Au matin de l’An 1179, Shosuro Jocho-sama, arrive avec nombre de suivants. J’enlace longtemps ma sœur avant d’aller faire mes adieux à mon père et mon frère. Je lui dis combien je l’aime, elle va tant me manquer. Elle me rassure en me soufflant qu’elle veillera toujours sur moi, qu’importe la distance, nos esprits ne forment qu’un ! Nous partons d’un pas soutenu en direction du territoire du clan Licorne. Très vite je fais la connaissance de nos compagnons de voyage : la troupe de théâtre Kabuki, l’Eventail d’Ivoire, fondé par le célèbre dramaturge Shosuro Furuyari-sensei. Cette compagnie est constituée de la magnifique actrice Soshuro Tage-sama, de sa yojimbo la comédienne Shosuro Nagai-san, d’un mysterieux shugenja Bayushi Gadijo-san et de quatre kurokos : Bayushi Kutsuko-san, Shosuro Aidata-san, Shosuro Suta-san et Yogo Yasai-san.
Après plusieurs semaines, nous arrivons en vue de Kyuden Shiro, lieu de rassemblement de l’importante armée du clan Licorne commandée par le shugenja Moto Chang-rikugunshokan. La neige est encore présente dans cette immense steppe balayée par des vents cinglants. L’hiver ne finira donc jamais… Nous rejoignons le reste de la délégation Impériale et passons, à la suite des troupes de samouraïs et d’ashigarus, par un étrange portail spirituel. Cette ouverture est le fruit de la magie des Très-puissants, d’étranges hommes en robe noire et au masque de rapaces. Après de longues minutes à errer dans le néant, nous débouchons en haut d’une colline. Le paysage qui nous fait alors face ne ressemble en rien à ce que je connais ou même ai lu : le ciel a la couleur du jade, les senteurs sont exotiques, les indigènes enfermés dans des cages ont des traits animaux.
Sur la bute où nous nous tenons sont dressés six fanions, l’étendard Imperial, de la Tortue, du shogunat, du Lion, du Crabe et de la Licorne. Non loin de là, se tiennent les vestiges d’un ancien édifice, abandonné au vent, futur quartier de notre délégation. En contrebas, dans la plaine enneigée, à côté d’un avant-poste en pierre du clan Crabe, s’étend le camp de l’armée du clan Lion. Taillé à la serpe, entouré d’une palissade et d’un fossé, on trouve en son centre les quartiers du shogun, une petite tente au Mon de la famille impériale Otomo et les fondations d’une scène de théâtre en bois où s’affairent plusieurs artisans. A gauche, le clan Licorne travaille à dresser les yourtes et les enclos. Loin de l’organisation militaire des Lions, le campement des Licornes prend rapidement vie. Provisoire, il sera probablement démonté en quelques heures avant d’être déplacé vers l’arrière-pays.
Alors que la délégation s’en va poser bagages, Shosuro-sama me presse de descendre au cantonnement principal afin de vérifier les préparatifs pour la représentation théâtrale de ce soir. Donnée en l’honneur du shogun, elle ravivera le cœur de nos fiers samouraïs et leur fera oublier, un temps, les affres de cette contrée barbare. Quittant le groupe principal, je m’engage seule sur la pente verglacée. Un gunso Akodo flanqué de son escouade m’intercepte rapidement et propose de m’escorter. Les consignes semblent claires : Les envoyés de l’Empereur doivent être en permanence accompagnés. A partir de cet instant, le clan Lion va user de multiples stratagèmes pour me limiter dans mes différentes entreprises. Tentatives certes vaines mais non moins étonnantes : Surveillance rapprochée; Courtisan Ikoma fort insistant ; Tentatives d’intimidation quand je décide d’aller me présenter auprès d’Otomo-dono ; Menaces à peine voilées sur notre sureté…
Pendant presque dix ans, ma sœur et moi avons été formées aux jeux de cour. Pourtant, je suis un instant désarçonnée devant ces attaques ciblées et la nature incongrue du lieu, un camp militaire boueux en terre gaijin, où elles ont cours. Je mesure alors l’importance de la mission confiée par l’Empereur. Le shogunat, par l’intermédiaire du clan Lion, dresse une situation sous contrôle, presque idyllique. Apparence trompeuse… Il nous appartient de révéler tous ces faux-semblants au grand jour et qui, mieux que les membres du clan Scorpion, peuvent accomplir cette noble tâche ! Après un rapide état des lieux du théâtre, je repars, pensive faire mon rapport à Shosuro-sama. Sur le chemin du retour, le gunso et ses hommes me suivent comme mon ombre, j’entame alors la conversation. La détermination semble intacte, tout comme la loyauté aveugle qu’ils éprouvent envers leur championne Matsu Tsuko-no-kimi. Par contre, je mesure une légère perte de moral due probablement au mal du pays.
Le plus important contingent de la délégation impériale est le clan Scorpion. Suit le clan Phénix constitué du courtisan Asako-sama, fils du Daimyo de la famille Asako, de deux shugenjas, Isawa Rin-san et Agasha-san, et du yojimbo Isawa Waï-san. Doji Yojiro-san, sa jeune femme Doji Ameiko-san et la yojimbo Daidoji Asami-san, représentent le clan Grue. Le clan Mante a envoyé le bushi Yoritomo Akira-san ainsi que deux membres de la famille Kitsune. Enfin le groupe ne compte qu’un seul membre du clan Dragon, le taisa Miromoto-sama. Tout ce petit monde a déjà pris quartier dans ce qui devait tenir lieu de temple pour les indigènes. Construit en pierre, l’édifice est exigu, les alcôves où nous dormirons, austères. Dans un souci d’équité, je fais part à l’assemblée des informations glanées ici et là.
A la nuit tombée, en compagnie de bushis du Crabe, de la Licorne et du Lion, nous nous installons avec entrain au centre du théâtre. Les visages sont radieux et souriants. Le spectacle de l’éventail d’Ivoire est sans conteste l’événement culturel de l’année. De hauts dignitaires assistent à la pièce du haut d’une estrade : Akodo-shogun et Matsu Tsuko-no-kimi dont la future union serait en cours de négociation ; Otomo Kisagarasu-dono, une courtisane impériale extrêmement expérimentée aux bijoux sonnants ; un Très-Puissant, lugubre dans sa robe noire ; Misu, un étrange moine tatoué de la tête aux pieds. Quand les premières notes retentissent, le silence se fait. Shosuro Tage-sama s’anime, alors que nous est retracé la jeunesse d’Hida Kisada-no-kimi, le Grand Ours. Le grand final débute quand un bushi de garde du clan Lion l’interrompt soudain. Les sbires de la Confrérie des Ténèbres ont infiltrés le camp ! L’alarme est donnée. Nous sommes immédiatement évacués vers le mess.
La délégation, séparée de la troupe de l’Eventail d’Ivoire, est mise en sureté dans le réfectoire. Attablé, un imposant bushi en armure lourde du clan Crabe, lève une coupe de saké à notre encontre. Peu concerné par la situation extérieure, l’individu, fortement enivré, commence à m’invectiver. Ne reconnaissant ni nos clans, ni nos familles, il use de termes énigmatiques, probablement gaijin, avant de me saisir le bras pour me tirer à lui ! Immédiatement, les katanas sont tirés au clair. Alors que la majorité des combattants, happés par une impénétrable fumée noire, se retrouvent mystérieusement à l’extérieur, les bushi Yoritomo-san et Daidoji-san ainsi que la shugenja Isawa-san me portent assistance. A quatre, nous arrivons non sans mal à faire plier l’agresseur. Peu à peu, les ténèbres se dispersent alors que le chui du clan Crabe, Hida Tetsuo-sama, semblent enfin retrouver l’esprit clair. Très vite, nous sommes tous les cinq mis à l’isolement suite à l’intervention d’un Très-Puissant : un esprit kitsune-tsuki buru buru aurait possédé Hida-chui. Infectés lors de notre affrontement, nous serions tous condamnés…
A l’aube, toute drapée de blanc, j’effectue machinalement mon dernier voyage. Je ne perçois plus, ne ressens plus. J’en oublie mes compagnons d’infortune. Au bout du chemin, j’effectuerai seppuku, mettant fin à ma vie dans l’honneur. La scène a un semblant de déjà vu, identique à l’un de mes rêves. Tous les éléments sont là : Matsu Tsuko-no-kimi s’impatiente, Shosuro Jocho-sama se tient prêt à m’assister, Otomo-dono arrive en retard, une foule sans visage m’entoure. Je prie les Kamis, les Ancêtres, les Fortunes, d’interrompre ce cauchemar. Rien. Je suis seule. L’ordre est donné. Avant de porter le coup fatidique, ma courte existence défile devant moi, doucement puis de plus en plus vite. Je m’interroge sur son sens tout en pensant à ma sœur.
Nous sommes nées le mois du chien 1163. Ma sœur plus entreprenante est arrivée au monde la première. Je l’ai suivie, devenant troisième. Par cette position je fus honnie par les ancêtres. Chez les Scorpions l’arrivée de jumeaux fait écho au Kami fondateur Bayushi, lui-même image-miroir de son frère le Kami Shiba. C’est un bon présage ! Pourtant Okāsan n’avait souhaité aucune fête. Notre naissance se fit en catimini, dans le secret, dans la honte… Okāsan, Bayushi Ubi-sama de la maison Aotora, était alors l’un des deux enfants survivants d’Aotora-ue, herboriste reconnu et surtout ancien heimin devenu samouraï. Une trentaine d’année plus tôt, pour ces précieux travaux sur les poisons et leurs antidotes, il avait été élevé au rang de vassal de la famille Bayushi. Plus tard, un mariage avait eu lieu pour renforcer les liens des deux familles entre l’entreprenant magistrat de clan, Bayushi Eto-sama, et la belle artisan-herboriste, Aotora Ubi-sama.
De leur union, naquit trois enfants. Chacun porte la faute d’Okāsan en stigmate ! Guro-kun, l’ainé, notre frère adoré, est simple d’esprit. Moqué par ses camarades, sa vie au dojo Bayushi fut pénible, son gempukku tardif. Grace à ses relations, Otōsan le fit entrer à la garde du Kyuden Bayushi. Son destin est tout tracé : Il ne connaitra que la vie de soldat, ne sera jamais proposé au mariage et mourra probablement au combat. Physiquement comparable, ma chère sœur, Namako-chan née Naru, est la plus délicate, la plus avenante, la plus fine de nous deux. A notre gempukku, un unique mempo fut scindé en deux. Le bas dissimule mes lèvres pulpeuses naturellement. Le haut masque ses yeux voilés de naissance. Mon handicap n’est ni mental comme celui du crédule Guro-kun, ni physique comme celui de l’aveugle Namako-chan. Il est spirituel : Trois, le chiffre sombre, caché, maudit. Il me définit de bout en bout. Il me conduira à ma perte !
Mon esprit s’enfonce dans les ténèbres du souvenir. Les images de mon enfance se font de plus en plus nettes. Le secret d’Aotora Ubi-sama, la cause de tous nos malheurs, va m’être enfin dévoilé quand un cri m’arrache soudain à mes pensées. Un parchemin au Mon impérial déroulé à la main, Matsu-no-kimi, Championne du clan Lion, vient d’abroger la cérémonie : La famille Kuni du clan Crabe connaitrait des rituels pour nous désenvoûter. Il nous appartient de nous rendre jusqu’à la citadelle des montagnes pour y être soumis. Légèrement déboussolé par ce revirement, le petit groupe de « possédés » se rassemble pour échanger. Très vite, nous sommes rejoints par Shosuro-sama, Asako-sama et le yojimbo Isawa-san. Le clan Phénix, par l’intermédiaire d’Agasha-san, est à l’origine de ce coup d’éclat. Alors que je découvre l’existence d’un lien troublant, presque fraternel, entre Asako-sama et Shosuro-sama, ce dernier souligne la chance de ne plus avoir poings et pieds liés. Afin de nous épauler dans notre entreprise, il propose que le yojimbo Isawa Waï-san nous accompagne et assure dorénavant ma sécurité.
Le lendemain, furoshiki sur le dos, nous partons en direction des montagnes. A mi-chemin se dresse un avant-poste du clan Crabe. Si nous pressons le pas, nous pourrons l’atteindre avant la nuit. Hida Tetsuo-chui ouvre la marche avec Yoritomo-san et Daidoji-san. Isawa Rin-san étant légèrement à la traîne, Isawa Waï-san et moi-même nous mettons à sa hauteur. Plus tôt durant la matinée, une petite rixe verbale avec Hida-chui éclata. Lui rappelant subtilement que deux membres du groupe ne sont point bushi et n’ont donc pas reçu d’entrainement poussé à la marche forcée, il me demande abruptement si je suis boiteuse ! Répondant par la négative, il me conseille alors de rebrousser chemin. Je sais les membres du clan Crabe direct, mais à ce point ! Répondre précipitamment à cette agression est une marque de faiblesse. J’avale donc ma salive et rumine le reste du chemin.
La libération vient alors d’une embuscade de la Confrérie des Ténèbres. Des bakemonos sournois, laids et verdâtres, nous envoie des volées de flèches. Avant qu’ils soient mis en déroute, je suis touchée à plusieurs reprises. Dans un lieu sûr, Isawa Rin-san prie les kamis de soigner mes blessures et m’applique un bandage. Hida-chui lève le pas et nous arrivons enfin en vue de l’avant-poste Hiruma. Le taisa du fortin nous accueille avec bienveillance. Le repas nous est servi puis les samouraïs au repos nous proposent d’assister à une pièce de théâtre Kabuki : L’histoire du Grand Ours. Cette fois-là nous la vîmes de bout en bout. En voici la synthèse : le jeune Hida Kisada-no-kimi accompagne son vieux père à l’auberge. Dehors, il aperçoit un enfant violement réprimandé par un groupe de trois membres du clan Lion. Se portant à son secours, face au surnombre, il est roué de coups. Ecchymosé, il revient auprès de son vieux père comme si de rien n’était. Digne, il ne se plaint pas, ne dit mot. Le soir venu, il retrouve les trois agresseurs, les invective et prend la fuite. Les trois bushi, passablement idiot, le poursuivent et tombe dans une fosse piégée. Hida-no-kimi, fier de son stratagème, s’exclame alors : « Voilà ce qu’il en coûte de s’attaquer à un crabe ! »
Nous quittons l’avant-poste au petit matin. Le sentier montagneux est ardu. La neige présente en abondance. La marche est soutenue, seul espoir d’atteindre la citadelle avant la nuit. Alors que nous traversons un site sacré aux monolithes de pierres levés, Isawa Rin-san perd la raison et s’enfonce en courant dans les bois. Interloqué, Isawa Wai-san doit être rappelé à l’ordre avant qu’il réagisse et parte à sa poursuite. L’endroit, ancien champ de bataille, est probablement hanté ! Après de longues minutes de recherche, nous retrouvons enfin les deux membres du clan phénix sains et saufs. Nous repartons à l’assaut de la montagne alors que le jour décroit rapidement. La citadelle est enfin visible, éclairée de mille braseros, elle semble appartenir à la paroi même de la montagne. Assiégée en vain pendant des jours par les cinq clans de la Confrérie des Ténèbres et leurs sbires bakemonos, ils ont dû se résoudre à fuir en forêt. Nous entrons enfin par une porte dérobée. L’accueil qui nous attend est glacial. Une tente de seppuku d’une place a été levée. Ainsi se termine la vie d’Hida Tetsuo-chui, en présence de son champion Hida Kisada-no-kimi, sans gloire mais dans l’honneur ! Indifférente à la cérémonie, j’en profite pour m’interroger sur le sens réel de cette mascarade auquel j’assiste, impuissante, depuis mon arrivée sur ces terres.
La troupe de l’Eventail d’Ivoire, a rendu un hommage à peine voilé à Hida Kisada-no-kimi en relatant une part de sa jeunesse. Au moment opportun, la pièce fut interrompue par l’annonce d’une attaque de la Confrérie des Ténèbres. L’escarmouche ne laissa ni trace, ni cadavre, ni récit. Nous furent alors mis en présence de Hida Tetsuo-sama, possédé depuis de longs mois, assassin de son propre escadron et étonnamment toujours en vie. Le hasard faisant bien les choses, lors de la rixe qui s’en suivi, les personnalités problématiques ou trop précieuses furent mises en sureté, ne laissant que des éléments sacrifiables. Le seppuku a été ensuite annulé grâce à l’intervention conjointe des Phénix et d’Otomo-dono, nous laissant alors mains libres pour quitter la surveillance étroite du shogun. Occasion en or que ne se priveront pas de souligner les nouveaux meilleurs amis de l’Empire, j’ai nommé Asako-sama et Shosouro-sama. A peine avons-nous atteint le premier poste crabe qu’on nous rejoue la même pièce Kabuki, comme un rappel de je ne sais quel pacte ourdi. A l’arrivée à la citadelle, la tente du dernier voyage d’Hida-sama l’attend alors qu’aucun messager entre l’annulation de notre condamnation et notre arrivée n’a été envoyé. Je me raconte peut-être des fables mais à la vue d’autant de coïncidences troublantes, il est légitime d’être soupçonneuse ! Une alliance de circonstance semble s’être nouée entre les Scorpions, les Phénix, les Crabes et la famille impériale Otomo. Les clauses de cette entente restent, elles, mystérieuses.
Suite à l’exécution, trois shugenjas de la famille Kuni s’approchent, nous rendent nos laissé-passés impériaux puis nous ordonnent d’aller accomplir notre destinée dans la montagne. Yoritomo Akira-san arrive à négocier une nuit de repos et un repas chaud. Exténué, le groupe sombre rapidement dans un sommeil sans rêve. Le lendemain, nous quittons la forteresse et nous enfonçons dans la mine sous la montagne, un réseau de tunnels anciens et labyrinthiques. Empruntant un boyau ténébreux, nous entendons le travail d’excavation des mineurs indigènes et le bruit de leurs chaines. J’éprouve alors un sentiment étrange, mélange de colère et de résolution, au son de ces montagnards difformes mis ainsi en esclavage, terrible aboutissement d’une civilisation millénaire de bâtisseurs autrefois féconde. Instinctivement, je découvre un passage dérobé. L’étroit conduit plongé dans les ténèbres nous contraint d’allumer deux lampions. Au bout de plusieurs heures, nous débouchons dans une immense grotte, où un promontoire rocheux enjambe une large rivière souterraine. Au centre, les cadavres des soldats de l’escouade d’Hida Tetsuo-chui et du Cho-Ja se tiennent intacts comme si le temps, lui-même, avait été figé. Le combat a été violent, pris de folie, ils se sont entretués jusqu’au dernier. Au loin, à l’autre bout du chemin, une lueur verdâtre nous appelle.
Accompagné de Daidoji-san, je me rapproche du Cho-Ja, créature insectoïde de la taille d’un bœuf. Isawa Wai-san nous avertit qu’il a entraperçu une créature plonger dans les eaux. Soudain une fumée noire nous entoure, s’introduit dans le Cho-Ja mort et l’anime. Utilisant tout ma fureur je frappe ce blasphème. Epaulé par mes compagnons, nous sortons victorieux de ce bref affrontement. La fumée s’échappe alors de nos corps et du vaincu, se concentre jusqu’à former une silhouette humanoïde noire. L’esprit sombre en armure, enfin en paix et complet, part alors en direction de la lumière verte avant de disparaitre. Isawa Rin-san, curieuse, nous propose de suivre l’esprit. Estimant que notre quête ici est terminée, je refuse et tente de calmer ses ardeurs. Elle conçoit alors d’interroger les kamis de l’eau sur la nature de cette lumière couleur jade. Ils nous montrent un être aux traits reptiliens, touchant un objet, peut-être un anneau, source de la lumière. A son contact s’ensuit une onde de choc soufflant tous individus entourant la créature. Isawa Rin-san demande par la suite si l’homme-reptile est toujours présent. Les eaux de la rivière s’ouvrent et nous dévoile le squelette blanchi d’un gigantesque lézard ailé. A cette vue, nous nous empressons de réunir les daïshos des défunts et remontons à la surface.
A notre retour, nous sommes mis à la question par les shugenjas Kuni. Je décris seulement le strict minimum quand certains s’épanchent en récits longs et détaillés. Comment peut-on dilapider gratuitement autant d’informations sensibles et dangereuses à un clan rival ? Tant d’insouciance me débecte ! Seul Yoritomo Akira-san, stoïque, silencieux et prudent, garde grâce à mes yeux. Voir un membre du clan Mante, anciennement clan mineur, agir avec un plus grand discernement que des samouraïs de clans majeurs, c’est à pleurer ! Notre séjour chez le clan Crabe est très bref. Nous sommes invités à accompagner le premier convoi de jade en partance pour la faille. Arrivée en soirée aux quartiers de la délégation impériale, je suis mise, comme le nécessite la procédure, au secret par les autres scorpions pendant plusieurs jours. Passent alors de longs mois où Shosuro-sama et Asako-sama travaillent à négocier plus de liberté pour les émissaires auprès du shogun Akodo-no-kimi. Leurs efforts sont couronnés de succès : le shogun daigne qu’une partie de la délégation impériale participe au siège et à la prise de LaMut, cité barbare aux mille richesses. Cette campagne d’expansion sort des us rokuganies, tout comme l’avidité, sentiment naturellement étranger à tous samouraïs. A cette interrogation, on me répondra qu’il s’agit d’une attaque préventive. Etonnant ! La montagne regorge pourtant de Jade, seul véritable objet de notre présence en ces terres. Quant à d’éventuelles négociations avec les gaijins, elles n’ont pas eu cours.
Laissons le campement de la faille, nous marchons à travers steppes et collines au côté des troupes lionnes. Dans notre dos, les imposants monts de pierre petit à petit s’effacent. Par intermittence, nous distinguons au loin quelques éclaireurs Moto du clan Licorne. Eparses, le cimeterre au côté, ses imposants gaillards à la peau tannée chevauchent à vive allure. La délégation obtient du shogun une visite guidée d’un village indigène. Nous goûtons alors aux joies du tourisme paysan : rues boueuses ; grossières masures en pierre, bois et torchis ; animaux de bassecour piaillant et jactant ; gaijins sales de tous âges et sexes, heureusement mis en cage. Prise de compassion pour ces pauvres hères, Isawa Rin-san se met martel en tête de soigner leurs enfants. Elle entre dans la cage puis communique à grands renforts de mimes avec les barbares. D’abord méfiants, ces derniers se font attendrir et laissent la shugenja examiner quelques gamins. L’entreprise ne durera pas, après quelques rapides soins, la cage fut refermée, puis chargée sur une charrette. Alors que le convoi d’esclaves quitte le village en direction des monts de pierre, je m’interroge sur la vacuité des entreprises d’Isawa-san. L’acte, noble à première vue, n’a fait que repousser l’inéluctable. Blessés, Emma-o, Fortune de la Mort, allait probablement les trouver sur la route. En lieu, ils trépasseront après de longues semaines de supplices au fin fond des mines de jade…
Après cet intermède fort déplaisant, nous nous retrouvons le soir même à la table du shogun en compagnie de l’état–major des armées lionnes et licornes. La bataille ayant lieu le lendemain, je suis impatiente de connaitre notre affectation. Très vite Akodo-shogun prend la parole, officialise l’annonce de ses fiançailles avec Matsu Tsuko-no-kimi, puis se dit heureux de la bataille à venir dans les plaines en contrebas de la ville fortifiée de LaMut. Il indique que la délégation, sous le commandement du taisa Mirumoto Rai-sama du clan Dragon, sera rattachée au corps principal de l’armée. Enfin, il exprime sa décision de ne pas engager de cavalerie pour l’affrontement, estimant qu’utiliser des chevaux est un acte déshonorant. A ces mots, le rikugunshokan de l’armée du clan Licorne, Moto Chang-sama se lève soudain et interpelle le shogun. Il lui demande de reconsidérer sa décision et est prêt, dans le cas contraire, à se faire seppuku en signe de contestation. Akodo-shogun, rouge de colère, rejette la demande et autorise Moto Chang-sama à mourir dans l’honneur. Immédiatement, le rituel est exécuté. Moto Ijiaki-shireikan, second de Moto Chang-sama, se voit attribué alors le commandement de l’armée du clan Licorne. Livide, sous le choc, l’officier quitte, sans en avoir fait la demande, la pièce accompagné des autres soldats de son clan, signant la fin des festivités.
A l’aube, la brume se lève et nous dévoile les forces adverses. LaMut, ville moyenne fortifiée siège sur le sommet d’une colline. A son pied, trois corps d’infanterie aux couleurs bigarrées ont été disposés. Supérieurs en nombre à toute la population de LaMut, les guerriers qui les composent semblent d’origine et d’allégeances variées. Sur leur droite, à quelques encablures, une cavalerie lourde en armure de métal, se tient prête à charger. Au son des tambours et des cors, la bataille est lancée. Portée par l’excitation, je plonge au cœur des combats. Mes souvenirs de l’affrontement sont des plus confus mais des événements prestigieux restent gravés dans ma mémoire : les archers en déroute, la charge de la cavalerie, l’aide de Daidoji-san, le sacrifice d’Agasha-san, la contre-charge de Matsu Tsuko-no-kimi et de ses quêteurs de mort... Je ne sors pas indemne de ce combat victorieux. Gravement blessée, je m’estime pourtant choyée par les Kami ! Je n’ai pour seule séquelle qu’une perte temporaire de la vue. J’appris par la suite que les Moto du clan Licorne ont pillé et saccagé LaMut, créant un malaise certain au sein du shogunat. Ceci marque la fin de nos aventures sur ces terres. A l’ouverture de la faille, la délégation repart en Rokugan, se salue puis se disperse. Je retrouve les miens, me repose, me soigne, revis. Avec ma sœur nous préparons la cour d’hiver à venir en échangeant nos mempos.