines diverses - dont une petite partie des pièces d'Ardagor - et le reste serait constitué de bijoux et pierres précieuses. Drilun conserva le reste des bijoux et pierres, avec l'idée de s'en servir pour fabriquer des objets magiques.

Il fallait également fouiller le reste du complexe. D'une part, il restait des endroits où la magie d'Ardagor était encore présente, comme le carrefour entre plusieurs escaliers, dont un qui menait à l'atelier de faux-monnayage. Sans parler des machines de ce même atelier. Avec l'aide du magicien, même s'il fallut insister un peu, la magie restante fut éliminée et les machines furent rendues inutilisables, et leur état tel que leur utilité serait difficile à cerner. Des rognures d'or et quelques pépites furent trouvées et escamotées. Enfin, Gandalf se débrouilla pour bloquer les passages vers les cavernes des orcs, sauf à entreprendre de gros travaux.

Certains objectèrent que des prisonniers avaient vu les mines et qu'ils en parleraient. Mais d'autres répondirent qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient au juste. Sans doute, certains penseraient que les cavernes contenaient divers métaux utiles ou précieux, comme du cuivre ou de l'étain (dont on faisait du bronze), voire plus. Mais qui se soucierait d'aller rouvrir de telles mines dans un secteur souterrain riche en orcs ? Sans preuves sonnantes et trébuchantes de la richesse que Creb Durga hébergeait, les soupçons resteraient des rêves inaccessibles, et les velléités d'en savoir plus ne risquaient pas d'être suivies d'effet...

Minastir appela sa cavalerie qui restait aux abords des marais encerclant la colline. Les cavaliers finirent par arriver, avec un peu de mal, et quelques-uns repartirent - ceux en qui le prince avait le plus confiance - avec le trésor destiné à l'Arthedain dans leurs fontes. Des cavaliers plus nombreux emmenèrent aussi les restes des rapports et autres écrits trouvés dans le bureau/bibliothèque d'Ardagor. Ils devaient rejoindre le camp d'Arthedain au plus vite et attendre le retour du prince. De son côté, Narmegil prit le trésor que les aventuriers s'étaient adjugés dans deux coffrets, dans son sac. En début de nuit, les sentinelles annoncèrent que les seigneurs du Cardolan arrivaient avec une petite armée.

5 - Au croisement des chemins
Dol Tinarë, Dol Calantir, Tyrn Gorthad, cantons de Fëotar, Girithlin : à l'exception de Saralainn, non représenté, les seigneurs du Cardolan étaient tous là. Ils furent enchantés d'apprendre que Creb Durga était déjà tombé, et assez impressionnés de découvrir que l'essentiel avait été le fait de Narmegil et de ses amis. Écœurés aussi à la découverte des macabres rituels perpétués par Ardagor. Ils ne s'attardèrent donc pas trop, d'autant que la présence de six trolls encore vivants et toujours surveillés n'incitait pas à flâner. C'est peut-être aussi pour cela qu'il n'y eut aucune discussion sur le butin de quelques dizaines de pièces d'or et de bijoux ; même si Celedur, fils du prince Hallas de Dol Tinarë, était déçu de ne pas trouver plus d'or ; ou si Finduilas, princesse de Dol Calantir, regrettait que les ouvrages de magie du sorcier soient partis en fumée.

Le partage du butin se passa plus facilement que prévu. Tout d'abord parce que ni Bemakinda (cantons de Fëotar), ni Pelendur (Tyrn Gorthad) ni Echorion (Girithlin) n'estimaient avoir beaucoup participé sur un plan financier. Pelenwen et Pelendur firent même remarquer que Narmegil avait également payé de sa poche de manière notable, et qu'en plus ses amis et lui avaient été déterminants pour la victoire. Mais le Dúnadan refusa de prendre quoi que ce soit. Au bout du compte, Celedur de Dol Tinarë s'adjugea les trois quarts des pièces et bijoux, plus la vaisselle, les soieries et autre équipement de luxe dont Ardagor s'était entouré. Ce qui n'était que justice, la maison de Dol Tinarë ayant initié cette guerre et supporté l'essentiel du coût, que le butin était loin de rembourser. Le reste fut donné à la princesse Finduilas.

Avant de repartir, bien des choses restaient à faire : brûler les nombreux cadavres, et faire en sorte que Creb Durga ne serve plus, ou en tout cas pas sans gros efforts. La présence des trolls restait une épine notable dans le pied des alliés : tels qu'ils s'étaient retranchés, il était difficile de les déloger en espérant qu'il n'y ait aucun mort. Leur caverne comportant des meurtrières et d'autres fissures vers l'extérieur, les enfumer paraissait illusoire. Au bout du compte, les monstres furent emmurés dans leur caverne. Tandis qu'une partie des armées présentes abattaient du bois pour faire brûler les morts, l'autre partie amenait terre et rochers afin de sceller le destin des trolls. Ils pourraient toujours se manger entre eux lorsqu'ils auraient faim !

Sur les conseils de Gandalf, le corps d'Olorní finit sur un bûcher à part, plutôt que d'être enterré ou transporté. Narmegil et ses amis revinrent ensuite au camp de Minastir, où les attendait Isis, entre autres. Geralt et Taurgil furent transportés dans des brancards, de même que le guerrier de Minastir sérieusement brûlé par la magie d'Ardagor. La convalescence des blessés prit plusieurs jours, grâce aux bons soins de Sîralassë et Niemal. Le moment où ils furent tous sur pied coïncida avec le début du retour des armées dans leurs pénates. Les troupes de Minastir, ainsi qu'Echorion, allaient repartir vers le nord. Celles de Dol Calantir prendraient la route de l'est, et les autres iraient au nord-est avant de se séparer à Metraith, capitale de Dol Tinarë. Par où les aventuriers allaient-ils partir ?

L'essentiel du groupe, et en particulier Isis et Narmegil, souhaitait aller à Imladris. Míriel avait en effet été confiée au seigneur Elrond depuis des mois et elle manquait à ses parents. Mais Geralt était déchiré : il avait ses assassins à gérer, tant ceux de la Main Écarlate que ceux qui attendaient (ou non...) son retour à Tharbad. Ses troupes avaient donné satisfaction, même si leur côté atypique en avait surpris plus d'un, et il les avait tous félicité en leur offrant le triple de la solde prévue pour le dernier mois. Mais pouvait-il les laisser rentrer seuls ? Il avait laissé un lieutenant peu scrupuleux et qui ne l'aimait guère à Tharbad, pouvait-il le laisser là-bas sans voir comment les choses marchaient ? Et s'il ne revenait pas à Tharbad, ne serait-il pas considéré comme déserteur et ne subirait-il pas - avec ses amis - le courroux de la guilde ? Bref, ses pensées l'incitaient à rentrer avec ses hommes sur la même route que prendrait l'armée de Dol Calantir.

Quant à Drilun, lui non plus ne se voyait pas trop suivre ses amis. Il avait été marqué par l'influence de Tevildo, il en avait assez conscience pour s'inquiéter. Sîralassë avait réussi à diminuer cette influence, mais il n'avait pu l'éliminer, loin s'en fallait. Et le Dunéen ne pensait pas qu'Elrond pourrait faire mieux. Il avait discuté de la chose avec Gandalf, l'interrogeant sur les raisons qui le poussaient à capturer Tina vivante. Ce qui ne l'avait pas beaucoup rassuré sur leurs ressources contre Tevildo. Il tenait donc à faire un voyage dans le sud de la Comté pour revoir Rae Coedh, le shaman dunéen qui les avait aidés dans leur combat contre Fercha. L'homme n'était pas facile, mais il espérait tout de même pouvoir en tirer quelque chose contre un service ou un peu de magie. Drilun se voyait donc plutôt revenir avec Minastir, qui retournait au château de Sarn, au sud de la Comté. Tout comme le soigneur, qui ne souhaitait pas revenir à Imladris.

6 - Les assassins de Tharbad
En fin de compte, l'équipe se divisa en trois. Les parents de Míriel ainsi que Vif - qui avait repris sa forme humaine à l'abri des regards - et Taurgil acceptèrent l'invitation de Pelendur et Pelenwen de voyager jusque chez eux, près de Bree. Après quoi ils prendraient la route de l'est jusqu'à Fondcombe aux côtés de Gandalf, Niemal et des fils d'Elrond. De leur côté, Geralt et Drilun décidèrent de voyager ensemble. Dans un premier temps ils accompagneraient Finduilas et ses troupes, puis ils se rendraient à Tharbad, où l'assassin règlerait ses histoires. Après quoi tous deux prendraient la route du nord, et ils bifurqueraient à Metraith pour prendre le Chemin Rouge, la route que prenaient les nains pour traverser la Comté par le sud. Ils iraient voir le shaman et chercheraient ensuite des elfes pour les ramener sur Imladris. Quant à Sîralassë, il partirait avec Minastir : après avoir récupéré ses affaires à Bar Edhelas, il comptait se mettre au service de l'Arthedain dans sa lutte contre Angmar.

Avant de partir, Geralt offrit - discrètement - cinquante pièces d'or à Pelendur et Pelenwen pour leur participation, et tout simplement par amitié et en souvenir de ce qu'ils lui avaient apporté par le passé. Ce dont il fut bien remercié. Il emprunta également deux chevaux aux Dúnedain de Minastir avec l'accord de ce dernier : ils voyageraient ainsi plus vite de Tharbad au gué de Sarn, où ils pourraient les rendre. Puis ils rejoignirent Finduilas, ses troupes et celles des assassins de la Main Écarlate. L'ambiance était bonne, et les hommes (et femmes) de la Main Écarlate étaient enchantés de ce qu'ils avaient gagné, tout en passant non pour des "méchants" mais pour des guerriers victorieux... Et Finduilas était ravie de voyager en compagnie d'un magicien avec qui elle aurait plaisir à discuter, même si ce dernier limitait ce qu'il lui disait, et réciproquement. Néanmoins, les deux discutèrent beaucoup et apprirent à mieux se connaître et se respecter, sans toutefois se confier totalement.

Après avoir laissé la princesse de Dol Calantir et ses troupes à son château, les deux amis et la troupe d'assassins désormais mercenaires se dirigèrent sur Tharbad déjà proche. Mais ils choisirent de s'arrêter à une petite distance de la grande ville. Geralt et Drilun y allèrent à deux, maquillés physiquement et magiquement pour ne pas attirer l'attention. Ils entrèrent sans problème et rejoignirent la boutique de Dirhavel l'alchimiste. D'une part pour le remercier pour son contrepoison qui avait bien servi, mais aussi pour lui demander des nouvelles de la guilde des voleurs, ou plutôt de la "guilde des commerçants" comme elle se faisait appeler.

L'amie de Dirhavel qui avait infiltré la guilde devait justement passer cette nuit-là, ce qui permit au chef des assassins d'avoir des nouvelles fraîches. Les affaires allaient comme toujours, mais l'homme à qui Geralt avait délégué la conduite des assassins semblait préparer une embuscade au retour de son chef pour pouvoir rester aux commandes. Jusqu'à une centaine d'assassins, soit la moitié de ceux qui étaient restés, semblaient plus ou moins acquis à sa cause. Sinon, le maître de la guilde semblait voir cela comme un test et attendait l'issue de la confrontation. Dirhavel et son amie furent encore une fois remerciés, et Drilun leur laissa une dizaine de pièces d'or avant de les quitter. Le lendemain matin, les assassins de la Main Écarlate furent rejoints par leur chef et son ami non loin de la ville.

La troupe entra comme n'importe quelle bande de mercenaires rentrant du combat, riches et victorieux. Geralt les amena au château de la guilde, en plein jour et ainsi bien entouré. Mais dans la cour du château, il interpela vertement l'homme à qui il avait laissé les rênes des assassins. Tandis qu'il l'accusait de vouloir prendre sa place, il nota que certains assassins devaient trouver l'ambiance un peu chaude et commençaient à s'esquiver. Enfin, il défia son lieutenant, que des sorts de Drilun (comme une voix enrouée et des braies qui tombent toutes seules) ridiculisèrent et isolèrent un peu plus. Le combat ne fut qu'une formalité, la tête du lieutenant roulant bien vite par terre. Geralt venait de montrer à la manière des assassins qui était le chef, et nul ne lui contesterait la chose, même s'il absentait de temps en temps.

Mais il ne s'en arrêta pas là. Afin de rallier encore plus complètement ses troupes, il offrit aux assassins qui étaient restés deux pièces d'argent chacun, tirées du "trésor de guerre" pris à l'ennemi. Histoire de motiver davantage ses troupes au métier de mercenaire et de prouver que cela rapportait autant voire plus que leur habituel métier. Plus tard, face au maître de la guilde, il maintint sa décision d'utiliser les assassins comme force régulière. Son chef se laissa persuader que l'affaire pourrait être profitable et le laissa gérer ses hommes comme il l'entendait. Dès le lendemain, il remit Eskel à son poste de chef par intérim, en annonçant qu'il s'absentait quelque temps pour affaires personnelles. Mais qu'il repasserait tôt ou tard.

7 - Le shaman dunéen
Le trajet sur les routes pavées jusqu'au gué de Sarn ne prit que quelques jours à cheval. Drilun et Geralt se présentèrent au château attenant, où le prince Minastir les reçut avec plaisir. Il avait envoyé – sous bonne escorte – le trésor et les papiers aux trois quarts brûlés à Fornost Erain, avec un rapport complet à l'attention de son père et de son frère aîné. Sîralassë, toujours très affecté par la mort de sa sœur, les avait accompagnés. Le prince avait été enchanté de l'issue de cette guerre, même s'il gardait une dent contre Eärnil, le régent de Girithlin. Et ce qui était encore lisible des rapports brûlés semblait confirmer son attitude plus que louche... En tout cas, sans Geralt, Drilun et leurs amis, il y aurait sûrement eu beaucoup plus de morts ! Pour cela entre autres, Minastir était bien décidé à aider autant qu'il le pouvait.

Les deux amis purent rapidement partir avec une patrouille de Dúnedain commandée par nulle autre qu'Imberin Ninlindle, dont Drilun se souvenait bien : elle commandait la troupe royale arrivée à Bar Edhelas dans l'affaire contre Aradan Marwen, deux ans auparavant. Le Dunéen n'avait dû sa survie qu'à l'arrivée in extremis des cavaliers, alors qu'un nain s'apprêtait à laisser tomber sa hache sur lui, qui était blessé et à terre... De plus, c'était une femme déguisée en homme, et elle était parfaitement à l'aise dans son rôle. Le trajet jusqu'à Besace, près duquel vivait le shaman, fut donc agréable et riche en histoires et bons souvenirs. L'archer-magicien se débrouilla pour faire passer magiquement Geralt et lui pour des Dúnedain, aidé en cela par des vêtements empruntés au château de Sarn et par les talents de maquilleur de son ami. Et nul ne les inquiéta.

A l'écart du village, les deux hommes laissèrent chevaux et fausse apparence derrière eux et ils traversèrent la rivière. Ils retrouvèrent sans mal la zone contrôlée par la magie du shaman mais ils purent résister sans mal à son influence agressive, contrairement à la première fois où ils étaient venus. Ils durent néanmoins repousser les assauts de divers animaux qui semblaient enragés, comme deux ans auparavant, dont des guêpes, que le Dunéen brûla avec sa magie. Ils arrivèrent enfin à la demeure du shaman, qui était bien là et dont l'attitude n'avait pas changé d'un iota. Son accueil - entièrement en dunael - fut aigre et peu aimable, pour ne pas dire plus.

Il se calma néanmoins lorsqu'il reconnut ses invités imposés, et que Drilun entama la conversation avec lui avec des paroles toutes dans le bon sens du poil. Oui, Rae Coedh gardait un bon souvenir du passage des aventuriers, à qui il avait permis de faire le rituel pour appeler Fercha, l'esprit du conflit. Les massages du soigneur, les petits plats du hobbit, les objets magiques remis par le Dunéen... L'homme n'avait néanmoins rien perdu de sa lucidité, et il demanda ce que Drilun venait lui demander cette fois. Et ce qu'il était prêt à proposer en échange...

L'archer-magicien expliqua qu'il avait été magiquement influencé par un autre grand esprit un peu similaire à Fercha. Il venait donc voir le shaman pour voir s'il pouvait le guérir ou au moins le mettre sur une piste qui lui permettrait de se défaire de cette souillure. En échange, il était prêt à rendre l'arc qu'il lui avait donné encore meilleur - il lui fallait juste quelques jours pour cela. Rae parut assez intéressé et répondit qu'il ne pouvait pas soigner pareille magie. En revanche, il lui semblait se souvenir de quelque chose qui pourrait intéresser son jeune invité. Il lui demanda de travailler à améliorer son arc, et pendant ce temps il tâcherait de rassembler ses souvenirs à ce sujet.

Tandis que Geralt partait prévenir les hommes (et femme) de Minastir, Drilun se mettait au travail. Travail qui dura trois jours complets, mais au bout desquels l'archer-magicien tendit son œuvre, couverte de nouvelles runes magiques. Rae Coedh apprécia la qualité améliorée de l'arme, et il commença son récit. Dans le sud des Montagnes Blanches, expliqua-t-il, il existait autrefois un centre de guérison établi par les Dunéens, dont une ville proche avait tiré son nom : Setmaenen, "sept pierres". Les guérisons qui opéraient là-bas tenaient parfois du miracle : hormis la mort, tout semblait pouvoir être soigné. Hormis l'intervention directe des dieux ou de leurs serviteurs - jamais gratuite - il n'existait pas pour lui de magie des soins plus puissante. Mais une malédiction avait été lancée sur le site, qui avait été fermé et oublié des hommes, et même gardé par des fantômes et mauvais esprits. Le shaman donna encore divers détails pour permettre à Drilun de retrouver facilement ce temple de guérison. Et devant les nouvelles questions de son invité, le shaman conseilla de repasser avec d'autres présents... et du temps. Il lui enseignerait alors une partie de son art.

8 - Famille et avenir
Pendant que Dunéen et Eriadorien chevauchaient ensemble de leur côté, le reste du groupe remontait jusqu'à la capitale de Dol Tinarë, Metraith. Ils reçurent de chaleureux remerciements de la part du prince Hallas, d'habitude plutôt renfrogné. Apparemment, le vieil homme avait voulu faire une véritable bonne action dans sa vie, histoire peut-être de racheter ses fautes passées avant de se retrouver devant Mandos en personne. Il y avait mis le prix et la volonté, avait su s'entourer des personnes qu'il fallait... et avait réussi. La victoire était d'abord sienne. Mais il n'oubliait pas qu'il devait cette victoire à de nombreuses autres personnes, avec qui il n'avait pas toujours été exemplaire : il s'excusa - une grande première - pour une attitude passée qu'il avait eue envers Narmegil et ses compagnons. Manifestement, les aventuriers n'auraient plus jamais à payer de taxe en passant par Metraith ; ni eux, ni ceux qui les accompagneraient. Enfin, tant qu'Hallas était encore vivant...

Après quoi tous se séparèrent : les gens de Dol Tinarë restèrent sur place, certaines compagnies de mercenaires s'apprêtèrent à partir vers Tharbad, Bemakinda et ses hommes allèrent au nord-est vers les Cantons, et Pelendur et Pelenwen et ses hommes partirent sur la Vieille Route du Nord, avec Gandalf et les elfes. Narmegil et ses compagnons les accompagnèrent jusqu'à Minas Malloth, demeure des barons de Tyrn Gorthad, où ils restèrent un moment. Puis ils quittèrent le baron et sa sœur et prirent les sentiers elfiques vers l'est et le Rhudaur, jusqu'à Imladris, ou Fondcombe dans le parler humain.

Enfin, pas tout le monde. A l'approche du gué de Bruinen, à une quinzaine de miles de la maison d'Elrond, le temps changea brusquement et les flots de la rivière gonflèrent à l'approche de Vif. Manifestement, les autres pouvaient traverser et continuer jusqu'à Fondcombe, mais le lien de plus en plus fort que Vif avait avec Tevildo ne permettait plus de la laisser entrer sur les terres contrôlées par le célèbre demi-elfe. Sa présence et son pouvoir commençaient à représenter une menace potentielle à laquelle la magie d'Elrond réagissait. La Femme des Bois resta donc sur les bords de la Bruinen, où elle se fabriqua vite un abri dans un arbre, tandis que ses compagnons continuaient sans elle.

Narmegil et Isis retrouvèrent leur fille Míriel avec énormément de joie. Elle avait beaucoup évolué : comme tous les enfants elfes, elle maîtrisait à présent très bien le langage, et en plusieurs langues. Très curieuse et même précoce, elle bombarda ses parents de questions diverses et variées. Dont celle de l'absence de Vif... A ce sujet, entre autres nombreuses discussions à propos de la petite, Elrond et Gandalf donnèrent leur avis sur le meilleur moyen d'éloigner Tevildo de Míriel : en éloignant le plus possible Vif de leur fille. Tant que l'ancien lieutenant de Morgoth ne pouvait être convenablement géré, Vif serait toujours pour lui un pion plus important et puissant que la petite - à court terme au moins. Il suivrait donc certainement la demi-féline plutôt qu'une éventuelle future reine dans un jeu d'échecs face à Angmar.

Également, il fut question de l'éducation de la petite : tant qu'elle n'aurait pas choisi son avenir comme mortelle ou comme elfe, elle ne devait pas être coupée de ses deux racines. Si Elrond était tout à fait prêt à l'accueillir chez lui, il estimait qu'elle devait avant tout être élevée par ses parents aux endroits qui étaient véritablement chez eux. En l'occurrence, dans l'Arthedain, à Bar Edhelas ou à Fornost Erain, où Narmegil avait aussi son grand-père. Bien sûr, il y avait plus de risques qu'à Imladris. Mais il fallait vivre avec le monde et on ne pouvait pas toujours se prémunir de tous ses dangers. Sans quoi la maison d'Elrond deviendrait vite un refuge bondé tandis que l'extérieur serait laissé aux pareils d'Angmar ou du Nécromancien...

Stimulée par ces propos sur la famille, par les retrouvailles avec Míriel, et l'idée que ces moments de paix complète ne dureraient peut-être pas, Isis passa de nombreux moments joyeux avec son époux, quand elle n'était pas avec sa fille à lui montrer de la magie. Enfin, profitant du départ prochain d'une compagnie d'elfes qui allaient à l'ouest, le couple et leur fille se décidèrent à retourner en Arthedain, en commençant par Fornost, où se dirigeaient également Gandalf et Niemal. Après un petit détour pour aller voir Vif, ils quittèrent Imladris sans avoir revu Geralt et Drilun. Les aventures étaient finies pour eux. Mais Isis sentait dans son corps qu'une nouvelle aventure était sur le point de les occuper...

9 - Dans l'ombre du Rhudaur
Pendant ce temps, Vif et Taurgil occupaient le temps comme ils pouvaient. Parfois ensemble, car le Dúnadan de la famille Melossë voulait en savoir plus sur sa nouvelle amie, en qui il se sentait redevable. Et ils partageaient tous les deux le goût de la nature sauvage. Parfois avec les elfes, la Femme des Bois ayant quelques occasions de se mêler à des patrouilles d'Imladris, et Taurgil ayant beaucoup de choses à apprendre auprès d'eux. Il avait quelques petits rudiments en magie des soins, mais il était aussi très intéressé par la magie de la nature et les elfes étaient enchantés de trouver un élève aussi intéressé et studieux.

Vif aurait souhaité rentrer chez elle en Forêt Sombre, voir les siens et discuter avec Radagast : il avait l'habitude de passer la mauvaise saison chez lui, ou du moins d'y être plus souvent que le reste de l'année. Elle avait des questions à lui poser concernant Tevildo... Mais les neiges commençaient à tomber sur les Monts Brumeux, et les orcs se montraient plus hardis, d'autant que les nuits s'allongeaient. Et dans la neige, difficile de passer inaperçu. Bref, il faudrait peut-être attendre le retour des beaux jours, car le détour par le sud et le Calenardhon représentait un voyage qui pouvait facilement prendre plus d'un mois.

Le Femme des Bois put néanmoins se changer les idées lorsque Taurgil lui proposa de descendre dans l'Angle ("En Egladil") avec quelques elfes. Maintenant que le rôdeur dúnadan avait retrouvé tous ses esprits, il se rappelait parfaitement ses amis et connaissances laissés dans le petit château en ruines conquis de haute lutte aux armées du Rhudaur et d'Angmar. Ils s'étaient tous installés là-bas, dans cette région que se disputaient le Cardolan et le Rhudaur, à une trentaine de miles (~50 km) à vol d'oiseau au nord de la ville de Fennas Drúnin, qu'ils avaient bien aidée.

Grâce aux elfes, à leur connaissance des sentiers discrets et leurs chants qui enlevaient toute fatigue, les deux amis arrivèrent vite et sans souci au château. Il était situé sur les bords de la Fontgrise (Mitheithel), là où Taurgil et ses amis avaient mis à jour et bloqué un projet de tunnel sous la rivière qui aurait permis de laisser passer une armée d'Angmar et de prendre les armées du Cardolan à revers. Le Dúnadan retrouva avec plaisir ses amis qui le pressèrent de questions. Taurgil y répondit, après avoir présenté Vif, et expliqua qu'il devait repartir afin de régler la dette qu'il devait à la Femme des Bois et à ses compagnons. Même si son amie trouvait cette idée de dette absurde : chez elle où la survie était une affaire de tous les jours, on s'entraidait tous et puis voilà.

Avant son départ, Taurgil récupéra une série de livres qu'il avait autrefois retrouvés dans une cache secrète établie par un aïeul. Ses amis, conscient qu'il allait à nouveau risquer sa vie, lui firent don de quelques objets qui pourraient l'aider dans ses aventures, d'autant qu'il avait perdu une bonne part de son équipement chez Ardagor. Puis ils le regardèrent partir à nouveau, mais certains avaient un sourire au coin des lèvres : si c'était la haine qui l'avait fait s'en aller la fois précédente, il semblait qu'un tout autre sentiment le poussait à présent à reprendre la route. En effet, les plus observateurs n'avaient pas manqué de remarquer l'étincelle qui brillait dans ses yeux lorsqu'il était proche de Vif ou qu'il parlait d'elle...

10 - Magie et occupations diverses
Drilun et Geralt laissèrent le shaman dunéen à ses affaires, avec quelques pièces d'or en prime pour son aide. Puis ils retrouvèrent les Dúnedain qui patrouillaient dans le secteur et reprirent leur trajet avec eux. Direction : Tumulus, où ils arrivèrent bientôt. Helvorn fut enchanté d'avoir quelques nouvelles : Sîralassë était déjà passé récupérer ses affaires avant de repartir aussitôt ; il était resté sombre et n'avait dit que le minimum. La gestion du domaine pesait un peu au cousin de Narmegil, lui qui avait l'habitude de parcourir les contrées sauvages voire hostiles. La présence de Míriel semblait aussi lui manquer. L'archer-magicien et l'assassin le laissèrent pour aller trouver ensuite les elfes de la Comté. Si le premier aurait été bien en peine de retrouver les sentiers qui menaient à l'une de leurs "clairières", l'œil exercé du second y arriva sans mal.

Le contact fut amical et les elfes se montrèrent disposés à aider. Lorsqu'une compagnie elfe décida d'aller à Fondcombe, après une vingtaine de jours, les deux humains furent prévenus et invités à se joindre aux elfes. Le voyage ne posa aucun problème et aucune rencontre particulière, les sentiers elfiques étant abrités magiquement de la plupart des curieux. On exceptera tout de même l'inconvénient du manque de sommeil éprouvé par Geralt : si le chant des elfes semblait le porter de manière à ne pas ou peu ressentir de fatigue, en revanche les repos étaient bien trop courts à son goût et les réveils douloureux !

Geralt et Drilun arrivèrent enfin, alors que la famille Eldanar était déjà partie, ce qui leur fut expliqué. Le Dunéen fut surpris de voir que l'accès à Fondcombe était barré à son amie, alors que lui-même pouvait passer, malgré la marque de Tevildo qu'il portait lui aussi. Il en discuta beaucoup avec Elrond, faisant également des recherches en bibliothèque pour essayer d'apprendre comment contrer l'influence d'esprits anciens et puissants comme Tevildo. Il apprit ainsi que cet être avait en quelque sorte laissé une petite partie de lui dans le corps et l'esprit de Vif, Míriel ou lui, mais qu'il n'était pas évident de chasser cet intrus, qui à terme s'avérerait le plus fort. Peut-être fallait-il chercher à mettre Tevildo dans une situation où il aurait besoin de toutes ses ressources et "rappellerait" à lui les parties de lui qu'il avait laissé traîner...

Mais l'archer-magicien avait également d'autres questions et idées. Ainsi, il profita de la présence d'elfes renommés et puissants pour tester la fameuse corde-serpent. Il s'aperçut ainsi qu'en tenant la partie en cuir sans boule - la "queue" - et en prononçant le mot "lýg", la corde devenait un serpent et qu'il était ce serpent. Il percevait par les sens du serpent, pouvait se déplacer lentement et faire des nœuds avec son corps voire appliquer de la force, et qu'en lâchant la partie en cuir le serpent redevenait corde. En revanche, s'il percevait le toucher du serpent, il était peut-être sensible aussi à la douleur et donc aux éventuels dégâts que la corde-serpent pouvait expérimenter. Mais il n'avait pas moyen de le savoir sans expérimenter...

Également, une suggestion de Geralt l'incita à s'intéresser à la fabrication d'un objet magique qui permettrait à ses amis et lui de comprendre Vif quand elle était sous sa forme féline. Assisté par Aluvar, un elfe noldo qui l'avait déjà aidé par le passé à la réalisation d'objets en cuir, il s'aperçut qu'il pouvait facilement réaliser de tels objets. Cela demanderait un peu de temps et ne serait pas automatique, mais il pouvait se débrouiller pour que cela soit à la portée de tous. Après avoir prélevé des cheveux de la Femme des Bois, il se mit au travail. Non sans oublier de participer aux soirées avec les elfes et de faire le récit de leurs aventures...

11 - Appel du roi
Drilun réalisa un premier tour d'oreille magique après avoir relu tous ses parchemins sur la magie runique et l'orfèvrerie. Il bénéficiait aussi de l'aide d'Aluvar et du cadre exceptionnel de la maison d'Elrond. Sans parler de ses outils récupérés dans la montagne magique près d'Angmar, outils ayant sans doute appartenu à l'aïeul de Sîralassë. Et surtout, il était très motivé et il s'agissait d'une magie très limitée puisqu'elle ne pouvait servir qu'à comprendre Vif sous sa forme féline. Et cette magie ne durait pas éternellement : elle était déclenchée par un mot qui devait être correctement prononcé.

Néanmoins, il fut surpris de pouvoir achever ce premier "bijou de cheveux" en une seule journée, même si elle fut bien remplie. Il entama immédiatement, la fabrication d'un deuxième tour d'oreille similaire, en espérant pouvoir rapidement pouvoir équiper toute l'équipe. Mais, peut-être fatigué par l'effort qu'il avait réalisé pour le premier, il n'arriva pas à trouver en lui la même qualité ou la même énergie, et il lui fallut trois jours. Lorsqu'il voulut montrer à ses amis le résultat de son travail, il les trouva peu intéressés et en train de discuter d'un tout autre sujet : Gildor, un elfe de la maison d'Elrond qui voyageait souvent à l'ouest, venait de rentrer avec des nouvelles de l'Arthedain. Le roi souhaitait parler à Narmegil - déjà présent à Fornost Erain - et à ses amis, pour une affaire importante...

Gildor n'en savait guère plus. D'après ce qui lui avait été transmis par Niemal, il s'agissait une mission de confiance d'une grande difficulté. Mission que les aventuriers seraient libres de refuser bien sûr, mais il fallait le savoir vite afin de ne pas bloquer certaines choses en attente. Le roi devait prendre certaines décisions qui dépendaient de la réponse attendue, ou chercher quelqu'un d'autre peut-être. Elrond demanda à Gildor et d'autres elfes d'accompagner là-bas Taurgil, Vif, Drilun et Geralt, ce dernier levant les yeux au ciel en découvrant que ses vacances seraient bientôt interrompues. Quant à Sîralassë, Gildor annonça qu'on lui avait dit qu'il était passé à Fornost avant de continuer vers le nord. Il devait être dans une forteresse d'Arthedain, à aider à combattre les forces d'Angmar.

L'archer-magicien hésita, puis il se remit au travail pour la fabrication d'un troisième tour d'oreille magique. Motivé par l'urgence, il ne lui fallut à nouveau qu'une seule journée pour réaliser son œuvre. Il profita de sa dernière journée de tranquillité pour se reposer et profiter de la bonne ambiance de la Dernière Maison Simple. En effet, il n'était pas sûr de pouvoir faire un quatrième bijou à temps. Et il avait aussi beaucoup de choses auxquelles penser concernant ses amis et lui. Car sa magie n'avait pas servi qu'à fabriquer des babioles magiques : il commençait à découvrir des pouvoirs magiques de voyance, et la difficulté à interpréter les signes, même les plus simples.

Le jour du départ arriva qu'il pensait encore à tout ce qu'il avait appris par sa magie ou lors de ses recherches ou conversations à Imladris. Cela concernait avant tout Tevildo : il avait peut-être d'autres personnes sous son influence, mais cela ne paraissait pas très clair. Par contre, la magie de Drilun lui avait clairement indiqué qu'il existait une magie particulière qui permettrait de le soigner ou de contrer l'influence de cet esprit ancien. Cette magie n'était pas associée à une personne ou à un lieu, mais pas clairement non plus à un objet précis. Elrond lui avait dit de continuer à apprendre et fabriquer des objets de maîtrise et de protection, et le shaman dunéen pouvait lui enseigner des rituels permettant d'appeler ou de se protéger des grands esprits... mais il fallait faire des choix.

De même pour la route. Taurgil et lui auraient volontiers fait un détour par Nothva Rhaglaw afin d'y récupérer des objets laissés là-bas ou d'y faire certaines rencontres. Et les deux hommes, avec Vif, auraient volontiers discuté le bout de gras avec Radagast, chez lui à Rhosgobel, dans l'est, pour des raisons différentes mais toutes liées à la Femme des Bois. Mais cela viendrait après sans doute. Pour le moment, ils ne tenaient pas à faire attendre Argeleb II, roi d'Arthedain, et la route serait longue : même en prenant les sentiers elfiques qui protégeaient de la plupart des mauvaises rencontres, il faudrait bien compter deux semaines pour arriver à destination.
Modifié en dernier par Niemal le 03 octobre 2012, 19:57, modifié 5 fois.
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Horselords - 1ère partie : nouvelle équipe

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1 - Compagnons de dernière minute
A Imladris, ou Fondcombe en langue humaine, plusieurs elfes étaient présents pour encourager les aventuriers qui avaient accepté de répondre à l'appel du roi d'Arthedain, Argeleb II. Ces aventuriers étaient au nombre de trois :
- Drilun, archer-magicien dunéen, ami des elfes et en particulier des forgerons d'Imladris qu'il rêvait d'imiter voire de surpasser
- Geralt, chef des assassins de Tharbad, qui ne rêvait rien de plus que de lit moelleux et de siestes longues et quotidiennes
- Taurgil, dernier descendant des anciens rois dúnedain du Rhudaur, dont les rêves portaient sur la réhabilitation de la splendeur de sa maisonnée

Ils devaient également passer prendre Vif, non loin de la route qui menait jusqu'à Bree et aux Havres Gris. Cette Femme des Bois (d'adoption) de la Forêt Sombre avait en effet un lien trop important avec Tevildo, dont la magie ou le sang coulaient dans ses veines, pour que le seigneur Elrond la laissât pénétrer sur ses terres. Cette jeune femme qui pouvait parler aux félins ou se transformer en l'un d'eux s'était contentée de se faire un abri dans les branches d'un arbre des Fourrés aux Trolls, ces forêts qui occupaient une bonne part du territoire du Rhudaur. Ses rêves à elle portaient toujours sur la destruction de sa némésis, le loup-garou Caran Carach, pour qui elle avait quitté les siens deux ans et demi auparavant. S'y ajoutait également le désir de voir Radagast, son mentor, afin de discuter de la place que Tevildo prenait en elle.

Elrond était l'un des elfes venus dire adieu aux aventuriers sur le porche de la Dernière Maison Simple. Mais il avait également autre chose à leur dire, ou plutôt des gens à leur présenter. Plusieurs elfes devaient accompagner les trois amis jusqu'en Arthedain, les faisant passer par des sentiers elfiques protégés des ennemis ou simplement des curieux. Mais une jeune elfe de sa maison avait décidé de les accompagner dans leurs aventures. Elle s'appelait Isilmë, nom qui signifiait également "clair de lune" en langue elfique. Très réservée, elle ne détailla pas plus sa motivation à quitter les siens pour une vie d'errance parmi les humains. C'était une archère qui maniait très bien l'épée également, et elle avait beaucoup combattu les orcs du Rhudaur ou des Monts Brumeux, régions qu'elle connaissait très bien.

Le maître des lieux n'eut pas besoin de présenter un autre compagnon de dernière minute, le hobbit Rob. Cela faisait maintenant un moment qu'il habitait chez Elrond, depuis les regrettables événements qui l'avaient fait rompre avec l'équipe, et en particulier Isis. Corrompu par la magie d'un anneau récupéré dans l'antre magique de l'aïeul de Sîralassë, leur soigneur noldo, il avait failli la tuer pour lui prendre l'anneau - sous le charme duquel elle était elle-même tombée. Cet ancien artefact avait donc réussi à brouiller les deux amis très proches. Rob, dont toute la famille était morte peu auparavant dans la Comté, s'était alors installé à Fondcombe. Mais il commençait à avoir le mal du pays et la bougeotte. Sachant qu'Isis avait décidé d'arrêter de courir les chemins pour se consacrer à sa famille, il s'était dit qu'il aurait plaisir à prendre sa place dans le groupe, d'une certaine manière...

Car ni Isis ni Narmegil ne partiraient plus à l'aventure. Ces derniers les attendaient à Fornost Erain, où ils s'étaient rendus avec leur fille Míriel moins d'un mois auparavant, mais ils ne partiraient plus. Pas plus que Frolic, le barde dunéen qui regardait également partir les aventuriers : infecté par le loup-garou Caran Carach, il goûtait une vie paisible parmi les elfes de Fondcombe, protégé du mal par la magie d'Elrond, et satisfait d'apprendre plus de chants et d'histoires qu'il ne saurait jamais tous reproduire. Pas plus que Coulemelle, lointaine cousine de Rob, restée autour de Bree ou de la Comté, et dont la violence liée à l'occupation d'aventurier ne lui convenait pas. Pas plus que le nain Bourrin, qui au contraire avait trouvé qu'on ne combattait pas assez au sein du groupe. Oui, de l'équipe originelle, il ne restait que Vif, la "paysanne" innocente et timide, dont les pouvoirs s'étaient développés au point d'inquiéter même les sages...

2 - Fornost Erain
Le groupe quitta donc la demeure d'Elrond pour rejoindre la Grande Route de l'Est (Menatar Romen en langue elfique) et se diriger vers l'ouest. Après avoir franchi le gué de Bruinen, Vif fut retrouvée et les présentations furent faites. Le trajet se poursuivit ensuite sans encombre jusqu'aux environs de Bree. Geralt, endurci par des lieues et des lieues de voyage avec ses amis, arriva à ne pas trop se plaindre, bien que ses nuits lui paraissaient toujours trop courtes à son goût... Afin de ne pas ralentir le groupe, Rob montait le cheval de Drilun, qu'un de ses amis ou un elfe tenait par la bride. Les chants des elfes rendaient le trajet moins long et avaient le pouvoir étrange - mais pratique - d'ôter tout sentiment de fatigue malgré une allure plutôt rapide.

Puis les elfes, à l'exception d'Isilmë, laissèrent le groupe à ses affaires. Les six compagnons décidèrent de monter au plus vite vers Fornost, et après une nuit sans histoire ils se mirent en route sur la Iaur Men Formen, la Vieille Route du Nord en langue commune. On l'appelait aussi Chemin Vert (Men Galen) à cause des arbres qui bordaient chaque côté de cette route pavée entre Bree et Fornost Erain, la capitale. Le Nordchâteau des Rois, nom de la capitale dans la langue des hommes, fut atteint au matin du quatrième jour. Sans les chants des elfes, le trajet avait été plus fatigant ; une bonne trentaine de miles (~ 50 km) avait été parcourue chaque jour, et Geralt s'était plaint plus souvent. Heureusement, le temps était resté au beau fixe, mais les aventuriers sentaient comme il faisait plus froid à mesure qu'ils montaient vers le nord.

Narmegil, Isis et leur fille furent enchantés de revoir leurs amis et de découvrir Isilmë, à qui Tarcandil, grand-père de Narmegil, fit honneur. Les parents de Míriel avaient un air un peu tendu et soucieux, par contre. Le noble Dúnadan expliqua que plusieurs jours auparavant, alors qu'ils voyaient le roi, sa fille avait profité d'une brève absence d'un serviteur pour disparaître purement et simplement de la mansarde où elle jouait. Ils avaient fini par découvrir que Míriel - à l'âge d'un an et trois mois ! - avait réussi à grimper à la fenêtre, puis sur le toit, afin d'aller caresser des chats qu'elle avait vu passer... Mais ensuite, elle n'avait pas osé redescendre, et les chats l'avaient amenée à un refuge et étaient restés avec elle.

Ses parents avaient eu du mal à la retrouver, d'autant qu'elle avait réussi à se faufiler dans un espace inaccessible pour eux. Manifestement, si elle avait - de façon très précoce - commencé à maîtriser le pas et la souplesse magiques des elfes, ce n'était pas encore quelque chose d'automatique. Heureusement, les combles dans lesquelles elle s'était faufilée à la suite des chats étaient ceux d'un bâtiment public, et Narmegil n'avait pas eu trop de mal à convaincre les employés de le laisser passer. Míriel avait pu être récupérée sans problème ensuite. Mais son affinité pour les félins - affinité réciproque - les inquiétait plus que ses talents précoces de monte-en-l'air, talents qui après tout faisaient honneur à sa mère...

Le grand-père de Narmegil alla prévenir la famille royale que les invités étaient arrivés, et il revint donner la nouvelle de la date de l'entretien avec le roi : ce serait le lendemain en fin de matinée. Sîralassë avait également été invité, mais il ne serait pas là : le soigneur elfe avait décidé de participer directement à la lutte contre Angmar, en allant sur le front soigner les armées d'Arthedain et son chagrin par la même occasion. Il avait fait savoir qu'il ne redescendrait pas du nord du royaume où il était à présent, dans une forteresse d'où les rôdeurs partaient souvent pour l'est, y compris leur chef, Marl Tarma.

Le reste de la journée se passa tranquillement, à l'exception d'un petit incident. Le côté plaisantin de Rob, amateur de blagues de mauvais goût (pour ses amis) et de chapardages de bourses et autres biens, n'eut pas l'heur de plaire à Isis. Elle se souvenait parfaitement des événements "regrettables" entre le hobbit et elle, événements qu'elle n'avait toujours pas fini de digérer. Rob ayant du mal à adopter un profil bas quand il voulait plaisanter, il se retrouva dehors. Il en fut quitte pour jouer au cambrioleur non invité - mais très discret - dans la maison (et la cuisine) de ses amis jusqu'au lendemain.

3 - La guerre encore
Le moment arriva d'aller voir le roi. Toute l'équipe se prépara, et mit ses meilleurs habits - ou d'autres que la famille Eldanar avait fournis - pour aller à l'entretien. Armes et armures furent laissées chez le grand-père de Narmegil, avec Míriel et sa mère également. Les portes s'ouvrirent facilement devant Narmegil, qui paraissait bien connu, et ses amis. Ils furent conduits jusqu'à la salle du conseil, qui était vide, puis à une autre salle plus petite, dont on referma la porte derrière eux. Ils étaient manifestement les derniers attendus, et l'entretien allait pouvoir commencer. Étaient déjà présents : le roi Argeleb II, la reine Liriel, le prince-héritier Arvegil, la princesse Nírena ; ainsi que Gandalf, l'elfe Niemal, un scribe avec papier, plume et encre, et un grand nain que personne ne se souvenait avoir déjà vu.

Le roi commença par remercier les aventuriers d'avoir répondu à l'appel, et demanda de lui présenter Isilmë, qu'il ne connaissait pas. Il parla ensuite d'un élément de la guerre qui opposait l'Arthedain à Angmar. Il raconta que les orientaux qui se battaient pour Angmar avaient des petits chevaux rapides et adaptés au terrain pas toujours facile, et ils étaient plus nombreux. Ils pouvaient donc facilement attaquer des cibles précises et repartir avant que des troupes montées, souvent trop peu nombreuses, n'arrivassent. En général les dégâts en vies humaines étaient très limités, mais cela portait un coup au moral des gens qui voyaient des champs ou des constructions brûler. Cela poussait donc les gens à partir, sans parler du coût économique.

Bien que solides, les Dúnedain étaient dans la même position que le conflit entre la pierre et l'eau : cette dernière finissait toujours par gagner. Pour empêcher l'eau d'attaquer la pierre, il fallait pouvoir éviter que la première n'arrive au contact de la seconde. De nombreux chevaux étaient morts dans la peste récente, mais les haras d'Angmar s'étaient très vite reconstitués avec des montures fraîches venues de l'est. Côté Arthedain, ces montures manquaient terriblement, les marchands d'Eriador étaient tous en rupture de stock ou ils vendaient leurs bêtes à prix d'or. Or qui venait lui aussi à manquer, par ces temps difficiles où le commerce avait peine à redémarrer. Or qui venait aussi d'apparaître comme par magie, suite à la campagne militaire contre Ardagor : Narmegil et ses amis avaient remis la majeure partie du butin du Seigneur de Guerre dans les seules mains des Dúnedain du nord...

Argeleb remercia ses invités pour le don des mille deux cents pièces d'or qui avaient rejoint ses coffres. Les besoins ne manquaient pas dans la guerre contre Angmar, restait à en trouver le meilleur usage. Les chevaux ? S'il avait de l'or pour en acheter, l'offre était bien trop faible pour ses besoins. En revanche, son lointain cousin Tarondor, roi de Gondor, lui avait indiqué la meilleure source possible selon lui : les tribus nordiques et seigneurs-cavaliers des plaines du Rhovanion. Ses alliés, dont le sang coulait en partie dans les veines du roi de Gondor, possédaient de vastes élevages qui fournissaient en grande partie le royaume du sud. Ils seraient certainement prêts à en vendre à l'Arthedain. D'autant qu'Angmar était indirectement un ennemi commun. En effet, le pays du roi-sorcier payait fort cher les services d'orientaux qui pillaient sans vergogne les gens du Rhovanion en temps ordinaire.

Argeleb acheva son discours par cette simple demande : il avait besoin de gens sûrs et capables, qui iraient dans le Rhovanion, chargés de tout l'or récemment offert, pour acheter le maximum de chevaux et les ramener. Bien sûr, il faudrait aussi embaucher des cavaliers pour conduire, gérer et soigner le ou les troupeaux achetés. Des lettres seraient fournies également pour assurer le libre passage des chevaux sur les terres du Gondor, et le soutien des officiels de ce même pays. Par contre, il faudrait voir les éventuelles taxes de passage et autres complications avec les seigneurs locaux en dehors du Gondor ou de l'Arthedain. Diplomatie et commerce étaient ici les maîtres mots.

Bien entendu, Narmegil et ses amis ne connaissaient personne auprès de qui acheter des chevaux dans le Rhovanion, ni même les noms de ces mêmes seigneurs locaux. Mais le roi avait une solution toute prête : il présenta alors le nain présent dans la pièce, nain qui n'avait pas encore ouvert la bouche. Du nom de Mordin, il fut présenté comme un mélange de marchand, diplomate et chef de mercenaires, et originaire des Monts de Fer, dans le nord du Rhovanion. Il connaissait parfaitement la route qui menait de là-bas en passant par la trouée du Calenardhon, et tous les pays traversés et les personnes importantes à connaître, y compris leurs langues. Il souhaitait servir l'Arthedain dans cette difficile mission afin de régler une dette d'honneur qu'il avait envers le pays et son roi.

4 - Discussions
Les réactions ne manquèrent pas. D'abord sur la nature même de la mission et l'inadaptation des aventuriers à cette dernière. Seule Vif connaissait un peu la région et ses habitants, et elle n'était pas franchement indiquée pour faire de la diplomatie. Mais Mordin rappela qu'il était là pour cela, il serait le guide du groupe, et il entendait bien montrer toutes ses qualités de marchand. Il tablait sur un minimum de quatre cents chevaux à ramener. Par ailleurs, Argeleb rappela que le chef de la plus puissante tribu de nordiques éleveurs de chevaux, du nom d'Atagavia, était un cousin éloigné du roi de Gondor. En effet, quatre siècles auparavant, le futur roi de Gondor avait épousé la fille de Vidugavia, alors chef de toutes les tribus de nordiques cavaliers - les Éothraim. Le fils de cette union, Eldacar, avait d'ailleurs dû faire face à une guerre civile au moment de sa montée sur le trône, en raison de son sang mêlé : ce fut la Lutte Fratricide.

Si Atagavia n'était pas le chef des six tribus d'Éothraim comme son ancêtre, il n'en restait pas moins un solide allié du Gondor, et donc indirectement de l'Arthedain. Et en tant que chef de la plus puissante tribu des Éothraim, il pouvait aider les aventuriers dans leur mission, si jamais il ne pouvait fournir lui-même tous les chevaux. Même si la période après la peste d'il y avait trois-quatre ans n'était pas la meilleure : une partie des habitants du Rhovanion étaient morts et les survivants étaient plus méfiants, parfois prompts à tirer d'abord et à parler ensuite. Sans parler des prédateurs - intelligents ou non - qui infestaient ces terres sauvages. D'où le besoin de combattants expérimentés voire de soigneurs. Malheureusement Sîralassë ne serait pas du voyage.

La question se posa aussi du moment de la mission. Il n'était pas question de faire voyager les chevaux en hiver, moment où ils étaient plus fragiles et la nourriture difficile à trouver pour eux. Et au printemps, la fonte des neiges grossirait fortement l'Anduin, rendant le franchissement de ce gros fleuve problématique. Le mieux restait de ramener les chevaux à la fin de l'été ou au début de l'automne, en leur faisant franchir le fleuve au gué de Tir Anduin, sur la Men Romen ("Route de l'Est"). Ce qui permettait de revenir en Arthedain avant la mauvaise saison. Dans la mesure où il fallait compter deux mois à pied ou un bon mois à cheval pour arriver à Buhr Widu, capitale des Waildungs où Atagavia commandait sa tribu, un départ au printemps paraissait suffisant.

Il fut également beaucoup question de la route à prendre. Il se dégagea vite un consensus autour de celle du retour avec les chevaux. En effet, les autres passages vers l'Arthedain menaient soit au col des Monts Brumeux non loin de Gobelinville, où la présence des orcs était un facteur de risque trop grand ; ou sous les Monts Brumeux, via Khazad-Dûm, la demeure des nains, dont les taxes élevées ponctionneraient trop fortement le budget. La trouée du Calenardhon était donc la meilleure solution pour le retour. Mais pour l'aller, nombreux étaient ceux qui souhaitaient passer ailleurs, pour des raisons diverses et parfois personnelles.

Au bout du compte, le roi Argeleb posa la seule question qui importait à ses yeux : les aventuriers acceptaient-ils cette mission ? Les modalités pratiques resteraient de leur responsabilité, et le royaume pouvait leur fournir le meilleur équipement possible, voire quelques gardes ou tout autre appui raisonnable jugé nécessaire. Les amis de Narmegil ne mirent pas longtemps à donner leur accord : oui, ils serviraient l'Arthedain et iraient acheter et ramener des chevaux à l'aide des mille deux cents pièces d'or récupérées chez Ardagor. A cette somme, Narmegil ajouta encore mille pièces d'or sur ses fonds propres : il ne viendrait pas, mais ainsi il participerait tout de même à cette mission, et le royaume n'aurait jamais trop de chevaux.

5 - Informations
Quelques échanges eurent encore lieu, mais l'essentiel avait été dit. Bientôt le roi donna son congé aux aventuriers auxquels Mordin se joignit, ainsi que Niemal. Le roi avait remis une carte du Rhovanion à ses "chargés de mission", qui devaient également repasser pour prendre des chevaux. Les amis de Narmegil souhaitaient partir au plus vite, et donc les premiers chevaux disponibles seraient pris. Il leur avait été proposé des chevaux bien meilleurs, mais cela aurait demandé une dizaine de jours pour répondre à la demande, ce qui fut écarté. Le voyage passerait par Nothva Rhaglaw, où Taurgil et Drilun avaient des choses à faire, pour continuer vers Imladris. Le reste de la route était sujet à débat.

Le nain et le soigneur elfe - ce dernier aussi s'en retournait à Fondcombe - allaient beaucoup parler du Rhovanion et de leurs peuples, que le groupe serait amené à rencontrer. Terres de passage, grand carrefour entre les peuples et région beaucoup convoitée, le Rhovanion abritait de nombreuses cultures dont les relations étaient aussi variées que complexes. Globalement, trois zones pouvaient être définies : le sud contrôlé par Gondor, dans un territoire appelé Dor Rhúnen ("Terres de l'Est") et administré par l'armée ; le centre, entre Dor Rhúnen et la Celduin ("Rivière Courante"), occupé par les Éothraim à l'ouest et les gens de Dorwinion ("Terres du Vin") à l'est ; et plus au nord, des nordiques urbains ou agricoles à l'ouest et des nomades orientaux à l'est, souvent agressifs et alliés à Angmar.

Le sud, contrôlé plus ou moins par le Gondor, était assez sauvage, et peuplé pour l'essentiel de fermiers d'origine mixte, mélange de Dúnedain, de nordiques, d'ancêtres des Dunéens voire d'orientaux. Ils parlaient le ouistrain entre eux et étaient surtout concentrés autour des forteresses du Gondor ou des principales routes de commerce qui traversaient la région vers le nord et l'est. Le légat du Gondor, un dénommé Vagaig, était arrivé l'année dernière, en 1939, suite à la mort de son prédécesseur par des flèches d'orientaux appelés Asdriags. Flèches qui avaient aussi emporté la sœur de Vagaig, qui gardait une dent contre ces Asdriags.

Ces orientaux étaient récemment arrivés de l'est entre la mer de Rhûn et les Montagnes de Cendres (nord du Mordor), suite à l'expansion d'autres cultures orientales très féroces, comme les Variags. Grands cavaliers et bons guerriers, les Asdriags n'avaient néanmoins pas la férocité des Variags qu'ils fuyaient. Mais le Gondor ne voyait pas leur venue d'un très bon œil, et Vagaig semblait utiliser toutes ses maigres ressources pour les repousser. Les Asdriags parlaient essentiellement leur langue, l'asdradja, et c'était une culture nomade qui élevait des chevaux et des chèvres. Selon Niemal, ils n'étaient pas aussi sanguinaires que certains voulaient bien croire, mais ils étaient dans une position inconfortable, coincés entre le marteau (Variags) et l'enclume (Gondor).

Au centre, les six tribus des Éothraim élevaient des chevaux de manière semi-nomade, tout en profitant des routes commerciales avec l'est et le nord pour faire de nombreux échanges. Alliés de Gondor, ils avaient aussi de très bons rapports avec les gens de Dorwinion plus à l'est et les autres nordiques plus au nord. La plus puissante tribu était celle des Waildungs, commandée par Atagavia, à Buhr Widu. La plus ancienne tribu était celle des Ailgarthas, avec à sa tête Mahrcared, à Buhr Ailgra. Tous parlaient l'eothrik, mais également assez souvent le ouistrain. Les gens de Dorwinion, "Folyavuld" dans leur langue, étaient de grands marchands et diplomates qui parlaient de nombreux langages, dont le leur, le folyavulthig. Ils avaient des relations difficiles avec leurs voisins orientaux du nord, Logaths et surtout Sagaths, et connaissaient une paix relative grâce à des cadeaux divers, de vin entre autres...

Plus au nord, les nordiques urbains étaient de grands marchands regroupés à Esgaroth ou Dale, qui avaient de très bons rapports avec tous - y compris elfes de la Forêt Sombre et nains des Monts de Fer - et commerçaient beaucoup avec Folyavuld par l'intermédiaire de la Celduin. Ils parlaient le Delsk, mais aussi de nombreuses autres langues. Près d'eux, les Gramuz, nordiques sédentaires, cultivaient les riches terres de la région, source de céréales pour de nombreux pays distants... et de pillages par les orientaux et surtout les féroces Sagaths.

Plus à l'est, les orientaux se divisaient en deux peuples, même s'ils parlaient la même langue, le logathig. D'une part, le plus à l'est, les semi-nomades Logaths qui se déplaçaient dans de grands charriots, et élevaient chevaux, vaches et moutons ; et leurs voisins les Sagaths, grands pilleurs cavaliers qui prenaient chez les autres ce dont ils avaient besoin, et qui n'hésitaient pas à pénétrer loin dans le Rhovanion pour ce faire. A tel point que l'on désignait souvent du terme "sagath" les bandits orientaux qui s'attaquaient aux fermes et voyageurs de tout le Rhovanion, même s'il s'agissait d'autres peuplades. Traditionnellement, les Sagaths étaient les alliés d'Angmar, et lui fournissaient de nombreux chevaux et jeunes guerriers.

6 - Retour à Nothva Rhaglaw
Deux jours après l'entretien avec le roi, les amis de Narmegil, plus Mordin et Niemal, allèrent prendre possession des chevaux fournis par le roi. Après avoir fait leurs adieux à la famille Eldanar, au grand désespoir de Míriel qui avait grand plaisir à jouer avec son parrain Drilun et encore plus sa marraine Vif, la petite troupe se dirigea vers l'est, en direction de la frontière. Les membres avaient convenu de passer par la ville de Nothva Rhaglaw. Drilun voulait y récupérer des affaires laissées lors de leur précédent passage, tandis que Taurgil avait quelque chose à accomplir dont il ne voulait pas parler. Il était en effet déjà passé dans la ville avant les compagnons de Narmegil et d'Isis, et il y avait combattu un dragon à l'aide d'un géant - choses dont les aventuriers avaient entendu parler lors de leur passage, et dont ils avaient vu les traces.

Le plan était d'aller en bordure de l'Oiolad ("Plaine sans Fin"), ce no man's land essentiellement contrôlé par Angmar, et de là aller vers l'est et Nothva Rhaglaw le plus vite possible. L'équipe comptait sur Niemal pour reconnaître la route, ainsi que sur ses animaux magiquement appelés ou les perceptions de Geralt ou Vif pour repérer les ennemis potentiels assez vite pour les éviter. Le groupe arriva donc en bordure de l'Arthedain à la fin de la première journée. Rob était monté en croupe derrière un de ses amis, et Isilmë, qui n'était pas une grande cavalière, comptait en faire de même pour le lendemain, afin de ne pas ralentir le groupe. Ce qui laissait son cheval à elle pour transporter des affaires diverses.

Après une nuit sans incident, le groupe partit au trot dans la morne plaine battue par un vent froid. La journée se passa sans incident, aucun ennemi n'ayant été repéré. Vers le soir, la troupe chercha refuge dans des collines au milieu de la plaine. Un abri fut trouvé à flanc de coteau, bien caché par des broussailles. Un sort de Drilun l'avait averti de la présence d'orcs et de loups dans des cavernes distantes de quelques miles seulement. Aussi Niemal prit grand soin d'effacer toutes leurs traces proches, y compris avec des herbes odorantes pour masquer leurs odeurs. Après un repas nocturne et des discussions dans le noir, alors même que Geralt ronflait déjà, Isilmë prit le premier tour de garde, relayée ensuite par le soigneur elfe.

Six heures après que le dernier se fût couché, Niemal réveilla toute la troupe, au grand dam du chef des assassins. Il avait repéré un groupe de guerre d'une vingtaine d'orcs. Ces derniers avaient repéré des signes de la présence des aventuriers, mais ils n'avaient pas réussi à suivre les traces, trop bien camouflées. Le soigneur elfe, qui comprenait leur langue et avait des sens extrêmement fins, les avait entendu dire qu'il fallait appeler des renforts pour ratisser la zone, et deux orcs s'étaient aussitôt éclipsés. Bref, il n'était plus question de rester là, le danger deviendrait vite trop grand. Restait à décider de la suite à tenir...

L'affaire fut vite entendue : tandis que Vif et Niemal gardaient les chevaux, les autres approchèrent discrètement des orcs en les encerclant, après avoir utilisé pour certains du trèfle de lune, afin de voir dans le noir aussi bien qu'un elfe. Geralt arriva au contact en premier, et il fit sauter la tête d'un orc, pris par surprise. Des flèches furent tirées et autant d'orcs tombèrent. Tous ne perçurent pas immédiatement l'embuscade, focalisés qu'ils étaient sur l'assassin, ou surtout sur l'un des leurs qui s'était mis à luire dans le noir, cadeau magique de Drilun - et il était ainsi plus facile à toucher à l'arc. Mais rapidement, de nouvelles têtes furent tranchées et de nouveaux corps hérissés de flèches. Cela, plus une charge du nain, et les derniers comprirent que leur survie ne dépendait ni de leur nombre, fortement réduit, ni de leur adresse à l'arme, clairement dépassée. Ils prirent leurs jambes à leur cou, mais pas assez vite pour échapper aux flèches des archers...

Les renforts ne tarderaient pas à arriver, aussi tout le monde monta en selle et partit au galop, malgré l'obscurité. Obscurité réduite par la grâce d'une aura lumineuse et magique de Drilun sur les montures. D'autant que Niemal ou Vif perçurent vite des hurlements de loups, probablement montés, qui venaient dans leur direction. La poursuite dura peut-être une heure, sans que les orcs montés ne gagnent guère de terrain, puis ils firent demi-tour lorsque le ciel commença à pâlir légèrement. La petite troupe ne s'arrêta pas pour autant, pour le grand malheur de Geralt, mais ralentit un peu l'allure. En fin de journée, des bois apparurent à l'horizon, et la ville de Nothva Rhaglaw fut bientôt atteinte.

7 - Trésors de roi
A l'auberge, la patronne, une Dúnadan du nom de Bessandis, fut enchantée de les revoir tous, du moins ceux qui étaient déjà passés. Les édiles de la ville vinrent aussi retrouver ces aventuriers qui avaient marqué la ville, et en particulier Taurgil. Sibroc, assassin et agent d'Angmar, brillait par contre par son absence, mais Niemal avait déjà prévenu ses compagnons : l'homme s'était trouvé au mauvais endroit et au mauvais moment, et Angmar avait donc perdu un de ses serviteurs. Du coup, le soigneur elfe n'avait plus d'espion du roi-sorcier dont il pouvait espionner les pensées, mais il ne doutait pas qu'il y en aurait un autre tôt ou tard...

Tandis que Drilun récupérait avec soulagement un gros bout d'os de dragon - aussi gros que le hobbit - qu'il avait mis de côté, Taurgil déclara qu'il avait une excursion à faire en solitaire. Néanmoins, il accepta que Niemal l'accompagne jusqu'au Tateshalla, à quelques heures de marche de là. Il ne dit pas à ses compagnons pourquoi il voulait se rendre à ce bâtiment typique des grandes maisons nordiques, et demeure d'un autre âge de l'ancien roi Gotshelm, dont la légende voulait qu'il veillât toujours sur les environs. Il partit donc dans la nuit, vers le nord et son objectif.

Lorsqu'il revint, alors que la nuit était bien avancée, il rentra discrètement à l'auberge. Mais ses compagnons, le lendemain, ne purent pas ne pas remarquer ses nouvelles acquisitions : il portait désormais un haubert de mailles complet, en partie masqué par des vêtements par-dessus. Mordin eut un hoquet de surprise lorsqu'il reconnut le mithril dont les mailles étaient faites. Par ailleurs, le grand et costaud Dúnadan portait également une épée large dont la poignée et le fourreau dénotaient l'ancienneté. Mais il ne voulut pas parler de cela, et la résolution dans ses yeux n'incita personne à insister. En tout cas, il avait désormais l'allure d'un roi partant en guerre.

Après avoir attaché le gros et lourd bout d'os de dragon sur le cheval sans cavalier, le groupe repartit vers le sud. L'objectif était désormais Imladris, mais il fallait déjà franchir la rivière Mitheithel ("Fontgrise"). Les cavaliers chevauchèrent à bonne allure plein sud, sans rencontrer d'ennemi ou en réussissant à les éviter. Le lendemain, ils arrivèrent au Dernier Pont sur la Mitheithel, et de là Niemal leur fit prendre des sentiers elfiques jusqu'à la demeure d'Elrond. Trois jours plus tard, ils étaient chez le soigneur demi-elfe, sauf Vif qui s'était arrêtée avant le gué de Bruinen, et Taurgil qui était resté un peu avec elle. Mais il fit plus d'une fois l'aller-retour pour discuter de la suite à donner.

Il souhaitait en effet descendre jusqu'à son château en ruines dans l'Angle, et voir également les nains de PetiteForge, non loin de Fennas Drúnin. Après quoi il proposait de traverser l'Eregion, l'ancien royaume de Galadriel au second âge, pour arriver à Khazad-Dûm, la demeure des nains de la lignée de Durin. En tant qu'ami des nains, comme l'attestait un anneau qu'il portait toujours au doigt, il se faisait fort de leur permettre à tous de traverser, en tout cas pour un prix raisonnable, de l'autre côté des Monts Brumeux. De là, il ne resterait plus qu'à descendre au fleuve, l'Anduin, puis le traverser, pour arriver enfin aux environs de Rhosgobel. C'était la demeure du magicien Radagast, et l'objectif de plusieurs d'entre eux, Vif la première.

Mais d'autres, et Geralt le premier, firent remarquer que personne ne connaissait l'Eregion, qui était un pays très vallonné. Il serait donc facile de s'y perdre en voulant se rendre à Khazad-Dûm. Pour lui, il était plus simple et sans doute plus rapide de descendre jusqu'à Tharbad, où il en profiterait pour donner quelques consignes aux assassins ; puis de prendre la route des nains, qui remontait le fleuve Glanduin, puis la rivière Sirannon, pour arriver à la porte ouest de la demeure des nains. Les discussions durèrent encore, tandis que Drilun réfléchissait aux objets magiques qu'il pouvait réaliser à Fondcombe, et que la date du départ n'était pas encore fixée. C'était le milieu du mois d'Hithui ("Brumeux"), et l'hiver serait là d'ici un mois et demi...
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Horselords - 2ème partie : neige précoce

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1 - Décisions
Au grand dam de Mordin, qui ne voyait aucun intérêt dans ce détour par Rhosgobel, la visite du magicien Radagast fut maintenue. Et plutôt que de passer par la trouée du Calenardhon entre Monts Brumeux et Montagnes Blanches, une majorité préférait passer par-dessous les Monts Brumeux, autrement dit par Khazad-Dûm ("Demeure des Nains"), que certains appelaient Moria ("Puits Noir"). Le débat restait ouvert quant au chemin ou au mode de locomotion. Passer par la région de Fennas Drúnin, au confluent des rivières Bruinen et Mitheithel, ne posait problème à personne. D'autant qu'il semblait que cela fût un passage obligé pour permettre de rentrer chez les nains par la suite : Taurgil voulait aller voir ses amis nains de PetiteForge, près de Fennas Drúnin, pour avoir tous les éléments nécessaires pour leur garantir le passage sous la montagne.

Drilun émit l'idée de partir en charrette et d'acheter des armes et autres objets de métal qui pourraient servir de troc en Rhovanion. Mais d'une part, la charrette pourrait les gêner dans les lieux sauvages qu'ils risquaient de traverser ; d'autre part, ils seraient en concurrence avec les nains des Monts de Fer qui fournissaient déjà beaucoup de ces articles. Après discussion, il semblait plus judicieux de voyager sans trop s'encombrer. Il serait possible de faire l'acquisition de quelques armes de qualité auprès des nains de Khazad-Dûm pour servir de présent à des chefs, au même titre que l'épée remise par le roi d'Arthedain à l'attention d'Atagavia, Huithyn ("grand chef") des Waildungs.

Faire le voyage à pied ne convenait absolument pas à Geralt, qui aurait encore préféré la charrette. Mais même en dehors de lui, la plupart des aventuriers furent vite d'accord que le trajet serait assez long comme cela sans en rajouter. Décision fut donc prise de partir tous à cheval. Taurgil s'assura qu'il aurait un cheval noir, et il vérifia auprès de Geralt que ce dernier pouvait s'habiller tout en noir. Il avait en effet appris de la part de Mordin et Niemal que les orientaux étaient superstitieux et que les Sagaths vénéraient une espèce de divinité démoniaque, un seigneur de la nuit appelé "le Noir". Il se disait donc qu'un peu de mise en scène, ajoutée aux talents singuliers de l'assassin pour faire peur, pouvait faire des miracles. La question de la langue ne fut pas abordée, néanmoins, mais il restait du temps pour y réfléchir...

Le choix du chemin fut plus âprement débattu. Taurgil était amateur d'étendues sauvages et voulait traverser l'Eregion depuis Fennas Drúnin, alors que Geralt préférait rester sur les routes balisées et voulait passer par Tharbad. En apparence, la traversée de l'Eregion pouvait faire penser à un raccourci, mais Niemal prévint que ce n'était pas forcément le cas : faute de route ou de personne connaissant bien le terrain, il était facile de se perdre. Et dans les contreforts des Monts Brumeux, l'allure était généralement très lente, même avec des chevaux. En définitive, la route par Tharbad puis le long des rivières Glanduin et Sirannon - chemin régulièrement employé et entretenu par les nains - serait sans doute la plus rapide.

Par ailleurs, Drilun parla de se procurer une longue-vue, la précédente étant restée en possession de Grandes-Gigues/Sîralassë, qui n'était plus parmi eux. Ces outils, autrefois communs du temps de Númenor, étaient maintenant rares et précieux. Néanmoins, Tharbad comportait des grands capitaines-marchands du Gondor qui faisaient régulièrement l'aller-retour entre Tharbad - accessible aux bateaux de haute mer - et Pelargir, le plus grand port de Gondor. Sans doute certains d'entre eux auraient un tel objet avec eux. Il serait sûrement difficile de les persuader de s'en séparer, mais qui ne risque rien... Au final, ce dernier élément acheva de convaincre la majorité : l'équipe passerait par Tharbad et suivrait routes et rivières jusqu'à Khazad-Dûm.

2 - Écureuil et dragon
La date de départ n'était pas non plus fixée. L'équipe comptait partir vite, même si cela faisait voyager à la plus mauvaise saison. Mais ainsi, le voyage de retour pourrait être préparé dans les meilleures conditions et le groupe risquait moins d'être pris par le temps ou gêné par des impondérables... que certains imaginaient sans doute nombreux. Néanmoins, Drilun souhaitait fabriquer quelques objets à l'aide de sa magie runique et de quelques personnes d'Imladris pour l'aider. Il n'avait que l'embarras du choix, tant les objets utiles qu'il pouvait fabriquer étaient nombreux, mais il devait se limiter. Il essaierait de compléter ses œuvres en cours de route, même si les conditions étaient moins bonnes.

Ayant à sa disposition de l'os et des restes de peau de dragon, il commença par se confectionner un bracelet pour l'aider à imprégner de magie des objets faits dans ces matériaux draconiques. Ce qui lui permit, dans un deuxième temps, de se faire un anneau pour améliorer sa capacité à lancer des sorts divers comme ceux qu'Isis savait faire, sorts qui risquaient de leur manquer. Il restait en effet le seul magicien du groupe capable de modifier les apparences, jouer avec feux et flammes, percevoir les présences et ressources diverses à distance, et bien d'autres choses qui lui demanderaient de l'énergie et qui ne passaient pas forcément inaperçues. Enfin, il confectionna aussi pour Mordin, toujours avec l'aide d'un membre de la maison d'Elrond, un sac spécial qui laissait "oublier" une partie du poids et de l'encombrement de son contenu... Sac qui fut utilisé pour transporter l'or qui allait servir pour acheter les chevaux - il y avait plus de deux mille pièces d'or, soit environ quarante livres (~ 20 kg).

Ses amis ne restèrent pas inactifs durant les trois bonnes semaines que prit le Dunéen pour ses objets magiques. Ils savaient que le Rhudaur recélait une plante rare qui leur avait sauvé la mise plus d'une fois, la noix de l'écureuil. Cette noix était un fantastique stimulant qui accélérait leurs réflexes pendant plusieurs heures, avant de les laisser affaiblis. Les guerriers du groupe étaient si doués déjà qu'avec cette augmentation de leurs capacités, les combattants adverses n'avaient pas la moindre chance de porter un coup. Avec l'aide d'Isilmë, qui connaissait bien la région, et avec l'aide d'une flore possédée par Taurgil, ils se mirent en quête des bosquets de résineux dans lesquels cette noix spéciale pouvait être trouvée. Tous sauf Drilun, occupé à ses objets magiques, et Geralt, trop pris par la réserve de moral et d'énergie qu'il préparait du fond de son lit...

Les excursions du groupe furent nombreuses et couronnées de succès. En fait, au-delà de la connaissance du terrain, Isilmë semblait avoir quelque chose d'au moins aussi précieux : la chance. Même sans connaître rien aux plantes, elle avait le don de tomber précisément aux endroits où les noix étaient présentes. Noix que le hobbit s'empressait d'aller cueillir ensuite, lui qui était le plus léger et un excellent grimpeur également. Néanmoins, son estomac et sa gourmandise n'étaient pas non plus à sous-estimer, et ses amis se demandèrent parfois si la récolte n'aurait pas pu être meilleure en envoyant quelqu'un d'autre jouer aux écureuils...

Il fallait aussi se montrer discret car les patrouilles du Rhudaur parcouraient la région et le groupe ne souhaitait pas particulièrement combattre. Mais tout le monde n'a pas la chance d'Isilmë, et à une occasion, alors qu'une troupe de guerre d'une bonne vingtaine d'individus passait à proximité, les cinq amis eurent une mauvaise surprise : ils se cachaient dans un abri naturel formé par des branches couvertes de neige et tombant jusqu'à terre, lorsque la neige tomba des branches qui se relevèrent, exposant le groupe à la vue des guerriers du Rhudaur, qui se tenaient à moins d'une portée de flèche de là... et qui accoururent vite en hurlant.

Rob, petit et trop bien caché, passa complètement inaperçu et se contenta de ne pas bouger. Mordin, à la surprise générale, compensa ses jambes plus courtes par une rapidité à laquelle personne ne l'aurait cru capable, et il distança tout le monde, avant de s'immobiliser dans le manteau elfique prêté par Drilun, devenant de fait comme invisible. Taurgil s'éloigna et utilisa la magie de la nature récemment apprise auprès des elfes pour se fondre dans le paysage, une fois immobile. Vif fonça dans un roncier que son adresse naturelle lui permit de gérer sans mal, avant de grimper à un arbre pendant que ses poursuivants étaient empêtrés. Isilmë distança les humains et se cacha elle aussi en haut d'un arbre. Les hommes du Rhudaur ne trouvèrent donc personne à combattre, mais les aventuriers préférèrent écourter là leur chasse aux noix d'écureuil...

3 - Neige précoce et épaisse
Il fallut bien trois semaines à Drilun et à ses amis elfes pour confectionner ses objets magiques. Plus un peu de temps pour se reposer et payer en retour les elfes de la maison d'Elrond avec un nouveau récit de leurs aventures contre Ardagor. Récit son et lumière, le Dunéen utilisant ses capacités magiques pour agrémenter son récit de bruitages et effets pyrotechniques. Puis l'équipe se prépara au départ, sans même une plainte de Geralt qui avait eu le temps de bien profiter de son lit. Tous partirent à cheval, Rob en croupe de celui d'un de ses amis.

La première étape était le pont sur la Mitheithel ("Fontgrise"). Il fallait prendre la Grande Route de l'Est, en général bien surveillée par les troupes du Rhudaur. Mais l'équipe comportait des personnes aux sens particulièrement exercés, ce qui permettait de repérer les ennuis possibles avant que ces derniers ne repèrent le groupe. Les aventuriers purent ainsi progresser à bonne allure et faire des détours pour éviter d'être vus. A la fin du deuxième jour, ils arrivèrent à l'auberge du Dernier Pont, alors que le temps semblait annoncer l'arrivée prochaine de la neige. Rien de bien étonnant, en cette deuxième décade de Girithron ("Grand Frisson"), dernier mois de l'année 1640.

L'accueil fut chaleureux - les voyageurs étaient rares en cette saison ! - et la nuit se passa sans incident. Mais au petit matin, les voyageurs découvrirent une épaisse couche de neige sur tout le paysage, neige qui continuait à tomber. Contrairement à ce qu'avait envisagé le patron de l'auberge, le groupe reprit son voyage, cette fois-ci le long de la rivière qui leur servait de repère. Mais l'allure n'était pas la même : il n'y avait aucune route ni même sentier, et la neige pouvait couvrir des trous et autres obstacles dans le sol, ce qui rendait le pas des chevaux plus incertain et difficile. Au départ, Vif utilisa des raquettes achetées à l'aubergiste pour ouvrir la route, mais en fin de compte elle monta en selle derrière Geralt, et à eux deux ils ouvrirent le chemin en trouvant les meilleurs endroits où passer. Mais l'allure fut bien lente.

Le soir, qui arriva tôt, l'épaisseur de neige avait encore augmenté. Les aventuriers firent une espèce d'igloo avec la neige pour se protéger, et la nuit se passa sans incident. La neige s'était arrêtée de tomber, mais elle tenait bien et les chevaux allaient avoir du mal à avancer dans une telle épaisseur : leur progression serait lente et ils se fatigueraient vite. Et puis au moment de partir, Vif repéra une traînée rouge au loin, et elle arriva même à distinguer des traces dans la neige qui en partaient. Si précise fut sa vision à ce moment-là qu'elle pouvait suivre ces traces qui les contournaient, et qu'elle put affirmer, à la grande stupeur de ses amis qui n'y voyaient goutte, qu'il s'agissait probablement... d'un lynx.

Les anciens de l'équipe pensèrent immédiatement à Tina/Tevildo, et Drilun fit un sort pour repérer d'éventuelles présences à proximité. Portés par sa magie et l'eau proche, il entendit distinctement les pas de nombreux loups - dont l'un d'eux nettement plus lourd que les autres - mais aussi d'un petit animal léger et très discret, ce qui correspondait bien à un petit félin comme un lynx. Les aventuriers déduisirent que le loup-garou Caran Carach était sur leurs traces avec une bande de wargs, et que Tina/Tevildo avait dû en tuer un - d'où la trace rouge sang - et les surveillait.

La journée se passa à avancer lentement dans la neige épaisse, tout en discutant de la suite et en tenant Mordin et Isilmë informés de la nature de leurs poursuivants. Le soir, le ciel se faisait menaçant, et Rob, qui avait séjourné longtemps chez les elfes, parla de magie proche. Depuis qu'il avait été affecté par l'anneau de lumière trouvé près d'Angmar, il avait développé une certaine sensibilité à la magie, sensibilité qu'il avait entraînée chez Elrond, n'ayant guère de choses à faire et ayant largement assez de sources sur lesquelles pratiquer. Également, le groupe se rendit compte que les chevaux souffraient de la faim : ils s'étaient beaucoup dépensés dans la neige, et cette dernière les empêchait d'accéder à l'herbe dont ils avaient besoin. Et le groupe n'avait pas pensé à emmener du grain...

4 - Neige et magie
Un camp fut monté en profitant au maximum de la ripisylve, ces arbres qui bordaient la rivière. Des branches furent coupées et entrelacées afin de faire la trame d'un mur de neige assez grand pour les protéger tous - chevaux compris - d'une éventuelle attaque et du vent. D'autres balayèrent la neige, avec un bouclier par exemple, afin d'aider les chevaux à prendre une maigre pitance. Drilun, quant à lui, décida de s'attaquer à la source de leurs problèmes : le temps qui menaçait au-dessus de leurs têtes. Il n'était pas aussi sensible que Rob concernant la magie, mais il lui faisait confiance. Et lui aussi avait des pouvoirs sur le temps.

Il essaya d'abord de faire s'écarter les nuages au-dessus d'eux. Mais après un moment où il vit la nébulosité refluer, les nuages reprirent leur position et continuèrent même à s'amonceler au-dessus de leur tête, venant de toutes les directions ! Il fit se lever alors un vent pour les repousser, mais là encore, le mouvement qu'il entraîna sembla être contré par une nouvelle force. Il y avait bien de la magie à l'œuvre, et malheureusement elle était plus forte que celle de Drilun ! S'agissait-il de Caran Carach, qui était un ténébreux sorcier avéré, ou y avait-il quelqu'un d'autre ?

De son côté, Vif demanda l'aide d'Isilmë. Cette dernière avait montré qu'elle maîtrisait un peu la magie des soins, magie qui aidait la Femme des Bois à se transformer en félin. Après avoir expliqué ce qu'elle attendait, les deux femmes s'éloignèrent et l'elfe aida son amie humaine. Peu après, Vif prit la forme d'un être mi-félin mi-humain, à la grande stupeur de Mordin et d'Isilmë, qui n'avaient pas encore assisté à une transformation de leur compagne. Vif avait choisi cette forme-là car elle pouvait quand même parler et rester vêtue, tout en bénéficiant de sens accrus et de meilleures dispositions au combat. Et c'était une forme qu'elle contrôlait parfaitement, elle ne craignait donc pas de voir son côté félin la dominer.

Un tour de garde fut instauré, mais la nuit se déroula sans incident. Par contre, la neige était encore plus épaisse au réveil, et Rob n'avait aucun problème pour se cacher dans cet océan blanc, il lui suffisait de s'accroupir un peu ! Pourtant, il ne fallait pas rester là, et la route fut reprise. Les chevaux progressèrent lentement, jusqu'au moment où deux d'entre eux montrèrent des signes de grande faiblesse et refusèrent d'avancer, tremblant sur leurs pattes. Les aventuriers décidèrent alors de rester sur place et de s'occuper d'eux.

Certains balayèrent la neige, tandis que Drilun trouvait plus facile de la faire fondre en réchauffant magiquement l'air autour d'eux. Rob et Vif allèrent chercher des herbes plus loin, sur les bords de la rivière, au risque de tomber dans l'eau. Un nouveau camp fut monté, et les chevaux purent manger correctement et se reposer. La journée se passa ainsi qu'une nouvelle nuit, et le trajet fut repris. Rapidement, l'épaisseur de neige diminua à un niveau qui permit de reprendre une allure plus rapide, puis le manteau neigeux finit par disparaître totalement. Les chevaux ayant récupéré leurs forces et pouvant brouter facilement lors des pauses, le rythme s'accéléra.

Bientôt, l'ancienne haie qui marquait la frontière entre le Rhudaur et le Cardolan fut franchie, et les premières fermes et autres masures apparurent au loin. En fin d'après-midi, le groupe arriva à hauteur d'un château en ruines installé sur une butte de l'autre côté de la rivière. Taurgil poussa des cris dans sa direction, et il lui fut répondu : c'était son château, et ses amis étaient là et l'avaient reconnu. Mais il fallait encore descendre jusqu'à Fennas Drúnin, plus au sud, où ils trouveraient un bac pour les faire passer. Peut-être même pourraient-ils être arrivés chez lui au début de la nuit...

5 - De retour dans l'Angle
La ville installée au confluent de la Mitheithel et de la Bruinen fut atteinte avant que le soleil ne disparaisse à l'horizon, et à temps pour prendre le bac du soir. Au moment de discuter du prix à payer, le passeur reconnut Taurgil, qui était un héros local et qu'on n'avait pas vu depuis longtemps à Fennas Drúnin. Du coup, le passage en bac fut gratuit pour toute l'équipe, mais le Dúnadan dut se plier à de nombreuses mondanités auprès des petits et grands de la ville venus le voir pour le saluer, discuter ou lui payer à boire... L'équipe s'en arrêta là pour la journée et passa la nuit à l'auberge. Ce fut aussi l'occasion d'en entendre plus sur les exploits passés du rôdeur et de ses amis, et leur implication dans la guerre contre le Rhudaur et Angmar. Mordin en profita pour vendre quelques noix de l'écureuil à Andalyn, herboriste et contact de Gandalf à ses heures. Et Geralt eut beaucoup de succès en racontant leurs aventures à un public enthousiaste, malgré parfois quelques exagérations...

Le lendemain, le groupe repartit et arriva sans mal au château en ruines et demeure de Taurgil et de ses anciens amis. Avec quelques gardes ainsi que divers artisans, tout ce beau monde était occupé à restaurer le château, grâce à une importante somme d'or que le Dúnadan et ses amis avaient trouvée dans le Rhudaur. Un trésor de famille bien caché - Taurgil était descendant des anciens rois dúnedain du Rhudaur - et près duquel une famille de trolls avait élu domicile... Il y avait beaucoup à raconter, des deux côtés, car tous avaient vécu de nombreuses aventures.

La journée fut donc occupée à visiter le château et à se découvrir les uns les autres. Les anciens compagnons du Dúnadan formaient une équipe presque aussi variée que ses amis plus récents. On y trouvait par exemple des elfes comme Dolwen la rôdeuse, Enhar le guerrier nain, ou encore Peron, un homme à l'allure très ordinaire. Enfin, si l'on exceptait sa grande taille : il dépassait tout le monde, et devait être au moins aussi grand que Narmegil. Sa tête disait aussi quelque chose à Geralt, qui se demanda s'il ne l'avait pas vu à Tharbad ; après discussion, et malgré la prudence de l'homme, il lui apparut clairement qu'il était passé par la guilde des voleurs dont l'assassin était l'un des chefs...

Le lendemain, Taurgil, Vif, Drilun, Isilmë, Geralt, Mordin et Rob reprirent la route pour la ville double de PetiteForge et Havroseau. Sur les bords de la Bruinen, à égale distance de Fennas Drúnin et du château de Taurgil, elle était composée de deux communautés, l'une de nains et l'autre de hobbits. Taurgil et ses amis avaient autrefois aidé à sauver la ville d'attaques de wargs menés par un sorcier, et le chef des nains, Beleg, avait remis à cette occasion un anneau d'amitié naine à Taurgil. Ce dernier voulait revoir le nain pour lui demander des conseils afin de permettre à ses amis et lui de traverser Khazad-Dûm.

Beleg donna donc des conseils et des noms de personnes à contacter ou citer, afin que le passage se fasse sans problème. Tandis que Geralt épatait nains et hobbits à l'auberge du coin avec le récit enflammé de leurs aventures - une fois de plus - Drilun épatait les forgerons nains avec ses outils de mithril hérités de l'aïeul de Sîralassë. Il les mit d'ailleurs à l'usage : il en prêta certains à Mordin, qui savait un peu forger comme tous les nains, afin de fabriquer des pointes de flèches demi-lune pour trancher des cordes par exemple ; tandis que lui-même s'occupait des fûts et empennages et de fixer le tout. Ils purent en faire une demi-douzaine dans la journée.

6 - Retour à Tharbad
Le lendemain, l'équipe partit vers la capitale économique du Cardolan à bonne allure. La grande ville fut atteinte en un peu moins de deux jours. Malgré la veille constante des uns et des autres, leurs poursuivants n'avaient pas été perçus à nouveau. Pourtant ils étaient plusieurs à les deviner quelque part sur leurs talons voire devant eux, mais trop éloignés pour pouvoir les percevoir... Le pays traversé avait été moins sauvage, moins propice peut-être aux embuscades ou à la magie noire. La prochaine phase de leur voyage, entre Tharbad et Khazad-Dûm, serait une autre histoire : ils longeraient le sud de l'Eregion, région désertée de tous, sur une route guère utilisée par les nains en cette saison froide.

Après les habituelles corvées - faire la queue à l'entrée et donner ses nom et occupation, ainsi qu'une taxe d'entrée - la ville s'ouvrit à eux. Immédiatement, les mendiants de tout poil affluèrent, mais pas pour longtemps : non seulement Geralt savait leur faire comprendre qu'ils avaient tout intérêt à ne pas approcher, mais Mordin également montra qu'il n'était pas nain à se laisser marcher sur les pieds ou se laisser prendre la bourse facilement. Jeunes ou vieux, tous les mendiants comprirent qu'ils n'avaient rien à attendre de ce groupe, et ils les laissèrent tranquilles.

Geralt souhaitait aller voir Dirhavel l'alchimiste sur l'autre rive, afin d'obtenir des nouvelles de la guilde avant de s'y rendre. Mais auparavant, le groupe décida de s'arrêter à la maison de la baronnie de Tyrn Gorthad, où ils étaient connus - certains d'entre eux, du moins. Ni Pelenwen ni Pelendur n'étaient là, mais un serviteur, qui avait soigné Geralt lorsqu'il avait été empoisonné, se souvint très bien de lui et il offrit d'héberger l'équipe. Après quoi le chef des assassins passa dans la partie sud de la ville pour aller prendre des nouvelles auprès de l'herboriste et de son amie.

La "guilde des commerçants" (officiellement) allait bien et personne ne semblait comploter contre Geralt, aussi ce dernier s'y rendit-il. Son ami et lieutenant Eskel, chef en son absence, l'informa de tout et de rien, et Geralt se replongea un moment dans les affaires de la guilde. Il fut content de découvrir que l'expérience de la "compagnie de la main écarlate" avait été plutôt bien vécue, et que des petits boulots continuaient à maintenir l'expérience un peu vivante, même si... les assassins restaient avant tout des assassins. Mais c'était un début.

A côté de cela, les membres du groupe se demandèrent comment faire pour trouver une longue-vue. Autrefois courants du temps de Númenor, ces outils n'étaient plus guère fabriqués qu'en Gondor par de rares maîtres-artisans, et beaucoup avaient été détruits ou emmenés en Umbar lors de la Guerre Fratricide, deux cents ans auparavant. Geralt avait prévenu que si les rares exemplaires présents à Tharbad étaient en possession de riches capitaines de Gondor qui faisaient tous partie de la puissante guilde des marchands, les voler poserait de gros problèmes politiques entre marchands et voleurs. La ville n'aurait rien à gagner à un conflit entre ses deux plus puissantes entités. Rob avait donc été prié de faire attention à ses mains : voler n'était pas la meilleure des solutions. Encore fallait-il en trouver une autre...
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Horselords - 3ème partie : épreuve du feu

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1 - Petit tour en Dol Calantir
Après avoir vérifié trois maisons plus loin que la princesse de Dol Calantir n'était pas présente dans sa demeure de Tharbad, les aventuriers décidèrent de lui rendre visite à son château d'Argond. Ce dernier n'était distant que d'une trentaine de miles (~ 50 km) à l'ouest de Tharbad, et Finduilas était sans doute la personne la plus à même de fournir au groupe une longue-vue. Elle en avait certainement les moyens financiers, et elle avait peut-être sous ses ordres des capitaines de navire qui en possédaient, ou en tout cas elle devait connaître des personnes dont c'était le cas. On n'était pas la personne la plus riche du Cardolan pour rien. Et puis, elle devait se souvenir de l'aide que Drilun et ses amis avaient apportée lors de la campagne contre Ardagor. Certains avaient quitté l'équipe, remplacés par d'autres, mais elle se rappellerait sans nul doute du Dunéen.

Et c'est ainsi que le groupe partit à cheval par un beau jour de Girithron ("Grand Frisson"), dernier mois de l'année. Le soleil était radieux et la température douce, alors que la compagnie ne se souvenait que trop bien de la tempête de neige des jours précédents. Pourtant, dans les conversations qui suivraient à Dol Calantir, les aventuriers ne rencontreraient qu'étonnement au récit de leurs difficultés météorologiques. Ici, dans la vallée du Gwathló ("Flot-Gris"), le temps avait été normal, sans neige, avec peut-être juste un peu de pluie et de fraîcheur... Oui, le temps près du Rhudaur était bien capricieux... ou les sorciers d'Angmar bien puissants.

Après une balade sans histoire de quelques heures à cheval, les gardes du château d'Argond eurent un peu de mal à reconnaître les aventuriers, tant le groupe avait changé dernièrement. Mais en fin de compte, un sergent alla s'enquérir de la disponibilité de la princesse, qui était bien présente au château. Il revint bien vite en disant qu'il allait les amener à un petit salon où des collations étaient servies, et que Finduilas les rejoindrait sous peu. Le groupe laissa ses chevaux à l'écurie et suivit le sergent dans le château, à l'exception de Vif, qui déclara qu'elle préférait rester s'occuper des montures. Elle était toujours sous sa forme demi-féline, toute emmitouflée de vêtements pour cacher son apparence, et elle ne tenait pas trop à apparaître ainsi devant Finduilas, qui était une magicienne réputée.

Le sergent guida les six aventuriers et les laissa dans le salon préparé à leur intention. Geralt, tous les sens aux aguets, écouta soigneusement en quête d'oreilles qui traînaient aux alentours. Bien sûr, les serviteurs du château étaient sûrement un peu curieux, comme partout, mais il ne perçut aucune tentative d'espionnage manifeste. Enfin, après peut-être une heure d'attente, la princesse entra dans le salon. Jolie sans pouvoir se comparer à Pelenwen, ses riches vêtements attestaient de son rang et de ses finances. Elle salua ceux qu'elle connaissait par leur nom, et demanda qu'on la présentât aux nouveaux qu'elle ne connaissait pas.

Elle écouta donc Mordin, s'intéressa à Isilmë à qui elle demanda ce qui la poussait à partir à l'aventure plutôt que de rester à Imladris, et fut intriguée par Rob : elle connaissait les semi-hommes, mais manifestement elle imaginait mal l'un d'entre eux partir à l'aventure. Elle s'étonna que Vif soit restée avec les chevaux, mais on lui fit comprendre que la Femme des Bois était solitaire et mal à l'aise dans les villes et châteaux. Elle demanda des nouvelles des absents, et en particulier d'Isis. Était-ce la nouvelle grossesse de la femme de Narmegil qui faisait qu'ils n'étaient pas là ? Il semblait que la nouvelle était connue depuis très peu de temps à Fornost Erain, mais Finduilas paraissait bien informée. De même, elle savait que Mordin était en mission pour l'Arthedain, mais elle ne savait pas exactement en quoi cela consistait. Enfin, elle demanda aux aventuriers ce qui les amenait par chez elle. Elle ne s'attendait pas vraiment à ce qu'il ne s'agisse que d'une simple visite de courtoisie...

2 - Négociations autour d'une longue-vue
Drilun expliqua donc que Sîralassë ayant gardé la longue-vue de la famille Eldanar pour son combat contre Angmar, le groupe regrettait de ne plus pouvoir se servir de cet outil si pratique. En effet, les aventuriers devraient prochainement aller chercher de nombreux chevaux pour l'Arthedain dans le Rhovanion, et ils s'attendaient à rencontrer des ennemis nombreux et variés. En fait, l'un d'eux les suivait déjà. Dans les contrées sauvages qu'ils allaient traverser, et dans les vastes plaines sauvages où ils allaient chercher ces chevaux, la possession d'une longue-vue était un atout de taille : pouvoir repérer les ennemis possibles comme s'ils étaient dix fois plus près, voilà qui pouvait faire la différence entre la vie et la mort pour de nombreux chevaux voire eux-mêmes !

Finduilas comprit la nature et l'intérêt de cette demande, et elle admit qu'elle était en contact avec des gens susceptibles de posséder un tel objet, presque impossible à acquérir normalement. Mais en échange de ce service, qu'est-ce que Drilun et ses amis étaient prêts à fournir ? Certes, ils avaient bien aidé contre Ardagor, mais la princesse n'était pas non plus restée les bras croisés, et elle ne paraissait pas vraiment s'estimer redevable d'un tel service - en tout cas pas pour rien. Elle était donc en attente de quelque chose qui la motiverait à utiliser ses contacts et ses multiples talents de persuasion. Elle fixait ostensiblement l'archer-magicien du groupe en disant cela : ayant voyagé un moment ensemble, il savait ce qu'elle désirait, et elle savait qu'il savait. Tous les regards étaient donc fixés sur le Dunéen... qui hésitait.

Ses amis essayèrent de comprendre pourquoi il hésitait en l'interrogeant à voix basse. Eux-mêmes n'ignoraient pas que Finduilas chérissait particulièrement tout ce qui avait trait à la magie - savoir ou objets de pouvoir. Et la princesse sut se montrer plus explicite lorsque des questions lui furent posées : elle affectionnait tout particulièrement ce qui pouvait améliorer magiquement son influence, son charisme... comme un certain pouvoir qu'avaient les elfes, par exemple. Mais Drilun, que ce soit pour lui apprendre sa magie ou pour lui fabriquer un objet, trouvait que cela prendrait trop de temps. En fin de compte, poussé par ses amis qui lui dirent qu'ils n'étaient pas à quelques jours près, il céda aux demandes de la jeune Dúnadan.

Le magicien dunéen décida de faire un parchemin magique avec des runes qui apporteraient à son lecteur un peu du charisme des elfes - magie qu'Isilmë pouvait fournir. Le pouvoir du parchemin se rechargerait chaque jour, et Finduilas serait associée à la fabrication du rouleau, pour voir les étapes de la création. Ce qui convint parfaitement à la princesse, qui utilisa ses ressources pour tâcher de voir qui parmi ses contacts possibles était susceptible de posséder une longue-vue... et de s'en défaire, et à quel prix. Il fallut trois jours pour cela. De toute manière, il fallait près d'une semaine à Drilun pour achever son parchemin magique.

La princesse annonça, à l'issue de ses recherches, qu'elle avait trouvé plusieurs personnes qui possédaient l'objet convoité, et peut-être l'une d'elles serait susceptible de se priver de son trésor pour une saison ou deux, le temps de trouver ou faire fabriquer une autre longue-vue par des maîtres-artisans. Il s'agissait d'un capitaine-marchand du Gondor, à la tête de plusieurs bateaux, et personne influente de la guilde des marchands de Tharbad. Il était dans la ville marchande pour tout l'hiver, et reprendrait la voile après avoir fait un bon stock de précieuses marchandises à écouler au sud. Sa longue-vue lui servait énormément pour passer le cap d'Andrast, théâtre de forts vents et courants contradictoires dans une zone infestée d'écueils, et pour échapper aux pirates d'Umbar qui faisaient la chasse aux navires comme les siens.

En fin de compte, après six jours, Finduilas et les aventuriers s'en vinrent à Tharbad. La princesse, après s'être bien préparée, s'en alla à un dîner d'affaires avec la personne en question, sans oublier d'utiliser le parchemin remis par Drilun. Le lendemain, elle apporta une longue-vue au groupe, preuve du succès de son entretien. Elle avait dû faire quelques concessions marchandes à son interlocuteur, mais elle avoua également qu'elle avait usé d'autres techniques. Et qu'à cet égard, la magie du parchemin avait été très utile... Elle était donc enchantée (dans tous les sens du terme), et Drilun et ses amis également. Ils allaient maintenant pouvoir repartir.

3 - La route des elfes
Les aventuriers se préparèrent donc à partir, plus rien ne les retenait à Tharbad. Une fois n'est pas coutume, en dehors de Drilun, c'est Geralt qui avait été le plus actif : non seulement il avait géré ses assassins au sein de la guilde des voleurs, mais il avait aussi profité du séjour dans le château de la princesse de Dol Calantir pour faire un peu d'espionnage. Au final, il n'avait trouvé que des gardes et serviteurs curieux comme partout, glosant sur les possibles partis pour Finduilas au sein de l'équipe. Ainsi, Taurgil, en tant que noble Dúnadan, arrivait bon premier, même si certains remarquaient l'intérêt de la princesse pour Drilun - mais ce n'était qu'un Dunéen. Le chef des assassins remarqua aussi que sa réputation comme flemmard n'était plus à faire...

Un beau matin de la fin du mois, à quelques jours des fêtes de fin d'année, le groupe se leva pour prendre la route... et découvrit une nouvelle tempête de neige comme Tharbad n'en voyait qu'une fois tous les dix ans. La neige était si drue qu'on n'y voyait pas à dix pas, et le tapis neigeux augmentait bigrement vite. Aussi les aventuriers décidèrent-ils de remettre leur départ à un jour plus clément. Les provisions achetées pour la route, de même que le grain pour les chevaux, pouvaient attendre quelques jours de plus. Mordin avait prévenu que la route était bien balisée et sûre, malgré son ancienneté, mais il ne fallait tout de même pas tenter le diable : la route était longue - entre cinq et six jours à cheval, au pas - et la région complètement inhabitée. Il serait dommage de s'y perdre ou de blesser les chevaux.

Le lendemain, le temps restait couvert mais il ne neigeait plus, aussi le groupe décida-t-il de tenter sa chance. Taurgil, à l'extérieur de la ville, utilisa de la magie et s'assura que la journée serait sèche, si l'on exceptait l'épaisse couche de neige au sol, mais que de nouvelles chutes de neige pouvaient arriver les jours suivants. Néanmoins, le départ fut donné. L'équipe passa au sud de Tharbad, puis commença à contourner les marais au sud et à l'est de la ville. La tâche était malaisée, car la route, bien que pavée, était recouverte de neige épaisse. Il fallut une journée complète, au pas, pour arriver à la fin des marais et à un pont sur la rivière Glanduin.

Le nom elfique de ce cours d'eau signifiait "Rivière Frontalière" dans le parler courant. En effet, au second âge, la rivière marquait la frontière sud du royaume d'Eregion, fondé par la reine Galadriel et son époux Celeborn. C'était dans sa capitale, Ost-in-Edhil, la "Cité des Elfes", que la confrérie des forgerons elfiques avait été fondée. Forgerons qui avaient réalisé, entre autres choses, les anneaux de pouvoir, avec l'aide d'Annatar, qui n'était nul autre que Sauron déguisé. Ce dernier avait forgé l'Anneau Unique en secret, tandis que de son côté, Celebrimbor, le plus grand des forgerons, créait les trois anneaux elfiques. Mais il perçut qu'il avait été dupé par Sauron lorsque ce dernier mit l'Anneau Unique au doigt, et il empêcha que les anneaux de pouvoir fussent utilisés et contrôlés par l'Ennemi. Ce fut alors la guerre, et l'Eregion fut détruit en quelques années. Mais c'était une autre histoire, vieille de plus de trois mille ans.

En attendant, les aventuriers chevauchaient sur la "route des elfes", nommée ainsi car elle joignait les royaumes d'Eregion et de la Lorien, chacun d'un côté des Monts Brumeux. Néanmoins, le terme n'était plus guère connu et encore moins utilisé. Les gens parlaient bien plus souvent de la "route des nains", car elle menait aussi à Khazad-Dûm, la "Demeure des Nains" dans leur langue. Par ailleurs, comme ils en étaient les principaux utilisateurs, c'étaient également eux qui l'entretenaient et laissaient à intervalle régulier des balises et des abris pour les voyageurs. Même si, après trois mille ans, son état s'était dégradé, la route restait néanmoins sûre. Large de sept pieds (~ 2,10 m), elle longeait la Glanduin puis la rivière Sirannon une fois Ost-in-Edhil passée.

4 - Eregion
Au pont sur la rivière Glanduin, Vif organisa un abri assez grand pour tous, en prenant appui sur l'un de ceux que les nains avaient laissés. La nuit ne posa aucun problème, mais des tours de garde furent instaurés. Pendant la nuit - une des plus longues de l'année - la Femme des Bois fit également un rêve inquiétant où Tina/Tevildo lui parlait : après avoir un peu protégé le groupe et vu sa capacité de résistance face aux intempéries, l'esprit des temps anciens annonçait qu'il restait en retrait. Il prévenait que l'équipe était suivie et devait s'attendre à une visite pas vraiment amicale, tôt ou tard, mais ne voulut pas en dire plus. Au réveil, la demi-féline partagea son songe - qui n'en était sûrement pas un - avec ses compagnons. Il était clair que Caran Carach leur rendrait tôt ou tard visite, il fallait rester prudent.

Pour l'instant, aucun ennemi ne semblait les suivre à faible distance. Drilun fit régulièrement des écoutes magiques chaque fois qu'ils montaient un camp, après avoir fait fondre la neige. Mais cette dernière masquait les sons des êtres qui allaient et venaient. Au début du deuxième jour, avant même que le soleil se lève en fait, des flocons se remirent à tomber, mais en bien moindre quantité que deux jours auparavant. Le groupe repartit à cheval, et essaya d'augmenter l'allure, passant du pas au trot. Ce qui ne fut pas du goût d'Isilmë, cavalière encore peu expérimentée. Après diverses glissades et une chute, elle trouva refuge derrière Drilun, dont elle appréciait la compagnie. Après quelques expérimentations, des cordes furent enroulées autour de la croupe du cheval pour l'aider à se maintenir.

La deuxième journée passa vite et le chemin parcouru fut donc plus important, malgré les flocons. Le paysage était gris et relativement uniforme, mais il laissait entrevoir l'ancien royaume d'Eregion, peuplé de nombreuses collines et de haies autrefois plantées par les elfes. Ces haies étaient souvent composées de houx qui atteignaient des tailles imposantes, tels de grands arbres. Arbres qui étaient peu utiles pour s'abriter et encore moins comme refuge éventuel pour d'éventuels acrobates. Seule Vif, toujours amoureuse des arbres, y faisait des excursions fréquentes, le soir ou la nuit. Ces houx donnaient d'ailleurs son nom au pays : Eregion signifiait en effet "Pays du Houx" en sindarin, et dans la langue des humains, on l'appelait Houssaye.

Au matin du troisième jour, la neige avait cessé, et la longue-vue fut bien utilisée. Geralt en particulier arriva à distinguer, à la limite de sa vision, un groupe de dix à vingt silhouettes qui ressemblaient fort à des loups, dont l'un d'eux particulièrement gros. Auparavant, Drilun avait aussi magiquement senti qu'ils étaient suivis, mais à présent leurs poursuivants semblaient les dépasser. Ils étaient déjà au niveau des ruines d'Ost-in-Edhil, auxquelles les aventuriers arrivèrent bientôt. Bâtie sur un éperon au bord de la rivière, la ville en ruines faisait penser à un bateau blessé mais encore fier néanmoins. A ses côtés, au beau milieu de la rivière, une île portait des bâtiments de forme triangulaire qui semblaient avoir souvent été touchés par la foudre. Mais l'équipe ne s'attarda pas et elle laissa vite l'ancienne capitale d'Eregion derrière elle.

A la fin du troisième jour, Vif fit un nouvel abri à partir d'une construction de pierre laissée par les nains pour se protéger des éléments. La magie de Drilun l'avertit vite que des intrus approchaient, et pas pour profiter de l'abri. Manifestement, Caran Carach et ses wargs voulaient pimenter cette balade un peu morne. Le paysage, couvert de haies et de collines, était idéal pour se cacher et se rapprocher sans être vu, et bientôt une neige drue se mit à tomber, si bien qu'il était très difficile de voir au-delà de quelques mètres, même avec une source de lumière. Les conditions idéales pour une attaque de nuit... Les chevaux furent installés dans l'abri en dur et les dormeurs sous les branchages apportés par la Femme des Bois, et les tours de garde furent doublés. La nuit risquait d'être longue... mais les premières heures se déroulèrent sans incident.

5 - Baptême du feu dans la neige
Au beau milieu de la nuit, sans doute au moment du passage à la nouvelle année, Rob réveilla Vif, sur le toit de l'abri, afin qu'elle prenne sa place pour veiller. Plus bas, Isilmë avait depuis longtemps fini de se reposer et scrutait les ténèbres, Mordin se levait, ayant fini sa nuit, tandis que les autres continuaient à dormir. Mais à peine debout sous la neige, les sens félins de la Femme des Bois l'alertèrent : ils avaient de la visite ! Vite, ses cris réveillèrent les dormeurs, qui eurent ainsi le temps de se mettre debout et de prendre leurs armes : l'effet de surprise ayant échoué, des hurlements s'élevèrent de toutes parts, tandis que les gros loups fonçaient vers le groupe. Les chevaux hennirent, paniqués, et s'enfuirent dans la nuit, sauf deux d'entre eux que Geralt parvint à calmer.

Ceux qui étaient déjà éveillés eurent le temps de prendre une noix de l'écureuil et de la croquer avant l'arrivée des premiers wargs. Leurs réflexes et leur rapidité furent donc stimulés de manière inhumaine, effet qui durait plusieurs heures... mais qui était suivi par un affaiblissement général d'une journée. Geralt avait également pris la précaution d'allumer sa lanterne avant d'aller se coucher, et l'huile fut régulièrement changée afin d'avoir de la lumière en permanence, sans quoi plusieurs auraient été bien en peine de percevoir ce qui leur tombait dessus. Mais là, ils étaient bien préparés, et l'attaque était survenue au meilleur moment, quand plus de la moitié du groupe était éveillée. Les wargs n'avaient qu'à bien se tenir...

Ils étaient près d'une vingtaine à charger, et Vif distingua également Caran Carach qui observait la scène depuis une butte proche, derrière un arbre. Drilun aurait rêvé de l'abattre d'une de ses meilleures flèches, mais avec la nuit et la neige, il ne le percevait même pas. En fait, il ne percevait les loups que lorsqu'ils entraient dans le cercle de lumière de la lanterne, à quelques mètres seulement. Isilmë et Vif voyaient un peu plus loin, mais les autres étaient à peu près dans le même cas que l'archer dunéen. Ce qui fut largement suffisant : lorsque les premières silhouettes des wargs apparurent, quatre arcs chantèrent à l'unisson.

L'elfe, le hobbit et la Femme des Bois étant accélérés par la noix de l'écureuil, ils purent tirer deux fois quand le Dunéen n'envoya qu'une flèche. Les sept missiles atteignirent leur objectif et sept gros loups tombèrent, morts sur le coup, sauf l'un d'eux qui fut seulement blessé. Un terrible hurlement parvint alors de l'endroit où le loup-garou les observait, et plusieurs personnes du groupe se sentirent glacées jusqu'au plus profond de leurs os, tous les nouveaux venus dans l'équipe, en fait. Mais ils tinrent bon, et avec un effort de volonté ils repoussèrent l'attaque magique et continuèrent à combattre comme si de rien n'était. La ténébreuse magie de Caran Carach n'avait eu aucun effet.

Malgré le tir de barrage, les autres loups furent bientôt sur le groupe, si bien que l'archère elfe prit son épée et Vif lâcha son arc : ces wargs allaient sentir ses griffes. Bientôt, une tête de loup fut arrachée de son corps, volant au-dessus de la scène du combat. Et elle ne fut pas la seule. Rob transperça deux autres wargs, dont l'un tellement proche qu'il lui fallut plonger pour esquiver le corps mort qui lui arrivait dessus. Les armes de Geralt, Mordin, Taurgil et Isilmë dansaient un ballet endiablé où les têtes et les corps des loups volaient en morceaux. Seuls le nain et le Dúnadan reçurent des attaques, mais la qualité de leur armure les empêcha d'être blessés.

Drilun, grâce au hurlement du loup-garou, arriva à percevoir à peu près où il se trouvait et lança un sort de lumière sur la bête afin de pouvoir mieux la repérer. Mais la lueur qui s'éleva dans l'obscurité était déjà en train de s'éloigner avec un nouveau hurlement qui annonçait la retraite des rares survivants. Deux autres bêtes furent abattues dans leur fuite, ne laissant qu'un seul survivant en plus de Caran Carach lui-même. Toute l'équipe était saine et sauve, et Mordin félicita ses compagnons, impressionnants au combat. En revanche, seuls deux des six chevaux étaient encore là, tremblant de peur. Était-il possible de récupérer les autres avant qu'ils ne tombent sous la dent des loups ?

6 - La porte ouest de Khazad-Dûm
Taurgil utilisa la magie que les elfes lui avaient apprise afin d'appeler au moins un cheval à distance, et un petit groupe partit à la recherche des équidés manquants. Au bout du compte, deux bêtes furent retrouvées, qui revenaient vers le camp. Quant aux deux autres... deux grandes tâches rouges furent repérées dans la neige, à une certaine distance du camp, le lendemain. Il fallut répartir les cavaliers sur les quatre montures restantes, faire des pauses régulières et changer les charges de temps en temps pour faire souffler les bêtes les plus chargées. Heureusement, le ciel finit par se dégager et l'épaisseur de neige se réduire avec le temps, ce qui facilita la progression.

Depuis Ost-in-Edhil, le groupe suivait la rivière Sirannon, la "Rivière de la Porte", dénommée ainsi car elle prenait sa source non loin de la porte ouest de Khazad-Dûm (appelée Moria par certains, mais pas en face des nains). Petit à petit, le terrain devenait plus accidenté et la route prenait de l'altitude, montant à l'assaut des contreforts des Monts Brumeux. C'était yestarë, le premier jour de l'année 1641, et deuxième jour des fêtes de fin d'année après mettarë, le dernier jour de l'année 1640. L'équipe n'avait jusqu'ici vu personne sur la route, pourtant régulièrement fréquentée, sans doute en raison de l'époque de l'année et de la météorologie exceptionnelle de ces derniers jours.

Et en fait, au cours de la journée, un convoi de marchands et gardes fut croisé. Les mules et leurs propriétaires et gardiens avaient été bloqués à la porte ouest de la demeure des nains à cause du mauvais temps, si bien qu'ils ne redescendaient que maintenant. Des saluts furent échangés, des informations aussi : comme souvent, les marchands avaient apporté du grain et de la nourriture pour les nains, et repartaient avec des produits finis de qualité, dont des armes et armures et des outils de métal. Les aventuriers mirent en garde contre la présence des wargs, puis les deux groupes se séparèrent. Le loup-garou ne donna plus aucun signe de vie du reste du trajet.

Le lendemain, un premier carrefour apparut. Mordin informa ses amis qu'il fallait prendre à droite vers la porte de Khazad-Dûm, et la "route de Durin" qui traversait la montagne. A gauche, la route des elfes se poursuivait jusqu'au col de Caradhras, ou Rubicorne en langue des hommes, et redescendait de l'autre côté, vers la Lórien. Mais il était bloqué par la neige à cette époque de l'année. Le groupe prit donc à droite, s'approchant de plus en plus de falaises encaissées. Bientôt, quelques bâtiments furent visibles, adossés au pied de la falaise, comme une grande auberge avec des écuries. Et au-delà, protégé par quelques gardes nains, un portail à deux battants était ouvert sur les profondeurs de la montagne et la demeure des nains : la porte ouest de Khazad-Dûm avait été atteinte.

Mordin se présenta, et Taurgil montra son anneau d'amitié naine. Il demanda à voir l'ami que Beleg, le nain qui lui avait remis l'anneau, lui avait dit d'appeler. Ce nain, du nom de Pini, arriva bientôt et fut enchanté d'avoir des nouvelles de son ami Beleg et de voir ce fameux Taurgil dont on lui avait parlé. Puis les affaires reprirent le dessus et les nains s'enquirent des objectifs du groupe. Face à la demande de passage, ils répondirent qu'il était rare (et cher) de laisser des étrangers traverser Khazad-Dûm. Mais pour un nain et un ami des nains, ainsi que leurs compagnons, cela ne poserait pas de problème, et leur passage serait même gratuit. Ils n'avaient pas de marchandises, donc pas de taxes à payer, en revanche les chevaux étaient un cas spécial, normalement ils n'étaient pas admis sous terre... mais il y avait toujours moyen de s'arranger.

Les quatre montures furent mises à l'écurie et Pini proposa de discuter des modalités du passage à l'auberge, devant une bonne bière. De toute manière, les aventuriers ne pourraient partir que le lendemain, car il fallait trouver des guides, même s'il n'y aurait pas besoin de porteurs pour les marchandises. Le trajet devait durer deux jours, afin de couvrir les 49 miles de la route de Durin, l'un des sept pères des nains et fondateur de cette maison. Il existait des grands auberges souterraines à mi-chemin ; la partie ouest de Khazad-Dûm était surtout destinée aux mines, et moins peuplée, et la partie est représentait plus la véritable cité des nains, avec ses nombreux ateliers. Où l'équipe aurait tout le loisir d'acheter quelques armes de bonne qualité.
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Niemal
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Horselords - 4ème partie : histoire d'éléments

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1 - Visite guidée
A l'auberge, devant une bonne bière (puis une deuxième), Mordin prouva qu'il avait le sens des affaires et qu'il n'était pas un débutant. Pini et lui finirent par se mettre d'accord sur un prix jugé relativement dérisoire pour le passage des chevaux et les guides qui allaient faire l'aller-retour. Après un dernier compliment, le garde nain quitta le groupe, donnant rendez-vous aux aventuriers aux portes de Khazad-Dûm peu avant l'arrivée du jour. L'après-midi touchait à sa fin et les heures qui restèrent furent occupées à se nettoyer, se restaurer, se reposer. Vif, malgré un froid qui convenait à son nom, choisit néanmoins de passer la nuit dehors, dans les branches d'un grand houx : elle appréhendait l'idée de passer des jours dans une ville souterraine, et voulait profiter au maximum du temps qu'il restait dans la nature, auprès de ceux qui avaient toujours été ses compagnons : les arbres.

L'équipe entra dans la demeure des nains à l'heure convenue, et Pini présenta les deux jeunes nains qui allaient servir de guide : Barig et Torik. Après avoir monté environ deux cents marches, le groupe arriva au hall de l'entrée ouest, une grande pièce carrée de cent quarante pieds (~ 42 m) de côté. Le mur est comportait trois doubles portes, mais Mordin n'arriva pas à se rappeler laquelle il fallait prendre, n'étant passé là qu'une unique fois. Barig emmena les aventuriers à travers l'ouverture de droite. La route de Durin était un boulevard de quatorze pieds (~ 4,2 m) de large, couvert de pierres taillées parfaitement jointives, boulevard taillé dans la roche sans aucun défaut visible : une véritable œuvre d'art...

Des lanternes éclairaient le passage de loin en loin, tandis que le couloir résonnait des sons nombreux de travaux de la mine. Sur un côté du boulevard, des rails portaient parfois des wagons poussés par des nains, remplis de minerais ou lingots, ou parfois soulevés par des poulies et appareillages. De temps en temps, des ouvertures laissaient passer de l'eau qui s'accumulait dans des bassins, avant de filer dans des canaux et de disparaître dans le sol. Au début du voyage, quelques ouvertures creusées dans la roche apportaient un peu d'air et de lumière de l'extérieur. Des sons de cloche - d'instruments probablement massifs - ponctuaient le lever et le coucher du soleil, ainsi que le passage des heures, et résonnaient dans toute la cité naine.

Si la partie ouest de la cité était peu vivante et essentiellement consacrée à des mines, elle ne manqua pas d'éveiller l'intérêt ou d'engendrer la surprise des nouveaux venus. Ainsi, les lieux importants étaient en partie éclairés par des lampes ou cristaux qui émettaient de la lumière sans aucune flamme visible. Drilun sentit tout de suite de la magie, et Barig expliqua fièrement que les artisans nains arrivaient à faire des lampes et pierres magiques qui éclairaient pendant des mois voire des années, et encore plus pour les ouvrages d'exception. Le Dunéen eut son moment de gloire quand il fit une lumière magique sur un mur, montrant comme le travail des forgerons nains lui était proche et l'intéressait. Ce ne serait pas la seule fois qu'il surprendrait les nains et qu'il leur parlerait un peu d'égal à égal...

Les aventuriers découvrirent à une occasion un élévateur, une petite pièce sans issue visible d'où sortirent des nains avec un chargement. Petite pièce qui montait et descendait le long d'une espèce de cheminée, à l'aide de contrepoids réglables, de rails et engrenages divers, à travers les sept "étages" et sept "profonds" de Khazad-Dûm. Ces différents niveaux étaient assez vastes, représentant chacun une épaisseur d'au moins trois cents pieds (~ 90 m). De nombreux escaliers et rampes permettaient de passer de l'un à l'autre, certains profitant d'excavations naturelles, comme un imposant gouffre à travers lequel les nains avaient bâti de nombreux ponts. A cette occasion, les yeux des chevaux furent bandés afin qu'ils ne prennent pas peur devant le vide insondable de chaque côté du pont.

Des gardes occupaient de petites pièces discrètes creusées de loin en loin dans les murs de la route de Durin. A midi, le groupe s'arrêta dans un hall consacré à la nourriture et à la boisson, qui résonnait de nombreux chants. Curieux, les nains observèrent un moment de silence devant les nouveaux venus avant de reprendre leurs chants, mais dans la langue des hommes voire celle des elfes cette fois, et non la leur. Rob ne put s'empêcher de donner quelques conseils de cuisine et de montrer ses talents, qui furent appréciés par tous. Et la route se poursuivit encore quelques heures, jusqu'à arriver à une espèce de grande auberge avec de nombreuses chambres taillées dans la roche, à une intersection importante. La zone minière s'achevait bientôt, le lendemain les aventuriers allaient pouvoir découvrir la cité naine à proprement parler, riche de nombreux nains et de leurs œuvres.

2 - Échanges marchands
Malgré quelques petits échanges possibles, les achats attendraient le lendemain. En effet, le groupe devait atteindre vers le milieu de la journée un grand hall au cœur de la cité naine marchande et industrieuse. Là, tout pouvait s'acheter de ce que les nains savent faire, pourvu que l'acheteur ait la bourse assez remplie, les bons interlocuteurs, et la langue bien pendue. Mais auparavant, les aventuriers découvrirent en cours de matinée un gouffre immense parcouru par un pilier de pierre imposant dont on ne voyait pas la base : la cheminée de Durin. Le lieu était parsemé de ponts et d'escaliers à perte de vue, unissant de nombreux couloirs et niveaux. Là encore, les yeux des chevaux furent bandés par des tissus et tout se passa bien, pour les équidés comme pour les bipèdes, dont aucun membre ne fut tenté de trop chercher le fond du gouffre...

Vers midi, le grand hall fut atteint, au carrefour de nombreuses artères de la cité. C'était un lieu de passage et d'échanges, où de nombreux artisans et marchands montraient des échantillons de leurs produits et prenaient des commandes ou étaient à l'écoute de nouvelles demandes. Bien entendu, ce qui était exposé était limité, mais il n'y avait pas de meilleur lieu pour trouver la bonne personne capable de fournir le produit le plus rare ou extravagant, ou le plus précieux. Même si les nains de Khazad-Dûm ne vendaient pas non plus n'importe quoi à n'importe qui. Mais en plus de la langue bien pendue de Mordin, Drilun avait aussi quelques petites choses à proposer.

Avant de se mettre en quête des bons articles et des bonnes personnes, l'équipe essaya tout d'abord de se mettre d'accord sur ce qu'elle cherchait. Un cadeau était déjà prévu pour Atagavia, chef des Waildungs, restaient cinq autres seigneurs-cavaliers nordiques. Que fallait-il privilégier ? Armes d'apparat ou efficacité au combat ? Épée, lance, hache ou autre objet ? Produit fini ou destiné à amélioration future aux bons soins du Dunéen, et quelle amélioration prévoir ? A quel prix tout cela ? Au bout du compte, le choix fut le suivant : trois épées, une lance et une hache. Toutes devaient être de qualité naine (acier nain supérieur) ; hormis une épée encore meilleure destinée à Mahrcared, grand guerrier et chef des Ailgarthas, la plus ancienne tribu nordique ; ainsi qu'une épée d'apparat, à l'esthétique excellente mais à l'efficacité normale, similaire aux épées classiques fabriquées par des forgerons humains - un objet d'art plus que de combat.

Drilun et Mordin allaient de marchand en marchand, cherchant, évaluant, discutant... et négociant. Le nain avait le négoce dans la peau, visiblement, surclassant même ceux qui l'entouraient ici - pour une partie du moins. Il arrivait ainsi à faire baisser les prix jusqu'à la moitié des premières propositions. Il payait ensuite rubis sur l'ongle, et obtenait peu après le produit recherché. Pas d'inquiétude à avoir ici sur la qualité du matériel : on recevait toujours son dû ici, tant que l'accord passé était rempli des deux parties. Les cinq armes recherchées furent donc bientôt en possession des aventuriers pour un prix raisonnable, et sans doute difficile à faire encore baisser, même si cela se montait au total à quelques dizaines de pièces d'or ; soit plus d'argent que bien des humains ne voyaient passer durant toute leur vie.

Mais l'archer-magicien du groupe ne s'en arrêta pas là, il avait d'autres choses en tête. Il comptait faire des emplettes plus personnelles, comme une corde de mithril pour un arc d'os de dragon qui restait à terminer, à Fondcombe, ou une hache pour son nouvel ami nain. Il savait que le mithril était rare et réservé aux nains eux-mêmes ou à des cadeaux princiers, mais il avait emporté avec lui deux manches en os de dragon, dont l'un comme monnaie d'échange. Ce matériau nouveau et rarissime fit l'émerveillement des nains qui le testèrent, et empêcha que certaines portes se referment. Voire même, elles s'entrouvrirent un peu plus...

Un manche d'os de dragon fut ainsi prêté à un marchand pour l'aider à une transaction avec un de ses pairs, avec promesse de considérer la demande de corde d'arc de mithril. A côté de cela, Drilun obtint également d'un autre marchand un fer de hache naine de très grande qualité, pour aller avec l'autre manche, et leur ajustement. Alliage nain spécial et manche d'os de dragon, il fallait un artisan de très grande qualité pour fixer et équilibrer les deux. Mais surtout, le Dunéen ayant montré ses créations magiques, il avait obtenu - moyennant finances négociées par Mordin - de pouvoir assister au travail en question. Tout en faisant partager aux nains ses connaissances des runes magiques, en particulier celles qu'il allait utiliser sur la hache en question...

3 - Semaine magique
Le lendemain, l'archer-magicien se rendit au grand hall, accompagné de Mordin et d'Isilmë. Le nain était curieux et souhaitait voir de ses propres yeux, voire apprendre, comment Drilun insufflait de la magie à ses objets. L'elfe, elle, semblait vouloir rester à proximité du Dunéen... sans autre avantage que de rester en sa présence. Les nains propriétaires de la forge où la confection de la hache allait se faire avaient donné leur accord, grâce à l'insistance de Mordin et l'intérêt pour cet humain qui savait tant de choses, mais la guerrière elfe se tiendrait tout de même à distance. En passant, Drilun rencontra l'autre marchand susceptible de lui fournir une corde d'arc de mithril. Le marchand n'avait plus le manche d'os de dragon, son échange à lui ayant été fructueux. Mais il avait la corde. Contre une somme que Mordin dut négocier, bien sûr.

Tandis que trois des aventuriers descendaient au troisième "profond", dans une forge spéciale où vaquaient certains maîtres-artisans nains, que faisaient leurs compagnons ? Celui qui râlait le plus, pour une fois, n'était pas Geralt, mais Vif. Elle appréciait peu de passer tout ce temps sous terre, et seule comptait pour elle le retour en surface et à la nature - boisée de préférence. Taurgil, de son côté, s'intéressait à la cité naine et attendait la suite des événements avec patience. Et Rob, fidèle à ses habitudes, et faute de pouvoir tester la profondeur des bourses des nains - pourtant bien tentantes - passa l'essentiel de son temps dans des cuisines. Il fit profiter les nains de ses compétences, et permit même de diminuer un peu la facture payée par Geralt à la fin de la semaine - tout en ayant mangé pour deux.

Le chef des assassins, quant à lui, ne perdait pas son temps : il écoutait, interrogeait et essayait d'en apprendre le plus possible dans le grand hall sur les événements de l'extérieur, et en particulier de là où ils allaient. Il finit par entendre quelques nouvelles de marchands nains qui étaient allés dans le Rhovanion et en étaient revenus en automne au plus tard. Il semblait que les attaques des Sagaths s'étaient intensifiées brusquement, comme si le nombre de ces orientaux s'était brusquement accru. Mais d'où étaient-ils venus ? Ils étaient très nombreux au-delà de la Celduin, la Rivière Courante, mais cette dernière représentait tout de même un fameux obstacle pour des tribus entières.

Autre nouvelle d'importance et qui intéressa Vif au plus haut point : il semblait qu'une force d'orcs et autres posait des problèmes aux Hommes des Bois, et qu'ils étaient désarmés face à cela. En fait, une partie d'entre eux, ceux qui habitaient au plus profond de la forêt - au sud - semblaient coupés de leurs congénères. Autre impact de cette force ennemie : le sentier qui traversait la Forêt Sombre d'ouest en est n'était plus praticable. Déjà très dangereux par le passé, il semblait à présent totalement bloqué. Pourtant, les Hommes des Bois, même s'ils se sentaient menacés, n'étaient pas directement attaqués.

Mais ces nouvelles n'affectaient aucunement le magicien dunéen. Pendant ce temps, en effet, il se consacrait entièrement à sa tâche de graver des runes magiques sur l'os de dragon du manche de hache ou sur l'alliage dont le fer de hache était composé. Le résultat surprit les nains, et à vrai dire, elle le surprit lui aussi : en seulement trois jours, l'arme était devenue, à partir d'une "simple" hache à une main d'excellente facture, une arme magique aussi destructrice qu'une hache de bataille de la meilleure qualité, maniée à deux mains ! Les nains de la forge étaient abasourdis de voir avec quelle facilité et rapidité cet humain avait pu réaliser une chose pareille... A vrai dire, Drilun n'arrivait pas à bien comprendre comment il avait fait : c'était un chef-d’œuvre, né d'un moment d'inspiration qu'il ne comprenait pas très bien...

Il avait prévu une semaine au début pour ce travail, mais en fin de compte, il utilisa les jours restant pour améliorer l'épée destinée à Mahrcared. Après avoir couvert la lame de runes, l'épée fut alors bien plus vive et rapide à utiliser, comme si elle anticipait un peu la volonté du porteur. Satisfait de son temps parmi les forgerons nains, Drilun remonta avec ses amis et ils reprirent tous leur route au matin du huitième jour passé là. En fin de matinée, ils arrivèrent au hall des arbres, dont la lointaine voûte était soutenue par deux rangées de sept magnifiques colonnes, et ils passèrent à son extrémité ouest le pont de Durin, langue de pierre étroite qui franchissait un gouffre sans fond. Gouffre qui donna des sueurs froides à Geralt lorsque son cheval fit un faux pas, mais il ne le lâcha pas et l'écart n'eut aucune conséquence. Moins d'une demi-heure après, ils passaient la porte est de Khazad-Dûm et se retrouvaient à l'air libre. Ils avaient franchi cette formidable barrière de pierre qu'étaient les Monts Brumeux.

4 - Sous les arbres de la Lórien
Après avoir descendu une volée de marches avec les chevaux tenus par la bride, le groupe put se remettre en selle. Il se trouvait dans une vallée entre les montagnes, du nom d'Azanulbizar ou "Vallée des Rigoles Sombres". Elle était essentiellement occupée par un lac long et étroit, aux eaux très sombres. Mordin, tout excité, en donna le nom : le Lac du Miroir, ou Kheled-Zâram dans la langue des nains, était un lac magique dans lequel le père des Longues-Barbes, Durin Trompe-la-mort, avait eu une vision. Pendant que le nain parlait, l'équipe avait rejoint la route des elfes, qui descendait du col de Caradhras ("Rubicorne"), et longeait à présent le lac.

Bientôt, les aventuriers s'approchèrent d'une pierre dressée, là où Durin avait eu sa vision, et Mordin invita ses amis à venir voir la surface du lac de plus près. A leur grande surprise, alors que c'était le plein midi, humains, elfe et hobbit ne virent que le reflet des montagnes et des étoiles. En se tenant exactement là où Durin s'était autrefois penché, ils pouvaient voir sept d'entre elles qui formaient comme une couronne autour de leur tête. Mordin expliqua que l'aîné des pères des nains avait pris cela comme un signe, et il avait décidé d'occuper les cavernes naturelles proches, qui allaient devenir avec le temps Khazad-Dûm. Le groupe reprit la route, et à l'extrémité du lac ils virent les cascades qui étaient à l'origine du Celebrant ("Cours d'Argent"), la rivière qui traversait le bois de Lothlórien.

Un peu avant la tombée de la nuit, l'équipe pénétra dans le Bois Doré comme on l'appelait aussi. Mordin aurait préféré prendre un sentier qui contournait la forêt par le sud, mais Geralt avait aussi appris, chez les nains, que les orcs des Monts Brumeux étaient de plus en plus entreprenants et devenaient une plaie pour les voyageurs. Alors que la route qu'ils suivaient longeait l'intérieur de la frontière sud de la Lórien, gardée en permanence par des elfes. Ces derniers toléraient les voyageurs qui ne faisaient aucun mal à la forêt, et donc la voie était plus sûre.

Peu de temps après être entrés sous les frondaisons, les aventuriers traversèrent une petite rivière, la Nimrodel, qui se jetait dans le Celebrant. Les plus perceptifs perçurent comme un chant qui était porté par l'eau de la rivière, comme si une femme elfe chantait en amont de sa voix pure, mais personne n'arriva à en comprendre les paroles. Un peu plus loin, la nuit étant tombée, le groupe fit un camp. Drilun, alerté par Vif ou Geralt que des elfes se tenaient probablement non loin, se mit magiquement à l'écoute du sol. Il entendit très peu de bipèdes à proximité, mais Isilmë expliqua que les gens de Lórien passaient beaucoup de temps dans les arbres. On les appelait d'ailleurs les Galadhrim, le "Peuple des Arbres".

Alors que les premiers s'endormaient, l'elfe s'écarta un peu du groupe et se mit à chanter, accompagnée par Drilun à la flûte (offerte par Isis à leur séparation). C'était plus une guerrière qu'une musicienne, mais l'essentiel était de faire entendre sa voix. Peu après, deux elfes s'approchèrent d'elle et la saluèrent. Vif, qui avait suivi tout cela, s'approcha également, ainsi que d'autres qui ne dormaient pas encore, sans entraîner de réaction de rejet des deux nouveaux venus. Des saluts furent échangés, en langue elfique puis en ouistrain, lorsqu'il parut que la Femme des Bois ne comprenait pas le sindarin. D'autant qu'elle souhaitait avoir des nouvelles récentes de son peuple, qui se trouvait de l'autre côté de l'Anduin, un peu plus au nord. Les elfes avaient-ils des informations sur la force qui menaçait son peuple ?

Les elfes répondirent par l'affirmative, même s'ils ne savaient rien de bien précis. Ils avaient des contacts réguliers avec les elfes du roi Thranduil de la Forêt Sombre, et ces derniers avaient dit qu'effectivement, les Hommes des Bois avaient des problèmes avec une probable force du Nécromancien. Pas qu'ils soient attaqués, mais cette force s'était interposée entre le gros de la peuplade humaine et leurs plus lointains groupements. Le chemin qui traversait la forêt d'ouest en est était également bloqué. Chose étrange, cette force semblait tout savoir des habitudes et sentiers des Hommes des Bois, même les plus secrets, si bien que ces derniers étaient désarmés. En fait, même les animaux évitaient la source de cette force, comme si une magie noire les effrayait...

5 - Les Bas-Fonds du Nord
Avec l'aide des quatre montures restantes, le groupe choisit d'accélérer l'allure les jours suivants, sans pour autant menacer la vie des chevaux qui leur restaient. Après une journée au trot, le Bois Doré fut laissé en arrière et le sentier vira au sud. Le surlendemain, le galop fut choisi, avec des pauses fréquentes pour ménager les montures. La rivière Limlaith (appelée Limeclaire ou Clairechaux par certains) fut bientôt atteinte et suivie, jusqu'à l'Anduin dans lequel elle se jetait. Non loin de là se trouvaient les Bas-Fonds du Nord, l'un des rares gués sur le "Long Fleuve" (traduction de Anduin en ouistrain), gardé par une petite forteresse construite quelques siècles auparavant par Gondor, Tir Limlaith. Cette forteresse marquait aussi la limite nord du Calenardhon, et une petite ville se tenait non loin d'elle. C'est là que le groupe se dirigea.

Avant de franchir l'Anduin, l'équipe se reposa en ville et eut une petite conversation. Fallait-il garder les chevaux ? En effet, le groupe allait monter au nord, à relativement faible distance de Dol Guldur. La route que Vif avait prise quelques années auparavant pour venir en Eriador ne semblait plus prise que par des orcs ou des loups, d'après les renseignements pris à l'auberge où le groupe s'était arrêté. Si, après avoir vu Radagast voire les Hommes des Bois, le groupe contournait la forêt par le sud, cela le faisait revenir ici. Si par contre les aventuriers décidaient de traverser la Forêt Sombre, les chevaux ne seraient pas forcément une grande aide. Il était donc plus sage de les laisser ici et de les retrouver plus tard. Geralt paya quelques pièces d'argent, de quoi assurer un an de tranquillité à leurs montures... et du temps pour venir les récupérer.

Mais le groupe n'allait pas franchir le gué dans l'immédiat : Drilun profita de l'occasion et la tranquillité des lieux pour faire un peu de magie runique. En deux jours, il confectionna un anneau permettant de mieux résister à la magie noire, comme d'autres qu'il avait déjà faits par le passé. A proximité de Dol Guldur, il valait mieux que tous soient bien équipés... Par ailleurs, puisque la principale faune qui rôdait dans les plaines qu'ils voulaient franchir était nocturne - orcs et loups - ils décidèrent de voyager de nuit. Au grand dam de Geralt, pour qui les longues nuits d'hiver étaient une bénédiction tant elles lui laissaient de temps pour se reposer !

Enfin, la troisième nuit après leur arrivée, les aventuriers prirent leurs affaires et se dirigèrent vers le gué. Le temps, qu'ils n'avaient pas choisi, était détestable : le vent et la neige étaient de la partie, et il n'était pas possible de voir à plus de cent pieds (~ 30 m). D'un autre côté, ils ne risquaient guère de faire de mauvaise rencontre avec un temps pareil ! Ils poursuivirent donc jusqu'aux Bas-Fonds du Nord. A cet endroit, l'Anduin passait sur un plateau de roche dure et il s'étalait sur plusieurs centaines de mètres. D'après Vif, car il était impossible de distinguer l'autre rive... Mais en s'étalant ainsi, il perdait de la profondeur - environ trois pieds (moins d'un mètre) - et pouvait être franchi à gué. Sauf pour les enfants, les petits nains... ou les hobbits.

Rob fut juché sur les épaules du Dúnadan et le groupe se prépara à passer. Mais avancer dans trois pieds d'eau est une chose. Le faire de nuit, dans de l'eau glaciale qui engourdissait les membres, tout en luttant contre le courant et le vent du nord et la neige mélangés, c'en était une bien autre ! Avancer sans se laisser déséquilibrer tout en résistant au froid et à l'engourdissement dans de telles conditions, voilà qui parut bien vite un tour de force à certains. Vif, au pied sûr et à l'aise dans la nature, aida Geralt dont le moral dégringolait chaque fois qu'il devait faire des efforts - et là il était gâté ! Isilmë, au pied sûr de par sa grâce elfique, et naturellement résistante au froid, aida quant à elle Drilun. Mais si l'assassin et la rôdeuse franchirent le gué en seulement trois minutes, cela ne fut pas si simple pour les autres. En fin de compte, Mordin, Taurgil et Drilun prirent chacun une noix de l'écureuil afin d'avoir le pied plus leste et sûr et leur permettre d'avancer plus vite. Ainsi, plus ou moins transis de froid et de fatigue, ils purent bientôt mettre le pied sur l'autre rive.

Endurcis ils l'étaient tous, mais l'alerte avait tout de même été rude. Curieusement, les premiers éternuements et reniflements provinrent du hobbit ! Heureusement, il apprécia les soins prodigués par Isilmë, qui débouchèrent vite ses voies respiratoires. Mais l'équipe n'était pas au bout de ses peines : dans ce blizzard, rester dans des vêtements trempés équivalait pour beaucoup à une mort certaine. Il fallut se changer dans le vent et la neige, sauf pour Isilmë, Taurgil et Mordin qui n'avaient pas de vêtements de rechange... Heureusement, c'étaient aussi les plus endurants face au froid et à la maladie. Et bientôt le groupe repartit vers le nord, le long de l'Anduin, sur un terrain rocailleux couvert de glace et de neige, dans une nuit où le vent et la neige s'acharnaient sur eux. Ils avaient franchi cette barrière aqueuse qu'était l'Anduin, mais les éléments semblaient décidés à leur en faire voir de toutes les couleurs...

6 - Face aux éléments
Le fleuve qui coulait non loin permettait de ne pas avancer au hasard, car sinon il aurait été impossible de donner une direction. Il fallait donc remonter le courant, contre le vent, la neige, le froid, les rochers traîtres sous la neige et le pied... Si c'était déjà pénible et vite harassant pour les habitués des milieux naturels comme Vif ou Taurgil, les aventuriers plus "urbains" avaient encore plus de mal et ralentissaient tout le groupe. La lente avancée s'apparentait pour Geralt à une descente aux enfers (blancs), son moral chutant plus vite que sa réserve d'énergie et de chaleur. La magie des soins de l'elfe ou du Dúnadan montrait vite ses limites, et de plus, après quelques heures, le contrecoup de la noix de l'écureuil se fit sentir pour ceux qui en avaient pris. Il fallait se reposer.

Oui, mais où trouver un abri ? Impossible de se reposer dans un pareil blizzard, il fallait trouver une caverne ou quelque chose de similaire, car la végétation brillait par son absence, à l'exception de quelques herbes et broussailles. Le Dunéen utilisa alors sa magie pour repérer des cavernes dans les environs, mais aussi d'éventuelles menaces. Dans l'état du groupe, mieux valait ne pas se jeter tête baissée dans un repaire d'orcs ! Et il semblait bien qu'il y en avait à proximité, même s'ils ne devaient sûrement pas être là pour eux. Il trouva des cavernes à profusion également, de taille plus ou moins grande. En fin de compte, Drilun choisit de diriger le groupe vers une des plus proches, distante d'un peu plus d'un demi-mile (~ 800 m). Ce qui obligeait à quitter le cours de l'Anduin et à avancer en plein dans les formations rocailleuses qui les entouraient.

Le terrain pouvait se révéler traître avec des crevasses couvertes par la neige, mais les talents de Vif permirent à tous d'éviter ces pièges naturels. Quand brusquement, le groupe tomba nez à nez avec un à-pic d'une centaine de pieds (~ 30 m) de profondeur : une vallée encaissée qu'il fallait franchir, donc cent pieds d'escalade pour descendre, et autant pour remonter... dans le vent et le froid, sur des rochers couverts de neige ! Trop difficile en l'état pour la plupart, mais heureusement le matériel ne manquait pas. Des cordes furent attachées de manière à couvrir toute la hauteur. L'un après l'autre, les aventuriers descendirent.

Enfin, presque tous. Mordin, en bon nain qu'il était, ressemblait moins à un acrobate qu'à une pierre. Tomber, il savait faire, mais là cela faisait un peu haut... Et Taurgil, plus adroit, n'avait jamais été un grand grimpeur, loin s'en fallait. Et tous deux subissaient le contrecoup de la drogue de la noix de l'écureuil. Heureusement, les aventuriers formaient une équipe et ne manquaient pas d'entraide et d'imagination. Le nain se fit donc descendre par Taurgil, attaché à l'extrémité de la corde, son lourd matériel ayant suivi le même chemin peu avant. Le Dúnadan, lui, se débrouilla comme il put, et le hobbit descendit le dernier après avoir détaché la corde, à peu près aussi à l'aise qu'une araignée. Mais cela n'était que la descente ! Il fallait à présent remonter de l'autre côté...

Ce fut l'occasion d'utiliser la corde magique trouvée chez Ardagor. Drilun la donna à Taurgil et lui apprit le mot de commande. Une fois le pouvoir de la corde magique déclenché, elle se comporta comme un serpent aussi fort que le Dúnadan qui en tenait l'extrémité. Elle put ainsi monter ses amis sur une dizaine de mètres de hauteur, l'un après l'autre. Les plus agiles étaient montés tout en haut en premier et tenaient la longue corde précédemment utilisée, pour aider leurs amis à monter, tel Mordin par exemple. Taurgil, à l'aide des deux cordes, arriva lui aussi à monter, non sans mal. La caverne promise ne devait plus être loin, et même si elle n'était pas très profonde, cela devrait suffire...

La caverne en question était à flanc d'une nouvelle falaise, non loin, à environ trente pieds du sommet. La corde magique fut à nouveau utilisée et permit à tous de vite se réunir dans cet abri partiel : c'était une excavation assez grande pour tenir tout le monde abrité de la neige, mais le vent et le froid restaient bien présents. Vif améliora l'isolation en coinçant une toile de tente dans l'ouverture, et tous se serrèrent les uns contre les autres, épuisés et en partie démoralisés. Isilmë utilisa à nouveau ses talents magiques afin de plonger toute l'équipe dans un profond sommeil réparateur, et l'aube arriva sans que personne ne lève un sourcil. Après la pierre et l'eau, le froid et l'air, et à nouveau la pierre, avaient été vaincus. Mais les éléments n'avaient pas dit leur dernier mot.

7 - Un temps à ne pas mettre un chien dehors
Lorsque l'ensemble du groupe retrouva ses esprits, en milieu de journée, les conditions s'étaient quelque peu améliorées. Le temps restait couvert, mais la neige avait cessé et le vent avait diminué. La magie que les elfes lui avaient enseignée indiqua à Taurgil qu'une petite amélioration pouvait sans doute être espérée la nuit prochaine. Très optimiste, le grand et solide Dúnadan émit un avis de tempête. De toute manière, il n'était pas question de rester là, et donc le groupe repartit après un moment, profitant de l'accalmie. Après avoir cassé la croûte en prévision d'une nouvelle journée difficile, la corde magique fut à nouveau mise à contribution pour sortir tout le monde.

Plutôt que de refaire le chemin inverse, Drilun décida de rester au sommet et de poursuivre vers le nord en suivant le terrain plutôt qu'en escaladant chaque obstacle. La progression fut un peu plus simple ainsi, si ce n'est qu'elle s'apparentait au parcours d'un gigantesque labyrinthe. Progression plus facile donc, mais aussi plus lente, avec de nombreux détours, sans parler de la difficulté à avancer sur un terrain rocailleux encore bien couvert de neige. Alors que la nuit était bien avancée, le Dunéen, peu avant le moment de s'arrêter, sonda les environs pour trouver un nouvel abri proche. L'équipe avait retrouvé les bords de l'Anduin, et le plateau rocailleux semblait arriver à une extrémité. Une caverne très similaire à la précédente fut investie jusqu'à une heure de journée bien avancée.

Pendant le repos, l'air s'était notablement réchauffé et la neige avait commencé à fondre car il ne gelait plus. Mais alors que l'équipe commençait à prendre le chemin du nord et quittait les bords du fleuve pour pénétrer dans les plaines qui séparaient l'Anduin de la Forêt Sombre, des nuages noirs menaçants voilèrent le soleil puis la lune et les étoiles, et les premières gouttes - glaciales - se mirent à tomber. Au moins, cela avait l'avantage de procurer au groupe une certaine discrétion, et les loups ou équivalents auparavant repérés magiquement par le magicien dunéen risquaient moins de les déranger.

Mais lorsque la pluie s'intensifia, en milieu de nuit, et se transforma en véritable déluge, l'équipe fut bien en peine d'avancer quelque part. Même Vif dut admettre qu'elle était incapable de dire dans quelle direction ils pouvaient aller : continuer ainsi risquait de les faire tourner en rond. Ils ne pouvaient pas non plus rester sur place, il était impossible de se reposer ainsi, même si une toile goudronnée et la toile de tente avaient été sorties pour se protéger un peu des éléments. Malgré cela, les aventuriers et leur équipement furent bien vite trempés. Et l'Anduin était trop loin pour s'en servir comme point de repère ou pour rebrousser chemin.

A l'aide des ressources magiques de Drilun, un petit bosquet à distance raisonnable fut repéré et atteint. Vif réalisa un abri sommaire assez grand pour abriter tout le monde et permettre de faire un feu pour sécher les affaires. Feu qui ne put être allumé et entretenu - et même grossi - que grâce à la magie du Dunéen. Magie qui permit aussi au groupe de ne pas périr asphyxié et de limiter les volutes de fumée qui s'échappèrent de l'abri, trahissant ainsi leur emplacement. Certains retirèrent leurs vêtements sans plus de formalité pour se sécher, d'autres, comme l'archère elfe, se voilèrent dans la toile goudronnée ou d'autres tissus le temps de faire sécher leurs habits. Et enfin, une fois suffisamment secs, la plupart se jetèrent dans les bras de Morphée, non sans avoir auparavant demandé un sommeil magique à Isilmë. La pluie diminua puis s'arrêta complètement : l'eau du ciel n'avait pas eu raison de l'équipe, mais ses efforts avaient quand même eu un certain effet.

8 - Un flemmard nommé Geralt
Mais le repos fut de courte durée : après peut-être une heure, la Femme des Bois fut instantanément réveillée. Son ouïe particulièrement exercée avait identifié un bruit qu'elle ne connaissait que trop bien : des loups approchaient ! Vite, elle réveilla ses compagnons, ce qui ne fut pas une mince affaire, car le sommeil réparateur magique était un puissant somnifère. Et Isilmë était profondément enfoncée dans une espèce de rêve éveillé, comme faisaient les elfes pour se reposer. Il fallut quelques bonnes gifles pour réveiller certains, ce qui ne fut pas du goût de tous - en particulier Geralt, bien sûr - d'autant que cela pouvait aussi casser les effets bénéfiques du repos magique. Et Drilun ne se réveilla de toute manière pas.

Mais il n'y avait plus de temps à perdre, les loups étaient là - près d'une vingtaine - et commençaient à encercler le bosquet. Et l'un d'eux, plus gros que les autres et sans doute le chef, huma l'air alors qu'il arrivait sous le vent des aventuriers, et il sentit... Vif. Elle portait en elle une odeur que les chiens et loups détestaient particulièrement, et il n'y avait guère que les wargs enchantés qui arrivaient à y résister. Bref, le gros loup lança le signal de l'attaque par un hurlement, tandis que Taurgil et ses amis finissaient à peine de se préparer. Sauf Drilun, toujours endormi, mais aussi sauf Geralt, qui refusa de se lever, en prétextant que ce n'étaient que des loups et que ses amis n'avaient pas besoin de lui pour s'en occuper...

Taurgil (avec l'arc de Drilun), Isilmë, Vif et Rob tirèrent une flèche, et la Femme des Bois se dépêcha ensuite de monter à l'arbre principal qui constituait leur abri, vite suivie par le hobbit. Hobbit qui avait eu le temps, comme le Dúnadan, de mettre du trèfle de lune obligeamment donné par Geralt depuis son sac de couchage afin que ses amis se débrouillent contre les loups. Le liquide, une fois mis dans les yeux, leur permettait de voir dans la nuit aussi bien que les elfes... ou les loups. Mordin attendait la hache à la main, tandis que Taurgil prenait son épée, et Isilmë sortit la sienne après avoir laissé tomber son arc par terre. Vif encochait une flèche tandis que Rob finissait de grimper en vitesse, les premiers loups arrivant au contact. Drilun et Geralt étaient toujours allongés dans leur sac de couchage.

Quelques bêtes furent blessées ou tuées, mais heureusement, les premières cherchèrent avant tout à sauter au pied de l'arbre pour essayer de mordre la féline dont l'odeur les insupportait tellement. Sans succès, puisqu'elle avait pris la précaution de monter assez haut, même si l'arbre était de dimension très modeste. Mais en fin de compte, au-delà d'une demi-douzaine de loups occupés à sauter à l'arbre en grondant et hurlant, ce furent plus d'une dizaine qui se tournèrent vers des proies plus faciles. Taurgil était trop bien protégé par son armure de mithril, la guerrière elfe était trop adroite et rapide, et se défendait trop bien, mais Mordin était bien en peine de résister à tous les assauts. Surtout, même s'il écopa d'une ou deux morsures sans gravité, il ne put protéger son ami Dunéen sur lequel un loup se jeta.

Ce fut aussi le cas pour Geralt, mais il avait enfin fini par comprendre que ses amis avaient vraiment besoin de lui. Levé l'épée au poing d'un bond, il avait pu se défendre et contre-attaquer ensuite, faisant voler une première tête. Mais un hurlement déchira la nuit : le Dunéen, réveillé pour de bon cette fois-ci, venait de passer d'un rêve agréable à un cauchemar où un loup lui prélevait un morceau de cuissot. Il se réveilla tout à fait pour sentir un corps flasque et lourd sur lui, et compris qu'il s'agissait d'un loup mort : Rob venait en effet de transpercer la tête de la bête d'une flèche, avant qu'elle ne s'attaque à autre chose que la jambe de Drilun. L'archer-magicien chercha son épée à tâtons... mais pesta quand il se rendit compte qu'elle avait été empruntée par Geralt.

Le combat tourna court pour les loups lorsque leur chef fut abattu par flèche et lame. Les autres s'enfuirent sans demander leur reste et sans continuer à s'acharner sur la femme féline dont l'odeur les narguait. De toute manière, plus de la moitié étaient morts ou gravement blessés. Mais l'archer-magicien aussi était bien blessé, et Isilmë se précipita vers lui. Utilisant tous ses talents et sa magie, elle fit refluer la douleur dans la jambe de son ami et lui confectionna un très bon pansement. La blessure était sérieuse mais pas mortelle, et sa magie allait considérablement accélérer et faciliter la guérison. Néanmoins il lui faudrait sans doute près de deux jours pour pouvoir guérir et marcher à nouveau.
Modifié en dernier par Niemal le 20 août 2015, 21:44, modifié 2 fois.
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Horselords - 5ème partie : retour au bercail

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1 - Une plaine bien encombrée
Devant l'état de son ami dont il était en partie responsable, Geralt eut l'idée d'essayer une de leurs anciennes trouvailles : du baume d'orc, récupéré chez ces derniers, sans doute chez Ardagor. Niemal leur avait dit que c'était un onguent dont les orcs avaient le secret. Très efficace, il réduisait rapidement la gravité d'une blessure. En revanche, il donnait une impression de brûlure très intense et il laissait systématiquement une vilaine cicatrice qui restait toujours bien visible. Il fallait essayer : même avec la magie d'Isilmë, l'équipe ne pouvait se permettre d'attendre deux jours sur place que la jambe de Drilun guérisse. Un pot d'onguent fut donc remis à l'elfe en lui expliquant de quoi il s'agissait, pour qu'elle l'applique sur la blessure.

Avec un peu de méfiance - Isilmë avait entendu parler de ce baume mais n'en avait jamais vu l'usage - les mains adroites de l'elfe retournèrent à la plaie du Dunéen. Ce dernier fit de nombreuses grimaces tandis qu'il sentait le remède orc qui paraissait lui brûler les chairs, et il arriva à peine à ne pas crier. Néanmoins, après quelques minutes à peine, la blessure fut presque entièrement cicatrisée. Le groupe retourna dormir après avoir réinstallé l'abri quelque peu malmené lors du combat, avec l'aide de la magie d'Isilmë pour certains. L'aube arriva bientôt et la matinée se passa tranquillement, et vers midi tous les aventuriers étaient à peu près reposés. Quant à la jambe de Drilun, entre le baume orc et la magie de l'archère elfe, elle avait complètement guéri. L'archer-magicien était fin prêt pour reprendre la route, même s'il maugréait pour l'ajout de cette nouvelle cicatrice à sa collection.

A l'aide de la longue-vue offerte par Finduilas, Vif retrouva ses repères dans la grande plaine où ils se trouvaient, coincée entre l'Anduin à l'ouest et la Forêt Sombre - d'où dépassait Dol Guldur, demeure du Nécromancien - à l'est. Elle emmena le groupe vers le nord, en direction d'une petite forêt qu'elle espérait atteindre d'ici deux jours, en marchant bien. Le temps avait changé et le soleil brillait, et l'équipe marcha tout le court après-midi. Après une pause pour manger en début de nuit, tous repartirent dans la nuit, toujours guidés par la Femme des Bois. Cette dernière repéra des orcs à l'est avec l'aide de la longue-vue, orcs qui finirent par trouver leurs traces après qu'ils fussent passés. Ils n'étaient qu'une vingtaine et ne poseraient aucun problème si un conflit devait se déclarer, aussi le rythme de marche rapide fut maintenu. Peut-être en fin de nuit prendraient-ils du temps pour effacer leurs traces, il faudrait voir.

Mais la fin de nuit approchant, la demi-féline fit la moue après une nouvelle utilisation de la longue-vue. Les orcs étaient toujours sur leurs traces, mais ils avaient été rejoints par d'autres groupes et ils étaient à présent bien plus nombreux, peut-être deux cents. Cela commençait à faire beaucoup, et le terrain n'était pas franchement propice à la discrétion. En revanche, la nuit était avancée et il ferait jour d'ici quelques petites heures, et les orcs n'aimaient pas le soleil. Au grand désespoir de Geralt, l'équipe décida donc de poursuivre sa route, malgré la fatigue. Régulièrement, la rôdeuse vérifia que les orcs ne se rapprochaient pas trop, et comme prévu, lorsque le ciel commença à pâlir, annonçant l'aube prochaine, leurs poursuivants se dispersèrent et cherchèrent un abri. Le groupe allait enfin pouvoir se reposer.

Après avoir trouvé des broussailles pour confectionner un abri, les aventuriers passèrent la journée à dormir - trop peu pour le maître-assassin - et furent sur pied lorsque la nuit commença à tomber. Vif estima qu'ils avaient parcouru la moitié de la distance les séparant de la petite forêt, et qu'ils pourraient y arriver à la fin de la nuit, s'ils marchaient autant que la nuit précédente. Les cris d'orfraie de Geralt ne firent pas verser une larme à ses compagnons, et la longue nuit d'hiver fut essentiellement consacrée à une marche soutenue. Ils arrivèrent en fin de nuit aux abords de la forêt qui était leur objectif. Mais avant de se précipiter dedans, quelques précautions étaient nécessaires...

La demi-féline inspecta les abords de la forêt à l'aide de la longue-vue, et Drilun utilisa une écoute magique pour que le sol lui apporte le son des créatures qui y marchaient. Tous deux arrivèrent à la même conclusion : de nombreux orcs étaient présents, qui s'enfonçaient dans la forêt à l'approche de l'aube. Mais il en restait quelques-uns à la lisière, qu'ils évitèrent, de manière à pouvoir arriver aux frondaisons sans se faire voir. Là, ils montèrent un abri à peu près camouflé des regards afin de pouvoir se reposer tranquillement pour cette nouvelle journée. Journée qui se passa comme la précédente, sans incident, même si la proche présence des orcs restait à l'esprit de tous.

2 - Une vieille connaissance
A la nuit tombée, la forêt fut contournée avec précaution plutôt que traversée, en raison des orcs qui s'en servaient comme abri. La Femme des Bois demi-féline avait eu l'intention d'emmener l'équipe en direction d'une autre forêt proche, mais son inspection à l'aide de la longue-vue et de ses yeux de chat lui révéla une triste réalité : l'espace entre les deux forêts était encombré de nombreux groupes d'orcs... et de loups. Trois ans auparavant, lorsqu'elle était passée par là, seuls les loups l'avaient inquiétée. Mais depuis, les orcs avaient pris de l'audace, pour ne pas dire qu'ils avaient pris possession des lieux. De nuit, tout au moins.

Elle décida non pas de se diriger vers l'autre forêt au nord-est mais de se diriger plein nord. Les orcs seraient faciles à éviter, grâce à la longue-vue et à sa bonne vision nocturne. Mais les loups et leur odorat posaient problème. Même s'il n'y avait guère de vent à présent et qu'il gelait, ils pouvaient sentir leur odeur - et la sienne en particulier - à plusieurs portées de flèche de distance. Le groupe décida néanmoins de tenter le passage, mais avec quelques précautions : ils se frottèrent tous avec de l'herbe et autres végétaux, et Drilun fit un sort pour masquer l'odeur de son amie. Ainsi préparés, ils se faufilèrent entre orcs et loups, vers le nord, et ne furent pas inquiétés. Peu avant le matin, alors que l'équipe montait un abri dans un bosquet, le temps changea et de la neige commença à tomber.

Malgré les habituels apitoiements de Geralt sur ce monde cruel qui le forçait à tant d'efforts, le groupe repartit le soir venu, dans la neige qui avait cessé de tomber et faisait un tapis moelleux et glissant. Mais vers le nord-est cette fois, et Rhosgobel. Il n'y eut aucune mauvaise rencontre cette fois-ci, et le groupe se prépara à chercher un nouvel abri pour la journée. Ayant repéré quelques cairns et autres marques de passage, la rôdeuse pensa que l'équipe avait retrouvé un ancien sentier qui allait de l'Anduin jusqu'à la Forêt Sombre et aux territoires des Hommes des Bois, en passant près de Rhosgobel. Le plus dur, ou en tout cas le plus dangereux, avait été fait.

Mais ce n'est pas pour autant qu'il fallait négliger toute prudence. Un bosquet de chênes qui paraissait accueillant fut soigneusement examiné à la lunette. Et il semblait occupé : une tente et des chevaux ou autres équidés, en partie masqués par des buissons, attestaient d'une présence. Et l'oreille extrêmement fine de Vif arriva à repérer... un ronflement ! Le groupe se rapprocha un peu, et la présence d'au moins un dormeur et de sans doute une demi-douzaine de mules fut confirmée. Cela ressemblait bien sûr plus à une expédition marchande qu'à une embuscade d'orcs, mais quel fou pouvait bien oser prendre ces dangereux sentiers ? Prise d'un doute sur l'identité d'une personne possible, la demi-féline s'approcha toute seule du campement, à pas de loup - ou plutôt de chat.

Au campement, tout laissait penser à des marchands humains. Elle pénétra doucement dans la tente où reposaient deux personnes, le visage enfoui sous des tissus laineux. Mais la couleur rouge cerise de la cape d'un des deux hommes ne laissa plus aucun doute à la Femme des Bois : il s'agissait bien du marchand Fryancryn et de son muletier Gulstaff. Ils faisaient partie des rares marchands prêts à braver tous les dangers pour aller dans les coins les plus sauvages, reculés et dangereux, comme Buhr Widufiras, la ville des Hommes des Bois. Avec un sourire, elle réveilla les deux hommes - en prenant soin de les rassurer devant leur surprise - et appela ses amis.

Drilun avait auparavant pris soin de coller à son amie demi-féline l'image magique de son visage normal, ce qui lui permit de se présenter et de rappeler quelques souvenirs à Fryancryn. Par la suite, voyant qu'ils allaient rencontrer de plus en plus de gens qui la connaissaient, elle choisit de reprendre sa forme entièrement humaine, un peu à l'écart. Hormis Geralt qui eut comme première idée de profiter de la tente encore dressée, les autres aventuriers découvrirent ces marchands étranges avec curiosité. Ils auraient dû plier bagage et bientôt partir maintenant que l'aube pointait, mais l'endroit étant tout de même dangereux, Fryancryn décida qu'un peu de compagnie valait bien de perdre une demi-journée pour permettre à ses nouveaux compagnons de se reposer. Même si Mordin marchanda toujours aussi durement la protection qu'ils offraient au marchand.

3 - Rhosgobel
La route enneigée fut reprise à la nuit tombée, avec un groupe plus gros, mais aussi plus lent. Il fallut trois jours pour arriver à un carrefour tout près de la demeure du magicien brun, en lisière de la Forêt Sombre. Aucune mauvaise rencontre ne fut faite, hormis quelques loups peu nombreux. Mais le groupe était gros, et Gulstaff, lorsqu'il les vit, prit une arme et poussa de hauts cris qui les firent choisir de laisser ce met tentant mais trop bien gardé. Le muletier tenait à ses mules, et il le leur avait clairement fait comprendre. Manifestement, il savait y faire avec les loups. Mais cela ne se passait pas toujours aussi bien, et Fryancryn expliqua au cours du voyage qu'au cours de son existence, il avait appris à courir vite, à grimper aux arbres et aussi à apprécier la proximité des rivières...

En fait, les aventuriers qui ne connaissaient pas le marchand apprirent à le connaître un peu mieux au cours de ces quelques jours. Mordin en particulier comprit pourquoi il ne trouvait pas grand monde pour assurer sa protection. Sous ses atours flamboyants de grand prince nordique et ses yeux couleur ambre, et avec sa langue bien pendue, il avait belle allure et on pouvait l'imaginer à la cour des rois. Mais en y regardant de plus près, ses habits étaient tachés et usés, et il n'aimait rien de plus que de voyager dans les terres sauvages - il détestait les grandes villes - et de parler aux gens du cru. Certes, il connaissait son métier. Mais il allait où le danger était le plus grand, auprès de gens qui n'avaient pas de grosses sommes, et en conséquence il n'avait pas de quoi payer une bonne garde à son prix. Il s'était fait voler de nombreuses fois et n'avait dû la vie parfois qu'à sa langue...

Le groupe, au carrefour, prit le sentier qui menait à la maison du magicien. Si on pouvait appeler cela une maison. Autour d'un gros chêne plusieurs fois centenaire, une structure bizarre était dressée, difficile à voir dans la nuit, même si la neige au sol reflétait la lumière de la lune et des étoiles. Vif expliquerait plus tard, comme chacun pourrait le découvrir, que les murs étaient en fait entièrement composés de nichoirs, mangeoires et autres équipements pour oiseaux, artistiquement et ingénieusement construits par une main experte à l'aide de matériaux naturels. Et malgré l'hiver, une partie des nids était encore habitée, et le jour qui poindrait bientôt éveillerait les oiseaux dont les chants rendraient les environs plus que bruyants. Et ce n'était rien comparé au printemps ou à l'été...

Mais avant le jour et le bruit des oiseaux, un autre bruit accueillit les aventuriers et leurs compagnons marchands. Deux rugissements leur firent honneur, et Gulstaff eut bien du mal à maîtriser ses mules qui ne tenaient pas franchement à rencontrer les auteurs du vacarme. En revanche, Vif, toute excitée, s'était précipitée en avant et cajolait et se faisait lécher par deux espèces de gros félins qui semblaient tout joyeux de la revoir. En fait, ils semblaient se parler, ce qui était bien le cas, la Femme des Bois comprenant parfaitement les deux félins et inversement. Ce qui ne surprenait aucunement ses compagnons - pour les plus anciens du moins : ils connaissaient ses pouvoirs et elle leur avait dit par le passé qu'elle avait habité ici. Ils ne s'attendaient tout simplement pas à ce que Radagast ait des gardiens, ni qu'ils soient aussi gros !

Vif revint après un moment, et elle dit à ses amis qu'ils pouvaient venir chez le magicien tant qu'elle était là pour garantir aux félins qu'ils étaient tous des amis. Mais Radagast était absent, il était parti plusieurs semaines auparavant pour une durée indéterminée. Il lui avait laissé un message comme quoi il fallait se méfier de la force du Nécromancien en forêt : elle était très puissante, et c'était manifestement un piège. Mais pour attraper quoi ou qui, il ne le savait. Tout en donnant ces détails à ses amis, ils pénétrèrent dans la modeste demeure du magicien. Une pièce unique, peu de meubles, tous d'aspect rustique, et quantité d'herbes séchées suspendues au plafond, de pots divers sur des étagères, de multiples odeurs, et une ambiance bien particulière...

En fait, l'endroit était très apaisant, malgré la présence des félins non loin et le charivari des oiseaux qui allait bientôt commencer. Une impression de calme et de sérénité se dégageait du lieu, et n'affectait pas que les humains, hobbits, elfes et nains : les oiseaux eux-mêmes volaient et se côtoyaient en parfaite intelligence, sans s'attaquer aucunement, alors que certains étaient des prédateurs qui voyaient de nombreuses proies voler et chanter à portée de bec ou de serres. Sans même parler des félins. Les amateurs de flore découvrirent de nombreuses herbes médicinales - pas de poisons par contre, au grand dam de Drilun toujours en quête d'herbe-au-loup - ou comestibles, et le jardin comportait des plantes qui ne poussaient nulle part ailleurs dans la région, mais parfois très loin d'ici. Bref, un endroit magique, même sans son principal occupant.

4 - Forêt Sombre et Hommes des Bois
Il ne servait à rien d'attendre ici l'occupant régulier des lieux, qui pouvait être parti pour plusieurs mois. Vif, néanmoins, souhaitait retrouver les siens, et en conséquence elle voulait emmener le groupe à Buhr Widufiras, la ville des Hommes des Bois. Elle irait de toute manière seule s'il le fallait, et c'était aussi la destination de Fryancryn, qui avait emmené beaucoup de laine du Rhovanion pour le peuple des Hommes des Bois, ainsi que divers objets en métal comme des clous. La cause fut donc vite entendue. Comme les parages étaient plus sûrs et seraient plus peuplés - et pas par des orcs - il ne semblait plus nécessaire de voyager de nuit. L'équipe resta donc sur place tout le jour et la nuit suivante, pour repartir peu avant l'aube vers le nord et les Hommes des Bois. Vif laissa un message à ses amis félins, et Drilun un parchemin adressé au maître des lieux pour l'informer et le remercier.

Il fallut trois jours pour arriver à destination. Mais avant cela, dès le deuxième jour, les aventuriers rencontrèrent des petits groupes de familles d'Hommes des Bois en lisière de forêt, non loin de la route. C'étaient les plus "ruraux" de ce peuple avant tout forestier, et ils faisaient partie des rares à pratiquer un peu l'agriculture et l'élevage. Mais une part non négligeable de leur vie tournait autour de la forêt : les amis de Vif découvrirent que leur alimentation était beaucoup composée de gibier et de produits de la forêt, leurs vêtements faits essentiellement de cuirs et fourrures, leurs maisons en bois, et ainsi de suite. Il y avait très peu de métal chez eux, et l'argent leur était presque inconnu et tout à fait inutile entre eux : leur société ne fonctionnait que par le troc.

Après un moment de méfiance face à ces inconnus, le groupe fut bien accueilli. Fryancryn et Vif furent assez vite reconnus. Le marchand commença ses échanges dans la langue des autochtones, le nahaiduk. La Femme des Bois donna des nouvelles et en prit également, mais elle n'apprit rien qu'elle ne sût déjà à propos de la force du Nécromancien qui occupait une partie de la forêt. Ses amis passèrent une nuit chez ces hôtes d'un nouveau genre et dont bien peu parlaient le ouistrain, la langue commune. C'était un peuple assez frustre, dont la vie était manifestement dure et dangereuse, comme l'attestaient le petit nombre de personnes âgées et les nombreuses cicatrices dont certains étaient ornés. Il y avait peu d'hommes pour le moment, une grande partie d'entre eux étant occupés dans des camps de bûcheronnage. Malgré tout, cela semblait un peuple uni et heureux. Malgré la présence pas si lointaine du Nécromancien et de ses sbires...

Le chemin commença ensuite à traverser la Forêt Sombre, aussi appelée Forêt Noire, Mirkwood, Taur-e-Ndaedlos et bien d'autres noms. Et malgré tout ce que Vif avait pu dire, ses amis comprirent seulement alors à quel point cette forêt était spéciale. Jamais ils n'avaient vu de forêt si sombre, où les arbres étaient si serrés et où les branches d'arbres différents se mélangeaient autant, quand d'habitude elles ne se touchaient même pas. Les troncs étaient aussi tordus et noueux, et le sous-bois épais malgré la très faible lumière. Il paraissait très facile de se perdre et la Femme des Bois avertit ses amis de ne pas s'éloigner trop pour aller se soulager par exemple. Elle semblait voir des signes laissés par d'autres personnes de son peuple, signes auxquels Drilun s'intéressa, malgré sa difficulté à les percevoir. Ainsi elle pouvait facilement se diriger et dire où parvenait telle ou telle esquisse de sentier - invisible aux yeux de certains. Mais pour les autres il s'agissait d'un univers entièrement nouveau, mystérieux et menaçant à la fois.

Ce qui n'empêcha pas certains d'aller chasser et cueillir ce que la nature pouvait offrir. Il fallait juste rester à portée de voix et ne pas aller trop loin ou trop longtemps. D'autant que si les parages étaient régulièrement dégagés de la présence d'araignées géantes, ces bestioles infestaient tout de même toute la forêt. Car malgré ses étrangetés, la forêt était vivante et comportait de nombreuses espèces animales adaptées à ce milieu. Taurgil ramena ainsi un chevreuil que Rob prépara avec des herbes et des champignons, pour le plus grand plaisir des palais. Les aventuriers virent de nombreux écureuils noirs (au goût infect) dans les branches au-dessus d'eux, mais aussi, la nuit, de nombreuses paires d'yeux les regarder d'un peu partout. Vif, Fryancryn et Gulstaff n'y firent pas attention, non plus que Geralt, endormi grâce aux bons soins magiques d'Isilmë ; mais les autres eurent un peu plus de mal à trouver le repos dans ce lieu si étrange...

Enfin, vers la fin du troisième jour, après avoir passé toute la journée en forêt, l'ambiance changea quelque peu. Ce furent d'abord des appels humains plus fréquents, des bruits de hache et d'arbres qui tombent non loin, des sentiers plus nombreux et mieux marqués aussi. La forêt semblait moins étouffante ou oppressante, le sous-bois plus souvent emprunté, plus dégagé. Soudain, les aventuriers débouchèrent dans un endroit qui leur parut une clairière. C'était toujours la forêt, mais la lumière était telle qu'on aurait dit qu'elle avait disparu - on pouvait voir le ciel ! Il n'y avait plus beaucoup de sous-bois, et les gros arbres présents étaient plus espacés. Surtout, leurs branches étaient occupées par une vingtaine de maisons à plusieurs mètres de haut, avec des cordes qui pendaient à terre et des passerelles de cordes et de planches qui joignaient les différentes habitations. Le groupe arrivait à Buhr Widufiras, plus grande ville des Hommes des Bois avec environ deux cents âmes. C'était chez Vif, d'où elle était parti depuis bientôt trois ans.

5 - Un accueil chaleureux
La rôdeuse était partie en courant avant même que ses amis ne voient le village dans les arbres. Toute la population fut bien vite alertée et les têtes apparurent un peu partout, suivies par des corps qui descendirent prestement les cordes ou parfois les échelles. La Femme des Bois fut tout de suite reconnue et grimpa à l'arbre de sa famille. Tandis qu'elle retrouvait avec émotion sa mère et sa sœur, plusieurs personnes identifiaient Fryancryn et son muletier et se dirigeaient vers lui, notamment des enfants. Enfants parfois très jeunes que certains aventuriers avaient vu descendre les cordes comme s'ils avaient été des écureuils... En tout cas, leur arrivée était l'attraction de l'année. Et encore : les visites d'étrangers à la région étaient parfois moins fréquentes.

Buhr Widufiras était le principal centre urbain de tout le peuple des Hommes des Bois. A ce titre, même s'il était sur le domaine du clan Sairthéod, il faisait un peu office de capitale. D'autant que le chef de la ville et chef du clan (Thyn), du nom de Waulfa, était reconnu de tous pour son expérience et sa sagesse, y compris des elfes du roi Thranduil avec qui il avait des échanges réguliers. En conséquence, la ville voyait régulièrement des allées et venues d'alliés ou même d'étrangers, et on apprenait tôt aux enfants à parler le ouistrain et même à savoir lire et écrire. La ville était également sans doute le seul lieu chez les Hommes des Bois où la monnaie était parfois utilisée pour les échanges avec les marchands. Non pas qu'il en venait souvent, mais certaines personnes du village allaient parfois à l'extérieur pour commercer.

Au départ pris pour des gardes de Fryancryn, les aventuriers furent assez vite identifiés comme les amis de Vif. Elle les présenta à Waulfa ainsi qu'à beaucoup d'autres personnes, une fois qu'elle eut fini de retrouver parents et amis et de prendre et donner des nouvelles. Malgré sa longue absence, c'était toujours chez elle et elle restait la bienvenue. En dépit de ses différences aussi : les ami(e)s de son âge - autour de dix-neuf printemps - étaient désormais tous mariés et parents, et elle faisait figure de vieille fille. Ici, la vie était courte, on était marié à quinze ans ; on vivait rarement plus de quarante ou cinquante ans, les soixante ans de Waulfa faisaient figure d'exception et ajoutaient à son prestige. Et puis Vif était un peu spéciale, elle était aventurière, elle avait été adoptée après que Radagast l'eût amenée. Mais les gens n'oubliaient pas que sa principale bizarrerie avait sûrement sauvé de nombreuses vies lors d'une attaque contre la ville. Ce jour-là, le félin qu'elle était devenu avait été le premier à percevoir les attaquants, et il avait ôté la vie à plus d'un.

Rob fut facilement approché par les enfants, et il en épata plus d'un - sans parler des adultes - quand il se mit à jouer avec eux et qu'il leur prouva qu'il était encore plus rapide et agile qu'eux ! Lui aussi grimpait aux cordes et aux branches aussi bien voire même mieux qu'un écureuil, et ses acrobaties firent plus d'un envieux. Isilmë fut tout de suite reconnue comme ce qu'elle était, une elfe, et on lui montra tout de suite beaucoup de respect. Mais pas de crainte : il semblait que les gens du village avaient déjà vu d'autres elfes par le passé et que les relations étaient à la fois très bonnes et très terre-à-terre. Après tout, les elfes de Thranduil connaissaient eux aussi la forêt et ses dangers, les deux peuples se côtoyaient régulièrement et avaient de nombreux intérêts communs.

Taurgil, grand Dúnadan en armure métallique, intimidait un peu : tout ce métal n'était pas franchement dans le caractère de l'endroit, et ne l'aidait pas à suivre Vif dans les arbres. A défaut de rester proche d'elle comme il l'aurait souhaité - ce dont elle se moquait apparemment comme d'une guigne - il apprit deux-trois choses sur son passé en interrogeant les gens de la ville. Geralt, avec son armure de peau de dragon un peu effrayante, ses cheveux blancs et sa cicatrice au visage, voyait encore moins les gens venir à lui. Mordin avait moins de problème, des nains passaient parfois par ici et il était pris pour ce qu'il était - un marchand. Drilun, le plus "ordinaire" du groupe en apparence, malgré diverses cicatrices, fut abasourdi par l'accueil qui lui fut fait. Alors qu'en Eriador il était un paria chez les siens ou un "vulgaire" Dunéen pour les autres, ici les gens ne savaient pas ses origines et semblaient s'en moquer. Le contact passait bien, d'autant qu'il semblait plus à sa place que les autres : en plus d'être un homme "normal", c'était manifestement un archer avec un arc exceptionnel, or ici tout le monde tirait à l'arc, et depuis un âge précoce encore...

Le soir, sur une plate-forme à plusieurs mètres du sol, la majorité du village se réunit pour un repas de fête donné pour l'occasion. Après quelques airs de flûte et des chansons, Drilun exposa avec son talent habituel certaines de leurs aventures, tout en jouant magiquement avec les flammes d'un foyer proche pour ajouter de l'effet à ses discours. Il avait hésité à le faire et fit en sorte que les gens croient qu'Isilmë était responsable de ces effets spéciaux, qui furent rapidement acceptés après un bref moment d'inquiétude. Et Geralt fit complètement fondre la glace autour de lui en mimant ou jouant les personnages que son ami décrivait. Il avait enlevé son armure, et son côté théâtral et bouffon eut beaucoup de succès. Ce fut donc une soirée chaleureuse où chacun oublia un moment les soucis qui les avaient amenés ici. Soirée qui se termina, pour l'elfe et le Dunéen, par un repos ensemble sur une passerelle supérieure, en toute et simple amitié, à profiter des étoiles et de la présence de l'autre.

6 - Nouvelles et décision
Le lendemain, tandis que Fryancryn faisait ses affaires avec les villageois, les aventuriers furent invités à une réunion plus sérieuse avec Waulfa et d'autres membres importants de la ville. La veille, Vif avait posé quelques questions à son chef et avait donné des nouvelles de la traque du loup-garou, raison de son départ trois ans auparavant. A présent, il était temps d'aborder le sujet de la force du Nécromancien qui occupait une partie du domaine des Hommes des Bois. Ce n'étaient pas les affaires des amis de Vif, mais elle se sentait concernée - c'était son peuple après tout. Par ailleurs, elle commençait à se demander si l'objectif de cette force n'était pas elle-même, ou Tina/Tevildo. Bref : il était temps de rassembler toutes les informations possibles afin de décider de la suite à entreprendre. Les aventuriers n'étaient pas venus dans la région pour régler les problèmes des Hommes des Bois, mais pour acheter des chevaux pour le roi d'Arthedain.

Waulfa parla donc des intrus qui avaient occupé dernièrement les territoires les plus à l'est et au sud de son peuple. Au vu des traces, la force en question venait du sud et était donc sans nul doute liée au Nécromancien. Elle était composée de nombreux orcs, mais des grands orcs, des uruks, d'après les traces et le peu qui avait pu être entrevu de loin. Mais il y avait également des trolls avec eux, ainsi que des humains, s'il fallait en croire certaines flèches qui avaient pu être récupérées. A cela il fallait encore rajouter des araignées qui étaient venues nombreuses tisser leur toile ; des loups qui patrouillaient les abords de la force comme s'ils lui obéissaient ; et de nombreux crebain qui semblaient espionner tous ceux qui s'approchaient avant d'aller prévenir leurs maîtres.

Et surtout, il y avait la magie. Une magie noire qui faisait fuir tous les animaux normaux, et qui assombrissait un peu plus la forêt, qui devenait aussi noire que la nuit la plus noire à proximité des intrus. Des bruits et des lueurs pouvaient être perçus là-bas, parfois. Mais les pisteurs qui s'étaient trop approchés des endroits les plus calmes et manifestement dépourvus d'orcs ou de trolls avaient soudain vu surgir de l'obscurité une flèche, et plusieurs personnes étaient mortes ainsi, frappées en pleine tête ou en plein cœur. Pire encore, les signes que se laissaient les Hommes des Bois dans leur langue secrète semblaient tous parfaitement connus de l'ennemi. Certains avaient même induit en erreur les éclaireurs, et abouti à la perte de plus d'un, comme si un traître parmi les Hommes des Bois faisait partie des ennemis. Sur ce sujet, Waulfa laissa un moment planer le silence, comme s'il gardait certaines réflexions par-devers lui. Mais s'il avait des soupçons, il n'en parla pas.

La zone concernée par l'intrusion de cette force chez les Hommes des Bois était assez minime en fait. Elle concernait essentiellement un groupe de quelques familles qui avaient fui la Peste lorsqu'elle avait commencé à faire des ravages dans la population, il y avait cinq ans. Ils s'étaient isolés le plus à l'est et au sud possible, et avaient même tenu l'emplacement de leur camp principal secret. Seuls de rares Hommes des Bois comme Odagis, fils de Waulfa et messager et principal traqueur du village, savait où trouver Buhr Dera ("village caché") et ses habitants. Ce n'était pas loin de Râd Angálaladh ("chemin de l'arbre le plus secret"), le sentier le plus au sud qui traversait la Forêt Sombre d'est en ouest. Sentier qui était devenu de plus en plus dangereux avec le temps, d'ailleurs, si bien que plus personne ne le prenait. Le dernier avait sans doute été Fryancryn, deux ans auparavant, avec une autre bande d'aventuriers. Aventuriers qui étaient tombés sur une expédition militaire contre les elfes de Thranduil, mais c'était une autre histoire, et elle avait été réglée par la mort des orcs et hommes du Nécromancien.

Aujourd'hui, c'était différent. L'apparition de cette obscurité avait été remarquée à la fin du printemps dernier. Dans l'été, les gens du village de Buhr Dera n'étaient pas venus à l'un des trois rassemblements annuels des Hommes des Bois comme les fois précédentes. Tout contact avait en fait été rompu, les gens les plus proches de la zone avaient été attaqués ou avaient fui, et personne n'avait su dire alors quel espace était occupé par cette force du Nécromancien, ni si les gens de Buhr Dera étaient encore vivants. Les elfes, contactés, étaient venus et avaient fait part de leur souci : une puissante magie noire était à l'œuvre qui faisait fuir les animaux, entre autres choses, si bien qu'ils n'avaient aucune source d'information sur ce qui se passait plus loin dans la forêt. Seul le magicien brun avait dit que les gens étaient vivants, juste isolés, mais il n'avait pas dit comment il avait eu l'information. Il avait tout de même recommandé de fuir la zone et d'attendre : la force était trop puissante pour pouvoir la combattre, et la raison de sa présence ici restait pour lui un mystère.

Au final, Vif et ses amis étaient tentés d'intervenir pour pouvoir dévoiler une part de ce mystère. Mais en même temps ils n'étaient que trop conscients que c'était peut-être ce que certains attendaient d'eux. L'idée d'être manipulés devait les rendre encore plus prudents. D'autres informations furent échangées, d'autres questions furent posées, mais il manquait encore trop de réponses. Radagast semblait au courant de certaines choses, mais personne ne savait où il était ni quand il reparaîtrait. C'était un maître des formes et des couleurs, et aucun animal normal ne l'attaquerait ou ne le dénoncerait si le magicien ne le souhaitait pas, Vif le savait avec certitude, elle l'avait assez côtoyé. Envoyer un animal à sa recherche serait sans doute peine perdue. Néanmoins, les aventuriers se mirent d'accord sur une chose : il fallait trouver le magicien pour pouvoir lui parler. De cet entretien et des informations qu'il pourrait donner dépendait la décision qu'ils prendraient ensuite.
Modifié en dernier par Niemal le 21 août 2015, 19:45, modifié 6 fois.
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Niemal
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Horselords - 6ème partie : sombre forêt...

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1 - Entraide forestière
En attendant de trouver Radagast ou plutôt que le magicien les trouve, Vif et ses amis commencèrent par prendre quelques vacances chez les Hommes des Bois. Enfin, vacances, c'est ce que Geralt pensait au départ peut-être, mais il déchanta vite. En tant qu'invités, les aventuriers participèrent au quotidien de leurs hôtes, quotidien qui était loin d'être reposant. Mais c'était une question de survie pour les Hommes des Bois. En dehors de la femme féline qui aida au village divers individus qui lui étaient chers, les autres n'eurent pas beaucoup l'embarras du choix : travaux de chasse ou de bûcheronnage, bien entendu accompagnés de certains de leurs hôtes pour éviter qu'ils ne se perdent en forêt. Chasse au gibier pour se nourrir dans un premier temps, la chasse aux araignées viendrait après.

Le choix de Mordin fut tout trouvé : la chasse n'était pas pour lui, car elle demandait des archers discrets et rapides, ce qu'il n'était pas. La hache lui convenait mieux, et il passa ses jours dans un camp de bûcheronnage à scier du bois, le fendre, le transporter, l'enstérer... Taurgil, grand costaud mais également rôdeur à l'aise en nature, pouvait sans mal tout faire. Il choisit de transporter et monter du bois aux habitations de Buhr Widufiras plutôt que la chasse, afin de rester au plus près de Vif. Même si cette dernière ne faisait rien pour être auprès de lui. Les quatre autres, soit Isilmë, Rob, Drilun et Geralt, prirent arcs et flèches et se joignirent à deux bandes de chasseurs.

Les premiers, avec Rob et Geralt, marchèrent deux-trois heures jusqu'à un endroit déjà repéré par les Hommes des Bois où une harde de chevreuils avait ses habitudes. Ils suivirent ensuite les traces, et les sens exercés de l'assassin et du hobbit firent merveille et repérèrent facilement les animaux. Surtout, tous se firent assez discrets pour ne pas effaroucher les bêtes et les faire fuir. Ils arrivèrent ainsi à une dizaine de mètres, assez près pour pouvoir les tirer sans mal. L'autre groupe, avec Drilun et Isilmë, tomba sur les traces d'un gros cerf et arriva là encore à l'approcher à une distance convenable.

Les chevreuils commencèrent à sentir l'odeur des chasseurs, mais Rob et Geralt se montrèrent d'une rapidité confondante, arrivant à tirer chacun deux flèches avant même que les bêtes commencent à fuir. Au final, l'équipe ramena de nombreux corps, au grand dam de Geralt : si Rob en avait tué beaucoup, il ne risquait pas, vu son gabarit, d'en transporter beaucoup ! Et même en éviscérant les bêtes et en fabriquant une espèce de travois pour les transporter, la tâche fut loin d'être facile, et pour tout dire, très fatigante... ce qui déplaisait au plus haut point au maître-assassin ! Mais il était exceptionnel de ramener plus d'une bête par personne, et on ne pouvait pas en laisser derrière, le corps ne mettrait pas longtemps à trouver un prédateur prêt à sauter sur l'occasion... De leur côté, l'elfe et le Dunéen ne laissèrent aucune chance au cerf, et les Hommes des Bois furent impressionnés par leurs tirs et par l'arc de l'archer-magicien.

Une fois de retour en ville, ou plutôt non loin, les corps furent découpés, puis fumés et séchés pour se conserver, d'autant qu'une bonne partie serait utilisée par l'équipe lors d'une future mission de reconnaissance. Deux autres actes de chasse eurent encore lieu dans la semaine, qui rapportèrent encore d'autres dépouilles. Les aventuriers estimèrent qu'ils avaient bien participé. Geralt ne s'était pas joint aux autres équipes de chasse, estimant qu'il avait abattu (et transporté !) assez de bêtes la première fois. Néanmoins, la quantité de viande préservée que les Hommes des Bois leur avaient laissée semblait assez importante pour leur durer un mois.

2 - Arts divinatoires
Mais quelles que fussent les occupations de chacun, les membres du groupe se réunissaient le soir et échangeaient sur les questions qui les taraudaient. D'autant qu'il n'y avait aucun signe de vie du magicien brun, et rien ne prouvait que Radagast montrerait le bout de son nez ou enverrait un animal pour donner des nouvelles ou des consignes. Or Drilun maîtrisait avec le temps de mieux en mieux les arts magiques, et parmi eux, il était tenté d'en utiliser qui lui donnaient des pouvoirs divinatoires. Il fallait toujours les manier avec recul et précaution, car leur interprétation n'était pas toujours aisée, mais cela pouvait être une aide précieuse dans leur cas.

Il pouvait ainsi avoir des prémonitions de l'avenir sur quelques jours, mais cela ne l'intéressait pas trop, le futur était encore trop confus et lointain pour cela. En revanche, il pouvait aussi lire dans une poignée de cailloux qui retombaient au-dessus d'une ligne du sol où penchait la vérité sur un sujet donné. Cela lui demandait de gros efforts, mais avec l'aide d'Isilmë pour lui faire reprendre magiquement des forces la nuit, il ne voyait pas trop cela comme une contrainte. Il discuta avec ses amis des questions les plus pertinentes et simples à poser à ses "cailloux", écoutant tous ceux qui avaient un avis sur le sujet. Certains comme Mordin ne voyaient pas trop l'intérêt de rester ici et de poser des questions : ils devaient aller voir les chefs des nordiques et ramener des chevaux, pas besoin de magie pour cela. D'autres comme Vif voulaient savoir quelle menace planait sur les Hommes des Bois... ou eux. Ou tout simplement si cela valait la peine d'attendre encore Radagast.

Et donc le Dunéen lança chaque soir ses cailloux en l'air, et sa magie l'aida à interpréter le résultat de leur position par rapport à la ligne tracée au sol. Il fut encouragé par le résultat à ses deux premières questions : Tina/Tevildo était-elle/il la raison de la présence de la force du Nécromancien dans la Forêt Sombre ? Manifestement ce n'était pas le cas. Un des membres du groupe, alors, était-il à l'origine de cette force à proximité ? Là encore, sa magie lui répondit sans équivoque : le Nécromancien avait peut-être des plans les concernant, mais la force qui avait investi la portion du territoire des Hommes des Bois n'avait rien à voir avec eux. Pour le moment du moins. Ce qui ne disait pas grand-chose sur les raisons de sa présence, ou la manière de s'en débarrasser.

La troisième question concernait la possibilité de voir Radagast en restant à Buhr Widufiras, mais la réponse ne fut pas concluante. Sans doute le magicien n'en avait-il encore rien décidé. A la question de savoir si des Hommes des Bois de Buhr Dera, le village isolé par la force, collaboraient - d'une manière ou d'une autre - avec cette même force, la réponse fut clairement négative. Suite à une suggestion de Mordin, Drilun demanda ensuite si la présence de l'armée du Nécromancien avait quelque chose à voir avec Radagast, mais là encore la réponse était franchement non. Cela ne les avançait guère au bout du compte...

Mais Geralt eut une idée complètement différente. Il se rappela de ce qu'un marchand nain avait dit à propos du fils d'Atagavia, le chef nordique qu'ils devaient aller voir : il était censé être mort à la fin de la Grande Peste, quelques années auparavant, mais en fait il semblait plutôt qu'il avait disparu pour venger la mort de sa mère de cette même maladie. Maladie dont il rendait le Nécromancien responsable. Ce fils était-il encore vivant ? Drilun trouva la question intéressante, et sa magie lui apporta une réponse assez claire : sans nul doute, oui, le fils d'Atagavia était encore vivant. Cela avait-il un lien avec l'armée du Nécromancien non loin ?

Les deux questions qui suivirent s'enchaînèrent assez vite et tout naturellement : ce fils avait-il été capturé par des serviteurs du Nécromancien ? Ce à quoi les cailloux répondirent par un oui très clair. Ce qui était logique aussi : si l'homme cherchait le Nécromancien, il avait sans doute fini par le trouver. La question suivante fut alors de savoir s'il était sur le lieu qu'occupait la force du Nécromancien, toujours la même qui gênait les Hommes des Bois. Et là, Drilun eut du mal à répondre : ce n'était ni oui ni non, même si globalement la réponse semblait plutôt négative. Peut-être en était-il assez proche sans être sur le lieu même ? Encore fallait-il savoir ce que "assez proche" pouvait dire.

3 - Chasse aux araignées
Après une semaine passée à les côtoyer, les hôtes décidèrent que leurs invités comportaient des tireurs exceptionnels et bien discrets, et ils mirent en place une opération de chasse aux araignées. Ces dernières, lorsqu'elles repéraient un sentier emprunté régulièrement par des proies potentielles - comme des Hommes des Bois - avaient la mauvaise habitude de s'y installer, avec un nid pas trop loin. Il fallait donc régulièrement les repousser, en en tuant le plus possible et en nettoyant le nid après la fuite des survivantes. Justement, un tel nid avait été repéré à environ une journée de marche de Buhr Widufiras. Une équipe fut constituée, avec cinq Hommes des Bois et les aventuriers, Vif exceptée. Elle n'était pas une grande chasseresse d'une part, et elle souhaitait rester avec ses proches d'autre part.

La marche se déroula sans problème, et les araignées furent repérées sans que le contraire ne fût vrai. Après s'être mis d'accord sur un signal (un hululement) pour déclencher l'attaque, tous se séparèrent en petits groupes de deux ou trois afin de prendre les araignées de tous les côtés. Tous arrivèrent à éviter celles qui gardaient les abords du nid, cachées dans des branches, et ils s'approchèrent de la colonie d'arachnides géants. Elle se signalait par une ambiance encore plus sombre, des gros fils d'araignée qui pendaient çà et là, ainsi que des cocons suspendus à plusieurs mètres du sol, contenant des proies de taille diverse - l'un d'eux enfermait probablement un chevreuil. Et, au-dessus, un certain nombre d'araignées - peut-être une trentaine - vaquaient à leurs occupations. L'une d'elles, perchée sur un cocon qu'elle paraissait comme mordre, devait être en train de se nourrir...

Hormis Mordin, qui était un petit peu à l'écart, tous les autres avaient préparé leur arc et pris de bonnes positions. Tous étaient bien cachés, par leurs talents ou bien aussi par de la magie ou une cape magique (donnée au nain) qui les faisaient se fondre dans le sous-bois tant qu'ils restaient immobiles. Malgré l'obscurité, les premières araignées, à une dizaine de mètres de haut seulement, paraissaient condamnées. Mais celles qui étaient au-delà semblaient difficilement accessibles : il fallait être un tireur d'exception pour arriver à les abattre, et Drilun, qui correspondait à ce profil... n'arrivait pas à les repérer. Néanmoins, cela en laissait largement assez pour tous.

Lorsque le signal fut donné et entendu par tous - sauf Mordin qui de toute manière n'était pas à portée immédiate des araignées - les arcs vibrèrent et plusieurs corps d'araignée tombèrent au sol, mortes. Le nain se révéla alors et invectiva les arachnides qui descendirent vers lui et, furieuses, se préparèrent à l'attaquer. Néanmoins, ses paroles étaient si fortes et menaçantes que les araignées hésitèrent un moment, d'autant qu'elles n'arrivaient pas à trouver la source des flèches qui avaient été tirées un peu partout. Ce qui donna un peu de temps à Taurgil et Rob de se rapprocher du nain, qui risquait d'être noyé sous le nombre. Et de nouvelles flèches furent tirées.

A force, certains des archers furent repérés et les araignées lancèrent quelques attaques, mais leur nombre s'était déjà trop réduit et les assaillants à deux pattes étaient trop bons. Une araignée réussit tout de même à se laisser tomber sur Mordin, qui s'était couvert de son bouclier mais avait quand même accusé le coup. Plus de la moitié des araignées fut massacrée et les autres s'enfuirent dans les hauteurs des arbres puis au loin. Après quoi, il fallut découper la plus grosse partie du nid et brûler les fils et les corps des araignées mortes. Rob, en bon écureuil qu'il était, fit merveille, arrivant à aller là où les autres, plus lourds, ne pouvaient se rendre sans risque de voir les branches casser. Après une nuit sans problème, l'équipe fut de retour à la ville des Hommes des Bois en fin de journée.

4 - Au cœur de la forêt
Les épisodes de chasse au gibier ou aux araignées avaient permis à tous de se rendre compte de ce que représentait la vie en Forêt Sombre. Les divinations magiques de Drilun permettaient de mieux se faire une idée des raisons de la présence de la force du Nécromancien sur le territoire des Hommes des Bois. Ce n'était pas bien clair, mais cela avait un rapport certain avec le fils d'Atagavia et donc les seigneurs nordiques. Au cours de leurs discussions, Vif avança le fait que plus ils en sauraient sur cette force et sur la présence du fils, plus cela pourrait leur donner des éléments voire des atouts pour discuter avec Atagavia et consorts. Dans l'idéal, se présenter au plus grand chef nordique en lui ramenant son fils perdu sur un plateau, en bonne santé, ne pouvait que favoriser leurs affaires...

Sans remettre en question l'intérêt de la chose, Geralt fut le premier à souligner les risques. Il avait eu un avant-goût d'une expédition en forêt, dans une zone bien contrôlée par le peuple de Vif, et cela ne lui plaisait guère, pour ne pas dire plus. Dans un secteur bien plus traître, sans les indices des Hommes des Bois pour les diriger, sans animaux pour les aider, avec de nombreux ennemis à proximité - certains pas forcément connus - c'était une autre histoire. Il suivrait le groupe, bien sûr, mais il savait qu'il supporterait très mal la vie en forêt, ce qui le fragiliserait beaucoup à une attaque de sorcellerie - et il y en aurait, c'était une certitude. De plus, les conditions de survie dans la Forêt Sombre étaient telles que l'équipe serait très dépendante de la femme féline. Si jamais il lui arrivait quelque chose... le groupe aurait des gros problèmes, sans même prendre les ennemis en compte.

En fin de compte, les gains potentiels d'une prudente expédition de reconnaissance l'emportèrent sur les risques à prendre. D'autant que Radagast ne serait peut-être pas très loin et qu'il interviendrait pour les aider ou les rediriger. En tout cas, il ne semblait pas nécessaire d'attendre plus longtemps à Buhr Widufiras, les avantages étaient très incertains - sauf pour Geralt qui profitait des longues nuits pour rester au lit plus longtemps. Waulfa, chef du clan, fut alors prévenu que les aventuriers partiraient dès que possible, c'est-à-dire dès qu'un guide pourrait leur être fourni. Odagis, un des fils de Waulfa et le principal pisteur et messager de la ville, était disponible et les emmènerait jusque là-bas. Dès le lendemain, le groupe serait sur les sentiers.

Avant même la nuit, Vif alla voir ses proches et amis et leur annonça la nouvelle de leur départ. Puis elle s'isola à un endroit de la ville où les conditions étaient idéales pour elle, et elle se transforma, avec Isilmë à proximité comme aide potentielle. Elle prit en effet sa forme ultime de grand félin taillé pour le combat, qui faisait trois fois son volume et était capable d'emporter sur son dos un guerrier aussi lourd qu'elle jusqu'en haut des arbres, et sans difficulté. Tout se passa bien, et l'elfe l'aida ensuite à se reposer et à récupérer une partie de son énergie, comme les nuits suivantes. Cette transformation restait encore très éprouvante pour la Femme des Bois.

Le matin venu, après avoir laissé chez leurs hôtes leur or et d'autres affaires encombrantes, les aventuriers prirent la route, menés par Odagis. Ils se dirigèrent d'abord vers le sud, sur un sentier des Hommes des Bois bien fréquenté et balisé, facile à parcourir. Au troisième jour, ils arrivèrent au sentier qui traversait la Forêt Sombre d'est en ouest, et ils prirent sur leur gauche, vers l'est. En fin de matinée du quatrième jour, le fils de Waulfa s'arrêta et leur indiqua que le début des ennuis n'était plus qu'à quelques heures de marche de là. Il donna également quelques indices sur le village caché de Buhr Dera au grand félin, qu'il avait appris à côtoyer sans trop de mal ces derniers jours. Enfin, il leur souhaita bonne chance et repartit en sens inverse sur le chemin. La Forêt Sombre semblait plus sinistre que jamais, sans un cri d'oiseau pour égayer l'atmosphère. Le bruit des feuilles qui bruissaient sous la brise hivernale était le seul son qu'on pouvait entendre à des lieues, comme si tous les animaux avaient déserté la zone. Les aventuriers étaient seuls contre l'armée du Nécromancien.

5 - Contournement
Mais en fait, la forêt n'était pas si déserte que cela, et certains animaux étaient bien présents. Un léger bruit d'ailes fit dresser les oreilles du grand félin, qui leva la tête, ainsi que d'autres de ses compagnons. Cachés dans le feuillage, haut dans les arbres, quelques oiseaux au plumage noir les observaient avec intérêt. Selon toute vraisemblance, des crebain les surveillaient, et quelques-uns avaient déjà été prévenir leurs maîtres de la présence de visiteurs sur le sentier. Comme l'avait dit Waulfa quelques jours auparavant, le sentier était certainement le secteur le mieux surveillé de la zone. Et maintenant, ils étaient repérés par ces petits espions noirs.

Vif ne comptait pas rester sur le sentier - sans doute trop bien gardé, justement - mais pénétrer au cœur de la forêt, et mieux se rendre compte de la nature des forces en présence. Cela ne convenait pas à tout le monde, mais y avait-il d'autre choix ? De toute manière, elle était chez elle et sans doute la seule à pouvoir les guider sans se perdre. Mais ces espions ailés compliquaient un peu la chose. Les suivraient-ils si le groupe quittait le sentier ? L'expérience montra que oui, malheureusement : l'équipe s'enfonça dans la forêt vers le nord et l'ouest, et constata qu'une dizaine d'oiseaux les suivaient. Ils étaient bien cachés et difficiles à tirer, la manière forte paraissait vouée à l'échec. Comment s'en débarrasser ?

Isilmë rappela que ces volatiles étaient avant tout diurnes, et qu'ils perdraient sans doute leur trace à la nuit tombée. Ce qui se vérifia effectivement, au grand dam de Geralt une fois de plus. En effet, une fois la nuit tombée, l'obscurité était telle que les oiseaux étaient bien incapables de voir quoi que ce fût. Pas plus que les humains ou le hobbit d'ailleurs, qui ne voyaient pas leur main tendue devant eux, ou le tronc des arbres... avant de le heurter. Seule l'elfe et le félin arrivaient à y voir un peu et à se diriger sans trop de mal. Les autres durent prendre du trèfle de lune pour arriver à distinguer quelque chose, et le maître-assassin dut se priver de sommeil précoce : le groupe se faufila discrètement dans le noir, laissant les crebain derrière eux. Au bout de quelques heures, il n'y avait plus aucun signe de vie des volatiles.

Cela ne signifiait pas la fin des problèmes, comme les jours suivants le montrèrent bien. La progression du groupe était très lente à cause du sous-bois dense et de l'obscurité perpétuelle, et Vif prit sur son dos Drilun qui sinon aurait ralenti le groupe, comme le montrèrent ses tentatives maladroites de marche en forêt. Il en venait à se demander si branches et racines ne bougeaient pas pour l'empêcher d'avancer... Et puis l'allure était d'autant plus lente que les aventuriers cherchaient à ne faire aucun bruit afin d'éviter d'alerter d'éventuels gardes. Ils cheminaient donc, perdus dans cette jungle sylvestre sauf pour le grand félin, à l'affût des moindres présences ennemies. Et ils en perçurent de multiples sortes, comme des groupes de loups et d'araignées. A chaque fois, l'ouïe extrêmement fine de Vif et les sorts de Drilun permettaient de repérer les ennemis, et de dévier leur trajectoire pour essayer de les contourner. Cela dura ainsi plusieurs jours, et leurs provisions baissaient dangereusement. Sans parler de l'eau, qu'il fallait trouver grâce aux talents du Dunéen ou de la Femme des Bois.

Mais enfin, une nouvelle situation se présenta après quelques jours : un groupe d'une douzaine d'orcs à terre - l'archer-magicien ne pouvait percevoir d'éventuelles présences dans les arbres - se tenait non loin d'eux. Les précédents ennemis, une bande d'araignées géantes, étaient assez distants et il semblait possible de passer près des orcs sans se faire repérer de personne. C'était une occasion unique de pénétrer les défenses de la zone et de s'approcher du cœur de l'ennemi. Risqué, mais potentiellement riche en informations. Le groupe se fit le plus discret possible et s'approcha des orcs, jusqu'à entendre des voix à faible distance. L'équipe avait pensé passer à environ deux portées de flèche de leurs ennemis, mais un sort de Drilun l'informa plus tard qu'ils étaient en fait plus près, à une seule portée de flèche seulement. Ce qui était tout aussi bien, car Taurgil et lui arrivaient à comprendre ce que les créatures se disaient. Les voyant concentrés, leurs amis ne bougèrent plus.

6 - Oreilles indiscrètes
Les voix étaient celles de grands orcs qui s'exprimaient dans un noirparler assez pur. C'était une langue utilisée par les élites d'Angmar et autres noirs pays, et non un vulgaire dialecte orc qui variait avec chaque tribu. Manifestement, il s'agissait d'Uruk-hai, de grands guerriers orcs. Ils étaient aux orcs communs et autres snagas ("esclaves") ce que les Olog-hai étaient aux trolls communs : une espèce de race supérieure. Les aventuriers en avaient entendu parler, mais tous n'en avaient pas encore rencontrés. Tout cela, et le contenu de leurs paroles, désignaient manifestement les interlocuteurs comme membres d'un corps d'armée d'élite. Et pourtant, au sein de la force armée qui occupait la forêt, ils semblaient occuper le bas de l'échelle dans la hiérarchie.

La discussion portait sur l'attente qui leur paraissait longue, car manifestement ils étaient là depuis de nombreux mois, ce qui correspondait aux observations des Hommes des Bois. Ils attendaient quelque chose, mais sans dire exactement de quoi il s'agissait. Ils parlaient aussi avec frayeur du chef de l'expédition, le Grimburgoth, ce qui signifiait à peu près "seigneur des rôdeurs noirs". Non seulement le chef de cette unité d'élite semblait être un personnage de premier ordre au sein de Dol Guldur, forteresse du Nécromancien, mais il semblait également émaner du personnage une aura de terreur et d'obscurité très particulière...

Une nouvelle voix intervint - humaine celle-là - dans le même langage, intimant aux uruks de se faire plus discrets et de baisser la voix voire de se taire. Il semblait à Vif que cette voix était placée légèrement en hauteur, comme si elle était dans un arbre. Cela n'empêcha pas les guerriers de continuer à parler, bien que plus doucement. Mais tant Taurgil que Drilun arrivèrent à suivre la conversation en tendant davantage l'oreille. L'homme qui venait de parler et qui commandait aux uruks étaient apparemment un grimbúrz ou "rôdeur noir" de Dol Guldur. C'est à ce moment que Vif, qui n'entendait goutte aux propos échangés, sentit les premières vibrations du sol grâce aux vibrisses de ses pattes : quelque chose approchait, et de lourd ! Plus tard Geralt puis d'autres aventuriers sentirent ou entendirent une lourde créature approcher, et un sort de Drilun le confirma : un grand troll arrivait, accompagné d'une personne de taille humaine. Ils venaient dans leur direction, ou celle des orcs, plus probablement.

Après une certaine hésitation, Vif et ses amis choisirent de rester sur place quand il devint évident qu'ils n'étaient pas la cible des nouveaux venus. Le troll apportait du matériel, et son compagnon, à la voix humaine, venait vérifier que tout allait bien. Ce à quoi le rôdeur noir lui répondit, comme à un confrère mais néanmoins supérieur, que rien de nouveau n'était à signaler. Et lui aussi se plaignit de la longue attente et demanda ce qu'ils attendaient encore, ce à quoi le nouveau venu répondit ou plutôt répéta qu'ils resteraient là tant que la fille ne serait pas venue. Ils ne savaient pas quand elle viendrait, mais certains avaient apparemment vu ou pressenti qu'elle viendrait de toute manière...

Si la Femme des Bois n'avait rien compris à l'échange, son ouïe féline incroyablement fine lui avait tout de même apporté une information de taille. Elle reconnaissait la voix, et d'autant plus que le rôdeur noir s'était adressé au nouveau venu avec un nom qui lui était familier : Thuiric. Il s'agissait d'un ancien habitant de Buhr Widufiras un peu marginal, mi-Homme des Bois mi-oriental par sa mère. Ses parents étaient morts pendant la Peste et il s'était toujours senti un peu à l'écart des autres, ce qui d'ailleurs l'avait un peu rapproché de Vif, qui était un peu dans le même cas. Et il avait disparu vers la fin de la grande maladie...

Ayant reconnu la personne, elle ne put attendre pour savoir ce qui se disait, et se précipita vers un de ses compagnons qui comprenaient l'échange afin qu'il lui fasse la traduction. Mais tandis que ce dernier s'exécutait, l'échange prenait fin et le troll et l'homme commençaient à s'éloigner. Grâce aux tours d'oreille magiques que Drilun avait confectionnés, la Femme des Bois se fit comprendre de ses amis et en particulier de Geralt : elle souhaitait intercepter Thuiric et voulait que le maître assassin monte sur son dos afin de les rattraper et de l'aider à tuer le troll et maîtriser l'homme. Mais alors qu'ils se préparaient et commençaient à s'éloigner, Drilun et Taurgil entendirent que leurs échanges n'avaient pas été assez discrets. Le rôdeur noir avait l'ouïe assez fine lui aussi, il avait entendu quelque chose et il commandait à présent aux uruks d'aller voir. Un bruit d'armes qu'on sortait de leur fourreau précéda un bruit de pas qui s'approchaient, pas d'au moins une demi-douzaine d'individus...

7 - Conflit forestier
Le combat était inévitable, mais en soi il ne posait guère de problème aux cinq aventuriers restants. D'une part ils s'étaient déjà préparés à cette éventualité, tous bien cachés, avec Rob et Drilun bien installés dans un arbre, l'arc prêt. D'autre part, quelle que fût l'élite des orcs, quelques-uns d'entre eux n'allait pas leur faire grand mal. Le problème viendrait après, quand le reste de la force serait prévenue et réagirait. Mais peut-être les uruks passeraient-ils sans les repérer ? C'est effectivement ce qui se passa au début : les grands orcs passèrent à quelques mètres d'eux, tous les sens aux aguets, l'arme prête, mais sans les distinguer. Mais leur chef, qui était équipé d'un haubert et d'un pantalon de mailles, repéra les traces laissées dans le sol par les aventuriers.

S'il fut le premier à recevoir un coup, la blessure fut loin d'être grave et l'alerte fut donnée à grand renfort de cris. Puis les archers commencèrent leur hécatombe, appuyés par la lame enjouée d'Isilmë (vole la tête !), la hache magique de Mordin, et la présence imposante de Taurgil. Ce dernier était tellement bien protégé par son armure de mithril qu'il faisait le minimum pour éviter les coups, qui ne lui faisaient strictement rien. Rapidement, les uruks furent mis sur la défensive puis en fuite, et peu arrivèrent à s'en sortir vivants. Mais ils avaient eu le temps de prévenir le rôdeur noir, le "grimbúrz", qui avait eu tout le temps de sonner du cor. Le bruit s'était sans doute entendu à des miles de là...

Geralt et Vif avaient bien entendu perçu l'appel du cor, et ils ne s'attendaient plus trop à prendre leur proie par surprise. Ils repérèrent le troll en arrêt près d'un gros chêne, une grande épée à la main, mais aucun signe du fameux Thuiric. Pourtant la rôdeuse et le maître-assassin étaient les plus perceptifs du groupe, mais ils étaient incapables de voir où il était passé. Cela dit, le troll était un bon début. Le gros félin se faufila jusqu'à l'arbre près duquel la créature se tenait, de manière à ce que le troll ne puisse les voir. Puis il grimpa au tronc, avec l'assassin toujours accroché à son dos. Mais à quelques mètres du sol, ils se retrouvèrent face à un arc bandé et une flèche encochée : le fameux Thuiric était là, qui venait de les repérer.

Geralt préféra se laisser tomber au sol pour éviter de recevoir à bout portant une flèche qu'il ne pourrait éviter. La chute, d'une hauteur de cinq mètres environ, ne lui posa aucun problème : il amortit le choc et se releva après un roulé-boulé... face au troll, prévenu par un cri du rôdeur noir. Avec la grande rapidité qui le caractérisait, il plongea derechef entre les jambes du monstre qui le rata de peu. Puis il se releva et porta un coup de son épée avant que le troll n'ait eu le temps de se retourner. La créature géante hurla de douleur, mais il en faudrait plus pour la tuer. Tout occupé à son combat, le maître-assassin ne se rendit pas compte qu'un nouveau venu observait la scène, non loin...

Plus haut, Vif bondit en avant, le long du tronc, pour arriver à portée de patte de Thuiric. Ce dernier eut le temps de laisser filer sa flèche, qui n'était pas magique. Elle ne fit qu'une estafilade sur le grand corps félin, et le grimbúrz n'eut pas le temps de prendre son épée. La femme féline tenait à garder l'homme vivant, aussi ne sortit-elle pas ses griffes, mais la force du coup de patte brisa les côtes de Thuiric et l'envoya chuter sur le sol de la forêt, huit mètres plus bas. Où il resta immobile, comme mort. Vif repéra alors qu'un homme arrivait discrètement sur la scène du combat, l'arc à la main, tandis qu'elle se jetait du haut de la branche où elle se trouvait sur la tête du troll que Geralt combattait. Ses pattes eurent vite fait de mettre le cou et le visage du monstre en charpie, et il s'écroula vers l'avant, loin de Geralt.

Lequel avait un autre chat à fouetter : son amie ayant oublié de le prévenir, il sentit brusquement la pointe d'une flèche lui percer la peau du dos, à une jointure entre deux plaques de peau de dragon. La qualité de l'armure avait néanmoins limité les dégâts et la blessure resterait légère, mais il s'en serait bien passé. En trois bonds, le gros félin arriva sur le rôdeur noir qui vit sa vie défiler très vite devant lui. Puis son âme s'envola vers les cavernes de Mandos, libéré du corps trop mis à mal par les griffes acérées de Vif. Trois corps dont deux déchiquetés et bien morts, et un brisé mais encore vivant, celui de Thuiric. Enfin, vivant... peut-être pas pour longtemps vu son état.

8 - Bilan et fuite
Plus loin, Isilmë, Drilun, Rob, Taurgil et Mordin rassemblaient les corps des uruks et les fouillaient, après avoir abattu ceux qui pouvaient l'être encore - mais pas tous - et s'être assurés qu'ils ne seraient plus dérangés. Le matériel des uruks semblait très correct aux yeux du nain, et même mieux que correct en ce qui concernait leur chef habillé de mailles. L'uruk avait également sur lui une bourse avec un pot d'onguent - certains reconnurent du baume orc, un puissant remède aux blessures - et une fiole d'un liquide sombre et huileux, sans doute un poison. Plus loin, ils trouvèrent aussi quelques affaires caractéristiques d'un camp de fortune (couvertures, eau, nourriture...) mais sans rien d'exceptionnel.

De leur côté, Vif et Geralt étaient plus heureux : les deux grimburî ("rôdeurs noirs"), dont Thuiric, portaient des capes de camouflage qui les aidaient à se fondre dans le décor, en particulier celle de l'ex-habitant de la ville des Hommes des Bois. Leur matériel était d'excellente qualité, et l'arc et l'épée de Thuiric portaient des runes qui feraient le délice de Drilun. Et tous deux portaient également des poisons et du baume orc. En fait, lorsque la femme féline avait reçu la flèche du rôdeur, l'estafilade avait été suffisante pour sentir une brûlure mais sans conséquence aucune. La blessure aurait été plus grave, il en aurait sans doute été autrement : manifestement, le poison dont la flèche était enduite était puissant. Dans le peu de temps que Thuiric avait eu, qu'il ait pu tremper la flèche dans du poison après être grimpé à l'arbre montrait qu'il n'était pas qu'un simple amateur dans les deux domaines. Ce qui n'était guère étonnant pour l'escalade, vu qu'il était tout de même un Homme des Bois, même si sa mère était orientale. L'autre rôdeur noir ne devait pas être aussi bon, et il n'avait pas pris le temps d'enduire de poison la flèche qui avait blessé Geralt.

L'assassin et la rôdeuse retournèrent en direction de leurs compagnons avec le corps de Thuiric, toujours vivant mais mal en point. Vif le portait sur son dos et Geralt faisait en sorte qu'il ne tombe pas. Ils retrouvèrent ainsi leurs amis, et tous se mirent au courant de leurs actions respectives. Après avoir soigné le maître-assassin, Isilmë fit la grimace en voyant l'état du grimbúrz : il souffrait de nombreux saignements internes, et elle doutait qu'il puisse vivre très longtemps ainsi. Néanmoins, elle utilisa sa magie des soins pour essayer de donner une chance au corps, et elle utilisa du baume orc sans savoir si cela pourrait avoir beaucoup d'effet. Quelques côtes brisées avaient percé la peau, mais l'essentiel des dégâts était interne, et elle ne pouvait pas badigeonner la pommade à l'intérieur du corps.

Rapidement, tandis que les affaires étaient rassemblées, un brancard fut préparé, tandis que le moral de Geralt chutait déjà à l'idée de ce qui les attendait : la fuite à travers la Forêt Sombre, avec un brancard bien garni en prime pour les ralentir un peu plus. Sûr, ils n'allaient pas perdre de temps à jouer aux discrets, maintenant que tout le secteur était prévenu de leur présence. Mais déjà qu'à l'aller Vif avait dû prendre sur elle les plus lents comme Drilun pour ne pas ralentir le groupe... Alors là, avec un brancard, il imaginait bien l'efficacité qu'ils auraient. Comment échapper à des loups qui pouvaient les suivre à l'odeur, suivis par des araignées, des orcs, des trolls, des rôdeurs noirs voire des sorciers ? Geralt détestait la Forêt Sombre.

Mais l'expédition avait au moins fait deux heureux. D'une part, Drilun était enchanté des armes couvertes de runes - arc et épée - récupérées sur le corps de Thuiric. Il avait reconnu celles de l'épée : il s'agissait manifestement d'une arme dont la magie aggravait les blessures, et dont lui-même avait fait usage sur une épée et un arc. Les runes de l'arc, en revanche, ne lui étaient pas familières, mais dès qu'il aurait un peu de temps pour les étudier il ne doutait pas qu'elles lui livreraient leurs secrets. Et Vif également était satisfaite : la "fuite" des secrets des Hommes des Bois avait été trouvée, et d'une certaine manière colmatée. Et si l'homme vivait, il aurait sans doute bien des secrets à leur apprendre.
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Horselords - 7e partie : fuite devant l'ombre

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1 - Éloignement
Tous furent vite prêts et le groupe partit enfin. Vif prit la direction qu'elle estimait être l'ouest, afin de s'éloigner de la force armée, puis plus tard le sud-ouest, afin de retrouver le chemin qui traversait la forêt d'est en ouest et par lequel ils étaient arrivés. En effet, la végétation dense gênait fortement leur passage et les ralentissait, alors que sur le chemin, le passage était libre et à peu près droit, même si ce n'était guère plus qu'un sentier de moins en moins marqué avec sa désaffection. Il avait fallu plusieurs jours pour arriver là depuis qu'ils avaient laissé le chemin derrière eux, mais ils cherchaient alors à être les plus discrets possibles, ce qui les ralentissait. Ce n'était plus le cas à présent, et même encombrés d'un brancard, porté par Taurgil et Mordin, Vif pensait qu'il ne leur faudrait pas plus d'une journée pour revenir sur le sentier.

A condition bien sûr de ne pas être ralentis par une chose ou l'autre. Derrière eux, la forêt avait résonné un moment des appels de cors, hurlements de loups et autres bruits similaires. L'armée du Nécromancien avait été prévenue de leurs méfaits, et devait être en train de se mobiliser. Il ne fallut pas très longtemps pour qu'une bande de crebain retrouve leur trace et les suive en croassant, mais cela ne préoccupa guère les héros : l'après-midi tirait à sa fin et la nuit viendrait vite. Les espions ailés n'y verraient plus assez pour voler et l'équipe leur fausserait compagnie. Cette perspective n'enchanta guère Geralt, qui comprit que son repos nocturne n'était pas pour tout de suite...

Afin de ménager le maître-assassin, il ne marchait pas avec ses compagnons mais profitait du dos robuste de la femme-félin. Elle-même, à l'aise en forêt et ouvrant le chemin, faisait de son mieux pour faciliter le passage de ses amis ; le sous-bois porterait un moment la marque de son passage et de ses griffes. Ainsi, leur progression à tous était plus aisée, même si leurs traces étaient aussi plus faciles à suivre. De toute manière, la vitesse primait et non la discrétion. Isilmë, à l'autre extrémité du groupe, faisait de même avec son épée pour faciliter le passage des brancardiers. Ainsi, dans un premier temps, l'allure resta-t-elle très correcte, comme pour une forêt normale.

Drilun, qui avait commencé à marcher derrière le grand félin, éprouva après quelques temps de plus en plus de difficultés. Il était le plus lent de tous en forêt (Geralt excepté peut-être), et s'il ne ralentissait pas trop le groupe au début, cela devenait de plus en plus net avec le temps. Il trébuchait plus souvent sur des racines, pestait après les branches qui lui giflaient le visage et les ronces qui s'accrochaient à ses vêtements. Il se sentait tout simplement misérable en forêt, et si peu adapté à ce milieu qu'il avait l'impression que la nature même était liée contre lui pour l'empêcher d'avancer. Bientôt, lui aussi rejoignit l'assassin sur le dos du félin qu'était Vif. Félin qui commençait à sentir la fatigue venir, même s'il avait encore de la marge.

L'archer-magicien, avant de prendre son amie pour monture, utilisa auparavant d'un sort pour apprendre du sol de la forêt où en étaient leurs poursuivants. Ils semblaient à la limite de ses perceptions magiques, ce qui représentait une bonne distance dans cette forêt, mais rien qui ne pouvait être couvert en une paire d'heures par des forces habituées à ce milieu. Or la force comprenait loups et araignées, sans compter des trolls, bien que ces derniers devaient être gênés par leur carrure dans un environnement aussi fermé. Une fois sur le dos de son amie, il occupa son temps à marquer leur passage de divers sorts pyrotechniques prêts à se déclencher au passage de leurs poursuivants, espérant ainsi les ralentir un peu.

2 - Magie noire et nature enchantée
Mais les aventuriers eurent vite l'impression d'être eux-mêmes ralentis. Tout d'abord, l'obscurité augmenta, et plus vite que la venue de la nuit ne pouvait laisser prévoir. Un bruit de pluie se fit entendre, et Rob sentit que cette pluie, dont quelques rares gouttes arrivaient au sol, n'était pas naturelle. Leurs poursuivants devant comporter des sorciers, cela ne surprit personne. Ce n'était pas la première fois que l'équipe rencontrait de tels magiciens capables de plier les éléments à leur volonté.

Certains membres du groupe furent tentés d'utiliser du trèfle de lune, une décoction qui permettait de voir dans l'obscurité aussi bien qu'un elfe. Mais avec l'augmentation de l'obscurité et la nuit proche, cela ne suffirait sans doute plus pour garder le même rythme. Aussi Geralt sortit sa lanterne et l'alluma, tandis que l'elfe guerrière allumait une torche. Le trèfle de lune aurait d'autres occasions de servir, un peu plus tard. Ainsi éclairé, le groupe poursuivit son chemin à bonne allure. Néanmoins, avec le temps, l'obscurité ne fit que s'accroître comme jamais personne n'avait vu en forêt. Le nain avait l'impression de retrouver l'obscurité de profondes cavernes qui ne voient jamais la lumière du jour. Mieux encore, la lumière donnée par torche et lanterne paraissait comme réduite, presque absorbée par l'obscurité ambiante...

Et ce n'était pas tout. Au-delà des ténèbres grandissantes autour d'eux, il devenait plus difficile de progresser pour une autre raison : la nature gênait de plus en plus les marcheurs, et ce n'était pas un fruit de leur imagination comme Drilun avait pu le penser un moment. Vif remarqua la première la chose : les branches bougeaient réellement pour se placer sur leur chemin, les ronces et lianes se déplaçaient aussi pour mieux les agripper, jusqu'aux racines qui se soulevaient parfois pour les faire trébucher... La nature était bien animée et cherchait à les ralentir. Même Geralt et Drilun, sur le dos de Vif, durent bientôt repousser les végétaux eux-mêmes, les coups de patte du félin ne suffisant plus à les tenir écartés de cette nature agressive.

Malgré cela, le hobbit ne percevait pas de magie autour d'eux, même si ses effets étaient bien nets. Pourtant, depuis la corruption qu'il avait subie avec l'anneau magique trouvé dans la montagne enchantée où ils avaient affronté le dragon, il était le plus sensible aux sortilèges de tout le groupe. D'autant qu'il avait eu le loisir de développer sa sensibilité lors de son long séjour chez maître Elrond. Mais là, si les effets de la magie étaient bien perceptibles, l'origine de cette magie lui restait fermée. Ou bien c'était quelque chose de très ancien et profondément ancré dans toutes choses environnantes, ou bien l'origine de cette magie était très puissante... ou les deux.

Drilun faisait régulièrement appel à ses sortilèges pour percevoir la progression de l'armée derrière eux. Armée qui se rapprochait inexorablement. Chaque heure passée voyait la distance se réduire, malgré tous les efforts des aventuriers. A tel point que certains se dirent que si la nature les empêchait de progresser, peut-être agissait-elle de manière inverse avec la force du Nécromancien ? Peut-être ses membres voyaient-ils au contraire les végétaux s'écarter devant eux et leur faciliter le passage ? En tout cas, il devenait de plus en plus difficile d'avancer, ce qui voulait aussi sans doute dire que la source de la magie se rapprochait de plus en plus.

3 - Escarmouche
Non seulement l'écart avec la force ennemie diminuait, mais un diverticule de cette armée progressait même plus vite dans leur direction. Cela ressemblait, aux perceptions du Dunéen, à une vingtaine de loups bien lourds... vraiment très lourds. Des wargs montés ? Relativement vite, cette troupe parvint à portée d'ouïe des plus perceptifs de l'équipe, et une nouvelle perception magique de Drilun indiqua qu'elle s'était scindée en deux moitiés égales et qu'elle commençait à passer de chaque côté d'eux. Aux bruits des loups étaient mêlés des voix rauques d'orcs, ce qui confirma qu'il s'agissait bien de wargs montés. Ce devait être une troupe d'élite encore une fois, car au bruit, les orcs portaient des cottes de mailles, et les loups devaient être énormes pour porter une telle charge.

Si l'équipe ne craignait pas trop une confrontation directe, certains émirent l'idée que la force était là avant tout pour les ralentir. Il fallait éviter qu'elle ne prenne une position défensive qui les forcerait à faire un détour ou les combattre longuement. Aussi, menés par Vif, les aventuriers obliquèrent brusquement vers la droite. Drilun fut prié de descendre du dos du félin, et Geralt sortit son épée. Tandis que le reste du groupe avançait plus lentement, la Femme des Bois, ou plutôt le grand félin qu'elle était, se mit à courir tout en évitant les obstacles ou en arrachant les plantes qui s'agrippaient à elle... ou à son cavalier, allongé sur son dos pour offrir le moins de prise aux branches et autres.

Malgré sa vitesse, le félin arriva discrètement sur l'arrière du groupe de wargs montés. Le premier duo warg/orc perdit la tête - littéralement - avant même de comprendre ce qui se passait. Les autres ennemis furent prévenus grâce à un des leurs qui étaient un peu plus en arrière et qui avait vu la scène, malgré l'obscurité très profonde. Tout en hurlant ou vociférant des insultes en noirparler, les ennemis chargèrent les deux amis séparés, Geralt ayant repris contact avec le sol pour mieux combattre. L'attaque fut plus ou moins désordonnée, et quelques-uns des wargs et orcs obliquèrent pour faire face au reste des aventuriers qui arrivaient. Ils se rendirent vite compte de leur erreur : les têtes volèrent, les flèches fusèrent, et le massacre fut expédié en moins d'une minute, facilité par une lumière magique invoquée par Drilun, lumière qui baignait tout le sous-bois proche. Avant même que le deuxième groupe de wargs et d'orcs n'arrive, le premier était par terre, définitivement hors de combat.

L'autre groupe perçut un peu mieux le danger et agit de manière plus concertée. En particulier, la moitié des orcs se contentèrent d'utiliser leurs arcs, dont les pointes luisaient de poison. Les hurlements féroces des wargs et des orcs intimidèrent un peu certains aventuriers, mais le rugissement de Vif en fit tout autant : ses adversaires n'étaient pas pressés de se frotter à elle, et préféraient se concentrer sur le maître-assassin. Ce dernier, visé par quatre archers, dut esquiver à l'aide des arbres et du sous-bois tout en reculant en direction de ses amis. Mais il était bien équipé et les orcs n'étaient pas d'excellents archers comme le leur, sans parler de la difficulté à tirer dans cette forêt épaisse et mouvante. Aucune flèche n'arriva à le blesser.

Après quoi, le cours de la bataille évolua vite. Orcs et wargs tombèrent comme leurs collègues peu auparavant. Certains sentirent le vent tourner et tentèrent de fuir, mais la plupart n'allèrent pas assez vite pour éviter une flèche en plein dos ou dans le flanc. Un seul duo orc/warg arriva à mettre assez de distance entre lui et les flèches de Drilun, Rob ou Isilmë. Mais tant le warg que l'orc déchantèrent vite quand ils perçurent que le grand félin les avait pris en chasse. Plus rapide et plus à l'aise qu'eux en forêt, encore moins gênée qu'eux par l'obscurité pourtant presque totale, bien plus forte qu'eux, Vif ne leur laissa aucune chance. Elle revint environ une minute plus tard, tandis que ses amis finissaient de fouiller les corps et de récupérer ce qui pouvait l'être, comme des pots de baume de soin orc. Puis les aventuriers repartirent, après avoir repris le brancard et son blessé toujours inconscient et mal en point.

4 - Menace grandissante
Si la petite escarmouche avait un peu remonté le moral des héros, ce dernier ne tarda pas à vaciller. L'obscurité autour d'eux paraissait de plus en plus épaisse, et les végétaux étaient de plus en plus mobiles, rapides et aptes à se mettre en travers d'eux ou à les agripper. Les ronces et des lianes comme du chèvrefeuille volaient vers les membres ou la tête des aventuriers, ralentissant de plus en plus leur progression, alors que la vitesse de leurs poursuivants ne semblait pas le moins du monde diminuer. A l'allure où ils allaient, ils seraient rejoints en deux-trois heures environ. Il fallait trouver autre chose, car une confrontation avec la force qui les poursuivait, et surtout avec le sorcier qui manipulait la nature autour d'eux, semblait impensable.

Communiquant par magie, grâce entre autres aux tours d'oreille magiques confectionnés par son ami dunéen, Vif proposa d'organiser un leurre. Quelqu'un ferait l'appât, quelqu'un comme... Drilun, chargé de faire de la magie pour attirer les ennemis loin du reste du groupe, qui resterait caché. Caché dans des arbres, car il était probable que certains sorciers utilisaient la même magie que l'archer-magicien pour les repérer. Cette magie permettait de repérer et d'identifier les êtres à proximité qui marchaient sur le sol tant qu'il restait à peu près uni, mais elle ne pouvait rien percevoir d'éventuelles présences dans les arbres ou sur d'autres hauteurs. Bien sûr, Drilun ne serait pas seul, la Femme des Bois le porterait sur son dos félin, et elle espérait bien pouvoir distancer leurs poursuivants avec l'aide de leur magie, de leurs herbes, et peut-être avec un peu de chance également...

L'archer-magicien chercha une source à proximité et trouva qu'il en existait une plus ou moins dans la direction qu'ils prenaient jusque-là, à l'opposé de leurs ennemis, à deux heures de marche de là. Ils choisirent de donner un dernier coup de collier pour y arriver à temps, boire, et préparer le leurre dont ils discutèrent encore au cours de leur avancée. Malgré la fatigue grandissante et la gêne toujours plus présente de la végétation, ils arrivèrent à la source dans les temps, c'est-à-dire avant l'armée qui les suivait et qui commençait à être perceptible sans magie, en particulier les pas sourds des trolls noirs dans le sol. Ils burent leur content et remplirent leurs outres, et constatèrent également que leur blessé, Thuiric, était en train d'expirer. Ni les efforts d'Isilmë ni ceux de Taurgil, qui avait pourtant lui aussi les mains d'un roi, ne furent suffisants pour le sauver.

Rapidement, le corps de Thuiric, une fois mort, fut disposé de manière à simuler une exécution, et exposé bien visible. Puis le groupe s'enfonça de manière à laisser des traces bien visibles comme s'il continuait à fuir, avant de grimper aux arbres, là encore en laissant de nombreuses traces. Mais le groupe redescendit et rebroussa chemin, puis obliqua sur un côté en masquant tout signe de son passage, avant de remonter le plus discrètement possible dans les arbres. Ce qui ne fut pas une mince affaire, tant la végétation se montrait peu coopérative. Non seulement les lianes s'accrochaient de partout, mais les branches, quand elles ne giflaient pas les visages, se dérobaient sous les pas, menaçant de faire chuter ceux qui s'appuyaient dessus. Rob en fit la mauvaise expérience, lorsqu'il voulut passer d'un arbre à l'autre en se laissant tomber sur une branche plus basse avec un peu d'élan. La branche se déroba et il chuta à terre, sans mal heureusement grâce à sa grande agilité et sa maîtrise corporelle.

Au bout du compte, Vif dut monter plusieurs de ses amis dans les branches et se charger de les faire passer d'un arbre à l'autre, non sans mal et surtout non sans fatigue. Alors que l'armée ennemie était clairement perceptible par tous, les wargs et les araignées commençant même à les encercler, Isilmë utilisa sa magie pour évacuer toute fatigue du corps du gros félin et de celui de Drilun. Des herbes stimulantes avaient aussi été préparées et consommées. Le Dunéen monta sur le dos de la Femme des Bois qui partit sans plus attendre au plus profond de la forêt, passant toujours d'arbre en arbre, ce qui était facilité par la densité de ces derniers dans cette forêt. Dans le même temps, l'archer-magicien lançait çà et là des sorts que leurs poursuivants devaient sans nul doute percevoir. En effet, ses précédents sortilèges pyrotechniques ne s'étaient pas déclenchés selon ses perceptions et celles de Rob, ce qui voulait dire que les sorciers ennemis les avaient perçus et soit dissipés, soit contournés.

5 - Heure de vérité
Les cinq qui restèrent se firent alors les plus petits et discrets possibles. Tous espéraient que le plan marcherait, même si c'était loin d'être gagné. L'idée de faire croire que les aventuriers étaient tous passés par les arbres tiendrait-elle ? Beaucoup espéraient que le fait de sentir leur proie si proche pousserait les ennemis à ne pas trop s'attarder et chercher autour d'eux. Par ailleurs, Drilun avait aussi usé de sa magie - en augmentant sa difficulté afin qu'elle soit la plus discrète possible aux perceptions magiques - pour atténuer leur odeur et éviter qu'ils ne se fassent remarquer par l'excellente truffe des gros loups. Et ils étaient tous bien cachés, parfois aidés par des manteaux de camouflage, mais pas par magie : la présence des sorciers rendait la chose trop risquée. Et ils étaient aussi bien aidés par la végétation qui s'accrochait à eux...

Le gros de l'armée passa non loin, et dans l'obscurité plus ou moins totale, les aventuriers ne virent guère que quelques lumières ténues, trop faibles pour leur permettre de percevoir plus que des silhouettes au loin. Mais ils entendirent aussi une voix humaine sépulcrale donner des ordres sans doute, et ils comprirent que le sorcier qui était à la source de toute cette magie était bien là. Pourtant Rob ne sentait toujours aucun pouvoir émaner clairement de l'individu, même si ses effets étaient eux bien perceptibles. Taurgil arriva à comprendre les mots prononcés, qui étaient toujours dans cette langue sinistre utilisée par de nombreux serviteurs d'Angmar ou du Nécromancien. Manifestement, le leurre fonctionnait, les ennemis mordaient à l'hameçon. Le sorcier sentait parfaitement les sorts de Drilun et ordonnait de suivre la direction que prenaient leurs deux amis. Et tous obéissaient au sorcier sans ouvrir la bouche...

Humains, orcs et trolls passèrent non loin, mais également des wargs, jusqu'au pied des arbres où se tenaient cachés les aventuriers. Heureusement, ils semblaient plutôt stimulés par l'odeur de Vif et ils ne perçurent pas ce qui restait de la leur. Restaient les araignées, qui, comme les loups, progressaient dans une obscurité pratiquement totale, à l'aide de leurs sens très développés. Mais là il ne s'agissait pas d'odorat, mais plutôt du toucher, et elles n'étaient pas toutes par terre mais certaines évoluaient dans les arbres, à leur niveau... En fait, certaines passèrent dans des arbres où ils étaient cachés ! Taurgil, retenant sa respiration, sentit une grosse patte poilue se poser sur des lianes qui lui entouraient le corps, mais l'araignée ne broncha pas et suivit son chemin. Bientôt l'armée fut entièrement passée !

Rob suivait à distance la progression de leurs deux amis grâce aux éclats de magie du Dunéen, quand brusquement il sentit une puissante utilisation de magie qui ne ressemblait pas à ce que son ami faisait - trop forte et différente. Cet éclat de magie entraîna de nouveaux éclats de voix au sein de l'armée, montrant sans doute que l'origine de la magie n'était pas un sorcier du Nécromancien. Mais alors, quelle était-elle ? Il y eut encore un peu plus tard cette magie forte et étrange, puis des sorts qui ressemblaient bien à ceux de Drilun, un peu plus loin à chaque fois. Le hobbit continua à se poser des questions sur ce qu'il avait ressenti, sans pouvoir apporter de solution. Enfin, lorsqu'il pensa que l'armée s'était assez éloignée, il prévint ses compagnons.

La végétation environnante qui était pour eux autant gênante que traîtresse auparavant semblait inerte et parfaitement normale à présent. Tous descendirent des arbres et échangèrent leurs impressions. Il ne restait plus à espérer que Vif et Drilun parviendraient à échapper au sorcier et autres serviteurs du Nécromancien. En attendant, tous étaient fatigués voire épuisés, et Geralt supplia qu'on le laissât dormir, si possible qu'on l'y aidât même. Isilmë utilisa sa magie pour lui faire faire de beaux rêves, ainsi qu'à tous sauf Taurgil qui resterait éveillé pour surveiller le groupe et réagir si quelque chose arrivait. Mais après quelques heures tout était toujours calme et l'armée semblait loin à présent.

6 - Magie inconnue
Pour Vif, durant ce temps, il avait fallu toutes les capacités de son grand corps félin magique pour tenir le rythme, malgré toute sa forme retrouvée. Elle bondissait d'arbre en arbre et de branche (traîtresse) en branche, tandis que le Dunéen s'accrochait à elle à l'aide d'une corde enroulée autour de leurs deux tailles. Cette partie de montagne russe était éprouvante pour tous deux, mais la proximité de leurs ennemis, plus puissants qu'eux, les motivait assez pour ne pas trop qu'ils s'apitoient sur leur sort - cela viendrait bien assez vite. Et donc ils progressaient, maintenant ainsi une certaine distance avec leurs ennemis. Tout en faisant de la magie afin de les attirer à eux.

Jusqu'au moment où le Dunéen sentit brusquement un puissant sortilège non loin d'eux. Quelque chose d'inconnu et qu'il ne comprenait ni reconnaissait, mais qui avait été trop puissant pour ne pas être perçu derrière eux. Même Vif avait ressenti quelque chose. Après une rapide concertation, l'archer-magicien arrêta d'utiliser son pouvoir tandis que la rôdeuse sous forme féline obliquait sur un côté. Ils s'éloignèrent ainsi de la direction qu'ils avaient prise et que l'armée continuait à prendre, attirée par d'autres émanations magiques qui elles gardaient toujours la même direction. Puis, lorsque Vif estima qu'ils étaient assez loin du corps de l'armée qui arrivait, ils se figèrent et laissèrent la force passer. Là encore le félin fut magiquement masqué par un sort du Dunéen, et ni les wargs ni les araignées, et encore moins le reste de la force, n'arrivèrent à les percevoir.

Les ennemis passés, eux aussi se rendirent compte que la végétation avait repris son état normal. Néanmoins, les sorciers ennemis étaient susceptibles d'utiliser des sorts pour les percevoir au sol, aussi ne descendirent-ils pas de leur arbre. En revanche, ils commencèrent à rebrousser chemin, mais à allure bien plus lente afin de se ménager l'un comme l'autre, et surtout la femme-félin. Elle reprit donc son double rôle de taxi pour Drilun et d'écureuil, sautant d'arbre en arbre et de branche (immobile) en branche, sans avoir lianes et autre végétation pour les gêner activement. Et sans oublier de se ménager quelques pauses pour souffler et ne pas trop se fatiguer.

Le chemin prit donc du temps, d'autant qu'au final les deux amis avaient fait une boucle et qu'il n'était pas aisé de trouver son chemin dans cette forêt et cette obscurité. Mais en fin de compte, après plusieurs heures, Vif perçut la présence de ses amis à terre et s'approcha d'eux. Isilmë et Taurgil étaient éveillés et alertes, et le rôdeur avait même perçu quelque chose approcher et il se tenait à l'affut du moindre bruit. La Femme des Bois ne voyait pas le nain endormi, enroulé dans le manteau de camouflage de Drilun, mais elle l'entendait respirer. Tous étaient là, et donc le Dunéen et elle se firent connaître et rejoignirent le plancher des vaches.

Les retrouvailles furent joyeuses entre les éveillés, tandis que les dormeurs furent laissés à leurs rêves. Néanmoins, une question restait sur toutes les lèvres : quelle était la source de cette magie inconnue qui avait attiré leurs ennemis ? Après l'avoir espéré voire appelé de leurs vœux et de leurs cris en plus d'une occasion, le magicien Radagast avait-il enfin daigné se porter à leur secours ? Cela faisait d'ailleurs un moment qu'on n'avait plus senti de magie là où l'armée était partie, et il fallait prendre une décision rapide sur la suite à donner car les ennemis pouvaient vite revenir. C'est alors qu'une lumière éclaira brusquement le groupe, complètement pris à l'improviste.

7 - Surprise !
Deux silhouettes de vieillard s'avancèrent alors vers eux, l'une grise et l'autre brune. Vif fut enchantée de revoir son "maître" Radagast, comme elle aimait à l'appeler, même s'il n'avait jamais demandé à porter ce titre. Mais avec lui cheminait aussi Gandalf, que tous reconnurent, dont le bâton émettait la lumière qui les éclairait. Le gris pèlerin - Mithrandir comme les elfes l'appelaient - coupa court aux premières questions en disant qu'il fallait réveiller les dormeurs et s'éloigner sans attendre. L'armée ne tarderait pas à revenir, même si pour l'instant elle était aux prises avec une nature contrôlée cette fois par son cousin Radagast, et que le sorcier du Nécromancien ne dompterait pas aisément. Néanmoins, la force du sorcier reposait sur l'obscurité, et il faudrait marcher jusqu'au lever du jour. Afin d'aider les esprits et corps fatigués à avancer, la magicien sortit de son manteau une fiole de Miruvor, le cordial d'Imladris, qui redonna instantanément du courage à tous et leur fit oublier toute fatigue.

L'armée adverse ne fut plus jamais une menace et tous sauf Isilmë s'endormirent au petit matin. Puis la route fut reprise et le chemin retrouvé, et le groupe ne mit que quelques jours pour rejoindre Rhosgobel, où ils quittèrent les magiciens, avant de retourner chez les Hommes des Bois. Mais durant ces jours de marche tranquille et sans surprise ni menace, ils causèrent de bien des choses avec Gandalf et Radagast. Ces deux derniers expliquèrent que les aventuriers avaient tenu un pari risqué, mais que cela leur avait permis à eux deux d'observer de près la nature de la force du Nécromancien et de voir ce qui était retenu comme prisonnier par cette force. Après quoi ils avaient vite rejoint les poursuivants et poursuivis et avaient décidé d'intervenir. Cela les dévoilait et les forçait à partir ensuite, mais ils pensaient en avoir appris suffisamment.

Ils instruisirent donc les aventuriers de ce qu'ils avaient perçu ou deviné, ce qui fut l'objet de nombreux échanges. Drilun et ses amis avaient bien deviné, le frère de Bronwyn et fils d'Atagavia, Aldoric, était bien présent, à Buhr Dera très exactement. Le village des Hommes des Bois n'était pas occupé par les sbires du Nécromancien, mais coupé du reste du monde. Tous étaient vivants sauf les rares qui avaient tenté de forcer le passage, même s'ils avaient un peu de mal à trouver à manger, les animaux ayant fui la zone. Ils tombaient parfois sur quelques bêtes laissées à leur attention par la force ennemie, qui souhaitait leur voir jouer un rôle, rôle qui consistait entre autres à garder Aldoric bien vivant. Il avait en fait été retrouvé amnésique par les gens de Buhr Dera, couvert de blessures qui avaient eu du mal à guérir. Ce qu'il avait vécu - peut-être avait-il vu le Nécromancien lui-même ? - l'avait durablement marqué. Mais dans ses délires, il avait répété de nombreuses fois le nom de Bronwyn.

Sa sœur avait été prévenue par un probable agent du Nécromancien que son frère avait été retrouvé, et son père avait envoyé plusieurs fois des bandes de ses meilleurs guerriers en forêt. Tous étaient morts aux mains de la force ennemie, parfois après d'horribles tortures, et Atagavia avait abandonné tout espoir, ne voyant personne revenir. Mais que cherchait donc le Nécromancien ? D'après ce que Gandalf avait entendu ou deviné, le sorcier de Dol Guldur avait vu Bronwyn à travers Aldoric et il avait perçu une menace possible de la femme nordique pour lui. Menace future venant directement de Bronwyn ou de sa descendance, il ne pouvait le dire, et peut-être pas plus le Nécromancien lui-même. Mais ce dernier avait également perçu qu'avec le stratagème mis en place, Bronwyn viendrait forcément chercher son frère, tôt ou tard. Et donc l'armée en place était là pour elle.

8 - Interrogations et suggestions
Les magiciens évacuèrent rapidement les suggestions d'aller eux-mêmes chercher Aldoric pour le ramener à son père et à sa sœur. D'une part, l'armée du Nécromancien était considérable pour deux vieillards comme eux, même épaulés par des héros comme les aventuriers. De plus, leur rôle n'était pas tant de résoudre les problèmes des peuples libres, qui risqueraient alors de se reposer un peu trop sur eux, que de prévenir de ces problèmes et d'aider à faire de bons choix, tout en donnant parfois de petits coups de pouce pour aider au succès de certaines entreprises. Mais également, Gandalf annonça que retirer Aldoric et Bronwyn de l'avenir où le Nécromancien les avait peut-être vus était quelque chose de risqué. En effet, si le Nécromancien avait vu une menace pour lui dans le futur, ses efforts pour l'éviter risquaient fort de renforcer l'arrivée de cette même menace. Nombreux étaient les elfes du Premier Âge qui avaient fait le triste constat qu'on ne pouvait fuir son destin. Cette capacité était le propre des hommes, et encore n'y arrivaient-ils pas tous.

Autrement dit, aussi terrible que cela pouvait paraître, peut-être que la meilleure chose à faire concernant Bronwyn était non pas de l'empêcher de tomber dans le piège qui lui était tendu, mais bien de l'accompagner dans ce piège pour l'aider à s'en sortir d'une manière ou d'une autre. D'autant que Gandalf, en écoutant les ennemis à leur insu, avait découvert que leur force était divisée et que l'arrivée de Bronwyn pouvait amener de sérieuses dissensions parmi eux. Les guerriers et les magiciens n'avaient pas tous les mêmes ordres, et ils seraient tôt ou tard en conflit les uns avec les autres. Il y avait là des opportunités à ne pas manquer. Par ailleurs, le mystérieux Nécromancien dévoilait ses forces comme jamais, et peut-être y aurait-il moyen de découvrir sa véritable identité. Bien entendu, seuls des héros exceptionnels n'avaient ne fût-ce qu'un minuscule espoir de faire triompher le bien face à de tels adversaires. Mais cela correspondait assez bien au groupe qui accompagnait les deux magiciens.

De nombreux autres sujets furent évoquées et de nombreuses questions posées, avec ou sans réponse. Certains portèrent sur le magicien qui maîtrisait la nature, et qu'on nommait le Grimburgoth, le "chef des rôdeurs noirs" du Nécromancien. L'anneau qu'il portait était la source de son pouvoir sur l'obscurité ou les végétaux, et faisait fuir les animaux. Cette babiole magique avait probablement été conçue par les elfes du Second Âge, avec sans doute l'aide d'Annatar qui était Sauron déguisé. On parla aussi de Caran Carach, qui avait rejoint Dol Guldur et qui semblait maintenant se diriger vers Buhr Dera. Ou Tina/Tevildo, qui n'était pas loin, toujours discrète et insaisissable, mais qui avait peut-être un rôle à jouer dans l'affaire - elle en savait plus long sur le Nécromancien que n'importe qui. Divers moyens furent évoqués pour se débarrasser de son influence, comme le temple de guérison dunéen de Setmaenen, mais il ne suffirait sans doute pas pour Vif. Au mieux aurait-elle à faire un choix entre ses natures humaine ou féline.

Au bout du compte, le conseil qui fut donné aux aventuriers revenait à faire le tour de la Forêt Sombre et reprendre le travail demandé par l'Arthedain - l'achat des chevaux. De gagner la confiance de Bronwyn et d'Atagavia en faisant leurs preuves, et d'aider Bronwyn à retrouver son frère. Sans quoi elle finirait tôt ou tard par aller à lui, mais seule. L'avenir restait à écrire, mais le magicien gris semblait penser que les aventuriers avaient un rôle à jouer dans cette histoire, rôle dont le Nécromancien aurait peut-être à se mordre les doigts à l'avenir. En attendant, Gandalf, qui était intervenu au départ à la demande de Radagast, avait d'autres tâches urgentes en cours et ne pourrait rester. Le magicien brun, quant à lui, avait bien des affaires à s'occuper aussi, même s'il ne resterait pas très loin. Il confia tout de même aux aventuriers une bourse de graines spéciales pour les aider peut-être un jour : une fois semées, elles germaient instantanément pour former un mur de ronces résistantes, à peu près infranchissable...
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Horselords - 8e partie : au sud de la Forêt Sombre

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1 - Le Long Fleuve
Après d'ultimes discussions sur ce qu'ils avaient appris concernant l'armée du Nécromancien et ses chefs, l'équipe quitta les deux magiciens à Rhosgobel. Auparavant, Radagast avait aidé Vif à reprendre forme humaine, comme il en avait bien l'habitude suite à la longue période qu'elle avait passée chez lui. Après quoi les aventuriers retournèrent à la ville des Hommes des Bois. Ils informèrent ses habitants et en particulier leur chef, Waulfa, de ce qu'ils avaient appris. Mais ils ne s'éternisèrent pas longtemps : ils repartirent dès le lendemain, après avoir repris le matériel qu'ils avaient confié à Waulfa, dont l'or qui devait servir à acheter les chevaux. Vif eut un petit pincement au cœur, même si elle savait qu'elle reviendrait tôt ou tard ; et Geralt de gros soupirs (et plus), surtout lorsqu'il vit le mauvais temps qu'ils s'apprêtaient à endurer.

Les trois premiers jours, ils restèrent sur les terres des Hommes des Bois, et dormirent à nouveau à Rhosgobel, désormais vide de magiciens. Puis ils continuèrent vers le sud et l'ouest, reprenant au début le sentier qu'ils avaient pris avec le marchand Fryancryn à l'aller. Mais ils évitèrent par le nord les bois et autres lieux dangereux et riches en orcs pour se diriger vers l'Anduin, le "Long Fleuve", qui coulait entre la Forêt Sombre et les Monts Brumeux. Ils y arrivèrent cinq jours après avoir quitté la demeure du magicien brun. Leur objectif était d'utiliser le fleuve pour éviter la zone dangereuse. Cela faisait un bon détour, mais ils pensaient le réduire en construisant un radeau et en profitant du courant. Cela épargnerait sans doute pas mal de fatigue, sans parler des oreilles des compagnons de Geralt...

Isilmë, de par ses origines d'elfe gris (sinda), connaissait bien la navigation sur les cours d'eau et pouvait concevoir la fabrication d'un radeau. Aidée par Drilun, qui lui maîtrisait plutôt le travail du bois et avait des outils de qualité, elle supervisa donc la fabrication de leur embarcation. Les autres membres de l'équipe se partagèrent entre le bûcheronnage, le recueil de lianes et autres fibres végétales afin d'économiser les cordes du groupe, et la fabrication du radeau. Sans parler de la vie quotidienne comme d'aller chercher de la nourriture : les provisions données par les Hommes et Bois avaient toutes été consommées depuis un moment et les aventuriers étaient désormais livrés à eux-mêmes, et c'était le milieu de l'hiver...

Après cinq jours passés à la construction du radeau, ce dernier fut enfin prêt. Une dernière nuit de repos, et l'équipe se lança à l'eau. L'elfe dirigeait l'embarcation nuit et jour, parfois relayée par Vif pour lui permettre de se reposer en journée. Elle était aidée également par les membres de l'équipe les plus perceptifs, à l'avant du radeau, qui prévenaient lorsqu'ils repéraient des obstacles possibles. Geralt, mais encore plus Rob, utilisèrent leurs talents d'archer pour pêcher et leur permettre de se nourrir sans avoir à s'arrêter. Le plus dur fut de préparer les poissons, rien n'ayant été prévu pour faire un feu. Mais entre la magie du Dunéen et les talents culinaires du hobbit, les repas furent jugés très satisfaisants, supérieurs à ce qu'on pouvait trouver dans bien des auberges...

Au deuxième jour, le groupe entra dans la forêt enchantée (la Lórien) et croisa quelques elfes sur les bords du fleuve. Des informations furent données, Drilun allant même jusqu'à écrire un rapport détaillé à l'attention du roi Amroth. En échange, les elfes remirent de la nourriture aux voyageurs, avant de leur souhaiter bonne route. Au matin du troisième jour, la Lórien était derrière eux, et la journée ne posa pas plus d'incident que les précédentes. En fin de journée, les aventuriers arrivèrent aux abords de Tir Limlaith et aux Bas-Fonds du Nord, un des gués possibles sur l'Anduin. Le radeau fut échoué près d'un embarcadère utilisé par les pêcheurs de la ville proche, et l'équipe retrouva l'auberge où elle avait laissé ses chevaux, toujours en bonne santé. Geralt avait payé leur hébergement pour un an, mais cela ne faisait que deux mois qu'ils étaient partis.

2 - Les terres du Wold
Le groupe apprécia de pouvoir se décrasser et de dormir dans un bon lit, au chaud, et en particulier le maître-assassin, qui aurait bien voulu rester quelques jours. D'autant que le jour suivant, le temps était exécrable, avec une pluie glaciale mêlée de neige fondue. Les aventuriers devaient aller à Tir Anduin et aux Bas-Fonds du Sud, une autre forteresse gondorienne proche d'une ville de bonne taille, près d'un autre gué possible sur le fleuve. Surtout, la ville était bâtie sur la Men Romen, la "Route de l'Est", régulièrement parcourue par les marchands. Route bien entretenue et patrouillée qui permettait d'arriver vite sur les terres des seigneurs cavaliers.

Mais entre Tir Limlaith et Tir Anduin se trouvaient les terres du Wold, encore appelées le Plateau : une zone de collines escarpées et assez désertiques, sans aucune habitation ou occupation humaine semblait-il. Un sentier traversait ce lieu, marqué par une série de cairns plus ou moins bien entretenus, d'autant que la route était de moins en moins employée. Les collines n'avaient pas très bonne réputation, particulièrement depuis la Grande Peste, et certains parlaient de voyageurs disparus. Le passage était également difficile, les chevaux, s'ils pouvaient passer le Wold, devraient parfois être démontés, et la progression serait lente. Mais c'était tout de même plus rapide que de contourner le Wold, et ainsi le groupe fut parti.

La première matinée fut aisée, car le sentier suivait l'Anduin à faible distance. Mais ensuite, les berges devinrent trop escarpées et il fallut progresser entre les multiples collines et escarpements. Les sons ou traces d'oiseaux ou autres animaux étaient rares, le trafic inexistant, le temps détestable, le lieu lugubre. Le soir, transis par la pluie glaciale malgré un sortilège de Drilun pour réchauffer l'air autour d'eux, les aventuriers fabriquèrent un abri contre la paroi d'un coteau. Ils mangèrent les provisions généreusement fournies par l'aubergiste en échange du loyer d'un an payé en avance pour les chevaux, et passèrent une nuit froide mais sans incident.

Le lendemain, le temps s'améliora quelque peu, mais le relief étant le même, l'allure resta sensiblement la même. En fin de journée, le groupe arriva à un embranchement en Y, sans aucune indication. Fallait-il aller au sud-ouest ou au sud-est ? Tir Anduin devait se trouver plutôt au sud-est, et donc plusieurs - Taurgil le premier - étaient d'avis de prendre par là. Drilun proposa de faire de la magie divinatoire afin d'orienter leur choix. De toute manière, il était tard, et il fallait trouver ou construire un abri. Non loin de là, alors que le soleil était couché depuis peu sous l'horizon, le groupe fut appelé par le hobbit, qui venait de repérer l'ouverture d'une grotte assez grande pour les chevaux et eux. Ses cris résonnèrent dans le silence environnant, quand il remarqua autour de lui des grosses empreintes de pieds griffus, une odeur forte voire nauséabonde, et même un bruit sourd dans son dos, provenant de la grotte...

Il eut juste le temps de se cacher derrière un rocher quand un grand troll surgit par l'ouverture, au moins deux fois plus grand que le Dúnadan. En le voyant, le nain empoigna son arme tandis qu'une lueur féroce lui traversait les yeux. Puis il fonça vers le monstre sans plus attendre, en poussant un cri de guerre. Il avait manifestement une dent contre les trolls, et il avait hâte d'essayer sur lui sa nouvelle hache avec manche en os de dragon. Geralt et Taurgil suivirent derrière lui, tandis que Vif et Isilmë maîtrisaient les chevaux qui voulaient s'enfuir, que le hobbit préparait son arc et que le Dunéen regardait la scène avec nonchalance. La course de Mordin fut tout de même ralentie par le plongeon de côté qu'il dut faire pour éviter le rocher gros comme le hobbit que le monstre venait de lancer dans sa direction, et qui le rata de peu.

Le combat fut aussi bref qu'inéluctable : Geralt, plus rapide, enfonça profondément la lame que Drilun avait enchantée dans le corps du monstre, qui poussa un hurlement et vacilla de douleur, perdant l'équilibre. Rob eut néanmoins le temps de lui tirer une flèche dans la tête, mais le projectile fut dévié par le cuir du troll. L'assassin évita d'un plongeon le monstre qui lui tombait dessus, tandis que Taurgil laissait Mordin monter sur le dos du monstre, qui remuait encore. Le nain enfonça profondément sa hache juste à l'endroit du cœur qu'il avait parfaitement repéré. Le troll mourut avec un dernier sursaut qui fit bouler sans mal son agresseur, et le combat fut terminé. La grotte n'apporta aucun trésor notable à quelques piécettes près appartenant à des voyageurs passés, mais un abri confortable, en dehors de la mauvaise odeur du monstre.

3 - Balade et nouvelles
Le soir même, le sort de divination de Drilun apporta une réponse claire quant au choix du sentier : il fallait prendre au sud-ouest, contrairement à ce que la direction globale de Tir Anduin pouvait laisser supposer. Cela piqua la curiosité du rôdeur dúnadan, qui aurait voulu prendre au sud-est pour voir où cela menait. Mais en fin de compte, une majorité préféra gagner du temps et prendre au sud-ouest. Il serait toujours possible, au retour, de faire une excursion par là pour les curieux. Plus tard l'équipe apprendrait que le chemin menait à un ancien village de pêcheurs abandonné pendant la peste. Le lendemain, c'est donc le sentier sud-ouest que prit le groupe, mais la direction passa vite au sud-est après le contournement d'une série de collines. Le reste du voyage à travers le Wold se déroula sans anicroche, et au matin du cinquième jour, les aventuriers arrivèrent en vue de Tir Anduin et des Bas-Fonds du Sud.

Le gué fut traversé sans mal avec l'aide des chevaux. Un bac aurait éventuellement pu être pris en attendant un peu, mais le niveau de l'eau était bas en hiver et l'équipe était prête à se mouiller un peu. A l'entrée de la ville, après s'être acquittés d'une taxe pour l'entretien de la route, des fortifications et des patrouilles, les aventuriers discutèrent avec les gardes des dernières nouvelles. Ils souhaitaient repartir après une courte pause, mais Mordin changea d'avis quand il apprit que les chevaux étaient en forte demande, leur prix atteignant souvent la somme de trente pièces d'or auprès des marchands. En effet, non seulement les troupeaux n'avaient pas retrouvé leur niveau d'avant la peste, mais en plus les attaques d'orientaux s'étaient intensifiées ces derniers temps chez les seigneurs nordiques. Et donc ils avaient trop besoin des chevaux qui restaient pour faire la guerre, plutôt que d'en faire le commerce.

Le nain proposa donc à ses amis de marchander trois des quatre chevaux qui leur restaient (Geralt avait insisté pour en garder un pour lui), espérant en tirer un très bon prix. Ainsi, il pensait pouvoir ensuite acheter davantage de chevaux auprès des seigneurs nordiques, qui ne les vendraient sans doute pas aussi cher. Le groupe s'installa donc à une auberge pendant que le marchand nain partait à la recherche de clients potentiels. Il revint déçu en début de soirée, n'ayant pas réussi à obtenir plus de cent pièces d'or comme promesse pour les trois chevaux. Après discussion, l'équipe préféra décliner les offres d'achat, et voyager plus rapidement.

La route fut donc reprise le lendemain matin, à cheval. Comme après la perte de deux chevaux à l'ouest des Monts Brumeux, Taurgil, plus grand et plus lourd, était seul sur son cheval, et les autres voyageaient par deux : Isilmë derrière Drilun, Vif et Mordin ensemble, et Rob derrière Geralt. Le temps restant clément, l'allure resta soutenue, un petit galop parfois interrompu pour faire souffler les bêtes. En soirée, le groupe approcha une ferme avec prudence : les temps étaient durs et certains aventuriers pouvaient facilement passer pour des bandits, avec leur matériel de guerre et leurs cicatrices. Mordin s'avança et rassura les fermiers qui étaient sortis, armés, et qui acceptèrent d'héberger et de restaurer le groupe pour le soir et la nuit. La soirée fut excellente après le repas auquel le hobbit avait largement contribué. Sans parler des histoires de leurs aventures racontées par Geralt avec autant de conviction (et d'exagération) que s'il jouait une pièce de théâtre devant un roi.

Après une nuit sans histoire, le groupe repartit au petit matin avec les encouragements et remerciements des fermiers. Ils garderaient sans doute longtemps le souvenir de cette mémorable soirée, aidés également par la pièce d'argent donnée par Drilun. En milieu de matinée l'équipe arriva à un croisement entre la route de l'est et la route d'Araw qui menait au nord. Dans la langue nordique, Araw était le nom donné au Vala Oromë, grand cavalier et chasseur. La ville de Rhúnost occupait le croisement, mais les aventuriers n'y restèrent pas et repartirent vers le nord. Ils arrivèrent enfin à Romenost en fin de matinée. C'était une forteresse gondorienne avec quelques habitations et commerces au pied de la colline où elle se dressait. Non loin de là, une série de longères, les habitations nordiques typiques, formait une petite ville à proximité de la route d'Araw. Les territoires des seigneurs cavaliers débutaient là, à la frontière nord du Gondor.

4 - Premiers contacts
Mordin apprit à ses compagnons que Romenost était la limite sud du territoire des Widureiks, un des clans les plus au sud des Éothraim. Le gros village proche était un des camps permanents de cette culture semi-nomade, un de ceux où l'on avait le plus de chance de trouver leur grand chef (Althyn), Paidacer. D'ailleurs, même à cette distance de plusieurs centaines de pas, on pouvait voir que le village nordique était très animé, avec beaucoup de cavaliers et de personnes sorties des longères, malgré le temps froid. Les plus perceptifs n'avaient aucun mal à entendre des voix fortes mêlées à des cris de colère et des plaintes. Il se passait sans nul doute quelque chose d'inhabituel.

Des gens de Romenost apportèrent vite les réponses aux questions que les sept amis se posaient. Ces derniers jours, les Widureiks avaient subi des attaques de grosses bandes armées d'orcs, attaques qui avaient totalement détruit plusieurs camps nordiques. Au début de la nuit passée, trois grosses attaques coordonnées avaient eu lieu sur trois camps, tous réduits en cendres. De rares survivants avaient pu s'enfuir à cheval et prévenir l'Althyn, mais la force arrivée en début de matinée n'avait pu faire que constater les dégâts et la fuite des orcs et leur butin - dont des chevaux et prisonniers. Le grand chef nordique était venu en parler au chef de la garnison de Romenost, qui était immédiatement parti voir le régent Vagaig à Thorontir, il y avait moins d'une heure.

Très vite, le groupe décida de profiter de l'occasion pour aller voir le seigneur nordique Paidacer. En plus du cadeau à lui présenter, quelle meilleure opportunité pour proposer leur aide et avancer leurs pions sur un plan diplomatique ? Si le seigneur Paidacer leur était redevable, il serait bien plus facile d'obtenir des chevaux de sa part, et à un prix bien plus modique. Le groupe s'élança donc à cheval à la rencontre des nordiques. Des cavaliers les regardèrent arriver de manière méfiante, mais le salut de Mordin dans leur langue les apaisa. Par la suite, la conversation se fit en ouistrain, que tout le monde parlait.

Le nain présenta le groupe comme des émissaires du roi d'Arthedain. Mais l'homme du camp ne connaissait ni ce royaume ni son souverain, et il fallut un moment avant qu'il arrivât à se faire une idée de qui il avait en face de lui. Ce qui n'était pas vraiment facilité par le caractère peu homogène de l'équipe. Le cavalier confirma les informations données par les gens de Romenost, en expliquant que la période était mal choisie pour voir leur Althyn, et qu'il avait d'autres chats à fouetter pour le moment. Néanmoins, Mordin insista et précisa également que son groupe était aussi disposé à proposer une aide aux Widureiks. Du coup leur interlocuteur accepta de parler d'eux à son chef immédiatement, et ils se dirigèrent vers une longère plus grande que les autres, et autour de laquelle plus de monde était rassemblé.

L'homme, entouré par d'autres guerriers, demanda aux aventuriers d'attendre à l'extérieur et il se faufila dans la grande maison allongée, jusqu'à son chef de clan. Mordin l'entendit lui parler dans sa langue et il traduisit comme il put ce qu'il comprenait de l'échange. En gros, le garde ne savait pas très bien comment présenter Mordin et ses amis, mais il insistait sur quelques éléments comme quelques grands guerriers terrifiants, des émissaires royaux venus de loin, et une promesse d'aide. Mais aussi des éléments bizarres comme une espèce de paysanne et un gamin aux pieds poilus... Le silence s'était peu à peu fait, et Paidacer finit par prendre sa décision. Il ordonna à ses gens de se pousser pour laisser entrer les visiteurs, et le garde demanda à Mordin et à ses amis de se présenter à son Althyn.

5 - Séance diplomatique
Fidèle aux maisons nordiques traditionnelles, le bâtiment était composé essentiellement d'une grande pièce principale. On y entrait par de vastes battants doubles ouverts à une extrémité, tandis que l'Althyn trônait sur son siège à l'autre bout, sur un dais légèrement surélevé. Au centre, entre des piliers qui supportaient le toit et des balustrades, le sol était creusé et plusieurs feux réchauffaient l'atmosphère ou pouvaient servir à cuire des viandes ou autres mets, tandis que la fumée était évacuée par des trous au sommet du toit. Les aventuriers s'avancèrent, descendirent dans la partie centrale et longèrent les feux, tandis que de nombreuses personnes les suivaient des yeux, serrés derrière les piliers ou aux balustrades. Mordin venait en premier et Vif et Rob fermaient la marche.

Arrivé au pied des marches qui menaient au trône, le nain s'arrêta, dans l'attente d'un signe de l'Althyn. Lequel l'invita à continuer d'un geste. Une fois devant le chef nordique, Mordin, sans même présenter ses compagnons et lui, parla de leur mission pour le roi d'Arthedain et lui remit son cadeau : une hache forgée par les nains, sur laquelle Drilun avait gravé des runes magiques afin de lui conférer un tranchant et une solidité encore meilleurs. Paidacer prit le présent et le fit tournoyer, le jaugeant d'un air critique et satisfait, et remerciant le roi et ses émissaires pour cela. Puis le nain lui fit passer l'ordre de mission du roi, que Drilun avait préparé.

L'Althyn lut la missive avec intérêt, puis il se mit à parler. Il comprenait parfaitement les besoins du roi d'Arthedain, mais il pouvait difficilement y répondre. Il rappela aux aventuriers les événements récents, y ajoutant quelques détails. Du repérage des premiers orcs après la peste, puis les premières attaques isolées, jusqu'aux récents assauts coordonnés sur plusieurs camps nordiques. Les chevaux tous tués ou emmenés, les guerriers, vieillards ou enfants tous massacrés, et les femmes et adolescents emmenés sans doute pour être vendus en esclavage à Buhr Waldlaes, une ville de voleurs plus au nord. Mais aussi l'affaiblissement de son clan, le manque de soutien du Gondor, trop occupé à ses propres priorités, et les difficultés dans lesquelles se dépêtraient les autres clans nordiques. L'aide du roi d'Arthedain était la bienvenue, mais que pouvait-il faire de si loin ?

Le nain expliqua alors que l'aide promise était devant lui : ses amis et lui se faisaient fort de traquer les orcs jusque chez eux, au fin fond de la Forêt Sombre s'il le fallait, de les combattre et de ramener prisonniers et chevaux. Cela entraîna un air d'incrédulité sur le visage du chef nordique, et de nombreux commentaires parmi les spectateurs. Comment, alors que le chef et ses nombreux guerriers se sentaient démunis face à ces centaines d'orcs si bien organisés, ce petit groupe de seulement sept individus pouvait-il se permettre d'afficher autant d'assurance ? Paidacer, se demandant s'il s'agissait d'une farce ou d'une vantardise excessive propre aux nains, en profita aussi pour demander à ce qu'on lui présentât les membres de cette équipe si spéciale envoyée par les cousins du Gondor. Car hormis Taurgil qu'il désigna, aucun de ses invités ne ressemblait aux grands hommes de Minas Anor ou autres grandes cités gondoriennes...

Certains, dont Taurgil en particulier, se présentèrent et échangèrent avec l'Althyn, expliquant leurs relations avec l'Arthedain et leur place dans le groupe. Geralt et le Dúnadan avaient certes l'air de fiers guerriers bien équipés, et Drilun lui-même en imposait, avec ses cicatrices et ses arc et armure si spéciaux. Le nain et ces trois-là parlaient bien à cette civilisation nordique si guerrière. Lorsqu'Isilmë rejeta son capuchon et afficha clairement ses attributs elfiques, les nordiques rassemblés ne doutèrent pas un instant de son pouvoir. Et Geralt vanta tant et si bien les talents d'éclaireur discret et d'archer de Rob, et la connaissance sans faille de la Forêt Sombre de la Femme des Bois, qu'il arriva à convaincre - au moins en partie - que leur offre d'aide contre les orcs était tout sauf une bravade. En tout cas, Paidacer semblait prêt à attendre des résultats avant d'éconduire ses invités.

6 - Mission de sauvetage
L'Althyn des Widureiks accepta donc l'offre qui lui était proposée par Mordin, à savoir d'aller "nettoyer" ce nid d'orcs qui devait se situer à faible distance du bord de la Forêt Sombre - sans doute quelques heures de marche en forêt tout au plus. Il jugerait de la réussite des aventuriers d'après le nombre de chevaux et prisonniers sauvés, et de ce que ces derniers lui rapporteraient. Il ne s'engagea en rien, mais promit de payer les efforts de ses invités à leur juste valeur. Ce faisant, Mordin savait qu'il s'engageait dans une dette d'honneur. Il avait d'abord voulu négocier le don des chevaux récupérés, mais il savait que si leur mission était couronnée de succès, Paidacer se montrerait généreux.

Cela fait, le grand chef nordique invita chacun à manger, et des viandes - surtout de cheval, et vu les événements récents la source ne manquait pas ! - et autres nourritures furent amenées. Tandis que les gens mangeaient, des guerriers du clan vinrent préparer le début de la mission : dès la fin du repas, l'équipe monterait en selle, guidée par certains de ces fiers guerriers. Ils seraient menés aux sites des attaques, et de là suivraient les traces des orcs jusqu'au principal endroit où ils s'étaient enfoncés dans la forêt.

Deux chevaux furent prêtés au groupe lorsque les aventuriers racontèrent qu'ils en avaient en fait perdu deux lors de leur voyage dans les montagnes. Cela n'arrangeait guère Isilmë, qui n'était pas une grande cavalière et qui préférait de beaucoup se tenir derrière Drilun... Mais elle prit sur elle, et tous chevauchèrent au galop jusqu'aux sites des attaques. Après deux heures, les premiers camps pillés et incendiés furent atteints, avec leurs corps disposés côte à côte, en attendant que les nordiques présents aient fini de creuser et ramener assez de terre ou d'abattre assez de bois pour faire un bûcher. Puis d'autres scènes de désolation furent atteintes, parfois moins importantes, parfois plus récentes, mais souvent associées au feu, aux cadavres et aux larmes. Enfin, le groupe s'arrêta en début de soirée devant une ouverture dans la Forêt Sombre qui faisait beaucoup penser à l'entrée d'une sinistre caverne, avec des traces de passage en grand nombre à proximité.

Le matériel inutile - dont l'or - avait été laissé à Paidacer, qui s'était engagé à le conserver dans des coffres jusqu'à leur retour. Les cavaliers nordiques allaient ensuite repartir avec les chevaux des aventuriers, ne pouvant rester sur place en raison du danger trop grand lié à la présence des orcs. Ils les quittèrent donc en leur souhaitant bonne chance, sans y croire véritablement. Néanmoins, avant le départ, l'un d'entre eux, dans la discussion, avait expliqué le caractère un peu vif de certains des propos de son chef : en plus d'avoir perdu de la famille dans certains des raids, sa petite fille, une adolescente d'une douzaine d'années, faisait partie des disparus, sans doute promis à l'esclavage... ou pire.

Après leur départ, Vif se transforma en grand félin taillé pour le combat, avec l'aide de l'elfe et de sa magie. Un sort de Drilun sur les traces lui procura une vision d'orcs victorieux et de quelques gros loups poussant des chevaux et prisonniers en les menaçant avec crocs ou fouets. Il y eut en fait plusieurs visions floues avant de devenir nettes, comme si l'endroit avait connu de nombreux passages. Les traces étaient pour le moins faciles à suivre, du moins à l'orée de la forêt. Dans le pot-au-noir que cela allait devenir avec la tombée de la nuit, ce serait une autre histoire. Mais rien d'insurmontable, et ils étaient bien équipés.

Un autre sort de l'archer-magicien lui apprit la présence de quelques groupes d'une dizaine d'orcs à portée de sort, à une heure de marche peut-être pour les plus près, et un gros groupe d'une soixantaine à la limite de ses perceptions. Vif, quand elle examina les traces, obtint d'autres renseignements. Le dernier groupe passé là comportait une soixantaine d'orcs et quelques loups, plus une vingtaine de chevaux - peut-être chargés - et une dizaine d'humains. Et les traces précédentes, en-dessous, étaient similaires mais plus anciennes. Les dernières devaient dater d'un jour et demi au moins. Par ailleurs, son ouïe particulièrement fine et son formidable sens du toucher porté par ses coussinets et vibrisses lui fournit d'autres informations : le "nid" d'orcs était distant d'une dizaine de miles, elle arrivait à le percevoir, et devait être constitué d'une série de cavernes. Et il y avait des chevaux là-bas, ainsi que des humains.
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Horselords - 9e partie : histoires d'orcs

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1 - Éclaireurs
Les aventuriers décidèrent d'envoyer des éclaireurs en avant : rapides, discrets, perceptifs et formidables au combat, Geralt et Vif auraient pour tâche de voir ce qui les attendait, et éventuellement préparer le terrain en facilitant le passage du reste de la troupe. L'assassin monterait sur le gros félin pour aller plus vite, et il prit tout de suite du trèfle de lune afin de mieux voir dans le noir : avec la nuit qui tombait, l'obscurité était telle qu'un homme normal était aveugle dans la forêt. Puis les deux amis furent partis, laissant le soin aux autres personnes perceptives du groupe, comme Rob, de guider leurs amis. De toute manière, les traces étaient faciles à suivre : les orcs prenaient grand plaisir à tout détruire là où ils passaient, y compris les végétaux, et la forêt ne pouvait panser ses plaies en une journée...

Après peut-être une demi-heure, les deux éclaireurs rencontrèrent leur première patrouille sur un sentier qui croisait le chemin qu'ils suivaient. L'homme et le félin ne tenaient pas forcément à combattre, mais la douzaine d'orcs repérés étaient accompagnés d'un warg qui avait senti la présence du fauve et qui amenait la patrouille vers eux. Geralt commença à grimper dans un arbre, mais l'obscurité le gêna tant que son amie décida de l'aider : elle grimpa au tronc, prit l'assassin par le fondement et l'emmena plus haut où il put retrouver une posture plus digne et se cacher convenablement. Puis elle redescendit, juste à temps pour accueillir le warg qui courait vers elle, rendu furieux par son odeur. D'un puissant et rapide coup de patte, elle fit voler son corps jusqu'à la branche basse d'un arbre proche, où il resta accroché, mort et silencieux.

Lorsque les orcs arrivèrent peu après, ils cherchèrent où le gros loup était passé, le nez au sol. Ce n'est que lorsque le félin commença à gronder qu'ils pensèrent à lever la tête. Ils distinguèrent le corps du warg, en hauteur, dans lequel plongeait le museau ensanglanté du grand fauve, comme s'il se nourrissait. Fauve qui bondit de sa branche sur l'orc le plus proche en rugissant. Les autres ne restèrent pas une seconde de plus pour vérifier si leur collègue était encore vivant, ce dont ils doutaient (avec raison), et ils s'éparpillèrent en tous sens dans la forêt... Après quoi Vif eut l'idée de laisser choir le corps du gros loup, de l'éventrer et de se rouler dans son sang et ses entrailles, avant d'inviter Geralt à en faire autant. Grâce au tour d'oreille magique de Drilun, l'assassin put comprendre son amie qui lui disait que c'était le meilleur moyen de couvrir leur odeur. Surmontant son dégoût, l'homme aux cheveux blancs s'enduisit de sang et remonta sur le dos poisseux de son amie.

Après encore une demi-heure peut-être, les deux amis perçurent un autre groupe, nettement plus nombreux - quelques dizaines d'orcs et plusieurs wargs. L'odeur de sang et de charogne intrigua ces derniers qui se mirent à gronder, mais Vif et Geralt préférèrent contourner le groupe après s'être roulés dans la terre et les feuilles, et ils ne furent pas plus inquiétés. Ils continuèrent et rencontrèrent d'autres petites patrouilles, plus nombreuses au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient du camp des orcs. A chaque fois, tandis que l'assassin se cachait, le félin massacrait un éventuel warg et un ou deux orcs, faisant fuir les autres avec ses rugissements et son allure de fauve sanguinaire. La peur grandit sous les frondaisons, mais pour une fois ce n'étaient pas les orcs qui en étaient la cause.

Des sentiers plus nombreux croisaient celui qu'ils suivaient, et les traces devenaient plus difficiles à suivre suite au passage ultérieur d'autres orcs parfois en grand groupe. Mais le félin suivit les traces de sabot, et au bout d'un moment il arriva à entendre au loin des bruits de cris et de hennissements, et il emmena son ami sans plus se soucier des traces. Tous deux arrivèrent bientôt à une espèce de butte calcaire. Si les côtés étaient en pente douce, le front de la butte formait une falaise abrupte d'une douzaine de mètres de haut au plus, et parcourue en son centre par une grosse fissure verticale. C'était l'entrée d'une grotte, demeure des orcs et de leurs prisonniers et chevaux, d'après les bruits qui s'en échappaient.

Une douzaine d'orcs gardaient l'entrée de la grotte, et d'autres orcs se tenaient au sommet de la butte. Les deux amis voyaient tout cela de loin, à une centaine de mètres environ, car tous les arbres proches de l'entrée avaient été coupés, sans doute pour nourrir les feux des orcs. Il n'était donc pas possible de s'approcher furtivement de l'entrée. Faisant un large tour, ils grimpèrent sur un côté de la butte, restant à proximité de la falaise mais à distance respectable des orcs qui patrouillaient le sommet. Puis ils se cachèrent confortablement et attendirent leurs amis. Il leur avait fallu peut-être trois heures pour arriver là.

2 - Feu nourri
Après le départ des éclaireurs, plutôt que d'utiliser le trèfle de lune laissé par Geralt, le reste de l'équipe choisit une méthode plus traditionnelle pour voir dans le noir : torche et lanterne. Mais au moment de faire un feu pour les allumer, les cinq amis se rendirent compte que la seule personne qui disposait d'un briquet à amadou était l'assassin, qui venait de les quitter sur le dos du félin enchanté. Il fallut demander à Drilun d'utiliser ses pouvoirs magiques, le Dunéen ayant appris à allumer et maîtriser un feu avec sa magie. Il l'utiliserait beaucoup au cours de la nuit, d'ailleurs. Mais il en sortirait passablement fatigué et avec une bonne migraine en prime : manipuler le pouvoir n'est ni anodin ni gratuit, et comporte certains risques.

Le hobbit, qui n'avait pas de grandes jambes, s'installa sur les épaules du Dúnadan, ou plutôt dans son sac à dos, où il tint la lanterne pour éclairer ses compagnons et lui. De son côté, Mordin tenait la torche. Après une heure environ, ils arrivèrent à l'endroit où Vif avait fait couler le sang pour la première fois, et il fallut les talents d'observateur de Rob pour reconnaître un warg dans l'amas sanglant étalé au sol. Une heure plus tard, le petit voleur perçut une autre patrouille à proximité, et un sort de l'archer-magicien lui apprit qu'il s'agissait probablement de douze orcs et d'un warg qui venaient dans leur direction. Le Dunéen étant motivé pour faire du nettoyage, l'équipe prit position, avec Mordin et Taurgil au combat rapproché et les trois autres au tir à l'arc. L'affrontement fut bref et aucun ennemi n'en réchappa. Le Dúnadan découvrit avec plaisir l'efficacité de l'épée couverte de runes prise sur le corps de Thuiric, le rôdeur noir (grimbúrz) venu de Dol Guldur : elle tranchait les ennemis et leur matériel avec la plus grande des facilités !

Plus loin encore dans la forêt, après encore une nouvelle heure au moins, l'équipe perçut un gros groupe d'orcs et de wargs : plus d'une soixantaine des premiers et dix fois moins des seconds. Les cinq amis cherchèrent à l'éviter, mais les wargs flairèrent leur odeur lorsqu'ils tombèrent sur leurs traces, et ils emmenèrent rapidement les orcs à leur poursuite. A nouveau, l'équipe se prépara : les trois archers sur une grosse branche basse, à cinq-six mètres de haut, et nain et Dúnadan au pied de l'arbre, plutôt dos à dos. Mordin tenait toujours la torche dans la main qui tenait le bouclier, et Taurgil avait planté une flèche dans le tronc de l'arbre pour y accrocher la lanterne. Drilun fit une lumière fantomatique magique sur les environs, afin de mieux distinguer ceux qui allaient devenir la cible de leurs flèches. Arrivés les premiers, les wargs accélérèrent lorsqu'ils les virent, et ils se firent cueillir par une volée de flèches, avec hache et épée pour achever le tout. Deux d'entre eux, blessés, arrivèrent à s'enfuir.

Les orcs commencèrent par se précipiter sur les deux guerriers au sol. Mais le résultat fut décevant : nain et Dúnadan étaient trop bien équipés et les flèches des archers, sur leur branche, faisaient beaucoup de dégâts. Aussi les orcs prirent-ils leurs propres arcs pour arroser Rob, Drilun et Isilmë qui n'en menaient pas large : les branches et l'obscurité gênaient bien un peu les orcs, mais il est difficile de bouger et d'éviter les flèches quand on est à califourchon sur une branche... Heureusement, les orcs étaient de mauvais tireurs, et le vent magique levé par Drilun ne les aida pas. Néanmoins, le hobbit eut des sueurs froides : il ne portait aucune armure, et si sa petite taille l'empêchait d'être souvent pris pour cible au début, les orcs changèrent d'avis quand ils se rendirent compte qu'il était peut-être l'archer le plus rapide et le plus précis...

Mais il semble que les hobbits ont de la chance, et celui-ci n'écopa que de quelques égratignures au bout du compte, après avoir pratiquement vidé son carquois. Drilun, lui, était bien protégé par son armure couverte de runes magiques de sa composition, qui arrêta plus d'un trait. Et Isilmë, quant à elle, s'en tira à peu près aussi bien que le hobbit. En bas, Mordin aussi avait pris quelques égratignures - vite oubliées - suite à quelques flèches ou coups de cimeterre, et Taurgil était trop bien protégé par son armure de mithril. Le combat fut fini peu après que l'archer-magicien ait repéré et tué le chef orc d'une flèche bien placée, et que les autres orcs se soient rendu compte que près des trois quarts de leur bande gisaient à terre... Ils s'enfuirent bientôt, sachant que le chef avait moins d'une minute plus tôt ordonné (dans leur langue détestable) à l'un d'eux d'aller chercher du renfort, chose que Drilun avait réussi à comprendre.

3 - Examen
Il fallut un peu de temps pour récupérer toutes les flèches des aventuriers, dont certaines étaient cassées ou abimées. La fouille des orcs ne révéla rien de spécial, mais le nain prit grand soin de collecter les quelques pièces trouvées sur les corps, comme après chaque combat. Puis le chemin fut repris, mais avec davantage de difficulté : les sentiers qui croisaient leur chemin étaient de plus en plus nombreux, et les traces souvent recouvertes par d'autres et plus difficiles à suivre. Par ailleurs, la forêt bruissait de cris et autres bruits, et l'archer-magicien repéra par un sort de nouveaux ennemis à proximité. Mais un groupe d'orcs s'éparpilla vite lorsque qu'une lourde forme quadrupède leur tomba dessus, et les rugissements lointains (accompagnés d'autres orcs en fuite) lui indiquèrent qu'une amie venait dans leur direction...

Effectivement, Vif arriva bientôt. Elle avait choisi de laisser Geralt surveiller les environs de la grotte en se disant que ses amis auraient peut-être du mal à trouver leur chemin parmi les traces. Au passage, elle avait fait un peu de ménage, afin de faire peur aux orcs et éclaircir un peu leurs rangs. Ce qui fut assez efficace : l'assassin, dans son coin, vit peu à peu des orcs sortir de la forêt et se réfugier près de l'entrée de la grotte, malgré les injures de leurs chefs qui n'appréciaient pas leur couardise - même s'ils n'étaient pas pressés de montrer l'exemple. En fait, les orcs entre eux parlaient d'une armée nordique précédée par une horde de montres sanguinaires, favorisant le repli de diverses patrouilles recherchant la sécurité de leurs semblables.

Ce remue-ménage attira aussi des araignées géantes, qui vinrent s'installer sur la butte calcaire, non loin du sommet et des orcs qui y patrouillaient... et exactement à l'endroit où Geralt était caché. Il avait été alerté par le sifflement des bestioles, mais il était d'une certaine manière coincé entre la falaise, les orcs et les araignées. Il resta là ainsi un moment, caché sous un arbre où diverses araignées devisaient de leurs voix sifflantes. Mais plus bas et plus loin, il vit également un mouvement discret à la lisière de la zone déboisée par les orcs : il devina que ses amis venaient d'arriver et étaient tapis là, à observer la scène. On ne devait pas être loin de la moitié de la nuit, de nombreux orcs étaient massés près de l'entrée de la grotte, d'où émanaient des cris d'orcs, des hennissements de chevaux, des pleurs de femmes et enfants humains, et bien d'autres choses.

De leur côté, Vif et ses amis examinaient la grotte avec tous leurs sens. Magiquement, Drilun perçut que la grotte était profonde et comportait cinq chambres principales, dont une avec un petit lac, et elles étaient peuplées de près d'un millier d'individus. Un peu beaucoup pour attaquer de front, et les flèches manqueraient vite à certains. La Femme des Bois remarqua alors que quelque chose se passait du côté de la falaise : elle vit Geralt descendre prudemment du bord de la falaise à l'aide de son matériel d'escalade, puis se déplacer latéralement en direction du haut de l'entrée de la grotte. Si jamais les orcs levaient les yeux, ils auraient une belle cible pour s'entraîner au tir à l'arc ! Mais l'homme aux cheveux blancs ne fut pas repéré et il disparut bientôt dans le haut de la fissure dans la roche. Et ce d'autant plus vite qu'il venait de manger une "noix d'écureuil", cette noix très rare qui décuplait la rapidité et l'agilité - et il en avait bien besoin !

Après discussions et débats divers, il fut décidé de faire magiquement passer Vif pour un gros warg grâce aux sorts du Dunéen, et de la faire accompagner par un ou deux aventuriers déguisés en orc - encore une fois magiquement. Mais cela demandait de trouver des affaires d'orc, le sort d'illusion n'affectant que peu l'équipement. Le félin alla chercher un orc en forêt et revint dix minutes après avec un cadavre d'une taille compatible avec celle de Drilun, qui devait impérativement venir dans la grotte : d'une part il pouvait comprendre un peu l'orc, d'autre part sa magie était nécessaire pour changer l'apparence de l'assassin. Taurgil et Isilmë étaient trop grands pour passer pour des orcs, mais Mordin et Rob pouvaient faire l'affaire. L'archer-magicien modifia l'apparence de tout ce monde et enfila les affaires prises sur le corps de l'orc ramené par Vif. Puis il se dirigea vers l'entrée de la grotte, avec à ses côtés un warg monstrueux qui n'était pas sans rappeler le loup-garou Caran Carach. Le hobbit et le nain devaient trouver des orcs pour leur prendre leurs affaires, et venir dès qu'ils seraient prêts.

4 - Reconnaissance
L'arrivée d'un nouvel orc à l'entrée n'alla pas sans passer inaperçue, et entraîna questions et injures de la part d'un petit chef. Mais Drilun, s'il ne comprenait pas tout - il était plus habitué aux sabirs d'Angmar qu'à ceux de la Forêt Sombre - savait crier aussi fort et se montrer menaçant lui aussi. Cela, plus la présence d'un warg deux fois plus gros que le plus gros de ceux qui habitaient là, aida les orcs présents à s'écarter et ne pas faire grande histoire pour les laisser passer, surtout quand le félin-warg se mit à montrer les dents... Quelques wargs vinrent le renifler d'un air agressif, mais les grondements de Vif les firent reculer en vitesse, la queue entre les jambes. Le Dunéen et la Femme des Bois étaient entrés.

L'entrée de la grotte donnait sur un espace plus ou moins circulaire de vingt ou trente mètres de large, dans lequel quelques rares torches jetaient de vagues lueurs et de nombreuses ombres. L'endroit était occupé par plusieurs dizaines d'orcs à l'air plus ou moins tendu, et qui jetaient de fréquents coups d'œil vers l'extérieur. La caverne semblait naturelle, avec de nombreuses stalactites ou stalagmites sur les côtés, le passage principal ayant sans doute été dégagé à l'aide d'outils. Trois ouvertures béantes en face, à gauche et à droite donnaient sur de nouvelles cavernes plus grandes. Mais le faux warg remarqua aussi, à quelques mètres de haut, un espace derrière une stalagmite où se tenait cachée une silhouette de la taille qu'il recherchait... Des grognements et des coups de patte permirent à Drilun de remarquer l'endroit et de comprendre ce que son amie voulait dire.

Geralt avait aussi remarqué l'entrée du warg géant, et il ne lui avait pas fallu longtemps pour deviner qui était derrière. Et lorsque le même warg sembla parler à l'orc proche avec des signes et grognements, il poussa un soupir de soulagement : il n'était plus seul... La magie du Dunéen pourrait certainement l'aider, mais il n'était pas sans ressource lui-même : déballant sa trousse de maquillage, il se transforma en un rien de temps en un orc plus vrai que nature. Le reste de son équipement ne collait que moyennement à sa nouvelle apparence, en dehors de l'armure qui était effrayante à souhait (peut-être même trop). Aussi l'archer-magicien lança-t-il un sort pour donner un air global plus sale et ressemblant à la mode des orcs... L'assassin put alors descendre de son perchoir sans être inquiété.

Les trois amis inspectèrent les trois ouvertures : à droite, une caverne servait de tanière pour une trentaine de wargs et quelques louveteaux ; à gauche, une grotte contenait un enclos pour une trentaine de chevaux gardés par une douzaine d'orcs ; enfin, l'ouverture face à eux donnait sur une grande caverne éclairée par quatre grands feux. A l'extrémité gauche un trône était dressé, sans personne pour l'occuper, et des gardes orcs semblaient bloquer un passage à droite. Tout droit, à une petite distance, un passage assez large donnait sur une nouvelle grotte où des cris et pleurs humains se faisaient entendre... entre autres choses.

Les trois amis se dirigèrent vers la droite. Lorsque l'un des gardes se mit à crier après Geralt, qui ne comprenait rien à la langue des orcs, l'assassin décida de réagir à leur manière. Il empoigna le garde, le fit brutalement tomber au sol où il le roua de quelques coups de pied en hurlant de manière méchante à l'attention de ses collègues, qui préférèrent regarder ailleurs. Il put voir alors l'intérieur de la caverne de droite. Elle était densément peuplée de nombreuses femelles - quelques centaines peut-être - et de diablotins orcs encore plus nombreux qui criaient et se battaient sans cesse, malgré leur aspect très jeune - aucun ne semblait âgé de plus de cinq ou six ans. Quelques corps sans vie attestaient de la brutalité de leurs jeux et servaient encore à de nouveaux jeux post-mortems... ou à rassasier les plus forts. Mais l'endroit servait aussi de lupanar pour quelques orcs de grande taille et habillés de cottes de maille, qu'ils semblaient ne jamais quitter. L'un d'eux avait les faveurs de trois femelles, c'est-à-dire qu'il avait trois victimes à brutaliser et violenter à la fois... le chef sans doute.

La dernière salle, en face de l'entrée dans la caverne centrale, comprenait trois éléments notables : sur la gauche, dans un enclos en bois gardé par une douzaine d'orcs, une trentaine de femmes et de préadolescents nordiques pleuraient, tentaient de se réconforter les uns les autres et enduraient leur sort avec plus ou moins de courage. Sur la droite, des femelles orcs s'occupaient à des travaux divers peu ragoûtants comme la préparation de cuirs à partir de carcasses de chevaux, par exemple. Au fond, la caverne était occupée par un petit lac qui avait le double rôle de source d'eau pour la tribu et de dépotoir pour les déchets les plus divers. Cela dit, la majorité des déchets produits par les orcs semblaient rester sur le lieu où ils étaient émis, les plus gros trouvant parfois le chemin de la sortie hors des cavernes.

5 - Coup d'État
Les deux faux orcs et le faux warg discutèrent un moment entre eux, par signes et grognements pour celui sous forme animale, ce qui n'aidait pas à la compréhension. Divers scénarios furent envisagés, comme de lancer des incendies qui feraient fuir les chevaux, et qui permettraient de délivrer et faire sortir les prisonniers pendant que les orcs seraient occupés. Mais ces différents plans comportaient tout de même de nombreux risques : les orcs étaient trop nombreux pour pouvoir assurer la sécurité des humains. Il fallait pouvoir faire sortir ces derniers, avec les chevaux, par la ruse plutôt que par la force. La meilleure manière ? Que Geralt devienne le chef des orcs à la place du chef, et qu'il commande à toute la tribu !

L'assassin était très tenté par cette solution. Il avait vite compris comment fonctionnaient les orcs, qui lui rappelaient fortement les assassins de Tharbad : avec des rapports de force, de la violence et à qui avait la plus grande gueule. Et à ce jeu-là, il était un maître. Certes, il ne parlait pas la langue des orcs, mais il avait remarqué que l'attitude agressive était largement assez parlante pour ne pas avoir besoin de mots, et au besoin il demanderait à Drilun de traduire. Et question violence et intimidation, il avait grandi toute sa vie dans cette ambiance, même si elle ne lui convenait pas vraiment. N'empêche qu'il était très doué dans l'art de faire peur ou mal quand il le fallait. Ce qui ne l'empêchait pas de préférer raconter des histoires aux enfants et autre auditoire à d'autres moments.

Les trois aventuriers se dirigèrent donc vers la caverne des femmes orcs, où le chef et ses principaux lieutenants étaient encore occupés à prendre leur pied dans des activités sado-érotiques. Les gardes de l'entrée comprirent vite à la mine de Geralt que ce dernier ne supporterait pas qu'on lui pose des questions, et ils le laissèrent entrer, ainsi que ses deux compagnons. Mais en revanche, deux officiers orcs se dressèrent très vite sur son chemin, une fois à l'intérieur, et ils ne semblaient pas prêts à se laisser intimider. Des armes furent tirées et le faux warg bondit, tandis que de son côté Drilun essayait de dire en orc que tout ça c'étaient les ordres du Grimburgoth, et empêcher les gardes de se mêler du combat.

Le combat dura trop peu de temps pour que les gardes puissent se mêler de quoi que ce fût : après quelques rapides passes d'armes ou de crocs et griffes, les officiers présents déploraient la perte de leur tête ou d'organes divers. Le chef, seul contre les deux meilleurs guerriers de la bande d'aventuriers, ne fit pas un pli, et après quelques secondes, il n'était plus chef mais viande pour les petits orcs. Le cri rageur de Geralt montra aux orcs qui était le nouveau chef, et il se dirigea vers le trône, accompagné de ses deux amis. A présent, il fallait faire sortir les humains et les chevaux, ce qui était une autre paire de manches.

A l'extérieur des cavernes, les aventuriers restants avaient fini par trouver et abattre des orcs dont l'équipement pouvait servir à faire passer nain et hobbit pour des membres de la tribu. Mordin garderait sa cotte de mailles et tenterait de passer pour un officier, tandis que Rob jouerait le rôle d'un snaga ("esclave", dans la langue des orcs), les plus petits des orcs et souvent des pisteurs et souffre-douleur. Alors qu'ils se préparaient, les quatre amis entendirent qu'il se passait des choses dans les cavernes, avec de nombreux cris et beaucoup d'orcs qui regardaient plutôt ce qui se passait à l'intérieur qu'à l'extérieur. C'était le bon moment pour entrer : le voleur hobbit et le marchand nain s'avancèrent, le second faisant mine de donner des coups de pied au premier, qui faisait alors des roulades par terre en geignant.

6 - Communication difficile
A l'intérieur, sur le trône, le nouveau chef assénait quelques baffes à l'orc présent à ses côtés - Drilun - pour bien marquer qu'il était son esclave personnel, en quelque sorte, et son porte-parole. Lequel porte-parole demanda à ce qu'on amenât les prisonniers, comme il avait convenu avec son ami durant le temps où ils se dirigeaient vers le trône. Les orcs écoutèrent, mais ils ne bougèrent pas, et l'incompréhension qui se lisait sur leur visage montrait que le parler utilisé par le Dunéen n'avait pas vraiment été correctement compris. Cela fut confirmé peu après, lorsque l'assassin invectiva ses troupes : les orcs se dépêchèrent de filer, sentant l'impatience de leur nouveau dirigeant... mais ils s'arrêtèrent vite lorsqu'ils se rendirent compte qu'ils étaient tous partis dans des directions différentes et que personne ne savait où aller !

A l'entrée des grottes, Mordin arriva à passer sans grand mal, en montrant une conduite adaptée (agressive) et en profitant du remous et de l'intérêt pour ce qui se passait à l'intérieur. Il continuait à avancer en donnant des (faux) coups de pied à Rob, mais un autre orc trouva cela assez amusant pour essayer d'en faire de même. Il voulut sans doute voir à quelle distance il arrivait à envoyer ce petit snaga d'un bon coup de pied, mais il en fut pour ses frais : d'abord parce que le snaga en question arriva à esquiver son coup, ensuite parce que l'orc en cotte de mailles qui faisait avancer le snaga n'apprécia pas la chose. L'apprenti footballeur devint brusquement punching ball et il décida vite d'arrêter de faire du sport.

Le nain et le hobbit arrivèrent enfin dans la salle principale où le chef orc criait de manière menaçante. Ils ne le reconnurent pas, mais ils identifièrent très bien l'autre orc qui se tenait à ses côtés, ainsi que le warg géant non loin. Warg qui avait repéré ses deux amis nouvellement arrivés, contrairement à Drilun et Geralt, mais ils finiraient par les reconnaître plus tard. Voleur et marchand comprirent aussi qui était réellement le chef lorsqu'ils se rendirent compte de ce qu'il faisait : lassé de ne pouvoir se faire comprendre, il se dirigea jusqu'à l'enclos aux prisonniers, que le faux warg ouvrit violemment. Puis il intima par geste aux nordiques l'ordre de sortir et de les suivre, tout en se dirigeant vers la sortie.

Ils arrivèrent tous à la caverne servant d'enclos aux chevaux, où Mordin et Rob les avaient précédés. Avec quelques difficultés, Drilun et Geralt donnèrent divers ordres, en commençant par l'ouverture de l'enclos. Ils firent monter les enfants sur des chevaux, désignèrent les femmes nordiques ainsi qu'une dizaine d'orcs, plus Mordin et Rob, et montrèrent l'exemple en prenant un cheval par l'encolure et en l'emmenant dehors. Non sans mal et sans quelques maladresses, les chevaux et les prisonniers se trouvèrent tous dehors, avec les aventuriers et une dizaine d'orcs, devant une bonne part de la tribu bien étonnée.

Une inspiration soudaine saisit certains aventuriers, qui décidèrent d'une petite mise en scène. Tandis que le nouveau chef des orcs - Geralt - restait sur place pour tenir ses troupes avec ses airs féroces, Vif faisait mine de sentir quelque chose et partit vers la lisière de la forêt, suivie par Drilun et Mordin. Après quelques bruits de lutte, ils revinrent avec Isilmë et Taurgil comme prisonniers, l'air piteux. De nombreux orcs poussèrent une clameur de joie et certains se dirigèrent vers les prisonniers avec un petit air joyeux et sadique, air que leur chef leur renvoya dans la gorge ou dans les dents. Manifestement, il ne tenait pas à prêter ses nouveaux prisonniers... L'équipe était maintenant au complet, avec chevaux et prisonniers nordiques, ils allaient pouvoir partir.

7 - Sauvetage
Après que Drilun ait fait passer comme il pouvait un message comme quoi il s'agissait des nouveaux ordres du Grimburgoth, le groupe s'éloigna un moment. Après une heure de marche prudente, les aventuriers estimèrent qu'ils étaient assez loin pour la suite du plan. Les vrais orcs auxquels Geralt avait commandé de venir furent emmenés à part et massacrés, tandis que Vif et quelques autres restaient pour surveiller les chevaux et prisonniers : ils ne savaient toujours pas ce qu'il se passait mais ils semblaient prêts à prendre la poudre d'escampette. L'air féroce du warg géant les en dissuada. Une fois les orcs tués, Geralt revint et enleva son maquillage, et expliqua la situation aux prisonniers éberlués.

Le nouvel espoir qui se lisait dans les yeux des prisonniers fut quelque peu terni par une mauvaise nouvelle. Alors que les aventuriers discutaient entre eux de la suite et du massacre des orcs, désormais facile sans prisonniers à protéger, ces derniers leur apprirent que d'autres avaient été emmenés deux jours auparavant. En effet, peu de temps après qu'ils aient été faits prisonniers, une troupe de guerre orc était partie avec une quinzaine de prisonniers déjà présents et autant de chevaux. Parmi eux se trouvait la petite-fille de Paidacer que les aventuriers cherchaient. Elle n'était donc plus là depuis deux bonnes journées, et d'après ce qu'avaient dit les orcs - qui parlaient correctement ouistrain pour au moins une partie d'entre eux - ils allaient être vendus à la "ville des voleurs"... quatre jours après leur départ.

Les sept héros se trouvaient à présent avec un objectif triple. Tout d'abord, il fallait garder les prisonniers (et chevaux) en sécurité, et faire en sorte qu'ils puissent revenir chez eux. Cela ne pourrait se faire sans aide, c'était encore la nuit et ils n'y voyaient rien, étaient fatigués et affamés, et aucunement à même de se défendre d'une quelconque agression, alors que d'autres orcs pouvaient rôder dans le coin. Également, il fallait retourner à la tribu orc et les éliminer tous, comme promis à Paidacer, le chef nordique des Widureiks. Enfin, il fallait rattraper les prisonniers partis pour la ville des voleurs avant qu'ils ne soient embarqués par divers marchands, orientaux en particulier.

L'équipe dut à nouveau se séparer en deux. Rob, Taurgil, Isilmë et Mordin accompagnèrent les ex-prisonniers nordiques en suivant le sentier qu'ils avaient pris à l'aller, menés par le hobbit lorsque les traces étaient difficiles à suivre. Mais bien vite le passage fut assez clair pour tous, à l'aide des lumières amenées, et tous purent monter à cheval sans risque de se perdre. Ils se déplacèrent ainsi plus vite, même s'ils restaient au pas, et arrivèrent à l'orée de la Forêt Sombre alors que la nuit était bien avancée. Épuisés, ils se couchèrent tous les uns contre les autres, pour se tenir chaud, sauf Taurgil qui resterait à veiller. L'elfe utilisa sa magie des soins sur Mordin, Rob et elle afin de bénéficier d'un repos plus récupérateur, et ils tombèrent enfin dans les bras de Morphée.

Deux bonnes heures après cela, Vif arriva par le sentier sous sa forme féline, portant Drilun et Geralt sur son dos, avec un coffre en prime. Le soleil n'allait pas tarder à se lever, mais les trois amis n'avaient qu'une idée, c'était de dormir et se reposer. Les orcs étaient tous morts ou peu s'en fallait, mais ils donneraient les détails après un minimum de sommeil. Taurgil, lui aussi adepte de la magie des soins, aida ses amis à dormir et veilla sur eux, bientôt relayé par Isilmë qui n'avait pas besoin de beaucoup de repos, comme tous les elfes. Mais il restait beaucoup de route à faire, et l'archère elfe réveilla tout ce beau monde en milieu de matinée. Ils n'avaient que la journée pour arriver à la ville des voleurs et intercepter les orcs et leurs prisonniers.

8 - Massacres
Tout en se préparant à partir, Drilun et Geralt informèrent les autres de ce qu'il s'était passé chez les orcs. L'assassin avait dû à nouveau se maquiller, et Vif avait emporté ses deux amis sur son dos pour aller plus vite, malgré la fatigue que cela lui causait. En chemin, ils avaient discuté de la meilleure manière de supprimer un millier d'orcs - sans compter les enfants - à trois personnes ! Trois contre mille... Mais les orcs les plus forts et intelligents étaient tous morts ou presque, et sous sa forme magique, la Femme des Bois était presque invulnérable. Quant au Dunéen et à l'homme aux cheveux blancs, ils étaient bardés d'équipement magique et de compétences guerrières ou magiques les plus diverses et redoutables.

Arrivés à l'entrée de la grotte, Drilun et surtout Geralt s'étaient adressés aux orcs en ouistrain cette fois, que les orcs comprenaient dans leur majorité. En prétextant de "nouveaux ordres" venus de très haut, le nouveau chef avait réuni tous les orcs à l'intérieur de la caverne principale. Il avait ordonné de préparer des tas de bois à l'aide du reste des enclos et du bois de feu en réserve, près des quatre gros feux qui illuminaient la grotte et servaient à éclairer, entre autres choses. Certaines pièces de viande y étaient parfois cuites, mais les orcs semblaient apprécier tout autant, voire même plus, la chair fraîche et sanglante...

Tandis que les orcs s'affairaient, Geralt avait questionné un des rares lieutenants survivants. Ils se distinguaient facilement par leur cotte de mailles, un équipement de luxe parmi tous ces orcs aux armes et armures quelconques, pour ne pas dire plus (ou moins). Le lieutenant en question s'était montré très prolixe, et l'assassin avait vite compris pourquoi. Les plus grands orcs de la tribu, les principaux chefs comme lui, étaient tous venus de Dol Guldur cinq ans auparavant - ce qui expliquait l'absence de jeunes orcs plus vieux que ça - avec six cents guerriers orcs et six cents femelles environ issus d'une autre tribu du sud de la forêt. Ils avaient reçu des ordres précis visant à harasser et opérer des raids sur les nordiques vivant à l'orée de la forêt.

Mais ces ordres n'avaient pas été tous respectés. Ils avaient bien fait des prisonniers nordiques et pris des chevaux, qu'ils avaient tous vendus à des marchands de la ville des voleurs, comme prévu. Rien que ces derniers mois, ils avaient vendu plus de cent prisonniers et autant de chevaux ! Mais l'ancien chef que Vif et Geralt avaient tué, voyant l'or s'accumuler, avait toujours retardé l'envoi de cet or vers Dol Guldur. Cela représentait à présent un coffre de plus de mille pièces d'or ! Coffre qui se trouvait non loin du trône, parmi d'autres affaires, et que Geralt s'empressa de mettre à l'abri... L'arrivée du "nouveau chef" et des "nouveaux ordres" semblait donc la punition logique à une désobéissance... D'autant que le warg géant pour lequel Vif se faisait passer grâce à la magie de Drilun faisait furieusement penser au loup-garou Caran Carach, qui infestait les profondeurs de Dol Guldur.

Une fois tout prêt et les orcs rassemblés dans la caverne, Drilun alluma les feux et augmenta leur dimension, tout cela magiquement. Il eut une petite pensée pour Isis qui aimait tant manipuler les flammes, et les siennes lui obéirent facilement, malgré son mal de crâne. Du bois avait également été disposé à l'entrée de la caverne et forma un mur ardent infranchissable, et le Dunéen utilisa ses pouvoirs pour manipuler la fumée et la concentrer sur les orcs afin de les asphyxier. Quand les feux finirent par mourir, plus de cent cadavres de guerriers orcs étaient clairement visibles sur le sol de la grotte. Les autres guerriers s'étaient réfugiés près du lac, tandis que les femelles survivantes restaient terrées dans leur caverne, avec les diablotins orcs. Les wargs, eux, étaient restés auprès de leurs petits, loin des flammes : tandis que l'archer-magicien s'occupait des feux et fumées, le félin et l'assassin s'étaient occupés d'eux, de manière à ce que pas un n'en réchappe.

Après l'extinction des feux, le fauve qu'était Vif était entré dans la grotte où les guerriers orcs survivants s'étaient réfugiés. Paniqués par ce qu'ils considéraient comme une sentence de mort, les orcs s'étaient piétinés les uns les autres pour éviter les griffes du félin. Ceux qui avaient tenté de fuir par l'entrée de la caverne avaient été en grande partie interceptés par Drilun et Geralt, et relativement peu purent échapper au piège. Lorsque la grotte ne fut plus remplie que de cadavres, Vif s'était alors dirigée vers la caverne des femelles et des jeunes. Geralt avait éprouvé des remords et des doutes, après tout les femelles n'étaient que des victimes. Mais la Femme des Bois n'avait pas tant de scrupules : elle avait grandi dans la Forêt Sombre, où la loi de "tuer ou être tué" dominait. Elle avait fait sa sinistre besogne en moins d'une heure, puis elle avait emporté ses amis sur son dos vers l'orée de la forêt.

9 - La ville des voleurs
De retour au présent, les aventuriers firent le bilan. Les orcs et leurs prisonniers - dont la petite-fille de Paidacer - risquaient d'arriver aux abords de la "ville des voleurs" la nuit prochaine. Les nordiques dirent qu'il s'agissait sans doute de Buhr Waldlaes, le "fort sans loi" dans leur langue. On l'appelait aussi "ville de feu" car l'activité y restait intense à toute heure du jour ou de la nuit... Elle était distante de Romenost d'environ 150 miles (~ 240 km), et vu leur position à eux par rapport à la route qui menait à la ville, la distance devait être similaire. Cela représentait une bonne journée de cheval au galop... et la matinée était déjà bien avancée. Que faire des chevaux et ex-prisonniers ?

Les camps nordiques les plus proches avaient été réduits en cendres par les orcs, les camps habités devaient être à au moins deux heures à cheval, au galop. Tous convinrent que cela risquait de les retarder trop, et que les nordiques étaient capables de se débrouiller seuls. Il fallait juste espérer qu'il ne leur arrivât rien en chemin... Six chevaux seraient gardés afin d'arriver au plus vite à Buhr Waldlaes, et les ex-prisonniers seraient livrés à eux-mêmes pour retrouver leur clan, avec un message pour leur chef. Après de rapides remerciements de leur part, ils virent les aventuriers s'éloigner au galop. Le ciel était clair, mais il ne restait guère plus d'une demi-douzaine d'heures avant que la nuit ne tombe. Et la cavalcade demanderait peut-être une dizaine d'heures...

Isilmë, mauvaise cavalière, choisit de monter derrière Drilun, position qu'elle aimait beaucoup - et le Dunéen également, semblait-il. Un autre cheval était sans cavalier, ce qui leur permettait de passer régulièrement de l'un à l'autre et de ne pas trop fatiguer leur monture. Tous les autres avaient leur cheval, hormis Vif, toujours sous sa forme féline. Elle se fatiguait plus vite que les chevaux, mais heureusement ils allaient assez lentement pour elle, ce n'était qu'un petit galop, et elle pensait donc pouvoir tenir la distance. Toute la journée ils galopèrent, croisant parfois des fermes, des camps nordiques et leurs élevages, voire des caravanes de marchands. Mais ils ne s'arrêtèrent pas, même lorsque la nuit tomba. Heureusement le ciel était clair, ils y voyaient assez pour continuer à la même allure, au prix d'efforts pour les moins bons cavaliers. Enfin, ils distinguèrent des lumières au loin : ils arrivaient aux abords de la ville.

Pendant leur chevauchée, Mordin avait pu leur parler un peu de Buhr Waldlaes, de ce qu'il en savait ou de ce qu'on lui avait dit. Il n'en connaissait pas grand-chose en fait. La route ne faisait que passer à côté de la ville, qui était comme coincée entre des pitons rocheux et flancs de falaise, au pied d'un coteau escarpé. Il ne s'était jamais arrêté qu'à la Taverne du Cheval en Colère, une auberge en fait, où il n'avait jamais eu de mauvaise surprise. Pourtant on racontait que la ville, qui accueillait des réfugiés et parias de tout bord et de toute origine, était avant tout dominée par une guilde de voleurs. On pouvait y vendre et y acheter de tout, y compris des esclaves ou des assassins, et la confiance et l'amitié étaient certainement les denrées les plus difficiles à y trouver.

Autrefois la ville n'était pas autant dominée par les voleurs. Il existait alors une guilde des mendiants aussi forte que celle des voleurs, et un étrange magicien qui vivait dans un château sur un piton rocheux au-dessus de la ville. Mais des histoires racontaient que des aventuriers étaient venus et avaient tué le magicien, qui en fait était lié au Nécromancien selon les rumeurs. L'équilibre des forces imposé par le magicien étant rompu, les deux guildes se firent la guerre, au détriment des mendiants. Les voleurs n'en avaient pas pour autant profité pour devenir complètement maîtres de la ville et faire fuir les quelques artisans honnêtes qui restaient. Ils savaient très bien qu'ils avaient besoin d'éléments "normaux" dans la ville pour éviter que les seigneurs nordiques ne mettent un terme à leur existence...

Enfin, lors de son dernier passage, le nain s'était vu raconter une nouvelle rumeur. On disait que le château au-dessus de la ville, déserté depuis la mort du magicien, abritait un spectre invisible et ses quelques serviteurs, qu'on voyait parfois en ville. Que personne n'avait vu ce spectre, mais qu'il s'intéressait des fois aux affaires de la ville. Il arrivait que certaines personnes trouvent à leur réveil un parchemin avec des ordres les concernant, et il se chuchotait que ceux qui ne donnaient pas satisfaction finissaient tous par mourir plus ou moins longtemps après, le visage déformé par une grimace d'épouvante. C'est comme cela qu'on avait trouvé certains des messages, en fait... Mais les parchemins finissaient toujours par disparaître. A l'époque, Mordin avait pensé que c'était une histoire amusante et bien inventée, et il avait payé un coup à boire au barde qui l'avait racontée.
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Horselords - 10e partie : voleurs et orientaux

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1 - Séparation
A présent, les lumières de la ville parvenaient jusqu'à eux, ou tout du moins une partie : les quartiers de la ville étaient enchâssés entre des pitons rocheux qui étaient comme détachés de la falaise proche contre laquelle la ville était installée. Ces pitons, haut parfois de deux cents pieds (~60 mètres), donnaient un caractère labyrinthique à la ville et à ses rues et passages. Ce qui amplifiait aussi certains échos de vie nocturne, comme ceux de la "Place de la Fortune", un proche quartier presque entièrement composé d'établissements de jeux de hasard et de tavernes. Le groupe resta là un moment à observer ou écouter le tumulte de la vie nocturne, tandis que Mordin achevait de parler du peu qu'il connaissait de Forpays.

Certains parlaient de prendre une chambre en ville et de se reposer pour être prêts à affronter tous les dangers au matin. Mais Geralt, au grand étonnement de tous, rappela l'affaire de l'enlèvement du grand-père de Narmegil : le temps était compté, et plus ils attendaient, plus ils risquaient de le regretter plus tard. Malgré ce que cela lui coûtait, il ne tenait pas à aller se reposer. Parmi les plus proches badauds du quartier des établissements de jeu, il avait déjà pu repérer de probables voleurs qui les jaugeaient de loin. D'une certaine manière, même si ce n'était pas Tharbad, il se retrouvait en terrain connu, et pensait aller en ville pour recueillir des informations sur le marché aux esclaves et autres commerces de cette cité des voleurs.

Mais Vif n'était pas très attirée par la ville, en tant que Femme des Bois, d'autant qu'elle ne risquait pas de passer inaperçue sous sa forme féline. D'autres se demandaient où pouvaient être les orcs, s'ils étaient arrivés ou non et par où ils venaient. Drilun se rappela que les orcs avaient parlé de trois-quatre jours de trajet depuis leurs cavernes, ce qui voulait dire que le convoi arriverait probablement cette même nuit. Les bois les plus proches, comme toute la Forêt Sombre, semblaient loin à l'ouest. La falaise contre laquelle reposait la ville avait des flancs abrupts et assez lisses, impossibles à escalader sauf pour des grimpeurs parmi les meilleurs et les mieux équipés. En apparence tout au moins.

En fin de compte, l'équipe se sépara en deux. Les plus habiles de leur langue, à savoir Drilun, Geralt et Mordin, iraient chercher des informations en ville. Où était le marché aux esclaves et comment fonctionnait-il, quelles marchandises étaient échangées, en particulier les chevaux, quels étaient les pouvoirs à l'œuvre dans la ville, en particulier le spectre de ce magicien défunt, et tout ce qui pouvait avoir de l'intérêt. Sans se faire trop remarquer si possible, ou du moins pas de manière qui ait des conséquences fâcheuses. Enfin, c'était plutôt la manière dont le Dunéen voyait la chose ; mais la suite lui montra que le maître-assassin et le marchand nain n'y attachaient peut-être pas autant d'importance que lui...

Le reste de l'équipe continuerait sur la route d'Araw, qui passait à l'ouest de la ville, jusqu'à un passage permettant de franchir la falaise et monter sur le plateau qui se dressait devant eux. Une fois là-haut, Rob, Isilmë, Taurgil et Vif surveilleraient les environs à la recherche de toute activité suspecte, à commencer par les orcs et leurs prisonniers. Aux trois autres qui iraient en ville glaner des informations, rendez-vous fut donné au-dessus de la ville, non loin du bord de falaise, près d'un bosquet de quelques arbres que certains arrivaient à voir depuis leur position. Ils étaient pour partie bien fatigués, la nuit risquait d'être longue, mais aucun ne fit d'objection, pas même Geralt.

2 - Forpays - premiers contacts
Assassin, archer-magicien et marchand nain se dirigèrent vers les abords du quartier des jeux, la "Place de la Fortune". Ils passèrent d'abord des étals vides qui servaient trois fois par semaine pour un marché de produits frais au sud de la ville, puis accostèrent le quartier déjà cité. A l'extrémité d'un pâté de maisons assez calme - le bruit et les lumières venaient de plus au nord - une écurie s'offrait à eux, ou plutôt à leurs chevaux, si ce n'est qu'elle était fermée. Mais un palefrenier descendit vite leur ouvrir lorsqu'ils eurent frappé à une porte : tant qu'ils avaient de quoi payer... Ils confièrent leurs trois chevaux avec autant de pièces de cuivre, en disant qu'ils passeraient probablement les chercher d'ici deux-trois heures au plus.

Les trois amis interrogèrent également l'homme de l'écurie sur les meilleurs endroits où se renseigner en ville. Il leur parla des trois quartiers les plus actifs la nuit, celui des jeux, celui des prostituées et celui de la boisson. C'était sans doute dans ce dernier qu'il y aurait le plus à apprendre, et deux noms retinrent leur attention : la Toile des Ennerettes, une taverne mal famée où l'on se battait souvent ; et les Sables d'Harad, un établissement plus exotique et de plus haut standing. Ils se firent indiquer la direction de ce quartier, dénommé "Allée de la Bouteille", et quittèrent l'écurie.

Geralt ne put s'empêcher de remarquer qu'ils étaient suivis par quelques individus, et il devina facilement la suite : lorsqu'ils pénétrèrent dans une allée un peu sombre et étroite, ils virent une demi-douzaine d'individus sortir devant eux, tandis qu'un nombre égal derrière eux bloquait toute retraite. Ces voleurs semblaient tous ravis de faire la rencontre de ces nouveaux venus... et de leurs bourses sans doute bien pleines, à en croire leur équipement inhabituel. Bref, ils étaient de bonne humeur et parlèrent de taxes à verser pour pouvoir pénétrer en ville, taxes qui n'avaient pas encore été perçues... et dont le montant restait à préciser. Il dépendait du contenu de leur bourse, bien sûr, et à les voir, on devinait qu'ils ne laisseraient pas grand-chose.

Mais les trois amis se contentèrent de rire. Drilun avait préparé son arc, et lorsqu'il encocha une flèche, l'ambiance changea tout de suite et les voleurs se firent plus menaçants. L'assassin demanda à l'archer d'abattre l'homme qui leur faisait face et qui semblait leur chef, mais le Dunéen hésita, ne sachant si c'était la meilleure chose à faire. Le nain prit alors la parole et injuria les voleurs avec force, les traitant de minables dont la mort ne leur arracherait pas la plus petite goutte de sueur et dont les corps iraient salir les caniveaux comme tant d'autres avant eux. Ils avaient l'air si menaçants, lui et ses compagnons, que finalement les voleurs décidèrent qu'une retraite était plus prudente, et ils ne les inquiétèrent plus.

Ils traversèrent le quartier des prostituées où de nombreuses dames montraient leurs charmes depuis les portes et fenêtres, les enjoignant à entrer pour mieux en profiter. L'assassin aux cheveux blancs comparait avec celles de Tharbad, et ce n'était pas en faveur de celles de Forpays : manifestement, celles qui étaient là étaient juste des marchandises, et pas forcément de la meilleure qualité, et ce métier n'était sans doute pas celui de leurs rêves. Enfin, ils trouvèrent le quartier le plus dense en débits de boissons, et notamment l'un d'eux, plus bruyant que les autres et manifestement le plus agité. Un corps amoché passé par une fenêtre leur confirma, avant même de voir l'enseigne, que c'était bien la Toile des Ennerettes qu'ils cherchaient.

3 - La Toile des Ennerettes
La pièce dans laquelle ils entrèrent était bien remplie, tant en termes de corps qu'en termes de volume sonore. Deux personnes se battaient dans un coin, beaucoup se criaient dessus, et tous étaient des hommes plutôt bien charpentés. Les regards se tournèrent dans leur direction lorsqu'ils entrèrent, Geralt en tête. Mais il n'arriva pas à atteindre une table en partie libre ou le comptoir : un nordique costaud se trouva vite sur son chemin, qui l'apostropha de manière agressive, avec une haleine chargée d'alcool. En bref, il dit que sa tête ne lui revenait pas, et il essaya tout de go de lui mettre son poing en travers.

L'assassin aux cheveux blancs bloqua le coup, puis il répliqua par une série d’uppercuts qui envoyèrent l'homme à terre. Ce dernier comprit bien vite qu'il avait affaire à plus fort que lui, et il déclara forfait, les brumes éthyliques ayant vite quitté son regard. A la demande forte et expresse de Geralt il leur commanda trois bières, puis il s'éloigna en se tenant la poitrine endolorie. Le nain avait repéré un autre homme, non loin, qui semblait hésiter à défier son ami Dunéen ; mais il lui jeta un regard si noir que l'homme resta assis sur son banc et détourna la tête, brusquement intéressé par tout autre chose.

Les trois amis s'assirent à une table où un banc était libre. Ils découvrirent à cette occasion que tables et bancs semblaient fixés au sol. Cela, plus leur robustesse, empêchait sans doute de s'en servir dans les bagarres plus ou moins permanentes. Ils commencèrent à échanger avec leurs voisins, dont l'un semblait bien informé sur les us et coutumes de la ville, et assez curieux. L'assassin demanda des renseignements sur le marché aux esclaves, renseignements que l'homme ne semblait pas pressé de donner. Tout au plus apprit-il que les jours de "marché" étaient donnés aux habitués et invités seulement, et que s'ils posaient ces questions, c'est qu'ils n'en faisaient pas partie...

Tout en jouant au marchand accompagné d'un garde et d'un serviteur, le trio essaya de décider l'homme à vendre le morceau : les invités l'avaient bien été comme eux au début, non invités, et s'il fallait s'adresser à une personne particulière, ils étaient prêts à payer pour ça. A l'appui de sa déclaration, Mordin fit glisser une pièce de bronze vers l'homme. Lorsque ce dernier le tança d'un regard méprisant devant un si bas prix, il commença à se fâcher et à hausser brusquement le ton. La menace fut immédiatement suivie d'une réaction de la plupart des clients de la taverne, qui se tournèrent vers eux, parfois la main sur une arme.

Le Dunéen essaya de calmer le jeu, avec un certain succès, et il envoya une pièce d'argent à l'homme. Mais lorsque ce dernier, après les avoir jaugés, leur affirma que les marchands d'esclaves étaient pétés de thune et qu'ils pouvaient bien donner un peu plus, les trois compagnons décidèrent qu'ils avaient perdu assez de temps (et d'argent) dans ce bouge. Ils se levèrent et quittèrent les lieux, sans personne pour se mettre sur leur chemin. En revanche, l'assassin ne manqua pas de voir trois personnes quitter la taverne juste derrière eux et les suivre de manière plus ou moins discrète.

Geralt fit mine de quitter ses compagnons pour aller se soulager, et remarqua qu'un des trois hommes le suivait. Mais il arriva sans mal à le semer, si discret était-il et habitué à ces petits jeux-là. Dépité, l'homme rejoignit bientôt ses collègues toujours aux trousses de Mordin et Drilun. Jusqu'au moment où deux d'entre eux sentirent une lame acérée dans leur dos. L'assassin avait d'abord envisagé de se débarrasser de ces gêneurs, mais il se dit que cela pouvait envenimer les choses, ce qui n'était pas forcément le but recherché. Il se contenta donc de les laisser filer avec un avertissement, et ils ne furent plus embêtés de la nuit.

4 - Les Sables d'Harad
La taverne portant le nom des Sables d'Harad fut bien vite repérée. Nettement plus discrète, elle avait aussi meilleure allure, et une musique étrange, inhabituelle, se faisait entendre à l'intérieur. Les voix qui en émanaient semblaient nombreuses et joyeuses, mais pas du tout agressives. En entrant, le changement était étonnant, et les trois amis avaient l'impression de brusquement se trouver dans un autre pays : encens, nombreuses lumières, riches décorations de soie et tissus de couleur, chaude ambiance... Sur une estrade, des danseuses (peu) vêtues de soie se trémoussaient au son d'instruments bizarres. Tout était propre, en bon état, et les clients étaient bien mieux sur leur personne que ceux de la taverne qu'ils venaient de quitter.

Le patron les accueillit aimablement, avec un visage et un accent qui dénotaient une origine étrangère, certainement suderonne. Ils commandèrent de l'hydromel et du vin de Dorwinion, fort bons au demeurant, et s'installèrent à une table en partie occupée. La conversation s'engagea, d'abord avec un nordique aux multiples cicatrices, puis avec son ami et en fait chef, qui s'appelait Rult. C'était un homme grand et un peu basané qui faisait un peu penser à un Gondorien. Son visage usé et non dénué d'anciennes cicatrices était observateur et résolu, et pas du tout voilé par l'alcool. Le courant passa bien mieux qu'avec les voleurs du précédent bouge.

Rult était en fait le meneur d'une bande de mercenaires. Et surtout, c'était un ex-esclave que les voleurs avaient fait prisonnier et qu'ils avaient vendu aux esclavagistes, il y avait bien longtemps. Il avait été vendu à un marchand et avait par la suite réussi à se libérer, puis il avait gagné sa vie comme mercenaire. Mais il n'oublia jamais sa condition d'ex-esclave, et il prenait bien soin de libérer tous ceux qu'il croisait. Avec certains d'entre eux, il avait fondé sa compagnie de mercenaires, qui, à l'entendre, bénéficiait d'un certain prestige. Mais il ne prenait pas n'importe quel contrat, pas comme les éventreurs de Partila et leur chef nordique Eodar, contre lequel il mit en garde Mordin et ses amis. Il ne parla pas au nain de la hache de bataille naine qui trônait chez les éventreurs, eu égard à son interlocuteur qu'il devinait prompt à réagir.

Nain, Dunéen et Eriadorien apprirent donc de nombreuses choses sur le marché aux esclaves, même si l'homme ne pouvait les recommander et encore moins les y faire entrer. Ils apprirent encore diverses choses sur la ville, et apprécièrent la franchise de l'homme et son sens de l'honneur perceptible. Ils finirent par quitter la taverne, satisfaits de ce qu'ils avaient appris, après avoir remercié Rult et ses amis. Certainement ils ne manqueraient pas de faire appel à sa compagnie, les Hommes Libres de Rult, si l'occasion se présentait.

Tout en gardant cette possibilité à l'esprit, ils se dirigèrent vers l'écurie où ils avaient laissé leurs chevaux. Dans le quartier des prostituées, ils passèrent devant la boutique de Wartik l'herboriste, et le seul de la ville, d'après ce qu'on leur avait dit. A l'aller, en pensant à Dirhavel qui était un contact de Gandalf à Tharbad, Geralt avait réveillé l'homme gros et chauve qui tenait la boutique, prétextant une urgence. Ce qui n'avait pas ému l'homme, qui avait refermé le volet avec colère en disant de repasser le lendemain quand sa boutique serait ouverte. Simple façade, ou les magiciens avaient-ils un autre contact dans la ville, voire pas du tout ? Tout en pensant à cela, les trois amis prirent leurs montures et quittèrent la ville pour rejoindre le point de rendez-vous, quelque part en haut de la falaise.

5 - Observations
Pendant ce temps, le reste du groupe n'était pas resté inactif. Privée de Drilun, Isilmë avait dû se résigner à prendre les rênes d'un cheval, tandis que Rob était en croupe sur le cheval de Taurgil, et que Vif suivait sous sa forme animale. Les quatre amis avaient donc repris la route d'Araw plus à l'ouest jusqu'au passage qui permettait de monter en haut de la falaise qui se trouvait devant eux, et qui n'était que l'extrémité d'un vaste plateau. Puis ils avaient quitté la route pour longer le bord de la falaise, jusqu'à se retrouver au-dessus de la ville des voleurs, Forpays. Ils trouvèrent le petit bosquet qu'ils avaient repéré depuis la ville et descendirent de cheval. Le ciel nocturne était relativement dégagé, avec quelques nuages çà et là, mais la lune était loin d'être pleine. Il ne restait plus qu'à observer et voir venir...

Tandis que le hobbit, le Dúnadan et l'elfe scrutaient les environs, en particulier en direction de l'ouest, le félin qu'était la Femme des Bois décida de faire le tour de la falaise pour essayer de repérer d'éventuels sentiers par où les orcs et leurs prisonniers étaient susceptibles de passer. La ville formait comme un triangle inséré dans la falaise, triangle lui-même occupé par divers pitons rocheux de hauteur similaire à celle de la falaise, restes massifs du décrochage entre les deux niveaux du plancher des vaches. Elle longea tout le bord ouest du triangle sans repérer aucune voie : hormis avec des cordes, il paraissait impensable de descendre par la falaise. Et encore fallait-il avoir des cordes assez longues, et des gens assez endurants pour les utiliser tout du long sans lâcher. Elle voyait mal des orcs ou des prisonniers nordiques - affaiblis, de surcroît - passer par là.

Plus au nord, elle vit une bande de gros loups en maraude. Elle s'apprêta à longer le bord est de la falaise quand des mouvements imperceptibles lui firent lever la tête : elle contempla avec étonnement une petite nuée de chauves-souris qui volaient au-dessus d'elle. En cette saison ? C'était la fin de l'hiver, et les bestioles étaient censées hiberner et non être actives. Elles semblaient chercher quelque chose ou quelqu'un... Vif décida alors de se comporter comme un gros félin avec son intelligence tout animale, tout en longeant la falaise comme elle le souhaitait et en surveillant les bestioles.

Lesquelles bestioles la suivirent un moment, avant de se séparer en deux groupes. L'un d'eux fila vers le sud, en direction d'un château planté en haut d'un gros piton rocheux au-dessus de la ville : le fameux château du mage décédé dont le spectre tourmentait encore les habitants... L'autre groupe de chauves-souris se dirigea vers le sud-ouest, plus ou moins en direction du bosquet où ses amis patientaient. Tout cela faisait furieusement penser à un tour de sorcier qui aurait usé de magie pour demander aux chauves-souris de surveiller les environs, en attente d'orcs... ou d'intrus. A présent, il semblait fort probable qu'ils avaient été repérés.

Comme pour confirmer ses dires, elle vit peu après une bande d'une vingtaine de cavaliers sortir du château et emprunter le pont qui permettait de rejoindre le plateau au-dessus de la ville. Le groupe fila vers le nord sans la voir, et elle le suivit discrètement à une distance respectable. Presque tous les cavaliers étaient des guerriers armés de lances et équipés de cotte de mailles, entre autres équipements, et leur accoutrement faisait penser à des orientaux. Deux d'entre eux sortaient du lot. L'un semblait vêtu de cuir et l'autre ne paraissait pas porter d'armure sous ses vêtements normaux, et tous deux n'avaient pas l'air d'orientaux. Le groupe finit par s'orienter plein ouest, en direction de lointaines frondaisons, laissant derrière eux les aventuriers. Les loups précédemment repérés les accompagnèrent, et Vif vit même un autre groupe de canidés les rejoindre. Mais elle les laissa filer au loin pour aller rejoindre ses trois compagnons.

6 - Échanges et cavalcades
Grâce à la magie de Taurgil qui lui permettait de parler avec elle sous sa forme animale, la Femme des Bois apprit au Dúnadan, à l'elfe et au hobbit qu'ils avaient été repérés par un probable sorcier et des chauves-souris appelées par magie ; mais également que la bande de cavaliers qu'ils venaient de voir passer était sans doute partie à la rencontre des orcs, et qu'elle venait du château au-dessus de la ville. Il fallait vite les suivre, sachant que ce semblaient être de bons cavaliers - ils n'avaient aucun mal à chevaucher de nuit au galop. Par ailleurs, du peu qu'ils savaient des orientaux, les cottes de mailles ne collaient pas trop avec l'idée qu'ils se faisaient d'une cavalerie légère. Autrement dit, c'était certainement une troupe d'élite. Par ailleurs, il était presque certain qu'un sorcier les accompagnait.

Les compagnons de Vif se remirent en selle, et, estimant qu'un combat était fort possible dans un avenir proche, ils sortirent des noix de l'écureuil de leurs sacs afin de les avoir à disposition. Drilun, Geralt et Mordin étaient trop loin et il n'y avait pas le temps d'aller les chercher. A quatre contre une vingtaine, la rapidité et l'adresse que conféraient ces incroyables noix ne seraient pas de trop. Isilmë avait également enfilé l'armure de cuir très fin et très solide récupéré sur le corps de Thuiric en Forêt Sombre, même s'il était un poil petit pour elle ; heureusement elle était aussi plus fine que l'ancien ami de Vif passé aux forces du Nécromancien. Rob, lui, n'avait toujours aucune armure.

La Femme des Bois guida ses compagnons vers le groupe de cavaliers. D'une part car elle les percevait sans mal malgré la distance déjà importante, d'autre part pour vérifier que le terrain ne comportait aucune traîtrise comme une fosse voire un gouffre difficile à repérer dans la nuit... sauf pour elle. Même si Rob et Taurgil avaient pris la précaution de prendre du trèfle de lune dans les yeux, qui leur permettait de voir dans le noir aussi bien qu'Isilmë, ses perceptions à elle restaient les meilleures. Ils progressèrent donc peut-être quelques miles sans mauvaise surprise, jusqu'à ce que Vif fasse signe d'arrêter. Au loin, elle avait perçu que les cavaliers arrivaient à la rencontre d'un autre groupe qui venait de l'ouest : les orcs et leurs prisonniers.

Les deux chevaux furent arrêtés tandis que la lionne progressait encore un peu. Elle vit le groupe qu'ils suivaient s'arrêter face aux orcs, et l'homme sans armure leur lancer une grosse bourse. Au bruit elle contenait des pièces, probablement de l'or. Elle entendait distinctement les orcs satisfaits et les prisonniers terrifiés. Des ordres leur furent donnés dans une langue nordique, sans doute l'eothrik. Les femmes et les enfants montèrent les chevaux capturés par les orcs, et tout le groupe se mit à galoper vers le nord-est. Vif comprit que les loups avaient senti leur odeur, d'autant qu'une petite brise soufflait de l'est et apportait leurs effluves aux molosses. Les orientaux et leurs prisonniers cherchaient donc sans doute à les contourner en passant plus au nord, afin de rejoindre le château. Elle rejoignit vite ses amis.

La confrontation devenant inévitable, les noix furent mangées par les quatre aventuriers. Cela leur laissait plusieurs heures de rapidité époustouflante avant que le contrecoup et la fatigue générale ne se fassent sentir. Plus que suffisant pour ce qui les attendait. Ils se mirent à galoper à leur tour, en direction de l'est, bloquant les cavaliers plus au nord sur leur route du château. Peut-être les orientaux auraient-ils pu aller plus vite, mais leurs prisonniers et leurs chevaux affaiblis leur auraient sûrement posé des difficultés. Petit à petit, les deux groupes se rapprochèrent, Vif et ses amis s'interposant toujours sur le chemin qui menait à Forpays.

Alors qu'ils n'étaient plus qu'à une ou deux portées de flèche les uns des autres, le groupe de prisonniers nordiques et geôliers orientaux éclata brusquement sur un ordre donné. Les prisonniers et leurs chevaux, auparavant entièrement entourés par les autres cavaliers, furent laissés à eux-mêmes et ralentirent un peu. Enfin, pas tout à fait à eux-mêmes : l'homme sans armure et possible sorcier restait à leur niveau. Tous les autres pressèrent leurs montures tout en poussant des cris de guerre et ils foncèrent droit sur les aventuriers, accompagnés par les gros loups qui les avaient suivis jusque-là - il y en avait neuf. Cela faisait au total vingt orientaux, plus un homme mystérieux non oriental vêtu de cuir et armé d'un arc long, et neuf wargs. Ils étaient quatre contre trente.

7 - Lances, flèches, épées, crocs et griffes
Taurgil et Isilmë ralentirent tous deux leur cheval, et les trois cavaliers se laissèrent tomber de leur monture près de quelques arbres. Leur adresse était tellement stimulée par la drogue de la noix de l'écureuil qu'ils ne se firent aucun mal et ils se retrouvèrent debout en un clin d'œil. Rob s'empressa de courir à un arbre et y grimper, tandis que l'elfe prenait son arc et une flèche. Bientôt un premier adversaire qui s'approchait fut sérieusement blessé. L'homme en cuir, qui commençait à contourner le groupe, fut atteint à son tour, même s'il resta en selle, et elle rangea son arc pour prendre son épée. Quant à Taurgil, il se tenait devant elle, prêt à assumer l'essentiel du choc avec les orientaux, qui pour moitié avaient pris leurs lances, et pour l'autre moitié avaient pris des arcs. Ils semblaient voir dans le noir aussi bien qu'eux tous. Les aventuriers n'avaient pas le monopole du trèfle de lune...

Mais le choc fut légèrement retardé, permettant d'ailleurs à Rob de s'installer confortablement à six mètres de haut et de prendre son arc. En effet, Vif avait poussé un rugissement avant de passer sous le nez des cavaliers et des loups, courant à toute allure en direction des prisonniers. Les orientaux avaient eu bien du mal à maîtriser leurs chevaux affolés. Une fois cela fait, et voyant que les wargs étaient tous partis à la poursuite du gros félin, ils s'étaient concentrés sur Taurgil et Isilmë, sauf pour quelques-uns qui avaient lancé des flèches en direction de Vif, mais sans effet. Les lanciers chargèrent, les autres archers tirèrent, et l'homme en cuir, blessé, continua à contourner la scène du combat.

De son côté, Vif voyait avec plaisir le probable sorcier mordre la poussière devant la réaction affolée de son cheval. La moitié des prisonniers étaient aussi par terre, tandis que les autres s'accrochaient aux chevaux qui s'enfuyaient à toute allure. Un dernier bond, et celui qu'elle estimait être un serviteur du Nécromancien ne fut plus qu'un sac de viande et d'os déchiré et sans vie. Puis elle se retourna en un clin d'œil, rapide comme jamais. Les deux premiers wargs qui arrivèrent connurent un sort similaire, mais elle se retrouva ensuite encerclée par sept de ces bêtes.

Plus loin, le Dúnadan remerciait en pensée l'ancien roi nordique auquel il avait emprunté sa fantastique armure de mithril. Grâce à elle il reçut surtout des égratignures qu'il oublia vite, tandis qu'il faisait mordre la poussière à certains de ses adversaires, aidé en cela par la guerrière elfe. Rob hésita à tirer sur l'homme en cuir, mais il préféra se détourner de lui pour mieux aider ses camarades, d'autant qu'il paraissait mal en point. Et les choses se compliquaient pour Isilmë et Taurgil, tandis que les cavaliers passaient et revenaient de tous les côtés, y compris dans leur dos. Le rôdeur dúnadan écopait de sa première vraie blessure, heureusement légère, et l'elfe devait son salut loin des flèches à de beaux plongeons. Tous deux reculaient, même si les rangs des ennemis s'éclaircissaient vite.

Des cavaliers commençaient à s'intéresser au hobbit dont les flèches faisaient un peu trop de dégâts. Mais alors qu'il mettait un lancier sur la défensive avec une flèche qui le frappa dans son casque, tandis qu'un archer approchait, il sentit brusquement une flèche lui percer les entrailles. L'homme en cuir, bien que sans doute mortellement blessé, était descendu de cheval et avait tiré une flèche dans sa direction, et manifestement ses talents d'archer étaient redoutables. Sous la douleur, la vue du hobbit se brouilla un moment et il lutta pour s'accrocher à sa branche - avec succès. Il vit alors que l'archer oriental s'apprêtait à lui tirer dessus, mais il décocha une flèche le premier, blessant l'homme qui ne put l'attaquer. Néanmoins, ce nouvel effort fut de trop : Rob perdit connaissance et chuta de son arbre sur le sol, où il resta immobile.

8 - Fin du combat
Le Dúnadan et l'elfe, de leur côté, n'avaient pas conscience de ce qui s'était passé, tellement ils avaient à faire avec leur propre survie. Le rôdeur écopa d'une nouvelle blessure, là encore légère, malgré son haubert de mithril, et peu après la guerrière reçut une flèche dans le dos. La blessure était heureusement sans gravité, grâce à son armure entre autres, mais il restait encore une dizaine d'ennemis valides à cheval. D'autres orientaux étaient blessés, à terre ou à cheval, et d'autres encore étaient par terre et ne bougeaient plus, sans doute morts ou mourants.

Taurgil fut à nouveau blessé légèrement, mais sa surprise fut grande quand il s'aperçut qu'il ne s'agissait pas d'une lance mais d'une flèche tirée par l'homme en cuir, toujours blessé mais debout. Comment une simple flèche avait-elle pu le toucher malgré la protection de son armure ? La suite lui montrerait que la flèche n'était pas si simple que ça, mais il n'avait pas le loisir de l'examiner sur le moment. L'issue de la bataille restait incertaine : si les pertes avaient été beaucoup plus lourdes du côté de l'ennemi, les blessures qui s'accumulaient pouvaient rééquilibrer les forces en leur défaveur. Et les flèches du hobbit semblaient moins efficaces tout d'un coup...

Mais un rugissement soudain jeta le trouble parmi les cavaliers, qui eurent encore fort à faire pour ne pas être désarçonnés et empêcher leurs montures de fuir. Et encore n'y arrivèrent-ils que parce qu'ils étaient d'excellents monteurs. Ce qui ne les protégeait nullement contre la forme fauve qui arrivait à grands bonds. Vif avait en effet réussi à se débarrasser de tous les wargs qui l'assaillaient, n'écopant au passage que de petites morsures sans gravité, si rapide était-elle et si puissante était sa forme magique. Elle faucha deux orientaux dans sa course tandis que le Dúnadan courait jusqu'à l'homme en cuir et l'abattait d'un coup d'épée. La lionne finit son trajet par un bond sur l'homme en cuir, encore vivant mais évanoui, qu'elle désarma. Les autres orientaux comprirent que le nouvel équilibre n'était pas en leur faveur, et ils s'enfuirent en toute hâte en direction du château.

Isilmë regarda autour d'elle, se demandant où ses soins seraient les plus demandés. Sa blessure pouvait attendre, et son ami dúnadan était costaud et endurant, rien d'urgent non plus. La fourrure de la lionne montrait des traces de morsure, mais la Femme des Bois n'avait pas l'air particulièrement blessée. Plus loin, des ex-prisonniers tombés de cheval avaient peut-être besoin de soins, mais alors l'elfe vit le corps du hobbit au sol, d'où saillait encore, bien visible, une tige de flèche et son empennage. Elle se précipita vers lui et constata qu'il était encore vivant, mais très faible. A l'aide de sa trousse de soins et de sa magie, elle s'attaqua à arrêter le saignement après avoir retiré la flèche plantée dans son corps.

Plus au sud, Drilun, Geralt et Mordin étaient arrivés au point de rendez-vous sans trouver personne. L'assassin voyait en revanche les traces de ses amis qui partaient vers le nord-ouest, où il souhaitait aller. Mais un sort de l'archer-magicien leur apprit que de nombreuses personnes se trouvaient plus au nord, ainsi que des chevaux... et un quadrupède à la démarche souple et légère qui venait dans leur direction. Autrement dit, il s'était sûrement passé des choses et Vif avait dû les repérer et venait à leur rencontre. Les trois amis se mirent en selle et s'élancèrent en direction de la lionne, qui les amena sur la scène du combat où ils purent être mis au courant de ce qui s'était passé.

9 - Bilan mitigé
Après avoir convenablement traité la blessure de Rob, l'elfe se garda de faire un pronostic sur ses chances de survie : il était extrêmement faible, et le contrecoup de la noix de l'écureuil, d'ici quelques heures, n'allait pas arranger les choses. En l'état, selon elle, il était intransportable. Au mieux était-il envisageable de le transporter avec ménagement jusqu'à la ville, dans un brancard, où il lui faudrait des semaines voire des mois pour récupérer, à l'aide de sa magie, de plantes et de soins constants. Si même il s'en remettait. L'aventure se terminait là pour lui, pour un bon moment du moins, et peut-être pour elle également : il était trop faible pour s'en tirer seul, sans sa magie, et elle devait donc choisir entre lui et le reste de l'équipe.

Côté ex-prisonniers, les choses ne furent pas simples dans l'immédiat : ils étaient effrayés et n'avaient que mal perçu tout ce qui s'était passé dans la nuit. Isilmë soigna quelques-uns d'entre eux qui s'étaient fait mal en tombant de cheval et contribua à les rassurer. Mais il fallut aller chercher les autres nordiques qui étaient restés à cheval, et restaient méfiants, en particulier devant les propos fatigués voire acerbes du Dúnadan qui ressentait ses blessures, la fatigue et la méfiance des ex-prisonniers. Il n'était pas vraiment d'humeur à user de paroles réconfortantes, et il se fâcha un peu lorsque ses interlocuteurs - en fait surtout des interlocutrices, car il n'y avait que des femmes et des enfants - ne voulurent pas lui dire si la petite-fille de Paidacer était parmi eux.

Là encore, l'elfe sut trouver des paroles apaisantes qui permirent de gagner la confiance des femmes et des enfants, en plus de ses soins. Et donc oui, la petite-fille du chef des Widureiks était bien là, et en bonne santé. De l'eau et de la nourriture leur furent fournies, car les orcs ne leur avaient pas donné grand-chose. Isilmë remarqua aussi qu'ils avaient froid, ce qui était bien normal pour une nuit d'hiver sans équipement approprié, même s'il ne gelait pas. Il fallait leur trouver un abri avant de les ramener chez eux. A ce sujet, Geralt parla d'embaucher les Hommes Libres de Rult dont il avait fait la connaissance en ville. Contre un peu d'or, ces mercenaires sauraient sûrement amener tout ce monde à bon port, ce qui leur ferait gagner du temps...

Il fallut récupérer aussi les propres chevaux montés par Taurgil et Isilmë, qui s'étaient enfuis au loin. L'un d'eux fut appelé par le rôdeur, grâce à la magie de la nature que les elfes lui avaient apprise. Quant à l'autre, il fallut aller le chercher, ce dont s'occupèrent la Femme des Bois et le Dúnadan. Les corps des ennemis tombés furent fouillés, et l'homme en cuir, qui respirait encore, fut soigné et maintenu en vie. Les orientaux ressemblaient bien à des Sagaths selon Mordin, mais c'était bien la première fois qu'il en voyait en cotte de mailles. De manière générale, tout leur équipement semblait de très bonne facture, et encore plus pour l'homme en cuir qui était un sang-mêlé susceptible de venir d'un peu partout. En particulier, il possédait dans son carquois une flèche particulière couverte de symboles bizarres comme ceux que Drilun dessinait sur divers équipements pour leur conférer de la magie... Une autre flèche similaire avait servi contre Rob, mais aussi contre Taurgil.

Également, toutes les armes étaient empoisonnées, et des fioles de poison furent trouvées sur l'homme en cuir. Heureusement, les blessures de l'elfe et du Dúnadan avaient été trop légères et ils avaient résisté au poison. Cela semblait aussi avoir été le cas de Rob, qui avait peut-être juste eu de la chance... Les aventuriers trouvèrent aussi sur l'archer en cuir un pot rempli d'un onguent qui fut bientôt identifié : c'était sûrement du baume des orcs, qui avait d'étonnants pouvoirs de cicatrisation, même s'il entraînait une grande douleur. L'elfe en utilisa sur le hobbit, en espérant que les côtés positifs l'emporteraient sur les négatifs. En tout cas, il faudrait plus que ça pour le remettre sur pied.
Modifié en dernier par Niemal le 24 août 2015, 19:50, modifié 20 fois.
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Horselords - 11e partie : espionnage

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1 - Repos et soins
Les ex-prisonniers des orcs grelottaient et étaient épuisés, et Rob avait besoin de soins dans un cadre le plus confortable possible. Il était donc hors de question de faire un vulgaire campement sur une plaine battue par les vents. Si encore cela avait été la forêt... Rob ne pouvait être transporté selon Isilmë, et pourtant il faudrait bien l'amener en ville. Il fallait donc fabriquer un brancard que deux personnes porteraient avec le plus de délicatesse possible. Deux personnes adroites et relativement en forme, ce qui éliminait les personnes trop blessées, épuisées, flemmardes... ou dénuées de bras. En fin de compte, ce seraient Drilun et Isilmë. Le premier était agile et n'avait pas combattu, la seconde avait subi peu de blessures et elle bénéficiait encore des effets de la noix de l'écureuil qu'elle avait ingérée.

Vif partit chercher des branches qui pourraient servir pour le brancard, tandis que des tissus furent récupérés sur les ennemis tombés, après avoir mis fin aux souffrances des mourants. Cela permit de faire un moelleux cocon dans lequel le hobbit fut installé avec soin. Toute la troupe se mit ensuite en marche vers le sud, et la route qui permettait de passer en bas de la falaise fut bientôt retrouvée. La lionne magique avançait un peu en avant, afin d'examiner les environs et la présence d'éventuels ennemis, et de ne pas trop effaroucher les chevaux utilisés par les nordiques, Geralt, Mordin et Taurgil. L'allure était lente afin de ne pas secouer le blessé, ce qui laissa une bonne heure pour discuter de leur destination : Forpays, Buhr Waldlaes dans la langue nordique, d'accord, mais où ?

Geralt proposa les Sables d'Harad, mais on lui fit remarquer que c'était une taverne pour boire et se retrouver en société, pas une auberge avec des chambres pour voyageurs. La ville comportait plusieurs de ces dernières, mais la meilleure et plus tranquille était sans nul doute, selon Mordin, l'auberge un peu à l'écart de la ville qui s'appelait la Taverne du Cheval en Colère. Elle comportait d'ailleurs sa propre écurie et c'était la plus grande de Forpays, à ce qu'on lui avait dit. Par contre, c'était aussi la plus chère, ce qui fit grincer un peu les dents du nain qui pensa aux vingt chevaux et vingt-deux personnes qu'ils étaient. Mais il se promit de bien faire baisser les prix : l'aubergiste allait voir ce qu'il allait voir...

Le gîte était une chose, mais les ennuis possibles en étaient une autre. Que faire suite au combat qu'ils avaient menés face aux orientaux, sachant qu'une bonne part de ces derniers étaient rentrés au château au-dessus de la ville ? Ne fallait-il pas y faire un tour et essayer de se débarrasser une bonne fois pour toutes des possibles ennemis qui sinon risquaient de s'inviter au plus mauvais moment ? Ce à quoi certains répondirent qu'ils étaient tous fatigués, parfois blessés, que les effets de la noix de l'écureuil que certains avaient pris allaient s'estomper voire les affaiblir, et qu'ils ne savaient pas sur quoi ils allaient tomber. A tout le moins, il y aurait des bons guerriers et sans doute un voire des sorciers. Bref, il fallait que tout le monde soit reposé et soigné avant d'envisager la suite.

Le sud de la ville fut longé pour arriver enfin à l'auberge, à l'extrémité sud-est de la ville des voleurs. Elle était fermée, mais un peu de bruit et une pièce d'argent approchée de la lanterne de Geralt convainquirent l'aubergiste, Burhgavia, qu'il pouvait descendre ouvrir à ces voyageurs tardifs. Les chevaux furent menés à l'écurie et de la nourriture fut apportée aux nordiques qui avaient encore bien faim, tandis qu'un feu était rallumé. Taurgil demanda à faire chauffer de l'eau pour faire une infusion d'athelas, dont la fragrance apaisa les esprits. Puis le Dúnadan utilisa cette herbe de soin avec ses mains issues d'une lignée royale afin de traiter le maximum de blessures possibles. Les plus légères furent vite oubliées, mais l'état de Rob était tel qu'il était difficile de dire si la magie de l'héritier des rois du Rhudaur avait eu beaucoup d'effet sur lui.

Tous furent répartis dans des chambres et s'endormirent vite, sauf Mordin qui monta la garde le temps qu'Isilmë se repose quelques heures et le remplace. Sans parler du félin qui ne dormait que d'un œil sur le toit de l'auberge, à l'insu de ses propriétaires. L'arrivée du jour le vit s'éclipser discrètement jusqu'à une cachette au pied de la falaise, non loin. Après avoir également chassé et laissé une partie de cette chasse devant la porte de l'auberge. Burhgavia fut étonné de recevoir des cuissots de chevreuil d'un chasseur fantôme qui ne se faisait pas connaître, et qui découpait sa viande d'une bien curieuse manière... Néanmoins, les pièces de viande furent utilisées et les occupants de l'auberge ne s'en portèrent pas plus mal.

2 - Retour au pays
La journée se passa tranquillement à l'auberge, tous éprouvant le besoin de se reposer. L'état de Rob restait stable, même si les effets négatifs de l'ingestion de la noix de l'écureuil le rendaient plus fragile. Mais ils avaient sans doute été compensés par les magies des soins dont l'elfe et le Dúnadan lui avaient fait bénéficier. Ce fut aussi l'occasion pour tous de se nettoyer, ce dont certains avaient bien besoin ! Il fallut également aller acheter des vêtements divers dans une friperie afin de mieux habiller les nordiques en grande partie déguenillés suite à leur captivité et leur voyage en forêt. Sans parler de tentes et de nourriture pour le prochain voyage, prévu pour le lendemain. C'est Mordin qui râlait le plus à ces occasions, et pourtant il s'y entendait à faire baisser les prix : ses talents de négociant et son opiniâtreté firent renoncer plus d'un marchand à mieux qu'un profit dérisoire...

Les sens des aventuriers restaient bien aux aguets, tant ils redoutaient une mauvaise surprise venue du château au-dessus de la ville. D'autant que l'arrivée de tous ces étrangers avait fini par se savoir en ville et avait attiré bien du monde, le soir, dans la salle principale de l'auberge, qui faisait aussi taverne. Malgré la présence de quelques voleurs et mendiants, tout s'était bien passé, mais il était évident que leur présence n'était plus un secret pour personne en ville. Et s'ils partaient le lendemain, ni Rob ni Isilmë ne seraient du voyage. Que fallait-il faire pour leur garantir un minimum de sécurité ? D'autant que l'observation des étoiles, lors de la deuxième nuit, sembla annoncer au Dunéen magicien que leurs deux amis seraient le sujet d'une attention toute particulière d'individus que tous préféraient ne pas connaître...

Après débat, l'idée qui émergea fut de cacher le hobbit et l'elfe dans l'auberge. Au grand dam du nain, la suite royale - pratiquement jamais utilisée - fut réservée pour une dizaine de jours et le blessé et son infirmière y furent transférés. Les volets resteraient clos, comme pour toutes les chambres qui ne servaient pas. Quant aux propriétaires, leur silence fut acheté à prix d'or - qui venait de la bourse du hobbit - et par la promesse de davantage d'or au retour. Par ailleurs, lorsque la troupe se mit en route, une femme nordique fut grimée en Isilmë et un enfant, le plus petit, joua le rôle de Rob. Aux yeux de toute la ville, tous les aventuriers et nordiques quittèrent l'auberge ce matin-là.

Le voyage devait durer quatre jours au plus, car la bourgade où demeurait Paidacer, chef des Widureiks, était distante de 150 miles environ (~240 km). Mais tout le monde savait bien chevaucher, aussi le trot fut-il adopté, ce qui permit de couvrir la distance en deux jours seulement. Vif précédait ou suivait à une certaine distance, afin de ne pas perturber les chevaux que sa présence et son odeur rendaient nerveux. Le temps restait frais et sec, et le voyage se déroula sans incident. Des marchands furent croisés, mais aussi des patrouilles nordiques qui reconnurent les leurs et accompagnèrent la troupe, tandis que certains partaient annoncer la nouvelle au galop. Ils informèrent également les aventuriers que les familles qu'ils avaient libérées des orcs quelques jours auparavant étaient bien toutes arrivées saines et sauves.

Au deuxième jour, les aventuriers virent partir la majeure partie des ex-prisonniers qu'ils avaient délivrés des orcs, au fur et à mesure que leurs tribus ou familles venaient à leur rencontre. Bientôt ils étaient attendus sur leur passage et les cris de joie et les remerciements leur réchauffèrent le cœur. Quand ils arrivèrent près de Romenost, où se trouvaient les longères où Paidacer avait ses quartiers d'hiver, le chef des Widureiks vint à leur rencontre et fut transporté de joie en revoyant sa petite-fille. Paidacer organisa une fête le soir même, fête à laquelle furent bien évidemment conviés Taurgil et ses amis. Certains s'étonnèrent de ne pas voir l'elfe, le hobbit et la Femme des Bois, ce à quoi il fut répondu qu'ils étaient restés à la ville des voleurs en raison de blessures reçues. La présence du félin qu'était Vif amena d'autres questions, et il fut présenté comme un serviteur ou allié de l'elfe, bien que cela ne répondît pas à toutes les questions des nordiques...

Au cours de la fête, les aventuriers furent chaleureusement remerciés, et il leur fut annoncé que cinquante chevaux leur seraient réservés sans avoir aucunement besoin de payer. Le chef des Widureiks leur garantit tout le soutien qu'il pouvait leur apporter, et leur dit de ne pas hésiter à lui demander toute faveur qu'il serait heureux de leur accorder si cela était en son pouvoir. Il fut alors question de recruter des hommes pour gérer et prendre soin du troupeau de chevaux jusqu'en Arthedain. Paidacer accepta la demande et dit qu'il allait voir s'il pouvait se priver de quelques-uns des siens pour cette tâche. Leur nombre dépendrait surtout de l'évolution des troubles avec les orcs ou les orientaux. Il fut d'ailleurs mis en garde pour les premiers, car tous n'étaient pas morts, comme la troupe de guerre qui avait amené les prisonniers à Buhr Waldlaes, la ville des voleurs.

3 - Assaut envisagé
En pensant à Rob et Isilmë, les aventuriers ne restèrent pas plus que le minimum. Ils furent repartis le lendemain, et galopèrent toute la journée jusqu'en début de nuit pour arriver enfin à la ville des voleurs. L'auberge était telle qu'ils l'avaient laissée et leurs amis étaient bien là, dans la suite royale de l'établissement, sans avoir été aucunement inquiétés. Cela n'avait pas empêché certaines personnes de venir fureter, mais il semblait que les précautions qui avaient été prises pour faire croire que tous avaient quitté les lieux avaient été payantes. Ils eurent la bonne surprise de trouver que leur petit ami avait repris conscience grâce aux bons soins magiques (entre autres) de son infirmière elfe. Mais il était trop faible pour faire grand-chose d'autre que manger un peu et dormir.

Quelle suite donner à tout cela ? Leur mission restait d'aller voir Atagavia à Buhr Widu, qui n'était plus très loin. Mais pouvait-on laisser là deux des leurs plusieurs jours ou plusieurs semaines, temps qu'il fallait sans doute pour que Rob guérisse ? Ne fallait-il pas au préalable régler le problème des habitants du château qui étaient de mèche avec orcs et orientaux, et qui comportaient des sorciers probablement alliés au Nécromancien ? Les avis étaient partagés, certains pensant qu'ils risquaient de s'attaquer à trop gros morceau. Ils n'étaient guère que cinq à pouvoir aller combattre s'ils ne voulaient pas laisser Rob sans surveillance, comme son état le réclamait. Et ils parlaient de s'attaquer à un château et à des ennemis dont ils ne connaissaient presque rien, si ce n'était que certains maîtrisaient la magie noire et que les guerriers orientaux étaient très compétents et bien équipés...

Par ailleurs, lorsque Drilun avait étudié les runes sur les flèches trouvées ou lancées par l'homme en cuir qui accompagnait les orientaux, il avait pu déterminer la nature de la magie, qui n'occupait plus qu'une seule flèche - celle qui n'avait pas servi : cette magie accroissait les blessures des seuls humains, guidant la flèche vers les zones vitales de toute cible humaine. Fort heureusement pour Rob, qui avait reçu une telle flèche, il n'était pas humain, sinon il aurait été mort à présent. En revanche, le Dúnadan comprenait mieux comment cette flèche avait pu le blesser malgré son haubert de mailles de mithril. Mais au-delà de ça, le Dunéen, grâce à sa magie, avait pu avoir une vision de la personne ayant tracé les runes. Le visage qui lui était apparu, aux cheveux d'argent, lui semblait celui d'un elfe. Après l'avoir dessiné et montré à Isilmë, cette dernière ne le reconnut pas, mais elle ajouta qu'elle était pratiquement sûre qu'il s'agissait d'un Noldo. En pensant à Sîralassë, les aventuriers se souvinrent que les Noldor étaient rares et c'étaient souvent de grands guerriers, magiciens ou forgerons, pour la plupart nés il y avait bien des milliers d'années... Cette personne se trouvait-elle dans le château au-dessus de leurs têtes ?

Tous convinrent qu'avant de décider de lancer l'attaque, il pouvait être intéressant de trouver des alliés. Il fut convenu d'aller voir les Hommes Libres de Rult, cette bande de mercenaires dont certains avaient rencontré le chef, qu'ils avaient apprécié. Mordin, Drilun, Geralt et Taurgil décidèrent alors d'aller le lendemain dans le quartier des mercenaires. Isilmë resterait auprès de Rob, tandis que Vif, toujours sous sa forme animale, n'était pas très loin en cas de pépin. Une fois les quatre amis en ville, ils en profitèrent pour aller voir Wartik, l'herboriste. Ils l'avaient déjà réveillé une nuit, sans grand succès. Et le petit homme gros et chauve qui les accueillit se souvint aussi de cette nuit-là et de Geralt qui l'avait réveillé...

Le nain fut un peu frustré par l'herboriste : ce dernier refusait de négocier ses marchandises, ses prix étaient à prendre ou à laisser. Il pouvait d'autant plus se le permettre qu'il était en position de monopole. De plus, il devint vite apparent que l'homme avait dans le clan des voleurs un client de poids, sans doute son principal. En effet, il avait surtout des herbes et préparations qui convenaient à un tel métier : marchand de sable pour endormir et trèfle de lune pour bien voir dans l'obscurité. Mais pas de cataplasme antipoison comme Dirhavel savait faire, ou de don-de-vipère pour des guérisons miraculeuses. Il avait tout de même une pommade contre les poisons de faible virulence, qui fut achetée avec le somnifère et le liquide pour voir dans la nuit.

4 - Évaluation
Le quartier des mercenaires, appelé aussi quartier des Sans-Attache, ne fut pas dur à trouver à l'aide de quelques indications données par des passants. Par ailleurs, un espace dégagé près de la rivière qui passait par là offrait une espèce d'arène ou de terrain d'entraînement pour de nombreux guerriers que l'on pouvait entendre de loin. De nombreuses personnes combattaient là, en général en groupes distincts réunis près d'une bannière proche. Une série de bâtiments adjacents servaient de quartier général à ces bandes de mercenaires. Les quatre amis se tinrent là un moment, observant ces guerriers avec le regard critique d'hommes d'expérience. D'autant qu'avec la guerre contre Ardagor, que seul Mordin n'avait pas connue, ils avaient eu leur content de troupes à gérer et à apprécier.

Geralt en particulier, en tant que chef des assassins et de la Main Écarlate, avait des références pour juger de la qualité d'un combattant. Il compara donc les guerriers qui s'entraînaient avec ses propres assassins. Le niveau était globalement comparable, même si les compétences n'étaient pas toutes les mêmes. Néanmoins, le groupe des Hommes Libres de Rult se distinguait des autres, ses membres semblaient plus compétents et bien à même d'inquiéter ses assassins. De plus, l'esprit de groupe n'était pas le même partout. Les Éventreurs de Partila, dont Rult leur avait parlé, furent vite repérés et catalogués : des brutes agressives et individualistes. Alors que les Hommes Libres avaient une organisation et des techniques de groupe qui les mettaient à part.

C'est donc vers eux qu'ils se dirigèrent. Rult les salua - il avait reconnu les trois d'entre eux qu'il avait déjà vus - et se montra impressionné par l'équipement de Taurgil. Sa cotte de mailles, en particulier, était faite d'un métal argenté qu'il ne connaissait pas... autrement que, peut-être, en légende. Les aventuriers discutèrent un peu avec lui et parlèrent d'un contrat possible avec ses hommes, quelque chose de particulier... et dangereux. Mais avant d'en discuter plus en détail, ils tenaient à tester ses hommes de diverses manières afin d'éprouver leur qualité. Rult le comprit et les invita à les mettre à l'épreuve. Quel genre de combat souhaitaient-ils simuler ?

C'est Taurgil qui ouvrit le bal. Il fit face à trois guerriers dont l'objectif était juste de rester face à lui et passer sa défense ou son armure. Lui ne ferait que parer avec son épée sur deux d'entre eux, le troisième ayant seulement le bouclier à passer. Les consignes données étaient de ne pas se retenir... Les hommes furent un peu surpris et hésitants au départ, mais ils comprirent vite qu'ils avaient peu de chance d'arriver à quelque chose sans donner le maximum. Après une ou deux minutes de combat, aucun n'avait réussi à toucher le Dúnadan qui leur faisait face, et seul celui côté bouclier avait été près de le faire en quelques occasions.

Geralt fut le deuxième à tester les hommes de Rult. Face à deux d'entre eux, la consigne donnée fut juste de rester sur la défensive et d'essayer de ne pas perdre leur arme. Au bout de quelques secondes de combat seulement, les deux épées des guerriers avaient volé à terre, dont l'une d'entre elles plusieurs mètres plus loin. Rult leur passa un savon, mais il félicita aussi Geralt pour sa technique et sa rapidité. Il aurait aimé avoir des gens comme lui dans sa troupe... Malgré le résultat de ces deux tests, les guerriers qu'ils évaluaient semblaient bons, mais restait encore à évaluer leur sang-froid et leurs nerfs. Ce furent Mordin et Drilun qui se collèrent à ce dernier test.

Rult fut prévenu qu'il fallait un guerrier ayant la tête froide, et c'est sur sa réaction à l'inattendu qu'il serait jugé. L'idée était de le faire combattre Drilun mais de faire intervenir Mordin - oralement - pour voir comment ses tripes réagiraient. Rult appela l'un de ses hommes et lui demanda de combattre le Dunéen, en le prévenant d'une surprise au cours du combat. Et après quelques secondes de passes d'armes sans qu'aucun des deux hommes ne prenne le dessus, le nain invectiva fortement le guerrier, le menaçant de son arme sans vraiment prendre part au combat. L'homme garda la tête froide et ne se démonta pas, changeant de position pour ne pas être pris au dépourvu en cas d'attaque du nain. Ce dernier, qui n'avait pas ménagé sa peine, fut enchanté du résultat du test : pour lui, les Hommes Libres de Rult étaient ceux qu'il leur fallait.

5 - Passage secret
Les aventuriers prirent ensuite Rult à part, dans une pièce de son quartier général, et ils lui dirent que ses hommes faisaient tout à fait l'affaire par rapport au projet qu'ils envisageaient : rien de moins que de s'attaquer au château de l'ancien mage, Leärdinoth. La bâtisse était occupée par des orientaux et sorciers qui s'occupaient de réduire des prisonniers nordiques en esclavage pour Eru savait quel trafic. Ils expliquèrent que rien n'était encore décidé, et parlèrent du combat et du sauvetage qu'ils avaient menés. Les occupants du château étaient une menace pour la région, pour la ville, et pour eux. S'ils pouvaient se débarrasser de cette menace, ils le feraient. Et avec les Hommes Libres de Rult cette tâche paraissait plus facile à accomplir.

Le chef des mercenaires et ancien esclave parut ébranlé par cette perspective. Certes, la cause était de celles qu'il était prêt à entreprendre, et certes, Taurgil et ses amis étaient manifestement de grands guerriers. Mais d'une part, il était question de sorciers et magie noire, d'autre part, ils ne savaient à peu près rien du château et de ses occupants. Cela faisait pas mal d'inconnues qui ne lui permettaient pas de juger si l'entreprise était plus qu'un suicide, d'autant qu'ils avaient connu la période de l'ancien mage. Sa mainmise était alors presque totale sur la ville, et ses remplaçants, aux bruits qui couraient, disposaient d'un pouvoir au moins équivalent. L'ancien mage avait tout de même été abattu par des aventuriers, d'après ce qui se disait, il n'était pas interdit de penser que l'histoire pouvait se répéter. Mais en bon stratège, il fallait commencer par en savoir le plus possible sur l'ennemi.

En cela, les aventuriers étaient bien d'accord. Drilun espérait bien sonder magiquement les abords du château pour apprendre si un quelconque souterrain ne permettrait pas d'y accéder. En revenant à l'auberge, il se plaça donc au pied du piton sur lequel le château se dressait et le sonda magiquement. Comme il l'avait espéré, il sentit qu'un passage descendait du haut du piton jusqu'à la cave d'une maison proche. Cela faisait donc un deuxième accès au château, en plus du pont qui enjambait une partie de la ville. Ce passage était certainement gardé par des guerriers, des pièges, de la magie... Il fallait chercher à en savoir plus. Mais lorsque les quatre amis inspectèrent la maison en question, ils ne passèrent pas inaperçus. En fin de compte ils quittèrent le lieu plutôt que de trop attirer l'attention.

Une fois revenus à l'auberge, ils firent des plans qu'ils allèrent ensuite proposer à la lionne enchantée. Pour commencer, il fallait espionner le château et la maison où aboutissait le passage souterrain. Geralt s'occuperait de surveiller la maison et les allées et venues de ses occupants. Isilmë et bien entendu Rob resteraient à l'auberge, tandis que les quatre autres amis iraient voir de plus près ce qui pouvait se voir ou s'entendre. Entre la longue-vue obtenue dans le Cardolan, que l'assassin leur confia, et l'ouïe incroyablement fine de Vif, ils arriveraient certainement à apprendre des choses. Et c'est ainsi que Drilun, Mordin, Taurgil et Vif se retrouvèrent au pied de la falaise, dans l'après-midi.

Ils commencèrent par chercher un passage vers le haut de la falaise à l'est de la ville, pour éviter d'avoir à faire le tour par la route d'Araw à l'ouest. Ils finirent par en trouver un à une vingtaine de minutes à pied vers l'est, ce qui leur ferait économiser quelques minutes au final. Encore fallait-il faire un peu d'escalade, ce qui n'était pas franchement du goût du nain. En fin de compte, devant ses difficultés, La féline Femme des Bois le prit sur son dos et grimpa jusqu'en haut en une série de bonds qui réduisirent la difficulté apparente de ce passage à celle d'une balade champêtre pour lapins. Taurgil et Drilun suivirent plus lentement, avec moins d'aisance, mais ils ne rencontrèrent guère de problème pour parvenir jusqu'en haut.

Le haut de la falaise était balayé par des vents d'est auxquels se mêlait par moments une pluie glaciale. De bonnes conditions pour avancer sans être vu, mais aussi pour tomber malade, comme le Dunéen avait déjà expérimenté auparavant, et que la magie de ses amis avait permis de soigner. Vif se faufila discrètement de son côté, tandis que Mordin restait caché dans un bosquet - la discrétion n'était pas sa spécialité - et que rôdeur et archer-magicien suivaient leur propre voie. Ils se rapprochèrent ainsi à une ou deux portées de flèches de l'entrée du château, qu'ils examinèrent à la longue-vue. Le début du pont était gardé par une tourelle qui comportait une grille ou herse, puis une tour plus grande était bâtie au milieu du pont, tour où l'on pouvait deviner la présence d'un garde au moins.

6 - Espionnage
Le château fut observé sous toutes ses coutures, et les signes de vie - lumières et gardes - furent notés, même si cela n'était pas énorme. Difficile de savoir ce qu'il y avait à l'intérieur, même si la lionne arrivait à entendre des bruits d'activité certaine - cris et éclats de voix - dans le bâtiment principal du château, une espèce de donjon. La Femme des Bois, bien cachée dans un bosquet, décida de rester là un moment, et ses amis finirent par s'en retourner, d'autant que des crebain avaient été repérés qui les suivaient non loin. Le retour ne posa pas de problème, sauf lors de la descente : elle demanda une corde et une progression lente du nain, avec l'aide de ses amis.

Jusqu'à présent, la récolte était maigre, même si les aventuriers faisaient confiance à leur amie féline pour en apprendre davantage. Ce qui n'empêchait pas d'échafauder divers scénarios d'attaque du château par les Hommes Libres de Rult pendant qu'eux-mêmes tâcheraient de surprendre l'ennemi par le passage souterrain. Plans sans réelle consistance mais qui obligeaient à garder l'esprit ouvert. Pendant ce temps, Geralt inspectait de plus près le bâtiment où débouchait le passage souterrain. C'était une grande bâtisse en plusieurs morceaux, probable héritage d'extensions multiples avec le temps. Il avait choisi un endroit discret où se cacher et observait de loin les allées et venues de ses habitants.

Cela ne donna pas grand-chose en journée : les personnes qui sortaient étaient surtout de sexe masculin, mais pas toutes, et elles vaquaient à des affaires qui n'avaient rien d'extraordinaire, comme des courses diverses de nourriture entre autres. Beaucoup de courses en fait, si bien que l'assassin aux cheveux blancs se demanda si les personnes n'étaient pas des serviteurs du château qui ravitaillaient ses habitants. Mais difficile d'en être sûr. En revanche, la nuit venue, alors que l'heure était avancée et qu'il pensait à retourner à l'auberge prendre un repos plus que mille fois mérité, il fut témoin d'une scène étrange : un homme inconscient, peut-être ivre, porté par deux autres hommes alors qu'un troisième regardait tout autour comme s'il n'avait pas la conscience tranquille. Arrivés près de la maison, une porte s'ouvrit et les quatre hommes disparurent à l'intérieur. Geralt avait réagi trop tard, et lorsqu'il arriva à la porte, elle était verrouillée. Son déplacement n'était pas passé inaperçu, et il quitta les lieux après cela.

Plus haut, cachée dans son bosquet, la même nuit, Vif repéra une chose étrange. Au départ, elle vit un homme sortir du château en portant un sac. Après avoir contourné le château, il était entré dans un espace entouré de murs où elle avait entendu plus d'une fois des hennissements de chevaux. Quelques bâtiments dans un coin faisaient d'ailleurs penser à une grange et une écurie. L'homme entra d'ailleurs dans l'un de ces bâtiments, et elle entendit un son comme s'il avait jeté au sol quelque chose de gros et mou, avant de ressortir peu après.

Ensuite, elle avait entendu dans cette espère de grange des bruits bizarres qu'elle n'arrivait pas à identifier. C'était comme si le bâtiment était occupée par une grosse bestiole qui produisait des sons qui ne lui évoquaient rien, à part peut-être... les coups de bec d'une poule ! Mais elle avait du mal à imaginer une grosse poule capable de faire de tels sons, bien que certains pouvaient aussi faire penser à des os que l'on casse ou des chairs que l'on déchire... Elle finit par abandonner son poste au petit matin et rejoindre l'auberge plus bas, et partager ses informations avec ses amis. Sans parler de chasser et se reposer.

7 - Embuscade
Ces derniers événements nourrirent l'imagination des aventuriers, qui se demandèrent, sans pouvoir y répondre, si l'homme inconscient que Geralt avait vu emporté dans la maison n'avait pas servi à nourrir quelque monstre fantastique gardé dans la grange près du château. Tout cela n'incitait guère certains à s'attaquer aux ennemis qui les surplombaient, et ils préféraient partir pour Buhr Widu pour poursuivre leur mission et aller voir Atagavia. Néanmoins, Taurgil et Geralt décidèrent d'une nouvelle expédition vers la maison où débouchait le passage souterrain du château. La bâtisse comportait deux portes sur des faces opposées, si bien qu'une même personne ne pouvait les surveiller toutes les deux. Les deux aventuriers décidèrent de se poster chacun à distance de l'une des portes, caché, de manière à pouvoir surveiller tout le trafic. Le Dúnadan porterait le manteau elfique du Dunéen, et il resterait dans un secteur plutôt vide de bâtiment de la ville, et l'assassin aux cheveux blancs surveillerait l'autre porte, depuis un secteur plus passant.

Ce qui fut fait. Geralt, bien caché, remarqua le premier deux choses. D'une part, les volets de la fenêtre juste au-dessus de la porte restaient entrouverts. Une personne se tenait là qui observait les environs. Le maître-assassin pensa aux multiples fois où ses amis et lui avaient porté leur attention sur la maison, sans forcément être assez discrets. Sans doute cela avait-il mis la puce à l'oreille de ses occupants, qui surveillaient à présent le secteur. Mais également, il remarqua un nombre croissant de personnes qu'il catalogua vite parmi les voleurs, nombre inhabituel pour une matinée à cet endroit de la ville. D'autant que ces voleurs allaient et venaient sans s'éloigner, à l'affût de quelque chose... ou quelqu'un. Taurgil également avait fini par faire le même constat de son côté, et il restait bien caché.

L'homme aux cheveux blancs sentit que sa position, en bordure d'une allée assez passante, risquait de devenir inconfortable et il préféra sortir de sa cachette et se diriger d'un pas nonchalant vers la maison. Quand il vit que les voleurs alentour convergeaient vers lui, il décida de rebrousser chemin, tout en surveillant les volets plus haut pour éviter de prendre une flèche empoisonnée dans le dos. Et précisément, il vit le bout d'une flèche sortir d'entre les volets, pointé dans sa direction. Tous les muscles tendus, il plongea sur le côté juste au moment où la flèche arrivait sur lui. En se relevant, il remarqua que le tir avait été très précis et l'aurait certainement touché. Mais surtout, il entendit l'homme derrière les volets s'écrier d'une voix forte : "C'est lui, tuez-le, cent pièces d'or pour celui qui ramènera sa tête !"

Les voleurs autour de lui sortirent alors leurs armes et se précipitèrent vers lui, tandis qu'il se mettait à courir vers le sud, et l'endroit où Taurgil était caché, tout en prenant son épée. Deux voleurs essayèrent de lui bloquer le passage à l'endroit le plus étroit entre le bâtiment et le piton rocheux. Il abattit sur l'un son épée de la droite vers la gauche, blessant gravement l'homme et le repoussant sur l'autre, qui fit un pas de côté et le laissa passer. Mais tout en courant, il entendait des pas juste derrière lui et deux autres voleurs, en face, venaient à sa rencontre. D'un coup rapide et sec de l'épée, il fit sauter la tête de l'un des deux voleurs si nettement qu'une gerbe de sang éclaboussa les protagonistes... et ralentit certains. Un autre homme subit le même destin, et les autres individus isolés ne se dressèrent plus sur son chemin, et il continua à courir.

Il vit Taurgil qui s'éloignait discrètement vers la droite, et choisit de son côté de filer à gauche, en direction de l'auberge, avec un groupe de voleurs sur ses talons qui vociféraient et appelaient des renforts et parlaient de cent pièces d'or. Prenant un petit peu d'avance, il passa devant l'auberge, qu'il contourna, jusqu'à un angle formé par le mur qui entourait la cour de l'auberge et la falaise contre laquelle ce même mur s'appuyait. Dans cet angle, impossible de l'attaquer autrement que de face. De son côté, Taurgil arrivait à présent dans le marché de produits frais au sud de la ville, d'où il suivait le déroulement de la poursuite de son ami par les voleurs. Malgré le bruit, les gens choisissaient d'ignorer la scène et se concentraient sur leurs affaires. Le salut ne viendrait pas de là, mais Geralt pensait bien savoir d'où il viendrait, si même il en avait besoin.

8 - Interrogatoire
Vif dormait dans sa cachette au pied de la falaise à une portée de flèche de là. Le bruit de la poursuite la réveilla immédiatement, et elle vit son ami aux cheveux blancs décapiter les deux premiers voleurs qui lui arrivaient dessus. Elle poussa alors un puissant rugissement et se mit à courir à son allure de gros félin enchanté, bien plus rapide que n'importe quel cheval. Les quatre voleurs qui s'apprêtaient à attaquer Geralt firent quelques pas en arrière, tandis que ceux derrière eux prirent leurs jambes à leur cou et filèrent. Mais pas assez vite : la lionne fit un bond gigantesque par-dessus les quatre voleurs terrorisés, et elle rugit de plus belle, faisant courir les autres encore plus vite, avant de revenir.

De son côté, le Dúnadan assista à un début de mouvement de panique parmi la foule du marché. Les gens hurlèrent, poussèrent et tentèrent de courir loin de la terrible lionne qui arrivait dans leur direction. Des étals furent renversés, des personnes tombèrent et commencèrent à être piétinées. Le Dúnadan s'arcbouta pour résister à la foule et de sa voix puissante il ordonna aux gens de ralentir et de se calmer, relevant les personnes à terre et s'assurant que les gens refluaient désormais sans céder à la panique. D'autant que la lionne avait fini son numéro et repartait dans l'autre sens, laissant ses amis avec les quatre voleurs malchanceux qui restaient. Mordin et Drilun, alertés par tout le bruit, étaient sortis de l'auberge et étaient en train d'arriver.

Geralt avait épargné et maîtrisé deux des voleurs qui furent bientôt mis à la question. Avec difficulté, car ils avaient subi de telles émotions qu'ils avaient du mal à prononcer un mot et leurs habits étaient souillés. Mais ce n'étaient que des exécutants. Le premier avait été prévenu par son lieutenant qu'une prime de cent pièces d'or avait été donnée par une personne pour surveiller une maison et abattre un rôdeur qui tournait autour. Mais lui-même n'avait jamais vu la personne qui avait approché les voleurs pour leur proposer ce contrat. Quant à son lieutenant, plus au courant que lui, il fit comprendre qu'avec la tête que Geralt lui avait fait sauter des épaules, il aurait du mal à apporter des éclaircissements.

Le second n'apporta rien de mieux. Lui non plus ne savait pas qui était venu voir les voleurs, et son chef devait être à la maison du clan, au nord de la ville. Il repartit plus tard, non sans que la lionne ait joué avec lui et lui ait fourni assez d'émotions pour se souvenir longtemps d'elle. L'échec était donc complet et général : les voleurs n'avaient rien gagné, et même perdu pas mal de membres. Les aventuriers n'avaient pas appris grand-chose et leur présence en ville risquait de poser des problèmes désormais. Et leurs ennemis avaient échoué à les tuer, tout en se dévoilant. Lorsqu'il avait évité la flèche qui lui était destinée, Geralt avait bien cru voir des signes étranges sur le projectile qui filait vers lui. Des runes magiques destinées à aider à frayer à la flèche un passage vers son cœur ? En tous cas, le passage entre château et maison était avéré, et les habitants du château savaient sans doute que leur entrée souterraine avait été repérée.
Modifié en dernier par Niemal le 24 août 2015, 20:01, modifié 2 fois.
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Horselords - 12e partie : enlèvement

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1 - Plan d'action
Les débats furent nourris entre les aventuriers : que fallait-il faire ? Diverses idées furent avancées, mais il en est au moins une qui recueillit l'assentiment d'à peu près tout le monde : dans la mesure où Rob n'était pas encore transportable, il n'était pas possible de partir et de le laisser seul avec Isilmë, ils seraient trop exposés. Il fallait donc agir et trouver le meilleur moyen d'éliminer la menace présente dans le château au-dessus de la ville. Et il fallait agir vite, car plus le temps passait, plus les risques d'une action des habitants du château augmentaient. En fin de compte, une proposition de Drilun fut adoptée avec plus ou moins d'enthousiasme selon les individus.

Son idée était la suivante : quitter la ville, puis revenir déguisés avec dans un sac une tête tranchée grimée comme celle de Geralt. Le but était de faire passer les aventuriers déguisés en bandits ayant réglé son compte à l'assassin, de manière à pouvoir demander la prime de cent pièces d'or sur sa tête. La discussion qui s'ensuivrait avec le donneur d'ordre permettrait d'accéder à la maison qui menait au château via un passage souterrain, voire au château lui-même. Histoire d'embrouiller un peu les choses et d'avoir plus de poids dans la discussion, une bande de mercenaires serait embauchée. De préférence des gens de faible valeur que les aventuriers n'auraient aucun regret à sacrifier (et donc à ne pas payer) comme les Éventreurs de Partila.

Restait aussi à traiter le cas de la lionne magique. L'assassin aurait voulu que Vif se transformât en une forme demi-animale susceptible de faire partie des faux bandits, quitte à se retransformer en grand félin le moment venu. Ce à quoi l'intéressée lui répondit, et qu'il comprit grâce au tour d'oreille magique confectionné par Drilun, que cela lui demandait trop d'énergie et que les conditions de transformation ne seraient pas forcément bonnes. Bref, ce n'était pas dans ses capacités, il faudrait faire avec elle dans la forme où elle était présentement. Ce qui voulait dire l'amener en ville d'une manière ou d'une autre, cachée aux yeux de tous mais prête à intervenir. Dans une charrette, par exemple.

Justement, le marché aux provisions, au sud de la ville, avait été passablement perturbé, de nombreuses personnes ayant fui les lieux ou s'étant cachées à proximité lorsque la lionne avait fait son numéro avec les voleurs. Plusieurs charrettes restaient là, sans propriétaire, même si certains commençaient à revenir. Geralt se rendit sur les lieux, enjambant les provisions éparpillées par terre et contournant les étals renversés, jusqu'à trouver un petit véhicule qui lui convenait. Les quelques personnes présentes l'évitaient devant sa sinistre armure de peau de dragon encore couverte du sang de certains voleurs qu'il avait décapités. Il appela à la ronde un éventuel propriétaire, mais une autre personne lui répondit qu'il était parti. Il retourna alors à l'auberge chercher son cheval pour l'atteler au petit chariot.

Lorsqu'il revint, il s'aperçut que de nombreux marchands avaient pris leurs cliques et leurs claques et étaient au loin, et il ne retrouva pas la charrette sur laquelle il avait jeté son dévolu. Qu'à cela ne tienne, il en repéra une autre qui convenait, à laquelle son propriétaire n'avait pas eu le temps d'atteler sa monture, sans doute parce qu'elle avait fui plus loin que les autres et qu'il avait pris plus de temps pour la ramener. Geralt demanda alors à la personne un prix pour son chariot à deux roues. Intimidé, l'homme parla d'une pièce d'or, ce à quoi l'assassin répondit qu'il la prenait, et il lui lança deux pièces d'or. L'homme ne demanda pas son reste : après avoir empoché les pièces, il prit sa mule et monta dessus, avant de partir au galop. Ce qui fit sortir son épouse du coin où elle s'était cachée, épouse qui courut après son homme en lui criant de ne pas l'oublier...

2 - Déguisements
Geralt fit donc l'acquisition d'une charrette à deux roues contenant encore quelques denrées - pommes fripées et divers navets et autres tubercules dans divers paniers. Il y attela son cheval et quitta la ville vers le sud, non sans avoir pris ses affaires et avoir convenu de la suite à donner avec ses amis. Amis qui prirent leurs affaires et leurs chevaux et le suivirent de manière bien visible - et ils ne passèrent pas inaperçus. Sauf la lionne qu'était Vif, qui fit un détour pour quitter le secteur discrètement et rejoindre le reste du groupe. Geralt, Drilun, Mordin et Taurgil l'attendaient hors de vue de la ville, à moins d'un mile de Forpays, à l'abri des regards dans un petit bosquet.

Et là, la séance de maquillage put commencer. D'une part, l'assassin possédait une excellente trousse de maquillage ; il restait aussi au groupe divers vêtements qu'ils avaient achetés et qui n'avaient pas été utilisés par les ex-prisonniers nordiques qu'ils avaient libérés. D'autre part, ils possédaient divers équipements comme des tentes qui pouvaient servir pour la lionne qui resterait calfeutrée dans la charrette. Drilun utilisa aussi un sort pour masquer son odeur et éviter les problèmes avec d'éventuels canidés.

Les quatre amis sous forme humaine furent bientôt transformés en bandits à l'allure (voire l'odeur) repoussante, d'autant que certains s'étaient roulés dans la boue ou d'autres substances, notamment pour masquer leur matériel qui risquait de les faire reconnaître. Le Dúnadan avait de plus retiré son casque, sans lequel personne ne l'avait vu en ville. Ils décidèrent ensuite de ne pas revenir ensemble, ce qui pourrait éveiller des soupçons, mais de rejoindre la ville en deux groupes : Mordin et Geralt avec la charrette (et Vif cachée dedans), d'une part, et Taurgil et Drilun à cheval, de l'autre. Les premiers arriveraient d'abord et passeraient par l'ouest de la ville et se rendraient au quartier des mercenaires. C'est là que leurs amis les rejoindraient, après un passage par le centre-ville et le chemin principal.

Ainsi fut-il fait. Les préparatifs avaient pris du temps, et c'était déjà le milieu de l'après-midi. La charrette et les deux chevaux sans cavalier qui y étaient attachés s'approchèrent de Forpays. Mordin la dirigea vers la falaise ouest et les bidonvilles où résidaient les derniers réfugiés nordiques issus de la Peste, quelques années auparavant. Ces nordiques étaient issus de petites communautés brisées par la maladie et dont les membres avaient fui la pestilence. La maladie avait disparu, mais certaines communautés ne s'étaient pas reconstruites, et donc divers chariots étaient encore là, avec de nombreuses familles qui tâchaient de trouver des petits boulots pour s'assurer une maigre pitance...

La charrette se faufila de manière experte entre les chariots, Mordin montrant sa maîtrise acquise au cours des nombreux voyages organisés dans sa vie de marchand. Elle se rapprocha d'un premier quartier de maisons en dur, quand deux choses se produisirent. D'une part, la lionne au fond de la charrette commença à remuer voire à glisser son museau hors de la toile de tente qui la couvrait. D'autre part, alors que les gens s'écartaient pour laisser passer ces individus à l'apparence peu avenante (et leur véhicule), une espèce de vieux fou s'interposa en plein milieu du passage, l'air saoul ou en tout cas n'ayant plus tout à fait sa raison. L'air intimidant, Geralt descendit au sol pour le faire fuir, la main déjà sur l'épée, quand l'homme le regarda droit dans les yeux et lui dit :
Le fantôme du magicien – n'est-ce pas plutôt un assassin ?
Le même objectif il poursuit – au service du glaceur de vie
Orientaux, poisons, magie noire – tels un monolithe sans espoir
De l'aide vous pouvez chercher – dans un arbre où vous monterez
L'écureuil vous y trouverez – friand de noisettes à manger


3 - Hommes des Bois
Interloqué, le maître assassin regarda le vieillard s'éloigner en marmonnant des choses incompréhensibles, puis il fut rappelé à l'ordre par son compagnon nain : la charrette était en plein milieu de la voie principale du quartier et attirait l'attention. De plus, il se passait autre chose : Vif était en train de reprendre forme humaine ! En effet, elle avait été assez surprise d'entendre parler la langue des Hommes des Bois, le nahaiduk. Elle avait prudemment sorti le museau pour voir un peu les gens qui la parlaient, et elle avait reconnu des gens de même origine qu'elle, tant parmi les occupants des chariots de réfugiés les plus proches du quartier présent que parmi les gens de ce même quartier : c'étaient tous des Hommes des Bois comme elle.

Qu'est-ce qu'ils faisaient ici loin de chez eux ? En dehors de quelques-uns qui venaient du bidonville proche récemment créé suite à la Peste, ceux du quartier semblaient bien établis ici : les maisons en bois ne semblaient pas récentes et montraient des métiers tous liés au bois, le point fort de leur culture : bâtiment et construction, fabrication de meubles, d'arcs, de tonneaux, de jouets et d'objets divers en bois sculpté (dont de très belles boîtes), etc. Après avoir mis quelques habits, Vif descendit discrètement de la charrette pour aller enquêter et interroger les siens. Les plans étaient donc modifiés, sans parler des propos cryptiques du vieil homme qui méritaient qu'on s'y attarde.

L'aventurière accosta d'abord des enfants et adolescents dans leur langue. Elle apprit que les Hommes des Bois du quartier étaient bien là depuis de nombreuses années. Ils ne formaient pas un clan à part mais semblaient d'origines diverses. Elle en eut la confirmation en parlant à des adultes, présents depuis plus de vingt ans pour certains : quelques-uns, avides de nouveauté, avaient quitté les leurs et n'avaient osé revenir ensuite. D'autres avaient été exclus sans doute suite à des méfaits divers. D'autres encore avaient fui des orcs ou autres problèmes qui avaient détruit leur communauté. Ils avaient tous fini là, ayant trouvé par hasard ou entendu parler de cette communauté des leurs, et rêvant de lendemains meilleurs...

Une fois les premiers instants de méfiance passés, l'aventurière arriva même à entrer chez l'un des édiles de la communauté et à gagner sa confiance. La personne avait du plaisir à voir un des siens et à entendre des nouvelles du pays... Vif répondit donc aux questions, y compris la concernant : elle expliqua ce qui l'avait amenée sur les routes, à savoir la poursuite du loup-garou à la demande du magicien Radagast. Elle apprit aussi la condition difficile de ses congénères, en particulier suite à la Peste. Non seulement il leur avait fallu s'adapter par le passé à une ville d'hommes différents, loin des bois et forêts, mais la chute de l'activité économique suite à la grande épidémie avait réduit leurs ressources, en plus de leur moral. Difficile de gagner sa vie comme charpentier quand de nombreuses maisons restaient inoccupées suite aux morts de la Peste...

Suite à ces difficultés, les jeunes avaient quelquefois du mal à suivre les traditions, et ils étaient parfois séduits par d'autres voies. Ainsi, Rillit l'écureuil, l'un des chefs du clan des voleurs et Homme des Bois lui-même, venait régulièrement ici pour vanter les bienfaits de la vie de cambrioleur qu'il dépeignait comme un grand art. Il séduisait les jeunes avec son enthousiasme et les incitait à le rejoindre et à devenir ses élèves. Et ces derniers temps, désœuvrés, ils étaient plus nombreux à répondre à son appel. Ce qui donna une idée à la Femme des bois : n'était-elle pas de la même culture, adroite et agile ? Un moyen possible d'infiltrer le clan des voleurs...

4 - Mauvaise nouvelle
Geralt ayant dû changer ses plans, il commença par demander au nain d'amener la charrette au centre-ville afin de croiser Drilun et Taurgil qui avaient pris la route peu après eux. Ils les trouvèrent effectivement, et le maître-assassin continua à jouer les bandits en apostrophant sèchement le Dúnadan maquillé pour l'embaucher. Lequel Dúnadan ne montra guère de coopération, ce qui entraîna une petite escalade verbale de la part de son ami. Mais en fin de compte ils furent réunis et ils revinrent tous au quartier des Hommes des Bois.

Tandis que Vif faisait son enquête, Geralt chercha et finit par trouver un artisan charron. Il fit examiner les roues par l'homme, qui, méfiant devant cet apparent bandit, les examina. Il ne trouva rien à y redire, et prit un air étonné quand le maître-assassin lui demanda de fabriquer une roue de rechange. Ils discutèrent un peu de la qualité de la roue et du prix, avec l'aide de Mordin, et tombèrent d'accord pour une roue non cerclée de fer que l'artisan pensait pouvoir faire en une journée. L'homme se mit au travail en prenant les mesures à l'aide d'une espèce de règle de bois, et les aventuriers flânèrent autour du chariot immobilisé. L'archer-magicien finit même, plus tard, par acheter deux petites boîtes en bois, solides et jolies.

Lorsque la Femme des Bois leur rapporta ce qu'elle avait appris, ils décidèrent de réfléchir à cela à l'auberge du cheval en colère. L'idée d'embaucher des mercenaires sacrifiables et de demander la prime sur la tête de Geralt cédait la place à l'infiltration du clan des voleurs. En fait, cet "écureuil" cité dans les vers cryptiques du vieux fou - que les Hommes des Bois avaient désigné comme étant Ecuris, un vieux un peu fêlé qui se disait voyant - semblait une personne intéressante à aller voir. Peut-être aurait-il des informations intéressantes à donner ? Mais quelles étaient ces "noisettes" dont il était friand ? Vif, elle, décida de rester sur place pour partager un peu la vie des siens et ne pas paraître à côté des "bandits" que ses amis simulaient.

Lorsque les quatre aventuriers arrivèrent à l'auberge, l'aubergiste Burhgavia ne les reconnut pas, mais il parut gêné lorsque Geralt lui dit qui ils étaient. L'homme lui annonça qu'Isilmë souhaitait les voir, elle avait une mauvaise nouvelle à leur apprendre. Les quatre amis firent mine de prendre une chambre, et une fois en haut, ils se dirigèrent vers la suite royale où le hobbit et l'elfe étaient cachés. Cette dernière, après avoir reconnu ses compagnons - qui se présentèrent - les fit entrer dans la pièce sombre en raison des volets fermés. Mais Rob n'était présent dans aucune des pièces de la suite. Où était-il passé ?

L'air penaude, la guerrière elfe expliqua qu'un homme très convaincant était venu voir l'aubergiste pas très longtemps après leur départ. Il avait gagné la confiance de l'aubergiste en disant qu'il savait parfaitement qui était dans la chambre royale et qu'il avait un message important de la part des amis partis peu auparavant à lui donner oralement à elle, dans la salle commune alors occupée par un peu de monde. L'aubergiste était venue la voir et elle avait cédé à son injonction, et elle était descendue, les traits et autres attributs elfiques masqués par ses vêtements.

L'homme avait été très convaincant avec elle également, après quelques moments elle n'avait plus du tout douté de sa mission. Il avait dit que d'après ses amis, elle ne devait surtout pas bouger de l'auberge mais se méfier de tout et de tous. En fait, il l'avait si bien emberlificotée qu'elle n'avait pas vu le temps passer. Puis elle était remontée et n'avait absolument rien vu de changé... en dehors du fait que le hobbit n'était plus là. Elle n'avait pas revu l'homme qui n'avait rien de particulier en lui ou sur lui - à l'exception de son bagout - et elle n'avait pas vu non plus les aventuriers au cours d'une petite recherche éclair qu'elle avait faite en ville. Mal à l'aise, elle était alors revenue dans l'auberge en attendant ses compagnons et en ruminant sa honte...

5 - Le clan des voleurs
La première réaction de Taurgil, après un commentaire acide concernant Isilmë, fut... d'aller se laver ! Il en avait soupé de son déguisement, et par ailleurs le plan de Geralt devenait caduc. En effet, il avait été conçu avec l'objectif final de protéger le hobbit avant tout, et ce dernier étant entre d'autres mains... Bref, plus besoin d'aller s'attaquer au château dans l'immédiat, il fallait avant tout retrouver le hobbit. Et ce fameux Rillit l'écureuil semblait une destination évidente. Ses trois autres compagnons déguisés se nettoyèrent également, puis ils allèrent tous récupérer Vif au quartier des Hommes des Bois. Après quelques échanges, ils se dirigèrent vers le nord de la ville, vers les bâtiments du clan des voleurs.

La Femme des bois, que personne encore ne connaissait en ville sous sa forme humaine, choisit de les suivre à une certaine distance. Elle vit petit à petit un nombre croissant de personnes suivre ses amis, comme elle-même. Si certains étaient sans doute de simples curieux, la majorité d'entre eux étaient certainement des voleurs. Lorsque ses amis arrivèrent aux portes permettant de franchir un mur d'enceinte protégeant les bâtiments, l'espace dégagé était occupé par une cinquantaine de probables voleurs en arc de cercle autour des aventuriers, plus quelques curieux plus loin.

Après quelques échanges secs avec les gardes de la porte, l'un d'eux alla voir si ses chefs, et en particulier Rillit, étaient disposés à les recevoir. L'attente dura un moment, ce qui permit à Geralt d'observer les personnes qui les entouraient. Il constata que certaines dissimulaient mal voire pas du tout une espèce de haine ou rancœur à leur égard, et manifestement ils brûlaient de les attaquer. Il se dit qu'il s'agissait probablement de compagnons ou d'amis des voleurs dont il avait fait sauter la tête au matin, et c'étaient, de manière générale, des voleurs qu'il cataloguait dans les "gros bras". A Tharbad, cela correspondait le plus souvent aux assassins. Les autres, en revanche, étaient plutôt curieux et correspondaient plus, par rapport à son expérience, à des cambrioleurs ou des tire-laine. Vif pensa reconnaître quelques Hommes des Bois parmi ceux-là.

Le garde finit par revenir et il annonça que les maîtres du clan étaient disposés à les laisser entrer. Il ouvrit l'une des portes et dit qu'il allait les mener à une pièce où Rillit l'écureuil les recevrait. Entendant cela, la Femme des Bois s'approcha de ses compagnons, mais à la hauteur du demi-cercle de voleurs elle fut repoussée avec un commentaire peu obligeant - la gamine qu'elle était n'était pas concernée par ce qui se passait. Mais Taurgil refusa de rentrer et dit qu'elle était son amie, et qu'elle viendrait avec lui et le reste de ses compagnons. Vif finit par être autorisée à rejoindre le groupe, non sans quelques propos ironiques ou graveleux de la part des voleurs présents. Puis ils suivirent le garde à l'intérieur.

Les portes donnaient sur une cour intérieure entre le mur d'enceinte au sud et divers bâtiments au nord, à l'est et à l'ouest. Une petite rivière passait sous le bâtiment nord, à travers une grille, et séparait la cour en deux avant de passer sous le mur d'enceinte à travers une deuxième grille. Un petit pont la franchissait, qui fut pris par les aventuriers, avant d'entrer par de grandes portes dans le bâtiment ouest. La salle qu'ils traversèrent faisait environ dix mètres sur cinq et comportait des bancs et tables repoussés dans un coin. Puis ils entrèrent dans une nouvelle salle un peu plus petite où des tables individuelles, comme des tables de classe, étaient rangées d'un côté. Un tableau noir couvrait une partie d'un mur, et une table plus grande occupait le milieu de la pièce, avec quelques chaises disposées autour. Sur l'une d'elles, un homme barbu vêtu de cuir fin les attendait. Quelques hommes étaient disposés sur le pourtour de la pièce, qui comportait également un escalier dans un coin et une autre porte non loin derrière l'homme.

6 - Rillit l'écureuil
L'homme barbu qui les accueillit était Rillit l'écureuil, et il ressemblait bien à un Homme des Bois. Il se présenta comme étant le chef des cambrioleurs du clan des voleurs, et à l'entendre il était manifestement très fier de son métier. Il semblait en savoir déjà long sur l'équipe, et il avoua à plus d'une occasion dans la conversation que les aventuriers avaient fait un excellent thème d'apprentissage pour ses élèves. En effet, un cambrioleur doit d'abord étudier sa cible avant de passer à l'action, et le groupe avait été vite repéré et considéré comme digne d'intérêt. Pourtant, si Geralt avait l'œil et s'il avait repéré de nombreux voleurs qui leur portaient de l'attention en ville, il ne se souvenait pas avoir jamais vu le chef des cambrioleurs.

Ce dernier, pourtant, avait dû participer car il connaissait de trop nombreux détails, comme la présence de Rob et Isilmë dans la suite royale de l'auberge. Il semblait très sûr de lui, comme s'il maîtrisait tous les aspects de la situation... sauf un, ou plutôt deux : d'une part, s'il avait vite repéré la lionne magique, en particulier sur le toit de l'auberge, il n'en savait guère plus sur elle. De plus, la rouquine qu'était Vif, face à elle, était un nouvel élément : personne ne l'avait averti de son arrivée, et s'il découvrait avec plaisir quelqu'un de sa culture - qui l'avait interpelé dans sa langue en arrivant - il ne savait pas d'où elle venait ni ce qu'elle faisait avec la bande d'aventuriers. Et il n'en sut pas plus de la part de Vif ou ses amis, ce qui sembla stimuler sa curiosité et ses réflexions...

L'homme déclara qu'en fait ils étaient attendus (sauf Vif) de manière à régler un petit différent avant qu'il n'escalade en quelque chose de plus grave et inutile pour tous, faisant référence aux voleurs qui étaient morts le matin même. Geralt l'interpela sur les attaques dont il s'était juste défendu, et Rillit déclara qu'il n'en était nullement la cause, mais celle d'un de ses collègues, un certain Hrothgar, chef de la section des "agresseurs" du clan. De la manière dont il en parla, les aventuriers comprirent que c'était un individu caricatural très bien dépeint par son activité : du muscle et peu de cerveau. S'il avait ses qualités et utilité pour le clan - et une notable proportion de voleurs sous ses ordres - il avait réagi un peu vite à la proposition qui leur avait été faite par un probable membre du château. Restait qu'il y avait eu des morts, et que les voleurs demandaient réparation.

Taurgil mit les pieds dans le plat en demandant ce qu'il avait fait de Rob et s'il était encore vivant, et en disant ensuite que leur petite bande de voleurs risquaient de le regretter si ce n'était pas le cas. Ce à quoi l'Homme des Bois répondit qu'effectivement Rob était bien leur invité. Il vanta d'ailleurs la réalisation de son enlèvement, drogué, avec l'aide d'un collègue qui avait occupé Isilmë pendant ce temps. Il avait même songé à cacher le hobbit dans une autre chambre de l'auberge, mais il avait trouvé que le sortir du bâtiment sans laisser de traces et sans aggraver son état avait représenté un défi bien plus tentant... et qu'il avait relevé avec succès. Il tempéra aussi l'ardeur du Dúnadan : il ne connaissait pas tout ce dont les voleurs étaient capables, alors qu'il avait pu bien mieux avoir une idée de ce que les aventuriers pouvaient faire. Par ailleurs, il ne tenait pas à une confrontation, qui serait mauvaise pour tous. Il dit que voleurs et aventuriers avaient peut-être assez en commun, comme un ennemi proche, pour pouvoir arriver à un accord et travailler ensemble sur un même projet.

Méfiant, les aventuriers demandèrent des preuves de ce qu'il avançait, et en particulier de la bonne santé de leur petit ami. Mais leur interlocuteur répondit qu'il ne pouvait malheureusement pas leur fournir une telle preuve pour l'heure. Néanmoins, il leur garantit qu'il était bien soigné - lui-même s'en occupait, dit-il suite à une question qui lui fut posée - et qu'il n'avait rien à craindre pour le moment. En fait, il était juste une monnaie d'échange, un levier destiné à régler un problème de manière pacifique. Rillit expliqua que son collègue Hrothgar aurait préféré - et désirait encore - une guerre totale contre les aventuriers, mais que heureusement, il était minoritaire chez les chefs des voleurs. Enfin, à titre personnel, lui-même savait beaucoup de choses sur les gens du château, choses qu'il serait prêt à partager si un accord était conclu. Partage qui serait gratuit, et qui devrait profiter à tous.

7 - Accord et partage
Restait donc à conclure cet accord. Autrement dit, que réclamait la guilde des voleurs pour régler la "dette" des aventuriers et pouvoir récupérer leur ami ? Rillit dit qu'avec le chef du clan, ils avaient convenu d'une somme de cent pièces d'or... par personne, soit six cents pièces d'or en tout. Naturellement, si l'on incluait la Femme des Bois, cela faisait maintenant sept cents. Ce qui entraîna de hauts cris chez certains comme Mordin, d'autant qu'ils n'avaient toujours aucune preuve de la présence vivante de Rob. Là encore, Taurgil menaça de régler les affaires par les armes, là encore, le chef des cambrioleurs laissa entendre que personne n'y gagnerait grand-chose, et Rob y laisserait sa vie à coup sûr.

Une proposition fut émise, bien que vite abandonnée : de laisser les voleurs se payer avec les biens pris au château, une fois que celui-ci aurait été investi. Elle fut abandonnée car certains aventuriers ne voulaient pas pouvoir y perdre au final, et donc souhaitaient limiter le "gain" des voleurs aux centaines de pièces d'or demandées. Ce qui fut refusé par Rillit : il aurait peut-être pu faire changer d'avis leur chef avec un espoir de gain supérieur. Mais si cela ne pouvait être qu'inférieur ou égal, ce n'était pas intéressant : mieux vaut tenir que courir... La discussion en resta aux pièces d'or à donner de suite : une partie immédiatement, et le reste après le château, lorsque Rob serait remis en leur possession ? L'Homme des Bois dit qu'il allait en parler à ses collègues qui attendaient non loin, et il s'éclipsa par la porte derrière lui en conseillant de profiter des boissons présentes auxquelles personne n'avait touché. Il avait bu un verre pour montrer que ce n'était pas empoisonné, mais certains ne lui faisaient toujours pas confiance...

Vif et Geralt en particulier, mais d'autres également, entendirent vite derrière la porte un débat enfiévré, où un individu à la voix forte, en particulier, ne semblait pas d'accord avec les autres. Manifestement, le chef des "agresseurs" du clan ne voulait toujours rien faire payer et encore moins laisser partir les aventuriers pour moins que prévu. Il se mit à hurler assez fort pour que tous puissent entendre tout le mal qu'il pensait des aventuriers. Ce qui mit Mordin dans une fureur noire, et il hurla à son tour que lui non plus ne voulait rien payer et qu'il aurait plaisir à régler les choses à la manière du voleur, et le plus tôt possible tant qu'à faire ! Ses amis lui firent remarquer que la vie de Rob était en jeu, et il se força à se calmer, tandis que de l'autre côté de la porte, Hrothgar fut vertement rappelé à l'ordre et finit par se taire.

Enfin, Rillit finit par revenir à la table. Non sans un regard et une petite remarque à l'attention du nain qui ne l'avait guère aidé, il dit que leur chef était d'accord pour garder Rob et laisser partir tous les autres contre cinq cents pièces d'or. Le reste serait récupéré après en échange du hobbit. Les aventuriers acquiescèrent, d'autant qu'ils avaient convenu qu'une partie de l'or contiendrait des pièces marquées magiquement par Drilun, et qu'il saurait retrouver le butin. D'une certaine manière, ce n'était qu'un prêt, qu'ils espéraient bien récupérer ensuite ! Geralt et Mordin, qui portaient pratiquement tout l'or de l'équipe, se débrouillèrent pour faire un tas sur la table, qui fut recompté par un des voleurs présent dans la salle, et emporté. Puis les choses sérieuses commencèrent.

Plus tôt dans la conversation, Rillit avait déjà dit pourquoi il gardait une dent vis-à-vis des gens du château. Lui se moquait de politique, tout ce qu'il voulait c'était qu'on leur laisse le soin d'exercer leur art, à ses élèves et lui. Déjà, le fait d'être en partie surveillé voire manipulé par les gens d'en haut n'était pas une pensée agréable. Mais surtout, deux de ses élèves un peu trop enthousiastes avaient décidé de s'inviter au château. Aucun des deux n'avait jamais été revu, et leur mort était admise par tous. Cela avait servi de leçon pour les autres, mais cela n'avait pas été oublié par leur mentor. Les voleurs avaient déjà remarqué des allées et venues suspectes entre la maison au pied du piton rocheux et le marché aux esclaves, lors du transfert de prisonniers nordiques. Rillit avait investi la maison, il avait trouvé un passage secret dans la cave, qui menait à un escalier qui sans nul doute menait au château. Mais il n'était pas monté. Par contre, il avait escaladé le piton rocheux, une nuit, et avait surveillé le château et ses environs depuis les broussailles, pendant deux jours, avant de redescendre. Et il avait fait surveiller les gens du château ou leurs serviteurs qui vivaient dans la maison près du piton.

L'homme partagea ses informations sur ce qu'il avait vu là-haut, et qui recoupaient bien les observations de Vif elle-même, en particulier concernant la "poule géante" cachée dans la grange. Entre autres choses, il avait remarqué peut-être entre vingt et trente orientaux, et au plus une demi-douzaine d'autres hommes : pour moitié des guerriers légers - des archers ou rôdeurs - et pour moitié d'autres hommes qui faisaient penser à des érudits ou des chefs : sûrs d'eux, hautains, effrayants même. L'un d'eux allait parfois chez le relieur de la ville, et c'était lui qui était venu proposer le contrat sur la tête de Geralt. Également, l'un d'eux, dans l'après-midi, avait été vu dans le quartier des mercenaires. Rillit lui-même avait participé et il avait entendu ce qui s'était dit entre l'homme et certains groupes de mercenaires comme les Éventreurs de Partila : les aventuriers devaient être mis sous surveillance, voire plus, et si jamais ils venaient les voir pour une quelconque mission, les gens du château paieraient toujours plus et devaient être mis au courant...

8 - Maison à prendre
A partir de toutes ces informations, restait à établir un plan d'action... et un calendrier. Rillit avait partagé ses informations avec les aventuriers, et il pourrait éventuellement en faire plus mais de manière passive : ses élèves et lui pouvaient assurer une surveillance de lieux ou personnes, donner des informations, relayer des messages, mais pas s'attaquer au château lui-même ou à ses habitants. Après discussion, comme l'équipe souhaitait investir le château par le passage secret, le chef des cambrioleurs indiqua qu'il pouvait grandement faciliter les choses : il utilisait diverses drogues et plantes utiles comme le marchand de sable. Ses connaissances lui avaient d'ailleurs permis de repérer un laboratoire vers le haut du donjon du château, d'où venaient sans doute les poisons pour ses habitants. Il se faisait fort de pénétrer dans la maison et d'endormir ses occupants à l'aide du marchand de sable qu'il mettrait dans la nourriture...

Ce qui fut accepté. Plus le temps passerait, plus les dangers de voir les maîtres du château réagir seraient grands. Rillit pouvait mettre en route ce plan le soir même, le temps de rassembler ses troupes et de donner des ordres. Il suffisait de quelques heures... En parallèle, il lui fut demandé s'il était possible de faire courir le bruit auprès des mercenaires que l'équipe avait été vue en haut de la falaise, non loin de l'entrée du château. L'Homme des Bois n'en était pas vraiment capable, mais son collègue qui avait embobiné Isilmë, Mard, saurait certainement y faire... contre rétribution. Il alla discuter le bout de gras avec lui, à travers la porte, suivi par Mordin qui marchanda pour faire baisser le prix. Il avait comme interlocuteur un homme à la langue aussi bien pendue que la sienne, mais de toute manière le prix n'était pas très élevé - une pièce d'or - et la discussion ne prit pas longtemps.

Entre-temps les aventuriers souhaitaient pouvoir se reposer loin des regards, en particulier ceux des mercenaires. Rillit proposa alors de les héberger dans une maison abandonnée après les y avoir fait conduire, par deux ou individuellement, par ses hommes. Vêtus de manteaux et capuchons, entourés de voleurs, ils ne devraient pas trop attirer l'attention, surtout en passant par des chemins détournés. Vif et Taurgil, néanmoins, dirent qu'ils devaient quitter la ville un moment et qu'ils reviendraient le moment venu, en bas du piton qui abritait le château, non loin de la maison. Quelques détails pratiques furent encore réglés, puis tout le monde quitta la salle pour aller vaquer à ses besoins.

Tandis que leurs amis arrivaient sans mal à la maison abandonnée où ils prenaient un peu de repos, la Femme des Bois et le Dúnadan s'isolèrent dans un endroit discret en dehors de la ville, là où les conditions étaient les meilleures pour Vif pour se transformer en lionne. Ce qu'elle arriva à faire sans mal, mais non sans une grosse dépense d'énergie et de volonté. Elle s'installa alors pour se reposer et profita d'un sommeil magique de son compagnon afin de mieux récupérer, sommeil magique que Taurgil se fit ensuite sur lui-même. La nuit était en train de tomber, mais elle risquait d'être longue et il leur faudrait le plus de forces possible.

Le reste du groupe, après quelques heures de repos, se rendit au lieu de rendez-vous, près de la maison au passage secret. Les quatre amis eurent la surprise de voir Rillit comme émerger d'une ombre près de là où ils se tenaient, sans l'avoir perçu auparavant. C'était bien la première fois que Geralt rencontrait un voleur de cette pointure, capable de le surprendre ainsi. Manquaient encore Taurgil et Vif, qui se firent attendre un peu avant d'arriver. Le Dúnadan fut repéré en train de se faufiler discrètement vers eux, mais la venue de Vif fut moins discrète : elle était passée par les toits, mais l'un d'eux ne supporta pas l'arrivée brutale de ses cent cinquante kilos et quelques chevrons cassèrent bruyamment. Malgré le remue-ménage que cela provoqua, elle arriva à terminer sa course sans se faire voir, mais les habitants du quartier levèrent encore longtemps les yeux vers les toits en mémoire de l'ombre qu'ils avaient brièvement aperçue...

Après quelques remarques ou questions au sujet de la Femme des Bois et du félin, Rillit annonça que tout le travail avait été fait, et il les invita à le suivre... en ouvrant la porte. Une bonne dizaine de personnes dormaient à l'intérieur, et suivant une suggestion des aventuriers, le chef des cambrioleurs eut l'idée de maquiller cela en beuverie. Une partie des corps furent emmenés à une taverne proche et bien arrosés, et les autres subirent le même sort sur place. Ils resteraient endormis sans doute encore au moins deux ou trois heures. Puis l'homme les mena à la cave où il leur dévoila le passage secret et le mécanisme pour entrer et sortir. Il leur demanda d'être discrets, en raison d'une (au moins) sentinelle en haut des marches. Ils avancèrent dans l'obscurité, jusqu'au pied de l'escalier qui menait au château. Là, Rillit leur souhaita bonne chance, en leur disant qu'il les retrouverait peut-être en haut, où il allait monter (par l'extérieur) pour observer ce qui allait se passer...

9 - Escalier à prendre
L'escalier était constitué de séries de marches droites qui se joignaient à angle droit sur des seuils. Il était dans l'obscurité la plus totale, et si une lumière pouvait servir au début, il faudrait bien l'éteindre au bout d'un moment, lorsque la sentinelle serait proche. De plus, il fallait faire particulièrement attention au bruit, car le passage amplifiait les sons. Au bout d'un moment, il fut décidé d'envoyer la lionne en éclaireur : non seulement elle voyait le mieux dans le noir, mais ses sens du toucher étaient si développés qu'elle pouvait sans mal avancer en aveugle. Quant à repérer un éventuel piège, c'était une autre histoire... mais elle avait tout de même un gros avantage sur les autres. Elle partit donc en avant, et arriva sans mal près du seuil où une sentinelle, quelqu'un vêtu et équipé comme ceux de la maison plus bas, faisait les cent pas tout en restant moyennement attentif, éclairé par une torche. Il avait un cor sur le côté, attaché à une lanière, et un arc à la main.

L'escalier était raide et ne permettait pas de tout voir, et une volée de marches représentait une dizaine de mètres à parcourir. L'homme était donc difficile à surprendre, et la lionne redescendit jusqu'à ses amis pour leur exposer - discrètement - la situation. Geralt vint alors avec elle, et Taurgil plus loin, mais les autres firent trop de bruit en essayant d'avancer dans le noir et décidèrent finalement de rester où ils étaient. Arrivés près de la sentinelle, Vif vit que cette dernière avait dû percevoir quelque chose car elle écoutait intensément, accroupie, comme si elle s'apprêtait à envoyer quelque chose qu'elle tenait dans l'escalier. Il fallut attendre un bon moment qu'elle se décrispe un peu, temps que l'assassin et la lionne occupèrent à se mettre d'accord par gestes.

Comme la plupart des membres du groupe, tous deux avaient pris de la noix de l'écureuil, qui augmentait considérablement leur adresse et leur rapidité. Geralt avait préparé son arc, encoché une flèche, et dès que la lionne fut partie il visa la tête de l'homme et décocha sa flèche. La sentinelle eut à peine le temps d'ouvrir la bouche quand elle vit le félin lui arriver dessus, mais la flèche fut plus rapide et elle lui transperça l'œil et le cerveau, et l'homme chuta sans bruit. D'autant que Vif l'avait attrapé pour éviter qu'il ne casse la réserve d'huile de lanterne qui gisait à terre non loin du bord de l'escalier. Elle était arrivée droit dessus mais l'avait prestement évitée et avait accompagné la chute de la sentinelle pour qu'elle tombât à côté sans faire aucun bruit... Et tous furent bientôt là.

L'homme ne portait rien d'intéressant sur lui, même si son carquois comportait quelques flèches dont la pointe était enveloppée de tissu imbibé d'huile facile à enflammer à l'aide de la torche allumée. Une réserve de torches gisait d'ailleurs non loin. Restait à poursuivre, ce qui ne serait peut-être pas si simple : la dernière volée de marches arrivait directement dans le plafond, et Vif pouvait entendre - même très étouffés - les voix ou les pas de deux personnes non loin d'eux. Un sort du Dunéen lui apprit, en écoutant les sons portés par la pierre au-dessus d'eux, qu'en plus de deux personnes à quelques mètres de l'ouverture du passage, il pouvait sentir une douzaine d'autres personnes non loin, probablement dans une autre pièce, en train de s'entraîner au combat ou en tout cas actifs physiquement.

Le mécanisme fut facile à trouver : il fallait déverrouiller la plaque de pierre au-dessus d'eux à l'aide d'un levier, et tirer sur la poignée qui permettait de faire glisser la lourde plaque sur des rails de chaque côté du passage. L'organisation suivante fut adoptée : Geralt actionnerait le levier et se tiendrait prêt à bondir dans la pièce pour tuer les sentinelles, aidé en cela par les arcs de Drilun et Isilmë un peu plus bas. Les trois autres se tiendraient plus bas : une corde avait été attachée à la poignée et enroulée aux épaules de la lionne qui tirerait le plus vite possible la plaque de pierre, aidée par Taurgil et Mordin. Et ainsi fut-il fait. Le plafond de pierre glissa d'un coup rapide, et l'assassin... sentit un tapis lui tomber dessus, tandis que des voix s'élevaient dans une langue qu'il ne connaissait pas.

10 - Château à prendre
En fait, le tapis qui recouvrait l'espace correspondant à la trappe tenait aussi par les côtés, et donc il n'était pas complètement tombé sur Geralt mais il pendait un peu sur lui. Il ne mit que quelques secondes pour le réduire en morceaux à l'aide de son épée, mais ce fut suffisant pour que les gardes donnent l'alerte tandis qu'il bondissait dans la pièce, un riche salon couvert de tentures et tapis. Les sentinelles - deux orientaux - étaient trop loin de l'ouverture pour que les archers les voient et puissent leur tirer dessus. Geralt bondit sur l'un d'eux qui reculait et lui fit sauter la tête des épaules, tandis que l'autre courait vers une double porte. Mais pas assez vite. Les archers virent la lionne bondir par-dessus eux et se précipiter dans la pièce, et bientôt une tête vola contre un mur.

Néanmoins, le mal était fait, et les bruits et cris qui s'élevèrent indiquèrent que les gens du château étaient prévenus de leur arrivée. Ils tardaient néanmoins à venir à eux, même si manifestement certains s'étaient déplacés. En dehors des portes qui faisaient face au passage secret, un escalier à gauche permettait de monter à l'étage. Comme rien ne se passait, une des deux portes fut ouverte avec précaution. Elle donnait sur un hall qui comportait une porte simple sur la droite et une double porte sur le mur d'en face, un peu vers la droite. Les battants étaient en partie ouverts et laissèrent voir des orientaux armés qui refermèrent la porte en hurlant.

L'équipe décida, faute de combat immédiat, d'explorer les étages, et elle barricada la porte. Après une fouille rapide du salon qui n'apporta rien, tous montèrent. L'étage suivant était occupé par deux pièces et un autre escalier vers l'étage supérieur. L'une des pièces comportait une chambre pour trois personnes érudites dont l'un ne devait pas être loin puisque son bureau montrait des signes d'activité très récente. L'autre pièce était une bibliothèque qui enchanta Drilun mais aussi d'autres aventuriers à la recherche de savoir intéressant ou rémunérateur... Il y avait bien quelques ouvrages sur la magie, sur des herbes aussi (poisons surtout), mais l'essentiel était occupé par des descriptions des villes et autres lieux du Rhovanion voire au-delà et des gens qui y habitaient. Dans le meuble de bureau récemment utilisé, des rapports en noirparler furent trouvés et pris ; quelques ouvrages de la bibliothèque également. Puis l'équipe gagna l'étage suivant.

En plus d'un autre escalier menant à un quatrième niveau, l'essentiel du lieu était consacré aux plantes : plusieurs d'entre elles séchaient çà et là, de multiples flacons trônaient sur des étagères, et une table au centre de la pièce hébergeait tout le matériel d'apothicaire nécessaire à la préparation de remèdes et poisons. En fait, quelqu'un avait dû s'interrompre en plein travail, car des plantes étaient encore en train de cuire dans un petit récipient. D'ailleurs, des volets et une fenêtre étaient ouverts et donnaient sur les toits de bâtiments adjacents, et il était probable que quelqu'un était passé par là peu de temps auparavant. Après un moment à fouiner et observer les environs aux fenêtres, le groupe monta au dernier étage.

Il était occupé par une grande chambre qui servait à quelqu'un qui ne l'avait pas utilisée depuis plusieurs jours au moins. En revanche, un coffre attira tout de suite l'attention de Geralt et de Mordin. Mais sa serrure comportait une substance dont l'assassin se méfia tout de suite. Après un sort de l'archer-magicien pour déverrouiller la serrure, le coffre fut ouvert à l'aide de tissu pris sur le lit. Au grand bonheur du nain, qui récupéra quelques centaines de pièces d'or, en fait à peu près ce qui avait été remis aux voleurs. Mais, tandis que certains pillaient les lieux, une autre scène se passait aux fenêtres, et la fameuse "poule géante" de Vif se montra dans toute sa splendeur.

En effet, par la fenêtre du mur nord, juste devant l'escalier, certains avaient pu voir la grange déjà aperçue par la lionne, et un homme qui en ouvrait les battants. Tandis que l'homme semblait proférer une espèce d'incantation, Isilmë utilisa des flèches incendiaires pour commencer à mettre le feu à ladite grange, quand une sinistre créature en passa les portes. Elle avait un peu le bec d'une poule, mais elle était bien plus grande qu'un cheval et elle était toute de cuir et sans plume. Un croisement entre une poule et un dragon, en somme... Drilun arriva à la blesser d'une première flèche mais elle put s'envoler avec un cri, et sa deuxième flèche rebondit sur son cuir, tandis qu'elle s'envolait dans la nuit et que l'homme de la grange courait se réfugier dans les bâtiments du château, non loin de chevaux dont on entendait les hennissements de terreur...

Le groupe redescendit et commença à explorer les autres pièces du rez-de-chaussée, du moins les plus éloignées de là où ils entendaient des cris et autres bruits des orientaux. Ils passèrent par une petite antichambre, une pièce carrefour, la riche entrée du château qui donnait sur l'extérieur, et la cuisine. Toutes étaient désertées, même si la cuisine montrait des signes récents d'activité. Manifestement, on les attendait ailleurs. Fallait-il aller au combat, et régler les problèmes une bonne fois pour toutes, ou redescendre tranquillement par là d'où ils étaient venus ? Dans le premier cas, les gens du château étaient chez eux et prêts à les accueillir, dans le second, ils resteraient une menace qui pouvait débarquer à tout instant...
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Horselords - 13e partie : le vainqueur remporte tout

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1 - De porte en porte
Le choix fut vite fait : l'opération de "nettoyage" devait aller jusqu'au bout. D'autant que certains entendaient les cris de douleur d'une personne, au loin, à travers les portes. Les plus perceptifs pouvaient même dire qu'il s'agissait d'une femme, et probablement une nordique. Cris brefs et intenses, comme une personne que l'on commence à peine à torturer ; mais cris espacés, comme quelqu'un que l'on ménage, comme un plaisir que l'on fait durer. Ou peut-être s'agissait-il juste de donner du cœur aux aventuriers et de les motiver à venir. En ce cas, ce fut une réussite. Restait juste à voir par où et comment arriver.

Deux doubles portes semblaient barricadées, qui devaient donner dans la même pièce. Geralt emprunta la corde magique du serpent à son ami Dúnadan : en prononçant le mot magique "lýg" - il lui fallut plus d'un essai - il devint en quelque sorte un serpent dont le corps de Geralt tenait la queue, tandis qu'il pouvait diriger la tête et voir à travers ses yeux. Il n'y avait pas assez d'espace pour passer sous les portes, mais en revanche il y en avait assez pour voir un peu au ras du sol ce qui pouvait les attendre. Personne ne semblait présent dans la pièce où ils comptaient entrer, mais des tables et des bancs dont les pieds proches indiquaient qu'ils bloquaient le passage. En effet, toutes les portes s'ouvraient du côté du probable réfectoire où ils souhaitaient pénétrer.

Mordin prit sa hache et l'enfonça dans un panneau, faisant une ouverture suffisante pour voir la vaste pièce de l'autre côté, même si elle était dans l'obscurité. Mais la lionne qu'était Vif utilisa une autre méthode : elle planta profondément ses griffes dans le bois d'un autre battant, s'arcbouta, tira... et finit par arracher la porte de ses gonds. Il fut ensuite facile de déblayer le passage et de rentrer. A gauche, d'autres doubles portes barricadées furent dégagées, qui donnaient dans le hall qui séparait le réfectoire du salon par où ils étaient arrivés, via le passage secret. En face, une autre paire de portes laissait filtrer de la lumière et des cris de douleur. A droite, au fond du réfectoire, une simple porte ne montrait aucun signe de vie, si ce n'est quelques hennissements de chevaux proches.

La porte du fond fut ouverte sans problème. Elle donnait sur quelques marches qui descendaient dans une cour ou plutôt un jardin fermé par des murs de pierre, avec dans un coin une grange avec un départ d'incendie et une petite écurie attenante d'où montaient quelques hennissements de chevaux apeurés. Une vingtaine de chevaux se tenaient loin de la grange, sur la gauche en ouvrant la porte. Mais ce ne semblait pas être l'incendie qui les inquiétait, contrairement à ceux qui étaient dans l'écurie. Malgré la nuit, mais grâce à sa vue perçante et au trèfle de lune qu'il avait mis dans ses yeux, Taurgil vit passer, très haut dans le ciel couvert, comme une grande silhouette faisant penser à un croisement entre dragon et chauve-souris. La créature qu'ils avaient vu s'envoler était encore là, à tourner au-dessus d'eux...

Du coup, une précédente proposition de passer par les toits pour aller combattre les Sagaths fut abandonnée. Geralt en particulier ne tenait pas à se faire attaquer au mauvais moment par ce monstre dont il redoutait la puissance. Il faudrait donc passer par la porte. L'incendie de la grange serait vite éteint par un sort de l'archer-magicien dunéen, un peu plus tard, mais avant cela, l'équipe se prépara à combattre. La corde-serpent fut à nouveau utilisée, ainsi qu'un sort d'écoute de Drilun. Tous deux confirmèrent que leurs ennemis étaient bien là, dans une grande pièce occupée en son centre par un pilier noir, entre autres choses. La serrure fut magiquement déverrouillée, et l'assassin s'apprêta à ouvrir un battant pour jeter un rapide coup d'œil de l'autre côté, contre l'avis de ses amis.

2 - Contacts à distance
Le battant fut donc tiré un bref instant, le temps pour Geralt de jeter un œil (et même les deux) par l'entrebâillement, afin d'observer l'autre côté. Ce temps fut bref mais suffisant pour qu'une flèche soit tirée dans sa direction et se fiche dans la porte, à une distance d'une main de sa tête. Bref, mais suffisant pour qu'il voie la pièce dans son ensemble avec ses principaux occupants, ses meubles et son aménagement. Il referma la porte et se tourna vers ses compagnons. Les ennemis étaient bien là, dans une grande pièce large et profonde, éloignés de la porte par où ils devaient passer. Mais il avait aussi vu un élément bien plus inquiétant.

Le centre de la pièce était occupé par un épais pilier qui lui avait fait penser, sur l'instant, à une espèce de pierre irrégulière, comme un monolithe noir. Et surtout, il avait vu de nombreuses runes bien visibles taillées dans cette pierre, et l'ensemble avait engendré en lui une brève peur panique. Il avait vite maîtrisé ce sentiment, même si son cœur battait encore la chamade, mais il ne pouvait s'empêcher de penser à une puissante magie noire. La présence visible de ce monolithe noir couvert de runes incitait à penser à la mort, la souffrance et la destruction, et était source d'inconfort voire de terreur pour ceux qui refusaient ces pensées.

La magie ténébreuse qui émanait du pilier n'inquiétait pas trop les aventuriers aguerris et qui avaient tâté plus d'une fois de sorcellerie. D'autant qu'ils portaient pour une bonne part des amulettes confectionnées par Drilun pour renforcer leur résistance et leur volonté face à cette magie noire. En revanche, ce noir pouvoir avait peut-être des effets positifs sur ses habituels occupants. Cela expliquait peut-être pourquoi ils s'étaient réfugiés ici. Mais le coup d'œil avait été trop rapide, il fallait essayer d'en savoir plus, quitte à prendre un peu plus de risques. Ce que les deux membres les plus résistants du groupe étaient tout à fait disposés à faire.

Taurgil se prépara donc à ouvrir à nouveau un battant, de manière plus large et plus longue. Il le ferait abrité derrière son bouclier, afin de mieux observer la salle tout en se protégeant des flèches qui ne tarderaient pas à arriver. Pendant ce temps, au ras du sol, la lionne glisserait sa tête pour essayer de tout distinguer du lieu, et notamment tout ce qui se trouvait dans les angles morts de chaque côté de la porte. Isilmë et Drilun en profitèrent pour se mettre un peu derrière le grand et costaud Dúnadan, une flèche encochée sur leur arc bandé, prêts à tirer sur la première cible à se présenter. Et la porte fut ouverte.

L'archer-magicien, fébrile et impatient, fut le premier à décocher une flèche après un bref coup d'œil. Il avait repéré plusieurs archers dans un coin de la pièce, près de l'ouverture sur un espace circulaire rempli d'instruments de torture et où il put distinguer un escalier en colimaçon qui montait vers un étage. L'un de ces archers passa de vie à trépas, tandis qu'un autre était mortellement blessé par l'elfe et tomba inconscient. Taurgil reçut deux flèches dans son bouclier, sans aucune autre conséquence. En revanche, Vif eut le temps de voir sur sa droite un escalier en L dans le coin de la pièce, avec un archer qui ressemblait fort aux rôdeurs noirs de Dol Guldur.

L'homme attendait que quelque chose passe l'entrée et il décocha la flèche sur elle, une flèche couverte de runes comme celles qu'ils avaient déjà vues. La lionne n'eut pas le temps de retirer la tête et elle écopa d'une belle estafilade, heureusement sans gravité. Mais alors que la porte était refermée, la blessure se mit à brûler, comme si un poison pénétrait en elle par la plaie. Elle réclama de l'aide à grands cris félins, cris que Geralt pouvait comprendre grâce au tour d'oreille magique confectionné par son ami dunéen, et qu'il avait déjà activé. Tandis que Taurgil utilisait sa magie des soins pour essayer d'affaiblir ou d'éliminer le poison, le maître-assassin sortait un contrepoison de son sac et en enduisait la blessure de son amie. Petit à petit, elle sentit la douleur refluer, pour ne plus laisser que celle d'une blessure bénigne.

3 - Entrée en force
Le bilan fut fait et un plan d'action fut arrêté : les deux battants de la double porte seraient ouverts pour laisser passer Geralt et Vif. Le premier, appuyé par les flèches des archers, irait s'attaquer aux guerriers du fond de la salle, tandis que la lionne se réservait le rôdeur noir dans l'escalier. Taurgil et Mordin suivraient ensuite et iraient sus aux orientaux. Tous étaient bien protégés par leurs armures, et stimulés par de la bonneherbe qui leur conférait optimisme et maîtrise de soi. Et plusieurs avaient pris des noix de l'écureuil, qui accroissaient leur rapidité et leur adresse. Geralt, armé d'une épée magique légère et rapide, pouvait porter trois attaques dans le même temps qu'une personne normale en faisait une seule...

Les portes furent ouvertes brusquement et l'assassin s'élança à toute allure, surprenant tout le monde. Y compris les orientaux qui s'étaient déplacés de chaque côté de la porte, et qui ne purent tenter de lui porter un coup. Six guerriers avaient en effet changé de position : quatre avec des lances, deux avec des arcs. Par ailleurs, dans le reste de la pièce, des tables avaient été renversées pour permettre aux orientaux de se protéger des flèches. Sauf quelques archers qui eux avaient un peu reculé dans les espaces circulaires du fond de la pièce, prenant abri derrière l'angle d'un mur.

Lorsque la porte avait été précédemment ouverte, deux rôdeurs noirs avaient été repérés avec un arc à la main : en plus de celui dans l'escalier, que Vif se réservait, l'un d'eux était aussi présent dans un coin de la pièce. Drilun s'était placé de manière à pouvoir en faire sa cible, et à peine les portes furent-elles ouvertes et l'assassin parti qu'il décocha sa flèche. Malgré la distance, malgré les ombres épaisses, malgré l'abri dont l'homme bénéficiait, le combat fut bientôt terminé pour lui : la flèche lui traversa la tête et le cerveau, et il s'écroula sans un bruit.

La lionne découvrit la présence des orientaux de chaque côté de la porte lorsqu'elle entra, mais elle ne remit pas en question son objectif : le rôdeur noir. Elle bondit par-dessus les trois hommes qui la séparaient de l'archer aux flèches magiques, pour arriver devant lui, à quelques marches de distance. Une nouvelle fois elle sentit une flèche percer sa peau et la brûlure d'un poison se répandre, mais elle n'en avait cure, elle était assez robuste pour pouvoir ignorer la douleur un moment. Son coup de griffe fit passer l'homme de vie à trépas avant même qu'il arrivât à poser la main sur la garde de son épée, avant même que l'arc qu'il avait lâché ne touchât le sol...

Geralt était arrivé au contact des premiers guerriers. Appuyé par les flèches de ses amis, mais sous le feu des archers ennemis dans son dos, il eut encore une pensée pour son armure de peau de dragon qui empêcha les flèches de faire plus que des bleus. Puis il enchaîna les attaques et manœuvres à toute vitesse : faire sauter la tête du plus proche ennemi qui lui barrait le passage, courir jusqu'à l'archer proche et le tuer, plonger en avant pour éviter les attaques des ennemis qui arrivaient dans son dos, se relever face à eux... et continuer ainsi, faisant danser sa lame ensanglantée à toute allure.

Taurgil passa les portes avec Mordin. Le premier suivit les traces de la lionne et se trouva face à deux guerriers armés de lance. Il en tua un et encaissa sans mal l'attaque du deuxième grâce à son armure de mithril. Le nain ne fut pas aussi chanceux : il fut surpris par l'homme sur sa gauche alors qu'il entrait dans la pièce, et il sentit une pointe de lance entrer dans son flanc, malgré sa cotte de mailles, heureusement pas trop profondément. Il se tourna vers ses agresseurs, sur la défensive, et évita l'attaque du deuxième homme. A l'autre extrémité de la pièce, les ennemis restants convergeaient vers Geralt ou vers eux, tandis que Vif découvrait de nouveaux ennemis en haut de l'escalier où reposait le corps du rôdeur noir qu'elle venait de tuer...

4 - Fin du combat
Tandis que Geralt continuait à faire voler les têtes, les flèches de Drilun et Isilmë blessaient ou tuaient divers adversaires dans la salle. La lionne, elle, se tourna vers les deux silhouettes en haut de l'escalier, silhouettes noires occupées à incanter une sombre magie qui prit la forme d'une vague de peur et de désespoir portée par les ténébreuses paroles des deux sorciers. Mais cette magie se heurta à la volonté d'acier de la Femme des Bois, aidée par le collier magique confectionné par son ami Drilun. Par ailleurs, vu comme le combat tournait à leur désavantage, leurs paroles menaçantes perdaient de leur mordant et la magie de sa force. Elle grimpa l'escalier en deux bonds et mit fin aux jours d'un sorcier, tandis que l'autre s'enfuyait pour mourir un peu plus loin sous ses griffes.

Si Taurgil voyait de nouveaux ennemis arriver vers lui, il était aussi capable de faire baisser leur nombre, et un nouvel oriental s'abattit par terre. Mordin, de son côté, était plus en difficulté, gêné par sa blessure et par une armure moins performante que celle de son ami. Après une nouvelle blessure, légère cette fois-ci, il apprécia l'arrivée de Geralt pour aider à mettre fin au combat. Le Dúnadan profita également du retour de la lionne pour accélérer les choses, et le combat s'arrêta bientôt faute d'adversaires. Les orientaux s'étaient battus comme de vrais fanatiques, sans tenter de fuir ou demander grâce, jusqu'à leur mort.

Vif demanda à nouveau qu'on s'occupât d'elle et Geralt sortit encore un contrepoison pour appliquer sur sa nouvelle blessure. Mordin, de son côté, serra les dents sans broncher lorsque du baume orc fut appliqué sur sa plaie la plus profonde. Son corps avait résisté au poison enduit sur la pointe de lance qui l'avait touché, en raison de sa nature naine d'une part, mais aussi d'un poison différent, moins virulent que celui utilisé par les rôdeurs noirs. Les corps furent fouillés et les fioles de poison furent récupérées, de même que les quelques flèches couvertes de runes magiques que les rôdeurs noirs n'avaient pas utilisées. Sans parler des armes et armures, globalement de bonne qualité, même si certaines avaient à présent besoin de réparation...

La femme nordique dont ils avaient entendu les cris put être rapidement délivrée, dès la fin du combat : elle était attachée par des chaînes à des anneaux de fer sertis sur le monolithe/pilier noir au centre de la pièce, avec des braises éparpillées autour de ses pieds. Un brasero proche avait servi à chauffer divers instruments qui avaient servi à la brûler, mais elle ne souffrait d'aucune blessure sérieuse. Elle fut soignée et emmenée dans une autre pièce : si les aventuriers avaient tous réussi à résister aux effets néfastes des runes magiques serties sur le monolithe, tous pouvaient sentir un malaise en sa présence voire un effet corrupteur.

La femme était une prisonnière chargée de faire à manger pour les gens du château. Elle était arrivée là peut-être un an auparavant suite à un raid des orcs sur sa tribu. Elle avait trouvé au château d'autres prisonniers chargés comme elle des corvées, mais en général ils finissaient tôt ou tard par disparaître et être remplacés par des nouveaux - souvent des femmes. Néanmoins, peut-être parce qu'elle plaisait plus, elle n'avait pas connu le même sort, même si elle était la dernière : elle s'était retrouvée seule peu après que les orientaux partis chercher des nouveaux prisonniers étaient revenus bredouilles et amputés d'une partie d'entre eux. L'autre prisonnière avait alors servi de défouloir aux guerriers furieux... La femme nordique n'apporta guère d'information nouvelle aux aventuriers, hormis une concernant un maître des lieux, absent au moment du combat, qui passait en général autour de quelques jours par mois. Il arrivait de nuit, et d'ordinaire sa venue coïncidait avec la nervosité des chevaux dans la cour.

Plus tard, alors que certains profitaient d'un repos bien mérité, des coups sourds se firent entendre à l'entrée du château. Le Dúnadan alla ouvrir, qui s'attendait bien à la personne qui les sollicitait ainsi : nul autre que Rillit l'écureuil, chef des cambrioleurs du clan des voleurs de Forpays. Il avait manifestement suivi de loin ce qui s'était passé, caché hors des murs du château, mais il n'avait pas bougé lorsqu'il avait vu l'espèce de dragon miniature monter dans le ciel et tourner autour du site un long moment. Les bruits de bataille avaient pris fin, et la créature avait fini par s'éloigner vers l'est. Après avoir attendu, le temps d'être sûr qu'elle ne reviendrait pas, il était sorti de sa cachette pour se faire connaître, avant de redescendre vers la ville où il allait annoncer à ses collègues ce qui était advenu des occupants du château.

5 - Inventaire
Le jour arriva mais tout resta calme. En dehors de Geralt qui n'appréciait rien tant que de rester couché, Mordin et Vif avaient des blessures qui restaient à guérir, et plusieurs aventuriers subissaient à présent le contrecoup de la noix de l'écureuil, à savoir une grande faiblesse générale, tant physique que psychique. L'activité fut donc passablement réduite et consista à évaluer les possessions du château et décider de leur avenir. Les aventuriers avaient éliminé de probables sbires du Nécromancien ou autre noire puissance, mais ils n'oubliaient pas qu'ils étaient venus avant tout pour acheter des chevaux. Et l'argent qui pouvait être récupéré à droite ou à gauche n'était pas à négliger, car il permettrait peut-être d'augmenter le nombre de montures ramenées en Arthedain...

Les vingt-trois chevaux présents dans la cour étaient sans doute le "prix" le plus intéressant de leur excursion dans le château. Ils représentaient le véritable début de leur troupeau à destination des armées d'Arthedain. Par ailleurs, ces bêtes étaient toutes de qualité, globalement robustes et rapides, et trois d'entre elles, d'après les observations, semblaient habituées à l'odeur de la créature qui occupait auparavant la grange. Où qu'elle fût, il était intéressant de disposer de montures qui ne prendraient pas la fuite à son éventuel retour, comme les autres chevaux feraient certainement.

Une fouille minutieuse du château n'apporta pas grande nouveauté. Au-delà de l'or déjà trouvé dans le coffre de la plus haute pièce du château, les stocks d'armes et armures - toutes de bonne qualité - restaient sans doute le principal trésor du lieu. Ils avaient malheureusement l'inconvénient d'être bien plus encombrants que leur équivalent monétaire. Les cottes de mailles récupérées - une quarantaine - représentaient un poids quatre fois plus important que les armes ; le total armes plus armures, qui devait faire une demi-tonne environ, nécessiterait un chariot entier à lui tout seul, s'il était question de l'emmener ailleurs.

Le contenu de la bibliothèque, s'il n'avait pas forcément la même valeur marchande, devait être à peu près aussi lourd. Les livres furent examinés, triés et empilés dans des coffres et malles. Au grand dam de certains, très peu parlaient de magie, et il s'agissait essentiellement de magie noire. Au final, six tomes discutaient de sinistres rituels magiques, d'histoire de la magie noire ou d'ingrédients pour la renforcer. Divers livres traitaient de faune, flore et autres sujets généraux, mais l'essentiel des livres portait sur les peuples et les cités du Rhovanion, leurs langues et leurs richesses, leurs chefs et autres personnes d'influence...

Drilun en particulier, au cours de ses lectures, trouva des informations intéressantes sur un groupe de personnes qui se faisaient appeler les Maeghirrim ("Seigneurs Transperçants", en sindarin). Ce semblaient être les chefs du "Culte de la Longue Nuit", installé dans la Vallée du Sang Noir ("Nan Morsereg"), quelque part dans les Monts de Fer. Ce culte avait apparemment une influence grandissante sur les peuples de la région, orientaux mais également nordiques. Et les liens entre ces Maeghirrim et les forces du Nécromancien ou d'Angmar semblaient plus que symboliques. Mordin, originaire des Monts de Fer, déclara n'en avoir jamais entendu parler, par contre.

A tout cela il fallait encore ajouter diverses soieries et autres babioles précieuses comme de l'argenterie de qualité, selon les évaluations du nain. Au final, si l'on pensait à faire un peu de place pour le hobbit et la Femme des Bois sous sa forme animale, il y avait largement de quoi remplir trois chariots... et d'en laisser pour au moins dix fois plus ! Et transporter ce matériel était une chose, le vendre en était une autre, même si les livres n'étaient pas emportés pour de l'argent, eux. Pas plus que les quelques gouttes de sang séché que le Dunéen avait récoltées devant la grange, là où il avait blessé la créature volante d'une flèche. Il aurait bien aimé trouver des morceaux de cuir ou autre, mais il en fut pour ses frais ; et il choisit de ne pas récolter les fientes laissées par l'animal, tant l'odeur était peu appréciée des chevaux... et des hommes.

Drilun passa également du temps sur les runes du monolithe noir, runes extrêmement fines et bien inscrites dans l'espèce de verre noir et très dur qui composait le pilier. Il chercha à les détruire à l'aide de ses propres outils en mithril, mais la tâche se révéla vite impossible : cela prendrait trop de temps et la proximité des runes l'incommodait de plus en plus. A tel point qu'il commençait à en trembler. Il abandonna l'idée de les détruire, mais il fit un dernier effort : utilisant sa magie et avec un simple toucher des fins sillons creusés, il eut une vision de la personne qui les avait réalisés. Une fois de plus lui apparut le visage d'un grand elfe aux cheveux d'argent, vêtu de gris, d'argent et de noir.

6 - Marchandage
Après une journée et une nuit complètes à activité nulle ou réduite, les drogues furent éliminées des corps et les blessures furent refermées. Les aventuriers décidèrent alors d'aller acheter des chariots pour charger le lourd butin qu'ils avaient rassemblé dans l'entrée du château. Mais ils virent vite qu'une foule d'une cinquantaine de personnes leur barrait le chemin devant la tourelle qui gardait l'accès au château. Le clan des voleurs était là, dont deux personnages vite identifiés : Hrothgar, le chef des gros bras du clan, et Mard, son pendant pour toutes les opérations de marchandage et entourloupes de toutes sortes. Deux chariots vides étaient également présents, comme prêts à être remplis.

Lorsque l'équipe s'approcha du groupe, Mard, affable et poli, dit de sa plus belle voix qu'il souhaitait aider à valoriser les valeurs présentes dans le château afin d'en tirer le meilleur prix pour les aventuriers... et son clan. Rillit leur avait fait un rapide topo comme quoi les orientaux et leurs maîtres avaient été vaincus, ce pour quoi toute la ville (dont les voleurs) était redevable aux aventuriers. Son clan s'était rendu maître de la maison où débouchait le passage secret qui descendait du château, et de ses habitants également, bien sûr. L'homme semblait néanmoins pressé de conclure de juteuses transactions pour les deux parties (et la sienne tout particulièrement), ayant toujours à l'esprit que le château n'était pas resté longtemps inoccupé lorsque le mage Leärdinoth, premier occupant des lieux, avait été tué par une précédente équipe d'aventuriers.

Mordin, tout autant habitué au marchandage et aux belles paroles, répondit que s'il était entièrement d'accord pour faire de fructueux échanges réciproques, il tenait d'abord à terminer un marché en attendant d'en entamer un nouveau. Et par conséquent il n'était pas question de laisser les voleurs entrer ou réclamer quoi que ce fût tant que le hobbit restait entre leurs mains. Ce à quoi Mard répondit qu'il était entièrement d'accord et que si le nain et ses amis disposaient du reste de la somme convenue, il se ferait une joie de les amener jusqu'à leur petit ami souffrant. Et il était prêt à fournir dans le même temps toute l'aide nécessaire pour évacuer les biens du château en lieu sûr... dont des chariots.

Est-il utile de détailler plus avant les nombreux échanges qui suivirent dans la journée (et au-delà) entre le nain et le voleur à la langue bien pendue ? Tous deux étaient rompus aux tractations en tout genre et autant âpres au gain l'un que l'autre. Il suffira de dire qu'ils se mirent d'accord, après un inventaire rapide du contenu du château, sur une somme que les voleurs verseraient aux aventuriers pour le mobilier et tout ce que les aventuriers laisseraient sur place à la merci du clan. Trois chariots furent également achetés pour transporter les nouveaux biens de Mordin et ses amis, biens encombrants qu'ils auraient préféré vendre aux voleurs mais pour lesquels Mard ne donna pas un prix assez élevé au goût de certains.

On ajoutera aussi que les tractations - pour retrouver le hobbit entre autres - traînèrent parfois en longueur, en particulier quand le groupe n'était pas au château. Curieusement, certaines pièces furent visitées pendant ce laps de temps, et certains biens relativement peu encombrants ne furent pas retrouvés... Rillit étant sans doute le seul voleur capable de pénétrer le lieu par ses seuls moyens et sans se faire remarquer de la lionne, qui gardait l'accès au pont qui enjambait le vide jusqu'aux bâtiments, il fut fortement soupçonné, et Mard fut mis au courant que les aventuriers n'étaient pas dupes des petites manigances des voleurs...

7 - Hobbit sur canap... sur brancard
Mais avant la conclusion de ces tractations marchandes, la première d'entre elles consistait à récupérer leur petit ami. Tandis que Taurgil et Vif veillaient sur le château, le reste du groupe, accompagné de Mard et de quelques voleurs, retourna à Buhr Waldlaes en faisant tout le tour par la route qui franchissait la falaise, à l'ouest de la ville. Cela prit du temps, d'autant que les voleurs ne semblaient pas particulièrement pressés. Avec le recul, certains se dirent que peut-être n'étaient-ils pas pressés pour que l'un d'entre eux puisse visiter le château et faire descendre quelques affaires non gardées par Taurgil directement dans la ville, à l'aide d'une corde.

En tout cas, tous se retrouvèrent bientôt devant les bâtiments du clan des voleurs, à attendre encore un peu pendant que Mard prévenait ses confrères et s'assurait de leur accord. En fin de compte, après avoir payé la somme complémentaire demandée, ils furent menés à l'intérieur jusqu'à une pièce où ils s'étaient déjà entretenus avec Rillit. Ce dernier était là, avec d'autres cambrioleurs, ainsi qu'un brancard dans lequel dormait Rob, qui était drogué. Après qu'Isilmë eut vérifié qu'il allait bien - ni plus ni moins qu'avant de disparaître - les cambrioleurs, menés par Rillit, emportèrent le brancard sans heurt dans la ville. Menés par les aventuriers, ils prirent ensuite le passage secret jusqu'au château où Rob fut installé, l'elfe à son chevet.

Le reste des tractations se poursuivirent, avec quelques difficultés quand des chevaux furent pris pour aller chercher les chariots proposés. En effet, ils furent bloqués par Hrothgar qui réclama tout d'abord une taxe pour le passage des équidés. Ce qui menaça une nouvelle fois d'escalader en conflit armé et de compromettre les délicats accords marchands qui avaient été ou étaient en train de se conclure. Les cinquante voleurs - et même moins car certains qui accompagnaient Mard n'avaient nullement l'intention de combattre - n'étaient pas un réel obstacle pour l'équipe. Le sang versé, en revanche, pouvait avoir des conséquences et leur être préjudiciable.

En privé, Mard expliqua que Hrothgar, qui n'était pas vraiment une lumière, obéissait au besoin d'affirmer ses capacités auprès des voleurs qui dépendaient de lui. Accessoirement, l'argent récolté pouvait aussi servir à gagner de l'influence au sein de l'équipe restreinte des chefs du clan. La raison de sa demande de "taxe" était donc plus à chercher dans les mécanismes internes aux voleurs qu'à chercher à nuire ou exploiter les aventuriers : l'homme avait besoin d'affirmer son autorité et d'apporter des résultats concrets. Mard offrit de payer à l'avance la taxe, ce dont Mordin profita pour demander une "commission" supplémentaire, mais elle fut refusée. Ce petit arrangement finit par être accepté, et une "taxe" fut payée pour le passage des vingt-trois chevaux, même si seulement six d'entre eux étaient à présent sur le point de passer : six chevaux étaient nécessaires pour les trois chariots qu'il faudrait amener.

Néanmoins, Drilun eut tout de même envie de saboter un peu la suffisance du chef des cogneurs qui empochait l'argent. Tandis que les voleurs faisaient demi-tour pour rebrousser chemin et revenir à Forpays, il utilisa sa magie pour détacher les braies de la brute, braies qui commencèrent à glisser. C'est ce moment que choisit la lionne, qui avait suivi toute l'affaire, pour sauter vers les voleurs, sans agressivité mais comme un gros chat qui avait envie de jouer. Ce que ne comprirent pas les membres du clan, dont beaucoup se mirent à courir, y compris leur chef... qui s'étala par terre, cul nu. Le ridicule de sa situation le fit rougir comme une pivoine - et rire sous cape plus d'un voleur - mais devant l'air joueur de la lionne, il préféra ne pas insister et partit en jurant dans sa barbe après avoir remis ses habits correctement.

Certains aventuriers suggérèrent à Mard que si jamais les voleurs voulaient se débarrasser de cet encombrant personnage, ils n'avaient qu'à demander... et y mettre le prix. Ce à quoi il leur fut répondu qu'il y avait pire que Hrothgar, qu'il avait son utilité et qu'il était relativement facile à contrôler. Le clan des voleurs tâchait de rendre ses membres plus intelligents, il leur apprenait à lire et écrire, à réfléchir avant d'agir, et leur offrait une vie meilleure que ce qu'ils pouvaient espérer trouver aux alentours. Mais certains d'entre eux ne connaissaient que la loi du plus fort, et il fallait bien quelqu'un pour les tenir. Leur chef était avant tout une brute, mais seule une brute pouvait espérer leur commander, et celle-là n'était pas la plus bête. On a toujours besoin de quelqu'un pour faire le sale boulot.

8 - Départ pour Buhr Widu
Le groupe en avait fini avec Buhr Waldlaes, et n'oubliait pas son objectif premier : Buhr Widu et le prince Atagavia, chef des Waildungs. Malgré tout l'or donné aux voleurs, Mordin et ses amis en avaient plus qu'au début de leur voyage pour acheter des chevaux. A présent ils avaient déjà plus d'une vingtaine de chevaux, et trois chariots pleins de matériel... et un blessé grave. Blessé qui risquait de ne pas apprécier le voyage, d'après Isilmë, qui affirmait qu'il avait besoin de temps, de soins et d'un endroit chaud et douillet où guérir tranquillement. Mais le temps allait finir par leur manquer, et personne ne souhaitait laisser Rob derrière eux, même avec la guerrière elfe, qui avait déjà montré qu'elle ne connaissait pas bien les humains et leurs petits tours.

Gérer les chevaux et les chariots était trop pour six personnes, voire même cinq, car on pouvait difficilement compter la lionne dans les aides possibles. Vif ne voulait pas reprendre forme humaine, même lorsqu'elle serait à Buhr Widu, et comptait voyager discrètement, par exemple en tenant compagnie (et chaud) à Rob, dans l'un des chariots. Geralt conduirait ce même véhicule qui les transporterait, avec les soieries et autres objets précieux trouvés au château ; Drilun mènerait le chariot rempli de livres, avec sans doute Isilmë à ses côtés ; et Mordin gérerait celui avec les armes et armures. Ce qui laissait plus de vingt chevaux à faire avancer pour le seul Dúnadan, qui, s'il était un cavalier correct, imaginait assez bien ce qui se passerait en cas de danger : il verrait des croupes de cheval dans toutes les directions... L'ancienne cuisinière du château viendrait avec eux jusqu'à la prochaine ville, Buhr Waldmarh, où elle débarquerait pour trouver quelqu'un pour la ramener parmi les siens. Mais elle ne pourrait guère aider, toute nordique qu'elle fût, ses blessures étant loin d'être toutes guéries.

En conséquence, Mordin et ses amis allèrent voir le chef mercenaire Rult et ses Hommes Libres, et leur proposèrent un marché : les embaucher comme escorte montée - ils avaient leurs propres chevaux - jusqu'à Buhr Widu voire au-delà. Garde de jour et garde de nuit, garde des gens et gardes des biens, bêtes comprises. A la capitale des Waildungs, selon ce qui serait décidé, un nouveau contrat pourrait être conclu et un nouvel objectif fixé. A l'issue des échanges, le chef des mercenaires accepta pour un prix global d'une pièce d'or par jour pour ses hommes et lui, comprenant la nourriture pour hommes et chevaux, l'entretien ou le remplacement du matériel, et toutes les nécessités liées à un long voyage. Il fut également convenu que ce paiement pourrait se faire en nature, les aventuriers ayant des armes et armures de bonne qualité et en grand nombre.

Le jour du départ arriva, froid et venteux, une fois les dernières affaires réglées et des vivres et autre matériel achetés. L'allure fut très bonne le premier jour, même si ce n'était guère plus que celle d'un homme à pied : Geralt fit des merveilles avec son attelage, et Rob ne se rendit même pas compte qu'il voyageait, doucement bercé et réchauffé par le corps de son amie féline. Le second jour, le maître assassin ne fut pas aussi doué dans la conduite du chariot, ce qui fut ressenti par le hobbit et remarqué par Isilmë. Du coup, le reste du voyage se fit à allure plus réduite afin de perturber le moins possible le petit blessé, et ne pas compromettre ses chances de guérison. Le confort de Rob fut également amélioré par des runes magiques que le Dunéen traça sur le véhicule. Au passage, l'ex-prisonnière nordique fut confiée à la tribu qui gérait Buhr Waldmarh, contre promesse de bien s'occuper d'elle, et elle quitta l'équipe avec des remerciements.

Le soir du quatrième jour, les longères de Buhr Widu, perchées sur un amas de petites collines traversées d'une rivière, furent en vue. En chemin, divers groupes nordiques avaient été rencontrés et avaient donné des nouvelles et informations sur la région, et s'étaient enquis des marchandises bien gardées qu'ils transportaient. De son côté, Vif était toujours restée cachée dans le chariot, ne sortant que le soir pour aller chasser. Les mercenaires préféraient la voir loin d'eux et de leurs chevaux. Beaucoup de bruit avait couru à son sujet dans les tavernes de Forpays, et nombreux étaient les voleurs à l'avoir approchée de près (ou elle d'eux). La même histoire de l'animal contrôlé par la magie elfique était donnée, ce qui n'empêchait pas la méfiance. Et les hommes nordiques étaient encore plus rétifs vis-à-vis de tout ce qui avait trait à la magie, en général associée au Nécromancien de Dol Guldur. Quant aux elfes, ils ne venaient jamais par ici, et pour les gens du cru ils étaient pareils à la forêt toute proche : secrets et étrangers.
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Horselords - 14e partie : le prince et sa fille

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1 - Ambassadeurs en approche
Tandis que le convoi atteignait les faubourgs de Buhr Widu - fermes, granges et troupeaux se faisaient plus nombreux - Geralt interrogeait les divers groupes de nordiques qu'ils croisaient. Ses questions portaient essentiellement sur les attaques de Sagaths ou d'orcs, sur leur grand chef Atagavia - appelé aussi "prince" - et sur les possibilités d'acheter des chevaux. Les attaques d'orcs ne semblaient pas un problème ici, ce qui s'expliquait facilement : le peuplement nordique était assez dense entre la ville et la forêt, et toutes les tribus proches étaient en vue les unes des autres. Une attaque venue de la forêt ne passerait certainement pas inaperçue et elle serait rapidement suivie de l'arrivée de renforts.

En revanche, les Sagaths étaient autre chose. Ils ne venaient pas jusqu'ici, mais plus à l'est dans le Rhovanion, où la population était très éparse, leurs groupes et tribus de guerriers pouvaient sans mal pénétrer sur les terres du clan sans se faire voir. Des éclaireurs pouvaient alors repérer quelques cibles qui faisaient l'objet d'une attaque nocturne le plus souvent. Même si certains arrivaient à fuir et prévenir des tribus ou groupes voisins, les orientaux avaient le temps de fuir avec leur butin : chevaux surtout, mais aussi parfois femmes et enfants destinés à l'esclavage ou pire encore. Si les Sagaths n'étaient pas d'aussi bons guerriers que les cavaliers nordiques, ils étaient en général plus rapides et quittaient vite les frontières du clan. Les poursuivre signifiait alors affaiblir la frontière et inviter d'autres groupes à attaquer, car ils étaient nombreux.

Les nordiques étaient donc en état de guerre larvée, et les chevaux, dont la moitié étaient morts pendant la grande Peste, étaient plus demandés que jamais. Au grand dam des marchands qui avaient beaucoup de mal à s'en procurer, malgré la forte demande un peu partout, comme en Gondor. Si l'on ajoutait à cela le fait que le prince Atagavia avait perdu toute sa famille - sa fille Bronwyn exceptée - pendant la peste, on pouvait comprendre que les échos à son sujet parlait d'un homme encore vigoureux mais usé, peu enclin au rire et à la bonne humeur. Il gérait son clan de manière sage et efficace, même si certains regrettaient de rester autant sur la défensive. Néanmoins, il semblait aimé de tous ses sujets, de même que sa fille Bronwyn que tous tenaient en grande estime. Ce semblait être une meneuse d'hommes, grande guerrière et cavalière, mais que son père préférait garder près de lui par ces temps troublés.

Une patrouille nordique vint s'enquérir de la raison de leur présence : il était rare de voir une caravane de trois chariots aussi bien gardée, avec une petite troupe de chevaux de qualité. Le groupe expliqua qu'ils étaient en fait des ambassadeurs du roi d'Arthedain, de l'autre côté des Monts Brumeux, chargés d'acheter des chevaux pour la défense du royaume contre les attaques d'Angmar. Le chef de patrouille semblait avoir entendu parler d'eux en raison des services rendus au clan des Widureiks, et Geralt confirma qu'il s'agissait bien d'eux. Les nordiques avaient même eu vent très récemment de leur attaque sur le château de Forpays, grâce à la prisonnière nordique qu'ils avaient libérée et remise à d'autres nordiques deux jours auparavant.

L'homme pensait mener les aventuriers devant son prince, mais ces derniers répondirent qu'ils préféraient se reposer et voir Atagavia au matin. Le chef de patrouille dépêcha alors deux de ses hommes pour les conduire, chevaux, chariots et mercenaires, jusqu'à un enclos proche de quelques bâtiments où ils pourraient s'installer à moindre frais et se restaurer, aidés par des familles d'éleveurs qui habitaient là. C'était en bordure d'un petit lac contre lequel la ville de Buhr Widu était elle-même adossée, non loin de là. Le groupe fit le régal des nordiques présents, Geralt retardant le moment d'aller dormir pour narrer leurs exploits contre les orcs de la Forêt Sombre : entre autres choses, il se grima en orc pour montrer comment les viles créatures avaient été dupées.

Vif profita aussi de la nuit - et d'un sort de Drilun pour masquer son odeur - pour s'éloigner discrètement vers la lisière de la forêt. Elle était restée cachée aux yeux des nordiques, et il avait été convenu qu'elle reprendrait forme humaine avant de revenir. Taurgil partit dans la même direction peu après, ouvertement, disant aux gardes rencontrés qu'il avait rendez-vous avec une éclaireuse de leur groupe qui devait les attendre non loin. Ce qui avait également été annoncé aux mercenaires. Le Dúnadan, qui avait emporté les affaires de la Femme des Bois, finit par la retrouver quelques miles plus loin. La transformation fut fatigante mais ne posa aucun problème, et après s'être habillée, Vif put revenir avec Taurgil auprès de ses amis.

2 - Buhr Widu
Après une nuit sans histoire, le groupe déjeuna et fit une toilette afin de se rendre présentable. Isilmë annonça qu'elle viendrait avec le groupe : la santé de Rob, grâce aux herbes et soins multiples qui lui étaient prodigués, commençait à s'améliorer, et elle pensait qu'hormis imprudence ou accident, il était tiré d'affaire. Il avait donc moins besoin d'elle et pourrait se passer d'eux quelques heures. Des consignes furent données en ce sens aux nordiques présents ou aux mercenaires qui restaient. Rult venait également assister aux échanges avec Atagavia avec un de ses lieutenants, et quelques hommes devaient passer en ville acheter vivres et matériel.

La ville de Buhr Widu fut approchée à pied. Elle était installée au sommet de petites collines très proches aménagées de manière à profiter des fortifications naturelles qu'elles procuraient. Le sommet des collines avait été aplani, et comportait de nombreuses longères, ces grandes maisons allongées favorisées par les nordiques, qui comportaient un vaste espace central. Une rivière serpentait entre les flancs des collines et se jetait dans le petit lac contre lequel les collines étaient adossées. Des ponts et passerelles permettaient de passer d'une hauteur à l'autre, et des portes et tours régulaient les principaux points d'accès dans la ville.

Le groupe suivit la route jusqu'à l'entrée principale. Cette dernière passait par un portail tenu par des gardes nordiques qui régulaient le trafic, avant un petit tunnel creusé dans le flanc d'une colline. Puis la route, en montant, émergeait du sol pour arriver à une tour de garde, juste avant un pont qui menait à la colline principale. Cette dernière abritait la maison des princes, un grand bâtiment en pierre et bois similaire à une longère, en plus solide et fortifié, et qui hébergeait le grand chef des Waildungs. D'autres tours étaient visibles sur les bords de la ville protégée par un rempart en terre, et les nombreux guerriers en armes qui patrouillaient la ville ou les environs donnaient un petit air martial à Buhr Widu.

Les aventuriers s'étaient fait reconnaître sans mal et semblaient attendus. Ils se glissèrent dans le flot continu de chariots et animaux de bât qui amenaient vivres et équipement divers à la ville, et notamment à un marché installé sur la place de la colline principale, non loin de la maison des princes. D'après Mordin, la ville comportait plusieurs centaines d'habitants - peut-être un demi-millier - tous nordiques. Elle avait été fondée par Vidugavia, ancêtre d'Atagavia, quatre siècles auparavant. Vidugavia avait été le chef de tous les nordiques du Rhovanion, et sa fille avait épousé celui qui deviendrait plus tard le roi de Gondor. Le sang en partie nordique qui coulait dans les veines de leur fils, Eldacar, avait d'ailleurs été à l'origine de la Guerre Fratricide qui avait secoué le Gondor deux siècles auparavant, quand Eldacar était monté sur le trône.

Mais pour l'heure, le groupe venait voir Atagavia, avec le parchemin et l'épée remis par le roi d'Arthedain. De nombreuses personnes se pressaient pour voir et écouter le chef des Waildungs, qui était attentif aux réclamations et plaintes de ses thyns ou autres sujets, désamorçait les conflits et rendait la justice. Un garde annonça les ambassadeurs d'Arthedain, et après avoir réglé une dernière affaire, le chef des Waildungs demanda à ses sujets de leur laisser la place. Les six aventuriers, accompagnés de Rult, chef mercenaire, entrèrent au centre du hall et se dirigèrent vers le fond, où les attendait Atagavia, assis sur un grand siège en bois. Une jeune et belle femme était debout à ses côtés, et le lien de parenté entre eux était clairement visible.

3 - Le prince et sa fille
Le grand chef des Waildungs était richement vêtu, mais surtout, s'il n'était nullement imposant physiquement, il se dégageait de lui un grand charisme et ses yeux bleus étaient perçants. Néanmoins, on devinait aussi une certaine fatigue ou de la tristesse dans sa voix et son regard. Si l'âge commençait à se montrer sur son visage, il était cependant contrebalancé par une impression de force et d'énergie. Tous ces traits se retrouvaient chez sa fille, l'âge et la tristesse en moins. Et si elle n'était plus une adolescente depuis longtemps, les aventuriers sentirent vite, dans les propos qu'elle tint, une certaine impétuosité, voire même de la frustration face à la prudence de son père.

Ce dernier accueillit aimablement les aventuriers et Rult et les invita à se présenter, ce que fit chacun d'eux. Sur les côtés de la grande salle, les chuchotements allaient bon train face à ces ambassadeurs d'un nouveau genre. Une fois Rult mis à part, les six personnes présentes n'avaient pas grand-chose en commun, sans compter le hobbit absent : deux femmes et quatre hommes, un nain, une elfe, quatre humains aux origines différentes, sans parler de leur physique. En particulier, le visage de Geralt et la stature de Taurgil concentraient les regards, sans parler de leurs armures - peau de dragon et mithril - bien visibles pour partie. Quant à Isilmë, ses traits elfiques et ses pouvoirs suggérés suscitaient étonnement voire crainte.

Le prince reçut présent et parchemin du roi d'Arthedain des mains du Dúnadan. Il se leva pour sortir de son fourreau et faire tournoyer la riche épée envoyée par Argeleb II, et sembla apprécier ce royal cadeau. Les nordiques présents, par leurs commentaires et regards, indiquèrent leur admiration pour un tel objet. Atagavia lut également avec intérêt le texte qui lui était destiné, mais aussi le parchemin écrit par Paidacer, chef des Widureiks, qui lui fut également remis. Il médita un moment sur les besoins du royaume d'Arthedain exprimés dans la lettre, puis les louanges du chef du clan du sud à l'égard des aventuriers. L'histoire était parvenue jusqu'à lui depuis plusieurs jours, mais elle prenait une autre importance sous la plume d'un grand chef comme lui.

Il prit ensuite la parole pour remercier les ambassadeurs d'Arthedain et commenter la demande du roi d'Arthedain. Il ferait tout son possible pour trouver des chevaux à vendre au groupe et il allait sans tarder demander à ses thyns de voir ceux dont ils pouvaient se passer et leur réserver. Néanmoins, il rappela les temps difficiles auxquels ils devaient tous faire face : avec l'accroissement des attaques récentes des Sagaths et les nombreux pillages et vols de chevaux, ils ne pouvaient se permettre d'en céder autant qu'ils le voudraient. Il doutait de pouvoir en fournir plus de quelques dizaines au début de l'été. Ses paroles jetèrent un certain désarroi parmi plusieurs aventuriers, en particulier Mordin.

Le nain prit la parole, parfois accompagné par certains de ses amis, pour promouvoir l'aide qu'ils pouvaient apporter aux nordiques : ses amis et lui disposaient de grandes compétences, d'un équipement inégalable, voire de magie en la personne d'Isilmë. Et il laissa entendre qu'ils disposaient aussi d'autres atouts qu'il ne souhaitait pas révéler en public de peur que cela puisse servir à leurs ennemis communs. Oui, ils savaient et pouvaient faire des merveilles, comme leur aide des Widureiks l'avait clairement montré. Avec leur soutien, les chefs nordiques pouvaient sûrement mettre à terme à leurs conflits, ses amis et lui avaient aussi été envoyés pour cela. Après quoi les seigneurs cavaliers n'auraient plus besoin d'autant de chevaux et ils pourraient leur en fournir davantage. Bronwyn, fille d'Atagavia, prit également la parole pour faire la promotion d'une action concertée avec tous les clans nordiques, et elle proposa de guider les aventuriers pour les présenter aux chefs des quatre autres clans qu'ils n'avaient pas encore rencontrés.

Son père reconnut le fondement d'une telle démarche, mais il refusa platement de laisser partir sa fille devant les grands dangers d'une telle expédition par les temps qui courraient. Il était parfaitement d'accord pour que ces ambassadeurs d'Arthedain aillent voir les autres chefs de clan, dont l'un semblait déjà acquis à leur cause. Quant à lui, s'il appréciait l'aide apportée par le groupe à ses cousins plus au sud, il pensait aussi que ses invités ne connaissaient qu'imparfaitement ce qu'était la guerre contre les Sagaths. Les orcs étaient faciles à combattre, et la manière dont ils avaient été dupés était le plus grand exploit des aventuriers. Mais les orientaux étaient d'une autre trempe. Bref, il demandait à Mordin et à ses amis de faire leurs preuves, et il verrait ensuite s'il pouvait envisager une action quelconque avec les autres chefs nordiques.

Néanmoins, le groupe obtint tout de même de pouvoir parler en privé avec le chef des Waildungs en début d'après-midi, après un repas collectif où ils étaient conviés. Les aventuriers et le chef des mercenaires se glissèrent dans la foule qui emplissait les bords de la grande salle. Ils discutèrent de leurs impressions et de la suite à donner. En attendant le repas et l'entretien, certains souhaitaient vaquer à divers projets - ses amis voyaient très bien Geralt se reposer dans le foin - mais Drilun insista pour rester un peu : en plus d'observer et de discuter, la fille d'Atagavia chercherait peut-être à venir leur parler.

4 - Entretiens privés
Il obtint gain de cause, et doublement, puisqu'en effet Bronwyn, après un moment passé à les observer, finit par se rapprocher d'eux et leur parler. Elle confirma ses précédentes paroles, à savoir qu'elle espérait bien pouvoir les aider dans leur quête en échange de leur aide contre Sagaths et autres plaies qui affaiblissaient son peuple. Elle conseilla également aux ambassadeurs de bien appuyer leurs dires et prétentions par des exemples concrets : son père n'était pas facilement influencé par les seuls mots, même venant de personnes très convaincantes comme eux. Il avait beaucoup souffert et il en fallait beaucoup pour lui faire prendre des risques pour sa famille et son peuple...

Dans le reste de la matinée et le repas qui suivit dans la grande salle, les aventuriers observèrent, écoutèrent et discutèrent. Beaucoup ne comprenaient pas grand-chose, ne maîtrisant pas l'eothrik utilisé ou aucune autre langue nordique proche, mais c'était l'occasion d'apprendre à mieux connaître ces gens qu'ils allaient côtoyer encore un bon moment, et leur langue. De plus, comme les nordiques présents pouvaient parler le ouistrain, les échanges étaient facilités. Le maître-assassin, en discutant avec diverses personnes, put ainsi se faire une bonne idée de la manière dont Atagavia était perçu par ceux sur lesquels il régnait. Il était respecté, tant pour sa sagesse et ses choix judicieux que pour son évidente dévotion à leur égard, mais nombreux étaient ceux qui regrettaient sa trop grande prudence. Beaucoup auraient aimé une action concertée avec d'autres clans pour porter la guerre contre les Sagaths chez eux, sans plus avoir à les subir, impuissants ou presque.

Le moment de la fin du repas arriva enfin, et Bronwyn invita le groupe à la suivre. Ils arrivèrent à une pièce isolée à l'arrière de la grande salle où Atagavia était déjà présent. Rult ne participait pas, ils étaient donc huit, car Bronwyn restait auprès de son père. Ce qui n'était pas complètement au goût de certains aventuriers : ils auraient voulu parler seuls à seul au chef de clan, afin de lui parler de son fils qui était vivant dans la Forêt Sombre. Mais il valait mieux ne pas le dire à sa sœur, qui risquait de partir immédiatement vers l'ouest, vu son tempérament. Au contraire, cette information serait une façon de dire qu'emmener Bronwyn avec eux vers l'est et le nord était une manière de la mettre en sécurité.

L'entretien débuta, mais Atagavia n'avait aucunement changé de disposition, même s'il attendait avec curiosité de découvrir les atouts spéciaux dont les aventuriers s'étaient vantés. En plus du récit de leurs exploits passés, ces derniers lui expliquèrent que Vif avait été l'élève du magicien Radagast et qu'elle pouvait se transformer en grand félin magique presque invincible, qui n'était pas juste un animal convoqué par Isilmë. Pour confirmer ses dires, elle changea sa mâchoire en museau félin, crocs bien visibles. Père et fille se maîtrisèrent parfaitement mais accusèrent un peu le coup, Atagavia montrant qu'il n'appréciait guère ce genre de magie. Il ne démordit néanmoins toujours pas de sa position, doutant de la capacité du félin à vaincre des centaines ou milliers d'orientaux.

Bronwyn se pencha alors à l'oreille de son père pour lui faire part d'une nouvelle idée. Après un moment de réflexion et un demi-sourire, puis un soupir de lassitude, il accéda à la demande de sa fille. Il annonça aux aventuriers que le printemps serait là d'ici une dizaine de jours, et que c'était traditionnellement l'occasion d'une foire marchande dans et autour de sa ville, voire ailleurs. A cette occasion, exceptionnellement, il allait organiser - il avait encore juste le temps - des joutes guerrières où participeraient tous les sujets qui le souhaiteraient, voire des étrangers au clan, qu'ils soient nordiques, marchands, ou ambassadeurs d'Arthedain. Ce serait une manière de jauger ces derniers et d'envisager éventuellement d'envoyer sa fille avec eux, plutôt que de simples cavaliers comme il l'avait déjà promis.

La réunion fut alors levée, mais suite à un chuchotement de Geralt à son oreille, le chef de clan tarda à quitter les lieux en prétextant une discussion avec l'assassin au sujet de son armure de cuir de dragon. L'homme aux cheveux blancs annonça alors au chef nordique que son fils avait été repéré à l'ouest, en Forêt Sombre, et qu'il était un appât destiné à faire prisonnière sa fille. Fille qui serait - ou un de ses descendants - une menace potentielle pour le Nécromancien. Atagavia sembla ressentir une grande colère, et déclara qu'il n'était pas question d'en entendre reparler. Il avait déjà eu vent de rumeurs à ce sujet, et il avait envoyé des dizaines de ses meilleurs hommes en forêt l'année précédente, et aucun n'était revenu. Son fils était comme mort pour lui, et il ne voulait pas en entendre parler. Il quitta la salle, laissant Geralt méditer sur son relatif échec : l'information n'avait servi à rien, juste à montrer que le chef des Waildungs souffrait encore beaucoup de l'absence de son fils.

5 - Hésitations
Une fois le maître-assassin de retour parmi ses amis, le groupe se concerta sur la suite à donner : fallait-il participer aux joutes ? Fallait-il attendre une dizaine de jours sur place, sachant que le temps allait finir par manquer ? Attendre l'été que des chevaux soient disponibles, comme Atagavia l'avait annoncé, faisait craindre aussi de ne pas pouvoir les ramener à temps en Arthedain. D'un autre côté, si le voyage se passait bien, il ne faudrait que quelques semaines pour passer la trouée du Calenardhon et encore moins pour arriver à Fornost. Enfin, la présence de Bronwyn parmi eux serait un atout non négligeable auprès des autres chefs de clan pour obtenir des chevaux.

Les aventuriers virent des cavaliers partir dans l'après-midi même pour annoncer les joutes, et la ville et ses abords bruissèrent des conversations des gens à ce sujet : la nouvelle s'était répandue comme une trainée de poudre, et de nombreux nordiques, même sans connaître à l'avance les épreuves exactes, commençaient déjà à parier sur certains champions. Comme Atagavia l'avait annoncé, les joutes étaient une manière de remonter le moral de ses gens et d'arrêter de penser aux difficultés du quotidien. Et en cela, c'était une réussite : rapidement, autour de Buhr Widu, il ne fut plus question que de ça. Oubliées les attaques des Sagaths, les morts de la peste, les difficultés du commerce : place aux jeux et à la gloire !

La participation aux joutes semblait donc incontournable, il y avait trop à gagner à figurer parmi les vainqueurs : estime et renommée parmi les nordiques, voire peut-être même de l'argent ! Les joutes, même si elles n'attiraient pas les autres chefs de clan, bien pris par les Sagaths et autres soucis, verraient tout de même de valeureux guerriers des autres tribus nordiques qui pourraient devenir plus tard d'utiles contacts. Ce serait aussi l'occasion, bien au-delà des joutes, de voire venir beaucoup de gens, dont de nombreux marchands, tant vendeurs qu'acheteurs. Des gens auprès de qui Mordin comptait bien écouler ses armes, armures et soieries prises dans le château de Forpays, ou acheter des chevaux, surtout de la part de grands guerriers attirés par l'achat de l'excellent mais coûteux équipement qu'il proposerait.

Les dix jours environ qui les séparaient des joutes pourraient-ils être mis à profit pour aller voir l'un ou l'autre clan nordique ? D'après ce que Bronwyn avait dit, Mahrcared, chef des Ailgarthas, le plus vieux clan nordique de la région, ne demandait qu'à combattre les Sagaths, il serait facile à convaincre. Mais il était souvent parti guerroyer ou soutenir ses clans, il ne serait pas forcément facile à trouver. Par ailleurs, les Brotharas, autre clan mais du sud du Rhovanion, n'étaient pas trop loin. L'aller-retour en moins de dix jours ne poserait pas de problème, mais il était impossible de savoir à l'avance ce que les discussions avec les chefs de clan entraîneraient, ni le temps que cela prendrait.

Au bout du compte, l'équipe décida de rester sur place et de prendre son mal en patience, ou d'en profiter pour préparer au mieux leur participation aux joutes ou leurs prochaines visites auprès des seigneurs cavaliers. Au-delà des éventuels entraînements, il serait facile de se familiariser avec les coutumes des nordiques et leur langue. Certains avaient aussi besoin de temps pour se reposer, comme Geralt mais aussi Vif, affectée par ses récentes transformations. Rob avait besoin de temps pour guérir également, mais il ne serait sans doute pas assez remis sur pied pour pouvoir participer au tournoi. Et Mordin comptait bien faire des affaires avant même la foire ou les joutes, et Drilun avait en tête de fabriquer quelques flèches spéciales...

6 - Préparatifs
La fabrication d'arcs et flèches n'était pas le point fort du Dunéen, aussi chercha-t-il un artisan capable de lui apporter le talent qui lui manquait pour fabriquer des flèches. Il en trouva un, fort occupé par les demandes nombreuses liées à l'annonce du tournoi, mais qu'il sut attacher à son service grâce à un peu d'or. Il passa ainsi les cinq premières journées à fabriquer une flèche très spéciale tueuse de "poule géante", comme les aventuriers nommaient cette étrange créature à mi-chemin entre une poule et un dragon, ou plutôt une chauve-souris et un dragon. A côté de cela, il fabriqua des flèches magiques simples dont l'enchantement serait dissipé à la moindre utilisation.

Le nain installa une échoppe ambulante en ville pour vanter la qualité des ses armes et hauberts de mailles, sans parler des riches soieries et autres décorations de luxe qu'ils avaient trouvées au château de Forpays. Il n'avait pu renégocier le contrat d'une pièce d'or par jour avec les mercenaires, malgré les conditions présentes très calmes, mais il espérait bien faire rentrer bien plus d'or qu'il n'en sortait. Aidé parfois par certains de ses amis qui montraient concrètement la qualité de son équipement voire par Drilun qui améliorait magiquement certaines armures, son bagout fit nettement augmenter la quantité d'or en sa possession et diminuer l'encombrement des chariots pleins de matériel.

Taurgil commença à s'entraîner un peu. En fait, de nombreux guerriers nordiques avaient déjà commencé et certains auraient bien voulu se mesurer à ces ambassadeurs bien particuliers dont on vantait les exploits plus au sud - n'avaient-ils pas rayé de la carte des centaines d'orcs à seulement sept personnes ? Les nordiques, sans connaître les épreuves, devaient savoir un peu à quoi s'en tenir car leurs exercices étaient nombreux : tir sur cible fixe, à pied ou depuis un cheval au galop ; combat à pied, à cheval ou sur un tronc d'arbre au sol, et lutte à mains nues ; courses à cheval, avec ou sans obstacle... Quelques règles étaient couramment utilisées en tournoi : on ne cherchait pas à tuer quiconque ou le blesser gravement, tout combat devait prendre fin au premier sang, le blessé avouant sa défaite. Les gens étaient bien équipés pour éviter les blessures et lorsqu'ils étaient touchés par un coup qui leur procurait de la douleur (sans même de sang versé), ils devaient le signaler, et accepter leur défaite à la troisième fois.

Le Dúnadan accepta donc le défi d'un fier guerrier nordique et commença à le combattre à cheval, que l'homme maniait mieux que lui. Malgré ce désavantage, le guerrier nordique n'arrivait pas à passer la défense de son armure de mithril et son bouclier, et il finit par s'avouer vaincu après quelques coups qu'il reçut. Taurgil enchaîna avec le même, à terre, et là il le battit à plate couture. Même sans son bouclier, son armure le protégeait trop bien et il n'avait pas de mal à toucher ou blesser son adversaire qui essayait de percer sa défense. Il s'essaya un peu au combat sur tronc, et n'eut pas de mal à faire tomber son partenaire d'entraînement. Par la suite, il eut bien du mal à trouver des adversaires, car il apprit que celui qu'il avait combattu était un capitaine réputé. Sa cote de popularité, notamment auprès des parieurs, s'envola littéralement.

Vif aurait aimé le combat sur tronc mais bien plus en hauteur, comme cela se faisait chez elle : les Hommes des Bois avaient l'habitude de lutter dans les branches des arbres. Elle aurait voulu s'entraîner à la lutte, mais elle fut déçue de la réponse qui lui fut faite : contrairement aux autres épreuves, la lutte à mains nues était interdite aux femmes : elle se pratiquait sans armure, pieds et torse nus. La Femme des Bois arriva à pousser son ami aux chevaux blancs dans un petit entraînement à la lutte sur un tronc. Aucun n'arriva à l'emporter sur l'autre : ils savaient tous les deux lutter correctement, mais ils étaient trop rapides et leur pied était trop sûr, autant l'un que l'autre. Sa flemme légendaire fit capituler Geralt le premier.

7 - Les seize épreuves
La veille du tournoi, les gens affluèrent de toutes parts, au grand plaisir de Mordin pour qui les affaires reprirent. En effet, il n'était pas facile d'écouler du matériel extrêmement coûteux comme des hauberts de mailles complets de grande qualité. La santé de Rob s'améliorait, et il arrivait à se lever et à marcher un peu, mais il était encore trop fragile pour espérer tirer à l'arc, comme il l'aurait bien voulu. Eux deux ne participeraient pas au tournoi. Mordin envisageait de faire quelques paris pour gagner un peu d'or, se demandant sur lequel de ses amis il placerait son or. Quant à Rob, il aurait bien voulu gagner aussi de l'or à sa manière, mais vu son état ce serait plus qu'imprudent. Les cinq autres espéraient bien participer, encore fallait-il savoir à quoi.

Les joutes et épreuves furent bientôt annoncées. Il y aurait en fait quatre joutes qui se succèderaient dans la journée du lendemain, elles-mêmes divisées en trois à cinq épreuves comportant chacune plusieurs rondes. Chacun pouvait s'inscrire, contre une pièce de bronze, à n'importe quelle épreuve de n'importe quelle joute de son choix, et autant qu'il avait de courage ou d'argent. Chacun amenait son propre matériel, qu'il s'agisse de cheval, d'arc, d'épée ou armure. La lutte à mains nues était réservée aux seuls hommes, et le lendemain montra que les femmes nordiques, bien que moins nombreuses, ne manqueraient pas à l'appel. D'ailleurs, nombreux étaient ceux à parier sur Bronwyn. Il y aurait un vainqueur dans chaque joute, celui ayant remporté le plus de points cumulés aux épreuves proposées. Mais il n'était pas imposé de participer à toutes.

La première joute s'appelait l'Heure de l'Archer, et commencerait au lever du jour. Elle comporterait trois épreuves : tir fixe sur cibles de plus en plus petites ou éloignées, tir à cheval au trot puis au galop parallèlement à des cibles de plus en plus éloignées, et tir rapide sur des cibles envoyées en l'air depuis trois points éloignés dont l'archer était le centre. Elle serait suivie en cours de matinée et début d'après-midi par l'Heure du Cavalier, théâtre de cinq épreuves : course (montée) normale, course d'obstacles, course croisée, course d'équilibre et course de combat. La troisième était une course comportant un croisement : il fallait se glisser entre les adversaires arrivant à la perpendiculaire... ou forcer le passage sans heurter personne. La quatrième était une course debout sur le cheval, sans selle ni rênes ou autre équipement. La dernière consistait à faire tomber des cibles à l'aide d'une lance le plus rapidement possible.

Après quoi l'après-midi serait consacrée à l'Heure du Guerrier, divisées en cinq épreuves : combat normal à l'épée, combat en équilibre sur un tronc au sol, combat en nature sur terrain difficile (broussailles, marais, pente rocailleuse), combat monté sur cheval au pas, et lutte à mains nues. Cette dernière épreuve pourrait éventuellement se dérouler de nuit autour des feux, et elle serait suivie du repas. Pendant et après le repas viendrait l'Heure du Barde, comportant trois épreuves : chant et musique, histoires, et devinettes. Elle était susceptible de se dérouler jusque tard dans la nuit et attirerait sans doute bien moins de participants mais tout autant voire plus de spectateurs, n'étant pas destinée au même public.

Le matin des joutes se leva que Mordin était déjà prêt, comme d'autres négociants, à vendre sa marchandise. Avec un certain succès qui éclaira son visage d'un large sourire pendant tout le jour. Il avait été aidé en cela par des sorts réguliers du Dunéen pour amplifier sa voix, ainsi que la publicité que ses amis lui firent. Les gens affluaient pour s'inscrire aux différentes joutes et épreuves, ou se dirigeaient vers les champs où les épreuves d'archerie allaient se dérouler. Drilun prit son arc et se demanda combien de carquois de flèches il allait emmener. Isilmë prit également son équipement et partit s'inscrire, tandis que les gens s'écartaient devant elle. Taurgil et Geralt s'interrogèrent : allaient-ils participer à l'Heure de l'Archer, ou se réserver pour la suite ? L'assassin appréhendait toute la fatigue et les efforts que la journée allait lui coûter...
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Horselords - 15e partie : joutes nordiques

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1 - Participants et spectateurs
Le Dúnadan finit par s'inscrire aux côtés de l'elfe et du Dunéen. Il savait qu'il n'avait aucune chance face à ses amis, mais il tenait à participer, à se montrer. L'homme aux cheveux blancs, pour sa part, préféra se ménager et ne pas prendre part aux épreuves d'archerie. Il aurait bien assez à faire avec les courses à cheval et les combats, et il aurait bien fait une grasse matinée, mais il sentait qu'il devait quand même être présent : il était important de se montrer et d'être prêt à toute éventualité. Isilmë, Drilun et Taurgil se rendirent sur le terrain de la première épreuve, le tir fixe sur cible. En plus de leurs propres flèches, Mordin leur avait fourni des flèches plus classiques, de moins bonne qualité. Ils garderaient les meilleures pour les moments plus difficiles, car les flèches n'étaient pas récupérées entre chaque ronde de tir.

Les épreuves avaient lieu au bord des collines sur lesquelles la ville était bâtie, aussi de nombreux spectateurs pouvaient-ils suivre les épreuves depuis le sommet du rempart de terre qui servait de fortification. C'est ce que choisit de faire Vif, même si elle allait régulièrement sur la place du marché pour tenir le nain marchand au courant de l'évolution de la joute. Pour sa part, Rob ne se sentait pas trop de rester debout ou assis trop longtemps et il préféra rester à se reposer dans le chariot qui l'avait amené, avec une dizaine de mercenaires pour le garder, de même que leurs affaires. D'autres hommes libres de Rult étaient présents auprès de Mordin pour surveiller ses affaires et son or, tandis que certains participaient eux aussi, comme Rult lui-même et son second.

La Femme des Bois, lors de ses allées et venues, se rendit vite compte que certains spectateurs n'étaient pas là que pour regarder les joutes. En fait, elle reconnut quelques Hommes des Bois comme elle, dont certains qu'elle était presque sûre d'avoir déjà vu... à Forpays. Elle les héla et montra qu'elle les avait bien repérés, et put faire le lien avec d'autres personnes présentes : les voleurs de Forpays étaient bien là, dont certains qui tournaient autour du nain, dont les échanges emplissaient peu à peu la bourse d'un or bien tentant...

En plus de bien montrer qu'elle n'était pas dupe et qu'ils étaient repérés, elle vit aussi Rillit l'écureuil avec un groupe de ses probables collègues ou étudiants. Elle alla le voir et discuta le bout de gras avec lui, après avoir prévenu le nain. Le chef des cambrioleurs lui confirma qu'ils étaient bien venus de Forpays exprès pour l'événement présent. A la demande expresse de la Femme des Bois, et du nain à travers elle, il accepta sans problème de ne pas toucher aux affaires de Mordin ou de ses amis, ni à celles des autres nains présents. De toute manière, il n'était pas là pour cela ; en revanche, les pickpockets, eux... et ce n'était pas lui leur chef.

Néanmoins, Rillit prévint les autres voleurs qu'il valait mieux ne pas chercher les ennuis. Cela, plus l'œil très exercé de Vif, firent que Mordin n'eut aucun problème de la journée, ce qui ne fut pas le cas de tous. Par contre, prise entre l'observation des épreuves et la surveillance des marchandises du nain, la Femme des Bois ne put savoir ce que Rillit faisait là, et lui et ses acolytes firent bien attention à ne pas rester en vue d'elle. De la journée, elle ne put déterminer ce qu'ils avaient fait. Cela étant, elle vit un certain nombre de spectateurs se faire délester de leurs bourses. C'était assez facile vu le monde présent - la population de la ville avait été multipliée par dix - mais les voleurs faisaient bien attention à ne pas se faire prendre. Le vol pouvait parfois être sévèrement sanctionné, surtout en cas de récidive.

Avant même que les premières flèches du concours d'archerie fussent lancées, les paris allaient bon train, même si en fait c'était plus pour des seconds rôles. En effet, les nordiques semblaient en grande majorité convaincus de la future domination de Bronwyn, qui passait pour la meilleure archère du clan voire du Rhovanion. Mais Mordin, lui, contesta cette domination et proposa à des capitaines nordiques de parier une de ses armures de mailles de qualité... contre un bon cheval. Cinq nordiques relevèrent le défi, trop contents d'acquérir un bon haubert de mailles aussi facilement. Le nain sourit et fit prévenir son ami que sa victoire pouvait leur rapporter l'équivalent de cent cinquante pièces d'or au cours actuel du cheval... au moins. C'était le plus gros pari de cette joute, et en fait il n'y en eut aucun de plus gros de toute la journée.

2 - L'Heure de l'Archer
Drilun sentit donc davantage de pression sur ses épaules, mais il restait confiant. Les premiers tirs commencèrent. Il n'y avait qu'un peu plus d'une quarantaine d'archers à participer, mais cela faisait trois fois plus de flèches envoyées au cours de la première ronde : chaque archer envoyait en effet trois flèches dans la cible, et il était éliminé si plus d'une flèche ratait son objectif sur les trois. Les cibles étaient représentées par des anneaux de couleur concentriques peints sur des supports de paille amovibles. A chaque ronde, la difficulté augmentait.

Après la première ronde, les défections commencèrent à se faire, et au moment d'arriver au cercle noir au centre de la cible, les prétendants ne se comptaient plus que sur les doigts d'une main : Bronwyn, Isilmë, Drilun, Rult, et un capitaine nordique appelé Feowulf. Puis les cibles furent reculées, et il ne resta bientôt plus que la fille du prince, l'archer-magicien et l'elfe. Cette dernière fut ensuite éliminée, tandis que les cibles s'éloignaient encore et encore. Bronwyn était vraiment une archère de grand talent... mais Drilun l'était encore plus, sans parler de son matériel magique. Il battit sans mal la fille d'Atagavia, sous les hourras de la foule. Les paris commençaient à changer, et certains nordiques jetèrent un regard noir à Mordin, qui sourit.

Arriva l'épreuve de tir à cheval. Chacun son tour, sur plusieurs terrains différents, les participants devaient passer à cheval devant trois cibles et planter une flèche dans le centre de chacune. Puis il fallait refaire un passage depuis un peu plus loin, et ainsi de suite, jusqu'à mettre plus d'une flèche sur les trois en dehors de la cible. L'allure commençait avec le trot, puis le galop après deux passages, et enfin le grand galop après deux autres. Une personne qui n'arrivait pas à faire galoper son cheval assez vite était éliminée, ce qui était loin d'être une tâche facile quand les mains étaient prises par arc et flèche. Ce fut l'occasion de découvrir la splendide, costaude, rapide et très obéissante monture de Bronwyn... et la grande maîtrise de la cavalière.

Isilmë fut bien vite éliminée, l'équitation n'ayant jamais été sa tasse de thé. Taurgil tint plus longtemps, mais lancer le cheval au grand galop tout en tirant à l'arc fut trop difficile pour lui. Très rares étaient les cavaliers capables d'arriver à le faire et à planter leurs flèches dans la cible, et Bronwyn était l'un d'eux. Elle arriva jusqu'au deuxième passage au grand galop avant d'être éliminée, sous les acclamations des spectateurs. Mais Drilun, même s'il n'était pas aussi bon cavalier qu'elle, s'était tout de même bien amélioré depuis le temps où il finissait la tête en bas, attaché au cheval que ses compagnons tiraient à l'aide d'une corde. Il poussa son cheval au grand galop sans grand mal et arriva lui jusqu'au troisième passage au grand galop, à l'ébahissement de tous : personne n'avait jamais vu quelqu'un arriver aussi loin dans cette épreuve !

Tandis que les nordiques avec qui Mordin avait parié commençaient à avoir des sueurs froides, la dernière épreuve de tir à l'arc débuta. Tour à tour, chaque archer se plaçait à équidistance de trois abris d'où des nordiques lançaient des cibles en l'air. Face à un abri, les deux autres étaient dans le dos de chaque côté. Les cibles n'étaient pas envoyées en même temps, il fallait donc guetter la première avant de se tourner d'un côté ou l'autre. L'épreuve demandait donc de la perception et de la rapidité... Comme précédemment, une personne était éliminée si elle ratait plus d'une cible. Sinon, trois autres cibles étaient envoyées en l'air, mais plus petites, plus vite, moins haut...

Si Drilun était loin d'être le plus perceptif des aventuriers, il était tout de même loin d'être ridicule. Et même s'il ne réagissait pas aussi rapidement que Vif ou Geralt l'auraient fait, sa maîtrise de l'arc et son matériel lui permettaient d'abattre les cibles même lorsqu'elles semblaient déjà prêtes à toucher le sol. Il passa parmi les premiers, et, ne sachant jusqu'où la fille d'Atagavia allait arriver, il donna le maximum de lui-même. Là encore, il domina tous ses concurrents, Bronwyn comprise, et remporta l'épreuve et la joute en même temps. Et il n'avait utilisé qu'une seule de ses flèches magiquement préparées. Cela n'avait pas toujours été facile et il n'avait pas toujours ménagé son énergie, mais il avait largement dominé et gagné, sa victoire était méritée et sa fierté aussi. Et Mordin fit la meilleure acquisition de sa carrière sans avoir déboursé la moindre pièce...

3 - L'Heure du Cavalier
Cette joute comportait cinq épreuves, mais seul Taurgil choisit de participer à toutes. Geralt, lui, décida d'en faire quatre sur les cinq. Il avait passé du temps à inspecter les différents parcours et les possibles pièges de gens mal intentionnés, mais n'avait rien vu. Vif avait choisi, elle, de participer à une seule épreuve, celle de l'équilibre. La veille au soir, elle avait même fait magiquement subir à son corps une transformation invisible et acquis le sens de l'équilibre d'un félin. Il y avait là beaucoup plus de monde que pour les archers, et plus de deux cents cavaliers et leurs montures se pressaient au départ de la première épreuve. La difficulté venait d'ailleurs du goulet d'étranglement que cela provoquait : pour presque toutes les épreuves, il fallait lancer son cheval le plus vite possible pour passer dans les premiers et ne pas perdre du temps dans le "bouchon".

La première épreuve était une course simple sur environ quatre miles (~ 6,4 km). Une fois le départ donné, Taurgil fut pris dans le "bouchon" du départ, et il n'arriva pas à remonter son retard par la suite. En revanche, Geralt s'était mieux débrouillé, même s'il avait été pris de vitesse par Bronwyn et quelques bons cavaliers nordiques comme Feowulf, mais surtout un autre qui s'appelait Barlof et encore un autre du nom de Warstaf. Néanmoins, petit à petit, il grignota l'avance que les autres avaient pour se retrouver non loin de la fille d'Atagavia, en tête depuis le début avec sa monture de très grande qualité. A sa grande surprise, il arriva à la dépasser pratiquement sur le poteau ! Il empocha les cinq points de l'épreuve, Bronwyn se contenta de la deuxième place et trois points, et Barlof deux points en tant que troisième.

La seconde épreuve était une course d'obstacles. En dehors du départ toujours délicat, que Geralt géra admirablement, cinq passages difficiles voire très difficiles à franchir se dressaient sur la route des cavaliers. Par ailleurs, deux raccourcis pouvaient être pris et permettaient de gagner du temps, mais au prix de franchissements très difficiles. Très peu les prirent, dont bien entendu Bronwyn, mais également Barlof et le maître-assassin. Si le nordique ne parvint pas à rattraper la fille d'Atagavia, en revanche l'Eriadorien arriva à remonter tout le monde et passa encore une fois devant la favorite. Elle finit donc deuxième et Barlof troisième.

La troisième épreuve était la plus risquée et rassembla moins de monde - environ quatre-vingt. C'était une course sur trois tours mais dont le circuit faisait un 8. Il y avait donc un croisement où il fallait trouver un trou où se glisser lorsque les concurrents arrivaient à la perpendiculaire... ou alors il fallait forcer le passage, ce qui pouvait entraîner une collision si personne ne cédait. Si Geralt, avec son œil exercé, trouva sans mal à se faufiler entre montures et cavaliers, il vit que les autres nordiques avaient du mal à forcer le passage face à Bronwyn, qui arriva ainsi à le rattraper et à le dépasser, et il ne finit que deuxième, avec trois points contre cinq pour elle. Barlof arrivait troisième : il était très intimidant quand il voulait et avait souvent forcé le passage ainsi, notamment contre Taurgil.

La quatrième épreuve, celle de l'équilibre, ne rassembla pas plus de monde que la précédente : il fallait rester debout sur son cheval, sans selle ni rênes, et faire toute la course ainsi. Une chute n'était pas éliminatoire mais faisait perdre du temps, et trois petits obstacles à franchir venaient pimenter la course. Si les nordiques savaient bien mener leurs montures même comme cela, ils n'étaient pas pour autant d'aussi bons équilibristes que l'homme aux cheveux blancs ou la Femme des Bois. Même si les aventuriers n'avaient pas forcément pris le meilleur départ, ils furent les seuls à rester en selle sans jamais tomber et arrivèrent en tête, avec Geralt premier et Vif en second, et Bronwyn "seulement" troisième, qui avait fait une chute.

La dernière épreuve consistait, sur un parcours, à transpercer/faire tomber des cibles de paille ou de bois le plus vite possible. A chaque ronde, les cibles étaient remplacées par d'autres plus petites ou plus éloignées, et les cavaliers qui rataient trop de cibles ou mettaient trop de temps étaient éliminés. Seul Taurgil participait, mais seulement pour le principe car il ne savait pas se servir d'une lance, et il fut éliminé dès le début. C'est Bronwyn qui remporta l'épreuve, avec Barlof en second et Warstaf en troisième. Au final, Bronwyn avait dix-huit points : elle était arrivée deux fois première, deux fois deuxième et une fois troisième. Geralt, lui, avait été premier trois fois et deuxième une fois, pour un total de dix-huit points également ! Enfin, Barlof arrivait ensuite avec dix points. Cette joute comportait donc deux premiers ex-æquo.

4 - L'Heure du Guerrier
La troisième joute comportait également cinq épreuves. Cinq aventuriers y participèrent. Après diverses hésitations, Geralt s'inscrivit à toutes les épreuves, y compris la lutte à mains nues qui ne le tentait guère. Taurgil ne participa pas à cette dernière mais à toutes les autres. Isilmë ne pouvait participer à la lutte et sa maîtrise de l'équitation était insuffisante, donc elle ne s'inscrivit pas non plus au combat monté, ce qui laissait trois épreuves. Drilun fit acte de présence en allant à l'épreuve du combat normal. Vif ne pouvait aller à la lutte, à son grand dam, et se contenta juste de l'épreuve du combat en équilibre sur un tronc d'arbre posé au sol.

La première épreuve, le combat normal - le plus souvent à l'épée - réunit autour de trois cents personnes. Les guerriers étaient réunis en poules de douze personnes et faisaient au moins quatre combats individuels, le temps de trouver les quatre meilleurs guerriers. Ensuite les gens étaient répartis de nouveau en poules de douze personnes dont on prenait les quatre meilleurs, puis en poules de quatre personnes dont deux étaient éliminées. Ce qui laissait seize finalistes qui s'affrontaient avec élimination directe lors de quatre combats chacun, depuis les huitièmes de finale jusqu'à la finale. Une personne était vaincue si elle recevait une blessure légère (premier sang) ou trois coups douloureux, chacun devant signaler quand il avait été touché. Une blessure grave enlevait de nombreux points et une blessure mortelle ou fatale entraînait l'élimination de toutes les joutes, et le paiement d'une forte amende. Ces combats ne devaient pas entraîner d'autre conséquence que des gênes mineures, à charge pour tous de bien gérer leurs coups.

Si Drilun résista un moment dans cette première épreuve, il ne put arriver jusqu'aux finales, auxquelles parvinrent tous ses amis qui participaient. Et ce malgré quelques sorts pour dévier les lames et lui permettre d'aller plus loin, ce qui ne fut pas sans provoquer quelque méfiance de la part de nordiques qu'il avait battus. En revanche, Geralt, Taurgil et Isilmë arrivèrent tous les trois jusqu'en demi-finale. Sans Bronwyn, qui était tombée un peu auparavant face au maître-assassin, qui fut le premier à la battre - elle tomba souvent contre lui lors des finales, à son grand dam. Isilmë perdit face au Dúnadan en demi-finale, mais elle vainquit leur chef mercenaire, Rult, et finit ainsi troisième, malgré ses nombreuses petites blessures. Le combat entre Geralt et Taurgil fut mémorable, la maîtrise supérieure du premier étant grandement compensée par l'armure de mithril du second. En fin de compte, c'est l'assassin qui triompha. Trois aventuriers finissaient aux trois premières places !

La seconde épreuve, le combat sur un tronc d'arbre posé au sol, faisait intervenir le sens de l'équilibre, domaine où Vif dépassait tout le monde. Cela lui permit ainsi, à la stupeur générale, d'arriver à passer dans le dos de Barlof, contre lequel elle combattit. Mais sa faible maîtrise à l'arme ne lui permit pas de le blesser et elle fut éliminée. En revanche, si Isilmë n'arriva pas aussi loin que précédemment, Taurgil et Geralt arrivèrent tous deux en demi-finale, l'un contre l'autre. L'homme aux cheveux blancs eut un faux pas qui le fit lourdement chuter et perdre l'épreuve contre son ami, et il dut se contenter de la troisième place après un dernier combat. Le Dúnadan, pour sa part, remporta haut la main la finale contre Feowulf, qui s'était déjà distingué lors du concours d'archerie.

La troisième épreuve, qui rassemblait toujours près de trois cents personnes comme les deux précédentes, se tenait dans des conditions environnementales difficiles : sol marécageux, ou sur pente pierreuse et traîtresse, voire dans des épais fourrés. Toute chute était une victoire pour l'adversaire. Malgré l'aide de sa magie, Isilmë ne put à nouveau arriver aussi loin que ses deux amis, qui finirent à nouveau l'un contre l'autre en finale. Cette fois-ci, Geralt prit sa revanche et termina premier, Taurgil deuxième et Feowulf troisième.

Le combat à cheval constituait la quatrième épreuve. Les participants évoluaient au pas, et la plus ou moins grande maîtrise de leur monture pouvait leur donner un avantage de position. Les nordiques auraient pu espérer dominer les aventuriers, mais leur supériorité à cheval ne fut pas assez grande pour compenser la grande maîtrise aux armes de Geralt ou l'armure de mithril de Taurgil. Tous deux finirent à nouveau en finale, Bronwyn ayant encore été éliminée contre le maître-assassin, en demi-finale cette fois-ci - elle put accéder à la troisième place. Les deux amis croisèrent à nouveau le fer et l'homme aux chevaux blancs l'emporta à nouveau...

L'épreuve de la lutte arriva enfin, alors que la nuit était déjà tombée. Elle se déroula donc entre plusieurs feux, mais ne rassembla qu'une soixantaine de lutteurs. En effet, nombreux étaient les guerriers blessés qui ne désiraient plus qu'être spectateurs, d'autant qu'ils ne bénéficiaient pas de la magie des soins de Taurgil ou Isilmë pour guérir leurs corps et apaiser leurs souffrances. A sa grande surprise, Geralt arriva jusqu'en finale où il retrouva Barlof, grand guerrier nordique agressif et bien plus costaud que lui. Mais le nordique avait reçu plusieurs blessures qui l'affaiblissaient, et il s'agissait d'immobiliser l'adversaire et non de lui porter des coups, ce qui favorisait la vitesse et la dextérité du maître-assassin. Après un long combat, c'est finalement l'aventurier qui l'emporta sur le nordique et qui prit la première place. Après quoi Vif défia le vainqueur - défi accepté par Geralt - et le battit à plate couture en quelques secondes, à la stupéfaction des spectateurs. Elle n'avait pu participer en sa qualité de femme, mais au moins elle avait montré qu'à mains nues elle était la meilleure.

5 - L'Heure du Barde
Le repas arriva et fut l'occasion de profiter des épreuves de chant et musique, conte, et devinettes. Trois épreuves pour le repos des guerriers, essentiellement destinées à animer la soirée et à mettre en valeur ceux qui avaient la langue ou la main la plus habile, ou l'esprit le plus acéré et imaginatif. Aucun de ceux qui avaient concouru aux épreuves guerrières ne participa, à deux exceptions près : Geralt s'inscrivit à l'épreuve du conte, tandis que Vif voulut participer à celle des devinettes, car elle aimait beaucoup ces jeux de l'esprit et elle en connaissait un grand nombre. Malgré le caractère peu guerrier et bien plus intellectuel de ces dernières épreuves, le prince et sa fille semblait beaucoup les apprécier et ils restèrent présents et attentifs jusqu'au bout. A côté de ça, petit à petit le nombre de spectateurs diminuait, tandis que les guerriers moulus et blessés allaient chercher un repos bien mérité.

La première épreuve ne consistait en rien d'autre que de proposer à l'auditoire le meilleur morceau de musique ou chant possible. Une quarantaine de bardes concoururent et proposèrent de quoi charmer les oreilles des nordiques et leurs invités bien au-delà du repas. Ils ne passaient qu'une seule fois, et le succès qu'ils obtenaient était mesuré par le nombre de pièces qu'on leur lançait, et qu'ils gardaient pour eux, en plus des nombreux applaudissements. Aucun aventurier ne participait mais ils purent apprécier la qualité de certains bardes, dont l'un se distingua nettement par sa voix pure et sa musique pénétrante - il arriva largement en tête de tous les participants.

Pour la seconde épreuve, celle du conte, Drilun améliora magiquement la voix de son ami afin de la rendre plus chaude et agréable. Faisant face essentiellement à des guerriers, Geralt choisit de leur parler de leur combat contre le dragon dans la montagne magique du nord du Rhudaur, tout en omettant certains détails et en enjolivant d'autres. Il avait l'habitude de raconter de telles histoires dans les fermes où ils s'arrêtaient parfois, et, l'ayant vu combattre, les nordiques pouvaient facilement croire qu'il avait pu tuer un dragon avec l'aide de ses amis. Son récit eut le plus grand succès de tous, et il remporta là sa huitième épreuve de la journée, face à une trentaine d'autres conteurs.

La dernière épreuve de ces joutes arriva enfin, alors que la nuit était déjà bien avancée. Vingt personnes y participèrent, dont la Femme des Bois. Chacun leur tour, les participants devaient proposer une devinette aux autres. Une fois que chacun avait parlé, tous ceux dont la devinette avait été trouvée et qui n'avaient pas pu, le premier, donner la solution d'une autre, étaient éliminés ; et cela recommençait. En général, une fois que la personne avait parlé, il se passait quelques secondes avant que quelqu'un ne trouvât la solution. Mais dans quelques cas, après l'équivalent d'une minute environ, la solution fut donnée pour quelques devinettes que personne n'avait trouvées.

Quels sont les fruits que l'on trouve dans chaque maison ? Il ne fallut pas longtemps à Vif pour deviner qu'il s'agissait des coings (coins) et des mûres (murs). Rapidement, elle fut de loin la personne qui avait trouvé le plus de devinettes. Deux fois fut-elle aidée par ses amis qui avaient trouvé la solution et elle non. Mais ils avaient chuchoté très légèrement, de manière à ce qu'elle seule, qui avait des sens très exercés, puisse les comprendre. Après le premier tour les concurrents étaient passés de vingt à six. Bientôt ils ne furent plus que deux, qui échangèrent sans que l'un prenne le dessus. Enfin, la Femme des Bois arriva à poser une devinette à laquelle son adversaire ne sut répondre, alors qu'elle avait trouvé celle qu'il lui avait posée. Et elle remportait ainsi sa première et unique épreuve... Mais ni Geralt ni elle ne remportèrent la joute, n'ayant participé qu'à une seule épreuve sur les trois. Néanmoins ils arrivaient tous deux en troisième place, à égalité.

6 - Récompenses
Le moment de la remise des prix arriva. Tour à tour, les premiers de chaque joute s'avancèrent et reçurent de la main même d'Atagavia un présent pour récompenser les vainqueurs. En soi l'objet reçu était rarement exceptionnel, surtout quand on sait que les vainqueurs étaient souvent déjà très bien équipés. En revanche, c'était aussi une reconnaissance, voire une consécration, et les aventuriers, présents parmi les vainqueurs des quatre joutes, espéraient bien qu'ils en retireraient des facilités pour la suite de leur quête de chevaux. Si les spectateurs étaient des Waildungs dans leur grande majorité, des nordiques d'autres clans étaient aussi présents et l'annonce de leur victoire se connaîtrait certainement bien assez vite.

Deux fois Bronwyn s'avança, ayant été deuxième archère, après Drilun, et première cavalière à égalité avec Geralt. Néanmoins, elle refusa systématiquement les prix en prétextant qu'elle n'était pas forcément la plus méritante, au vu des facilités qu'elle avait ou qu'elle avait eues grâce à son père, ou au soutien des siens. Il est vrai que lors de la course croisée, par exemple, son statut et l'amour que les nordiques avaient pour elle avaient eu un impact certain. Drilun et Geralt furent également tentés de refuser deux de leurs prix, au grand dam de Mordin qui s'étrangla presque et fit comprendre par gestes qu'il tenait à ce qu'ils ramenassent ces objets pour qu'il puisse en tirer un bon prix s'ils ne les voulaient pas...

Et donc les prix furent remis. Pour la joute des archers, il ne s'agissait que d'un arc et d'un carquois de flèches à chaque vainqueur. En revanche, tous n'étaient pas de la même qualité. Sans surprise, le premier de la joute avait le meilleur matériel, tandis que le second avait arc et flèches un peu supérieurs à la normale, et le troisième obtenait du matériel d'archerie dans aucune qualité particulière. Néanmoins, même si pour des aventuriers suréquipés et très riches cela pouvait paraître insignifiant, comme Mordin l'avait si bien fait comprendre, cela représentait tout de même de nombreux jours de travail d'artisan, et un prix non négligeable... Mais pour Drilun, c'était moins que ce qu'il avait déjà, et il donna son prix à l'archer qui venait après lui.

Pour la joute des cavaliers en revanche, personne ne refusa son prix, à l'exception de Bronwyn. Il s'agissait en effet de chevaux. Geralt obtint ainsi une excellente monture dont il n'avait pas encore possédé d'équivalent. En fait, il se souvenait d'en avoir vu seulement deux autres encore meilleures : l'ancien étalon d'Aradan Marwen qui avait été pris par Narmegil, et le cheval de Bronwyn. Et vu la rareté actuelle des chevaux, c'était pour lui un excellent cadeau, et qui allait bien lui servir ! Les deux autres prix étaient des chevaux de qualité moindre, mais quand même supérieure à ce qui se trouvait d'habitude en Eriador.

Pour le combat, Geralt obtint une épée de grande qualité, mais là encore inférieure à ce qu'il possédait déjà. Il voulut la remettre à la personne après lui, mais les simagrées du nain finirent par le faire changer d'avis. Pour les joutes verbales destinées aux bardes, des instruments de musique étaient offerts. Après un moment d'hésitation, le maître-assassin et la femme féline finirent par prendre un instrument chacun. Qui sait si cela ne leur servirait pas un jour ? Bien qu'ils ne sachent nullement en jouer, certains aventuriers comme Drilun ou Isilmë avaient quelques notions...

Mais le meilleur prix restait à venir. Mordin et ses amis virent Bronwyn chuchoter à l'oreille de son père, qui eut un demi-sourire puis un soupir. Après un moment de réflexion, il annonça qu'il acceptait que sa fille puisse partir avec les ambassadeurs d'Arthedain faire la tournée des chefs nordiques. Il avait été impressionné par leurs capacités, et donc il consentait à ce qu'elle prît le risque de les accompagner, dans la mesure où c'était ce qu'elle désirait. Sa fille parut ravie, et elle se retrouva bientôt avec les aventuriers à discuter des modalités de leur prochain voyage.
Modifié en dernier par Niemal le 26 août 2015, 11:50, modifié 3 fois.
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