Terre du Milieu - Système J

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Niemal
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Grand Nord - 35e partie : errance et égarement

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1 - Contournement
Après s'être approché de la barrière magique de mauvais temps, à peut-être une vingtaine de miles, le groupe obliqua sur la droite, vers l'ouest donc. Ils évoluaient un peu comme dans un rêve : le sol et le ciel étaient uniformément blanc crème, si bien qu'ils n'avaient pas d'ombre, de contraste ni de sens de la profondeur voire de l'équilibre. Cela perturbait donc leur tenue sur leurs deux jambes, sauf bien entendu la lionne enchantée qui pouvait s'appuyer sur ses quatre pattes. Heureusement, la barrière de mauvais temps magique cassait un peu l'uniformité de leur environnement et leur offrait un répit et un repère pour leur cerveau, les aider à retrouver un certain équilibre. Ils avancèrent donc bien, peut-être l'équivalent d'une demi-journée, avant de se reposer. Après avoir mangé et dormi sans être dérangés, ils repartirent et suivirent encore une fois la barrière magique, sur leur gauche, à bonne allure vers l'ouest, sur leurs skis. Au bout de ce qui semblait être une bonne journée, ils atteignirent enfin l'extrémité de ce mauvais temps et continuèrent un peu avant de faire un camp pour dormir.

Pendant tout ce temps, Rob avait profité de la proximité avec ce phénomène magique pour essayer de l'analyser à l'aide de ses perceptions ésotériques. Il retrouvait un peu de la signature d'Andalónil, qui avait dû participer à l'appel de ce mauvais temps, mais ce n'était pas l'essentiel de ce qu'il ressentait, loin s'en fallait. Le hobbit percevait plutôt, de loin en loin, comme des "ancres" magiques très puissantes. En gros, à ses perceptions magiques, il avait l'impression que le blizzard magique qui leur bloquait la route se nourrissait de différents endroits où une sorcellerie noire et incroyablement puissante - bien plus que ce qu'il avait pu voir Andalónil ou son ami Drilun faire - avait été réalisée dans le sol. D'une certaine manière, tout se passait comme si un terrible sorcier avait fait des "piles" de magie noire de loin en loin, afin de prolonger indéfiniment la magie à l'origine du mauvais temps ensorcelé. Comme une sorte de rituel magique ou de magie runique établie à distance régulière.

Comme chaque fois, l'établissement d'un campement obéissait à une chronologie et des règles bien précises : tandis qu'Isilmë méditait afin de se reposer, les autres faisaient des igloos ou montaient des tentes, selon la solidité requise et en particulier le vent présent. Ils mangeaient ensuite et attendaient le réveil de l'elfe afin de tous aller dormir, moins ceux comme Geralt qui se dépêchaient de retrouver les bras de Morphée aussitôt qu'ils le pouvaient. Ils ne s'attendaient pas à rencontrer des problèmes autant au nord, mais leurs habitudes étaient bien rodées. Parfois, alors qu'ils allaient dormir, Dwimfa réfléchissait à leur plan et aux ressources dont ils disposaient. En regardant Vif dormir, les oreilles prêtes à se dresser au moindre son, il se rappela le petit cadeau que les elfes des neiges avaient fait pour combattre Vif, justement à travers ces mêmes oreilles, si le besoin s'en faisait sentir...

En effet, certains aventuriers s'étaient souvenus de leur lutte contre des orcs des Montagnes de la Désolation (Ered Muil). Ils étaient passés par là il y avait déjà quelques mois et avaient rencontré des difficultés, en raison notamment de la présence avant eux d'un puissant sorcier sans doute venu de Dol Guldur et qui connaissait leurs points faibles. Ils subodoraient que ce sorcier avait remis au chef orc un objet magique qui avait créé une explosion sonore ayant beaucoup affecté Vif, à l'oreille féline très sensible. En conséquence, ils avaient demandé aux elfes des neiges de leur fournir des objets magiques capables de faire beaucoup de bruit. Ce qu'ils avaient fait : deux perles de céramique et une flèche avaient été enchantées pour créer - une seule fois - un très puissant bruit de tonnerre lorsqu'elles seraient lancées et qu'elles percuteraient une cible. Le nain et l'Homme des Bois avaient chacun une telle perle et la boîte en os de dragon portée par Mordin contenait la flèche, en plus des deux autres flèches magiques contre les Maiar. C'étaient donc des armes non létales capables d'étourdir n'importe qui, mais en particulier les félins et autres ennemis aux oreilles délicates...

Après leur repos, les aventuriers repartirent, mais le temps avait un peu changé : plus couvert, avec un peu de neige, ils retrouvaient leurs repères habituels et n'avaient plus à se demander si leurs skis étaient dans des nuages ou sur le sol. Ils décidèrent de contourner l'extrémité de la zone de blizzard magique en maintenant toujours la même distance, donc en faisant un large arc de cercle. Les perceptions magiques de Rob seraient mises à contribution : même sans voir la zone de tempête, il percevait leur magie noire et donc pouvait s'assurer, en se concentrant un peu, qu'ils ne s'en approcheraient pas. Ce qu'ils firent donc, à plutôt bonne allure... tempérée par la découverte de leur première zone de crevasses dans la banquise. Cela les força à ralentir un peu, notamment Vif qui prit le petit hobbit sur son dos afin de chausser ses skis magiques, ainsi que ceux que les elfes des Brumes Éternelles avaient faits pour elle, pour pouvoir avancer à skis et non plus à pattes. Et la magie des skis permettait de passer sur des zones instables sans faire s'effondrer la neige au-dessus des crevasses. Après avoir bien contourné la zone magique, ils décidèrent de s'en éloigner un peu plus en allant plein sud. La boussole qu'ils avaient leur permettait très facilement de déterminer la direction, même par temps couvert.

2 - Ralentissement
Le voyage vers le sud prit autant de temps que le contournement, et tout se passa bien, malgré là encore la présence de crevasses pour ralentir leur progression et les fatiguer un peu. En effet, la magie des skis ne fonctionnait qu'avec un effort de volonté, qui à la longue pouvait devenir usant. Ce n'était pas trop le cas pour Isilmë, qui pouvait utiliser ses talents elfiques pour arriver au même résultat, et sans se fatiguer. De plus, deux membres de l'équipe possédaient aussi des bottes magiques qui avaient les mêmes pouvoirs que les elfes, et leur permettait donc de traverser "à pied" la neige fraîche et instable sans pour autant la déranger et faire s'effondrer les nids à neige qui comblaient les crevasses, et sans concentration d'aucune sorte. Il fallait juste avancer à allure régulière, ni trop vite ni trop lente : une fois sur une zone dangereuse, il n'était plus possible de s'arrêter sans risquer de voir la magie s'arrêter et la neige instable s'effondrer. Hors zone dangereuse, les aventuriers utilisaient les skis avec davantage d'énergie et ils pouvaient aller deux à trois fois plus vite parfois.

Vint le moment de se reposer à nouveau, avec un sommeil paisible même s'il était toujours trop court pour Geralt. Après quoi il fallut rechausser les skis, avec une mauvaise surprise concernant le temps : la neige avait arrêté, mais encore une fois, peut-être aussi avec l'aide des rayons de soleil bas qui diffusaient de la lumière dans les nuages bas, tout l'espace autour d'eux était uniformément blanc. Une fois de plus, cet épisode de Valkosokeus ("Vision Blanche") supprimait toute ombre et perception de la distance, de contraste voire d'équilibre. D'une part il était plus difficile et plus lent de progresser ainsi, d'autre part Taurgil se déclara incapable de percevoir les possibles crevasses qui pouvaient entraver leur route. En conséquence, ils laissèrent Vif prendre le devant de leur petit convoi : mieux que quiconque, elle pouvait percevoir à l'aide de ses pattes sensibles et sa perception de l'environnement le moindre mouvement de neige sous son poids, et donc prévenir du danger avant de tomber dedans. Par ailleurs, la neige qui était tombée peu auparavant était fraîche et collante et ralentissait un peu leur avancée.

Ils avancèrent donc plus lentement. Faute de point de repère, ils choisirent aussi de s'en remettre de plus en plus à la magie de Drilun pour les aiguiller dans la bonne direction. En effet, ils ne comptaient pas continuer vers le sud, car ils se retrouveraient sans doute très loin des montagnes qui abritaient la vallée de Brumes Éternelles, où ils comptaient retourner. Après avoir contourné la zone de temps ensorcelé, ils pouvaient aller vers l'est mais ensuite ils souhaitaient se diriger plus directement vers la zone où ils avaient quitté les géants qui les avaient aidés à traverser les montagnes. Et pour cela, le magicien dunéen utilisait ses cailloux et ses sorts de divination pour déterminer si leur objectif était à droite de l'orientation qu'il prenait. Les cailloux ne permettaient en effet que de répondre par oui ou par non. En répétant son sort de divination plusieurs fois, il pouvait s'approcher de la bonne direction, lorsque les cailloux commençaient à tomber à peu près autant d'un côté que de l'autre de la ligne qui séparait le oui du non... Après quoi ils maintenaient la même direction à l'aide de la boussole.

Pendant l'équivalent de deux "jours", ou périodes entre deux pauses pour dormir, ils progressèrent ainsi, ralentis également par des zones de crevasses plus nombreuses qu'attendu. Le deuxième "jour" en particulier, soit le cinquième depuis leur départ d'Helloth, la ville de glace des elfes des neiges, ils eurent l'impression d'avancer très peu et au prix de grands efforts. Ce qui forçait Isilmë, à la fin de chaque trajet, à faire grand usage de sa magie des soins pour apporter un sommeil plus récupérateur aux amis qui en avaient le plus besoin, comme par exemple Geralt et Vif. Cette dernière, notamment, n'était pas très à l'aise sur des skis et elle devait parfois faire un effort de volonté pour ne pas se laisser distancer par ses compagnons. Avancer à quatre pattes sur des skis n'était pas tout à fait pratique, et si elle s'y habituait petit à petit, une fois n'était pas coutume, elle était en général la plus lente de l'équipe. Drilun pouvait également soulager un peu les efforts de ses amis grâce à sa maîtrise d'une magie des songes qui les aidait à faire de beaux rêves. Mais ce n'était pas aussi efficace que les sorts de sa chère amie. De même pour Taurgil et sa magie des soins qu'il ne maîtrisait pas aussi bien que la guerrière et soigneuse elfe.

Ils avaient aussi le plus grand mal à se représenter exactement où ils se trouvaient sur une carte. La magie de l'archer-magicien donnait la direction mais pas la distance, et ils avaient fait un grand détour pour contourner le mauvais temps magique. Faute de temps clair, ils ne pouvaient se servir des étoiles pour connaître leur position. Par ailleurs, la fréquence des zones de crevasses inquiétait certains, qui se demandaient s'ils ne faisaient pas fausse route. Ils se souvenaient en effet qu'à l'aller, il y avait eu quelques zones un peu mauvaises mais elles ne duraient pas si longtemps, contrairement à ce qu'ils trouvaient à présent. Ils se firent la réflexion que leur trajet n'était pas droit comme à l'aller mais fortement biaisé, et donc qu'il était normal de trouver des zones de fractures en apparence plus longues : ils ne les traversaient pas perpendiculairement quand on va du nord au sud ou inversement. Les crevasses allaient souvent d'est en ouest, au fur et à mesure que la glace de la banquise s'éloignait du nord, alors que là ils allaient beaucoup plus vers le sud-est voire encore plus près de l'est que cela. En tout cas, ils faisaient contre mauvaise fortune bon cœur, même si le hobbit voyait avec quelque inquiétude leurs réserves de nourriture diminuer rapidement.

3 - Blizzard et progression encore plus lente
A l'issue d'une nouvelle période de repos, une autre mauvaise surprise attendait les aventuriers : un blizzard. Une température très basse, des vents très violents, de la neige abondante... Dwimfa rappela que ce genre de temps - au demeurant naturel aux perceptions de Rob - pouvait durer un temps très variable, jusqu'à plus d'une semaine ou deux. La plupart du temps cela ne dépassait pas quelques jours, pendant lesquels les Lossoth restaient tranquillement entre eux, sans bouger. Il était en effet à peu près impossible de se repérer par un temps pareil, presque impossible de se déplacer, sans parler de résister au froid intense accentué par le vent. Malgré leur excellent équipement, certains aventuriers pouvaient sentir que leurs vêtements n'étaient pas à la hauteur des éléments déchaînés. La prudence incitait donc à rester sur place en attendant la fin du mauvais temps. Ce à quoi certains répondirent que pendant ce temps, le sorcier qui avait accompagné Andalónil était censé se venger sur les Hommes des Neiges. Et par ailleurs, leurs réserves de nourriture baissaient vite...

Ils décidèrent donc de partir tout de même. Pour contrer les effets du froid, Drilun proposa d'utiliser sa magie pour limiter le vent et réchauffer l'atmosphère autour d'eux. Certains avaient peur que cette magie soit perçue par des dragons, et en particulier Canadras, et qu'ils viennent leur chercher des poux dans la tête et sans doute plus... La magie de l'anneau elfique récupéré au doigt de Gillowen, et actuellement porté par Rob, masquait la magie dans un rayon assez proche, de l'ordre de quelques pas. Le Dunéen proposa alors de réduire sa magie au même rayon : cela réduirait le froid et la force du vent, mais ne changerait rien pour la neige ou la visibilité. D'ailleurs, pour cette dernière, il pouvait aussi faire de la lumière avec son bâton. Sans cela, le groupe aurait bien du mal à avancer : seuls les nyctalopes arrivaient à distinguer quelque chose comme leurs mains ou leurs pieds dans cette purée de pois de neige.

C'est donc ce qu'ils firent. La magie de Drilun leur permit de supporter le froid de ce temps exécrable, tout juste pour certains, et d'avancer un pied (ou une patte) devant l'autre. Mais la neige lourde se collait à eux et rendait leur progression extrêmement lente. De plus, assez rapidement, ils trouvèrent une zone dangereuse avec des crevasses noyées sous la neige, d'après les perceptions de la lionne enchantée. Ils utilisèrent la magie des skis ou autre équipement, mais leur avancée se faisait si lentement qu'ils en furent réduits à puiser dans leurs réserves de volonté au-delà de ce qu'ils auraient voulu. Et ils ne pouvaient s'arrêter ainsi, en plein milieu d'une zone instable, ce qui se traduirait sans doute par une chute dans une crevasse au risque de périr étouffés dans la neige ou gelés dans l'eau glacée de l'océan sous la banquise... et étouffés quand même !

Ils arrivèrent à franchir la zone de crevasses, mais certains étaient si épuisés qu'ils choisirent de faire une pause pour manger et dormir, même si la "journée" n'était pas si avancée que cela. Cela représentait peut-être la moitié d'une journée normale, mais question fatigue cela faisait plus penser à une longue journée de dur labeur, en particulier pour Geralt ! Ils n'insistèrent pas et firent un camp, et la magie fut mise à contribution pour restaurer leur énergie et leur moral à ceux qui avaient le plus souffert. Ils s'endormirent en rêvant à un temps plus clément après leur repos. Malheureusement ce n'était pas le cas, le blizzard était toujours le même, aussi fort et aussi froid. Ils hésitèrent à rester sur place, malgré les réserves de nourriture toujours plus basses, et en fin de compte reprirent leurs skis, leurs bâtons et leurs affaires, et affrontèrent le blizzard à nouveau.

Encore une fois la magie de l'archer-magicien atténua le froid de ce temps inhospitalier et fournit de la lumière. Encore une fois ils trouvèrent sur leur route une zone de crevasses qu'ils mirent très longtemps - et beaucoup d'énergie - à franchir. Drilun avait même utilisé sa magie divinatoire pour évaluer la taille de la zone, mais ils avaient conclu que c'était faisable... et l'avaient fait. Au prix, encore une fois, de pas mal d'énergie pour certains. Mais au moins ils avaient un peu plus avancé que la veille. Après une nouvelle période de repos, rebelote, avec encore blizzard, magie, efforts... même si la zone de crevasses qu'ils eurent à franchir était un peu plus petite. Mais ce fut encore une journée très vite passée. Et les réserves d'énergie ou de moral n'étaient pas les seules à fondre : la nourriture fraîche (viande ou poisson congelés) avait été épuisée depuis plusieurs jours déjà, et les rations de piste (biscuits et autre nourriture séchée) arrivait à terme. Ne restait plus que le lembas fourni par les elfes, et tous n'en avaient pas. En bref, ils en avaient au moins pour une semaine, plus en se rationnant, mais cela paraissait bien insuffisant à plusieurs d'entre eux...

4 - Banquise et nourriture
A l'aide d'un sort, Taurgil avait pu déterminer auparavant qu'il restait encore l'équivalent de deux ou trois jours de blizzard. La perspective de continuer à voir la nourriture disparaître sans pouvoir avancer beaucoup donna des aigreurs d'estomac à certains. Le Dúnadan rappela alors qu'il avait une magie liée à la nature qui lui permettait d'appeler des animaux, en particulier des prédateurs, pour éventuellement leur demander des services comme apporter de la nourriture. Problème : sur la banquise, il n'y avait aucun animal. En-dessous, en revanche... N'y avait-il pas certains requins qui vivaient dans les parages ? Sous la banquise, et en particulier au fond de l'océan, les experts du Grand Nord comme Taurgil ou Dwimfa savaient qu'il y avait de la vie, crustacés ou poissons. Pratiquement pas de mammifères, car les anfractuosités où respirer étaient très rares. Mais le requin saumon, qui comme son nom l'indiquait se nourrit de ces poissons, pouvait être trouvé dans des eaux glacées. En trouveraient-ils par ici ?

Mais avant de pouvoir répondre à cette question, il fallait en premier atteindre le milieu dans lequel vivaient ces animaux, à savoir la mer... sous la banquise. Si pour certains aventuriers il semblait facile de trouver la mer grâce aux nombreuses crevasses qu'ils croisaient régulièrement, en pratique ce n'était pas si aisé : les crevasses en question étaient emplies de neige et peu visibles. Pour l'instant c'est Vif qui les repérait, et encore de manière indirecte : elle arrivait à percevoir les zones de neige instable qui indiquaient la présence d'un trou dans le sol, dans lequel la neige molle s'était accumulée et pouvait réagir comme des sables mouvants. Mais creuser cette neige sans tomber dans le trou ainsi fait n'était pas simple, sans parler du risque d'étouffement dans cette neige molle et épaisse à la fois. Il fallait trouver une crevasse assez grande, creuser et faire ébouler la neige au fur et à mesure, sans tomber, et ça ne risquait pas de s'improviser tout seul !

Le repérage, déjà, se fit par magie. Drilun pouvait "écouter" magiquement la terre, et la glace était juste une forme de terre particulière. Il put ainsi visualiser une zone instable près de laquelle ils se trouvaient, et déterminer le bon endroit où creuser. Ensuite, il fallait faire creuser quelqu'un tout en l'empêchant de tomber dans la crevasse. Une bonne corde et des gens costauds comme Taurgil ou Vif feraient l'affaire, mais qui voulait s'attacher à l'autre bout de la corde ? Certains proposèrent à Mordin de prendre la place : les nains n'étaient-ils pas doués pour creuser ? Manifestement, pour la plus grande gueule de l'équipe, la neige était moins de la terre que de l'eau sous une forme semi-solide, et il semblait qu'il n'aimait pas l'eau. En revanche, il invita l'elfe à s'essayer, d'autant qu'elle faisait partie des plus légers. Et effectivement, Isilmë accepta le poste de "mineuse de neige". Elle s'encorda, puis s'approcha de la zone que lui indiquait son bon ami dunéen.

Avec le Dúnadan et la féline Femme des Bois pour la tenir, elle était en sécurité. Creuser dans la neige, tomber dans un trou sans étouffer, faire tomber davantage de neige, agrandir le trou... Cela prit un moment mais cela se fit sans mauvaise surprise ni blessure d'aucune sorte. Au bout d'un moment une partie de la crevasse fut dégagée de sa neige, et la mer put être visible au fond, à trois ou quatre pas de profondeur. Il fut assez facile de faire descendre Taurgil ensuite, qui put enfin lancer son sort destiné à appeler un prédateur marin. Ne restait plus qu'à attendre, en espérant en trouver qui soit à proximité ! Le temps passa, mais après un bon moment il fallut se rendre à l'évidence : il y avait sans doute des poissons, mais ils ne pouvaient pas les pêcher sans matériel ou appât, et s'il y avait des prédateurs, ils n'étaient pas dans les environs...

Néanmoins, après s'être reposés et avoir repris leur route, ils décidèrent de réessayer un peu plus loin. Après avoir franchi une nouvelle zone instable, avec des crevasses cachées dans la neige, ils recommencèrent la même formule : identification de la meilleure crevasse par magie, utilisation d'une corde pour aider Isilmë à creuser et évacuer la neige dans la crevasse pour arriver jusqu'à la mer. Et ainsi le rôdeur dúnadan put-il à nouveau lancer son sortilège pour appeler un prédateur... ce qui fonctionna cette fois-ci ! Un requin qui arriva bientôt fut magiquement mis au courant des désirs du magicien de la nature, et l'animal partit chasser. Peu après, il revenait avec un saumon d'environ six livres, au grand plaisir des aventuriers...

Par la suite, le groupe fit fructifier cette méthode de pêche de manière à optimiser encore cette source de nourriture. En effet, Taurgil ne pouvait demander encore et encore de la nourriture aux requins des environs, et cette nourriture était insuffisante pour l'ensemble de l'équipe. Ou du moins elle était insuffisante telle quelle. Cependant, en plaçant une partie de la pêche dans les inereneraban qui restaient aux aventuriers, la valeur nutritive du poisson augmentait beaucoup et pouvait suffire ! En effet, les inereneraban, ces fameuses boîtes de bois magiques réalisées et données par les Hommes des Bois qu'ils avaient aidés dans leurs aventures de la Forêt Sombre, avaient entre autres pouvoirs une capacité très utile : ils pouvaient rendre quelque chose de comestible beaucoup plus nourrissant, même si cela prenait un peu de temps pour que la magie devienne active. En s'arrêtant régulièrement pour se faire "livrer" des poissons, et en en mettant le plus possible dans ces boîtes magiques, il devenait possible de nourrir toute l'équipe ! Et le lembas des elfes pouvait même être conservé...

5 - Terre !
Et donc, pendant les jours qui suivirent, c'est ce qui fut fait : à chaque nouvelle zone de crevasses dans la banquise, du temps fut pris pour creuser et appeler des requins pour leur apporter du poisson. Lequel poisson verrait ensuite son apport nutritionnel encore augmenté par un passage dans un inerenerab, avant de finir dans l'estomac d'un aventurier au fur et à mesure qu'un autre poisson pouvait remplacer celui qui était mangé. Les aventuriers progressèrent encore lentement pendant deux "jours" sous le blizzard dont ils attendaient la fin proche, puis le temps changea enfin. Il se fit moins froid, moins venté, avec moins de neige... Il était toujours difficile de se repérer, mais entre leur boussole et la magie, Vif et ses amis arriveraient toujours à se retrouver.

Par contre, au fur et à mesure qu'ils progressaient, la banquise semblait changer. Elle bougeait plus, et les spécialistes du Grand Nord se demandaient s'ils n'étaient pas proches des limites de la banquise, assez loin du cœur du Grand Nord où ils comptaient aller. Néanmoins cela ne les affecta pas trop et ils avancèrent plus vite. A un moment Rob sentit une source de magie noire non loin de la direction qu'ils prenaient, mais ils choisirent de ne pas dévier de leur route pour voir de quoi il retournait. Par ailleurs, une fois le blizzard passé, Isilmë utilisa ses chansons de marche elfiques : son chant était magique et les skis magiques que portaient les aventuriers, pour la plupart, permettaient de bénéficier des effets du sort : pendant toute la durée du chant, la progression en marchant ou glissant lentement était à la fois plus rapide mais surtout elle se faisait sans aucune fatigue, comme si la magie du chant de l'elfe apportait toute l'énergie nécessaire à avancer à pied, à pattes ou à skis magiques...

Au cours du douzième jour après leur départ de la cité de glace des elfes des neiges, le groupe entra dans une zone nouvelle. La banquise était plus mobile et accidentée que jamais, si bien que les skis allaient bientôt devenir moins efficaces que les raquettes. Mais surtout, cela laissait suggérer la présence d'un obstacle aux mouvements de la banquise, et à tout le moins des courants contraires à proximité. En bref, tout indiquait qu'une terre ferme n'était pas très loin ! Aussi, après un moment, le groupe décida-t-il de changer de direction : plutôt que de continuer vers l'est ou le sud-est, où les cailloux de Drilun lui disaient qu'était son objectif, ils se dirigèrent plein sud. Ils avaient hâte de retrouver la terre ferme, et Vif pouvait entendre du bruit. Dans son parler félin, elle annonça bientôt un prochain changement de régime : elle entendait le bruit des phoques ainsi que d'oiseaux...

Au fur et à mesure qu'ils progressaient, les aventuriers perçurent, comme leur amie féline, les signes d'une vie proche, tant marine que terrestre. En plus des bruits que Geralt fut le second à percevoir, le ciel se dévoila petit à petit et laissa apparaître à faible distance des falaises au pied desquelles les phoques habitaient, survolées par des oiseaux, en particulier plus à l'est. Motivés par ce changement de terrain, et malgré le côté plus accidenté et dangereux de la glace, les derniers aventuriers remisèrent leurs skis pour chausser leurs raquettes. Ils se rirent des trous et bosses de la banquise qui avait également emprisonné quelques icebergs. Certains étaient petits, mais au fur et à mesure que le ciel s'éclaircissait, ils pouvaient en voir des plus gros. Peut-être même y en aurait-il qui seraient habités par les Merimetsästäjat ou "Chasseurs des Mers", ces Hommes des Neiges qui vivaient dans des gros icebergs...

A l'aide de leur carte et des nouveaux points de repère, ainsi que des connaissances des meilleurs experts du Grand Nord parmi eux, ils recherchèrent et finirent par découvrir où ils se trouvaient. En fait, contrairement à ce que Drilun avait cru, ils étaient bien plus à l'ouest que prévu. Ils abordaient la rive nord de l'Ile aux Os de Baleine, appelée encore par les Hommes des Neiges Valaskalanluinen Saari. Elle s'appelait ainsi car les plages sud de l'île possédaient de véritables cimetières de baleines, où ces grands cétacés venaient mourir lorsqu'ils arrivaient à la fin de leur existence, accompagnés de leur famille. Les aventuriers avaient dévié au-delà de ce qu'ils pensaient car, en y réfléchissant, ils avaient été trompés par une chose : il s'étaient servi plusieurs fois de leur boussole magique pour se diriger, mais en fait, quand on est près du pôle nord et qu'on va tout droit vers l'ouest ou l'est, en fait on tourne tout le temps ! Du coup ils étaient arrivés sur l'île la plus occidentale et la plus au nord du Grand Nord, à peut-être deux cents miles à l'ouest de leur objectif...

6 - Les ruines des Fabricants de Perles
Mais en premier lieu, Vif se fit un plaisir d'aller chasser. C'était d'autant plus facile que le printemps était arrivé ; et d'ailleurs le soleil, même s'il restait bas dans le ciel et qu'il était masqué par les falaises, illuminait tout l'espace enneigé. Et qui disait printemps, disait parades nuptiales pour les phoques ! Les animaux avaient très peu de prédateurs, essentiellement les orques - pour l'instant gênés par les glaces - et les Lossoth, réduits à quelques Chasseurs des Mers occasionnels sur cette île. Bientôt la lionne enchantée revint avec une carcasse de phoque aussi lourde que certains de ses amis... Même avec des moyens limités, les talents culinaires de Rob firent les délices des palais des aventuriers ! Sauf de Vif qui s'empiffra de viande tiède, ce qu'elle n'avait plus connu depuis avant leur départ pour le nord du Grand Nord il y avait environ un mois !

Après cela les aventuriers discutèrent de la suite à donner. Dans l'immédiat, Drilun était très excité par leur situation. En effet, il avait noté sur sa carte les ruines de deux sites autrefois occupés par les anciens Fabricants de Perles, cette culture antérieure aux Lossoth. Lorsque ces derniers avaient occupé le Grand Nord il y avait de cela des siècles, ils avaient découvert les ruines d'une culture humaine dont il ne restait plus rien de vivant. Et dans ces ruines, ils avaient trouvé de nombreuses perles en céramique, qui pouvaient servir parfois non seulement d'ornement mais aussi de monnaie pour du troc. En fait, l'art de fabrication des perles de cette culture allait bien au-delà de la fabrication de vulgaires colifichets, aussi beaux fussent-ils : certains étaient même magiques, et les aventuriers en avaient quelques exemples sur eux. L'archer-magicien était très excité à l'idée de faire la chasse aux perles magiques sur les ruines de l'île !

Car il existait deux ruines connues sur cette île : un site, le plus proche de leur emplacement, se nommait Ei Missä, ce qui signifie "nulle part" en labba, la langue des Lossoth. Les Chasseurs des Mers l'appelaient ainsi car une route permettait d'y accéder au sommet de la falaise. Or cette route se terminait brusquement dans le vide, en haut d'une falaise, à l'extrémité ouest de l'île, comme une route qui ne menait nulle part. Les Chasseurs des Mers utilisaient parfois les ruines car elles étaient assez proches des zones de chasse et de vie des phoques qui étaient une des bases de leur alimentation. Même si c'était un assez mauvais site de mouillage en raison des nombreux rochers présents sur le rivage du nord de l'île. Les aventuriers envisagèrent un temps de monter en haut de la falaise, mais au bout du compte, vu que cela semblait difficile, ils préférèrent faire le chemin vers Ei Missa par la banquise.

Le second site anciennement occupé par la culture des Fabricants de Perles se nommait Itämuurit, ce qui signifit en labba "Murs de l'Est". En fait il s'agissait à présent d'un campement habituel des Chasseurs des Mers, sur un site entouré de vieux murs en ruines suivant un schéma très géométrique, encore assez visible après des siècles de tempêtes et mauvais temps. Les Chasseurs des Mers utilisaient donc souvent les murs pour s'abriter du vent, en particulier pendant les tempêtes. D'après les connaissances que certains avaient pu recueillir auprès des Lossoth, il semblait qu'il existait autrefois une route qui reliait les deux sites des Fabricants de Perles, mais il n'en restait presque rien. Le voyage de l'une à l'autre ruine était donc tout sauf évident.

En attendant, le groupe, une fois leur ventre bien rebondi et leur palais satisfait, reprit raquettes et autre équipement pour revenir sur les glaces de la banquise. Les aventuriers s'éloignèrent des zones les plus accidentées du rivage, puis ils avancèrent vers l'est en direction d'Ei Missä, situé au creux d'un coude dans la falaise du nord de l'île. Petit à petit, ils virent des traces de vie à proximité, non seulement les phoques et les oiseaux mais aussi des présences humaines. En fait, au cours de leur trajet d'environ une vingtaine de miles, ils repérèrent deux icebergs assez grands pour servir de demeure aux Chasseurs des Mers, et qui manifestement étaient habités. Sans doute en raison du temps clément et de la période de l'année - fin de l'hiver - où les stocks de nourriture étaient bas, ils ne furent pas surpris de repérer un ou deux groupes de Lossoth en train de chasser le phoque dans les environs. Ils s'approchèrent tranquillement des ruines qu'ils commençaient à repérer, d'autant qu'un autre groupe de chasseurs locaux semblait déjà s'y trouver.
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Niemal
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Grand Nord - 36e partie : grottes et sorcellerie

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1 - Ei Missa
Menés par Vif qui choisissait les passages les plus sûrs sur la banquise, les aventuriers s'approchèrent petit à petit de l'ancien village des Fabricants de Perles. Les ruines étaient à peine visibles, d'autant qu'elles étaient recouvertes de neige, et le site ne semblait pas bien grand : les restes des bâtiments s'étalaient sur une portée de flèche dans toutes les directions, dans un terrain en pente abrité des vents principaux, où le mouillage semblait bon. Quelques barques étaient d'ailleurs présentes avec des Lossoth en train de hisser les carcasses sanglantes de deux phoques qui venaient d'être chassés. La présence des barques paraissait étrange alors que la majorité de l'eau était glacée, mais la banquise était loin d'être uniforme et les zones un peu libres de glace abondaient près de la côte, ce qui permettait aux phoques des environs de plonger facilement pour aller pêcher. En tout cas, les Hommes des Neiges présents - probablement un groupe de chasse des Merimetsästäjät ou "Chasseurs des Mers" - les regardaient approcher avec appréhension.

Le groupe avait l'habitude d'intimider les locaux par leur apparence de grands guerriers précédés par un énorme félin, sans parler de leur réputation de maudits porteurs de poisse - doux euphémisme - bien partagée jusque dans le monde des esprits. Ils saluèrent donc les Hommes des Neiges dans leur langue, Isilmë montra qu'elle était une elfe et Vif fut désignée comme étant son "animal magique" à son service et sous son contrôle total. Et puis, coutumes locales obligent, divers aventuriers proposèrent d'aider à découper les corps des deux phoques, de même que ce qui restait du leur, et mettre en commun le produit de leur chasse. Rob fut le premier à se proposer et fut bien accueilli : les hobbits étaient peu connus dans le Grand Nord mais ils avaient une excellente réputation, tant à cause de leur aspect joyeux et inoffensif (en labba ils portaient le nom de Iloiset Lapset ou "Enfants Joyeux") que pour leurs compétences culinaires reconnues. D'autres le suivirent, et la moitié du groupe choisit d'aller explorer les ruines, Mordin le premier.

Dans la culture des Lossoth, rien ne doit être perdu, et la valorisation des produits de la chasse était une question de survie. Il y avait largement de quoi occuper tout le monde entre le découpage des peaux, des chairs et organes divers, recueil du sang même, des tendons et ligaments, des os... Les aventuriers restés pour aider étaient bien débrouillards dans tout ce qui concernait les techniques de survie, et depuis le temps qu'ils traînaient dans les environs - presque un an déjà - ils avaient bien appris les savoir-faire locaux. Rob se mit également à préparer un repas de phoque pour toutes les bouches présentes, et même avec le peu à sa disposition, il fit rapidement saliver tout le monde à proximité tant les odeurs qui émanaient de sa cuisine étaient alléchantes. Et lorsque les premiers goûtèrent à sa préparation, ils s’empiffrèrent de viande succulente sans pouvoir se retenir. Les amis de Rob eux-mêmes jugèrent que, même s'ils avaient l'habitude de ses plats, celui-ci était manifestement parmi ses meilleurs. Le moral de tous monta en flèche et l'ambiance fut rapidement bien plus détendue.

Pendant ce temps, les amis du hobbit partis explorer les ruines en furent pour leur frais. Sur un plan magique, ils ne sentaient rien de particulier. Tout au plus Mordin pouvait-il détecter quelques rares éclats de pierres semi-précieuses enfouis dans le sol, à l'aide d'un anneau magique qu'il portait en permanence. Aucune émanation magique trahissant la présence de perle magique, ou toute autre babiole enchantée. Et il n'y a avait pas vraiment de cavernes aux alentours, à peine les restes de quelques caves effondrées : fouiller physiquement les ruines couvertes de neige prendrait beaucoup de temps pour un résultat plus qu'incertain et a priori bien maigre. Ils décidèrent donc assez vite de mettre fin à leurs recherches et d'aller rejoindre les autres. D'autant qu'une bonne odeur flottait dans l'air et qu'il semblait que les bombances avaient commencé. Et comme ils ne faisaient aucunement confiance aux autres pour leur garder une part - ce en quoi ils avaient parfaitement raison ! - ils se dépêchèrent d'aller participer au festin, sauf Vif qui avait déjà largement mangé (cru) après avoir attrapé son phoque plus tôt dans la journée.

En tout cas, une fois les panses tendues à craquer et les bouches vidées de la nourriture ingérée, les paroles purent se libérer. Diverses nouvelles locales furent échangées, en général sans grande importance, mais l'une d'elles fit dresser l'oreille de Taurgil et de ses amis. Tout d'abord, ils eurent confirmation que le site avait déjà été fouillé mille fois et qu'il ne recelait rien de spécial. En revanche, pour Itämuurit, l'autre site de ruines à l'est de l'île, il n'en était pas de même : il était beaucoup plus grand, et, situé au sommet d'une barre rocheuse, il reposait sur des galeries souterraines composées de passages étroits et peu praticables qui n'avaient pas été complètement explorés. Des chercheurs de trésor y passaient régulièrement, et en dehors de restes de poteries - parfois encore utilisables - il leur arrivait même de trouver à l'occasion quelques perles de céramique fabriquées par les anciens occupants des lieux.

Mais malheureusement, un terrible événement récent faisait que le site était désormais évité par tous les Lossoth des environs. Tout d'abord, les aventuriers apprirent que le site était régulièrement utilisé par des groupes ou individus en vadrouille sur l'île, notamment à la recherche d'oiseaux et d'œufs : les ruines pouvaient servir pour s'abriter en cas de mauvais temps, grâce à des restes de murs mieux préservés qu'à Ei Missa. En fait, depuis des années, une viisas avait même élu domicile là-bas et fait de nombreuses fouilles. Jusqu'au jour où elle avait fait une grande découverte et où les esprits lui avaient dit d'attendre des visiteurs maudits qui auraient l'utilité de ce qu'elle avait trouvé. Elle patientait donc là-bas depuis un moment, tout en enseignant parfois son art à d'autres Lossoth, quand des auspices néfastes firent fuir la plupart, mais pas elle. Un terrible spectre arriva là-bas sur l'île, il tua tout le monde sauf elle, qu'il se contenta de torturer et lui crever les yeux. Il fit une terrible magie noire, remplissant le site de sorcellerie puissante, si bien que la viisas reste à présent seule là-bas, attendant toujours des gens maudits à qui remettre quelque chose que le spectre a peut-être pris pour lui... ou pas.

2 - Itämuurit
Certains aventuriers, avant cette histoire, n'étaient pas vraiment très chauds pour aller visiter l'autre ruine des Fabricants de Perles. Mais après avoir entendu cela, ils furent brusquement bien motivés. Une viisas guidée par des esprits pour aider des gens qui faisaient furieusement penser à leur groupe, un possible artefact magique, des grottes à explorer... Même si le groupe se sentait par certains côtés responsable d'une part significative de l'avenir de la Terre du Milieu, c'étaient avant tout des aventuriers, excités par la nouveauté, la magie, les quêtes en tout genre... y compris une viisas en détresse à aller sauver ou aider ! Et puis le spectre leur donnait à penser que le puissant sorcier noir qui les avait pourchassés à la tête de nombreux morts-vivants avait bien pu s'arrêter par là. S'il y avait trouvé son intérêt, c'est sans doute qu'il y avait quelque chose à apprendre là... voire à prendre !

Du coup, Geralt et ses amis demandèrent à leurs compagnons d'un jour comment aller jusque là-bas. Les Lossoth n'essayèrent pas trop de les dissuader, sentant que l'avenir des aventuriers se trouvait peut-être par là-bas. En attendant, ce n'était pas si simple : il avait dû y avoir une route entre les deux sites, mais il n'en restait rien. Du coup, il était bien possible de rejoindre Itämuurit par la terre, mais c'était à la fois simple et difficile. Simple, parce qu'il suffisait de monter au sommet et d'aller vers l'est : les ruines se trouvaient à l'extrémité est de l'île, en hauteur, impossibles à rater à proximité. Difficile, car le terrain était accidenté, enneigé, sans ligne droite facile ou évidente. Un éventuel connaisseur de l'île aurait pu les guider peut-être, dans l'été, mais en l'état il ne fallait pas compter sur quiconque. En temps normal il fallait deux jours pour arriver là-bas. Et aucun dragon ou autre grand prédateur n'était connu pour habiter sur l'île : il n'y avait pas vraiment d'abri pour eux et pas tant que ça à manger.

Drilun et les autres débattirent de la route à prendre : par la mer, sur la banquise ? Cela impliquait de faire demi-tour pour sortir de l'anse où ils étaient, s'éloigner au nord pour avoir une banquise plus stable, voyager vers l'est, redescendre au sud pour atteindre la pointe de l'île, et monter la falaise en haut de laquelle se trouvait le site. La banquise allait être de moins en moins stable à mesure que le printemps arrivait, sans parler d'éventuels prédateurs marins qui pouvaient leur compliquer la vie. Ou même pas marins d'ailleurs : certains ne se souvenaient que trop bien de la facilité avec laquelle Canadras les avait mis en grande difficulté en brisant la glace sous et autour d'eux, ou Andalónil. Passer par les sommets de l'île paraissait bien plus attirants à certains, Vif en tête, qui se riait du terrain accidenté. En fin de compte, c'est ce qui fut décidé : ils iraient par l'intérieur et les sommets de l'île.

Après une "nuit" de repos sans surprise, les Lossoth les quittèrent. Mordin et consorts leur laissèrent toute la nourriture, y compris ce qui provenait de leur part de phoque à eux. Ils décidèrent de ne garder que ce qu'il leur faudrait pour la journée ; ils n'auraient qu'à chasser ou pêcher le reste du temps, ou utiliser leurs réserves, lembas ou poisson dans les inereneraban. Le temps était sec et beau, et le soleil fit même son apparition un moment au ras de l'horizon, vers le sud, ce qui les obligea à mettre leurs bandeaux de protection pour se prémunir des nombreux reflets sur la neige brillante. Ils grimpèrent sans problème depuis Ei Missa jusqu'aux sommets de l'île. Il était facile de se diriger, mais ils découvrirent vite que le terrain accidenté et la neige allaient singulièrement leur compliquer la vie : même si Vif pouvait trouver une voie praticable pour aller dans la bonne direction, leur allure était très lente. Il allait leur falloir bien plus que deux jours, sans parler de la démotivation de Geralt, allergique aux efforts !

Heureusement, la solution arriva par la bouche d'Isilmë : elle entonna un chant elfique qui fit danser les pieds et pattes de toute l'équipe. Brusquement pleins d'énergie, les aventuriers avancèrent à allure réduite mais néanmoins plus rapide, sans ressentir aucune fatigue, tant ils étaient portés par la magie du chant. Ils marchèrent longtemps ainsi, et l'elfe refit un nouveau chant de marche après une pause pour leurs besoins divers en cours de voyage. Ils étaient presque frais et dispos à l'issue du deuxième chant, certains auraient voulu continuer, mais la lassitude et la prudence eurent raison du plus grand nombre : ils choisirent de faire un camp, se reposer, pour pouvoir arriver plus frais le lendemain, où les ennuis les attendaient peut-être. Ce qu'ils firent donc : après un repos tranquille, ils repartirent vers l'est-nord-est, au son du chant de la guerrière et soigneuse elfe. A la fin de son chant, quand ils firent une pause, les ruines étaient déjà visibles pour certains. Le temps était toujours clair, juste un peu venté. Un nouveau chant fit avancer leurs guiboles, et ils arrivèrent bientôt à Itämuurit.

Le site était effectivement bien plus grand qu'Ei Missa, et les ruines mieux conservées. Le centre des ruines faisait beaucoup penser à une grande avenue avec les restes de divers édifices de part et d'autre. Elle amenait à une zone de murs (en ruines) concentriques, possible centre culturel ou religieux, au milieu de laquelle se tenait une silhouette. Cela faisait un moment que la féline Femme des Bois l'avait repérée, car elle ne faisait rien pour se cacher, et elle chantait. Au fur et à mesure que les aventuriers s'approchaient, ils purent entendre son chant également, qui n'était pas vraiment compréhensible, mais faisait plutôt penser à une transe et un langage ésotérique, comme pour quelqu'un en train de communiquer avec des esprits. Ils continuèrent à s'approcher, et Isilmë se mit à chanter elle aussi, et d'une certaine manière elle arriva à se caler sur le chant de l'autre et à entrer en communion avec la chanteuse et les esprits auxquels elle parlait. Bientôt la silhouette s'arrêta de chanter, et tourna son visage vers eux, baignée d'un grand sourire. Le visage gardait les cicatrices de nombreuses blessures ou mauvais traitements, comme attestés par les traces de sang sur les habits en mauvais état de son propriétaire, et les orbites étaient vides. Pourtant la personne, manifestement une femme d'âge moyen (ce qui pouvait être assez vieux pour les Lossoth, qui ne vivaient pas longtemps), avait l'air heureuse...

3 - Näkynainen
Avant même d'arriver là, et dès la fin de la première journée en fait, Rob avait pu sentir une magie noire très puissante à l'œuvre sur le site. En s'approchant, il put même déterminer que la magie était présente en sous-sol et non en surface. Il la sentait sous eux à présent, à au moins une centaine de pieds de profondeur, et il sentait même des présences maléfiques, au nombre de dix, dont une plus puissante et intelligente que les autres. Là, face à cette dame blessée, il sentait également de la magie, mais elle n'avait rien de mauvais. Manifestement, ils avaient devant eux la viisas dont on leur avait parlé, et qui paraissait toute heureuse de les rencontrer enfin... Elle semblait les percevoir d'une façon ou d'une autre, malgré sa cécité. Avec la magie émanant d'elle, et vu son lien avec le monde des esprits, que la guerrière elfe avait pu partager, il n'y avait pas de surprise ni de doute à avoir : c'est bien les aventuriers qu'elle attendait.

Le contact se fit très simplement, avec des mots courtois. Les aventuriers apprirent que la personne qu'ils avaient en face d'eux se nommait Näkynainen, nom qui signifie en labba "Vision-Femme". Très vite elle leur proposa de leur raconter l'histoire de sa vie, qui était maintenant liée à la leur. Sans surprise, très petite, elle montra des dons pour le contact avec le monde des esprits. Son destin fut tout tracé, elle serait une viisas. Elle grandit donc dans cette voie, parlant beaucoup aux esprits et les écoutant encore plus. Elle voyagea beaucoup, à la recherche de quelque chose qui était tout simplement son destin. Elle finit par le trouver sur le site d'Itämuurit : là, les esprits lui dirent qu'elle devait chercher un artefact très puissant qui était caché sous l'ancienne ville des Fabricants de Perles. Ce qu'elle fit donc, seule ou avec l'aide éventuelle des visiteurs occasionnels.

Sa recherche prit des années, et jamais sa motivation ne flancha, poussée par les esprits qui lui parlaient toujours. Même si elle n'avait pas une grande réputation, elle était connue localement et certains jeunes venaient étudier auprès d'elle, ou des gens lui demandaient conseil, en échange d'aide matérielle. Enfin, un beau jour, elle trouva le fameux artefact qu'elle était destinée à garder. Car de cela aussi les esprits l'avaient prévenue : sa mission n'était pas terminée, et l'artefact en question ne lui était pas destiné. En fait elle resta assez discrète à ce sujet, ou en dit juste assez pour éviter d'avoir des problèmes avec des gens cupides, même s'ils étaient rares à venir ici. En effet, l'artefact devait être remis à des personnes étrangères et maudites pour les aider à combattre la malédiction qu'ils avaient sur eux, et, plus encore, les esprits maudits qui étaient à l'origine de leur malédiction. Toute autre personne cherchant à prendre l'artefact risquait de le regretter...

Et donc elle resta sur place, patiente, attendant son heure. Petit à petit, les esprits lui dirent que l'heure approchait. Quand elle entendit parler d'un étranger tombé du ciel dans les montagnes à l'est, et ayant perdu la mémoire, elle se demanda si son temps n'était pas venu. Les aventuriers n'eurent aucun mal à associer cette histoire avec celle de Dwimfa, leur compagnon, qui était là à présent... Mais la viisas continua en disant qu'il n'était pas (encore) venu, et donc qu'elle continua à attendre. Plus récemment, les esprits l'avertirent que le dénouement de son destin était proche, mais qu'il serait douloureux : le mal précédait les étrangers maudits, le mal, la destruction et la mort. Näkynainen eut peur pour les personnes qui la côtoyaient régulièrement et les avertit qu'une épreuve arrivait. Certains ne partirent pas, pris dans un autre destin. Car le mal arriva enfin, sous la forme d'une forme d'ombre, un spectre maniant la magie noire et maîtrisant les morts-vivants.

Elle lui fit face sans peur, sans chercher à combattre non plus, même alors qu'il tuait les corps et les âmes de ceux qui étaient restés près d'elle. Les esprits lui avaient dit que c'était inutile. Il la tortura pour le plaisir et pour connaître toute son histoire, et elle lui livra tous les secrets, et l'artefact. Mais le spectre ne pouvait le toucher, il en ressentait une grande douleur. Alors il eut l'idée d'en faire un piège pour ceux à qui il était destiné, et que manifestement il cherchait. Utilisant les survivants comme esclaves, il consacra son temps et son énergie à parfaire un piège dans les profondeurs du site. Les rituels qu'il élabora étaient maléfiques et puissants, et ses esclaves périrent tous pour être la touche finale de son piège, les gardiens de l'artefact : ce dernier était à présent dans des grottes peu praticables, très étroites, où il était impossible de combattre physiquement. Et il était gardé par dix fantômes qui se riaient de la pierre et qui pouvait tuer avec leurs armes spectrales, leur magie, ou juste en absorbant l'énergie des vivants.

Le spectre creva les yeux de Näkynainen avant de partir, confiant que son histoire pousserait les aventuriers à se jeter dans le piège qu'il leur avait tendu. Mais la viisas, bien renseignée par les esprits, savait que tel était leur destin, leur épreuve, et qu'elle devait rester pour leur transmettre ce flambeau. A présent, son rôle était terminé, même si elle pouvait peut-être les aider encore un peu. Elle était néanmoins confiante qu'ils arriveraient à dépasser cette épreuve, et qu'ils retrouveraient l'artefact, et s'en serviraient. Il s'agissait de deux perles dont la magie était à la fois très pure et très puissante. Cela ne suffirait pas à vaincre tous les obstacles en face d'eux, et peut-être pourraient-ils également s'en passer au cours de leur quête, mais le choix était le leur à présent.

4 - Recherches, études et questionnements
L'origine du spectre dont parlait la viisas ne laissait guère de doute à Drilun et ses amis : ce devait être celui-là même dont Tevildo avait conseillé de se méfier, ou plus simplement d'éviter le plus possible. En repensant à divers détails et informations glanées à son sujet, divers aventuriers auraient pu parier sur son identité : rien de moins que le roi-sorcier d'Angmar lui-même, ou alors, si ce n'était pas lui, un de ses plus puissants serviteurs ! Les raisons pour lesquelles il avait laissé la viisas en vie semblaient claires : sans elle, ils auraient certainement poursuivi leur chemin sans trop se soucier d'un artefact aussi bien gardé par une telle magie noire. Avec elle, la carotte paraissait bien trop appétissante pour la laisser passer sous leur nez aussi facilement. Le spectre voulait qu'ils aillent chercher l'artefact, tout comme Näkynainen mais pas pour les mêmes raisons : il espérait sans doute que le piège mis en place serait suffisant pour tuer au moins certains d'entre eux...

Le premier à être mis à contribution fut le hobbit : il pouvait tout sentir à distance, de par sa grande sensibilité à la magie, mais aussi grâce à l'anneau magique réalisé chez les elfes des neiges, celui-là même qui permettait de sentir la vie (ou non-vie) intelligente à proximité. Il tenta donc d'analyser la magie noire et tout ce qu'il sentait dans les profondeurs du site où il se trouvait : dix personnalités assoiffées de vie et fortement liées à la mort et la sorcellerie, à une trentaine de pas de profondeur ; de nombreux sorts de magie noire qui n'attendaient que leur présence pour se déclencher ; et une petite magie, non active celle-là, pure et lumineuse, au centre de ce déchaînement de maléfices. Le piège était clair et peu subtil, mais efficace probablement : une magie très puissante prête à se déchaîner à leur approche, au milieu de fantômes ou spectres prêts à les transpercer et aspirer leur vie, à un endroit où tout combat physique était impossible. Mais au-delà de cela, il sentait aussi autre chose : ses perceptions étaient comme floutées, il n'arrivait pas ou très mal à distinguer les détails de cette magie. Comme si une partie de la sorcellerie avait été réalisée dans le but de gêner ses perceptions magiques voire les sorts de divination... comme ceux de Drilun.

Justement, l'archer-magicien était bien armé pour faire face à ce défi. Après tout, le piège était magique, rien de mieux que la magie pour le contrer. Pour commencer, il analysa magiquement les grottes qui les attendaient plus bas. Malheureusement, ce qu'il perçut était conforme aux descriptions qui avaient été faites : un labyrinthe de galeries étroites, jamais plus d'un pas de large ou de haut, où tous sauf le hobbit devraient ramper, se transformant en vers de terre et tout aussi vulnérables. Il essaya un sort de divination, mais il n'en attendait rien et ne fut pas surpris du résultat tout sauf fiable. Mais nombreux dans l'équipe pensaient qu'un des sorts les plus puissants qui les attendaient aurait certainement pour objectif de faire écrouler les galeries. Ce qui correspondait aux observations de Rob : à défaut d'en deviner plus, il sentait que l'une des sorcelleries présentes était liée à la terre elle-même.

Taurgil eut l'idée d'interroger la viisas, Näkynainen : pouvait-elle interroger les esprits pour les aider ? Elle avait dit qu'elle ne descendrait pas dans les galeries, mais en revanche elle était tout à fait prête à les aider si c'était la volonté des esprits. Le Dúnadan, entre autres choses, avait pensé à utiliser une herbe rare appelée fleur de voyage, dont ils avaient une provision, déjà prête à l'usage. En respirant la poudre faite à partir d'une fleur très rare, l'esprit pouvait se détacher du corps et vagabonder dans l'espace sans tenir compte d'aucun obstacle comme la roche sous leurs pas. Par contre, plus le temps passé hors du corps était grand, plus douloureux était le retour, qui pouvait même être fatal. Bref, les esprits savaient-ils s'il était possible de combattre les fantômes ou spectres de cette manière ? Était-il possible, également, de prendre avec soi des objets afin de pouvoir se défendre et attaquer ? Car l'esprit ne s'encombrait d'aucune possession sous cette forme, mais les fantômes ou spectres avaient avec eux, en général, des armes spectrales qui pouvaient toucher et affecter la matière, et blesser et tuer les vivants.

Les esprits répondirent que le combat était effectivement possible, mais rares étaient les objets capables d'être emportés dans le monde des esprits : seuls certains artefacts très puissants le pouvaient, et encore fallait-il avoir un lien très fort avec les objets en question. Rob pensa alors à l'anneau elfique qu'il portait au doigt, mais ses amis lui opposèrent deux arguments : d'une part, il n'était pas un elfe, donc ils doutaient qu'il puisse l'emporter avec lui ; d'autre part, cet anneau avait la désagréable habitude de sectionner le doigt du porteur quand il venait au contact d'une magie... que tous s'attendaient à rencontrer ici, dans les galeries ! Le hobbit prit l'avertissement au sérieux et plus tard, il ôta l'anneau du doigt lorsqu'il fut en mesure de descendre.

En revanche, deux armes spéciales étaient possédées par les aventuriers qui pouvaient peut-être répondre à ces critères. Certains avancèrent le nom de Morang, portée par Dwimfa. Mais ce dernier répliqua que même s'il pouvait emporter la lame avec lui, elle n'aspirait qu'à une chose, et c'était manger la vie. Elle n'avait donc aucun pouvoir contre les morts-vivants ! Utiliser Morang était donc selon lui exclu. Par contre, Taurgil lui-même avait sur lui et depuis peu une fameuse épée, Gwaedhel. Elle avait été trouvée sur le corps d'Arang, un ancien compagnon de Dwimfa, et elle avait un lien particulier avec les descendants d'Elendil, ancêtre de Taurgil. Et elle avait un pouvoir particulier contre les fantômes. Aussi semblait-elle toute indiquée pour se retrouver au poing du noble Dúnadan même en esprit. De toute manière, il n'y avait qu'une seule manière de le savoir. Aussi Taurgil prit-il une dose de l'herbe en poudre, qu'il renifla fortement, après avoir mis le pommeau de l'épée magique dans sa main.

5 - Fleur de voyage et spectres désincarnés
L'esprit du descendant des rois du Rhudaur observa brièvement son corps qui semblait dormir paisiblement. Mais dans le monde éthéré où il évoluait, il fixa l'épée enchantée qu'il tenait toujours à la main. Il avait donc un vrai lien avec l'épée, et les fantômes ou spectres n'avaient qu'à bien se tenir ! Il descendit dans le sol qui lui semblait un peu vaporeux, sans rien sentir de particulier, mais sans percevoir très loin non plus, comme à travers à léger brouillard. Un brouillard de plus en plus sombre au fur et à mesure qu'il descendait. Ce n'était pas une question de lumière, mais peut-être la magie noire de plus en plus présente voilait-elle ses perceptions magiques ? Perceptions magiques qui de toute manière n'avaient jamais été développées. Sans doute Rob ou Vif auraient-ils vu bien plus loin que lui, mais ils seraient venus sans épée. Il avait été question d'envoyer la lionne enchantée aussi, en espérant la voir sous forme spirituelle comme dans le monde réel - avec un corps de grand félin magique capable de blesser spectres et fantômes. Mais en fin de compte ils n'avaient pas tenté la chose. Pas encore en tout cas.

Il descendit petit à petit, avec l'impression de voler et de contrôler parfaitement sa trajectoire. Apparemment sa vitesse dépendait de sa volonté, qui tenait lieu de force dans le monde des esprits, ce qui était bien logique. Là-haut, Rob devait suivre ce qu'il faisait et en informer les autres, mais ils n'avaient pas moyen de communiquer l'un avec l'autre. Il avait été question d'utiliser peut-être les services de Tevildo, mais la majorité avait répondu que la corruption du Maia en eux était déjà bien assez grande. Bref, le hobbit pouvait suivre ce qui lui arrivait et peut-être ses amis pourraient-ils réagir en cas de problème, mais à son niveau il était seul.

Enfin, plus si seul que cela : il était arrivé plus profondément, et brusquement il découvrit un spectacle inquiétant : dix entités éthérées venaient d'apparaître sous lui, plus ou moins en cercle, à quelques pas de distance. Les esprits que Näkynainen avait interrogés avaient prévenu que les fantômes ou spectres étaient attirés par la vie, dont ils voulaient se nourrir. Manifestement ils le percevaient bien mieux que lui ne les percevait. Par contre, comme ils l'avaient subodoré auparavant, ils n'étaient pas libres de leurs mouvements, sans quoi ils l'auraient déjà attaqué. En fait, ces esprits auraient pu même remonter à la surface et les attaquer bien avant, surtout que le soleil en cette saison - c'était la fin de l'hiver - restait très bas sur l'horizon, et très peu de temps encore. Si même il les gênait d'ailleurs. En tout cas, Taurgil pouvait voir - ou sentir, il ne savait pas comment fonctionnaient ses perceptions - que les esprits désincarnés brûlaient de monter à sa rencontre, mais ils ne le pouvaient pas : ils étaient bloqués par la magie qui les avait enchaînés ici.

Les esprits du Grand Nord avaient d'ailleurs donné des précisions suite aux questions qu'il avait posées : selon eux, neuf des esprits étaient en fait les âmes torturées des anciens compagnons de Näkynainen. En gros, des fantômes ou spectres mineurs juste assoiffés de vie, qu'ils auraient voulu absorber. Heureusement, grâce à son épée enchantée, il ne ressentait ni peur ni mal de leur présence proche, et sa volonté était renforcée, ce qui lui permettrait de résister bien mieux à leur magie noire. Magie noire que seul l'un d'eux était peut-être susceptible de manier : en effet, le dernier sacrifice n'avait pas eu pour objectif de lier l'âme du sacrifié au lieu de sa torture, mais d'appeler ici même une âme noire plus puissante, celle d'un spectre ou fantôme majeur. Et il le percevait bien, une ombre plus grande et menaçante que les autres, qui d'ailleurs semblait en train de préparer quelque sinistre sortilège.

Il ne craignait pas la magie de l'esprit maléfique, et la sorcellerie dont il fut l'objet n'arriva pas à l'affecter. Mais il n'était pas là non plus juste pour faire du tourisme. Tout d'abord, il utilisa sa magie de potentiel roi dúnadan pour augmenter ses défenses. Rapidement, il bondit vers un fantôme en bordure du cercle, et, plus rapide que lui, il lui enfonça son épée magique en travers du corps. L'ombre fantomatique se dissipa instantanément, tandis que les autres ombres venaient à lui. Il rebroussa vite chemin vers la surface, mais, comme il le pensait, il ne put empêcher les deux esprits morts-vivants les plus proches de lui de porter un coup de leur lance éthérée. Grâce à sa magie il put dévier leurs coups, même si une lance arriva à percer légèrement sa défense, et il ressentit une petite douleur, qu'il ignora vite. Là-haut, une petite nécrose en forme d'entaille apparut soudain sur son corps, mais personne ne la remarqua sous ses épais vêtements. Puis il fut trop haut pour les esprits, qui s'arrêtèrent à faible distance sous lui.

Il réfléchit un peu et pensa à un plan. Dangereux sans doute, mais réalisable. Il remonta vers la surface et ses amis, et il réintégra vite son corps. Il n'était pas resté très longtemps dans le monde des esprits, aussi la douleur fut-elle très légère et il l'oublia bientôt, comme la précédente. Il exposa à ses amis ce qu'il s'était passé et son projet, et ils acceptèrent son idée. Isilmë se prépara à venir avec lui. Même sous forme éthérée, elle restait une elfe, et en tant que telle elle avait une aura particulière que sa magie permettait d'étendre jusqu'à englober d'éventuels adversaires. Et les êtres corrompus comme les morts-vivants supportaient très mal cette aura magique, ils en étaient gênés et même ils pouvaient être amenés à la fuir. De plus, tous savaient d'expérience que la magie des soins, qu'elle maniait bien, était très destructrice pour les morts-vivants, donc elle n'était pas complètement désarmée. Elle serait le parfait soutien qui lui manquait pour combattre les ombres maléfiques qui leur barraient le passage. Tous deux prirent un peu de fleur de voyage, et ils pénétrèrent dans le sol. Objectif : éliminer les fantômes. Les esprits du Grand Nord avaient prévenu que tant que la magie noire qui liait les spectres n'était pas annulée, ces derniers ne pouvaient qu'être dissipés temporairement. Ce serait bien suffisant pour leur permettre de récupérer ensuite l'artefact.

6 - Combat spirituel
Taurgil avait pris la mesure des âmes damnées que le roi-sorcier d'Angmar, ou son serviteur, avait utilisées pour faire son piège : des créatures dénuées d'intelligence réelle... à une exception près. Leur soif de vie serait leur fin, et leur libération. Il les abattrait une par une, avec l'aide d'Isilmë. Seul le spectre majeur l'inquiétait : selon les esprits du Grand Nord, il demeurait auparavant dans un iceberg funéraire corrompu par la magie noire d'Angmar, mais il n'était même pas sûr qu'il venait de là. Il était plus ancien, maniait la sorcellerie, et son influence sur les autres esprits maléfiques restait à déterminer. Mais il ne servait à rien de trop réfléchir : il fallait frapper, et s'adapter aux surprises qui ne manqueraient pas de se présenter. Drilun aurait-il pu venir avec eux et emmener son bâton de lumière avec lui ? Peu le pensaient. Même sans cela, ses sorts auraient-ils pu faire la différence ? La question restait ouverte. Vif aurait-elle été un formidable esprit guerrier de lionne magique désincarnée ? Cela n'avait pas été testé. Peut-être avait-il agi un peu vite, mais bon, les dés étaient lancés.

A nouveau il retrouva les esprits maléfiques plus bas, bloqués par une barrière magique. Le plus puissant et dangereux se tenait un peu en retrait, plus bas, et il fit à nouveau de la sorcellerie... qui ne les affecta pas. Isilmë se tenait au-dessus du noble Dúnadan, tous deux enveloppés dans une aura elfique sensée gêner voire faire fuir les êtres corrompus par le mal. A nouveau il descendit, frappa un fantôme dont l'ombre se dissipa, puis il remonta tandis que les deux plus proches l'attaquaient... sans lui causer aucun mal. Plus que huit. Il aurait bien aimé attaquer le spectre le plus puissant, mais l'autre se méfiait : si jamais il lui fonçait dessus, tous les autres auraient le temps de l'attaquer et cela risquait de ne pas se passer aussi bien. Après une brève concertation avec Isilmë, tous deux redescendirent.

Cette fois par contre, les choses ne se passèrent pas de la même manière : les spectres descendirent tous de plus en plus, maintenant une certaine distance avec les deux aventuriers. Les environs étaient plus sombres encore, et l'elfe comme le Dúnadan pouvaient sentir la magie noire qui les environnait, très puissante. Ils étaient entourés de rituels de sorcellerie qui étaient prêts à se déclencher pour Eru savait quelle raison. Tant pis, il fallait continuer, les spectres ne pourraient fuir tout le temps. Et effectivement, ils s'arrêtèrent après un moment. Manifestement, les sept fantômes mineurs mourraient d'envie de les combattre, mais ils obéissaient au dernier, plus puissant. Comme auparavant, Taurgil repéra un fantôme un peu plus distant que les autres, et il se précipita sur lui. Là-haut, Rob sentit un rituel magique s'activer et affecter Taurgil... qui s'immobilisa, confus. Le spectre majeur fit un geste et tous les autres se précipitèrent vers Isilmë, ignorant totalement le Dúnadan qui ne savait plus quoi faire. La guerrière elfe était seule contre huit, et elle n'avait que sa magie pour la protéger et contre-attaquer. Cela serait-il suffisant ?

Premier enseignement : les spectres se déplaçaient plus vite qu'elle. Elle avait immédiatement tenté de remonter vers son corps, mais ils allaient plus rapidement qu'elle et l'avaient vite entourée avant de se précipiter vers elle. Deuxième enseignement : six des fantômes ne purent pénétrer son aura elfique, trop puissante et pure pour eux. Le spectre majeur et un spectre mineur arrivèrent tout de même jusqu'à elle. Confiante dans ses capacités, elle prépara un sort de soin pour blesser son principal adversaire. Troisième enseignement : il était plus rapide qu'elle. Au tout dernier moment, elle sentit qu'il allait la tuer avant qu'elle ait pu lancer son sort, et elle opéra une esquive de la dernière chance qui lui sauva sans doute la vie... mais n'empêcha pas la lance spectrale de lui traverser un membre. Là-haut, son corps subit une grave nécrose au même membre. Si l'autre esprit maléfique l'avait touchée, c'était de manière trop mineure pour s'y attarder. Elle continua à monter, tout en tentant d'esquiver les attaques du grand spectre. L'autre s'arrêta bientôt mais pas le plus puissant. Il la transperça à nouveau, malgré ses efforts, et la lance ne passa pas loin du cœur cette fois - une nécrose encore plus grave envahit son poumon. Enfin le spectre fut bloqué, et elle se dépêcha de remonter vers son corps pour utiliser sa magie des soins avant qu'il ne fût trop tard.

Plus bas, par un effort de volonté, Taurgil força son intellect à réaliser qu'il était sous l'emprise d'un sortilège. La confusion qui lui brouillait l'esprit était encore bien là, mais en utilisant toutes ses ressources, il arriva à lancer un faible sort de magie des soins. Ce sort suffit à le protéger en partie des effets de la sorcellerie, et il arriva à casser l'effet du sort enfin. Juste à temps pour voir six ombres arriver sur lui : lorsque le spectre majeur avait vu que ses serviteurs ne pouvaient pénétrer l'aura elfique d'Isilmë, il avait relâché son emprise sur eux et ils s'étaient dépêchés de se précipiter vers la source de vie disponible la plus proche : lui. Il attaqua le premier qui arriva et le dissipa, mais les autres étaient trop nombreux et commencèrent à le blesser, tandis qu'il fuyait. Sa magie de roi n'était pas suffisante pour le protéger de tous, mais enfin il arriva un moment où les ombres furent bloquées, sauf une : plus puissant, le spectre majeur arrivait sur lui et l'attaqua par le haut, après avoir profondément blessé Isilmë qui avait fui. Taurgil était blessé, le fantôme arrivait pour le coup de grâce. Et le Dúnadan se doutait qu'il était trop puissant pour éviter ses coups. Alors il fit la seule chose raisonnable en cette circonstance : il mit toute sa volonté dans une attaque la plus puissante et la plus rapide possible. Alors que la lance du spectre s'apprêtait à lui transpercer le cœur, Gwaedhel trouva celui du mort-vivant, qui se dissipa instantanément.

Après une brève pause, il analyse la situation : il n'avait reçu que des blessures légères, et il en avait vu d'autres. Les autres fantômes étaient moins nombreux, désorganisés, et tout simplement idiots, simples créatures torturées et assoiffées de vie que leur instinct commandait. Il redescendit vers eux, et, comme il l'avait fait auparavant, plongea pour en attaquer et dissiper un et remonter aussitôt après. Chaque fois il essuyait deux attaques, mais sa magie de roi lui permettait de les éviter. Bientôt il dissipa le dernier, il pouvait remonter. Il regagna son corps après être resté un moment dans le monde des esprits, et le retour fut douloureux, mais rien de grave. Un peu plus loin, la guerrière et soigneuse elfe avait pu stabiliser magiquement son état, et à présent elle se reposait pour laisser sa magie faire le reste. Il lui faudrait un peu de temps mais elle ne mettrait pas trop longtemps à guérir, elle était hors de danger. Mais elle avait eu chaud ! En tout cas, l'artefact n'attendait maintenant plus qu'eux...

7 - Labyrinthe et pièges
Enfin, il n'était pas seul à les attendre : comme Taurgil en avait fait l'expérience, de la sorcellerie puissante était également là pour eux. De plus, comme Rob le sentait, les spectres n'avaient pas disparu complètement. Il les percevait encore là, en bas, de manière résiduelle. Il leur faudrait sans doute un peu de temps pour retrouver leurs forces, mais peut-être pas tant que cela. Il était prudent de penser que les aventuriers n'avaient pas plus d'une journée pour récupérer l'artefact, ou tout risquait de devoir recommencer. Et Isilmë en aurait sans doute pour plus d'une journée à guérir, même par magie. Il fallait donc vite descendre dans les souterrains étroits, détruire la sorcellerie qui y traînait ou juste l'endurer, et récupérer la babiole que Näkynainen avait gardée pour eux pendant des années. Elle les amena à l'une des entrées possibles pour gagner les souterrains. Comme elle l'avait dit, et Drilun également, les boyaux étaient très étroits.

Au final, deux équipes d'exploration furent formées. Le noble Dúnadan et la guerrière elfe étaient en train de guérir et ne participeraient pas. Geralt, sans doute trop flemme, ne viendrait pas non plus. Par ailleurs, il tenait à monter la garde, sachant qu'Andalónil avait été repéré dans les airs peu auparavant. Mordin se moquait bien de la sorcellerie, il se pensait intouchable en raison de son caractère particulièrement têtu - même pour un nain - et de sa nature naine, très résistante à la magie. Et puis il était à l'aise sous terre. Il serait le meneur d'une des deux équipes. Le suivraient Dwimfa, bien plus à l'aise que lui pour se faufiler dans des lieux étroits, et Drilun, qui leur apporterait la lumière de son bâton, et sa magie. Rob mènerait l'autre équipe : non seulement sa taille et sa souplesse en faisaient le mieux à même d'explorer les boyaux les plus étroits, mais ses perceptions magiques lui permettaient de savoir où étaient tant les pièges magiques que l'artefact qu'ils cherchaient. Il serait accompagné par Vif, la plus large et la plus gênée par la taille des souterrains, mais la plus agile aussi. Et ses perceptions tactiles et olfactives lui permettraient de se diriger sans mal, de connaître l'emplacement de l'autre équipe et de retrouver la sortie dans le noir le plus total.

Ils furent donc partis, non sans s'être au préalable débarrassés de la plupart de leurs possessions qui risquaient de trop les ralentir et les gêner. Le hobbit était de loin le plus à l'aise, mais la lionne enchantée allait très lentement et il devait l'attendre. Ce qui lui laissait davantage de temps pour souffler, si bien qu'il ne se fatiguait guère. De plus, à l'aide de ses dons, il pouvait les diriger dans la bonne direction, même si le côté labyrinthique des souterrains, avec tous ses culs-de-sac et fausses pistes, rendait la progression lente et exaspérante. De l'autre côté, le nain n'était pas plus à l'aise que la féline Femme des Bois : plus petit, il était aussi moins souple, donc ils allaient tous deux à la même allure. L'archer-magicien avait un peu plus de facilité et se fatiguait moins, et pour l'Homme des Bois c'était encore plus aisé, même s'il était loin d'avoir la facilité du hobbit.

Ils progressèrent donc un bon moment, avant de finir par arriver à la zone pleine de magie noire. Régulièrement, des runes magiques se déclenchèrent qui tentèrent de les affecter. Mais entre leur volonté incroyable et les nombreuses protections dont ils étaient parés, Mordin et Rob essuyèrent les attaques de sorcellerie avec le sourire. Enfin, après un moment dans les boyaux les plus profonds, le petit hobbit parvint à un carrefour entre trois boyaux où deux perles magiques les attendaient sur le sol. Elles étaient comme illuminées par leur propre lumière qui luisait faiblement dans le noir, et permettait de voir des runes colorées à leur surface. Il y avait aussi de nombreuses runes sur le sol, inscrites avec du sang et des boyaux, voire des restes humains qui avaient été les Lossoth qui avaient un moment partagé la vie de la viisas qui avait trouvé les perles. Et surtout, il ressentait une magie extrêmement puissante qui entourait les perles et qui provenait du boyau opposé.

La lionne et lui attendirent l'autre équipe voire les guidèrent grâce à leurs perceptions. Ils se retrouvèrent tous là, et examinèrent les lieux. Seul Rob pouvait être debout, la tête baissée, les autres pouvaient au mieux être à quatre pattes. Au fur et à mesure de leur progression, ils avaient effacé ou détruit autant de runes magiques et autres rituels que possible, mais là ils étaient au cœur du problème. Le hobbit avait déjà examiné le boyau opposé et vu que les runes les plus puissantes étaient un peu plus loin, mais elles étaient elles-mêmes couvertes par la magie de runes similaires encore plus loin. En fin de compte, il était impossible de prendre les perles ou d'effacer toutes les traces de rituels magiques sans déclencher quelque chose. Et là il ne s'agirait sans doute pas d'une sorcellerie affectant l'un d'entre eux. C'est toute la terre autour qui était visée par la magie, et un effondrement était la première chose qui venait en tête.

Vif et Mordin étaient les plus lents, et ils n'avaient pas grand-chose à apporter à leurs amis. Ils avaient rempli leur rôle, et donc ils furent renvoyés vers la surface. Grâce aux sens de la lionne enchantée cela fut bien plus rapide, et une fois arrivée elle rugit pour leur faire comprendre que les autres pouvaient faire leurs expériences sur les runes. En fait, malgré le temps passé à réfléchir, pendant que les autres partaient, ils n'avaient pas eu trop d'idées. L'archer-magicien avait analysé les runes et déterminé que celles du carrefour correspondaient à la thaumaturgie qui avait attaché les spectres ici. La magie divinatoire ne semblait pas bien fonctionner ici, donc impossible de déterminer à l'avance ce qui allait marcher ou non quant à la sorcellerie qui entourait les perles. Drilun aurait voulu essayer de les prendre par magie, mais son petit ami l'arrêta tout d'un coup. Quelque chose de magique venait de se déclencher. Il ne savait pas quelle en était la cause : leur présence, les dommages sur les runes présentes, ou peut-être juste le temps. Qui sait si le spectre qui avait réalisé cette magie avait juste laissé assez de temps pour qu'ils fussent le plus profondément possible avant l'activation de son sort le plus puissant ? Tout d'un coup, alors que Dwimfa se précipitait déjà pour remonter à la surface, la terre se mit à trembler.

8 - Survie et travail de taupe
Tandis que Rob remontait au plus vite le boyau où l'Homme des Bois venait de disparaître, l'archer-magicien terminait son sort et les perles furent soulevées par magie. Les tremblements s'accentuèrent, largement ressentis même à la surface où Geralt et encore plus Mordin et Näkynainen eurent fort à faire pour rester debout. Drilun attrapa les perles dans sa main tandis que des pierres étaient de plus en plus nombreuses à tomber ; il se faufila un peu en direction de ses amis et tout s'écroula. Il avait eu le temps de se protéger magiquement, et par ailleurs il avait gardé sur lui les meilleures protections magiques qui ne l'encombraient pas pour cette petite expérience de spéléologie. Il en était de même pour ses deux amis, en particulier Dwimfa : il avait sur lui des robes maléfiques portées par un grand sorcier de Dol Guldur, sorcier qui s'était lancé à leur poursuite mais qu'ils avaient réussi à tuer, non sans mal. Et elles protégeaient remarquablement bien. Tous avaient une grande expérience des souterrains et ils surent où se terrer et quelle position adopter pour éviter d'être complétement écrasés. Dwimfa prit Rob contre lui afin de le protéger davantage avec son corps, car de tous c'était lui le plus fragile. Mais, enfin, les tremblements finirent par cesser. Les tunnels, très étroits, n'avaient pas pu s'effondrer complètement, loin s'en fallait. Mais ils étaient bloqués, et l'air n'allait pas tarder à leur manquer...

Heureusement, ce n'était pas la première fois que l'archer-magicien remédiait à ce problème. Longtemps auparavant, il les avait déjà tous sauvés d'un incendie de plaine allumé par des orcs en purifiant l'air autour d'eux. Et depuis il avait bien progressé : il put sans mal renouveler l'oxygène partout dans les poches d'air où ils se trouvaient. Il aurait certainement à relancer le sort de nombreuses fois, mais il était patient et endurant, cela pouvait prendre des heures que cela ne l'affolait pas. Par contre, sortir de là était une autre histoire. Il était possible de dégager en partie le passage et de se faufiler dans les décombres, mais cela prendrait du temps et beaucoup d'énergie ! Geralt, plus haut, n'osa même pas penser à ce qui lui serait arrivé s'il s'était trouvé bloqué sous terre. Il aurait sans doute très vite craqué psychologiquement...

En attendant, la tâche qui attendait ceux à la surface fut immédiatement mise en œuvre : le nain, la féline Femme des Bois et le balafré aux cheveux blancs se mirent à creuser le plus vite possible. Ils arrivèrent à communiquer les uns avec les autres à travers la terre, par rugissement et oreilles félines interposées, ou aidés par magie. Geralt dut baisser les bras au bout d'un moment, tant les efforts à faire étaient trop lourds à porter pour lui, mais il fut vite remplacé par Taurgil. Plus bas, Rob, petit et souple, arrivait à se faufiler vers la surface, aidé aussi par la magie qui lui permettait de savoir où étaient les autres. Il mit autant de temps pour ressortir qu'il en avait mis pour trouver les perles. Dwimfa était très souple lui aussi, mais bien plus grand, et il mit presque deux fois plus de temps que son petit ami. Quant à Drilun, il lui fallut renoncer au bout d'un moment, le travail de taupe était trop fatigant pour lui, il devait garder son énergie pour continuer à lancer des sorts pour lui permettre - ainsi qu'aux autres - de respirer.

Du coup, en bon magicien qu'il était et n'ayant rien de mieux à faire, il mit toutes ses compétences magiques à l'analyse des runes et des pouvoirs enfouis dans les deux perles. Elles étaient parfaitement identiques et liées l'une à l'autre, et il mit un moment à distinguer tous leurs pouvoirs. C'était vraiment un puissant artefact ! Au bout du compte, ses amis arrivèrent à le dégager à force de déblayer les boyaux à moitié effondrés, après un temps à peine moins de trois fois plus long que le temps que le hobbit avait mis pour sortir... Mais enfin, ils étaient tous en vie, ils avaient les perles, la viisas avait eu raison - et d'ailleurs elle rayonnait de bonheur - et le sorcier d'Angmar n'avait pas réussi à leur faire grand mal, même s'il s'en était fallu de peu. L'archer-magicien dunéen eut alors le plaisir de décrire le nouvel et puissant objet magique qu'ils avaient trouvé, et qui allait certainement les aider dans leur quête contre les anciens lieutenants de Morgoth, à savoir Durlach, Eloeklo et Tevildo.

La magie des perles, donc, ne fonctionnait que si deux personnes en prenaient chacune une. Au bout d'un moment, sans doute autour d'une journée, les deux personnes devenaient liées magiquement d'une manière plus intime que les couples les plus fusionnels. Chacun ressentait les émotions de l'autre en permanence, et si les deux le voulaient, ils pouvaient même partager leurs pensées - autrement dit converser à distance - voire leurs sens comme la vue ou l'ouïe. Et ce, apparemment, sans limite de distance. Par ailleurs, chacun savait plus ou moins instinctivement dans quelle direction se trouvait l'autre, voire même la distance pour les gens un peu perceptifs magiquement. Au-delà de ça, les deux porteurs des perles partageaient également leurs expériences, leurs compétences : chacun savait instinctivement toutes les connaissances de l'autre, qu'il s'agît de manier des armes, de reconnaître une plante, de parler une langue ou de faire de la magie même... à condition d'en avoir les capacités. Ainsi, la magie elfique ne pouvait être lancée par quelqu'un de sang non elfique, et aucune magie ne pouvait être utilisée par une personne sans un don ésotérique. Mais le pouvoir des perles ne s'arrêtait pas là : chaque individu, si l'autre ne s'y opposait pas, pouvait également transférer sur lui une blessure que l'autre s'apprêtait à recevoir, allant même jusqu'à la mort... Et en cas de mort subite, non harmonieuse (non naturelle) de l'un ou l'autre, la magie des perles disparaîtrait.

Bien entendu, la magie des perles n'avait pas que des avantages : chaque personne liée à l'autre pouvait facilement être affectée par l'état physique ou moral de l'être lié : une blessure du corps ou de l'esprit pouvait, à un moindre degré, blesser la personne possédant l'autre perle ; difficile d'ignorer les émotions négatives, la souffrance physique et psychique de l'autre... Accessoirement, les perles étaient saturées de bonté et d'altruisme, à tel point que leurs porteurs pouvaient plus facilement résister au mal et à la corruption. A contrario, une personne corrompue ou intrinsèquement mauvaise serait a minima gênée par le port d'une perle, voire pourrait en ressentir de la douleur. Ce qui risquait fort de leur être bien utile. Et peut-être plus tôt que prévu : Näkynainen signala qu'après la débauche de magie qui avait eu lieu ici, tous les viisaat et autres utilisateurs de magie qui vivaient dans les environs à des lieues à la ronde avaient dû sentir ce qu'il se passait. Les aventuriers se dirent que de nombreux dragons l'avaient certainement ressenti, sans compter nombre de Maiar des temps anciens, et ils s'étonnaient presque de n'avoir encore vu personne arriver...
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Niemal
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Grand Nord - 37e partie : compte à rebours et nouvelle alliance

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1 - Nouveau couple
Assez rapidement, la question se posa d'utiliser les perles magiques : à qui les donner pour que cela puisse profiter au maximum au groupe, c'est la question que tous se posèrent. Autrement dit, quelle serait la meilleure plus-value en termes de compétences ou autres capacités ? Dans un premier temps, les aventuriers se dirent qu'il fallait essayer de trouver un couple dont le partage des compétences apporterait le maximum de bénéfices à l'un comme à l'autre sur des compétences très utiles et couramment utilisées. Tous les aventuriers avaient des spécialités où ils étaient des experts, sans aucune exception. Entre les incroyables perceptions de Vif, sans parler de celles de Rob ou Geralt, la facilité avec les armes des uns et des autres, les capacités en nature ou en escalade, il y avait toujours quelqu'un qui pouvait aider une personne plus faible dont la piètre maîtrise affectait le groupe entier, directement ou indirectement.

Dans un second temps, lorsque viendrait le temps du conflit physique ou magique avec les Maiar, beaucoup pensaient que les réserves de santé ou de volonté pouvaient être plus importantes que les compétences. En particulier pour ceux qui risquaient d'être aux premières loges : Taurgil était un des rares aventuriers pressentis pour pouvoir tenir tête - au moins un moment - à un balrog au cours d'un combat ; et Vif, en particulier si elle devait s'opposer à son patron, paraissait toute désignée pour avoir besoin de l'aide d'un de ses compagnons. Par ailleurs, les perles seraient d'autant plus utiles que les réserves d'énergie psychique ou de vitalité étaient élevées. A ce titre, la Femme des Bois sous sa forme féline était la plus forte physiquement, et sa volonté n'avait d'égale que celle de Mordin. De toute manière, vu sa position centrale dans le conflit avec Tevildo, les huit amis étaient assez d'accord pour voir en elle, à la fin de leur quête, la propriétaire de l'une des perles.

En attendant une éventuelle confrontation finale, les perles pouvaient servir autrement. Restait à savoir avec qui. Bref, les idées fusèrent sur les meilleures combinaisons possibles : Drilun, connu pour ses perceptions moyennes et sa débrouillardise plus limitée en nature, gagnerait sans doute beaucoup à se lier avec le hobbit ou la Femme des Bois par exemple. Taurgil et Mordin, peu agiles quand il s'agissait de faire de l'escalade, pourraient bénéficier grandement des talents de Rob. Le nain, capable de faire peur même à un troll, pouvait peut-être rendre la lionne enchantée encore plus terrible à la vue ou à l'ouïe qu'elle ne l'était déjà ! Dwimfa, le seul de l'équipe à pouvoir faire la même magie que Drilun, pourrait peut-être devenir un redoutable magicien et un encore meilleur archer s'il était lié avec le Dunéen, qui lui profiterait de ses perceptions et compétences physiques. Et bien d'autres combinaisons furent avancées ou envisagées...

Néanmoins, si vraiment aucune combinaison ne paraissait mauvaise en soi, certains firent remarquer que ces transferts de compétence avaient leurs limites. Par exemple, pour bénéficier d'une compétence extraordinaire, il fallait avoir les capacités physiques ou mentales pour la valoriser : l'incroyable talent à l'arme de Geralt ne serait pas si utile à quelqu'un qui n'était pas déjà extrêmement adroit physiquement. La capacité de Vif à percevoir son environnement n'était transférable qu'à condition de posséder déjà une très grande acuité sensorielle. Les savoirs de Drilun seraient-ils vraiment très utiles à quelqu'un qui n'avait qu'une petite fraction de sa vaste intelligence ? Cela limitait un peu l'utilité des perles, et permit de faire du tri.

Par ailleurs, deux des aventuriers se posaient des questions. Mordin savait des choses qu'il tenait à cacher à Tevildo. Certes, les deux propriétaires des perles, une fois liés, ne partageaient pas toutes leurs pensées, seulement avec l'accord de chacun d'eux. Néanmoins, pouvoir parler à quelqu'un mentalement alors que le Prince des Chats pouvait être de l'autre côté entraînait le risque de laisser fuiter une pensée cachée que Tevildo ne devait pas connaître... Et le nain ne savait pas que ce qu'il croyait était en partie faux : Dwimfa, lui, savait bien que ce que lui savait ne devait surtout pas être surpris par Tevildo. En conséquence, il n'allait certainement pas se lier avec l'un de ses compagnons, lui qui était le dépositaire de l'anneau qui lui redonnait toute sa mémoire...

Au bout du compte, les deux perles furent données à Geralt et à Vif. Le premier gagnerait beaucoup aux capacités en nature de la seconde, qui elle trouverait appréciable, entre autres choses, de mieux connaître l'utilisation des skis, même sous sa forme féline. Le maître-assassin, déjà très perceptif, deviendrait encore meilleur également. Et le partage de leurs sens ou de leurs pensées aurait certainement de nombreuses utilisations. Par exemple, le balafré pourrait plus facilement aider son amie lorsqu'elle voulait utiliser la longue-vue sous sa forme féline, en percevant directement ce qu'elle voyait... et en retransmettant aux autres ses observations, sans même avoir besoin de grogner dans son langage félin, ce qui obligeait à utiliser les tours d'oreille magiques de Drilun.

2 - Repos perturbé
Malgré la possible arrivée prochaine de dragons et autres menaces d'importance, il n'était pas question de fuir dans l'état où ils étaient : Isilmë était encore trop blessée, et même avec l'aide de sa magie et de celle de son compagnon dúnadan, elle estimait qu'il lui fallait bien autour de l'équivalent de trois jours de repos pour être en état de voyager. Elle était passée très près de la mort, et même si des magies puissantes avaient stabilisé son état et régénéraient son corps, bouger mettait sa guérison en péril. Le groupe discuta de la possibilité d'avancer doucement en laissant l'elfe marcher à pas lents, mais cela fut vite écarté. La seule solution un tant soit peu viable pour son corps aurait été de la transporter dans un brancard. Mais à la moindre chute ou mouvement trop brusque, son état pouvait empirer. Le risque était trop grand, et il fut décidé de rester sur place en attendant que sa guérison fût complète.

Tant qu'à rester sur place, autant en profiter pour faire un abri de qualité, tant contre les éléments que contre d'éventuels visiteurs, y compris ceux armés d'un souffle magique. Une partie de l'équipe s'occupa donc de déblayer certains des souterrains déjà parcourus et en partie dégagés des rochers les obstruant. Avec l'aide de Morang, l'épée maudite portée par Dwimfa et capable de trancher la pierre sans s'émousser, certaines ouvertures furent même agrandies afin de gagner en place et en confort. Cet abri troglodyte, en plus de les cacher à la vue d'éventuels ennemis ou de leurs attaques physiques ou magiques, permettait aussi de se protéger du froid, du vent et autres conditions atmosphériques extrêmes qui existaient aussi loin au nord. En effet, à part les elfes des neiges, il n'existait que très peu de peuples du Grand Nord qui vivaient autant voire plus au nord, là où le climat était particulièrement rigoureux et les sources de nourriture limitées.

Les derniers événements avaient été assez stressants pour pas mal d'aventuriers, aussi le repos pris fut accueilli avec grand plaisir. De la magie fut utilisée pour rendre le sommeil encore plus récupérateur pour certains, mais pas pour la féline Femme des Bois : elle allait dormir normalement sous sa forme de lionne enchantée. Cela lui permettrait de ne veiller que d'un œil, car ses amis comptaient sur elle pour les prévenir en cas d'arrivée inopinée (mais plus ou moins attendue) d'ennemis. Même en dormant, tous savaient que son ouïe - presque aussi fine que celle d'un dragon - lui permettait de la prévenir aussi bien voire même mieux qu'aucun d'entre eux lorsqu'ils étaient pleinement réveillés et sur leur garde ! Mais le repos se passa bien, sans aucune interruption... extérieure. Par contre, psychiquement, ce fut autre chose.

En effet, le sommeil de la lionne enchantée fut perturbé : elle sentit dans son sommeil la présence de son "patron", autrement dit le Prince des Chats lui-même. En fait Tevildo n'était pas là pour elle, dans son sommeil, mais le lien qu'ils partageaient était si fort qu'elle pouvait difficilement ne pas remarquer les émotions fortes qui pouvaient parfois visiter le Maia. Et manifestement, c'est ce qui se passait : Vif sentit dans son sommeil que Tevildo éprouvait un réel souci. S'il était difficile de parler d'inquiétude pour un être tel que lui, on pouvait néanmoins utiliser le terme de forte contrariété. Quelque chose l'avait surpris et dérangé, mais quoi ? Elle décida de le contacter directement et de lui poser la question : ce qui l'affectait ne pourrait que les affecter eux aussi, il fallait savoir de quoi il retournait.

Pour une fois, la réponse ne se fit pas attendre longtemps, Tevildo n'ayant pas autant que par le passé envie de la faire attendre et de jouer avec elle. La viisas, Näkynainen, avait elle aussi eu le sommeil perturbé par les soucis nombreux exprimés dans le monde des esprits où son esprit vagabondait souvent. Tous ces esprits, celui de Tevildo comme ceux des Lossoth, venaient de prendre conscience d'un nouvel élément : suite à la grande magie qui s'était opérée sur place, et qui avait donné lieu à rien de moins qu'un tremblement de terre, les choses avaient bougé en profondeur. Or, très en profondeur, il existait de vastes souterrains inconnus mais dont certains érudits parlaient. Des souterrains très vastes et profonds seulement parcourus par de très anciennes créatures autrefois au service de Morgoth. Et parcourus également par des rivières de lave, dont l'une qui venait de reprendre une certaine mobilité suite au tremblement de terre, juste à la verticale de là où ils se situaient. Une rivière de lave qui à présent coulait en direction du Puits de Morgoth, où le niveau de la lave, qui montait déjà lentement, s'était mis à progresser vers le haut encore plus vite. Cela menaçait des runes magiques qui avaient été établies là-bas par les armées des Valar, maintenant le balrog Durlach prisonnier. Ce qui signifiait sa libération probable et prochaine, lui qui rêvait de sortir de sa prison magique pour laisser libre cours à sa soif de vengeance sur le vaste monde...

Cela fut un peu plus tard confirmé par un sort de l'archer-magicien du groupe, lorsqu'il chercha dans les profondeurs de possibles souterrains pour pouvoir quitter l'île : effectivement, il sentit de la lave se déplacer en profondeur en direction de l'est, où était le Puits et son prisonnier, le balrog Durlach. Tevildo annonça que ce n'était plus qu'une question de mois voire de semaines avant que ce dernier ne fût libre. Brusquement, le groupe d'aventuriers n'avait plus autant de temps qu'ils le pensaient pour réaliser leur plan : l'invoquer magiquement et l'abattre avec l'aide d'Eloeklo et des objets qu'ils avaient préparé chez les elfes des neiges. Il ne fallait donc pas tarder... mais ils étaient encore coincés ici, sans parler du problème de quitter l'île où ils étaient pour le moment.

3 - Menaces en mer et en l'air
Le temps particulièrement clair, avec même la présence du soleil bas sur l'horizon, leur permit en effet de prendre la mesure des problèmes qui les attendaient s'ils cherchaient à quitter l'île bientôt. Pour commencer, le tremblement de terre causé par le sorcier - et Tevildo avait confirmé qu'il s'agissait du roi-sorcier d'Angmar, d'après sa signature magique - avait envoyé des tremblements tout autour de l'île. Ces puissantes vibrations avaient brisé la banquise autour de l'île. Du coup, il devenait irréalisable de quitter l'île à pied, particulièrement à proximité immédiate des côtes. Les morceaux de banquise brisée, trop petits, n'avaient aucune stabilité si du poids était posé à leur surface, et d'éventuels promeneurs se retrouveraient bien vite à la baille.

Bien sûr, la glace était déjà en train de se reformer, mais elle était encore bien trop fragile pour espérer maintenir les morceaux de banquise entre eux. Combien de temps cela prendrait-il pour voir se reformer une banquise stable ? Après une année passée sur place, et bien plus pour Dwimfa, et les nombreux échanges qu'ils avaient eus avec les Lossoth, les aventuriers ne pouvaient être sûrs de rien. Mais en temps normal c'était un processus qui prenait des semaines. Même si ici ce n'était pas exactement la même chose, il fallait tout de même s'attendre à peut-être de nombreux jours... qu'ils n'avaient pas, vu la récente urgence. Était-il possible à Drilun de faire se lever une tempête pour geler la mer aux alentours ? L'intéressé était pour le moins sceptique. Quelqu'un suggéra d'appeler le démon Andalónil, dont c'était la spécialité, mais la proposition fut vite écartée.

Partir en bateau fut aussi envisagé, mais pour être vite repoussé : les espaces entre les morceaux de banquise n'étaient pas grands, et en partie pris par les glaces. Se frayer un chemin était irréalisable, il n'y avait tout simplement pas assez d'eau libre, et ils n'avaient pas de bateau capable de tailler dans la banquise ou du moins dans ses portions les plus fragiles ou instables suite au tremblement de terre. N'était-il pas possible d'utiliser la magie de Taurgil, celle d'objets magiques comme Morang, voire la force de la lionne enchantée, pour briser la glace et se frayer un passage ? Le Dúnadan ne pensait pas en avoir la capacité, ils n'avaient plus une masse enchantée qui permettait de faire ce genre de tour de passe-passe, et Vif, si elle était au moins aussi forte qu'un troll, ne se voyait pas briser de la glace de plus d'un pied d'épaisseur avec ses griffes. Il fallait trouver autre chose...

Certains firent remarquer que le seul problème était le manque de stabilité lorsqu'un trop grand poids était posé sur les petits morceaux de banquise. Mais avec les skis remis par les elfes, ou d'autres objets similaires que certains avaient comme des bottes magiques, les membres du groupe pouvaient bénéficier d'une démarche elfique permettant d'avancer sur de la glace mince voire de la neige sans la déranger voire laisser de traces ! Cela paraissait effectivement faisable, à condition de trouver un chemin pas trop long. Selon la carte qu'ils avaient en leur possession, les aventuriers virent qu'il existait des passages avec un bras de mer assez étroit entre leur île et le continent ou une autre île plus au sud. Même s'il était question de plus d'une dizaine de miles à en croire la carte, cela paraissait jouable. Encore fallait-il en avoir la certitude, ce qui demandait de vérifier de visu. Vif, accompagnée de certains de ses amis, se mit alors en quête qu'un endroit plus élevé pour observer les environs. Itämuurit, où ils se situaient, était à l'extrémité nord-est de l'île, en hauteur, donc le point d'observation ne fut pas long à trouver.

Les environs proches étaient une chose, et la fracture de la banquise était évidente, mais elle diminuait avec la distance. Afin de mieux se rendre compte d'une route possible, d'autant que le passage envisagé n'était pas tout proche, la féline Femme des Bois demanda l'aide de l'un de ses compagnons pour lui tenir et orienter la longue-vue. Le premier constat fut encourageant : effectivement, après quelques miles, la banquise retrouvait toute sa solidité, et donc la magie elfique apportée par leurs skis ou bottes magiques ferait largement l'affaire. Il était même possible de prévoir une grande traversée en ligne droite sur la banquise. Mais son attention fut attirée par des silhouettes qu'elle ne mit pas longtemps à repérer, tant sur les côtes proches que dans les airs, à une certaine distance de l'île : des dragons ailés étaient présents. Et manifestement ils regardaient dans leur direction...

Elle pensa même identifier l'un d'eux : Canadras était là qui volait au sud-est des côtes. Pourquoi ne les avait-il pas attaqués directement ? Il était sans doute plus fort qu'eux... Pourquoi les autres dragons s'étaient-ils arrêtés et les attendaient-ils ? Plusieurs soupçonnaient le dragon magicien d'avoir prévenu ou influencé les autres dragons : le groupe était dangereux, mais sur la banquise, que n'importe quel puissant dragon ailé pouvait briser sans mal, ils étaient vulnérables et pourraient facilement être isolés, puis combattus ou coulés même à distance... Bien sûr, ils avaient un objet magique permettant de rendre les ailes de toute créature ailée impossibles à utiliser. Mais ils doutaient de pouvoir affecter n'importe quel dragon, et en particulier Canadras, bardé de protections magiques ! Ils ne pouvaient voler ; ils ne pouvaient passer sous terre (et sous la mer) sans prendre de grands risques et perdre sans doute beaucoup de temps, d'après les recherches magiques de Drilun ; et au sol les dragons pouvaient ne faire qu'une bouchée (voire plusieurs) d'eux. Bref, ils étaient coincés là...

4 - Conseil et préparation
Après avoir étudié diverses propositions, les aventuriers se trouvèrent plutôt à sec question imagination. Ils ne voyaient tout simplement pas quoi faire pour sortir de ce pétrin sans prendre de grands risques ou sans perdre un temps qu'ils n'avaient plus. Mordin proposa bien d'invoquer les deux démons du feu et du froid ici même, sur l'île, mais il se vit rappeler un problème de taille : faire deux rituels en même temps n'était pas vraiment envisageable, non plus que de les faire à la suite. Qui se sentait de demander à un démon de patienter pendant qu'ils feraient le deuxième rituel, sans parler de la durée limitée de chaque invocation ? En fin de compte, la féline Femme des Bois proposa de consulter son patron : après tout, leur survie et l'élimination de Durlach, ou au minimum son maintien dans le Puits de Morgoth, figuraient très haut dans la liste des objectifs de Tevildo. Le Prince des Chats avait donc tout intérêt à leur prêter main-forte s'il voulait avoir une chance de sortir de sa propre prison sans avoir de sérieux concurrents à ses projets en Terre du Milieu. Vu le lien étroit qu'elle partageait avec lui, elle l'invoqua donc en pensée, et il ne tarda pas à répondre.

Signe de l'urgence probable de leur situation, il ne marchanda même pas pour faire payer ses conseils : Vif ou un de ses amis n'eurent aucunement à laisser le Maia augmenter son emprise sur eux. Mais peut-être estimait-il qu'il n'en avait plus besoin... Quoi qu'il en fût, après avoir répondu présent, il leur proposa la solution possible suivante : si les dragons, et en particulier Canadras, étaient la source de leur problème, autant voir directement avec le dragon magicien lui-même. Pourvu que les aventuriers trouvassent les bons arguments ou monnaies d'échange, le dragon était sûrement assez malin pour y trouver son intérêt et accéder à leur requête. Bien sûr, cela aurait un prix, restait à voir lequel avec lui directement...

L'idée interloqua plusieurs aventuriers, mais après réflexion ils se dirent qu'effectivement ils ne manquaient peut-être pas de pistes. Pour commencer, c'était l'intérêt du dragon de ne pas laisser Durlach sortir de sa prison : pour un dragon du froid, avoir un esprit du feu comme Durlach dans les parages, qui était un démon probablement plus fort que lui, n'allait pas arranger ses affaires. Par ailleurs, ils avaient peut-être des services ou objets à lui fournir qu'il pourrait plus difficilement obtenir en les combattant. Et puis, c'était un être suprêmement intelligent qui apprécierait sans doute plus une lutte d'esprits qu'une lutte physique. Cela ne paraissait donc pas impensable de faire appel à lui, et s'ils se montraient malins ou adroits ils avaient peut-être beaucoup à y gagner... et le dragon sans doute aussi.

Taurgil, au vu de la discussion, ne s'embarrassa pas de davantage de débats : il se redressa, et, en s'orientant dans la direction que Vif avait donnée, il interpela le dragon de sa voix forte, en espérant bien qu'il l'entendrait malgré la distance. Il ne chercha aucunement à le provoquer, mais proposa un marché dans l'intérêt de Canadras lui-même, évoquant notamment le nom du balrog, Durlach. Néanmoins, après une certaine attente, le dragon ne se montra pas. Ce qui soulagea les amis du Dúnadan du Rhudaur, qui auraient préféré se préparer un peu à la venue prochaine de ce puissant magicien draconique. Qu'à cela ne tînt, cela laissait du temps pour préparer la rencontre, et Taurgil pourrait toujours appeler le dragon une nouvelle fois par la suite. Ils retournèrent donc à leurs tâches, comme de se reposer (Isilmë, Geralt...), améliorer leur abri ou aller pêcher ou chasser.

Enfin, après une nouvelle journée passée à se préparer, l'héritier des rois du Rhudaur appela à nouveau Canadras de sa voix forte, offrant de parlementer avec lui. Il mit tout son sens de la diplomatie dans ses paroles, soulignant l'intérêt commun que le dragon et les aventuriers pouvaient avoir, et attendit. Et cette fois, les perceptions de la lionne enchantée lui indiquèrent que le dragon magicien réagissait : il venait vers eux... Vite les aventuriers se mirent en position : Drilun et Taurgil l'attendaient au centre des ruines concentriques d'Itämuurit, bien en vue ; Vif était dans leur abri troglodyte en lien télépathique avec Geralt, grâce aux perles magiques, abri à l'entrée duquel Rob se tenait. Les quatre autres étaient groupés à l'abri d'un mur, peut-être à mi-distance de l'abri et du centre des ruines, et ils tenaient tous le marteau magique de Galgrin qui protégeait remarquablement contre les éléments même magiques comme un souffle de dragon. La viisas, elle, s'était éloignée suffisamment pour ne participer d'aucune sorte à la rencontre. Et Canadras fut là.

5 - Marchandage avec un dragon
Prudent, le dragon gris aux quatre cornes (qui était à l'origine de son nom, Canadras voulant dire "Quatre Cornes") passa loin au-dessus d'eux, faisant plusieurs tours pour reconnaître le terrain et identifier chacun, à la vue ou à l'odeur, voire par magie. Peut-être ne se souvenait-il que trop bien de la panique qui l'avait prise devant la magie du Prince des Chats, devant chez lui. Et puis, s'il était dit que les dragons n'oubliaient jamais un tort passé, ils pouvaient se permettre d'être très patients. En tout cas, la haine probable du dragon pour le groupe ne l'empêchait nullement d'être curieux, calculateur, et de prendre son temps pour évaluer les risques et les possibles avantages à une confrontation de quelque ordre qu'elle fût. Satisfait de son petit tour de repérage, il choisit de diminuer son altitude et finit par se poser non loin du centre des ruines : il était environ à une centaine de pas de l'archer-magicien et du grand rôdeur dúnadan, à l'opposé de leurs amis abrités par des murs ou l'abri troglodyte.

Il prit rapidement la parole sur un ton mi-ironique mi-menaçant, et s'émerveilla des ressources des aventuriers. Son propos était loin d'être gratuit, par contre : peut-être au cours de ses passages aériens avait-il étudié les nouvelles magies qui couvraient les aventuriers, que l'anneau elfique porté par le hobbit ne masquait pas. Ses savoirs et perceptions ésotériques lui avaient peut-être apporté plus de renseignements qu'il n'était bon pour les aventuriers, et il décida d'en jouer : il évoqua des informations cachées que peut-être quelqu'un aurait grand intérêt à connaître, sous-entendu Tevildo. Mordin et surtout Dwimfa comprirent sans mal les sous-entendus du dragon, qui avait peut-être deviné bien plus de choses qu'il n'était bon, et qui exigeait un prix pour son silence. Même ceux qui avaient eu leurs mémoires modifiées comprirent que Canadras en savait trop et que de la bonne volonté de leur part était un prérequis avant de pouvoir entamer toute conversation avec lui. En bref, il fallait lui donner quelque chose, et vite.

Un bref conciliabule entre les aventuriers pointa divers objets magiques susceptibles d'intéresser le dragon couvert de runes magiques, et dont le groupe avait peu l'utilité. En particulier des objets récupérés sur les corps des anciens amis de Dwimfa, et notamment le nain Enhar : il utilisait autrefois une hache de lancer magique associée à des gants eux aussi magiques, que plus ou moins personne dans le groupe ne savait bien utiliser. Mordin prit alors la hache et il s'avança vers Canadras, puis, à sa demande, il la lança non loin de ce dernier. Le dragon se déclara alors prêt à patienter et à écouter ce que les aventuriers avaient à lui dire, à proposer. Le marchandage allait pouvoir réellement commencer, et c'est Mordin qui fut chargé du début.

Le nain dut donc expliquer leurs plans au dragon pour se débarrasser de Durlach, ce qui était dans leur intérêt commun, comme Taurgil l'avait bien souligné peu auparavant. D'ailleurs le dragon leur annonça qu'il pensait que la libération du balrog, au rythme actuel de la montée du niveau de la lave, se ferait d'ici un peu plus de deux mois. Canadras avait enseigné à Drilun un rituel pour invoquer l'ancien lieutenant de Morgoth et un autre pour faire de même avec Eloeklo, autre ancien lieutenant du Noir Ennemi du Monde. Leur idée était de faire venir le premier chez le second, en haut des montagnes glacées où le démon du Vent du Nord était retenu prisonnier. Le démon du feu serait affaibli, et ainsi les aventuriers espéraient que les deux démons, qui se détestaient, seraient d'une force similaire et se combattraient jusqu'à la mort. Ils penchaient vers une victoire d'Eloeklo, qui serait possiblement aidé par Andalónil voire Gillowen, ou les aventuriers eux-mêmes. Dans tous les cas le groupe se faisait fort de tuer le survivant, sans doute bien affaibli. Canadras, après un moment de réflexion, leur parla d'une autre éventualité pour abattre le démon du feu de manière peut-être plus facile et sûre, mais il réclama quelque chose pour nourrir sa motivation. Si bien que peu après, les gants magiques qui allaient avec la hache lui furent remis, après une démonstration de l'Homme des Bois qui les avait déjà vus fonctionner : une fois les gants mis, il lança la hache dans un mur. Laquelle hache revint en volant, magiquement, jusque dans la main qui portait le gant enchanté qui avait lancé l'arme.

Satisfait, Canadras évoqua la solution la meilleure à son avis pour éliminer le balrog du Puits de Morgoth : passer un contrat avec Jäänainen, cette Maia appelée aussi la "Sirène de Glace". Selon lui elle était plus puissante que Durlach, et elle habitait la Baie de la Glace Craquante. Invoquer là le balrog le ferait traverser la banquise et plonger dans l'eau glacée, où son feu ne lui servirait à rien. Elle n'aurait donc aucun mal à en venir à bout. L'invocation magique serait peut-être difficile sans un grand feu, mais le dragon croyait savoir que le groupe détenait un artefact qui pouvait palier à cela, si le sort était bien lancé. Restait à convaincre Jäänainen, dont le nom signifiait "Dame de Glace" en labba, et dont les légendes des Lossoth ne disaient rien de bon : sa principale occupation était de séduire des hommes, voire des individus mâles d'autres races, afin de les laisser lentement mourir de froid, si possible à la vue de leurs êtres aimés. C'était un jeu pour elle, et elle était susceptible de relever un bon défi...

Néanmoins, la mort de Durlach, si elle arrangeait bien Canadras, ne signifiait pas la fin des problèmes pour les aventuriers, qui avaient aussi à gérer le problème d'Eloeklo. Interrogé, le dragon laissa entendre qu'il était peut-être possible d'invoquer le démon du Vent du Nord dans le Puits de Morgoth, où ses pouvoirs seraient vraisemblablement plus limités que chez lui. Quant à la manière de réussir ce tour de force, il fallut à nouveau apporter une motivation suffisante au magicien draconique pour lui soutirer davantage de détails. Cette fois, ce fut une autre arme magique autrefois portée par l'ancien ami décédé de Dwimfa, Enhar : une masse enchantée trouvée dans un site dunéen du sud des Montagnes Blanches, qui entre autres pouvoirs permettait de se transformer en pierre. Satisfait, le dragon prit l'artefact et il se contenta de dire que Gillowen, la magicienne elfe et elle aussi ancienne amie d'Enhar - pour autant que nain et elfe pussent être amis - pourrait certainement aider à réaliser cette invocation. Devant l'air furieux d'Isilmë, pour qui ce marchandage n'était rien moins que du vol, Canadras ajouta, sur un ton peut-être en partie narquois ou ironique, que les aventuriers devaient être heureux de ce qu'ils avaient déjà. D'autant qu'il allait faire en sorte d'influencer les dragons qui surveillaient les environs, afin de permettre le passage du groupe où ils le souhaitaient. Dans tous les cas, le dragon aux quatre cornes était le plus fort et les aventuriers devaient faire avec.

6 - Consultations
Un peu surpris par la proposition du dragon magicien, les aventuriers échangèrent entre eux avant de se tourner vers le Prince des Chats. Que pensait-il de ce nouveau plan ? Canadras était toujours là qui les écoutait probablement, mais de toute manière cela ne changeait pas grand-chose à leurs débats entre eux ou avec lui : tous savaient que le dragon pouvait facilement savoir s'ils mentaient, donc ils avaient intérêt à jouer franc jeu avec lui. Tevildo, donc, par l'intermédiaire de Vif, donna son avis sur ce projet de faire combattre Durlach et Jäänainen, et il semblait qu'il y fût assez favorable. Oui, selon lui, la Dame de Glace était la plus forte, et encore plus si le feu du balrog était noyé dans l'eau glacée de la baie. En fait le grand esprit félin avait déjà eu cette idée d'invoquer le démon du feu sur la banquise, mais il l'avait gardée pour lui en attendant une opportunité où elle pourrait s'avérer utile... ce qui semblait le cas à présent. Par contre, la Dame du Froid, comme elle était aussi appelée, voudrait sans doute tester la résistance à la séduction d'au moins trois mâles du groupe : en premier Drilun, car puissant et aimé d'Isilmë qui souffrirait de le voir se détourner de lui ; Taurgil, descendant de roi et sûr de lui ; et sans doute Mordin, par défi, ou Geralt, si exotique et si bon guerrier.

Tout cela était bien beau, mais cela ne répondait qu'à des questions très théoriques et passait sous silence des tas de côtés pratiques. Était-il possible de faire le rituel d'invocation de Durlach sur une banquise, autrement dit sans la présence de beaucoup de feu, composante essentielle du rituel ? La réponse était oui, car les aventuriers disposaient du rubis de feu, cet artefact donné au sorcier Zigûr par le balrog lui-même, rubis magique qui contenait une portion de l'essence du démon. En revanche, le rituel nécessitait la destruction ou la mort par le feu d'objets magiques ou d'un grand nombre d'êtres vivants, si possible puissants. Au départ le rubis était censé compenser ce manque de sacrifices, mais pourrait-il compenser et l'absence de feu intense et de roches ignées, et l'absence de sacrifices d'êtres vivants ? Ce à quoi il fut répondu que cela restait possible, même si le rituel s'en trouvait affaibli. Du coup, l'emprise sur Durlach serait plus faible : ils ne pourraient pas le contrôler du tout, et son invocation pourrait prendre fin rapidement. Bien entendu, le pouvoir combiné de plusieurs magiciens réalisant le rituel pouvait en partie compenser la chose : les différents composants du rituel n'étaient que les éléments d'un tout, et avec les bonnes compétences magiques et l'énergie nécessaire, le rituel pouvait quand même fonctionner... sans doute.

Se posait aussi la question de l'invocation d'Eloeklo : Canadras avait évoqué la participation de Gillowen, l'elfe de l'ancienne équipe d'aventuriers dont faisait autrefois partie Dwimfa. Cette elfe avait été possédée - après l'Homme des Bois lui-même - par Eloeklo pendant des années, et elle l'était encore. Pouvait-elle effectivement aider au rituel, savait-elle s'il était possible de l'invoquer au Puits de Morgoth ? Il se trouvait que Rob avait un bijou qui permettait d'avoir un lien psychique avec ladite magicienne elfe, peut-être pourrait-il la contacter à ce sujet ? Le hobbit était très doué, depuis sa corruption par un anneau magique des années auparavant : il avait une grande sensibilité à la magie et à son utilisation, contrairement à la plupart des hobbits qui y étaient au contraire très résistants. En fait le fonctionnement même de la magie leur était complètement étranger. Mais Rob était à part, et en y mettant beaucoup d'énergie, il arriva à contacter Gillowen avec tant de clarté qu'ils purent échanger leurs pensées et donc parler à distance...

Surprise par ce contact, l'elfe écouta le hobbit exposer le plan du groupe et la questionner au sujet de l'invocation d'Eloeklo de manière à pouvoir le combattre et le tuer. Rob sentit vite la joie que l'idée faisait naître dans le cerveau de l'elfe, puis sa concentration. Après un moment, elle répondit qu'elle pensait que c'était effectivement possible, qu'elle allait réfléchir plus avant aux possibilités et à la meilleure manière de faire la chose. Par ailleurs, elle indiqua aussi qu'elle pourrait participer également à l'invocation de Durlach, ce qui pouvait ensuite aider pour celle du démon du Vent du Nord qui la possédait encore. Et ce serait aussi l'occasion de faire passer discrètement à l'équipe des objets magiques importants récupérés sur les corps de ses anciens amis...

Cette perspective plut beaucoup aux aventuriers, qui y virent de nombreux avantages : peut-être pouvaient-ils demander "officiellement" la participation de Gillowen au rituel afin d'invoquer Durlach chez Jäänainen ? De cette manière, Eloeklo n'aurait pas besoin de se salir les mains et de risquer un combat contre un démon en théorie plus fort que lui. En plus d'avoir une magicienne pour aider au succès du rituel, et la facilité que cela représentait pour obtenir des objets magiques utiles, peut-être même Andalónil pourrait-il participer à la rencontre et faire davantage pencher la balance en faveur des Maiar du froid... et des aventuriers ? Canadras lui-même ne pourrait-il pas participer à l'invocation de Durlach ? Avec lui, le meilleur sorcier de tout le Grand Nord, le rituel aurait toutes les chances de réussir... d'autant que c'est lui qui l'avait conçu. Encore faudrait-il payer le dragon pour ces efforts avec de nouveaux services ou objets magiques, mais cela paraissait tout à fait possible !

Drilun doucha un petit peu ce bel enthousiasme en évoquant un aspect du problème qu'ils n'avaient pas envisagé : si tout cela marchait fort bien, n'allaient-ils pas tous augmenter l'importance du dragon magicien dans le Grand Nord, au point d'en faire un futur despote ? En éliminant les Maiar comme Durlach, Eloeklo voire Tevildo, tout en payant Canadras avec des services et objets magiques, n'allaient-ils pas dangereusement augmenter sa puissance et le lancer sur la conquête du Grand Nord voire au-delà ? Ses amis le rassurèrent sur ce point : bien sûr, le dragon allait être plus puissant que jamais, mais ils ne pensaient pas qu'il était intéressé par la conquête. Sa puissance personnelle et l'étendue de son immense savoir - ésotérique ou non - étaient ses objectifs premiers, pas la domination du monde. Il préférait jouer avec les êtres qui venaient à son contact mais n'avait pas la motivation pour aller les commander. Pour l'instant du moins.

7 - Nouveau marchandage
Les aventuriers se préparèrent donc à discuter à nouveau le bout de gras avec le dragon aux quatre cornes. D'autant qu'ils avaient identifié un autre écueil dans leurs plans : la distance. En effet, le domaine de Jäänainen était à une distance en ligne droite qu'ils estimaient à plus de trois cents miles (~500 km) au sud-est de leur emplacement actuel. Avec en plus la fonte de la banquise qui allait bientôt s'accélérer, notamment dans le sud, il faudrait sans doute passer par la terre, pour un chemin encore plus long. Le trajet risquait de leur prendre des semaines... alors que Durlach pourrait être libéré d'ici deux mois. Canadras ne pouvait-il alors leur servir de taxi, afin de leur éviter un grand délai et de garantir que le rituel serait fait dans les temps ?

Avant de s'adresser directement à lui, le groupe évoqua les objets magiques dont il était possible de se séparer immédiatement, voire plus tard. Certains n'étaient pas en la possession du groupe mais de Gillowen, comme le Suimbalmynas, un fabuleux grimoire composé d'une très grande collection de runes magiques. Le grimoire pouvait servir tant pour lancer des sorts que pour les apprendre, et d'après ce qu'en avait dit Dwimfa, qui y avait eu accès, il comprenait des sorts très puissants. D'ailleurs l'Homme des Bois avait, par le passé, créé une explosion magique en utilisant le grimoire. Explosion qui avait blessé ses compagnons et lui, parfois gravement, et détruit une partie de leur matériel, y compris des objets magiques. Bref, c'était sans doute l'artefact magique qui intéresserait le plus le dragon magicien. En revanche, il pourrait leur servir, donc il fallait conserver la possible utilisation du grimoire le temps de terminer leurs affaires dans le Grand Nord. Après, Canadras pourrait toujours le garder chez lui.

Taurgil se chargea donc de présenter la chose au dragon gris : en échange de divers objets magiques dont certains très puissants, le groupe voulait pouvoir compter sur une aide du dragon pour les aider au rituel magique permettant d'invoquer Durlach d'une part, et pour les amener là-bas ou en tout cas plus près de chez Jäänainen, d'autre part. Et il donna une liste d'objets magiques qu'il s'engageait à remettre au dragon à l'issue du conflit avec les Maiar. Néanmoins, et comme certains s'y attendaient, Canadras se montra bien plus exigeant que cela. Pour ne serait-ce qu'accepter d'envisager d'aider les aventuriers, il souhaitait le retour d'objets magiques que le groupe lui avait soutirés, et par la suite il exigeait une liste bien plus longue que celle que le Dúnadan avait donnée. Ce dernier ne manqua pas de rappeler au dragon que c'était dans son intérêt d'aider à éliminer Durlach, et donc il se montra dans un premier temps plutôt inflexible, au désarroi de certains de ses amis qui voyaient avec inquiétude le moment où le dragon perdrait patience et choisirait peut-être de les croquer...

Après divers échanges, un marché put être conclu qui satisfaisait beaucoup aux désirs des aventuriers. Bien sûr, dans un premier temps ils durent rendre une dague magique prise par Rob chez Canadras. Puis ils s'engagèrent à lui donner ou lui redonner, parfois dès la mort de Durlach, parfois à l'issue de la confrontation avec Eloeklo, plusieurs objets puissants : en tout premier lieu le grimoire magique, mais également une boule de cristal permettant de percevoir voire de faire de la magie à distance ; sans oublier de rendre le marteau de Galgrin après les confrontations avec les démons de feu et de froid, un anneau de camouflage pris chez lui, une amulette maudite permettant de se transformer en chauve-souris et un bâton magique permettant d'appeler et contrôler des éclairs, entre autres choses. Canadras accepta donc tout cela, mais parfois de manière vague, sans entrer dans les détails, ce qui fit penser à divers aventuriers que certains détails risquaient de faire l'objet de marchandages ultérieurs...

En attendant, il avait accepté de les emmener aux portes de la vallée de Brumes Éternelles, où ils avaient laissé du matériel et où les elfes avaient normalement quelques ultimes babioles à leur remettre. Après quoi il les porterait plus au sud. Il leur dit de préparer un filet pour qu'il pût les transporter dans ses pattes griffues, car il refusait de les porter sur son dos. De toute manière Isilmë n'était pas encore guérie, donc ils avaient le temps de réaliser cela avec les cordes et autres tissus ou bâches dont ils disposaient. Ils s'affairèrent à confectionner leur nacelle, à se reposer et à préparer de la nourriture pour leur voyage, et le lendemain ils furent prêts.

Isilmë avait terminé de guérir et elle pouvait à présent respirer normalement. Le dragon gris fut à nouveau appelé, et lorsqu'il arriva, les aventuriers se placèrent dans leur nacelle plus ou moins improvisée, en bordure de falaise. Le dragon bondit d'un coup en prenant l'espèce de filet où ils avaient pris place, mais les mailles faites de cordes tinrent bon et les passagers supportèrent le choc sans plus de mal que quelques bleus. Le dragon plongea vers la mer pour prendre de la vitesse, puis il remonta et fila vers l'est à allure de plus en plus grande. Les aventuriers eurent le plaisir de voyager haut dans les airs, à grande allure, et ils avaient prévu assez de couvertures ou de vêtements chauds pour ne pas être dérangés par le froid accentué par le rapide déplacement d'air. En un peu plus de deux heures le dragon arriva en vue de la vallée cachée dans les brumes, et il commença à descendre. Il freina un peu au-dessus de la forêt proche de la vallée, à très basse altitude, et lâcha son filet sur la cime des arbres enneigée. Puis il s'éloigna à tire-d'aile en donnant rendez-vous plus tard, plus au sud, pour la deuxième partie du voyage et l'établissement du rituel. Les aventuriers échouèrent sans grand mal dans les arbres et la neige, sans guère plus que quelques petits bobos. Ils descendirent vite de leur perchoir et retrouvèrent sans mal une entrée de la vallée, où les elfes les accueillirent avec joie...
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Niemal
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Grand Nord - 38e partie : transformations

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1 - Pause et interrogations
Les aventuriers apprécièrent de se retrouver en lieu sûr et de pouvoir se reposer sans craindre un ennemi tombé du ciel. Ils en profitèrent bien vite, récupérant sommeil, moral et énergie, voire santé pour ceux ayant pris quelques bleus ou blessures mineures. Après une bonne nuit de repos, ils purent discuter entre eux et avec quelques elfes présents : ils apprirent que Nestador et Lothwen, les deux chefs de la communauté noldo, les verraient probablement en soirée, avec l'essentiel des elfes présents dans la vallée. Ils auraient l'occasion de faire part de leurs aventures et de demander conseil, ce dont ils ne se priveraient pas. Mais néanmoins ils avaient déjà beaucoup à ressasser, et la journée passa vite avec de nombreux échanges. Vif reprit sa forme humaine, notamment à la demande des elfes qui se méfiaient de Tevildo en elle.

Entre autres choses, ils discutèrent de l'effet des deux perles aux grands pouvoirs, et se demandèrent si un autre couple que Geralt et Vif ne serait pas plus profitable. Ils envisagèrent divers scénarios, comparant les bénéfices, mais en fin de compte ils laissèrent les artefacts à leurs porteurs actuels. Il serait toujours temps d'en rediscuter plus tard. Taurgil, lui, tenait à parler davantage d'un point qui l'inquiétait : Jäänainen. Il était très peu chaud pour se faire aider par la Sirène de Glace, voyant essentiellement les risques d'être confrontés à un Maia encore plus puissant et capricieux, sur lequel on ne pouvait aucunement compter. Pour lui, lancer un défi à Jäänainen n'avait presque que des mauvais côtés : si elle gagnait, en séduisant l'un ou l'autre d'entre eux (même si lui-même se sentait à peu près sûr de pouvoir résister), le problème était évident. Mais si elle perdait, il la voyait très bien se venger en les tuant, ou d'une autre manière.

Les elfes présents leur apprirent quelques petites choses sur la Dame du Froid : oui, elle était foncièrement mauvaise, et sa principale motivation était de faire souffrir. En revanche, tuer n'était pas son but premier, c'était bien trop facile pour elle. Apparemment, elle appréciait les défis, et si on lui résistait trop longtemps, elle n'était pas très patiente et passait vite à autre chose. En revanche, si elle s'estimait volée d'une victoire ou forcée de partir d'une manière qui ne lui plaisait pas, là effectivement, elle risquait de garder une dent contre les aventuriers. Et alors ils auraient tout intérêt à ne pas remettre les pieds là où elle vivait. Néanmoins, les elfes firent remarquer qu'on ne pouvait comparer Durlach et elle en termes de danger : le balrog du feu n'aurait de cesse de tout détruire une fois libéré. De son côté, Jäänainen était libre, elle pouvait aller où elle voulait pour répandre le mal et tuer qui elle voulait. Elle ne le faisait pas car cela ne l'intéressait pas. Par certains côtés, elle leur paraissait très similaire à un dragon : motivée par ses centres d'intérêt, méchante et mauvaise perdante peut-être, mais pas une menace pour la paix et les peuples libres autrement qu'à un niveau personnel. Tout commander ou tout détruire ne l'intéressaient pas.

Ils donnèrent d'autres détails qui pouvaient s'avérer intéressants : les elfes semblaient immunisés à son charme, peut-être à cause de leur lumière intérieure, qu'ils pouvaient projeter en aura. De manière générale elle semblait détester la lumière, en particulier celle du soleil. Elle était réputée dormir tout l'été et n'être active que la nuit, sous un ciel couvert, le plus souvent enneigé. Les femmes étaient moins sensibles à son charme et elles ne l'intéressaient pas, ou du moins seulement comme témoins forcés des tortures qu'elle infligeait à leurs maris ou pères ou fils ou amis... Ses charmes lui permettaient en effet de paralyser les femmes, tandis que les hommes qu'elle séduisait étaient sous son contrôle total. Souvent, les femmes retenaient les hommes et les empêchaient de tomber sous sa coupe, mais parfois elle ordonnait à ses proies tombées sous son joug de se battre contre famille, amours et ami(e)s... Mais bon, le mieux serait sûrement de demander aux Lossoth comment ils faisaient pour vivre avec cette menace, car elle vivait parmi eux depuis qu'ils avaient colonisé le Grand Nord et notamment la région de la Baie de la Glace Craquelée où elle avait l'habitude de vivre. Ils avaient sûrement trouvé des parades efficaces...

Également, les elfes avaient fini de travailler sur des armures protectrices et surtout plus légères pour Geralt ainsi que Taurgil, à la grande joie tout particulièrement du premier, dont l'effort de porter des armures lourdes pesait particulièrement sur son moral plus que sur son corps. A travers la perle magique qui le liait à lui, la féline Femme des Bois pouvait sentir sa joie de se sentir plus léger sans perdre de protection. Il offrit volontiers à ses amis ses vieilles armures très protectrices mais lourdes, mais en dehors du fait que peu pouvaient les porter en raison de la différence de taille, ils avaient à peu près tous d'autres armures déjà bien protectrices... ou plus légères, et ils ne voulaient pas s'encombrer davantage. Ils étaient déjà trop bien équipés !

2 - Bilan et questions
Le soir même, ils rencontrèrent les elfes de la vallée et leurs deux chefs, Lothwen et Nestador. Les Noldor étaient tous assez curieux d'apprendre de la bouche de Geralt et compagnie les dernières aventures du groupe. Les visiteurs étaient rares dans la vallée, et l'opiniâtreté et le courage des aventuriers étaient stimulants. Et, ce qui ne gâtait rien, plusieurs d'entre eux étaient de bons conteurs, ce qui était important pour des elfes. Et le balafré aux cheveux blancs, même s'il résuma assez vite les péripéties auxquelles ils avaient été mêlés, ne les déçut pas trop. Il évoqua la traversée des montagnes grâce à l'aide des géants suite à leur intervention contre un dragon qui menaçait lesdits géants ; le conflit avec Andalónil lors de la traversée sur la banquise en direction du pôle Nord ; la découverte de la ville des elfes des neiges, et leur aide pour fabriquer des flèches capables d'abattre Durlach et Eloeklo, entre autres ; leur grand détour pour éviter une funeste magie, magie qu'ils éprouvèrent ensuite dans des ruines pour récupérer des artefacts ; et le retour grâce à l'aide du dragon Canadras... Dire que les elfes étaient impressionnés était un euphémisme, et ils les pressèrent de questions.

Mais en fin de compte ce fut au tour des aventuriers de poser des questions, à Nestador et Lothwen, chefs et sages parmi les Noldor. Ces deux elfes confirmèrent ce que d'autres avaient dit au sujet de Jäänainen : la lumière des elfes les protégeait des pouvoirs de séduction de la Sirène de Glace, et leur aura magique aidait même les mortels à proximité. Et, faute de patience et d'objectifs de grande envergure, la Dame du Froid n'était pas autant une menace que Durlach l'était. Nestador confirma aussi ce que Canadras leur avait annoncé : oui, eux aussi avaient senti la modification de la montée de la lave dans le Puits de Morgoth suite au tremblement de terre à Itämuurit. Et ils estimaient la date de libération du balrog à environ deux mois, assez proche du solstice d'été. Néanmoins, si certains des voyants avaient vu la libération du démon de feu, d'autres avaient plutôt rêvé de sa disparition. L'espoir de le voir prochainement banni était donc bien présente parmi les elfes, et ils avaient confiance en Taurgil et ses amis pour réaliser cela...

Du temps fut consacré à Jäänainen, car le Dúnadan et héritier des rois du Rhudaur était toujours très réservé sur l'intérêt d'aller solliciter son aide. Les deux Noldor, comme les autres elfes, pensaient que le jeu, s'il était dangereux, en valait sans doute la chandelle : la Sirène de Glace était trop dépourvue de patience et d'ambition pour être une réelle menace à long terme. L'attitude de Canadras les inquiétait davantage, car il ne faisait rien gratuitement. Le couple subodorait que peut-être le dragon aux quatre cornes s'était attaché à certains d'entre eux et en particulier Drilun, et qu'il avait des plans pour lui, voire pour les autres. En tout cas, concernant Jäänainen, ils avaient entendu parler de diverses techniques développées par les Lossoth pour lui résister. Il vaudrait mieux aller les consulter directement, et en particulier les viisaat qui vivaient dans la région, en priorité les plus anciens et sages.

Ils citèrent notamment la Vieille Mère Fumée, traduction de son nom en labba, Vanha Äitisavu : elle tenait son appellation de sa recette pour fumer poissons et viandes, et ses morceaux de phoque fumé étaient renommés jusque chez les Hommes des Glaces, loin au nord ! C'était une nommeuse d'esprit très vieille, qui avait peut-être plus de deux siècles d'âge, et d'innombrables arrière-petits-enfants dans tous les villages autour de la baie ! De par sa taille, sa longévité, son charisme et sa force - elle était encore capable de semer de nombreux jeunes chasseurs - les Noldor pensaient qu'elle devait avoir du sang dúnadan dans les veines, car parfois certains venaient jusque-là : le sud du Grand Nord n'était après tout que le voisinage du nord de l'Arthedain. Bref, elle avait certainement dû rencontrer Jäänainen plus d'une fois, c'était sans doute la personne qui saurait le mieux conseiller les aventuriers.

En tout cas, Nestador et Lothwen semblaient penser que Jäänainen était sans doute la meilleure des solutions pour se débarrasser de Durlach : en particulier sur son terrain, elle était tout à fait capable de régler son compte au balrog. Tandis qu'Eloeklo pouvait être assez retors pour laisser les aventuriers affaiblir Durlach avant de s'en mêler. Restait la question de pouvoir régler son affaire au démon du Vent du Nord, ce qui était autre chose. Rob tenta de contacter Gillowen grâce au médaillon magique qu'il portait, et il sentit qu'elle n'était pas possédée. En forçant un peu il arriva à pouvoir échanger des pensées avec elle, et elle confirma qu'elle pensait pouvoir invoquer Eloeklo au Puits de Morgoth. En fait, elle voyait plusieurs moyens. Un sacrifice serait nécessaire, et Andalónil était un bon candidat pour faire venir son maître. Mais à défaut, elle-même renfermait une part du démon en elle donc l'invocation réussirait certainement. Et, enfin, le sacrifice de Dwimfa, longtemps possédé par le démon, pourrait dans une moindre mesure atteindre le même résultat. La destruction de l'Ulûkai de Morgoth donnerait certainement aussi assez d'énergie pour garantir le succès du rituel. Par contre, l'effet sur le Puits de Morgoth risquait d'être important si l'énergie n'était pas bien canalisée ! Et Eloeklo comme Tevildo avaient peut-être leurs propres projets pour cette énergie...

En tout cas, les solutions ne manquaient pas, même si leur application s'avérait difficile. Avec l'aide des uns et des autres, le bannissement de ces anciens serviteurs de Morgoth paraissait à leur portée. Et justement, Mordin et Dwimfa sollicitèrent une entrevue spéciale avec les chefs de la vallée, loin des oreilles de leurs compagnons, qui comprirent très bien de quoi il était question : les deux amis connaissaient un plan que le Prince des Chats ne devait pas découvrir, et ils voulaient en parler aux Noldor. Tout le monde quitta donc l'endroit où ils s'étaient réunis, de manière à ne laisser aucune oreille traîner à travers laquelle Tevildo aurait pu en apprendre davantage. Mordin d'abord dévoila le plan qu'il avait mémorisé, et plus tard, sans son ami nain, l'Homme des Bois détailla le plan réel. Ce dernier parut astucieux et capable de réussir aux yeux des deux Noldor. Mais ils avaient aussi autre chose à leur proposer. Les Brumes Éternelles recélaient un secret que même les autres Noldor hormis eux deux ne connaissaient pas. Et récemment Aiwendil était venu leur dire que peut-être les aventuriers pourraient bénéficier de ce secret, s'ils le souhaitaient... et si Tevildo était maintenu à l'écart des détails.

3 - Endormies pour des milliers d'années
Le couple de Noldor emmena les deux amis au nord du lac d'eaux chaudes et soufrées. Une rivière coulait depuis les montagnes au nord, rivière qui alimentait notamment une zone très riche où les servantes de Yavanna, menées par Lothwen, faisaient pousser le grain sacré qui servait à faire le lembas, entre autres choses. Comme ces terres étaient sacrées et interdites aux hommes (non les mortels mais les personnes de sexe masculin), ils les contournèrent et rejoignirent la rivière à proximité des montagnes, près de sa source. L'eau jaillissait en fait d'une paroi rocheuse devant laquelle deux arbres au tronc épais étaient plantés et se touchaient presque. Les deux chefs s'adressèrent aux deux arbres dans une langue elfique que les deux amis ne connaissaient pas, et qui devait donc être du quenya, l'ancienne langue des Noldor. Suite à quoi les deux arbres s'écartèrent, révélant à Mordin et Dwimfa l'entrée d'une caverne. Le couple dit qu'ils avaient demandé aux arbres à faire découvrir les secrets de la terre à leurs invités. En rappelant que le lieu était secret et connu d'extrêmement peu de monde, et que cela devait rester ainsi...

Les deux elfes, le nain et l'Homme des Bois pénétrèrent dans la caverne, qui était en fait l'entrée d'un réseau de galeries assez vaste. Auréolés par leur aura elfique, les deux elfes faisaient assez de lumière pour permettre à leurs deux invités de voir l'intérieur des cavernes. Ce qui frappa les deux amis, c'est de se retrouver face à des dizaines d'arbres qui semblaient avoir poussé là, sans réel sol et sans lumière. Pourtant ils semblaient vivants, couverts de feuilles, bien que d'une certaine manière affaiblis, les branches ployant vers le sol. Comment de tels arbres avaient-ils pu pousser ici ? Les deux elfes se dirigèrent vers le centre d'une caverne assez grande, au milieu de laquelle émanait une lumière colorée. Elle semblait provenir du contenu d'une très grande marmite de terre ou pierre autour de laquelle un arbre était planté, qui faisait penser à un mince bouleau. Sauf que le bouleau semblait animé et bougeait comme s'il était doué de vie, tel une personne préparant à manger. Un bouleau animé dont les racines faisaient penser à des pieds munis de sept orteils, et qui tourna dans leur direction ce qui ressemblait à un visage avec des grands yeux bruns mouchetés de vert qui paraissaient incroyablement profonds.

La créature ne réagit pas à l'ébahissement des deux amis, et après un moment Lothwen et Nestador leur présentèrent Fimbrethil, qui se tenait devant eux. Ils parlèrent en sindarin qu'apparemment tous comprenaient, langue elfique dans laquelle le nom de leur interlocutrice aux pieds noueux à sept orteils signifiait "fin bouleau". Ils expliquèrent qu'elle était une des dernières "gardiennes d'arbres" existant en Terre du Milieu, une race très ancienne et liée à Yavanna. Fimbrethil était en fait la gardienne des arbres des cavernes, arbres qui étaient en réalité d'autres gardiennes d'arbres endormies là depuis plus de mille six cents ans. Elles avaient dû fuir la guerre contre Sauron et ses créatures, à la fin du 2e Âge, et elles s'étaient réfugiées là, où elles attendaient la purification du Grand Nord pour se réveiller et faire profiter terres et habitants de leurs savoirs. Car elles étaient les dépositaires d'un savoir très ancien concernant les plantes de toutes sortes, notamment fourragères. En fait, elles avaient enseigné l'agriculture à de nombreuses races et cultures par le passé.

Mordin s'inclina profondément devant la créature. Il avait vaguement entendu parler d'arbres animés dans ses voyages, mais ceux qu'il avait rencontrés, dans la Forêt Sombre et en particulier dans leur expédition à Dol Guldur, étaient animés de mauvais sentiments et leur avaient donné pas mal de fil à retordre. Sans l'aide du magicien Radagast, que les elfes appelaient Aiwendil, ils ne s'en seraient probablement pas sortis. Mais la créature face à lui semblait immensément bonne et sage, très éloignée des arbres au cœur noir contrôlés par le Nécromancien et ses sbires. Dwimfa, lui, avait déjà vu de telles créatures dans la forêt de Fangorn, au sud de la Lorien. Une armée d'orcs en avait fait les frais au grand soulagement de son groupe d'ami(e)s et aventuriers. En fait ces créatures portaient un nom dans la culture des Hommes des Bois et plus généralement des nordiques du Rhovanion : on les appelait des Ents, ce qui signifiait "Géants" dans leur langue. Dwimfa avait d'ailleurs un frère, décédé, qui était de très loin le plus grand de la Ville des Hommes des Bois et s'appelait Dwimfa Ent, ce qui signifiait "Dwimfa le Géant". Bref, il connaissait déjà des choses au sujet des Ents, de visu ou par on-dit. En revanche, il lui semblait que c'était la première fois qu'il rencontrait les femmes des gardiens qu'il avait croisés à Fangorn, et dont on lui avait dit qu'elles avaient été perdues à la fin du Second Âge... Lui aussi s'inclina profondément.

Par déduction ou en échangeant avec Lothwen et Nestador, les deux amis comprirent que Radagast n'avait pas fait que s'occuper des larmes de Yavanna dans le Grand Nord. Manifestement il gardait aussi un œil sur les femmes des Ents, préparant un nouvel âge où leur savoir serait librement répandu parmi les peuples libres de la Terre du Milieu. Peut-être par le passé des êtres maléfiques avaient-ils cherché à les détruire pour nuire à tous les êtres vivants d'Endor, animés ou non... Ils comprirent aussi par la suite que Fimbrethil fabriquait une espèce de potion lumineuse qui servait à nourrir et maintenir en vie ses sœurs et cousines gardiennes des arbres. Une potion qui avait le pouvoir non seulement de nourrir, mais aussi de renforcer et protéger. Une potion destinée aux Ents, mais qui avait parfois été ingérée par des mortels qui en avaient tiré diverses transformations, d'après les légendes.

Après un moment de silence, Fimbrethil émit quelques sons qui pouvaient ressembler à de la toux, puis elle souhaita la bienvenue à Mordin et Dwimfa d'une voix grave et profonde, lente également. Elle leur demanda ce qu'ils venaient faire ici, ce qu'ils recherchaient comme aide possible, et dans quelle mesure elle était capable de leur apporter une telle aide. Ils parlèrent alors de leur quête consistant à bannir certains anciens lieutenants de Morgoth de la surface de la Terre du Milieu, et comment elle était susceptible de les aider à résister à leur influence, et en particulier celle de Tevildo. Elle les écouta sans sourciller, sans poser de question, et réfléchit un long moment avant de répondre. Elle expliqua que ses sœurs et elle agissaient à travers la connaissance des choses qui poussaient lentement, ce qui ne semblait pas correspondre aux souhaits et aux nécessités des aventuriers. Néanmoins, elle avait peut-être quelque chose à proposer aux membres de leur groupe qui étaient prêts à s'exposer à la magie des Ents, magie qui n'était pas faite pour eux, mais dont ils pourraient peut-être tirer profit...

4 - Le breuvage des Ents-femmes
Tous les jours, Fimbrethil réalisait un breuvage magique pour ses sœurs endormies. Les Ents savaient en effet fabriquer divers mélanges liquides et magiques dont ils se servaient comme nourriture ou pour des besoins plus spécifiques comme guérison ou protection. Ce qui était le cas ici : la mixture magique qu'elle préparait depuis des siècles et des siècles nourrissait ses consœurs et les fortifiait, malgré leur manque d'activité. Ainsi, lorsque le mal de Morgoth serait dissipé dans le Grand Nord, elles pourraient se réveiller et reprendre leurs activités passées. Sans doute un certain nombre d'entre elles préféreraient rester à l'état dormant, et se transformer en arbres, mais c'était inévitable et quelque chose qui pouvait les toucher tous - gardiens et gardiennes - à n'importe quel moment de leur vie, lorsqu'ils ou elles se languissaient de leur existence.

Par le passé, il était arrivé à certains mortels de boire de tels breuvages, qui avaient des effets magiques et très différents des effets normaux constatés sur les Ents. Certains effets étaient très positifs, mais certains effets secondaires possibles pouvaient s'avérer néfastes et entraîner des regrets. Ces effets indésirables étaient d'autant plus probables et intenses que la personne buvait davantage de breuvage destiné aux Ents. L'effet le plus visible était une augmentation sensible de la taille et du poids de la personne, accompagnée d'un gain en force, le corps devenant plus costaud et résistant. L'utilisation du breuvage actuel augmentait également l'épaisseur et la résistance de la peau aux agressions externes comme les chocs ou les éléments. La peau, en quelque sorte, se transformait en bois dur et isolant... En revanche, cela pouvait aller de pair avec une lenteur plus grande, tant du corps que de l'esprit : la personne pouvait petit à petit perdre des capacités en adresse et en intelligence, surtout en rapidité de corps ou d'esprit. Trop consommer du breuvage pouvait même, à un stade ultime, la transformer entièrement en arbre inanimé...

Bien entendu, Fimbrethil n'avait pas tous les détails. Elle pouvait offrir à Mordin et Dwimfa de boire de son breuvage mais également d'en offrir à leurs amis... à la condition de les amener les yeux bandés et avec le contact d'une larme de Yavanna sur leur peau. Et de leur en dire le moins possible. Ainsi Tevildo ne pourrait rien percevoir d'autres que des bribes de ce qui se passerait, et de voir le résultat de l'ingestion de "potion magique". Il verrait les effets mais pas les causes. Également, la magie fonctionnait ici, mais le liquide magique perdrait très vite ses pouvoirs s'il était emporté ailleurs. En tout cas le nain et l'Homme des Bois parurent très intéressés. Néanmoins la gardienne des arbres rappela que l'augmentation de taille était assez prononcée pour nécessiter une nouvelle garde-robe. Ce qui pouvait poser problème pour des armures, surtout quand elles étaient faites de matériaux rares et difficiles à ajuster, quand bien même des chutes desdits matériaux étaient disponibles. Nestador et Lothwen précisèrent que les vêtements chauds, isolants et résistants offerts par les elfes n'étaient pas un problème. En revanche, les armures de peau de dragon ou autres cuirs exotiques, ou encore l'armure de mithril du Dúnadan, nécessiteraient au moins des semaines de travail pour les agrandir, quand bien même ce serait possible.

Dwimfa choisit de tester immédiatement la potion de Fimbrethil sur lui : en effet, il n'avait pas de problème d'armure à proprement parler : il portait de vastes robes prises à un grand sorcier de Dol Guldur. Elles étaient enchantées et maudites, et influençaient en mal leur porteur, ce dont Dwimfa savait se prémunir grâce à la possession passée du démon Eloeklo en lui, possession qu'il avait subie pendant des années et qui l'avait habitué à résister aux influences néfastes. En tout cas les robes protégeaient remarquablement bien, aussi bien que l'armure de mithril de Taurgil ! Grandir un peu ne poserait aucun problème car elles étaient assez lâches, et les elfes de la vallée pourraient sans problème changer ses vêtements devenus trop petits. Il accepta donc un peu du breuvage préparé par Fimbrethil. Il demanda quelle quantité ingérer, mais elle lui dit qu'il devait boire jusqu'à plus soif. Alors son corps serait arrivé à satiété et sa transformation commencerait, qui pouvait prendre autour d'une journée. A la suite de quoi il pourrait éventuellement prendre une nouvelle dose, et ainsi de suite.

Mordin n'était pas très intéressé dans l'immédiat, et, comme ses autres amis par la suite, il comptait d'abord voir l'effet sur un cobaye, en l'occurrence Dwimfa, avant de se prononcer. Les deux Noldor et les deux aventuriers prirent donc congé de Fimbrethil après l'avoir remerciée et garantie de leur discrétion. Puis ils rejoignirent leurs amis où ils les mirent très sommairement au courant de l'offre qui leur était proposée : ingérer une potion magique donnant une plus grande taille, davantage de force et une peau plus dure et isolante, au risque de devenir un peu plus lent, bête et maladroit. Avec l'Homme des Bois comme premier testeur de cette magie nouvelle... En tout cas, en attendant de voir ses effets, ils discutèrent beaucoup de ses avantages et inconvénients possibles. Vif en particulier n'était pas intéressée, disant qu'ils ne manquaient pas de force et résistance physique. D'autres étaient plus intéressés mais redoutaient de perdre des armures exceptionnelles faute de temps pour les adapter à une nouvelle taille. Les Noldor pensaient pouvoir faire des ajustements en une semaine pour une armure de cuir souple de dragon ou équivalent, et deux ou trois fois ce laps de temps pour du cuir rigide. Et Drilun pensait pouvoir lui-même travailler son armure à l'aide des outils exceptionnels qu'il possédait.

En tout cas, ils observèrent les transformations de l'Homme des Bois avec grand intérêt. Et ils en furent impressionnés : en seulement une journée et une nuit, Dwimfa avait grandi d'un peu moins de huit pouces (20 cm) et pris un peu plus de quarante livres (18 kg) ! Dire qu'il avait bien mangé dans la journée était un doux euphémisme, très en-deçà de la réalité... Mais également, sa peau s'était parcheminée, ce qui lui conférait un aspect de vieux cuir tanné. L'Homme des Bois paraissait soudain plus vieux que son âge... Mais surtout, en plus de l'apparence, sa peau était devenue aussi dure que du cuir rigide, presque insensible à des petites coupures, des petites flammes, du gel... tout en restant malgré tout souple, sans l'entraver dans ses mouvements. Ses habits avaient vite été remplacés par les elfes, et il pouvait toujours porter les robes maudites de cuir enchanté. Et manifestement son adresse et son intelligence n'avaient aucunement souffert de l'expérience, tandis que sa force et son endurance avaient crû sans doute possible.

5 - Un groupe de géants
Cela motiva grandement certains de ses amis, bien décidés à tenter l'expérience à leur tour. Taurgil fut le premier à décider de boire de la potion magique : d'une part il voyait un intérêt direct pour le futur proche, d'autant qu'il s'attendait à peut-être devoir affronter un balrog dans les jours ou semaines à venir. Mais également, il pensait à sa vie une fois que leur quête dans le Grand Nord serait terminée : il était bien décidé à combattre Angmar par tous les moyens, et avoir un corps plus fort et résistant ne pouvait que l'aider dans son combat. Isilmë était aussi très intéressée, de même que Geralt. Mais ce dernier ne souhaitait pas se défaire de ses nouvelles armures légères : même s'il pouvait peut-être récupérer une armure aussi protectrice mais plus lourde laissée par ceux de ses amis qui allaient grandir, il préférait garder sa taille et ses armures plus légères. En fin de compte il déclina l'offre.

L'un après l'autre, le Dúnadan et l'elfe furent menés dans la grotte où les attendait la potion de Fimbrethil. Ils y allèrent les yeux bandés, et les Noldor fournirent l'une des rares larmes de Yavanna qu'ils avaient trouvées pour garantir le secret vis-à-vis des pouvoirs d'indiscrétion de Tevildo. Taurgil but le premier, puis ce fut le tour d'Isilmë après lui. Et ensuite leurs amis les regardèrent grandir et évoluer... L'héritier des rois du Rhudaur, déjà plus grand et costaud que son ami de la Forêt Sombre, grandit encore plus que lui ! Il se sentait plus fort, mais pas moins vif ou intelligent. Sa peau craquelée, plus sombre, était elle aussi devenue plus résistante et isolante aux intempéries ou aux éléments. Les elfes entreprirent d'ajuster son armure de cuir, et lui donnèrent vite de nouveaux vêtements. Ce qui le motiva pour en prendre encore...

Néanmoins, les choses ne se passèrent pas si bien avec Isilmë. Déjà, Fimbrethil, par l'intermédiaire de Dwimfa et Mordin, avait dit que parfois, les elfes ne semblaient pas autant affectés par le breuvage magique. En tout cas, même si elle grandit moins que ses compagnons, l'elfe gagna en force et en endurance ; sa peau, si elle garda une apparence lisse et sans tâche, devint elle aussi plus dure, résistante et isolante, comme ses amis. En revanche, si elle garda sa très grande adresse, ses amis ne purent s'empêcher de remarquer que son élocution et ses modes de pensée avaient changé : elle était tout simplement plus lente, moins sûre d'elle, elle prenait davantage de temps pour étudier les différentes facettes d'un problème, sans forcément gagner en jugeote. Elle passait déjà, avec le hobbit, pour posséder les capacités intellectuelles les moins développées au sein de l'équipe. A présent, ses amis jugèrent que Rob était bien plus malin que son amie. Ce qui ne voulait pas dire qu'elle n'allait pas retrouver une intelligence plus vive avec un peu d'entraînement. Mais manifestement, cela décida le petit voleur à ne pas essayer non plus l'expérience sur lui. Les Noldor entreprirent d'ajuster l'armure de la belle et plus grande elfe, et cette dernière se dit qu'une unique dose de potion serait suffisant.

Une nouvelle journée après l'ingestion de breuvage magique par Taurgil et Isilmë, et à l'issue de leur transformation complète, Dwimfa se décida à boire une nouvelle fois, tandis que Drilun voulut tenter sa chance à son tour. L'Homme des Bois grandit encore plus que lors de la première fois, et sa peau prit une apparence burinée encore plus prononcée, donc un air encore plus vieux. Mais elle était à présent aussi dure que du bois épais ! Il pouvait passer la main dans un petit feu sans aucun problème, et il se sentait encore plus fort ! Il n'avait rien perdu de son adresse et sa rapidité, mais par contre, pendant sa transformation, il avait senti que son esprit avait lutté pour ne pas changer comme son amie elfe l'avait fait. Le disque de chance qu'il portait avait sûrement joué un rôle, et il avait conservé toute sa tête, mais il sentit qu'il s'en était fallu de peu. Ce serait donc sa dernière dose, d'autant qu'il allait avoir bien plus de mal à se cacher et ne pas attirer l'attention, vu la taille qu'il faisait à présent : sept pieds cinq pouces (2 m 26) !

Drilun gagna aussi en taille, en force, il prit une peau sombre et burinée, costaude et isolante comme Dwimfa après la première dose de breuvage magique. Lui non plus ne perdit aucunement son adresse physique et sa phénoménale intelligence, mais cette dernière l'enjoignit de ne pas tenter sa chance plus avant. Contrairement à l'Homme des Bois, il n'avait pas un disque de chance pour éviter les effets néfastes d'une deuxième dose de potion magique, et il préférait en rester là. D'ailleurs, l'avenir lui donna raison. Mais en attendant, il se mit aussi à l'ouvrage sur sa propre armure, qui avait besoin aussi d'être ajustée à sa nouvelle taille. Tout en observant une dernière transformation sur l'un de ses compagnons.

Car Taurgil avait décidé de gagner encore en taille, force et endurance. Il alla donc s'abreuver une nouvelle fois à la source de la potion magique. Comme Dwimfa, le Dúnadan grandit encore plus, il devint aussi fort que les Dúnedain les plus costauds qu'il avait jamais rencontrés, à peut-être une exception près, et sa peau prit la texture - et un peu l'apparence - d'un bois très dur et isolant. Jamais ses amis, voire les Noldor, n'avaient rencontré de mortel aussi grand que lui : il mesurait un peu moins de sept pieds huit pouces (2 m 34) de haut ! En revanche, il sentait que ses mouvements et ses pensées étaient moins fluides, il avait perdu en adresse et rapidité, tant dans ses gestes que dans sa tête. Il se dit qu'il était temps de passer à autre chose, et ses amis ne voulurent pas essayer le breuvage, ou pas davantage. Après deux semaines les armures avaient été changées ou adaptées aux nouvelles tailles, et ils étaient tous prêts à partir. Sur les huit aventuriers, quatre avaient bien grandi et pouvaient se remarquer de loin dans une foule, même parmi les Noldor, pourtant naturellement plus grands que les mortels ou les elfes gris ou sylvestres.

6 - Envol vers le sud
Ils quittèrent donc la vallée de Brumes Éternelles vers le sud. Les eaux du lac au centre de la vallée se déversaient dans une baie, et ils en longèrent la côte est, discrètement, en restant le plus possible sous le couvert des arbres bien dense à proximité de la vallée. Ils espéraient ainsi tromper la vigilance des dragons des montagnes environnantes qui montaient la garde et attaquaient les visiteurs qui y entraient ou en sortaient. Mais ils n'eurent pas de problèmes avec les dragons, et après une journée de voyage lent et discret, ils observèrent les environs. Depuis le haut d'un arbre où la lionne enchantée était montée, et avec l'aide de Geralt et de la longue-vue, la silhouette de Canadras fut repérée. Il attendait au loin, installé au sommet d'une hauteur dans les montagnes proches. Le groupe décida alors de ne plus se cacher et de sortir du couvert des arbres, et peu de temps après le dragon aux quatre cornes arrivait sur eux.

Il n'avait pas l'air très heureux d'avoir attendu plus de deux semaines, mais il oublia peut-être sa rancœur en découvrant une nouvelle magie et ses effets très visibles sur quatre des aventuriers. Ses questions ne reçurent pas de réponses ou du moins pas de réponses satisfaisantes ou très précises, mais peut-être cela occupa-t-il son esprit et l'empêcha de trouver une manière de faire payer son attente aux aventuriers. En tout cas il n'insista guère, et Drilun et ses amis eurent vite fait de reconstituer une nacelle dans laquelle prendre place pour que le dragon pût les prendre dans ses puissantes pattes griffues. Il est vrai aussi que le groupe apportait divers objets magiques promis au dragon. Ils les avaient auparavant laissés à Brumes Éternelles pour ne pas s'encombrer, mais ils n'en avaient pas vraiment besoin. Bref, en remplissant leur part du marché, ils pensaient s'attirer les bonnes grâces de Canadras qui, ils l'espéraient, continuerait à remplir sa part à lui.

Le décollage se passa bien malgré quelques plus ou moins gros bleus pour certains, et ils eurent à nouveau le plaisir de découvrir le Grand Nord depuis la perspective des oiseaux... ou des dragons. D'autant qu'il faisait beau et que c'était le milieu du printemps, et donc que les journées étaient de plus en plus longues, avec un soleil de plus en plus haut dans le ciel. Au loin, ils aperçurent les fumées vomies par le Puits de Morgoth, et il leur sembla que ce dernier n'avait jamais été aussi actif. Plus ils allaient vers le sud, plus ils commençaient à voir les effets du dégel et de la fonte de la banquise par endroit. Jäänainen n'allait plus tarder à "estiver" et à attendre la prochaine mauvaise saison, et les deux semaines passées pour ajuster les armures d'Isilmë ou Taurgil leur paraissaient tout d'un coup moins justifiées qu'ils le pensaient. Enfin, après peut-être quatre heures d'un voyage aérien sans anicroche, ils arrivèrent en vue de la Baie de la Glace Craquelée.

Canadras leur donna le choix entre un amerrissage près des côtes à proximité de la baie, ou un atterrissage à l'intérieur des terres. Il ne tenait pas à les laisser aux côtes, trop peuplées à son goût. Les aventuriers préférèrent les terres émergées plutôt que le reste de banquise en partie fondue qui ne tiendrait certainement pas sous leur poids, et donc le dragon pénétra-t-il sur la pointe ouest de la vaste plaine d'Everdalf, la "Toundra des Troupeaux", non loin de la baie où vivait la Sirène de Glace. Ils voyaient sans mal les énormes troupeaux de rennes et d'élans qui parcouraient la plaine en partie découverte de neige par le passage des ongulés. Le dragon trouva un secteur relativement désert encore recouvert de neige, qu'il survola à une hauteur d'une cinquantaine de pas. Puis il demanda si les aventuriers étaient prêts à descendre ou s'ils préféraient qu'il les laissât tomber avec la nacelle...

Divers aventuriers protestèrent qu'ils étaient trop haut et qu'ils allaient se tuer en tombant, et Canadras leur demanda une motivation pour descendre davantage. Une première perle de céramique magique obtenue lors de leurs voyages lui fut remise, et il descendit d'une dizaine de pas encore. Une autre perle lui fut fournie et il redescendit d'autant. Certains aventuriers estimaient la hauteur suffisante, après tout la neige amortirait leur chute, mais d'autres étaient loin d'être d'accord, et en particulier Geralt. En désespoir de cause il remit à Canadras une troisième perle à laquelle il tenait, et qui améliorait son charisme dans les échanges sociaux. Le dragon descendit encore, toujours à une vingtaine de pas de haut, au-dessus d'une neige plus si épaisse que ça, et en volant encore à assez grande allure. Enfin, ils se détachèrent de leur nacelle et sautèrent les uns après les autres.

Vingt pas de haut ne représentaient pas grand-chose pour la féline Femme des Bois. Taurgil et Dwimfa avaient la peau si dure, le corps si costaud, sans parler de leurs armures et de leurs talents d'acrobates, qu'ils auraient pu sauter de plus haut. D'autres apprécièrent magie, armures et compétence d'acrobatie pour amortir une chute qui aurait pu leur faire bien plus mal que de petits bleus vite oubliés. Par contre, Mordin n'avait pas de peau enchantée, pas de corps massif capable de résister à de grands chocs, pas de grands talents d'acrobates, et pas non plus d'armures enchantées assez bonnes pour bien amortir sa chute. Malgré la neige, il se fractura un certain nombre de côtes à l'arrivée sur le plancher des vaches... ou plutôt des rennes et élans. Divers groupes de chasseurs lossoth qui avaient vu l'événement de plus ou moins loin accoururent, tandis qu'Isilmë utilisait ses compétences et sa magie pour stabiliser l'état du nain et empêcher sa blessure de s'aggraver. N'empêche qu'il n'était pas en état de marcher. Ils acceptèrent alors la proposition de certains Hommes des Neiges de les héberger dans leur village. Manifestement ils avaient entendu parler des aventuriers porteurs de poisse, mais s'entraider faisait trop partie de leur culture pour ne pas tendre la main au groupe. Les restes de la nacelle servirent de brancard pour transporter Mordin, et le groupe suivit les Lossoth jusqu'à leur village sur la côte.
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Niemal
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Grand Nord - 39e partie : histoires de séduction

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1 - Contacts... à distance
En chemin, malgré la distance prudente que les Lossoth préféraient mettre entre les aventuriers et eux-mêmes, Geralt tenta d'expliquer à leurs futurs hôtes ce qui amenait leur groupe dans la région : rien de moins que d'appeler Jäänainen, la Sirène de Glace, afin de lui demander de l'aide pour combattre un démon du feu promis à bientôt envahir les terres du Grand Nord. La conséquence directe de sa franchise fut d'augmenter très nettement l'espace entre les Hommes des Neiges et eux : ils s'écartèrent du groupe d'environ trois cents pas, ne permettant aucun échange autre que de vagues signes de la main. Auparavant, l'interlocuteur de Geralt fit tout de même comprendre qu'ils allaient les amener à leur viisas, et qu'ils pourraient voir avec elle tous les détails qu'ils voudraient bien partager. Manifestement, le groupe, ici encore, avait déjà une certaine réputation, et les propos du maître-assassin n'avaient rien fait pour la diminuer !

C'est donc de loin, par des grands gestes, que Geralt et ses amis furent conduits au village des Hommes des Neiges. Ils virent qu'ici le dégel était bien avancé, et donc qu'en conséquence, les Lossoth avaient troqué leurs igloos pour des cabanes ou tentes de peaux et d'os ou bois, faciles à monter et démonter. Ce qui était bien pratique pour une culture nomade qui vivait entre autres grâce aux troupeaux de rennes et d'élans qui vivaient sur la vaste plaine nommée par les elfes Everdalf, communément appelée par les autochtones Hyvämetsästyksen Maa, soit la traduction en labba de "toundra des troupeaux". Mais présentement, ces troupeaux n'avaient pas encore tous migré vers le nord, les moustiques ne rendaient pas encore la vie infernale pour ses habitants, et donc certaines tribus étaient encore présentes sur la côte. Par signes, de loin, Geralt et ses amis furent donc conduits à la tente de la viisas du village.

Cette dernière, un peu méfiante, installa Mordin dans sa tente et constata que la blessure avait déjà été bien soignée. Elle en fit part au reste du groupe en disant qu'en une ou deux semaines il serait sans doute guéri. Ce à quoi Isilmë répondit qu'il allait guérir bien plus vite que cela. Elle l'endormit magiquement dans un profond sommeil récupérateur, en expliquant à la viisas que sa guérison allait être grandement accélérée par sa magie et qu'ainsi il serait sur pied à son réveil, dans quelques heures. Par ailleurs, Geralt lui expliqua qu'ils venaient pour trouver Jäänainen, mais avant cela ils auraient voulu s'entretenir avec la Vieille Mère Fumée, qui saurait leur donner des conseils sur la Sirène de Glace. Il leur avait été dit que cette très vieille dame vivait dans la région, autour de la Baie de la Glace Craquelée, et il demanda donc où elle pouvait se trouver en ce moment. La viisas répondit qu'elle ne le savait pas, qu'elle pouvait être n'importe où, mais qu'elle allait se renseigner. Elle fit sortir le groupe de sa tente afin de laisser le nain dormir en paix, puis elle s'éloigna vers le reste du village.

Les aventuriers distinguèrent un petit attroupement à l'écart du village, et ils virent que divers Lossoth étaient en train de monter une tente de peaux pour un groupe de moins d'une dizaine d'habitants. Comprenant que cela leur était destiné, ils allèrent aider, bien qu'ils n'en eussent pas vraiment le temps : le montage était très rapide, sans parler du fait que les Hommes des Neiges préféraient les savoir à distance. Ensuite ils purent investir les lieux. Il faisait encore jour, même si cela devait être le soir : c'était le milieu du printemps, et à cet endroit du Grand Nord la nuit devait être assez courte déjà. Ayant été auparavant beaucoup plus au nord, sans parler des brumes permanentes de la vallée des elfes, les aventuriers étaient un peu surpris de la rapidité avec laquelle les saisons, et le rythme jour/nuit, changeaient vite dans le Grand Nord. En tout cas, si certains pensaient déjà à se reposer, ce n'était pas le cas pour tous. Drilun en particulier se vit proposer de chercher par divination magique où pouvait se trouver la Vieille Mère Fumée avec laquelle ils comptaient s'entretenir.

L'archer-magicien fit donc voler ses cailloux pour arriver à circonscrire la zone de la région où se trouvait la personne qu'ils cherchaient. Néanmoins, il fut déçu par les informations données par les cailloux chargés par sa magie : il n'arrivait pas à avoir de réponse franche, comme si la personne n'était jamais au nord ou au sud, à l'est ou à l'ouest, mais entre les deux. Ou comme si elle était protégée contre les divinations magiques... Ils commencèrent à se dire qu'il leur faudrait peut-être utiliser des moyens plus classiques, et se demandèrent également ce qu'ils pouvaient faire pour participer à la vie du village, comme notamment aller chasser. Mais avant de pouvoir mettre en œuvre cette bonne résolution, ils entendirent des pas approcher de leur tente. C'étaient les pas de deux personnes en fait. Ils s'attendaient à entendre la viisas demander si elle pouvait entrer avec une autre personne, et ils les laissèrent pénétrer dans la tente. La viisas du village était accompagnée par une femme très grande pour les Lossoth, et également très âgée, vu son visage parcheminé. Pourtant, ce même visage semblait plein d'énergie... et il fit immédiatement réagir certains aventuriers, et notamment la féline Femme des Bois.

2 - Vieille Mère Fumée
Malgré son âge manifeste, le visage de la nouvelle venue fit immédiatement écho dans l'esprit de Vif : il était très similaire à celui de Narmegil, leur ancien compagnon d'aventure, ainsi qu'à celui de son grand-père Tarcandil. Mieux encore, la vue perçante de la Femme des Bois distingua sur les vêtements de leur interlocutrice une broche argentée sur lequel figurait un dessin qu'elle reconnut immédiatement : le blason/symbole de la famille Eldanar, à laquelle appartenaient Narmegil et Tarcandil, ainsi que - à présent - Isis, épouse de Narmegil, leur fille Míriel et sans doute à présent leur deuxième enfant. Pourtant, à sa connaissance, à part Helvorn, cousin de Narmegil au deuxième degré, la famille Eldanar n'avait pas d'autre membre... En tout cas, elle fit mentalement part de ses pensées à Geralt grâce aux perles gémelles qui les unissaient tous les deux.

De toute manière Vif n'avait pas été la seule à constater un air de famille et à distinguer le symbole de la famille Eldanar. Geralt accueillit la nouvelle venue un peu comme on retrouve une vieille connaissance, mais cela ne dérangea pas la vieille dame. Manifestement elle était très perceptive et elle avait suivi des yeux l'étonnement des personnages et leurs regards sur sa broche de famille. Elle expliqua qu'elle tenait ce bijou de son père, qu'elle n'avait jamais vu. Sa mère lui avait dit qu'elle l'avait secouru lors d'une période de mauvais temps où il s'était perdu. C'était un grand homme venu du sud, et il avait parlé d'une guerre contre Angmar. En tout cas il était parti en lui laissant la broche, dont elle avait hérité plus tard, et il n'était jamais revenu. Mais, neuf mois après la rencontre avec sa mère, elle était née. C'était il y avait plus de deux cent trente ans peut-être, elle avait du mal à se rappeler...

Manifestement les aventuriers voyaient là Vieille Mère Fumée, ce qu'elle confirma bientôt. Sa silhouette dúnadan, bien différente de celle des Lossoth, était manifeste, et sa longévité plus facile à comprendre. Mais même pour un Dúnadan de la famille royale, son âge était vraiment exceptionnel. Elle attribuait sa longévité à sa familiarité avec le monde des esprits et les relations - et conseils, et protection - de nombre d'entre eux. En calculant un peu, certains aventuriers comprirent qu'elle avait été conçue sans doute avant 1409, date d'une invasion d'Angmar en Eriador. Les armées du Cardolan et de l'Arthedain avaient été prises par surprise, les rois des deux royaumes avaient été abattus sur les collines des Galgals, et de nombreux autres morts avaient été déplorés avant que les armées d'Angmar eussent été repoussées... Le père de Vieille Mère Fumée avait dû trouver la mort là-bas. Qui sait si le fantôme d'un ancêtre de Narmegil rencontré dans une grotte non loin de Bree n'avait pas été le père de la vieille Femme des Neiges qui se tenait face à eux ?

En tout cas, en plus de la surprise de trouver un nouveau membre de la famille Eldanar ici, les aventuriers eurent du mal à expliquer la chance qui avait fait venir celle qu'ils cherchaient là même où ils se trouvaient, alors que très peu de temps auparavant ils ne savaient pas eux-mêmes où ils passeraient la nuit ! Vanha Äitisavu leur expliqua alors qu'il ne fallait y voir aucune chance, mais plutôt l'intervention des esprits des Lossoth, qu'elle côtoyait régulièrement. En fait, peu de jours auparavant, elle avait fait une étrange rencontre. Lors d'un de ses multiples et incessants voyages, elle avait croisé le chemin d'un très vieux nommeur d'esprit comme elle. En fait, il était plus une figure de légende qu'un Losson, car il était déjà vieux quand elle était toute petite, et il pouvait disparaître pendant des dizaines d'années avant de réapparaître. Donc, que ce fût un véritable Homme des Neiges passant plus de temps dans le monde des esprits que dans le monde réel, ou un esprit prenant un déguisement, importait peu pour elle. Par ailleurs, il était parfois accompagné d'un loup blanc intelligent qui ne menaçait aucunement les autres animaux, et ces derniers ne semblaient d'ailleurs pas inquiétés par sa présence. Et ce loup était présent lorsqu'elle avait rencontré ce vieil homme que les Lossoth appelaient le "Vieux Gris", ou Vanha Harmaa dans leur langue, à cause de ses habits uniformément gris...

En tout cas, que ce fût un esprit immatériel ou quelqu'un envoyé par l'un de ces mêmes esprits, l'homme avait parlé à Vieille Mère Fumée. Il avait évoqué le groupe d'aventuriers - leur réputation n'était plus à faire dans le Grand Nord, et les esprits semblaient les suivre à la trace et prévenir de leur passage - pour lui dire qu'elle pourrait sans doute les aider. Il avait indiqué l'endroit où il pensait qu'elle les rencontrerait, et elle venait juste d'arriver. Elle avait immédiatement perçu le trouble qui agitait la petite communauté, dont la viisas du village qui fut toute heureuse de la voir arriver. Viisas qui prit d'ailleurs congé du groupe pour vaquer à ses propres affaires. Et donc elle se tenait là à leur disposition, les yeux pétillants et tout sourire. Contrairement aux autres Lossoth qu'ils avaient rencontrés, les aventuriers ne décelaient chez elle aucune peur ou appréhension. Elle était à sa place, guidée par les esprits, faisant le lien entre ces derniers et les Lossoth - et tous les peuples libres - pour le bien du plus grand nombre et l'harmonie de la Terre du Milieu.

Vif et ses amis étaient quelque peu surpris, bien que de manière positive, par cette alliée véritablement tombée du ciel, et sans l'aide d'un dragon comme pour eux. Ils se demandèrent si les esprits dont il était question étaient si immatériels que cela, ou bien même s'ils n'en connaissaient pas certains. Ne pouvait-il s'agir de Radagast, qui avait conseillé les elfes de Brumes Éternelles (et Dwimfa et Mordin ne dirent rien concernant les femmes-Ents, mais n'en pensèrent pas moins) et surveillait les histoires de larmes de Yavanna ? Ce à quoi Vif, par l'intermédiaire de Geralt, évoqua la possibilité que ce fût Gandalf, tout de gris vêtu. Même si, à sa connaissance, il n'allait jamais dans le Grand Nord...

3 - Les tours de Jäänainen
En attendant, puisque Vieille Mère Fumée était là et à leur disposition, autant entrer dans le vif du sujet. Les aventuriers lui parlèrent donc de leur projet de faire appel à la Sirène de Glace pour pouvoir combattre le démon du feu qui vivait dans le Puits de Morgoth. En effet, ce dernier allait bientôt en être libéré, et il semblait que de tous les esprits du Grand Nord, d'après les Lossoth, un seul était plus fort que Durlach, le démon du feu, et c'était Jäänainen, la Dame de Glace... Donc ils voulaient la voir pour lui lancer un défi : résister à ses séductions en échange de son aide contre le démon, qu'ils savaient comment invoquer magiquement. Mais d'une part, ils voulaient pouvoir résister à ses charmes, et d'autre part, pouvoir survivre à cette rencontre à court ou à long terme. Et qui de mieux que la Vieille Mère Fumée, qui paraît-il l'avait côtoyée plus longtemps que n'importe quel autre habitant de la région ?

Ce qui fut confirmé par l'intéressée : oui, elle avait rencontré la Sirène de Glace bien des fois, et été témoin de bien des luttes et tragédies. D'une certaine manière, elle était bien experte sur les meilleures manières de résister aux charmes de la belle. Peut-être même que Jäänainen appréciait sa présence, car elle signifiait que les choses ne seraient pas trop faciles pour elle. Et donc Vieille Mère Fumée détailla plus avant les pouvoirs de séduction de cet esprit des temps anciens, et en particulier le plus grand : sa voix. Elle raconta que c'était son plus grand atout, et que sa seule voix pouvait ensorceler les gens - les hommes surtout - lorsqu'elle apprenait leur nom et qu'elle les appelait. En fait elle pouvait très certainement changer de forme et se promener parmi les Lossoth sans se faire repérer, profitant de l'occasion pour se renseigner sur les hommes les plus importants, les plus aimés et admirés, ou les plus fiers aussi. Elle pouvait ensorceler les femmes mais sans les séduire, juste pour les paralyser sur place. Elle était si belle et séduisante que n'importe quel mâle pouvait être séduit - elfes exceptés - mais ensorcelé seulement si elle connaissait son nom. Évidemment, s'il tombait amoureux, il était facile de lui soutirer son nom...

Se couvrir ou se boucher les oreilles était donc la première des choses à faire pour empêcher la magie de la Sirène de les affecter. Parfois certains allaient jusqu'à se crever les tympans, mais en général des bouchons d'oreille pouvaient suffire. Se couvrir les oreilles avec les mains, en revanche, n'était pas très efficace. A la demande (indirecte) de la féline Femme des Bois, elle confirma que du bruit très fort pouvait parasiter ses tentatives de séduction auditives. Ce qui intéressa au plus haut point Vif, dont les rugissements pouvaient être perçus à des miles... De près, elle pouvait même endommager l'ouïe d'une personne. Elle risquait donc d'être une arme efficace contre la Dame de Glace. Néanmoins, ce n'était pas suffisant, car elle était aussi redoutable à voir. Elle apparaissait en général comme une femme très pâle d'une beauté surnaturelle, à peine vêtue de vêtements très légers et semi-transparents, malgré le froid mordant qui l'accompagnait toujours. Elle était sans doute la plus belle créature qu'elle eût jamais contemplée, et donc particulièrement séduisante aux yeux des hommes. Néanmoins, il était facile de fermer les yeux, même si elle savait surprendre et faire ouvrir les yeux avec ses redoutables caresses.

Car en dernier recours elle savait aussi utiliser les sens du toucher, même s'ils étaient bien moins puissants que sa voix ou sa vue. Néanmoins, il fallait se méfier d'elle, car elle était d'une grande dextérité et prompte à retirer vêtements, bouchons d'oreille ou protections magiques ou autres. En un tournemain, de précieuses possessions pouvaient ainsi se retrouver au fond de l'eau, hors de portée définitive de leur malheureux possesseur. Mais la meilleure protection contre Jäänainen restait l'amour porté par les proches de la cible de la Sirène de Glace : en effet, cet amour était le plus à même de contrebalancer les pouvoirs de séduction de l'esprit de glace. Mais attention ! D'une part, ses pouvoirs étaient vraiment redoutables et seul l'amour le plus pur et le plus intense était vraiment capable de résister à un tel charme ; d'autre part, un tel amour était justement ce qu'elle cherchait le plus à briser ! Plus quelqu'un était aimé et bien entouré, plus intéressant paraissait le défi aux yeux de Jäänainen...

Et il existait encore d'autres trucs pour résister à la tentation, dont quelques-uns qu'elle détailla. En premier lieu, être endormi ou inconscient ! Parfois certains Lossoth n'avaient été sauvés que parce qu'ils avaient été assommés ou drogués. Mais attention, si la Sirène arrivait à séduire un homme, si elle avait le sentiment d'avoir gagné, elle appréciait peu qu'on lui retirât le fruit de sa victoire, et pouvait en garder rancune... qu'elle ne risquait pas d'oublier de sitôt. Également, la lumière magique - en particulier celle des elfes - ou du soleil la dérangeaient voire la faisaient fuir. La douleur physique gênait aussi ses tentatives de séduction, ce dont certaines femmes aimantes ne se privaient pas d'user ! Enfin, les viisaat et nommeurs d'esprit des environs connaissaient un rituel pour renforcer la volonté contre les séductions de la Dame de Glace.

Vanha Äitisavu termina en prévenant que la Sirène de Glace était un peu comme un enfant gâté qui affectionne ses jeux, et qui n'aimait pas qu'on en changeât les règles. Autrement dit, séduire était pour elle un jeu qui se faisait avec ses règles, et si l'on ne les acceptait pas, si pour elle il y avait une forme de "triche", alors elle pouvait se fâcher et se venger plus tard, à un moment où personne ne s'y attendrait et où la souffrance qu'elle pouvait infliger serait vraiment maximale. Par ailleurs, il ne fallait pas non plus l'humilier ou la provoquer. Si elle avait le sentiment que sa séduction avait été efficace et que les personnes visées en avaient souffert, si elles avaient résisté mais de justesse, Jäänainen en serait au moins en partie satisfaite. Si par contre quelqu'un résistait trop facilement voire se moquait d'elle, elle avait les moyens, plus tard, de lui faire rentrer son rire dans sa gorge... ou en tout cas elle consacrerait de l'énergie et du temps à trouver ce moyen et à le mettre en œuvre !

4 - Rituel et autres préparatifs
Si certains auraient voulu passer immédiatement aux préparatifs du rituel de protection pour enchaîner sur l'appel dès que Mordin serait guéri, la vieille Losson précisa un peu les choses : le rituel prenait des heures si l'on voulait qu'il fût efficace, et plus nombreux seraient les gens protégés, moins efficace serait la protection. Elle ne serait là que de nuit, qui était très courte en cette saison. Par ailleurs, il fallait trouver le bon endroit où appeler la Sirène, et penser à prévenir les Lossoth qui vivaient autour pour qu'ils pussent s'écarter des lieux. De plus, Vieille Mère Fumée pensait aussi qu'il était un peu tard pour la saison pour voir arriver Jäänainen : elle n'apparaissait que dans des épisodes de mauvais temps, lorsque la glace était bien présente, alors que là elle était en grande partie fondue, il n'y avait presque plus aucune banquise, et en tout cas pas assez solide pour supporter le poids d'un être humain. Or elle apparaissait en général sur cette même banquise...

Le groupe décida alors de commencer par se reposer. Lorsque la nuit serait passée, il serait temps de trouver le meilleur endroit, de préparer le rituel et de rassembler toutes les conditions pour appeler la Dame de Glace. Ce qu'ils firent donc, et tôt le matin, ils trouvèrent avec l'aide de Vanha Äitisavu un bon endroit pour rencontrer Jäänainen et écarter les Lossoth qui vivaient à proximité. Vieille Mère Fumée et la viisas du village commencèrent aussi à rassembler les ingrédients nécessaires au rituel de manière à ce que tout fût prêt. Restait la question du mauvais temps et de la glace. Drilun ne pouvait-il maîtriser les éléments pour faire une nouvelle banquise ? Mais ce dernier ne s'en sentait pas capable, selon lui il faudrait plutôt quelqu'un comme Canadras ou Andalónil... ou peut-être Gillowen ? L'ancienne amie de Dwimfa n'était-elle pas une grande magicienne qui maîtrisait particulièrement bien la magie des éléments ? Rob décida alors de la contacter magiquement pour lui poser la question, grâce à l'amulette qui le liait à elle, mais il sentit qu'elle était présentement en lutte avec l'esprit d'Eloeklo, donc pas très disponible...

Taurgil eut alors l'idée d'invoquer le Démon du Vent du Nord par la voix : après tout, c'était son intérêt de pouvoir éliminer Durlach sans même participer au combat, et donc de faire agir Jäänainen à sa place. Et en même temps, l'appeler pourrait peut-être libérer l'elfe magicienne de l'emprise qu'Eloeklo avait sur elle. Geralt appela donc le démon avec force, sans résultat d'aucune sorte. Selon Vif, Andalónil n'était même pas présent. Il fut alors remarqué que le vent qui soufflait venait de l'ouest alors qu'Eloeklo était le Démon du Vent du Nord, et donc Drilun fut-il réquisitionné pour changer cela. Sa magie lui permettait de changer la direction du vent, ce qu'il fit donc, et Geralt s'époumona à nouveau. Cette fois-ci, Rob sentit que Gillowen, si elle était toujours sous la coupe d'Eloeklo, semblait plus libre de ses pensées. Manifestement, le démon avait perçu la demande, et il y réagit. Bientôt les sens de la lionne enchantée lui rapportèrent l'arrivée d'une forme ailée bien connue des aventuriers...

Andalónil resta à une distance prudente des aventuriers et il reçut leur requête. Oui, il pouvait faire un blizzard qui pourrait reformer suffisamment la banquise des environs proches, et attirer la Sirène de Glace. Mais il y mit des conditions, sourd aux protestations des aventuriers qui dirent qu'Eloeklo ne serait pas content si son serviteur refusait d'aider. Andalónil répondit que son maître savait parfaitement ce qu'il faisait et qu'il l'approuverait. D'ailleurs, il ne réclamait rien en fait pour lui, mais pour le groupe. En effet, pour pouvoir résister aux charmes de Jäänainen, la douleur était un excellent remède. En conséquence, il était normal de procurer quelques blessures pour s'assurer de l'efficacité du défi qui serait lancé à la Dame de Glace. Après tout, il le faisait pour les aventuriers... même si l'éclat de ses yeux faisait mentir ses paroles. Et la cible de son regard, à savoir Geralt, le comprit très bien. En bref, Andalónil tenait à le faire souffrir, cela lui procurait un malin plaisir, comme lors du combat contre Canadras, où les aventuriers, blessés voire mourants, avaient dû en plus subir les moqueries et les souffrances du démon.

A la demande plus ou moins verbale d'Andalónil, donc, Geralt enleva son armure et se présenta torse nu. Avec un regard malicieux et une anticipation sadique, le démon prit un nouveau fouet qu'il avait au côté, et il le fit siffler. Les lanières s'enroulèrent autour du torse du maître-assassin, taillant profondément dans ses chairs et provoquant en même temps des engelures plus ou moins superficielles. Étourdi par la douleur, le balafré aux cheveux blancs subit un nouveau coup de fouet du démon, tandis que les amis de Geralt commençaient à s'approcher pour intervenir. Néanmoins, ils hésitaient à attaquer le démon. La féline Femme des Bois proposa à son partenaire de perle magique de prendre sur elle une éventuelle nouvelle blessure, mais il déclina son offre. Le démon fit claquer son fouet une troisième fois pour des blessures encore un peu plus profondes et douloureuses, avant de ranger nonchalamment son fouet à sa ceinture. Drilun et Taurgil furent plus que tentés de mettre un terme à la vie du démon, mais Vif, à travers l'esprit de Geralt, rappela qu'ils avaient besoin de la magie d'Andalónil, et ce dernier le savait. En fin de compte, la rage au cœur pour certains, ils le laissèrent s'envoler dans les airs qui commencèrent à souffler et à se refroidir : un blizzard arrivait qui allait faire retrouver au secteur des conditions hivernales...

Un abri avait été fait où Vieille Mère Fumée et la viisas qui l'avait aidée s'étaient retranchées, et où elles avaient préparé le rituel pour aider à résister aux charmes de la Sirène de Glace. Il y avait déjà eu bien des discussions, et le groupe avait décidé de faire profiter du rituel Taurgil et Geralt, qui semblaient moins protégés aux pouvoirs de séduction de Jäänainen : l'amour d'Isilmë pour Drilun, et leurs pouvoirs magiques, notamment l'aura lumineuse de l'elfe ou le bâton de lumière du Dunéen, semblaient plus qu'efficaces. Et l'incroyable volonté du nain, et sa résistance innée à la magie, feraient sans doute aussi très bien l'affaire. Pendant que le blizzard soufflait, le Dúnadan et l'Eriadorien, après un sort d'Isilmë pour stabiliser les blessures dues au fouet d'Andalónil sur ce dernier, participèrent donc au rituel. Pendant ce temps, leurs amis restèrent dehors, au contact du marteau de Galgrin qui protégeait magiquement du froid, pour ceux qui en avaient besoin. Par ailleurs ou par la suite, les hommes du groupe se partagèrent six paires de bouchons d'oreille que Vieille Mère Fumée et la viisas avaient préparés. Dwimfa prit celui qui occultait à peu près tout son, car il craignait de ne pouvoir résister aux charmes de la Sirène. Deux étaient à peine moins efficaces et furent remis à Drilun, qui n'entendait plus rien avec, et Geralt. Et trois autres, moins efficaces encore, allèrent sur les oreilles de Taurgil, qui avait sa magie pour renforcer sa volonté, de Mordin, sûr de lui de par sa race et sa volonté, et de Rob, qui n'intéresserait sans doute pas la Sirène mais qui n'en était pas totalement sûr... A présent, la nuit était véritablement tombée, même s'il était bien difficile de le percevoir dans le blizzard, et ils étaient tous prêts à rencontrer Jäänainen.

5 - La Sirène de Glace
Dwimfa choisit de rejoindre les deux Lossoth dans la tente et de ne pas participer à la rencontre. Prudent, il ne voulait pas tenter la Sirène par sa présence - surtout depuis qu'il avait autant grandi - et se faire séduire par l'esprit. Isilmë et Drilun se mirent à chanter dans le vent et le froid, vantant leurs multiples qualités - surtout celles de Drilun - et répétant souvent le nom de Jäänainen, comme un refrain. Ils espéraient ainsi stimuler son intérêt pour eux et la faire venir ici. Ils ajoutèrent aussi des passages concernant la prochaine venue de Durlach et les conséquences que cela aurait s'il tuait tout le monde : Vieille Mère Fumée avait bien souligné que la Sirène de Glace aimait être le centre de l'attention, comme un enfant gâté. Si elle n'avait plus personne à la craindre, cela ne la mettrait sûrement pas de bonne humeur...

Et au bout du compte leur appel fut entendu. Drilun avait lancé un sortilège de paysage fantomatique qui éclairait très légèrement les environs, afin de pouvoir y voir sans pour autant faire fuir le maléfique esprit du froid allergique à la lumière. À travers les bourrasques de neige, ils entendirent une voix incroyablement claire et agréable demander qui l'appelait et la tirait de son sommeil, tandis que la forme féminine la plus ravissante que quiconque avait jamais contemplée apparaissait petit à petit, telle une dormeuse très légèrement vêtue qui venait à peine de quitter son lit. Elle demanda à ses interlocuteurs quel était leur nom, à eux qui connaissaient le sien. Mordin prit la parole en premier, tentant de parler de défi, de contrat, et éludant la question des noms. Mais bientôt il accepta de les donner tous en guise de confiance et bonne foi. Il indiqua à Jäänainen les noms de chacun de ses compagnons masculins et lui-même, y compris l'Homme des Bois resté sous la tente.

Le nain reprit sa tentative d'intéresser la Sirène à l'élimination de Durlach, qui serait bientôt libéré du Puits de Morgoth, mais la belle ne paraissait nullement intéressée. Après tout, s'il voulait tout détruire, grand bien lui fît, elle irait ailleurs où elle trouverait d'autres hommes pour servir de jouet... En revanche, elle semblait plus intéressée par la perspective de séduire les divers membres de l'équipe présents, même si elle ne jeta qu'un œil distrait à Rob, qui se faisait tout petit, en retrait. En particulier, ses yeux malicieux étaient très attirés par Drilun, car le rapprochement protecteur qu'avait eu Isilmë à l'égard de son grand ami n'avait pas échappé à l'esprit du froid. En fait, l'elfe avait même utilisé ses propres pouvoirs elfiques pour charmer l'homme qu'elle aimait, et bien entendu ce dernier n'avait rien fait pour résister à ses charmes magiquement augmentés. Il en était tombé encore plus amoureux que jamais, et leur attachement était clairement visible... et il sonnait comme un intéressant défi pour Jäänainen.

Au bout du compte, elle accepta donc le défi, non sans un peu de marchandage au préalable. Il fut donc convenu qu'elle aiderait les aventuriers si jamais elle ne pouvait réussir à séduire au moins deux des hommes de l'équipe. Rob espérait ne pas faire partie du lot, mais comme la Sirène n'avait pas vraiment d'yeux pour lui, il fut en partie rassuré. La suite lui montra qu'il avait eu raison, même si les choses auraient peut-être pu se passer différemment. En tout cas il vit Jäänainen jeter son dévolu sur le couple enlacé au milieu d'eux. Isilmë s'était entourée de son aura elfique censée la protéger des charmes de la Sirène de Glace, et protéger en partie son homme également. La peur de l'elfe était bien palpable aux yeux de l'esprit, ce qui rendait ce premier défi bien intéressant pour elle, et elle commença à appeler Drilun tout en lui faisant des signes de la main, avec un air enjôleur à faire fondre des statues. Elle faisait des signes car la lionne enchantée s'était mise à rugir, si bien que les paroles de la Dame de Glace étaient perdues dans le bruit. De toute manière Vif n'avait pas à s'en faire, car les bouchons d'oreille étaient tels, et l'ouïe du Dunéen, si elle était bonne, n'avait rien d'exceptionnel, si bien qu'il ne comprenait goute à ce qui se disait, dans le vent du blizzard qui les couvrait tous.

Jäänainen s'approcha d'eux jusqu'à se trouver à la limite de l'aura de lumière de l'elfe. Mais, voyant que ses charmes n'opéraient nullement, et que le cœur de Drilun semblait bien accroché à celui d'Isilmë, elle s'approcha un peu plus du couple. Ce à quoi l'elfe réagit en hurlant à l'oreille de son amour de faire de la lumière magique avec son bâton, par amour pour elle. L'air un peu dépassé par les événements, mais répondant au souhait de sa belle, l'archer-magicien utilisa le bâton magique qu'il avait à la main pour faire une lumière magique sur quelques pas autour d'eux. La lumière n'était pas très intense mais elle semblait néanmoins affecter l'esprit du froid, et elle provenait de la seule magie du bâton, elle ne demandait aucune énergie à Drilun. L'archère elfe serrait très fort son aimé entre ses bras, son dos tourné vers la Sirène en une embrassade possessive et protectrice, le bâton de lumière entre eux deux, pour qu'elle ne pût pas l'arracher par un rapide mouvement. Et l'elfe continuait à hurler à l'oreille de Drilun qu'elle l'aimait et qu'ils resteraient toute la vie ensemble, et tous les mots séduisants et aimants auxquels elle pouvait penser pour garder son amour auprès d'elle. Jamais ses amis ne l'avaient vue si communicative et déterminée...

Au bout du compte la Sirène de Glace pénétra aussi la lumière du bâton, avec un déplaisir manifeste, et ses doigts s'approchèrent du corps et du visage de l'archer-magicien. Isilmë lui réclama en hurlant encore plus de lumière, mais elle n'en eut pas besoin : de lui-même, sentant la menace d'être privé de son amour, il utilisa sa volonté et sa maîtrise du bâton pour nettement accroître l'intensité de la lumière magique qu'il émettait. Ce fut trop pour Jäänainen, qui s'éloigna rapidement du couple avec une grimace de douleur au visage. Elle regarda les deux aventuriers avec une moue de mépris, parlant avec dédain de ces magiciens qui utilisaient leur magie et leurs colifichets pour lui résister. Manifestement, elle appréciait peu d'avoir été éconduite de la sorte, et Taurgil se demanda si Drilun et Isilmë n'en avaient pas un peu trop fait. Peut-être auraient-ils à le payer plus tard. En tout cas, il eut vite autre chose à penser, car, avec un nouveau sourire tout frais et trop beau pour être réel, la Sirène de Glace se tourna vers lui.

6 - Séduction de roi
Même si Drilun avait été bien plus mis en valeur par Isilmë dans sa chanson, Taurgil, descendant des rois du Rhudaur, n'était tout de même pas loin derrière. Avec cela, sa taille et le reste de son physique en imposaient par eux-mêmes. Certes, il n'avait pas de compagne ou petite amie pour lui tourner autour et pimenter un peu ce jeu de séduction pour la Dame de Glace, mais néanmoins elle semblait anticiper ce défi avec plaisir. Afin de mettre toutes les chances de son côté, il utilisa sa magie de roi pour renforcer sa volonté et mieux résister à la tentation. Sans doute Jäänainen le perçut-elle, et cela n'eut pas l'heur de lui déplaire. Au moins n'utilisait-il pas de la lumière, dont elle avait horreur, comme l'elfe et le magicien de l'équipe. Par ailleurs, elle pouvait sans doute sentir que le grand Dúnadan appréhendait un peu cette épreuve, malgré toutes leurs précautions. Cela rendait le jeu encore plus intéressant pour la Sirène...

Elle s'approcha donc de lui, comme la plupart des autres aventuriers en fait. Vif rugissait tant et plus qu'il ne pouvait rien entendre, d'autant qu'il portait des bouchons d'oreille qui rendaient tous les sons indistincts : ni les paroles mielleuses et enjôleuses de l'esprit des temps anciens, ni les paroles de soutien de l'archère elfe, même moins inspirées que quand il s'était agi de protéger Drilun... Le descendant des rois du Rhudaur fit un signe à ses compagnons, leur demandant de ne pas approcher trop près : il ne tenait pas à ce que Jäänainen se sentît encore une fois agressée par la lumière du bâton du Dunéen, qui comprit son ami et en réduisit la portée. Néanmoins, Isilmë s'approcha suffisamment pour lui permettre de profiter de son aura elfique qui gênait la Sirène de Glace. Mais personne n'empêcha cette dernière de venir au contact du grand rôdeur, et lui-même ne se déroba nullement. Il n'avait d'yeux que pour la séduisante créature, et il devait bien admettre qu'elle faisait réagir son corps, et pas qu'un peu !

Elle arriva donc à son contact et l'enlaça tendrement, le laissant tête nue en un tournemain, les bouchons d'oreille envolés et plongés dans l'eau glacée à travers un trou dans la banquise apparu comme par magie. Néanmoins les rugissements de la lionne enchantée, très proche, étaient tels qu'il ne pouvait rien comprendre. A dire vrai il en avait même mal aux oreilles, qui allaient bourdonner encore un moment après cette expérience, mais sans dommage aucun heureusement. De toute manière, Jäänainen n'avait vraiment pas besoin de sa voix pour le charmer. Son apparence était vraiment incroyablement séduisante, ses attitudes discrètes et très suggestives à la fois, ses gestes entièrement tournés vers la séduction du grand mâle qu'il représentait pour elle. Ses yeux à lui étaient rivés sur elle, il transpirait, tremblait et ne sentait que trop bien le désir et l'attirance en lui, qu'il combattait du mieux qu'il le pouvait. Et ce n'était pas facile, loin de là !

Heureusement, sa volonté était bien raffermie par sa magie de descendant de roi dúnadan. Néanmoins il sentait bien qu'elle n'était pas suffisante. Par contre, le rituel que Vieille Mère Fumée et la viisas avaient fait sur Geralt et lui prenait tout son sens : malgré les rugissements de la lionne, le bruit du vent dans le blizzard où ils se trouvaient, des petites voix à ses oreilles - ou était-ce dans sa tête ? - lui rappelaient qui il était, et l'amour que ses amis avaient pour lui, les gens qui comptaient encore sur lui pour se battre contre Angmar... Il avait même l'impression de pouvoir lire sur les lèvres d'Isilmë qui l'encourageait, et il percevait mieux que jamais l'inquiétude dans les yeux de ses amis et leur attachement pour lui. Cela lui fut difficile, mais en fin de compte il arriva à s'arracher à la contemplation de la Sirène de Glace. Son émoi et sa douleur étaient palpables, si bien qu'elle accepta la défaite avec un sourire. Il avoua qu'il ne risquait pas de l'oublier, et elle répondit de même, et que cela avait été un intéressant défi, même si elle l'avait perdu. Mais elle savourait son trouble manifeste, et peut-être avait-elle également apprécié son fair-play qui lui avait fait refuser le soutien trop facile de la lumière du bâton de Drilun. Cela avait été limite, mais il avait bien joué, et d'une certaine manière il avait satisfait Jäänainen, qui se détacha de lui.

Si elle avait un sourire en s'éloignant du géant, en revanche sa bouche était bien plus dure quand elle confronta la lionne enchantée. Celle-là était bien trop efficace, et elle tenait à lui clouer le bec une bonne fois pour toutes ! Vif recula devant l'approche de la Sirène, sur la défensive, pendant que Drilun et Isilmë suivaient pour faire bénéficier à leur amie de la protection de l'aura lumineuse de l'elfe. Les paroles de Jäänainen étaient toujours noyées dans les rugissements, la féline Femme des Bois ne pouvait percevoir les paroles de la créature ancienne à son égard, mais elle sentit très nettement le pouvoir à l'œuvre sur elle : la Sirène utilisait sa magie pour la forcer à se taire, et d'une manière assez directe à présent. Heureusement, elle était trop bien préparée pour cela, et sa volonté était trop forte. Elle jeta dans sa lutte mentale des trésors de volonté, focalisée sur la résistance à cet esprit maléfique qui voulait lui faire fermer son clapet... et elle résista haut la main. La Dame de Glace le sentit et n'insista pas plus. Avec un soupir de résignation, elle se tourna vers Geralt.

7 - Les souffrances de l'assassin
Ce dernier sentit un peu de sueur lui couler entre les omoplates. Vraiment, il n'était pas pressé de la voir venir, et puis pourquoi donc ne commençait-elle pas par Mordin ? Ce dernier n'avait pas arrêté de se vanter, disant à la Sirène que ses tours ne lui faisaient ni chaud ni froid ; et l'opiniâtreté des nains était bien connue, donc elle aurait dû se tourner vers son ami plutôt que vers lui, non ? Elle qui aimait les défis, que représentait-il pour elle ? Il avait suivi avec intérêt la lutte interne sur le visage de son ami dúnadan, et il avait bien noté à quel point le combat avait été limite. Et lui n'avait pas de magie des rois pour le soutenir face à la Sirène. D'accord, il avait aussi des bouchons d'oreille - ils fonctionnaient si bien qu'il entendait mieux par les sens de Vif que par ses propres oreilles à lui - mais de toute manière les rugissements de son amie couvraient vraiment tout.

Oui, son passé d'assassin de Tharbad l'avait habitué à côtoyer des prostituées et il connaissait très bien toutes leurs techniques, il maîtrisait très bien lui-même le langage émotionnel, sachant inspirer peur (le plus souvent), intérêt ou encouragement, voire désir, comme lorsqu'il contait les récits de leurs nombreuses aventures à un auditoire subjugué. Mais là, il avait vu la créature à l'œuvre, et il était clairement surclassé, et de très loin. Il n'avait jamais rencontré quelqu'un d'aussi séduisant, tant dans son apparence que par son attitude ou ses paroles. A part peut-être avec le Prince des Chats et son affreuse tête magique, jamais il n'avait rencontré de créature avec un tel charisme. Et puis les coups de fouet d'Andalónil, peu de temps auparavant, l'avaient secoué physiquement (bien sûr) mais aussi émotionnellement. Dire qu'il ne se sentait pas parfaitement prêt à se confronter à Jäänainen tenait plus d'une aimable litote. Une personne au langage plus direct aurait pu dire qu'il était à deux doigts de faire dans son froc...

La Dame de Glace percevait très bien les doutes du balafré, et elle savourait déjà sa probable victoire. Ainsi, cela affecterait certainement le moral de ses amis et notamment du nain, qui serait ainsi plus facile à attendrir avant de le manger tout cru. Elle pouvait donc encore gagner le défi et ne pas avoir à affronter Durlach par la suite. Elle s'approcha donc de l'Eriadorien avec intérêt et excitation, constatant que son corps couturé, elle le sentait, réagissait déjà très bien à sa présence un peu distante. Elle s'approcha donc de lui, accompagnée toujours par les rugissements de la lionne enchantée et l'aura magique d'Isilmë. Lui au moins n'avait aucune magie active pour diminuer la portée de sa séduction, et il n'avait pas l'air en grande forme... Elle avait jusqu'ici été plutôt surprise de la résistance de ces aventuriers, mais elle sentait que le pain blanc venait juste de lui être servi, et elle en avait l'eau à la bouche...

Et Geralt fut bientôt dans la tourmente. Ah oui, pour ça, son corps réagissait très bien, trop bien même, et son esprit ne désirait qu'une chose, c'était de s'abîmer dans le corps divin qui l'enlaçait tendrement, en oubliant tout le reste du monde. Il n'entendait rien à ce qu'elle disait, mais il l'imaginait parfaitement, malgré les esprits nés du rituel de protection qui lui chuchotaient à l'oreille, ou dans son esprit douloureux, à quel point des gens tenaient à lui et souhaitaient qu'il résistât à la Sirène de Glace. Elle n'eut même pas besoin de lui ôter ses bouchons d'oreille, de toute manière ils ne servaient à rien avec le vacarme que faisait la lionne enchantée. Oui, il souffrait vraiment, tellement en fait que la douleur égarait ses sens surchauffés : il s'aperçut en fait que, tout en rugissant à ses côtés, Vif appuyait d'une patte sur les endroits où le fouet d'Andalónil lui avait fait le plus mal. La douleur physique était insupportable et son esprit noyé sous la douleur était bien plus difficile à séduire par la vue du corps ou des attitudes de Jäänainen. Ses caresses étaient impossibles à percevoir tant la douleur des blessures réveillées par la lionne enchantée noyait tout son sens du toucher.

Ce mélange de souffrance et de désir était presque trop pour Geralt. Mais, comme Taurgil avant lui, il finit lui aussi par s'arracher à la contemplation de la Sirène de Glace. Il suait, tremblait, désirait, souffrait, et jamais il n'avait pensé qu'il souhaiterait un jour quelque chose d'encore plus fort qu'une bonne sieste dans un lit chaud et moelleux. Mais c'était bien le cas ici, et il désirait avant tout ne plus rien sentir. Mais il restait lui-même, et, stimulé par ses amis, la souffrance ou les esprits du rituel, il résista à la séduction de la créature ancienne qui l'enlaçait. Lui non plus ne risquait pas d'oublier ce moment, et Jäänainen finit par avouer qu'elle avait bien perdu, mais néanmoins qu'elle garderait un très bon souvenir de cette lutte. La souffrance du maître-assassin était comme un baume pour elle, et elle se tourna alors vers le nain. Bon, si elle arrivait à le faire tomber, elle pourrait encore s'amuser avec le semi-homme et s'éviter toute obligation future...

8 - Nain amoureux
Mordin n'eut même pas le temps de prononcer ses habituelles bravades, de dire à quel point il se moquait haut et fort des efforts de la Sirène de Glace et tout le plaisir qu'il allait prendre à la ridiculiser sous son écrasante volonté. Habitué aux confrontations verbales, il s'y était plus ou moins préparé, jugeant sévèrement les efforts limites de ses amis pour résister à l'esprit des temps anciens. Ses traits d'esprits fusaient déjà dans sa tête, sa gorge était déjà chaude d'anticipation, prête à déclamer avec force ses quatre vérités à la créature. Mais, plus rapide que l'éclair, elle fut d'un coup sur lui, roulant un peu à l'écart et hors de portée de l'aura elfique d'Isilmë. Comment avait-il pu perdre son casque et ses bouchons d'oreille aussi vite ? Comment se faisait-il qu'il comprenait ce qu'elle disait à son oreille, au-dessus des rugissements de la lionne enchantée qui, prise de vitesse, se rapprochait rapidement. Sauf peut-être lorsque Geralt prenait une noix de l'écureuil, Vif n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi rapide. La Dame de Glace avait marqué un point, et le nain risquait d'en souffrir. Serait-il à la hauteur, malgré ses grands airs et sa volonté ?

Même pour des nains, Mordin était connu comme ayant une volonté quasi inégalée, et sa grande gueule était légendaire dans tous les endroits où il avait officié. Mais s'il y avait une technique de communication qu'il ne s'était jamais abaissé à maîtriser, c'était bien celle de la séduction et des jeux de l'amour. Et il était à présent confronté à une experte qui jouait avec les codes de la séduction depuis plusieurs milliers d'années au moins. Vieille Mère Fumée avait bien prévenu qu'il arrivait à Jäänainen de s'attaquer à des nains ou des hobbits parfois : tous les mortels étaient susceptibles de tomber dans ses rets... et il était en train d'y tomber à présent. Il ressentit quelque chose qu'il n'avait jamais éprouvé auparavant : il était en train de tomber amoureux. Il avait envie de suivre la Sirène de Glace partout où elle lui demanderait d'aller, et de se lier à elle pour l'éternité. Il goûtait avec avidité à ses baisers, son corps réagissait comme celui d'un adolescent et il ne cherchait même plus à le maîtriser, maudissant même son armure pour la gêne qu'elle lui provoquait. Elle l'avait séduit.

Sentant sa victoire, Jäänainen laissa alors sa magie pénétrer en lui pour l'enchaîner définitivement à sa volonté. Quel plaisir elle aurait à le faire mourir de froid sous les yeux de ses compagnons... Pourtant, malgré ses efforts, une partie du nain refusait d'admettre la défaite. Oui, il était conquis, il ne désirait rien de plus que la suivre, mais lorsqu'elle lui suggéra de partir avec elle, chez elle, les yeux pleins de larmes du nain lui opposèrent un refus attristé. Il ne pouvait le faire, il devait auparavant terminer ce qu'il s'était engagé à faire, il devait libérer le Grand Nord de plusieurs esprits maléfiques, anciens lieutenants de Morgoth. Pas Jäänainen, non, elle devait attendre qu'il revînt lorsque tout cela serait terminé. Sa volonté immense, sa droiture et son côté inamovible avaient eu raison de ses émotions, de son amour nouveau pour la créature magnifique qui était à ses côtés : qu'il l'aimât était une chose, et il pouvait la désirer tout ce qu'il voulait et toutes les larmes de son corps. Mais il avait d'autres priorités, et sa volonté était tout simplement inflexible, malgré toute la souffrance qu'il pouvait en éprouver. Il était amoureux, oui, mais il n'était nullement la créature de la Sirène de Glace.

Ladite Sirène en fut quelque peu estomaquée. Arriver à séduire "normalement" un mortel sans pouvoir l'affecter magiquement, ce n'était pas une expérience très courante. D'un autre côté, en voyant à quel point son entêtement le déchirait intérieurement, elle ne put qu'être satisfaite. Oui, d'un côté elle avait perdu, elle n'avait pas réussi à en faire sa créature, elle ne pourrait pas lui faire faire quelque chose de contre nature comme se laisser mourir de froid ou combattre ses amis. Mais, là encore, elle aurait plaisir à se souvenir de l'intensité de sa douleur d'amoureux éconduit par sa propre volonté. D'un autre côté, elle avait donc gagné.

Elle s'arracha donc à l'étreinte qu'elle avait initiée, au grand désespoir de Mordin qui aurait voulu s'accrocher à elle. Elle reconnut sa défaite aux aventuriers, et n'eut même pas un regard pour Rob. De toute manière elle devrait respecter sa part du contrat, qui ne lui déplaisait pas tant que ça de toute manière. Le semi-homme ne l'intéressait de toute manière pas assez. Et avec toutes les émotions qu'elle venait d'éprouver, elle se sentait plutôt l'âme agressive, et elle se dit qu'un peu de défoulement ne lui ferait sans doute pas de mal. Mine de rien, elle avait passé une excellente soirée, de celles qu'elle ne risquait pas d'oublier. Elle abandonna là le groupe en disant qu'elle attendait leur prochain appel, puis elle partit sur la banquise, et le blizzard se referma bientôt sur elle. Mordin pleurait, et pendant plusieurs jours après cela, ses amis l'entendirent appeler Jäänainen dans son sommeil...

9 - Suite à donner
Rassurés de l'issue du défi avec la Sirène de Glace, voire joyeux de bientôt pouvoir peut-être régler son compte à Durlach, les aventuriers se rassemblèrent. Ils furent vite rejoints par Dwimfa et Vieille Mère Fumée, qui les félicita pour leur prouesse. Elle fut d'ailleurs elle-même chaudement félicitée par Taurgil pour la qualité de son rituel de protection sans lequel il aurait certainement succombé. Malgré le stress de cette rencontre pour le moins inhabituelle, les aventuriers pouvaient se congratuler de l'avoir si bien maîtrisée. La magie d'Isilmë avait été précieuse, de même que ses encouragements que sa magie avait amplifiés, si bien qu'ils avaient été perçus même sans pouvoir entendre ses paroles la plupart du temps, à l'exception de Drilun. Ce dernier était sur un nuage, sous le charme de sa belle, qui regrettait sans doute de devoir arrêter son sort. Et que dire des rugissements de Vif, qui avaient ôté à Jäänainen son atout le plus précieux : sa voix.

Pourtant, Geralt se dit qu'en ce qui le concernait, il y avait eu autre chose qui avait joué plus que le rituel des Lossoth ou l'aura d'Isilmë. Malgré qu'il en ait, il devait reconnaître que les blessures infligées par Andalónil avaient été déterminantes dans sa capacité à résister aux séductions de la Sirène de Glace. Il ne savait pas s'il devait maudire le démon ou le remercier pour cela. En tout cas, cela ne l'empêcha pas de remercier aussi Vieille Mère Fumée : même avec la douleur des blessures, que Vif avait su si bien utiliser, il sentait qu'il n'aurait pas pu résister sans l'aide du rituel et ses petites voix réconfortantes. A présent, il avait mal partout, et demanda à ses amis comment procéder à la guérison de ses blessures magiquement stabilisées. Les ressources en athelas étaient limitées, ses blessures à lui étaient graves mais pas mortelles, peut-être valait-il mieux garder l'athelas et la magie des mains de roi du Dúnadan pour les cas vraiment sérieux. Le baume orc peut-être ? Même s'il n'aimait pas la souffrance qu'il causait, il n'était plus à cela près, sans parler de quelques cicatrices en plus. Mais, là encore, il estima que cela pourrait servir ailleurs. Isilmë utilisa sa magie pour l'aider à guérir, et le repos - aidé magiquement - ferait le reste. En deux jours il pourrait être sur pied.

Les aventuriers pouvaient-ils se permettre de patienter deux jours ? Le blizzard commençait à diminuer, la magie de leur "ami" Andalónil devait cesser de faire effet, peut-être l'avait-il maintenue tant qu'il avait perçu que la confrontation avec Jäänainen se poursuivait. De toute manière, tant Gillowen que Canadras devaient participer au rituel, dont beaucoup de détails restaient à déterminer. Par conséquent, deux jours ne seraient certainement pas de trop. En attendant, la magie de Drilun pouvait lui permettre de maintenir un temps très froid, avec de la neige, pour empêcher la fonte de la banquise que le démon du froid avait restaurée. Ils pourraient donc refaire appel à Jäänainen sans requérir encore les services d'Andalónil, et se passer de ses coups de fouet.

Le maître-assassin fut donc bientôt en train de dormir d'un sommeil magiquement récupérateur. Il fut bientôt suivi par d'autres membres de l'équipe, malgré l'arrivée prochaine du soleil. La fenêtre de confrontation avec Durlach était mince, car, sans même connaître la durée possible de l'invocation magique du Balrog, la Sirène de Glace ne pouvait être présente en journée, et la nuit était de plus en plus courte. Oui, beaucoup de choses dépendraient de ce que diraient et feraient Gillowen et Canadras. Normalement le rituel était censé se faire en présence de grands feux, avec des roches ignées, et à travers la destruction d'objets magiques ou précieux nombreux, et le sacrifice d'un grand nombre de créatures intelligentes : autant que le propre volume physique du démon de feu, qui, aux dires des elfes, était plus grand que le plus grand des dragons. L'utilisation de la gemme de feu de Zigûr, le spectre sorcier trouvé sous les montagnes, permettrait normalement de s'affranchir de ces contraintes, selon Gillowen, mais qu'en était-il des détails, de la durée, de la maîtrise du Balrog, et bien d'autres choses ? Beaucoup de questions, très peu de réponses, et qui ne dépendaient pas que d'eux.

En tout cas, Vieille Mère Fumée leur dit que malgré le blizzard causé par le démon, les rugissements de la lionne enchantée avaient dû être entendus à des lieues à la ronde, et le site resterait certainement vide de Lossoth pour encore un bon moment. De toute manière elle allait passer les deux jours à venir à dire à tous de partir le plus loin possible, une confrontation entre esprits malfaisants du Grand Nord étant imminente. Ce serait toujours un souci de moins pour les aventuriers. La vieille Femme des Neiges les étonnait tout de même : elle n'avait pas l'air apeurée le moins du monde, elle semblait même attendre leur prochain combat avec une certaine excitation. On ne pouvait en dire autant de tous les aventuriers...
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Niemal
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Grand Nord - 40e partie : un rituel complexe et difficile

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1 - Rituel d'invocation
Après la confrontation avec la Sirène de Glace, le groupe se réunit sous la tente qui avait servi au rituel de protection, sur la berge proche. Avant même de plonger dans un profond et nécessaire sommeil réparateur, les questions fusèrent sur le futur rituel pour invoquer Durlach. Quelles étaient les conditions de sa réalisation ? Drilun, pour ce qu'il s'en souvenait, expliqua qu'il s'agissait d'un rituel d'une heure qui aurait lieu dans un cercle de dix à trente pas de rayon sur lequel pouvaient prendre place divers magiciens intervenant dans le rituel, voire même d'autres lanceurs de sort qui étaient susceptibles de fournir de l'énergie magique. Le cercle pouvait être tracé sur le sol de diverses manières, et des lignes tracées pour aider à focaliser les énergies magiques des participants. Mais surtout, trois éléments étaient essentiels au bon fonctionnement du rituel :
- la présence sur le site du rituel de roches ignées, volcaniques ou plutoniques (basalte, granite, obsidienne...) en grande quantité
- la destruction par le feu d'objets magiques de grande puissance ou pierres précieuses de grande valeur
- le sacrifice par le feu d'un nombre de personnes intelligentes équivalent, en volume, à celui du Balrog

L'absence totale de l'un de ces éléments signifiait l'échec automatique du rituel. La présence des éléments mais en volume insuffisant augmentait la difficulté, déjà bien élevée, de l'invocation magique. De l'eau et de la glace présents en abondance, éléments contraires au démon de feu, augmentaient la difficulté du rituel. En revanche, la présence d'une personne ou d'un objet lié magiquement au Balrog, ou contenant une part de son essence, faciliterait le rituel. Tous les sacrifices, toutes les destructions devaient se faire au centre du cercle, par le feu, feu dans lequel apparaîtrait alors Durlach. Tout objet ou personne liés au Balrog devait également se trouver au centre. Le rituel pouvait durer plus d'une heure, ce qui faciliterait sa réalisation, mais vu les nuits courtes en cette saison, et la présence nécessaire de Jäänainen, leur marge de manœuvre était très limitée.

En pratique, les aventuriers ne pensaient pas avoir avec eux les roches nécessaires, ce qui posait un premier problème. Par contre, ils avaient récupéré sur les corps des anciens amis aventuriers de Dwimfa deux fabuleuses gemmes qui feraient certainement l'affaire pour ce qui était de la destruction de pierres précieuses de grande valeur, même si cela risquait de provoquer une crise cardiaque à Mordin. Alternativement, ils avaient aussi nombre d'objets magiques dont ils pourraient peut-être se défaire. En revanche, le sacrifice nécessaire de créatures intelligentes, et surtout le volume nécessaire, représentait un défi manifestement insurmontable. D'après les évaluations données sur la taille et le volume du Balrog, il aurait fallu des milliers d'orcs, ou bien un grand nombre de trolls, de géants, voire plusieurs dragons, les plus gros (et anciens) le meilleur. Ce qui était manifestement impossible à réaliser, surtout sur de la glace tout sauf épaisse. C'était d'ailleurs un intérêt de faire le rituel ici, puisque l'apparition de Durlach ferait s'effondrer la glace sous son poids et le précipiterait dans l'eau glacée, qui éteindrait son feu et le rendrait plus vulnérable.

Une seule des trois conditions était remplie, la destruction de pierres précieuses, deux autres ne l'étaient pas du tout, la présence de roches venues des profondeurs du monde et le sacrifice d'êtres intelligents. Elles pourraient éventuellement l'être, partiellement, ce qui voulait dire apporter quelques roches et au moins un être intelligent sur place, vivant, pour la durée du rituel - les morts et destruction n'intervenaient qu'à la fin du rituel, dans un grand feu. Mais même si le rituel d'invocation paraissait possible ainsi, théoriquement, la difficulté rendait le niveau de réalisation proche de l'impossible. La présence du rubis de Zigûr, qui contenait une part de l'essence de Durlach, diminuait le niveau de difficulté, mais c'était compensé par la présence de la banquise, contraire à l'élément de feu du rituel. Cela étant, rendre le rituel plus "fragile", c'est-à-dire sans faire du cercle au sol une barrière infranchissable pour le démon, facilitait le rituel. Il n'était plus vraiment impossible, mais juste extrêmement difficile, une folie à entreprendre.

D'autres éléments venaient compléter la vision d'ensemble que les aventuriers pouvaient se faire du rituel. Ainsi, au moins trois magiciens, capables de faire des rituels magiques à un niveau similaire, pouvaient combiner leurs compétences pour atteindre un niveau supérieur. Ce qui ferait descendre la difficulté à un niveau "seulement" redoutable, accessible à des maîtres en magie. Or, qui était susceptible de participer à un tel rituel de manière active ? Drilun bien sûr, qui avait appris les arcanes du rituel en question. Il utilisait une magie un peu différente, mais similaire, ce qui réduirait certainement la qualité de sa compétence, mais le niveau à atteindre paraissait à sa portée. Dwimfa était aussi un peu compétent dans ce type de magie, mais il n'avait pas la même expertise que le Dunéen dans la magie en général. Gillowen, ancienne amie de l'Homme des Bois, était une grande magicienne et elle semblait à même de remplir les conditions. Andalónil pourrait sans doute s'avérer compétent, mais sa fiabilité posait question. Et puis certains observèrent que Vieille Mère Fumée avait réalisé, avec l'aide de la viisas, un rituel de protection très réussi. Ne pourrait-elle participer à leurs côtés ?

2 - Questions avant de dormir
Malgré la fatigue accumulée, le sommeil ne venait pas aux aventuriers, qui se lancèrent dans une tempête de questions, interrogations et supputations concernant le rituel : pouvait-il se faire près de la côte, pour faciliter la fuite des participants après coup ? Pouvaient-ils attirer un dragon au début du rituel, pour le sacrifier par la suite ? Ou une baleine assez grosse pour atteindre le poids du Balrog ? Où trouver des roches nécessaires au rituel ? Comment préparer le rituel pour qu'au moment de l'arrivée de Durlach, seule la glace sous son être s'effondre, sans précipiter dans l'eau glacée - ou bouillante par la présence du démon - les participants au rituel ? Qui pouvait participer au rituel comme aide secondaire ? Que feraient les autres pendant ce temps ? Canadras ne pouvait-il réaliser le rituel, lui qui l'avait enseigné à Drilun et était un formidable magicien ? Geralt, blessé, démoralisé et amer, n'hésita pas à dire et répéter qu'ils allaient tous mourir, et que s'il avait su par avance que ce serait si difficile, il aurait préféré faire le rituel chez Eloeklo, en montagne...

La question des roches provenant du centre de la terre fut facile à aborder : d'après les questions posées à Vieille Mère Fumée, la source de telles roches la plus proche n'était rien d'autre que... les montagnes d'Angmar. Même si l'idée d'aller y faire une excursion ravissait d'avance le Dúnadan de l'équipe, dont la vie était vouée à la guerre contre le royaume du roi-sorcier, les montagnes étaient bien trop lointaines (au moins une semaine de trajet), vu le temps qui leur restait. Et les Montagnes de la Désolation, où se trouvait Eloeklo, étaient encore plus loin, plus au nord. Donc, hormis moyens aériens comme par exemple ceux conférés par un dragon-taxi, aller se servir sur place ne semblait pas à l'ordre du jour. Plusieurs firent remarquer qu'il existait des reliefs plus proches que les montagnes précédemment citées, mais Vieille Mère Fumée précisa qu'il s'agissait de massifs calcaires, dont les roches ne semblaient pas convenir. Certains remarquèrent que les aventuriers possédaient certains objets faits de telles roches, comme une épée courte taillée dans une sorte de verre plus dur que l'obsidienne. La nommeuse d'esprit lossoth fit cependant une remarque : considérant ce qu'avait dit le magicien du groupe, elle pensait que plus une roche était travaillée et transformée, moins elle pourrait convenir.

Le sujet du sacrifice fut plus délicat à aborder. D'une part à cause de la question du volume, d'autre part en raison de la définition du terme "intelligent" : les baleines et les phoques étaient-ils intelligents ? Certains firent remarquer avec un peu d'humour qu'on pouvait se poser la question au sujet d'Isilmë, vu sa récente transformation et sa mauvaise réputation en la matière. Il est vrai que depuis un épisode particulier de leur campagne en Forêt Sombre, où le hobbit et elle étaient partis tous les deux en forêt et avaient pris des décisions... inconsidérées, leurs amis ne rataient pas une occasion de se moquer d'eux et de les humilier plus ou moins gentiment. Cela ne fit pas rire la principale intéressée, mais elle ne réagit pas non plus. Par ailleurs, en plus des problèmes d'intelligence et de volume, la question de maintenir sur place, en vie et au centre du rituel, ces créatures vivantes pendant toute la durée de l'invocation, posait problème. Sans parler de les tuer par le feu, pour les créatures les plus volumineuses.

La question d'attirer et de tuer un dragon entraîna un débat sur sa réalisation possible. Certains avancèrent l'idée qu'il était facile de les attirer avec une puissante magie dont ils ne manquaient pas dans l'équipe, et que les dragons ailés, même habitant loin de là, pouvaient rapidement arriver sur place. Cela, plus le fait que leur volume approchait tout de même de celui du Balrog, rendait un tel projet digne d'intérêt. À cela il fut opposé plusieurs difficultés, sans même parler du problème du combat possible. Tout d'abord, le poids de la bestiole ferait craquer la glace et tout le rituel préparé sur cette dernière. Ensuite, l'immobiliser sur place - toujours vivante - pendant une heure sans détruire le rituel, et arriver à tuer une créature naturellement résistante au feu avec ce même élément, semblait plus que tiré par les cheveux. Néanmoins, quelques aventuriers firent remarquer qu'ils avaient déjà un dragon à disposition : Canadras n'était-il pas censé participer au rituel ? Ne serait-il pas facile de l'intégrer à ce dernier et de lui faire une grosse surprise à la fin ?

La question d'attirer et sacrifier les cétacés du Grand Nord comme baleines, orques et phoques, fut l'objet d'un débat plus bref. Si l'objectif était le volume, la manière de les attirer, les maintenir et les tuer par le feu était difficile à résoudre. Sans parler du problème de l'élimination ou l'affaiblissement d'une denrée précieuse pour les Lossoth. Si le but était juste de trouver un être vivant à proximité et facile à sacrifier, il n'était pas sûr du tout qu'un phoque, par définition un animal, suffirait. Certains ne manquèrent pas de voir les yeux noirs de la Vieille Mère Fumée à l'évocation de ces sacrifices. Elle précisa que déjà, en soi, la notion de sacrifice n'était pas quelque chose à considérer légèrement pour les Lossoth : oui, son peuple chassait et tuait des animaux pour se nourrir, se vêtir, vivre ou plutôt survivre ; et parfois certains des leurs, qui se sentaient plus une charge pour la communauté qu'un atout, mettaient fin à leur vie pour ne pas mettre en danger leurs proches par la consommation de ressources - nourriture surtout - qui pouvaient faire défaut. Mais cela se faisait dans une certaine harmonie. Le rituel dont il était question était en dehors de l'harmonie chère à son peuple et qui permettait sa survie. Si elle en comprenait la nécessité, pour elle il n'était pas envisageable de sacrifier des éléments "harmonieux" comme les créatures des mers et des terres qui participaient au cycle de la vie des Hommes des Neiges et de l'ensemble du Grand Nord. Sacrifier des orcs, trolls ou dragons, créatures maléfiques qui nuisaient à cette harmonie, à la limite. Mais si les aventuriers sacrifiaient de l'harmonie en prétendant que c'était un mal nécessaire pour sauver cette même harmonie, ils ne valaient pas mieux que ceux qu'ils combattaient.

Et d'autres débats eurent lieu sur la forme et la taille du rituel, la manière de préparer la glace pour optimiser l'effet sur Durlach et maximiser les chances de fuite et survie des participants, et bien d'autres. Vieille Mère Fumée, en tant que spécialiste des rituels, expliqua pourquoi la forme circulaire était la meilleure, permettant de mieux focaliser les énergies au centre du cercle. Elle donna d'autres détails, et évoqua le fait qu'elle pourrait envisager de participer au rituel. Pour l'instant, elle allait partir avec la viisas afin de prévenir leur peuple et lui permettre de vider les lieux au plus vite. Elle pensait être de retour le surlendemain, ou plutôt juste le lendemain vu que le jour était sans doute proche. Avant de partir, elle répondit aussi à une question concernant la profondeur de la baie. Schématiquement, à cent pas de la rive, la profondeur était d'une dizaine de pas, et cela se poursuivait ainsi : vingt pas de profondeur à deux cents pas de la rive, etc. Faire le rituel à une centaine de pas de la côte paraissait donc vraiment le minimum. Enfin, elle prit congé avec la viisas du village qui les avait accueillis, et les aventuriers se retrouvèrent entre eux. Il était urgent de se reposer, mais plusieurs suggérèrent d'en profiter pour discuter des multiples questions qui les taraudaient encore au sujet du rituel avec le Prince des Chats. Mordin et Dwimfa ne pourraient y participer, mais Tevildo aurait sûrement de bons conseils. Après tout, c'était dans son intérêt qu'ils faisaient tout cela. Et ils s'endormirent aussitôt.

3 - Entretien onirique
Drilun, Geralt, Isilmë, Rob, Taurgil et Vif se retrouvèrent bientôt en présence du Prince des Chats, dans un rêve qui devait être le sien, et où ils avaient tous une forme féline : la Femme des Bois avait son allure habituelle de lionne enchantée, tandis que le maître-assassin par exemple, ressemblait à une méchante boule de poils noire et blanche couverte de cicatrices. La forme féline d'Isilmë, de son côté, était représentée par un félin enroulé en boule et plus endormi que conscient. Taurgil ressemblait à un vieux matou au poil très long et brun, possible référence à sa récente transformation et à sa peau épaisse. Etc. Quant au maître des lieux, il était gigantesque, de la hauteur d'un géant alors qu'il était à quatre pattes. Pourtant, malgré sa forme menaçante, les aventuriers sentirent immédiatement qu'il était extrêmement joyeux, et il avait parfois des attitudes qui auraient pu faire penser à un chaton excité...

Les aventuriers l'interrogèrent bien vite sur les questions qu'ils se posaient, et en particulier le fait de mettre à mort Canadras à la fin du rituel. Le Prince des Chats avait manifestement suivi tous leurs débats, et, peut-être en raison de sa manifeste bonne humeur, il ne se fit pas prier pour donner son avis : il était contre. Bien sûr, le dragon avait ses intérêts en tête qui passeraient toujours avant ceux des aventuriers. Mais c'était quelqu'un plein de ressources avec lequel il était possible de marchander, quelle que fût la difficulté des échanges avec lui. En revanche, il était aussi très malin et méfiant, et il maîtrisait la magie divinatoire sans doute bien mieux que Drilun. Sachant que le hobbit n'aurait sûrement pas l'anneau elfique au doigt, celui-là même qui brouillait la magie (divinatoire entre autres), à proximité du rituel, il était à peu près certain que le dragon magicien avait sondé ou sonderait bientôt l'avenir grâce à sa magie. Espérer le tromper alors qu'il était bien plus intelligent que quiconque était un pari pour le moins risqué, pour ne pas dire suicidaire. Mieux valait le considérer comme une ressource, chère et périlleuse, certes, que comme un ennemi à abattre ou un outil à utiliser.

Il ajouta aussi, au sujet des roches recherchées par les aventuriers, qu'elles circulaient parmi les Lossoth : pointes d'obsidiennes utilisées pour les flèches, silex pour allumer des feux, pierres ponces pour divers usages de nettoyage entre autres, et autres outils faits en pierre, même si les Lossoth préféraient l'os et d'autres matériaux. Dans les villages lossoth au sud et à l'est, accessibles en moins d'une journée, il serait sans doute possible de s'en procurer. Il était aussi possible d'en demander à Canadras, mais pour le Prince des Chats, ce dernier ne se satisferait sans doute plus d'objets magiques. D'après lui, il commencerait probablement à demander une rétribution en nature pour ses services, quels qu'ils fussent, qu'il s'agît de récupérer des pierres ou de fournir des créatures intelligentes pour le rituel, comme un simple orc. Cela suffirait bien pour le rituel, et ne devrait pas poser trop de problèmes à tuer par le feu.

Il se montra plus réservé sur les participations d'autres entités au rituel ou au combat, en particulier Jäänainen : elle aimait jouer et faire durer le plaisir, et doublement, tant pour faire souffrir que pour décevoir ou tromper. Tevildo pensait donc qu'elle ne se précipiterait pas pour achever Durlach, même si elle en avait l'opportunité. D'autant qu'il était loin d'être un adversaire négligeable pour elle, même sans son élément à elle. Et donc il fallait s'assurer que le rituel était convenablement fait, car sinon il serait trop bref, l'invocation ne durerait pas, Durlach serait renvoyé chez lui avant sa mort, et la Sirène de Glace serait libérée de son contrat : elle aurait participé comme demandé, mais sans avoir le temps de terminer sa tâche... Il était donc vital de faire plus qu'assurer une réussite minimale du rituel. Il évoqua aussi le fait que, même si elle était tenue de ne pas agresser les aventuriers de manière active, elle pourrait peut-être faire en sorte de les transformer en "dommages collatéraux" lors de son combat avec le Balrog. Isilmë et Drilun devraient particulièrement se méfier, car la manière dont ils avaient gagné le défi face à la Sirène ne lui avait manifestement pas plu.

Le Prince des Chats eut également une analyse critique de la participation d'Andalónil : le démon n'était pas fiable, ses intérêts et désirs de voir les aventuriers souffrir et en fin de compte mourir - en particulier Geralt - le rendaient instable, malgré les ordres d'Eloeklo. Il pourrait être un atout si les choses se passaient mal, de manière à assurer un succès minimal de l'opération, mais à un coût le plus élevé possible pour les aventuriers, sauf sans doute pour ceux capables de participer au rituel qui pourrait invoquer Eloeklo, plus tard. Mordin, Rob ou Geralt étaient donc aisément sacrifiables. Par ailleurs, si le rituel marchait trop bien, Andalónil serait certainement susceptible d'intervenir d'une manière ou d'une autre pour compliquer les choses. Par contre, le tuer avant le rituel n'était pas une décision sans conséquence ultérieure lourde : son maître, le Démon du Vent du Nord, pourrait alors davantage prendre possession de Gillowen, et réagir d'une manière négative. En bref, pour Tevildo, Andalónil serait un handicap et probablement source de problème, mais il fallait faire avec.

Enfin, à la question posée de faire un grand feu pour détruire ou tuer objets et personnes, et invoquer Durlach, le Prince des Chats annonça qu'il y avait bien un moyen efficace, même si cela pouvait poser des problèmes aux aventuriers : briser le rubis de Zigûr, cette pierre magique qui enfermait une partie de l'essence du Balrog. La principale difficulté était qu'il était extrêmement difficile d'y arriver ; mais, selon lui, Canadras, dragon du Premier Âge et grand magicien, pourrait sans doute y arriver. Et même s'il était pris dans la magie pyrotechnique de la destruction du joyau, il serait certainement capable d'y survivre. Par contre, il risquait sans doute de faire payer très cher ce service... L'idée parut intéressante aux yeux des aventuriers, qui n'eurent pas d'autre question à poser à Tevildo. En fait ils étaient même surpris qu'il leur eut donné tant d'information gratuitement. Le Prince des Chats les renvoya alors à leur sommeil normal, dans lequel ils sombrèrent sans plus attendre. Mais ils se rappelleraient très bien de ses paroles à leur réveil.

4 - Étude divinatoire de la destruction du rubis
L'elfe avait profité d'un sommeil réparateur magique, si bien qu'elle dormit autant que les autres. Ou du moins que du nain, qui était déjà réveillé lorsqu'elle se leva. Il lui sembla qu'il avait pleuré, mais elle ne fit pas de remarque, ce qui ne fut pas toujours le cas de ses autres compagnons. Petit à petit, le reste des aventuriers sortirent de leur sommeil, Dwimfa et Mordin furent mis au courant de l'entretien onirique, et une nouvelle journée débuta. Drilun, comme il l'avait fait avant de s'endormir, lança un sort de maîtrise du temps afin de garder des conditions hivernales à l'extérieur, et faire en sorte que la banquise se maintînt. Il devrait le faire régulièrement de manière à ne pas dépendre d'Andalónil ou d'une autre créature liée au froid comme Jäänainen. Et justement, en parlant de magie, plusieurs de ses compagnons se tournèrent vers lui : ils avaient parlé de détruire le rubis de Zigûr avec Tevildo, ce qui semblait être une idée intéressante, mais quelles en seraient les conséquences ? Ils avaient vu, sous terre, le pouvoir du rubis qui avait autrefois provoqué une sphère de feu intense de trente pas de rayon, faisant fondre la roche. Détruire l'objet aurait-il le même effet ?

C'est ce que les sorts de divination de l'archer-magicien s'appliquèrent à déterminer. Une première question fut donc posée aux cailloux chargés magiquement par ses soins : Drilun avait pu déterminer, lorsqu'il avait analysé le rubis, que sa magie pouvait devenir incontrôlable, et s'exprimer par une sphère de feu longue - une heure - et très intense, assez pour faire fondre les roches du cœur des montagnes. La destruction du rubis aurait-elle le même effet ? Ses cailloux volèrent, et huit tombèrent du côté du "oui". L'effet serait donc le même, ils pouvaient s'attendre à une sphère de feu magique et intense de trente pas de rayon. Mais il pouvait y avoir des petites différences... Par ailleurs, se posait la question de l'effet de la sphère de feu sur les personnes ou sur la glace au-delà des trente pas. En effet, les participants au rituel seraient sans doute eux-mêmes à trente pas du rubis, donc en limite de la sphère de feu intense. Mais sa chaleur ne serait pas limitée à la zone de feu magique. Quelle serait l'intensité de la chaleur au-delà des trente pas ? C'est ce qu'une série de divinations tenta de découvrir...

Plusieurs fois le magicien lança les cailloux en imaginant son ami Rob à l'extérieur du cercle de feu, sans aucune protection physique ou magique. À plus de soixante pas, serait-il blessé par la chaleur ? Les cailloux répondirent "non" à l'unanimité. Sa vie serait-elle en danger - subirait-il une blessure grave voire mortelle - à quarante pas du rubis ? La réponse était "oui", neuf pierres sur neuf. À cinquante pas, sa vie serait-elle en danger à court terme, suggérant la présence de blessures mortelles voire pire ? Oui encore. Mourrait-il à cinquante pas ? Toujours oui. Bien sûr, tout cela ne prenait pas en compte les protections possibles, tant magiques que physiques (armures notamment). Et peut-être les aventuriers auraient-il assez de temps pour fuir le feu naissant suite à la destruction du rubis. Néanmoins, les conséquences de la destruction du rubis étaient plutôt inquiétantes...

Taurgil proposa de faire détruire le rubis par Jäänainen. Après tout, elle avait accepté de tuer Durlach, et il ne le serait pas complètement tant que la pierre magique, qui contenait une part de l'essence du Maia, resterait intacte. La Sirène de Glace ne pouvait-elle se charger de la chose plutôt que Canadras ? En effet, ce dernier risquait de faire payer très cher ce service, et les aventuriers ne tenaient pas trop à s'endetter envers lui pour la vie, ce qui risquerait sans doute d'arriver. Il fut demandé à Vif de contacter son patron, qui devait sûrement assister en ce moment même aux débats, ce qu'il pensait de l'idée. La féline Femme des Bois s'exécuta, et le Prince des Chats réagit bien vite dans sa tête, exprimant en pensée sa désapprobation : selon lui, la Dame du Froid n'était pas aussi fiable que Canadras. Elle posait notamment un trop grand risque envers Drilun, alors que le dragon voudrait sûrement l'épargner pour qu'il lui servît de serviteur, notamment pour graver des runes magiques sur ses écailles...

La discussion se poursuivit sur ce sujet : comment faire pour éviter de devoir demander l'aide du dragon ? Qui pouvait se charger de détruire le rubis, et survivre aux conséquences ? Potentiellement, les aventuriers pensaient que trois objets magiques qu'ils possédaient étaient assez puissants pour détruire la pierre magique : les épées Morang et Gwaedhel, de même que le bâton de lumière trouvé à Dol Guldur, Krisfuin, le "Pourfendeur d'Obscurité". Par ailleurs, en combinant toutes leurs protections magiques possibles et imaginables (objets magiques, plus baume protecteur réalisé par les elfes des Brumes Éternelles), qui pouvaient protéger en partie du feu intense, ils arrivaient à une conclusion : seul Taurgil, à l'aide de sa peau très épaisse et de sa constitution à présent presque aussi robuste que celle de Vif, pourrait survivre aux flammes magiques en étant complètement équipé, même s'il n'en sortirait pas indemne, loin de là. Problème : de ce feu jaillirait Durlach, ce qui signifiait que le rôdeur dúnadan tomberait avec lui dans l'eau glacée ou bientôt bouillante, sans parler de sentir le poids d'un démon au moins aussi gros que le plus gros des dragons ! D'ailleurs, l'image que le Prince des Chats donna du Balrog, qui pouvait prendre la forme d'un serpent de feu de vingt ou trente pas de long, laissa les aventuriers songeurs... Véritablement, faire détruire le rubis par Taurgil ne semblait pas une très bonne idée.

Mais Drilun eut une autre idée : il pouvait réaliser des espèces de bombes de feu magique à partir d'un matériau inflammable, bombes qui explosaient sous l'effet d'un choc en brûlant les êtres proches. Après quelques tests, il apparut qu'il pouvait accumuler assez de bombes dont la magie pouvait être programmée pour débuter plus tard, vers la fin du rituel. Une bombe lancée alors sur le tas entraînerait une déflagration assez forte pour réduire en cendres les objets ou personnes placées au même endroit. Du coup la destruction du rubis de Zigûr ne paraissait plus nécessaire, mais par contre les pouvoirs de feu du rubis pourraient servir au magicien, qui aurait moins de mal à réaliser toutes les bombes magiques. Il y avait le risque d'être corrompu par ledit rubis, mais heureusement le bâton de lumière aidait à résister à la corruption, donc cela ne lui posait pas problème, il était confiant. Et donc c'est ce qui fut décidé : le rubis ne serait pas détruit, mais utilisé, un orc serait apporté par Canadras, tandis que Vif et Dwimfa partiraient chez les Lossoth pour trouver quelques pierres nécessaires au rituel, pierres qu'il serait facile d'échanger contre des perles de céramique ou de la viande de phoque qu'ils pourraient trouver en cours de route en chassant un peu...

5 - Préparatifs et interrogations
L'Homme et la Femme des Bois se préparèrent donc à partir ensemble vers l'une des rares villes fixes des Lossoth, qui servaient de centre d'échange entre Hommes des Neiges mais aussi avec les étrangers venus du sud. La lionne enchantée pourrait parcourir la distance aller et retour plus vite qu'un cheval, même avec son compagnon sur le dos, et ce dernier n'aurait aucun mal à marchander les pierres recherchées : depuis quelques années qu'il y vivait, il était très à l'aise avec la culture du Grand Nord, et il était habitué au troc et à tout type de marchandage même avant cela. Afin de pouvoir acquérir ces roches volcaniques ou similaires, Dwimfa demanda à Mordin quelques perles qu'il conservait en stock pour les échanges avec les Lossoth. Ce dernier lui en remit une dizaine de mauvaise grâce, et quand il découvrit que son compagnon en avait lui-même un certain nombre, il voulut immédiatement mettre la main sur la bourse où les perles avaient été mises. L'Homme des Bois esquiva le nain d'un bond acrobatique et il sauta sur le dos de son amie féline, qui prit très vite la poudre d'escampette vers le sud et l'est. Décidément, Mordin traversait une période bien difficile...

Après le départ de leurs deux amis, sans que cela ait aucun lien avec eux, Geralt, non encore guéri, laissa libre cours à sa frustration et sa rancœur. Ses autres compagnons s'apprêtaient à commencer les préparatifs du rituel, un rituel qu'il considérait comme trop dangereux, bien plus que le premier projet de faire combattre Durlach et Eloeklo. Pourquoi Tevildo avait-il changé d'avis ainsi au dernier moment ? Il exprimait aussi beaucoup d'amertume de ne pas avoir su assez tôt les conditions du rituel, sans quoi il aurait réagi bien avant, alors que là il était trop tard. C'est peu dire qu'il appréciait peu les changements et revirements de dernière minute et les surprises qui allaient avec, et le sentiment de n'être qu'un pion dont on disposait sans vraiment l'informer et lui laisser la parole.

Taurgil lui répondit qu'il comprenait les sentiments du balafré, mais qu'il n'était pas outre mesure surpris par les changements récents. Comme eux, le Prince des Chats faisait des plans qui pouvaient évoluer avec les informations qu'il récoltait et les agissements des autres créatures du Grand Nord. D'une manière ou d'une autre il avait peut-être perçu qu'Eloeklo était peut-être plus malin et moins facile à manipuler qu'il l'avait escompté, et donc que Jäänainen serait plus utile pour affronter le Balrog. En effet, elle-même n'avait - manifestement - aucun objectif de domination du Grand Nord et des Peuples Libres, ce qui n'était pas le cas de l'ancien lieutenant de Morgoth. Tevildo était malin et il savait changer son fusil d'épaule, ou peut-être le faisait-il pour surprendre et ne pas être trop prévisible aux yeux d'éventuels concurrents ou de personnes puissantes comme elfes et magiciens, notamment ceux ayant des pouvoirs divinatoires. Qui sait s'il n'avait pas déjà pensé auparavant à une confrontation avec la Sirène de Glace, mais qu'il l'avait écartée en pensant que l'équipe n'était pas prête ou juste capable ?

Au-delà de ce changement récent, le noble Dúnadan s'inquiétait davantage des turpitudes et plans secrets du Prince des Chats. Il aurait donné cher pour savoir exactement où il était et ce qu'il faisait en ce moment même. Par exemple, pendant que Durlach était occupé avec eux, ne pouvait-il pas descendre dans le Puits de Morgoth et se libérer du Kuilëondo en faisant se jeter Tina dans le lac de lave ? Ainsi il serait libéré de la gemme magique dans laquelle son essence était emprisonnée, et libre de venir posséder le corps de Vif avec qui il avait un lien très fort. Et ce d'autant plus que l'équipe, suite à l'invocation du Balrog et à la confrontation qui s'ensuivrait, serait sans doute épuisée et bien en mal de réagir à cela. Bien sûr, ils étaient loin du Puits de Morgoth à l'heure actuelle, mais pour autant qu'il se souvenait des discussions à ce sujet, cela n'empêcherait pas le Maia de transférer son essence ici, pourvu qu'elle fût libre. Peut-être serait-il affaibli, peut-être n'était-ce pas l'idéal, mais il se méfiait de ses objectifs réels. Et particulièrement depuis qu'il l'avait senti aussi joyeux, lors du rêve qu'ils avaient partagé.

Geralt fit quelques objections mais il se montra sensible aux réflexions de son (très) grand ami. Il continuait à penser qu'il aurait été préférable d'aller chez Eloeklo, même s'il s'avait qu'il était trop tard à présent. Mais il était d'accord pour dire que les choses étaient sans doute plus complexes encore qu'ils ne l'imaginaient. Ce qui le renforçait encore plus dans son pessimisme qui était déjà particulièrement développé ! Enfin bon... Avant de retourner dormir avec l'aide de la magie d'Isilmë, afin de guérir des blessures qu'Andalónil lui avait causées, il remit à Taurgil la statuette de cheval magique afin d'aider le rôdeur dúnadan qui allait commencer les préparatifs du rituel avec d'autres. En effet, il comptait préparer sept murets de glace comme possibles protections pour sept personnes participant au rituel, sur le cercle de pouvoir. Le descendant des rois du Rhudaur voulait aller sur place pour dessiner le cercle, et découper de la glace un peu plus loin grâce à Gwaedhel, l'ancienne épée magique possédée par Arang, ex-ami (décédé) de Dwimfa, Gillowen et Tina. Le cheval enchanté et infatigable aiderait bien un peu à transporter les morceaux de glace jusqu'aux endroits où se tiendraient les participants du rituel.

Le balafré aux cheveux blancs tomba avec joie dans un profond sommeil, tandis que ses amis s'affairaient. De son côté, Drilun avait besoin de préparer les futures bombes de feu magiques qui serviraient pour faire brûler orc et gemmes. Il était trop tôt pour lancer sa magie, mais il devait déjà préparer ses "bombes" avec un peu de matériau inflammable, et assez maniables ou lourdes pour pouvoir être lancées - au moins l'une d'elles - à trente pas, et déclencher une explosion. Il fallait donc recueillir des galets sur la grève, et les enrober de tissu ou de cuir par exemple. Plus loin, Taurgil et ses amis allèrent sur la banquise, à peu près où avait eu lieu la rencontre avec la Sirène de Glace. Ils dessinèrent un cercle de trente pas de rayon dans le sol, et tracèrent les lignes pour une étoile à sept branches, malgré la neige qui tombait et recouvrait bientôt tout. Les pointes correspondaient aux endroits où se tiendraient les participants : Drilun, Isilmë, Dwimfa, Vieille Mère Fumée, Taurgil, Vif, Gillowen. En espérant qu'il n'y aurait pas de défection, car sinon tout serait à refaire s'il y avait moins de monde sur le rituel. Puis ils s'éloignèrent du lieu pour découper de la glace et en rapporter les morceaux qui allaient servir à établir les murets. Certains objectèrent que, puisque le rubis magique n'allait pas être détruit, ils n'auraient plus besoin de cette protection. Néanmoins, Taurgil pensait que cela pourrait tout de même servir, ne fût-ce que contre Durlach peut-être.

6 - Ailleurs...
Ha ha ha ! Tevildo jubilait. Vraiment, les choses ne se passaient que trop bien. Bon, entre les aventuriers et Jäänainen, il risquait peut-être d'y avoir quelques petites mauvaises surprises, mais rien de bien méchant : d'ici peu, la porte serait ouverte vers la phase finale de sa libération ! Il serait toujours temps de régler les éventuels problèmes inachevés plus tard, et en plus, si Vif et ses amis se débrouillaient bien, il n'aurait même pas à le faire. Eloeklo, ce vieux fou aveuglé par la haine et le désir de liberté, mettait trop d'espoir dans ses serviteurs dont il ne s'occupait pas plus que de vulgaires outils jetables. Quelle erreur... mais quelle joie de s'en servir pour ses propres fins. Quant à ce brave Aiwendil, si la forêt était son domaine, ici c'était plus son domaine à lui, Tevildo, même enfermé dans le corps nain de Tina. Il pouvait toujours lui courir après, il ne le coincerait jamais. Bien sûr, le magicien l'empêchait de faire tout ce qu'il voulait, mais cela ne le gênait guère : il n'avait que l'embarras du choix entre ses différents plans. Ha ! Taurgil était en fin de compte moins bête qu'il y paraissait. Vraiment, il pourrait s'avérer très utile plus tard, il fallait en prendre soin ! Il n'avait qu'une idée très imparfaite de tout ce qu'il se passait, mais ses intuitions n'étaient pas très éloignées de la réalité. Il ferait sans doute un excellent roi plus tard...

Radagast s'assit sur la neige et contempla les environs. Une fois de plus, le Prince des Chats s'était joué de lui et lui avait filé entre les doigts... Il était bien dans son élément, et le lynx blanc était trop discret et prudent. Trop malin aussi : les parages du Puits de Morgoth étaient trop pollués par les fumées toxiques du Puits, la vie animale était complètement absente de la région, personne ne pouvait l'aider ici. Mais l'important était ailleurs, et la victoire à laquelle rêvait Tevildo ne serait pas si facile et immédiate, tant qu'il veillerait sur les environs. Son cousin avait eu raison une fois de plus, il fallait laisser faire les mortels, ils avaient peut-être plus de ressources et de surprises en réserve que l'on y pensait. A lui de prendre la main sur la fin de leur travail, alors, qu'il puisse vite rentrer dans sa forêt.

Eloeklo tourbillonna en haut des montagnes maudites qui lui servaient de prison. Enfin les choses avançaient ! Il regrettait presque de ne pas être là pour assister - voire participer - à la prochaine défaite de Durlach, son vieil ennemi. Ces mortels étaient tout sauf fiables, peu obéissants et difficiles à dompter, une vraie peste ! Néanmoins ils étaient parfois surprenants, et il pourrait être intéressant d'en garder en vie quelques-uns pour plus tard peut-être : il y avait du beau monde au sud contre lesquels ils pourraient s'avérer utiles. Comme pour Jäänainen et Canadras : trop faciles à contenter, sans ambition réelle, trop puissants pour être contrôlés, ils faisaient tout de même de passables serviteurs à leur insu. Pour l'instant, il se concentra sur Gillowen. Mais qui avait donc réussi à libérer son âme dernièrement ? À présent, elle était comme une épine dans son pied et renâclait au moindre de ses ordres, c'était un combat permanent. Elle aspirait à rejoindre son amant au-delà des mers ? Lorsqu'il serait libéré, il lui offrirait satisfaction avec une grande joie !

Canadras volait paresseusement au-dessus des Montagnes de la Désolation. Il était temps que ces anciens lieutenants de Morgoth aillent rejoindre leur maître, ils faisaient vraiment pitié. De vrais loups qui couraient après leur queue, pour certains. Enfin, ils étaient parfois si transparents qu'il était trop facile de se servir d'eux. Plus ils étaient retors et susceptibles de tromper les autres, plus ils étaient esclaves de leurs propres défauts et faciles à anticiper. Quant à leurs désirs de destruction, vengeance et soumission des autres, quel intérêt pour le long terme ? Cela ne faisait que les aveugler davantage... Le dragon songea alors que lui-même avait sans doute encore des choses à apprendre à ce sujet. Le contact avec le Vieux Gris l'avait plus ébranlé qu'il ne voulait l'admettre : en voilà un qui voyait loin, tant dans le temps et l'espace que dans le cœur des créatures...

Vieille Mère Fumée était songeuse. Était-il prudent de faire reposer tant de choses sur cette équipe d'adolescents fougueux et peu disciplinés, si prompts à oublier de solliciter et d'écouter leurs aînés ? Pourtant Vanha Harmaa semblait croire en eux, comme d'autres esprits d'ailleurs. Cela étant, tous n'étaient pas d'accord avec lui, les risques étaient grands. En même temps, qui était assez fou pour oser affronter la Sirène de Glace - et avec succès, quel spectacle incroyable ! - ou le Serpent de Feu du Puits de Morgoth ? Enfin, en tout cas, elle avait eu la part belle puisque son travail avait déjà été réalisé en grande partie. Restait maintenant à transmettre message et cadeaux à qui de droit, comme elle avait accepté de le faire. Elle soupçonnait le Vieux Gris d'être bien plus qu'un nommeur d'esprit voire un esprit du Grand Nord... mais quelque chose en elle la poussait à lui faire confiance.
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Niemal
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Grand Nord - 41e partie : esprits et engagements

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1 - Pour quelques pierres de plus...
Dwimfa était donc monté sur le dos de son amie Vif, qui courait à présent tranquillement le long de la côte, vers le sud. Le mauvais temps appelé par Drilun s'arrêta bientôt lorsque les deux aventuriers sortirent de la zone de magie, et il fut plus facile de progresser. L'Homme des Bois savait qu'il y avait un camp de Lossoth peut-être pas très loin, avec un très bon mouillage pour les bateaux des Hommes des Neiges voire les baleiniers. Mais il était inoccupé en hiver, sans doute à cause de la présence de Jäänainen. Du coup il était sans doute un peu tôt dans la saison pour y trouver du monde, et il se dit qu'il faudrait continuer jusqu'à l'embouchure de la rivière Everhir dans la Baie de la Glace Craquelée : il y avait là un campement permanent de Lossoth ainsi qu'une petite mine occupée par des nains. Ces derniers seraient sûrement capables de lui fournir des pierres ou au moins de l'aider dans sa recherche. Près d'un an auparavant, une armée d'Angmar avait fait fuir les Lossoth proches avec l'aide des baleiniers (payés par les aventuriers) et les nains s'étaient emmurés, mais avec le départ de l'armée (sur leurs talons...), tous avaient dû revenir et reprendre leurs habitudes. De toute manière c'étaient les plus proches de ce côté-ci de la Baie, en cette saison où la Sirène de Glace pouvait encore faire des apparitions, ce qui expliquait l'absence de monde. Et à l'allure où son amie allait, ils y seraient dans l'après-midi.

Et c'est bien ce qui fut fait. Au passage, la lionne enchantée eut parfois des contacts avec Geralt via les perles gémelles. Tous deux constatèrent qu'ils pouvaient facilement échanger leurs pensées et perceptions à distance, en se concentrant, quelle que fût la distance, qui ne semblait pas avoir d'effet. Lorsque l'embouchure de la rivière fut en vue, et notamment la mine tenue par les nains, la Femme des Bois laissa son compagnon terminer la route à pied pendant qu'elle allait chasser le phoque. Elle n'eut pas trop de mal à s'approcher discrètement puis surprendre un de ces animaux qui se dorait au soleil, puis elle lui brisa la nuque d'un de ses puissants coups de patte, de manière à abîmer le moins possible sa dépouille. Ainsi cela ferait une bonne monnaie d'échange pour les nains. La bête était un peu moins lourde que la lionne elle-même, il lui fallut donc un certain moment pour l'acheminer sans l'abîmer jusqu'à la demeure des nains. Ces derniers avaient été prévenus par Dwimfa de la venue prochaine de son "animal domestique", mais ils furent néanmoins surpris. Cela, plus la grande taille et l'apparence très inhabituelle de l'Homme des Bois après avoir bu deux fois le breuvage magique concocté par une gardienne des arbres, fit que ses interlocuteurs montraient des signes d'inquiétude. Néanmoins ils acceptèrent d'échanger avec lui sans poser de questions, ce qui lui convenait tout à fait.

Au bout du compte, le troc se passa vite et bien et le phoque fut échangé contre le stock restant de pierre ponce des nains, soit une bonne dizaine de livres, plus un morceau de basalte. D'après ses échanges avec les nains, il ne risquait pas de trouver mieux dans les environs : la pierre ponce, même si elle était assez fréquente chez les familles lossoth car utile pour de nombreuses choses (nettoyage, polissage des lames, ponçage des bois...), n'était possédée en général qu'en petite quantité. Il faudrait donc beaucoup de marchandage et de temps pour arriver à en obtenir une quantité équivalente à ce qu'ils avaient déjà, si même c'était possible. Les deux amis choisirent donc de rentrer auprès des autres aventuriers, et la lionne se mit en route à une allure tranquille, comme une marche rapide pour elle, son ami toujours sur le dos, les cailloux dans son sac.

Alors que la fin de la journée approchait, même si le soleil resterait encore (bas) dans le ciel un moment, ils distinguèrent une grande silhouette devant eux qui allait dans la même direction. C'était Vieille Mère Fumée qui se dirigeait également vers le campement des aventuriers qu'ils avaient laissé plus tôt. Elle leur dit qu'elle n'avait pas eu grand-chose à faire, les gens des environs avaient été prévenus déjà et les rares qu'elle avait vus étaient déjà sur le départ. Du coup elle revenait plus tôt que prévu. Par contre, elle commençait à avoir les jambes et le dos fatigués et dit qu'elle allait passer la nuit dans les environs. Du coup Dwimfa et Vif décidèrent de se joindre à elle, et ils trouvèrent vite un coin abrité du vent dans les rochers de la côte. La nommeuse d'esprit leur demanda également s'ils avaient quelque chose de frais à manger : avec les derniers événements elle n'avait pas pris le temps de pêcher ou chasser, et n'avait pas vraiment eu l'occasion d'échanger avec d'autres Lossoth, donc elle n'avait plus grand-chose. Vif s'éloigna alors en quête de quelque chose à manger, tandis que Vieille Mère Fumée échangeait d'une voix douce et fatiguée avec Dwimfa...

Un peu plus tard, lorsque la féline Femme des Bois revint avec un poisson de bonne taille, elle retrouva les deux mêmes, toujours en train de parler. Dwimfa avait demandé à Vieille Mère Fumée comment elle voyait les choses concernant le rituel d'invocation de Durlach, et la vieille femme avait parlé de la manière de faire dans le Grand Nord, où toute chose ou être possédait une âme. Cette âme était libérée lorsque son "corps" était détruit, mangé, etc., et pouvait ne pas apprécier la manière dont elle avait servi. Or ces esprits libérés pouvaient avoir une action bénéfique ou maléfique sur le monde des Lossoth, et même si elle était minime, elle pouvait faire la différence entre la vie et la mort. D'où l'importance des rituels pour apaiser les esprits ou échanger avec eux pour les prévenir de ce qui allait se passer, montrer le côté nécessaire de la chose, demander pardon, se purifier, et déranger les esprits le moins possible, voire les pousser à aider ou en tout cas à ne pas intervenir de manière négative. Que ce fût pour chasser ou cueillir ou utiliser toute chose de l'environnement, les Lossoth utilisaient des rituels, petits ou grands, pour rester en harmonie avec leur milieu et les esprits qui y étaient associés. Et c'est bien ce qu'elle pensait que les aventuriers devraient faire.

Dwimfa demanda alors si Vieille Mère Fumée était capable de conduire un tel rituel pour le groupe d'aventuriers, afin de mettre les esprits de leur côté voire obtenir leur aide. Elle fut enchantée de sa question et répondit par l'affirmative. Vu la demande très particulière, elle allait y réfléchir mais cela ne devrait pas poser de problème et pourrait se faire dès le lendemain. Elle ajouta qu'il faudrait compter au moins une demi-journée pour faire le rituel, et si possible un site ensoleillé pour le bon déroulement de la chose. Le rituel comprendrait sans doute un voyage dans le monde des esprits afin de mieux échanger avec eux, vu l'importance de l'action des aventuriers pour le Grand Nord. Ainsi il serait peut-être possible de bénéficier de leur aide, en plus de se purifier et de ne pas les mécontenter en les ignorant. Via sa perle gémelle, Vif s'empressa de transmettre à Geralt la nouvelle pour le reste du groupe : ils allaient faire un rituel de purification/aide des esprits à la manière des Lossoth, et il faudrait trouver un coin au soleil pour cela.

2 - Histoire de rubis
Pendant ce temps, le reste de l'équipe ne chômait pas, à l'exception de Geralt qui devait se reposer afin de pouvoir guérir des blessures infligées par le démon Andalónil. Il était aidé en cela par la magie qu'Isilmë avait lancé sur lui pour accélérer et faciliter sa guérison, qui devait donc être rapide. Il dormit donc la plupart du temps, chose qu'il savait très bien faire. De temps en temps, dans ses brefs moments d'éveil, il communiquait avec Vif par l'intermédiaire des perles gémelles. Il n'avait aucun don pour la magie et en conséquence il aurait pu avoir du mal à partager pensées et perceptions en se concentrant, mais heureusement il bénéficiait des savoirs et compétences de la féline Femme des Bois, qui avait des talents magiques. Du coup il s'aperçut vite que quelle que fût la distance, il arrivait à se concentrer suffisamment pour lui parler en pensées ou voir par ses yeux, entendre par ses oreilles - quelle incroyable ouïe elle avait ! - et sentir par son nez, ses vibrisses, et tant d'autres sens que les humains n'ont que peu développé comparé à bien des animaux.

Dehors, ses amis travaillaient dur, et en particulier Taurgil aidé de Rob, Isilmë et Mordin : sur la banquise, sur le site qu'ils avaient choisi pour le futur rituel pour invoquer Durlach, ils avaient tracé dans la glace un grand cercle de trente pas de rayon à l'aide d'une corde. Avec même une petite marge, car ils se disaient que si jamais ils devaient détruire le rubis de Zigûr pour faire venir le Balrog, être dans la boule de feu que cela créerait - une sphère de trente pas de rayon selon Drilun - signifierait une mort certaine. Et la chaleur ne s'arrêterait pas à la sphère de feu, donc il fallait créer un muret de glace épais pour bien protéger les participants au rituel. Ils devaient donc découper de la glace à une certaine distance grâce à l'épée magique prêtée par Dwimfa, épée du nom de Morang. Puis il fallait acheminer les blocs de glace - à pied ou avec l'aide du cheval magique fourni par Geralt - et monter les murets pour les sept futurs participants. Et tout cela sous un temps détestable maintenu par le magicien du groupe, où le froid et le vent, sans parler d'un peu de neige, garantissaient que la banquise n'allait pas fondre malgré le printemps déjà avancé.

Le soir, ils se retrouvèrent sous la tente commune qu'ils partageaient, où le balafré aux cheveux blancs passait sa flemme et sa guérison. Drilun était là également, après avoir passé la journée à préparer une cinquantaine de "bombes" faites de cuir ou tissu autour d'un galet, prêtes à recevoir sa magie enflammée pour détruire par le feu les composants du rituel qui devaient servir pour appeler le Balrog. Ils discutèrent une nouvelle fois d'un point qui en chagrinait plus d'un : même si le rubis magique n'était pas détruit, il renfermait une part de Durlach et devait être utilisé. Mais le démon de feu apparaîtrait à l'emplacement du rubis, selon toute vraisemblance, il faudrait donc le placer au milieu du cercle du rituel... sur la glace qui fondrait ou craquerait sous le poids du Balrog, envoyant la pierre au fond de l'eau. Et sans la pierre, impossible de se débarrasser définitivement du démon : tôt ou tard, Durlach finirait par reprendre une forme physique, vu que le rubis contenait une partie de son essence.

Taurgil ne voyait pas où était le problème : tout cela prendrait sans doute des années voire des siècles avant le retour du Balrog ; alors que là, si rien n'était fait, il serait libre dans quelques semaines. Il y aurait sûrement d'autres aventuriers, ou les elfes, ou les magiciens, qui se chargeraient de la chose. Et puis, n'était-il pas possible de repérer la pierre magique et la récupérer ? Rob n'arrivait-il pas à détecter sa magie pour leur permettre d'aller la chercher au fond de l'eau ? Le hobbit pensait bien en être capable, effectivement : avec le temps et l'expérience, il était devenu extrêmement sensible aux émanations magiques des êtres et objets, peut-être autant qu'un dragon âgé. Par contre, récupérer le rubis sous dix pas d'eau glacée risquait de ne pas être de la tarte : aucun des aventuriers n'était connu pour ses grands talents de nageur, et rien ne disait que le rubis resterait au même endroit. Qui sait si un esprit important n'allait pas en profiter pour s'en emparer, et faire subir plus tard une terrible malédiction sur les gens du Grand Nord ? Certains pensaient que si Jäänainen, dont c'était le domaine, pouvait le récupérer, elle le ferait, rien que pour causer du tort aux peuples libres de la région !

Le (très) grand rôdeur dúnadan imagina demander à un poisson d'aller récupérer la gemme pour lui, grâce à la magie de la nature qu'il maîtrisait. Mais certains de ses amis émirent des doutes sur cette possibilité, sans parler de l'action possible des mauvais esprits marins comme celui de Jäänainen ou d'autres. Mordin pensait pour sa part que faire détruire le rubis par le dragon Canadras était une solution bien plus pratique. En revanche, le dragon - s'il y arrivait - n'allait certainement pas faire cela gratuitement, surtout qu'il risquait fort d'y laisser quelques écailles. Le nain ne se faisait pas trop de soucis pour la santé du dragon, bien au contraire. Mais à sa place, il ferait chèrement payer ce service. Au-delà des objets magiques à lui fournir, les aventuriers pensèrent qu'il allait demander des contreparties en nature, autrement dit qu'au moins l'un d'entre eux le servît pendant une durée ou pour un objectif déterminés. Et vendre son âme à un dragon tel que lui n'était pas une réjouissante éventualité...

Au bout du compte, les avis divergeaient trop pour prendre une décision. Lorsque Geralt annonça l'arrivée de Vif et Dwimfa le lendemain, accompagnés de Vieille Mère Fumée, avec la proposition de faire un rituel pour se purifier et se faire aider par les esprits du Grand Nord, ils en restèrent là. Il serait toujours temps de demander son avis à la vieille dame voire à Gillowen ou Canadras. Plus tard, l'archer-magicien dunéen quitta ses amis, accompagné de la guerrière et soigneuse elfe, pour aller trouver un site en dehors de la zone de mauvais temps, et où sa magie appela au contraire un temps clément pour le rituel que la nommeuse d'esprit allait faire pour eux. Apparemment, le soleil apporterait un plus à ce rituel, ce qui les changerait du froid et de la neige. Ils retrouvèrent ensuite leurs amis, et le reste de la nuit se passa sans incident.

3 - Discussions, préparatifs et ancre mystique
Au petit matin, Vieille Mère Fumée, Vif et Dwimfa entrèrent dans la zone de mauvais temps et retrouvèrent le reste de l'équipe sans trop de mal. Vanha Äitisavu détailla son projet de rituel afin de purifier les aventuriers et mettre les esprits de leur côté, voire solliciter leur aide, ce qui comprenait un voyage dans le monde des esprits. Son projet fut bien accueilli, et puisqu'elle n'avait pas besoin de beaucoup de préparation, il fut décidé de le faire le jour même. Au moment de partir pour le lieu où il se ferait, et où le soleil devait briller grâce à la magie de Drilun, elle leur dit de penser en chemin à une chose qui pourrait les aider à entrer et surtout sortir du monde des esprits : une ancre mystique. Leur esprit quitterait en effet leur corps pour aller rejoindre le monde où évoluaient les esprits du Grand Nord, où il était facile de se perdre. Une ancre mystique était un objet qu'il était possible de garder au contact de son corps, dans la main par exemple. Il devait être plein de nature pure et d'harmonie, comme un simple et joli galet, ou rempli d'art et de créativité, comme un bout de bois sculpté ou même le dessin d'un enfant. En revanche, il ne devait pas être associé à la mort ou la destruction, comme une fleur que l'on coupe et qui va se faner. Et plus il était personnel, mieux c'était. Cette ancre mystique pouvait aider à revenir, mais si elle servait elle risquait d'être détruite dans le processus...

Une fois arrivés sur le site, Vieille Mère fumée commença ses préparatifs : elle fit un cercle d'une dizaine de pas de large dans lequel elle créa une étoile à huit branches faite de deux carrés superposés à quarante-cinq degrés. Ce qui revenait à créer huit triangles dans lesquels les aventuriers prendraient place, tandis qu'elle-même se tiendrait au centre, où elle alluma un petit feu et prépara une décoction à faire boire plus tard aux membres du groupe. Elle garda aussi quelques herbes sous forme de poudre, et un petit tambour. Elle indiqua également que les aventuriers devaient être les plus proches possible d'un état naturel, et éviter de s'encombrer de choses artificielles et encore plus si elles étaient associées au conflit, comme armes et armures. Dans l'idéal il fallait être nu, ce qui était possible vu le temps ensoleillé et relativement tiède pour le Grand Nord, même s'il ferait sans doute frissonner certains aventuriers s'ils n'avaient pas de vêtement. En tout cas il ne gelait pas, loin s'en fallait.

Le premier, Geralt s'avança dans son triangle, qui pointait vers l'ouest, dans ce que Vieille Mère Fumée appelait le "carré de l'énergie et du mouvement", où prendraient place également Isilmë au nord, Mordin à l'est et Drilun au sud. Tandis que les autres seraient placés dans le "carré de la nature et l'harmonie, de la stabilité", avec Vif au sud-ouest, Taurgil au nord-ouest, Dwimfa au nord-est et Rob au sud-est. Le maître-assassin avait choisi de rester nu, même s'il gardait sur lui la perle gémelle qui lui permettait de rester en contact avec la féline Femme des Bois. Il avait mis ses affaires à distance, comme la nommeuse d'esprit l'avait conseillé, et il s'était vidé la vessie également - le rituel allait durer tout le reste de la journée. Son ancre mystique à lui, c'était une noix d'écureuil, cette drogue qui permettait de stimuler et accélérer le corps physique. C'était une noix, vivante, et correspondait bien à sa personne et ce qu'il faisait de sa vie, sans être en soi liée à une activité destructrice. Vanha Äitisavu pensa que le choix était judicieux, et il fut placé.

Ensuite ce fut le tour de Vif au sud-ouest, toujours sous sa forme animale. Elle était nue, ayant retiré son armure de cuir, mais elle conservait sur elle ou en elle plusieurs objets : son ancre était l'anneau du forestier, cet objet magique qui l'aidait à être en lien avec les animaux, et notamment son propre chat. Mais elle portait aussi sur elle le collier de cembereth, qui avait des vertus protectrices, et sa bourse à herbes au cou, au cas où. Elle conservait et restait en contact avec la perle gémelle ainsi que tous les objets magiques qui permettaient de résister à l'influence du Prince des Chats.

Drilun s'avança aussi, au sud. Son ancre était un bijou magique qu'il avait créé pour l'aider à faire de belles runes magiques sur les objets. Il était nu également, ce qui fit un peu rougir Isilmë, mais il garda aussi sur lui le collier de cembereth et son anneau de protection magique.

Mordin vint ensuite se placer, à l'est : son ancre à lui était une simple perle de céramique, la plus grosse qu'il avait dans son stock. En plus d'être le résultat d'un artisanat, elle était jolie et servait au troc, ce qui correspondait bien au marchand qu'il était. Le nain était nu lui aussi, mais il gardait sur lui sa bourse, en bon marchand qu'il était... et d'autant plus qu'elle abritait la larme de Yavanna, dont il ne devait pas se séparer ! Au moment de se préparer, il s'était entretenu avec Dwimfa à propos des flèches magiques et lumineuses contre les Maiar, dans leur boîte d'os de dragon. Il avait souligné l'importance de cette boîte à la vieille femme, et elle appela un loup pour garder ses affaires pour la durée du rituel. Elle pensait de toute manière que les nombreux esprits présents feraient en sorte de décourager d'éventuels voleurs.

Rob vint à son tour, au sud-est, nu également. Son ancre à lui était une perle de céramique magique qui augmentait son talent de cuisinier. Par contre, il choisit aussi de conserver sur lui ses deux anneaux magiques qui lui conféraient protection et discrétion, ainsi que le collier de cembereth.

Taurgil s'avança ensuite dans le triangle du nord-ouest. Son ancre était une feuille d'athelas séchée qui servait à faire des infusions de soin pour aider sa magie de guérison. Il la tenait à la main, et en dehors de cela, il ne portait absolument rien d'autre, aucune protection magique ou physique. Il tenait à être le plus proche de l'esprit du rituel et des esprits du Grand Nord.

Dwimfa prit place à son tour, au nord-est. Contrairement à ses amis il avait gardé ses vêtements, moufle comprise. Il faut dire qu'il ne tenait pas à révéler l'anneau lumineux qu'il portait au doigt, fait d'un fragment d'Illuin qui le protégeait de la magie des Maiar... Il gardait aussi sur lui sa bourse à herbes, au cas où, et son disque de chance. Quant à son ancre, il n'en parla pas, mais fit comprendre d'un regard à Vieille Mère Fumée de quoi il s'agissait. La nommeuse d'esprit hocha la tête, comprenant très bien son choix et l'approuvant.

Enfin, Isilmë entra dans le dernier triangle à sa disposition, au nord. Elle aussi avait gardé sur elle ses vêtements elfiques, de même que le collier de cembereth et l'anneau de protection magique réalisé par Drilun. Son ancre à elle était un poème qu'elle avait composé le matin même au sujet de son aimé dunéen, et qu'il avait bien voulu écrire sur un parchemin en utilisant la plus belle calligraphie qu'il pouvait réaliser. C'était donc doublement un objet d'art...

Les aventuriers étaient tous prêts, assis en tailleur pour commencer, selon les directives de Vieille Mère Fumée. Elle donna à chacun, à l'aide d'une cuillère en bois, un peu du breuvage qu'elle avait préparé. C'était une espèce de drogue qui allait les aider à garder leur esprit ouvert et à entrer plus facilement dans le monde des esprits. Elle appela aussi des lemmings qui seraient leurs seuls spectateurs, un pour chaque aventurier. Puis elle commença à battre le tambour et à chanter : le rituel avait commencé.

4 - Monde des esprits et apparences
Dans la première moitié du rituel, les huit amis n'eurent pas grand-chose à faire, ils étaient relativement passifs. Dans sa langue, Vieille Mère Fumée appela d'innombrables esprits du Grand Nord, les invitant à se pencher sur les personnages et leur quête destinée à la purification de la région et la sauvegarde des peuples libres. Elle expliqua les raisons de leurs méthodes pas toujours harmonieuses et réclama leur pardon et leur purification, et expliqua ce qu'ils allaient être amenés à réaliser bientôt : sacrifier une vie, de la nature, de la beauté, afin de faire se combattre deux anciens esprits du mal pour que l'un d'eux, qui menaçait le Grand Nord à brève échéance, disparût à jamais. Pris par l'urgence, les huit personnes qui participaient au rituel se voyaient contraintes de faire une belle omelette, et Vieille Mère Fumée tenait à présenter en leur nom leurs excuses pour les œufs cassés. En demandant en prime, non seulement de les absoudre à l'avance pour leurs erreurs, mais aussi de les aider à parvenir à leur objectif en faisant le moins possible de dommages collatéraux aux êtres et esprits du Grand Nord.

Côté méthode, la nommeuse d'esprit (henkinimittäjä en labba) chantait beaucoup, interpelait les esprits, tout en battant de son tambour de manière hypnotique. Parfois elle traçait des runes sur le sol ou à même les corps des participants, sur le visage surtout, à l'aide des poudres qu'elle conservait sur elle. Il lui arrivait même de danser. Et cela dura plusieurs heures, pendant lesquelles la vieille femme de plus de deux cent trente ans ne montra aucun signe de fatigue, s'interrompant parfois brièvement pour avaler une gorgée d'eau à la gourde qu'elle gardait sur elle. Progressivement, le battement de son tambour se fit plus hypnotique, et les aventuriers sentirent que la transe en eux grandissait petit à petit. Vieille Mère Fumée jeta alors dans les restes de son petit feu une poudre qui brûla en émettant une fumée colorée et parfumée, tout en disant aux mortels et à l'elfe sous ses yeux de prendre une position de fœtus, afin de se préparer au voyage dans le monde des esprits. Ce qu'ils firent, et ils sombrèrent bientôt dans une transe plus profonde qui ressemblait au sommeil...

Ils émergèrent dans un autre lieu, un autre espace, où ils étaient encore là, en cercle, mais ils n'étaient pas seuls. Au centre du cercle, Vieille Mère Fumée n'était plus là mais sa présence et sa voix jaillissaient d'une zone de lumière. Tout autour d'eux, aussi loin qu'ils pouvaient le percevoir et dans toutes les directions, y compris le haut et le bas, car il n'y avait pas de sol ni de réel haut et bas, de nombreuses présences les regardaient, attentives. Proches ou distantes, elles observaient manifestement ce qui se passait, et prenaient aux yeux des aventuriers des formes différentes. En fait les perceptions dans ce monde des esprits étaient un peu particulières : les plus doués en perception magique et en connaissance des cultures du Grand Nord, et ceux dont les sens étaient naturellement les plus affûtés, discernaient plus loin et plus précisément que les autres. Drilun et Mordin, en bas de l'échelle, percevaient surtout des yeux ou des visages qui les regardaient, ou des présences qui prenaient les formes d'animaux ou autres êtres naturels comme la neige, les nuages, la mer, la terre, les rochers... A l'autre bout de l'échelle, Vif percevait bien davantage les détails voire les personnages derrière les apparences inhabituelles.

Et ce qu'elle vit pouvait être rassurant ou inquiétant. Il y avait manifestement nombre d'esprits de la nature, en particulier des animaux. Elle repéra ainsi plusieurs loups blancs... mais aussi l'un d'eux qui était différent, qui paraissait plus blanc, plus grand, plus noble, à distance respectable. Elle sentit quelque chose, intuitivement, qui lui fit penser à Radagast, son guide et maître... Elle vit aussi des visages qui devaient correspondre à des Lossoth morts ou vivants, sans doute des sages ou des nommeuses d'esprit. Globalement, elle vit ou sentit des esprits plutôt bénéfiques autour d'eux, mais elle perçut aussi que de nombreux autres esprits étaient tenus à distance par les précédents. Elle eut le sentiment que les esprits libérés ou créés par leurs combats et leurs destructions, directs ou indirects, étaient là qui auraient voulu envahir la scène, peut-être pour rechercher leur oubli ou pour se venger...

Taurgil, de son côté, était certain de percevoir au loin les esprits de morts-vivants, certains qui ressemblaient beaucoup à ceux qu'il avait combattus pour récupérer les perles gémelles. La féline Femme des Bois, et elle ne fut pas la seule, repéra aussi divers individus remarquables, en plus du loup blanc qu'elle pensait pouvoir identifier comme le magicien Radagast : un lézard gris à distance qui lui fit penser à Canadras, mais surtout un félin noir aux yeux jaune brillant qui avait un lien visible à ses sens avec toute l'équipe sauf Dwimfa et Mordin : Tevildo était là, à une certaine distance mais pas si loin d'eux que cela. Il semblait que le lien avec eux lui permettait de s'approcher assez près. Et un lien existait aussi avec un lynx blanc que la lionne enchantée identifia facilement comme étant Tina. Aucun signe visible de Jäänainen, Durlach ou Eloeklo par contre. Enfin, Vif arriva - et elle fut la seule - à identifier une zone que les autres esprits évitaient, comme si quelque chose ou quelqu'un l'occupait, mais invisible même pour les autres esprits, ou au moins pour elle.

Les aventuriers eux-mêmes avaient une apparence particulière, et les plus perceptifs comprirent que cela devait être lié à la manière dont les esprits les percevaient, eux. Ce qui pouvait donner de précieux renseignements. Ainsi, Vif n'était qu'un félin dont les rayures noires et blanches bougeaient tout le temps. Taurgil avait la forme d'un homme-arbre avec des épines ou feuilles sur les bras, des yeux noirs et une couronne de lumière. Dwimfa avait une apparence d'homme normal, si ce n'était que sa peau passait par morceaux par trois stades, comme un gigantesque puzzle animé : bois, glace et sang. Rob, pour sa part, était un personnage joufflu habillé (ou était sa peau ?) de nourriture et auréolé de soleil sur tout le corps. Quant à Isilmë, elle était représentée par un mince corps féminin transparent derrière lequel brillait la lumière d'Illuin, qu'ils avaient vue à la cité des Elfes des Neiges. Mordin faisait penser à un golem serti de pierres précieuses, avec bouche de nacre et dents de métal pointu. De son côté, Drilun était un personnage écailleux à tête de dragon fumante, avec un bâton blanc. Geralt, sans grande surprise, apparaissait sous la forme d'un vieux loup blanc, borgne (l'œil gauche remplacé par une cicatrice) et très couturé, avec l'oreille droite en moins.

5 - Présentations et engagements personnels
Les esprits semblaient en attente à présent, et les aventuriers les plus perceptifs avaient conscience que, pour l'instant, les esprits les plus bénéfiques du Grand Nord étaient les plus proches d'eux. Mais cela pouvait changer, et les autres, moins bénéfiques, faisaient pression sur les premiers pour avoir leur mot à dire. La voix de Vieille Mère Fumée s'éleva alors, au centre du cercle, pour inviter les aventuriers à présenter la vision de leur quête au milieu du cercle. Elle leur fit comprendre que les paroles étaient inutiles : ils n'auraient qu'à projeter leurs pensées et elles prendraient forme au milieu du cercle, sans filtre lié à l'interprétation des mots. Après avoir fait sa présentation individuelle, chaque participant était ensuite invité à montrer ce qu'il était capable de faire personnellement, de donner, de perdre, pour arriver à cet objectif. En rappelant les valeurs importantes du Grand Nord qui étaient entre autres l'harmonie générale et le nécessaire sacrifice de certains pour les autres.

La première, Vif occupa l'espace central, et sa vision commença par dépeindre le serpent de feu géant qui représentait le Balrog Durlach. Le corps du démon se transforma en fumée qui se dissipa, et la lumière qui la remplaça, son essence et sa vie, s'éloigna et se perdit à l'infini. Eloeklo connut un sort similaire, puis Tevildo : de la fumée, de la lumière qui s'en va, puis la paix. L'image de la lionne enchantée apparut ensuite, acceptant de mourir et disparaître pour aider la lumière de Tevildo à quitter la Terre du Milieu...

La présentation de Geralt fut plus complexe, bien que similaire : la vision du balafré aux cheveux blancs commença par le rituel d'invocation de Durlach et sa destruction, et la purification du Grand Nord qui s'ensuivit. Eloeklo connut un sort similaire, tandis que Tevildo disparut sans même un combat, ce qui, dans la vision, surprit le maître-assassin. Plusieurs fois il montra qu'il était prêt à se sacrifier pour permettre aux trois Maiar d'être bannis, mais revenait aussi l'image d'un quatrième : Geralt en train de décapiter Andalónil. Néanmoins, il indiqua clairement qu'entre la mort du démon ailé et le sauvetage d'un de ses compagnons, il ferait systématiquement le second choix. Il évoqua aussi la campagne contre Ardagor, en Eriador, qui s'était achevée deux ans auparavant. Il visualisa les pertes, les regrets, en imaginant quelque chose de différent pour le Grand Nord, avec l'aide des esprits, pour qu'il y ait le moins de victimes, notamment dans le groupe : dans son esprit ils étaient tous vivants, et en particulier Drilun, Vif et Rob.

Ce fut ensuite le tour de Dwimfa, qui visualisa les trois Maiar - Durlach, Eloeklo, Tevildo - réunis tous trois dans un cercle de ténèbres agitées, tandis que l'extérieur du cercle était lumineux et paisible. A noter aussi que l'image d'Eloeklo était plus laide et effrayante que les autres. L'image de Durlach s'évapora, et le cercle diminua de taille ; l'image d'Eloeklo explosa avec énergie, montrant aussi le profond ressentiment de l'Homme des Bois à son égard, et le cercle se réduisit encore ; enfin, l'image de Tevildo s'évapora à son tour, et le cercle se dissipa complètement. Tout du long, les membres de l'équipe se tenaient en bordure du cercle, prêts à tomber dedans, et Gillowen était présente aussi et déjà à l'intérieur. Dwimfa, chaque fois, était prêt à entrer dans le cercle pour empêcher ses amis d'y tomber, surtout Vif, et aussi pour faire sortir Gillowen du cercle, quitte à disparaître avec la fin du cercle de ténèbres.

La visualisation de Rob fut à l'image de la simplicité du petit bonhomme : l'image était celle des aventuriers faisant un cercle avec leurs mains, cercle incluant la magicienne elfe Gillowen, l'ancienne amie de Dwimfa. C'était un cercle lumineux, et à l'extérieur du cercle d'autres présences lumineuses étaient là, en arrière, tandis qu'à l'intérieur du cercle trois présences sombres et maléfiques étaient présentes, en hauteur. Puis il y eut une déflagration de lumière, l'évaporation des esprits maléfiques, remplacés par un silence apaisant. S'ensuivit une scène de liesse voyant les Lossoth venir de loin pour inviter les aventuriers à partager un grand repas, dans un Grand Nord débarrassé du mal.

Taurgil, pour sa part, se visualisa tel qu'il était devenu : très grand, à moitié arbre, avec le blizzard tout autour de lui. Petit à petit, il grandit encore, et ses cheveux se transformèrent en branches couvertes de feuilles qui protégeaient les gens qui s'abritaient dessous. Mais le blizzard, avant de cesser, déchiqueta les feuilles. Alors les personnes regardèrent vers le soleil, et virent une sphère noire et menaçante descendre vers eux. Mais l'arbre effeuillé qu'était devenu Taurgil avala la sphère. De ses racines germèrent d'autres arbres qui couvrirent petit à petit le Grand Nord, et Taurgil ferma enfin les yeux.

Mordin avait réfléchi un moment avant de proposer sa vision, car il savait que Tevildo était là qui observait et il ne tenait pas à ce que le Prince des Chats devinât ses secrets. Quitte à tromper les esprits, sa vision ne serait pas complètement honnête, et il en assumerait les conséquences. Elle commença par le groupe affrontant le serpent de feu, bientôt terrassé, puis Eloeklo connaissant un sort similaire. Vint ensuite Tevildo, et son image montra de la surprise, alors même qu'il se dissipait, tandis que dans la vision Mordin observait la scène en fumant la pipe avec satisfaction. Mais cela fut remplacé par une nouvelle vision d'un combat contre Tevildo qui se passait mal, avec les aventuriers morts ou gravement blessés. Alors Mordin utilisa l'Ulûkai de Morgoth pour forcer Tevildo à se jeter dans le Puits de Morgoth, dans lequel il se jeta ensuite avec la gemme maudite, montrant qu'il était prêt à se sacrifier pour bannir le Prince des Chats ; tandis que les esprits du Grand Nord évacuaient les Lossoth loin du groupe pour éviter des victimes.

Encore plus que Rob, particulièrement depuis qu'elle avait pris le breuvage magique de la gardienne des arbres, la vision d'Isilmë brillait par sa simplicité. Dans sa vision, elle était présente avec Drilun, son amour, et elle était prête à tout pour le sauver. Le voyant menacé, près d'être absorbé par un monstre noir, elle s'interposa pour le protéger, quitte à devenir un fantôme. Fantôme qui attendit son aimé, et lorsque Drilun apparut enfin, ils joignirent leurs mains et contemplèrent le lever de soleil.

Drilun, justement, prit son temps avant de proposer sa vision. Dans cette dernière, le groupe était visible, chassé par une obscurité venue du sud-est. Au fur et à mesure qu'ils se déplaçaient, qu'ils recherchaient le calme, le ciel devenait de plus en plus turbulent, avec davantage de nuages noirs, des éclairs et de l'obscurité, et des morts-vivants. Ils furent faits prisonniers par la glace, mais à l'aide de fragments de lumière ils redonnèrent espoir aux Lossoth, ils sortirent la tête de la glace et leur donnèrent de la chaleur et des outils. Ils attirèrent le mal à eux en le détournant des Hommes des Neiges, pour plus d'équilibre et moins de massacres. La vision parlait d'accepter les forces du Grand Nord, faire en sorte de ne garder que celles participant à l'équilibre, remplacer la malhonnêteté par l'honneur. Il se vit aussi avec Isilmë, tous deux mariés, sa vie de magicien à la retraite : il travaillait désormais la terre et se consacrait aux choses fondamentales de la vie. Et Krisfuin, le bâton blanc magique qu'il portait, avait été donné à d'autres. Néanmoins, dans sa vision, son rêve de bonheur pouvait être retardé autant que nécessaire, tant que les peuples libres étaient menacés de ne pas le rester.

A la suite de cette dernière vision, Geralt en fit une nouvelle, très courte, où trônaient Durlach et le rubis qu'ils avaient obtenu du sorcier Zigûr. Sa vision trahissait ses doutes et exprimait sa recherche de la bonne manière, le bon outil, pour invoquer Durlach et aider à le bannir. Cette brève vision fut suivie par une autre de Mordin, où les aventuriers, Tevildo et l'Ulûkai de Morgoth étaient présents. Plus nombreux étaient les aventuriers à mourir, plus fort était Tevildo, et plus difficile à bannir, et plus l'Ulûkai devait servir pour cela. Le nain exprimait ainsi la nécessité de maintenir en vie les aventuriers le plus possible pour permettre d'accomplir leur tâche en utilisant le moins possible les outils ténébreux contraires aux valeurs du Grand Nord.

6 - Accords et départs
Pendant toutes ces visions, les esprits avaient réagi, bougeant et changeant de place les uns par rapport aux autres, se rapprochant et s'éloignant parfois. Les plus perceptifs de l'équipe pouvaient même interpréter ces changements, ou même les échanges entre les esprits. Lorsque les esprits négatifs se rapprochaient du cercle et des aventuriers, ce qui arrivait lorsque les esprits bénéfiques s'en écartaient, c'était mauvais signe. Parfois certains esprits se réunissaient, des groupes se formaient qui semblaient échanger, comme un débat avec ses partisans et ses opposants. Car les visions des aventuriers ne laissèrent pas les esprits indifférents, en aucun cas, ni parfois d'accord les uns avec les autres. Néanmoins, à une exception près, les esprits semblèrent arriver à un accord global, qui fut exprimé avant de laisser chaque aventurier trouver le chemin de la sortie vers le monde réel.

Rob fut certainement l'aventurier dont la vision rencontra le plus net consensus parmi les esprits. Ces derniers, et en particulier ceux des sages et nommeuses d'esprit lossoth, avaient apprécié de voir les Hommes des Neiges clairement représentés, avec des scènes très clairement positives d'entraide, lumière, réjouissances et nourriture, très souvent synonyme de survie dans le Grand Nord. En conséquence, le hobbit fut garanti du soutien des esprits et il put retourner au monde réel sans problème aucun, et sans l'utilisation de son ancre mystique. Les esprits plus néfastes ne s'intéressèrent pas à lui. Dwimfa également rassembla beaucoup les esprits bénéfiques du Grand Nord, qui apprécièrent le côté réduit et bientôt dissipé de la zone de ténèbres, et les valeurs d'entraide et de sacrifice de soi pour le bien de ses amis. Peut-être aussi sentaient-ils qu'il faisait déjà partie du Grand Nord, ayant partagé pendant quelques années la vie des Hommes des Glaces, contrairement aux autres. Manifestement, le ressentiment qu'il avait manifesté pour Eloeklo lui était pardonné. Mais avant de quitter le monde des esprits, ce qui ne lui posa aucun problème, il attendit de voir bouger Vif, tout en gardant le regard fixé sur la bourse de Mordin. Il était conscient du leurre qu'elle contenait, et espérait induire Tevildo en erreur...

A l'opposé des deux précédents, le monde des esprits remua beaucoup autour de la proposition de Mordin. Avec lui, les esprits néfastes se rapprochèrent le plus, et de nombreux esprits bénéfiques s'éloignèrent, dérangés par sa vision : exprimer si clairement des désirs de vengeance, de combat violent, et d'utilisation d'un artefact maudit, cela ne plaisait guère. Sauf aux esprits de la mort et de la destruction, du conflit, qui se nourrissaient de la vision exprimée par le nain, et qui en voulaient davantage. Les esprits s'opposèrent souvent entre eux, et en fin de compte aucun n'arriva à dominer, si bien qu'aucun accord ne put être passé entre eux et avec le nain. Certains risquaient de l'aider, d'autres de lui nuire, et des deux côtés de l'échelle du bien et du mal. Et il en eut la preuve assez vite : lorsqu'il voulut prendre congé, les esprits qui l'accompagnèrent l'embrouillèrent tant et si bien qu'il perdit son chemin vers le monde réel. A l'aide de son ancre mystique il lui sembla retrouver la direction de son corps, mais il arriva à un carrefour où l'attendaient deux visions : à droite, Tevildo, menaçant comme toujours avec lui ; et à gauche, l'Ulûkai de Morgoth luisant d'une sinistre lueur ténébreuse. Mais Mordin ne choisit ni l'un ni l'autre, et il plongea entre les deux pour retrouver bientôt son corps. Mais la perle de céramique qui lui avait servi d'ancre n'était plus que poussière...

Entre ces extrêmes d'accord ou de désaccord, les esprits trouvèrent une certaine unité bienveillante, mais parfois un peu molle. Ce fut par exemple le cas d'Isilmë, qui d'une certaine manière intéressa peu les esprits, tant bénéfiques que conflictuels. Son histoire d'amour remportait l'adhésion, mais le Grand Nord n'était nullement présent dans sa vision. Sa motivation était entièrement tournée vers son amour, donc la motivation à l'aider fut surtout le fait des esprits de la famille. Elle bénéficia donc d'un petit accord, et d'un retour sans problème vers son corps physique : aucun esprit malin n'avait tenu à essayer de l'égarer. Geralt eu droit à un accord similaire, mais là par contre les avis étaient plus forts et divergents : son désir de vengeance était palpable et heurtait certains esprits, tandis que la violence et les regrets qui l'habitaient faisaient les joies d'esprits du combat, de la souffrance et de la destruction. Heureusement, son esprit de sacrifice et la force de son amitié lui valurent une forte adhésion de certains esprits bénéfiques, et il acquit leur aide. Néanmoins, lorsqu'il put retourner au monde réel, il trouva sur son chemin l'image d'Andalónil qui l'attendait. Il tenta de lui foncer dessus et de feinter pour le contourner, mais ce faisant il perdit son chemin. Il lui fallut faire appel à son ancre mystique pour lui permettre de retrouver son corps, ainsi qu'à un gros effort de volonté qui le laissa maussade et un peu affaibli. Et la noix de l'écureuil était noire et inutile dans sa main lorsqu'il reprit conscience.

Les trois qui restèrent bénéficièrent tous d'une plus grande adhésion des esprits, même si elle n'avait pas la force de l'aide accordée à Rob ou Dwimfa. Taurgil reçut une large adhésion de la part des esprits de la nature entre autres, son côté protecteur fut apprécié, son souci de l'après également. Il put rentrer sans mal dans son corps, néanmoins la feuille d'athelas séchée était en poussière... mais semblait encore bonne pour faire une infusion, ce qu'il ne tarda pas à faire, pour la fragrance et l'enlèvement des soucis qu'elle entraînait en partie. Ce dont Geralt profita avec plaisir. Drilun, de son côté, reçut aussi un soutien assez franc, malgré des images négatives un peu nombreuses dans sa vision. Contrairement à la crainte qu'il avait de passer pour égoïste en ayant la vision d'un mariage et d'une retraite avec Isilmë, cela enchanta les esprits de famille pour qui la continuité de la vie, à travers la famille et notamment les naissances, se retrouvait bien dans sa vision. Néanmoins, lorsqu'il revint à son corps, il fut peut-être gêné par des esprits négatifs qui s'étaient attachés à ses images d'obscurité et de morts-vivants récurrentes. Du coup il s'aperçut qu'une gemme de son bracelet avait noirci. La magie du bracelet était encore présente, mais plus faible, tant qu'il n'aurait pas trouvé une autre gemme pour remplacer celle dont l'énergie s'était tarie.

De son côté, la vision assez simple de Vif lui apporta un soutien assez facile des esprits. Pas de réel conflit, une purification générale... Néanmoins le Grand Nord n'y était pas très présent, et des esprits regrettèrent le manque d'images positives pour contrebalancer le seul esprit de sacrifice. Au moins ne heurtait-elle personne, même si des esprits étaient chagrinés de manquer de perspectives heureuses pour après, comme si sa quête était la fin de sa vie. Elle put donc rentrer dans son corps sans problème aucun, n'ayant soulevé aucun intérêt des éléments les plus négatifs du monde des esprits. Mais avant, elle prit bien soin, elle qui percevait ce dernier mieux que ses amis, de bien regarder les effets de leurs visions et les réactions sur les esprits présents, et en particulier celui dont elle percevait la présence sans le voir. Mais il n'avait pas bougé lorsque les esprits négatifs étaient devenus plus actifs, avec Mordin par exemple. Par ailleurs, lorsqu'il y avait des oppositions entre les esprits, les plus positifs étaient autour de l'invisible, et Tevildo se trouvait toujours à l'opposé du mystérieux esprit. Elle se dit qu'ils avaient sans doute un allié discret. Le Vieux Gris peut-être ?

7 - Retrouvailles et tensions
Lorsque les aventuriers émergèrent de leur transe, sur le lieu du rituel, ils s'aperçurent qu'ils n'étaient pas seuls. Bien sûr, Vieille Mère Fumée était là, mais un peu à l'écart, en grande conversation avec le dragon Canadras, dont elle vantait l'apparence et les nombreuses runes magiques qui étaient inscrites sur ses écailles. Comme le groupe l'apprit plus tard, elle avait déjà été en contact avec le dragon, mais jamais physiquement. Ce dernier semblait très intéressé par la magie que maîtrisait la vieille femme, qui répondait paisiblement à ses questions en prenant bien soin de ne pas le froisser d'aucune manière. Gillowen, l'elfe possédée par Eloeklo et qui avait récemment récupéré son âme autrefois arrachée par magie, était également là, non loin de leurs affaires. Et dans l'air ensoleillé au-dessus de la zone du rituel, les plus perceptifs distinguèrent la silhouette d'Andalónil qui faisait des cercles autour d'eux.

Tous récupérèrent leurs affaires, qui furent vérifiées dans le détail, en particulier par Mordin et Dwimfa. Mais rien ne semblait avoir été touché, rien ne manquait, même si le loup blanc appelé par Vieille Mère Fumée n'était plus là, pas plus que les lemmings d'ailleurs. Dès qu'il eut complété son barda, l'Homme des Bois se présenta à son ancienne amie d'enfance et d'aventures, Gillowen, avec une certaine émotion. Depuis des années, depuis la perte de son âme lorsqu'ils étaient à Minas Ithil, ils n'avaient jamais pu se retrouver ainsi. Avec une certaine appréhension, le contact se fit, et Dwimfa fut soulagé de reconnaître dans ses yeux son amie, maîtresse d'elle-même, bien qu''il sentît aussi la présence d'Eloeklo en elle. Une brève embrassade les réunit un moment, pendant lequel elle lui fit discrètement passer l'Eargil, ce fabuleux artefact magique conférant de grands pouvoirs aux seigneurs dúnedain, et pris sur le corps d'Arang, leur ancien compagnon d'armes. Puis elle lui remit plus ouvertement d'autres objets de leur équipe d'autrefois, objets qu'elle avait convenu de leur remettre et dont certains étaient destinés au dragon Canadras. Il y avait ainsi une boule de cristal, un épais grimoire de magie écrit en eothrik, langue nordique des seigneurs-cavaliers du Rhovanion, un bâton de lumière et de foudre et une amulette permettant de se transformer en chauve-souris vampire.

Plus tard, l'Homme des Bois fit passer l'Eargil, ou "Étoile de Mer" en sindarin, à Taurgil, qui en bénéficierait le plus. En plus de faciliter sa magie, cette amulette lui conférerait une nouvelle protection, ainsi que des pouvoirs sur la mer et ses créatures, entre autres. Ses amis et lui discutèrent aussi de la possibilité de donner en avance à Canadras la boule de cristal magique, dont ils n'auraient pas le temps d'apprendre à se servir et qui ne les aiderait en rien. Pour toutes ces raisons l'accord de l'ensemble de l'équipe fut vite conclu. Le bâton de foudre fut remis à Drilun, de même que le grimoire magique qu'il s'empressa de feuilleter avec curiosité, puis Dwimfa se dirigea vers le dragon et la nommeuse d'esprit. Cette dernière perçut son approche et en profita pour s'esquiver, laissant l'Homme des Bois seul face à la grande créature écailleuse.

L'Homme des Bois à la peau de bois intéressa vivement le dragon, par la présence vivante d'une magie nouvelle qu'il ne maîtrisait pas. Ce n'était pas la première fois qu'il voyait les effets de cette magie sur les quatre aventuriers qui l'avaient expérimentée, et manifestement cela piquait son intérêt. Dwimfa lui remit la boule de cristal de voyance en avance, en signe de bonne volonté de leur part, rappelant aussi que cela correspondait à un accord afin de les aider à réaliser le rituel de convocation de Durlach, le Serpent de Feu du Puits de Morgoth. Canadras accepta le présent dans sa grande patte griffue, et il enchaîna sur les préparatifs du rituel que les aventuriers allaient faire. D'autres aventuriers s'étaient approchés pour participer à la conversation, et en particulier Drilun, cheville ouvrière dudit rituel. Le dragon passa en revue les éléments préparés et il donna son avis, approuvant ou désapprouvant, ou faisant des remarques diverses. Entre autres choses, il expliqua que les pierres ponces ou basaltiques réunies étaient inutiles, puisque le groupe allait fournir au rituel deux très grosses gemmes qui venaient elles-mêmes des profondeurs de la terre. Une seule pourrait même suffire, mais les deux, ensemble, pourraient sans doute apporter un petit plus.

A la demande qui lui fut faite d'aller chercher et ramener un orc vivant comme seul sacrifice, il confirma qu'il pouvait envisager de le faire contre paiement, car ce service n'entrait pour lui absolument pas dans l'accord qu'il avait passé avec les aventuriers : selon lui, son rôle se limitait à leur enseigner comment faire le rituel de manière correcte et exacte, mais ne comprenait pas la fourniture de matériel ou toute autre aide directe. Il se vit proposer un nouvel objet magique, l'amulette Eldanar, de la famille du même nom, qui permettait d'appeler et maîtriser une boule de feu magique et vivante. Un débat avait eu lieu auparavant entre les aventuriers, d'où il était ressorti que cet objet magique était compliqué à utiliser et que le groupe avait bien d'autres ressources et qu'il ne leur apportait pas grand-chose. L'Homme des bois marchanda donc l'échange de cet objet magique contre la fourniture d'un orc bien vivant. Canadras résista un peu, ce qui poussa Mordin à intervenir et à appuyer les propos de son ami. Au bout du compte il arriva à emporter la décision du dragon. Ce dernier confirma également que la destruction du rubis de Zigûr était pour lui une meilleure solution que la destruction des éléments du rituel par les petites bombes de feu magiques préparées par Drilun. Oui, Canadras pouvait le faire, mais ce ne serait pas gratuit : il réclamait en échange dix ans de la vie de Drilun à le servir. Quand il lui fut demandé si Isilmë pouvait venir avec lui, il répliqua que sa demeure n'était pas un hôtel et donc qu'il réclamerait un an de sa vie à elle en échange. Devant l'insistance - et pour lui l'irrespect - de Drilun à voir en cela une violation, un détournement de leur accord, ou tout du moins une preuve de mauvaise volonté, il haussa le ton, montrant une certaine exaspération pour ce petit humain qui osait lui tenir tête alors qu'il pouvait n'en faire qu'une bouchée. Il s'envola alors en disant qu'il serait de retour avec l'orc le lendemain soir, et il serait toujours temps au groupe de décider ou non de sa participation à la destruction du rubis magique au cours du rituel.

Une fois le dragon parti, Vieille Mère Fumée admonesta le Dunéen magicien pour son imprudence : le dragon avait ses règles, il fallait les accepter plutôt que de vouloir les changer. Qui était-il pour vouloir se montrer plus fort qu'une des créatures les plus puissantes du Grand Nord ? Elle fut appuyée en cela par Gillowen, qui donna quelques conseils sur la manière d'entrer dans le jeu du dragon plutôt que de s'y opposer : rendre les choses les plus claires possibles et limiter leur interprétation possible, sans quoi Canadras aurait beau jeu de tourner les choses en sa faveur et de les considérer comme des gamins immatures. Alors qu'en jouant son jeu, le groupe gagnerait en respect de sa part. Déjà qu'il paraissait incroyable qu'il ait pu se maîtriser et ne pas croquer Drilun comme n'importe quel autre dragon l'aurait fait... Il devait vraiment bien aimer l'archer-magicien, ou avoir pour lui des projets bien importants à ses yeux.

Concernant la possibilité de "prêter" Drilun à Canadras, plusieurs aventuriers réclamèrent l'avis de Tevildo à ce sujet. Vif se concentra donc pour appeler son patron, qui répondit après un moment, l'air assez guilleret, qu'il ne voyait aucun problème à cela. Manifestement, la servitude du magicien comptait assez peu pour le Prince des Chats une fois réalisées les opérations qui allaient le libérer de sa prison magique et lui fournir un nouveau corps physique. Tevildo donna également une autre possibilité pour la réalisation du rituel, mais qui risquait de ne pas plaire : la destruction du grimoire de magie récemment remis par l'elfe magicienne, grimoire qui, il l'avait déjà constaté et Gillowen et Dwimfa le confirmèrent, avait une manière très pyrotechnique et violente de réagir aux erreurs ou aux agressions. Par ailleurs, l'ancienne amie d'enfance de Dwimfa apporta une solution possible au problème de l'effet de la boule de feu engendrée par la destruction du rubis magique : avec l'aide du Suimbalmynas, elle était capable de trouver un sort permettant, en le lançant de nombreuses fois, de renforcer l'épaisseur de la glace sur la zone du rituel, et surtout en dehors du rayon de la boule de feu. Ainsi, même si le rayonnement calorifique émis par la boule de feu en ferait fondre une partie, il en resterait suffisamment pour que les participants au rituel pussent fuir sans plonger dans l'eau de la baie. Seul petit hic : Gillowen avait la réputation d'être malchanceuse et d'avoir régulièrement des échecs magiques retentissants, ce que là encore Dwimfa confirma, et avec véhémence : après tout, c'était à cause de cela qu'Eloeklo avait pu prendre possession de lui pendant des années... puis d'elle-même ensuite. Mais il existait une solution : trouver la rune et la faire lancer, encore et encore, par Drilun.
Modifié en dernier par Niemal le 09 août 2021, 18:40, modifié 1 fois.
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Grand Nord - 42e partie : Balrog !

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1 - Repos et interrogations
Le rituel devait avoir lieu le lendemain, au cours de la nuit, et donc la première chose à faire, vu l'heure tardive, était de se reposer. La journée avait été dense, et la suivante le serait certainement encore bien plus : n'allaient-ils pas invoquer un Balrog, un "Démon de puissance" (ou Valarauko en quenya), autrefois au service de Morgoth, le "Noir Ennemi du Monde" ? Ces démons étaient les plus puissants serviteurs du Vala déchu, d'une capacité de destruction que seuls les vieux dragons approchaient. Le rituel ne serait déjà pas une promenade de santé, mais le combat qui allait suivre dépasserait sans doute tout ce que les aventuriers avaient déjà pu voir. Certes, Jäänainen était censée abattre Durlach, nom du Balrog emprisonné dans le Puits de Morgoth, et qu'ils allaient faire venir. Mais arriveraient-ils à fuir assez vite les lieux du combat pour éviter d'avoir à participer ? Aucun des aventuriers ne pouvait espérer survivre, ou juste un très bref moment, dans un affrontement personnel avec le démon de feu, et ils avaient peu d'armes capables de lui faire du mal sans fondre à son contact. Une flèche magique, faite à partir d'un fragment d'Illuin, lampe magique créée par les Valar, avait été conçue spécifiquement pour blesser ou tuer Durlach. Mais serait-elle suffisante ?

D'où la nécessité de bien se reposer pour être en pleine possession de tous ses moyens, sans quoi le prochain repos risquait d'être éternel. Avant cela, une discussion eut lieu sur la possibilité de changer les porteurs des deux perles gémelles, actuellement possédées par Geralt et Vif. En effet, en plus de permettre d'échanger ses émotions, ses perceptions et ses pensées, les perles donnaient la possibilité à l'un des porteurs de renforcer l'action de l'autre avec sa propre force de volonté. Drilun, qui allait mener le rituel, aurait certainement bien besoin d'un peu d'aide directe pour cela ! De plus, le partage des compétences que permettaient les perles offrait la possibilité, là encore si Drilun était l'un des dépositaires, d'avoir deux personnes capables de participer activement au rituel au lieu d'une seule...

Mais certains rappelèrent que pour participer activement au rituel magique, en plus de la compétence, il fallait avoir la capacité à pouvoir lancer ce type de magie. Geralt portait une perle qui le liait à Vif, pourtant il n'était pas capable de parler aux félins ou de se transformer en l'un d'eux ! Or, dans le groupe, à part Drilun, seul Dwimfa pouvait utiliser une magie similaire, et il avait déjà dit qu'il ne porterait pas une perle, au risque de permettre à Tevildo, à travers l'autre personne qui portait la perle, d'apprendre des secrets qu'il ne devait pas savoir. La possibilité de donner directement de la volonté à l'archer-magicien, comme autant d'énergie magique, pouvait néanmoins être intéressante. Mordin et Vif, dont les volontés étaient les plus fortes, semblaient les plus indiqués pour un tel rôle. Mais le nain, comme l'Homme des Bois, savait des choses qu'il fallait cacher à Tevildo, donc lui non plus ne porterait pas la perle. Et Vif participait déjà de manière secondaire, et avec l'aide indirecte (via la perle) de Geralt en plus. Au bout du compte, cela aurait sans doute été mieux de donner la perle du maître-assassin à Drilun, pour aider plus directement au rituel. Mais les aventuriers allèrent se coucher sans trancher la question et à leur réveil il était trop tard : le lien entre les deux porteurs de perle mettait une journée complète - un cycle du soleil - à s'établir entre deux nouvelles personnes.

Au réveil, Drilun, comme plusieurs fois auparavant et encore d'autres fois en cours de journée, continua à appeler magiquement un temps hivernal sur la zone concernée par le rituel, afin de maintenir l'épaisseur de glace suffisante pour faire le rituel sur la banquise restante. Mais, afin de faciliter les préparatifs, il garda juste un temps couvert, sec et froid, sans neige ou vent pour les gêner. Le débat sur la manière de faire se consumer les ingrédients du rituel par le feu ressurgit une nouvelle fois. Petit à petit, les aventuriers se faisaient à l'idée de détruire le rubis de Zigûr, sans quoi Durlach ne serait pas complètement banni de la Terre du Milieu et ce serait un cadeau empoisonné, et de belle taille, qu'ils laisseraient aux générations futures. Mais faire détruire le rubis par le dragon Canadras coûterait dix ans de la vie de Drilun. N'y avait-il pas moyen de détruire le rubis autrement ?

Plusieurs reparlèrent de la possibilité, évoquée par Tevildo, d'utiliser le fabuleux grimoire de magie en leur possession, le Suimbalmynas, pour cela. Manifestement, selon le Prince des Chats, Gillowen - qui participait à la conversation, toute comme Vieille Mère Fumée - et Dwimfa, le grimoire magique était capable de réactions explosives en cas d'échec magique ou de tentative d'endommagement de l'artefact. Cela ne serait-il pas suffisant pour affecter le rubis ? Surtout si cela pouvait se faire de loin, et avec l'aide des bombes magiques que Drilun avait commencé à préparer... L'archer-magicien dunéen utilisa alors sa magie de la divination pour en avoir le cœur net : il interrogea ses cailloux chargés magiquement pour obtenir des réponses à ses questions, comme il le faisait souvent. Dans un premier temps, il demanda si ses bombes étaient capables d'endommager le livre et de le faire "réagir", ce pour quoi il obtint une réponse assez franche : ce n'était pas complètement sûr, mais cela avait de bonnes chances de fonctionner. La question suivante porta sur l'effet d'une explosion du grimoire sur le rubis magique. Malheureusement, la magie du grimoire entier n'était pas suffisante pour détruire le rubis de Zigûr - la réponse était un "non" catégorique.

Au bout du compte, le dilemme restait simple : ou bien le groupe acceptait de potentiellement perdre le rubis, sans le détruire, pour des conséquences à long terme extrêmement néfastes ; ou bien Drilun acceptait de servir le dragon pendant dix ans, dragon qui détruirait le rubis pour eux. Bien sûr, les termes de ce service restaient à préciser avec ledit dragon. Mais ce choix, seul le Dunéen du groupe pouvait le faire, et ses compagnons respecteraient sa décision, quelle qu'elle fût. Bien sûr, Isilmë était partante pour passer les dix ans à ses côtés, même si cela voulait dire un asservissement - minime - de sa part envers Canadras. En fin de compte, l'archer-magicien se demanda s'il avait vraiment le choix, et même si cela serait si terrible que ça de côtoyer un si formidable magicien et d'apprendre à ses côtés. Restait qu'en dix ans, plusieurs de ses amis pensaient que le dragon aurait bien d'autres occasions d'augmenter la dette de Drilun à son égard...

2 - Positionnement
Le rituel semblait prêt, ne manquait plus qu'à installer les ingrédients - dont un orc que Canadras devait amener - au centre du cercle qu'ils avaient gravé dans la glace. Mais en revanche, divers préparatifs devaient être établis et mis en œuvre pour garantir des chances de survie maximales pour les participants au rituel, qui seraient au nombre de sept. Vieille Mère Fumée avait donné la position idéale, selon elle, des sept participants. Elle voyait une étoile à sept branches renversée, avec une pointe vers le sud, position qu'occuperait Drilun : il ferait ainsi face au nord, car le Puits de Morgoth - où était emprisonné Durlach - était presque exactement au nord de leur position, et donc le démon avait des chances d'arriver en regardant au sud, face à l'archer-magicien qui conduirait le rituel, ce qui lui semblait bien. Face à Drilun, au nord, en remontant les deux branches de sa pointe d'étoile, seraient placées les deux autres participantes actives au rituel : Gillowen à gauche, et elle-même (Vieille Mère Fumée) à droite. A gauche en descendant vers le sud, depuis Gillowen, elle avait positionné Dwimfa et Taurgil. À droite, depuis la nommeuse d'esprit, elle plaçait Vif et Isilmë.

Ces positions firent débat. Vieille Mère Fumée, Vif et Isilmë étaient les plus proches du rivage, donc potentiellement les plus facilement en sécurité. Taurgil et Dwimfa en étaient les plus éloignés. La vieille dame expliqua qu'elle espérait pouvoir profiter ainsi de l'aide de la lionne enchantée pour l'amener en lieu sûr, que Drilun et Isilmë seraient côte à côte et pourraient éventuellement s'aider, ce qui serait important pour eux, et que les autres étaient assez débrouillards. L'Homme des Bois confirma qu'il était tout à fait d'accord avec cela, il avait par le passé prouvé qu'il bénéficiait de très grandes ressources... et de beaucoup de chance. Le Dúnadan était aussi d'accord avec sa position, lui aussi se rangeait dans les plus coriaces du groupe, avec la féline Femme des Bois, qui était bien placée pour aider Vieille Mère Fumée. Restait l'elfe magicienne et amie de l'Homme des Bois, le Dunéen, et son elfe aimée.

La première dit que sa place lui convenait aussi. Elle suggéra qu'il serait peut-être possible pour l'un des aventuriers d'utiliser l'amulette chauve-souris qu'elle avait remise, avant de la faire passer au dragon. Elle donnait en effet le pouvoir de se transformer par magie en chauve-souris vampire, et donc de pouvoir s'envoler loin des ennuis. Avec un handicap de taille : hormis pour les personnes corrompues, maléfiques, le retour à la forme originelle n'était pas possible sans magie purificatrice forte. Ainsi le guerrier nain de leur équipe (à Dwimfa, Tina et elle-même), Enhar, très prompt à essayer des babioles magiques, avait testé l'amulette avec plaisir... mais il était resté sous forme de chauve-souris pendant plusieurs mois ! Dans son cas à elle, Gillowen, c'était la présence d'Eloeklo en elle qui lui permettait de retrouver son corps elfe. Mais peut-être l'amulette pourrait-elle servir l'un des aventuriers... Pour sa part, elle profiterait de l'occasion pour focaliser l'attention d'Andalónil sur elle : Eloeklo savait qu'il avait besoin de sa présence à elle pour le rituel qui allait l'invoquer, donc il avait fait comprendre au démon de froid ailé que la survie de la magicienne était sa priorité. Elle comptait donc sur Andalónil pour l'aider à fuir et ainsi il ne serait pas disponible pour chercher des noises à Geralt ou à ses amis.

Drilun accepta donc sa position, et Isilmë peut-être encore plus facilement, appréciant d'être aux côtés de son aimé. Mais comment faire pour les aider à fuir plus facilement ? La proposition de Gillowen ne rencontra pas de volontaires, même si certains y réfléchirent. Ils se passeraient d'utiliser l'amulette maudite. Rob rappela une chose à la guerrière elfe du groupe : depuis qu'elle avait pris le breuvage magique qui l'avait fait grandir, elle perdait parfois la mémoire ; mais elle restait une elfe, capable d'utiliser des pouvoirs magiques qui lui permettaient d'être très habile sur des terrains instables comme de la glace... En son for intérieur, le hobbit se promit de le lui rappeler le moment venu. Par ailleurs, certains se demandèrent s'il ne serait pas possible d'aider certains membres du groupe à l'aide d'une corde. Par exemple, Drilun était entouré de Taurgil et d'Isilmë ; le groupe avait assez de cordes - ce qui fut vérifié - pour les attacher tous les trois et donner une extrémité à Geralt, à une bonne trentaine de pas au sud de l'archer-magicien. Le balafré aux cheveux blancs possédait une statuette de cheval magique qui pouvait se transformer en un cheval robuste et infatigable et qui pourrait les tracter au sud, en sécurité.

Ce qui permit aussi de déterminer la position des trois derniers membres du groupe, qui ne participeraient pas directement au rituel. À part Geralt, qui apporterait sa volonté à Vif grâce aux perles gémelles, Rob et Mordin n'avaient rien d'autre à faire que veiller sur les autres. Ils pourraient donc se tenir ensemble, au sud, afin d'aider à évacuer leurs amis proches d'eux. Au final, les participants à cette aventure seraient répartis ainsi :
- au nord-est, Vif devait mettre Vieille Mère Fumée en sécurité sur la terre ferme
- au nord-nord-ouest, Gillowen devait se débrouiller avec Andalónil pour fuir
- à l'ouest, Dwimfa devrait se débrouiller tout seul, ce qui lui convenait bien
- au sud, Taurgil, Drilun et Isilmë seraient aidés par Geralt, Rob et Mordin pour fuir vers le sud

À cela il fallait ajouter les présences de trois personnages importants : le démon du froid, Andalónil, serait certainement en l'air, à une certaine distance, pour veiller à la sécurité de Gillowen. Canadras serait présent également, qui devait détruire le rubis de Zigûr. Lui aussi serait sans doute en vol, la banquise n'étant certainement pas assez solide pour supporter son poids. Restait enfin Jäänainen, la Dame du Froid, qui était chargée de régler son compte à Durlach lorsqu'il serait là. Mais savoir où et comment elle serait là était impossible. Elle le déciderait d'elle-même, et choisirait sans doute son moment pour un maximum d'effet sur le Balrog... voire sur les aventuriers. Des petites - voire grosses - surprises étaient peut-être à prévoir.

3 - Expérimentations
Il avait été question de renforcer la glace auprès des participants au rituel. Il était temps de passer aux travaux pratiques, et donc il fut demandé à Gillowen de chercher un sort dans le grimoire magique, le Suimbalmynas, pour pouvoir faire cela. Comme l'elfe magicienne avait la réputation de ne pas avoir de chance et de favoriser les échecs magiques, elle devait juste trouver la rune magique la plus appropriée, que Drilun serait chargé de lancer encore et encore. Le grimoire avait ceci de particulier - et précieux - que les runes étaient réutilisables à l'infini. Pour quelqu'un maîtrisant la magie runique, c'était donc un outil fantastique, donnant accès à une réserve immense de sorts liés en particulier à la maîtrise des éléments ou aux illusions par exemple. Gillowen s'écarta donc un peu du groupe afin de chercher dans le grimoire le sort le plus approprié au renforcement de la glace sous le rituel.

D'autres se livrèrent à diverses expériences, comme Taurgil : le Dúnadan, plutôt prévoyant, voulait savoir s'il lui était possible de tomber dans l'eau et d'arriver à se sortir de là tout seul, même s'il ne retrouvait pas l'endroit par lequel il avait traversé la banquise. Depuis qu'il avait bien grandi et qu'il avait pris une peau de bois, il ne craignait absolument plus l'eau glacée, donc ce problème au moins était réglé. En revanche, arriverait-il, à l'aide de sa magie de roi, à faire un nouveau trou dans la glace par en-dessous ? Il fallait le tester, et il demanda - par sécurité - l'assistance de Mordin. À une certaine distance du rituel, il s'attacha une corde autour de la taille, dont le nain tenait l'autre bout, puis fit un trou de taille suffisante dans la glace à l'aide de l'épée magique Gwaedhel. Il respira plusieurs fois profondément afin de bien oxygéner son corps, puis il retint sa respiration et sauta.

Sous l'eau, en raison du temps couvert et de la glace en partie couverte d'un peu de neige, il faisait très sombre, les perceptions étaient plus difficiles. Au moment du rituel ce serait pire, puisque le temps ne serait pas meilleur voire peut-être pire, et que ce serait la nuit. Les perspectives étaient différentes, et il était facile de ne pas repérer rapidement un trou dans la banquise. Il s'approcha de cette dernière, à un endroit où elle était intacte, en nageant. Puis il utilisa sa magie de roi pour donner un plus grand effet - explosif sur des objets inanimés - à ses coups d'épée. Se saisissant de Gwaedhel, il porta alors un coup vers le haut aussi fort qu'il put. La glace éclata sous le choc, produisant un trou bien assez grand pour lui, mais le coup le poussa vers le fond de l'eau. Il remonta alors, rangea son épée au fourreau et sortit la tête hors de l'eau. Se hisser hors de l'eau, sur la banquise, sans glisser en arrière, n'était pas très évident, mais il avait de la ressource et il y arriva sans trop de mal. L'expérience était concluante : il pourrait se débrouiller seul s'il tombait à l'eau. Ou s'il choisissait d'y plonger de lui-même, ce qui pourrait être intéressant pour se protéger du feu de Durlach.

Ce qui fut peut-être aussi une pensée partagée par Dwimfa. De son côté, il se dit qu'il serait peut-être intéressant d'avoir une corde accrochée à la banquise, plus loin, pour l'aider à s'éloigner en cas de problème. Au départ, l'Homme des Bois souhaitait faire deux trous dans la glace, peu éloignés, pour faire une boucle autour de la glace, en partie dans l'eau, avec une corde. Il pensait ainsi que cela serait plus solide qu'accrocher la corde à quelque chose de planté dans la glace. La corde serait ensuite déroulée jusqu'à lui. Certains lui suggérèrent de faire passer la corde non pas sur la glace, où il serait une cible facile, mais sous la glace, où il serait en plus caché. Lui non plus n'avait aucun problème avec l'eau glacée, et ce avant même d'avoir une peau de bois comme celle de son ami dúnadan. Il avait en effet bénéficié, par le passé, d'un enchantement magique puissant qui l'immunisait au froid naturel d'une intensité similaire à un bain dans l'eau glacée. L'idée de passer sous la banquise lui parut donc très bonne.

A la suite de cela, Gillowen vint rejoindre le groupe. Elle avait trouvé une rune magique adaptée à ce qu'ils voulaient faire, qui permettait de geler l'eau présente à une distance d'au moins cinq pieds (~1 mètre 50) de la main du magicien ou de la magicienne. Cette rune était de difficulté moyenne, et Drilun était capable de la lancer pratiquement sans risque d'échouer et d'entraîner une réaction explosive du grimoire qui obligerait à tout recommencer. Les visions et études magiques de l'archer-magicien lui avaient appris qu'en cas de destruction du rubis de Zigûr, il en résulterait une boule de feu très intense qui détruirait tout dans un rayon de trente pas. Mais au-delà de cette boule de feu, la chaleur véhiculée par cette explosion avait de fortes chances de faire fondre en partie ou en totalité la glace sur trente autres pas de rayon. A l'aide de la rune, Gillowen estimait qu'il était possible de faire un chemin de glace assez épais pour résister à la chaleur de l'explosion du rubis, sur une trentaine de pas de long, en utilisant la rune magique une quinzaine de fois. Restait à voir qui allait bénéficier d'un tel chemin de glace : il y avait sept participants au rituel. Lancer une quinzaine de fois la rune magique ne présentait pas grand risque. Mais faire cela sept fois n'était pas anodin, une mauvaise surprise était bien plus probable.

4 - Magie élémentaire
Fort de cette rune et de ces considérations, l'archer-magicien du groupe réalisa plusieurs chemins de glace : un premier pour Vieille Mère Fumée, qui obliquait d'abord en partie vers la position de Vif, avant de s'éloigner franchement du centre du rituel, vers la sécurité d'une banquise plus éloignée et de la terre ferme. L'idée était ainsi de faciliter la réunion de la lionne enchantée et de la nommeuse d'esprit. A cela il ajouta deux chemins, un pour Dwimfa et un pour lui, qui étaient rectilignes et permettaient de s'éloigner de la zone du rituel au plus vite. Ainsi, pensait-il, l'Homme des Bois pourrait se débrouiller tout seul pour s'éloigner. Pour sa part, il n'en avait pas vraiment besoin, puisque normalement il serait aidé par une corde qui le tirerait en arrière grâce au cheval magique de Geralt, comme Taurgil et Isilmë. Mais ce serait sans doute plus facile ainsi, sans parler de lui offrir une porte de sortie supplémentaire, à lui qui n'avait pas les mêmes capacités que ses amis pour évoluer dans l'eau ou sur une glace glissante.

A cela il ajouta non pas des chemins mais quatre plate-formes de glace aux emplacements de Gillowen, Vif, Isilmë et Taurgil. Ce qui leur éviterait de plonger dans l'eau si la glace autour d'eux, non renforcée, fondait trop pour supporter leur poids. À l'aide du Suimbalmynas, il lui fallut utiliser la rune de gel pas moins de cinquante-cinq fois pour arriver à quelque chose de satisfaisant. Les trois chemins et les quatre plate-formes se firent sans accroc magique aucun, même si à une occasion ou deux sa maîtrise de la magie runique ne fut pas parfaite. Mais elle fut suffisante, sans aucun échec magique susceptible de causer une explosion qui mettrait à mal la glace et le site du rituel. Seule Vif trouvait un peu léger son traitement, car elle aurait peut-être du mal à rejoindre Vieille Mère Fumée si la glace entre elles deux fondait complètement, à l'exception du chemin réalisé pour la vieille dame.

Entretemps, la magicienne elfe, Gillowen, découvrait l'organisation du sauvetage des trois participants les plus au sud à l'aide de cordes. Elle s'inquiéta de l'effet de la boule de feu proche déclenchée par l'explosion du rubis de Zigûr : à cinquante pas du centre de l'explosion, la chaleur restait suffisante pour cuire Rob et le faire passer de vie à trépas s'il ne portait aucune protection, d'après des divinations passées. Quel serait l'effet sur des cordes encore plus proches ? Elle avait quelques doutes sur leur capacité à résister à une chaleur intense, et suggéra au magicien dunéen de faire quelques nouvelles divinations pour s'assurer qu'il n'y ait pas de mauvaise surprise. Ce qu'il fit, et le résultat ne se fit pas attendre : selon ses cailloux chargés magiquement, les cordes auraient bien du mal à résister à une chaleur si intense. Leur plan de sauvegarde par corde tombait à l'eau !

Du coup, il décida de faire de nouveaux chemins pour permettre à chacun, individuellement, de prendre la poudre d'escampette par ses propres moyens, sur un chemin de glace. Ce qu'il fit donc pour Taurgil et Isilmë, de chaque côté de lui. Pour la magicienne elfe, en revanche, il estima que ce n'était pas nécessaire : elle aurait Andalónil, qui volait, pour s'occuper d'elle et lui permettre de se tirer d'affaire. Quant à la féline Femme des Bois, il réalisa juste un bout de chemin allant vers celui de Vieille Mère Fumée. Ainsi la lionne enchantée pourrait rejoindre la vieille nommeuse d'esprit au plus vite pour l'emmener au loin. À nouveau il utilisa le grimoire de magie, à nouveau il s'en tira très bien et ne commit aucune erreur. Néanmoins il ne tenait pas trop à tenter davantage sa chance ou sa compétence.

Mais son travail magique était loin d'être terminé : afin de peut-être gêner le Balrog mais aussi de leur permettre de tous mieux se repérer, il programma pour plus tard, à l'aide du bâton magique de lumière, Krisfuin, des lumières magiques sur toute l'équipe, Gillowen et Vieille Mère Fumée comprises. En attendant, l'équipe se dit qu'il pourrait être intéressant d'avoir un ou deux abris de glace pour aider à se protéger d'une éventuelle attaque de feu. L'équipe avait déjà réalisé sept murets de glace d'environ un pas d'épaisseur pour chaque participant au rituel, mais il pouvait être intéressant d'en prévoir d'autres, plus loin. Par exemple un pour Geralt, Rob et Mordin, donc à plus de soixante pas du centre du rituel ; abri qui pourrait éventuellement servir pour l'archer-magicien dunéen et l'elfe guerrière. Plus un autre du côté de Taurgil et Dwimfa, toujours à la même distance, pour les mêmes raisons. Gillowen trouva dans le grimoire de magie une rune, plus complexe que celle permettant de geler l'eau, pour modeler magiquement de la glace déjà présente. Cela évitait d'avoir à découper des blocs de glace au loin, les transporter, les assembler, comme ils l'avaient déjà fait auparavant. À l'aide du Suimbalmynas, Drilun créa donc davantage de glace sous lui pour la modeler ensuite avec la nouvelle rune, plus difficile à maîtriser. Mais il s'en sortit bien, et put ainsi réaliser deux abris : un petit mur épais, de plusieurs pas de large, au sud de son emplacement à lui, un peu côté Isilmë ; plus un autre, similaire, en arrière de la position de Taurgil, un peu plus au nord pour pouvoir être un peu plus proche de la position de Dwimfa.

Enfin, l'archer-magicien décida de finir la réalisation des bombes de feu magiques qu'il avait commencé à faire, même si leur utilité était discutable. Après quoi, fatigué, il demanda un sommeil réparateur et magique à Isilmë, tout en prenant également un peu de préparation de marchand de sable, ce puissant somnifère qui accélérait grandement la vitesse de récupération du sommeil. Tandis qu'il dormait, ses amis faisaient les derniers préparatifs, répartissant notamment les drogues qu'ils allaient utiliser pour les stimuler tous. Ainsi, chacun d'entre eux bénéficierait de l'effet d'une noix d'écureuil, du moins la préparation liquide que les elfes de Brumes Éternelles avaient faite à partir d'une noix authentique. De plus, les trois participants les plus actifs au rituel - Gillowen, Drilun et Vieille Mère Fumée - bénéficieraient d'une préparation similaire de bonneherbe, ce stimulant qui donnait une grande confiance pour des actions altruistes et constructives. Les aventuriers firent également le tri dans l'équipement qu'ils gardaient avec eux, se délestant de ce qu'ils pensaient inutile. Une flèche magique réalisée avec un fragment d'Illuin, l'ancienne lampe magique réalisée par les Valar, fut remise à Isilmë, pour servir contre le Balrog avant de fuir. Elle avait été créée spécifiquement contre Durlach, de manière à percer toutes ses protections magiques et à le tuer. Mais ils n'avaient qu'une seule flèche contre lui...

5 - Contrats avec un dragon
Tandis que Drilun dormait encore, le dragon Canadras arriva enfin, avec un cadeau dans une patte avant : c'était un orc qu'il avait trouvé dans les montagnes, pendant la nuit précédente. Ce qui ne fut pas simple car les nuits étant de plus en plus courtes, les orcs ne sortaient plus guère de leurs cavernes. Il l'avait endormi pour ne pas avoir à supporter ses cris et autres, et le sommeil magique dans lequel il était plongé durerait jusqu'à la fin du rituel. Les aventuriers reçurent donc le cadeau promis, ce qui poussa Dwimfa à remercier très chaleureusement le dragon, le flattant au passage de manière discrète, au grand plaisir du grand Ver. Canadras voyait bien que l'Homme des Bois voulait le mettre dans de "bonnes conditions" pour un éventuel marchandage, mais il n'était pas contre un peu de flatterie, et cette dernière était si bien faite que le dragon se sentit bien disposé envers son auteur.

Du coup, se sentant très généreux, il parla à l'Homme des Bois d'une petite faille dans l'organisation des aventuriers. Il avait vu l'évolution des préparatifs du rituel en arrivant, qu'il approuvait, mais il pensait qu'il y avait un élément qui n'avait pas été assez pris en compte. D'après des divinations qu'il avait faites, l'explosion du rubis de Zigûr allait instantanément sublimer ou vaporiser la glace et l'eau dans un rayon de trente pas autour du centre de l'explosion magique, et faire fondre la roche du fond de la mer. Cela ferait un trou gigantesque que la mer aux alentours se dépêcherait de combler. La brusque chute d'eau aux abords du trou ferait baisser le niveau de l'eau, et la banquise proche se trouverait de moins en moins portée par l'eau. Elle ploierait... jusqu'à se rompre bientôt, et cela bien au-delà des soixante pas de rayon autour du centre du rituel. Toute l'équipe serait affectée par ce "tremblement de glace", y compris les trois qui n'allaient pas participer au rituel et qui attendraient à distance...

Dwimfa remercia le dragon et les aventuriers se concertèrent afin de trouver une parade à ce problème qu'ils n'avaient pas envisagé. Grâce à des suggestions du dragon, ils pensèrent à réaliser un pic de glace au centre du rituel, peut-être assez solide pour y mettre un échafaudage ou autre construction pour y poser le rubis. D'une part, en étant plus haut, il serait plus facile à Canadras de le briser en vol, à l'aide de son souffle et de sa magie ; d'autre part, étant plus haut, l'explosion du rubis ferait disparaître moins d'eau et de glace, le trou créé serait plus petit et l'impact sur l'eau et la banquise environnante serait un peu plus faible. A priori, ce serait l'œuvre de Drilun plus tard, à l'aide des runes magiques, mais il dormait encore.

Lorsque l'intéressé se réveilla, un peu plus tard, il fut mis au courant de la chose. Mais tout d'abord, entouré par quelques amis, il tint à préciser avec le dragon les conditions de sa dette envers lui. Car oui, il était prêt à donner à Canadras dix ans de sa vie en échange de son aide pour détruire le rubis de Zigûr. Mais il ne servirait pas le dragon de manière aveugle, et donc il tenait à préciser les choses possibles ou non. Ainsi, il ne devait aucunement agresser ou mettre en péril les peuples libres de la Terre du Milieu avec son service, directement ou indirectement. Canadras répliqua que beaucoup verraient le fait d'être au service d'un dragon comme une augmentation du péril des peuples libres. Mais il comprenait le souci du Dunéen et le rassura sur certains points : l'archer-magicien resterait tout le temps dans sa demeure ou à portée de vue d'elle, et n'aurait donc aucune interaction avec quiconque, donc aucun moyen de leur nuire. Toute exception pourrait être éventuellement possible mais serait négociée au cas par cas. Drilun souleva le problème de l'approvisionnement, mais le dragon voire d'autres aventuriers trouvèrent facilement la solution avec la présence d'Isilmë qui pourrait aller chasser ou pêcher, voire avoir des interactions avec Lossoth, elfes ou autres. Par ailleurs, il fut envisagé de réaliser une serre chauffée et éclairée par magie, ce qui permettrait de faire pousser des légumes, ce qui ne dérangeait aucunement Canadras.

D'autres détails furent discutés : dix ans était une portion importante de la vie adulte d'un Dunéen. Y avait-il moyen d'étendre la durée de vie de l'archer-magicien ? Le dragon l'assura qu'il existait des solutions magiques à cela, même si elles demandaient des études assez longues. Drilun voulait aussi s'assurer qu'il ne serait pas influencé magiquement pour rester plus longtemps auprès du dragon. Ce dernier répondit qu'il n'en était pas question, et que de toute manière il n'en avait pas besoin, car il ne se priverait pas de le convaincre normalement, par la parole, des bénéfices qu'il tirerait, à titre personnel, à rester plus longtemps avec lui. D'ailleurs, il vanta tous ces avantages, tant et si bien que l'archer-magicien dunéen commença déjà à se dire qu'effectivement il risquait d'apprendre bien des choses et de ne pas voir le temps passer, surtout avec Isilmë à ses côtés. Plusieurs aventuriers remarquèrent une expression sur la gueule du dragon qui pouvait passer pour un sourire, et qui indiquait assez clairement que Canadras pensait bien avoir gagné la partie : Drilun était séduit par ses propos. En tout cas, ses amis, et en particulier Rob, pensaient qu'effectivement le dragon avait conquis le cœur de leur ami dunéen, et qu'ils risquaient fort à l'avenir de ne plus le voir, sauf peut-être à lui rendre visite - si le dragon les tolérait et ne leur faisait pas payer la chose ! Encore fallait-il d'abord survivre aux épreuves qui les attendaient...

Mais Canadras ne s'en arrêta pas là, et il continua son numéro de charme d'une autre manière : il demanda, d'abord à Isilmë et Drilun individuellement, mais aussi aux autres aventuriers qui l'écoutaient, ce qu'ils étaient prêts à donner pour la survie de leurs amis chers. En résumé, il proposait de veiller à la sécurité des uns et des autres, pour ceux prêts à passer un contrat avec lui, en échange de servitude comme pour le Dunéen et l'elfe. Et son offre éveilla effectivement des choses dans le cœur de plusieurs aventuriers. Tous n'étaient pas d'accord pour servir le dragon, mais plusieurs, si. Le premier, Dwimfa déclara qu'il tenait beaucoup à plusieurs personnes comme Gillowen, Vif, Tina, voire tous les aventuriers du groupe. Il était prêt à donner dix ans de sa vie si l'un d'entre eux était sauvé par le dragon, sauvé d'une menace extérieure au dragon au moins. Isilmë, si son aimé était sauvé par le dragon, s'engagea à servir Canadras pendant toute la durée de la servitude de Drilun, en même temps, soit dix ans encore. Vif était prête à donner dix ans de sa vie pour la survie de Dwimfa. Plusieurs aventuriers pensèrent, et le dragon ne les contredit pas, que les durées allaient s'accumuler de la manière la plus profitable à Canadras. Mais il fut tout de même convenu que si Drilun était sauvé, seule Isilmë verrait sa dette augmenter de dix ans. Mais s'il était sauvé par le dragon une deuxième fois, c'est la dette de Dwimfa qui grimperait ensuite. Et ainsi de suite si cela continuait... Également, il fut entendu que ce contrat ne devait aucunement interférer avec le bannissement des Maiar, ou la volonté de chacun de disposer de sa vie. Autrement dit, le dragon ne devait pas empêcher un aventurier de mourir si telle était sa volonté.

Pour sceller ce contrat magique, Canadras déclara qu'il allait faire une puissante magie pour garantir l'engagement de chacun, lui compris. Le sort lancé n'aurait aucune conséquence tant que le contrat serait respecté, mais en cas de non-respect, la magie aurait un effet non mortel mais durable : progressivement, la personne concernée perdrait toute motivation pour quoi que ce fût, elle perdrait goût à la vie, ne ressentirait plus d'énergie, notamment pour faire de la magie. Tout reviendrait dans l'ordre une fois le contrat à nouveau respecté. Et donc le dragon scella les contrats petit à petit avec Drilun, Isilmë, Vif et Dwimfa. Rob vit que la puissance magique mise en œuvre à chaque fois était énorme, bien au-delà de tout ce qu'il avait vu faire par Drilun ou même par Tevildo. Seule la magie d'Illuin, le fragment de lampe, était encore plus puissante. Plus important encore, Canadras usait d'une magie non maléfique, si bien que si des aventuriers pensaient s'en sortir en la dissipant plus tard à l'aide du contact avec une larme de Yavanna, ils en seraient pour leurs frais. Rob lui-même avait envisagé aussi de passer contrat avec le dragon, car il était très attaché à ses amis, mais le ressentiment du dragon à son égard, suite au vol qu'il avait effectué chez lui, l'en avait empêché. Par ailleurs, Taurgil annonça qu'il ne voulait pas d'un pacte magique. Mais en revanche, si jamais le dragon le sauvait de la mort, il s'engageait oralement à lui fournir des informations qui l'intéresseraient.

6 - Derniers préparatifs
Il allait bientôt faire nuit, donc il était temps de mettre la main aux derniers préparatifs. Drilun s'occupa de réaliser un pic de glace au milieu du site du rituel : après avoir créé de la glace sous le centre de la banquise grâce à la première rune du Suimbalmynas trouvée par Gillowen, il utilisa l'autre rune pour la modeler et en faire un pic de plus en plus haut. Il ne pouvait modeler la glace très loin de sa main, mais cela fut suffisant pour faire un pic de cinq pas de haut. Il aurait pu en faire plus, mais cela l'aurait obligé à faire encore beaucoup de magie runique, parfois un peu risquée, pour augmenter l'épaisseur et la hauteur du pic de quelques pas de plus. Un gain minime pour un risque magique de plus en plus grand, donc il s'en arrêta là. Par ailleurs, les aventuriers imaginèrent divers échafaudages physiques ou magiques, comme une corde gelée, afin de pouvoir surélever le rubis encore davantage. Mais rien de vraiment sûr, en particulier si le vent se levait. Par conséquent ils ne firent rien de plus, et le rubis de Zigûr fut placé au sommet du pic de glace.

Le reste des ingrédients du rituel fut placé au pied du pic glacé : l'orc toujours endormi, les magnifiques gemmes des cavernes d'Aglarond (ce qui fit saigner le cœur de Mordin, vu leur valeur presque inestimable), les bombes de feu magiques de Drilun, et les pierres ponces et basalte achetés par Dwimfa auprès des nains. Par ailleurs, chacun vérifia qu'il avait tout le matériel nécessaire, les préparations de noix d'écureuil et de bonneherbe prêtes à être avalées, les armes prêtes, notamment l'arc d'Isilmë et la flèche magique contre Durlach réalisée avec l'aide des elfes des neiges... Les lumières magiques furent lancées sur chaque personne afin de les éclairer - c'était la nuit, et le ciel était toujours couvert magiquement - et chacun se tint près de son poste. Rob, Geralt et Mordin avaient sorti des cordes, derrière leur muret de glace, pour le cas où elles serviraient, si jamais leurs amis en avaient besoin.

Tous se déshabillèrent et s'enduisirent le corps du gel de protection contre la chaleur que les elfes de Brumes Éternelles leur avaient fourni. Quelle meilleure occasion de s'en servir que pour la future rencontre avec Durlach ? De toute manière il leur en restait encore pour une éventuelle utilisation ultérieure dans le Puits de Morgoth... Puis ils prirent chacun leur place pour la conduite du rituel : les sept participants étaient chacun à la pointe d'une étoile à sept branches, à trente bons pas du centre de l'étoile où le rubis de Zigûr trônait sur son pic de glace. Chacun se tenait derrière son muret de blocs de glace : Drilun au sud, puis, plus à gauche, Taurgil, Dwimfa, Gillowen, Vieille Mère Fumée, Vif et Isilmë. À plus de soixante pas du centre du rituel (et du rubis), au sud et un petit peu vers l'est, derrière leur propre muret de glace, Geralt, Rob et Mordin étaient prêts à observer le déroulement du rituel. Le hobbit était monté sur le muret, plus haut que lui.

Vieille Mère Fumée planta sa lance d'ivoire couverte de runes dans la glace derrière elle. Avant de prendre position, elle avait dit aux aventuriers que les esprits étaient pessimistes quant à ses chances de survie. Ce qu'elle acceptait très bien, du haut de ses plus de deux cent trente ans. Elle avait donc demandé aux aventuriers, si jamais elle mourait, de récupérer ses affaires pour qu'elles pussent servir, et en particulier plusieurs objets spécifiques : sa lance, son couteau runique et une boucle d'oreille étaient magiques et devaient être remis aux sages de Ruskea Vene ("Bateau Brun" en labba), le gros village permanent de Lossoth à l'embouchure de la rivière Everhir. Par ailleurs, elle avait appris par les aventuriers qu'elle avait une lointaine famille en Arthedain, les descendants de son père mort avant sa naissance, et qu'elle n'avait jamais connu. La broche en argent qu'il avait laissée, avec le symbole de la maison Eldanar, devait leur revenir si c'était possible. Les aventuriers avaient acquiescé sans histoire, mais Vif s'était bien juré qu'elle ferait tout pour ne pas en arriver là.

Andalónil et Canadras volaient à une faible hauteur et une petite distance autour du site du rituel, non éclairés et presque invisibles dans l'obscurité. Le démon de froid prenait bien soin à toujours être à l'opposé du dragon, dont il avait montré plusieurs fois qu'il en avait peur. Mais il manquait encore quelqu'un, qui fut bientôt appelé par Mordin : le nain cria plusieurs fois le nom de Jäänainen dans l'obscurité, et bientôt le vent se leva et la neige se mit à tomber légèrement. Enfin, comme sortie de l'obscurité non loin du rituel, la Sirène de Glace apparut. À sa vue, le cœur du nain se mit à battre fort et rapidement, ce qui n'échappa pas à la nouvelle venue, qui lui sourit, le faisant fondre encore plus. Il lui expliqua qu'ils allaient commencer le début du rituel, et divers détails. Elle répondit qu'elle se tiendrait là, prête à fondre sur Durlach, qu'elle aurait plaisir à abattre. La lumière dont les aventuriers étaient entourés la dérangeait un peu, donc elle se retint de s'approcher de Mordin pour lui déposer un petit baiser sur la joue. Mais il perçut son intention, ce qui fit encore saigner son cœur un peu plus, et elle lui fit un petit signe de la main avec un sourire, avant de disparaître. La nuit commençait bien pour elle !

A présent ils étaient tous prêts, il n'y avait plus de procrastination possible. Drilun, Gillowen et Vieille Mère Fumée avalèrent leur préparation de bonneherbe et il et elles sentirent bientôt une formidable confiance les envahir. L'archer-magicien entama le début du rituel, soutenu par l'elfe magicienne et la vieille nommeuse d'esprit des Lossoth, tandis que les autres attendaient. D'ici peu, si tout se passait bien, ils feraient la rencontre d'un Balrog, dont l'aspect était réputé plus terrible que tout ce qu'ils avaient vu jusqu'à présent. Restait ensuite à survivre à la rencontre pour pouvoir en faire le récit à d'autres, qui auraient peut-être du mal à le croire...

7 - Boule de feu et tremblement de glace
Les débuts se passèrent très bien, conformes à ce qui était prévu, sans rien à faire d'autre qu'à attendre que les trois participants les plus actifs du rituel eussent terminé de rassembler les énergies magiques nécessaires à l'invocation du Balrog. Néanmoins, les oreilles de certains sifflaient, en particulier celles de Rob : il se rendit compte que les esprits du Grand Nord leur chuchotaient des choses, et il arriva à les comprendre. En gros, ils lui conseillaient de s'accrocher à quelque chose planté dans la glace, comme des dagues. Manifestement, il devait s'attendre à voir la banquise bien secouée... Il passa le mot à ses compagnons proches de lui, et, tandis que le rituel se poursuivait, Geralt alla silencieusement derrière Dwimfa, Taurgil, Drilun et Isilmë mettre un piolet dans la glace, à leur disposition. Ils avaient presque tous du matériel d'escalade donc la disponibilité n'était pas un problème. Puis il revint et Mordin, Rob et lui en firent autant pour eux.

Le rituel continua à bien se dérouler. Gillowen et Vieille Mère Fumée contribuèrent de manière très correcte, mais l'essentiel reposait sur les épaules de Drilun, qui menait tout le rituel magique à sa manière. Il mit toute son énergie disponible dans le rituel, et il arriva à un résultat presque inespéré, grâce entre autres à la bonneherbe qu'il avait ingérée. Il fit signe alors aux participants secondaires du rituel : Isilmë, Taurgil, Dwimfa et Vif - cette dernière aidée par Geralt grâce à leurs perles gémelles - insufflèrent beaucoup d'énergie magique dans le rituel pour accroître encore le résultat. Il fit un signe convenu entre tous, et chacun but la préparation de noix d'écureuil remise par les elfes de Brumes Éternelles. Lorsque l'archer-magicien sentit son corps bien stimulé, il appela Canadras pour le point final du rituel. Le dragon changea le cours de son vol, il passa au-dessus du Dunéen qui lui avait donné le signal, en direction du rubis de Zigûr. Rob sentit qu'il avait déjà préparé une très puissante magie, qui vint renforcer un souffle fin et glacial qu'il envoya sur le rubis magique au sommet du pic de glace du centre du rituel. Dans le même temps, Isilmë encochait la flèche lumineuse et magique contre le Balrog.

Le souffle magique de Canadras fut un succès, et le rubis vola en éclats, laissant échapper une formidable énergie pyrotechnique qui occupa tout l'espace du rituel en deux-trois battements de cœur, dégageant une chaleur intense. Tous, participants au rituel ou spectateurs au sol, s'accroupirent derrière leur muret de glace, tandis que le dragon était brûlé et soulevé vers le haut et l'arrière par la force de la déflagration magique. Les murets de glace des sept participants au rituel fondirent à peu près entièrement, de même que toute la glace autour d'eux là où elle n'avait pas été renforcée par les runes magiques du Suimbalmynas, et encore cette dernière fondit-elle en partie, devenant extrêmement glissante. Hormis ce qui restait des chemins ou plate-formes de glace réalisés par Drilun, il ne restait absolument aucune glace solide à moins de cinquante pas du centre du rituel, et au-delà elle avait bien fondu. Une partie de l'eau s'était même instantanément évaporée, la chaleur de l'air était étouffante, à proprement parler infernale, et le gel de protection contre le feu évita peut-être des brûlures aux participants actifs du rituel. Rob cria à son amie Isilmë de penser à ses pouvoirs elfiques. Elle l'entendit, et se concentra pour accroître la maîtrise et l'équilibre de son corps.

Deux-trois battements de cœur plus tard, la boule de feu se résorba, laissant d'abord échapper le dragon couvert de flammes qui avait dû plonger pour reprendre de la vitesse et pouvoir rester en l'air. Puis le feu prit progressivement la forme d'un immense serpent de feu rouge et ténébreux. Dans le même temps, les participants au rituel virent que la glace et l'eau à l'intérieur du cercle du rituel avaient entièrement disparu, jusqu'au fond de la mer dont les roches étaient fondues. Dans ce trou béant, l'eau de la mer autour d'eux se déversa en cascades, soutenant de moins en moins les chemins ou plate-formes de glace qui restaient à sa surface. Celle sur laquelle reposait Gillowen n'était attachée à rien, et elle commença à basculer dans le trou béant, emportée par le mouvement de l'eau. Les autres sentirent que les chemins de glace sur lesquels ils se trouvaient ployaient ; encore accrochés à la banquise intacte plus éloignée, ils étaient prêts à rompre, rompre de leur attache sur la banquise ou rompre en morceaux.

Mais les aventuriers n'attendirent pas de voir cela les bras ballants. Formidablement stimulés par la noix d'écureuil, plusieurs se précipitèrent. Dwimfa, incroyable acrobate et encore plus grâce à cette drogue qui stimulait tant son adresse et sa rapidité, arriva à prendre assez de vitesse sur son chemin de glace glissante, et il arriva à rejoindre la banquise avant de sentir le chemin se détacher de la banquise et filer vers la forme brûlante du démon au centre du rituel. Vif, plus rapide sur la glace qu'aucun d'entre eux grâce à ses griffes et son corps félin, arriva en quelques bonds à côté de Vieille Mère Fumée, qu'elle empoigna par un membre dans sa gueule, avant de filer à grands bonds vers la banquise. Le chemin de glace qu'elle partageait avec la nommeuse d'esprit se rompit mais elle sauta au-dessus de l'eau pour arriver sur la glace encore intacte. Canadras, voyant la magicienne elfe non loin, prête à tomber dans le trou au fond duquel l'eau qui avançait s'évaporait en sifflant au contact de la roche en fusion, la repoussa d'un sort, un peu plus loin dans l'eau, lui donnant un répit de quelques battements de cœur tandis que l'eau se précipitait dans le trou béant avec de plus en plus de vitesse. Taurgil et Isilmë, motivés comme jamais, aidés l'un par l'Eargil, l'autre par ses capacités elfiques, qui augmentaient grandement leur sens de l'équilibre, arrivèrent aussi à reculer assez vite sur leur chemin de glace pour arriver jusqu'à la banquise. Juste à temps pour voir la glace rompre et lesdits chemins prendre le chemin du fossé et ses roches en fusion au fond, et du serpent de feu qui se tenait au milieu...

Drilun, lui, n'avait pas ces capacités. Stimulé par la noix de l'écureuil, il recula au plus vite et arriva à ne pas tomber du chemin de glace sur lequel il progressait, mais pas assez vite : à mi-parcours, son chemin de glace se détacha de la banquise et commença à avancer en direction du fossé, comme les autres, comme l'eau de la mer... et des morceaux de banquise qui rompaient et se détachaient progressivement, pour être emportés par le courant. En l'air, Andalónil était trop loin : il plongea vers Gillowen mais il n'arriverait pas assez vite pour l'attraper avant de la voir plonger vers le trou et les roches en fusion. Canadras, lui, s'éloignait vers le nord et l'est, pour aller briser la glace et plonger dans l'eau afin de refroidir ses écailles brûlantes même pour lui. Il ne pourrait rien faire pour les aventuriers avant un moment. Magicien et magicienne étaient emportés, mais leurs amis n'étaient pas sortis d'affaire eux-mêmes pour autant : la banquise se brisait tout autour d'eux, rendant le sol sur lequel ils évoluaient extrêmement instable, et prêt à se joindre au courant qui emportait tout vers Durlach, qui commençait à percevoir son nouvel environnement, et en particulier Drilun en face de lui, sur une langue de glace qui venait dans sa direction.

8 - Sauvetages
Pour sa part, Vif ne ralentit pas : grâce à son corps félin puissant et à ses griffes, elle progressait par bonds souples sur la banquise, plus vite que cette dernière ne se brisait. Elle pourrait rapidement mettre Vieille Mère Fumée en sécurité, sur la rive. La vieille dame de plus de deux cent trente ans n'aurait à se plaindre que de quelques bleus et muscles endoloris liés à l'inconfort de sa position. Mais au moins les pronostics des esprits auraient été déjoués. Par contre, la lionne enchantée ne serait pas revenue avant un moment pour aider ses amis. Dwimfa, lui, voyait son amie Gillowen s'approcher du bord du gouffre, emportée par le courant de l'eau, mais il ne pouvait rien faire, ni physiquement ni magiquement, il était trop loin. Il se rapprocha alors du muret proche vers lequel Taurgil allait bientôt arriver, se jouant des soubresauts de la banquise en formidable acrobate qu'il était, tout en prenant l'arc de lumière qu'il portait et en étudiant la situation des autres membres du groupe.

Geralt vit son ami Drilun progresser aussi vite que possible sur son chemin de glace qui s'éloignait plus vite que lui n'avançait. Vite, avec l'aide du nain et du hobbit, ils nouèrent certaines des cordes qu'ils avaient et le maître-assassin en prit un rouleau et sauta par-dessus le muret. Il fit une boucle à une extrémité tandis que l'archer-magicien se lançait à l'eau ; son chemin de glace bascula alors dans le trou au fond de lave brûlante, que l'eau qui arrivait avait du mal à refroidir. Isilmë, voyant la situation désespérée de son aimé, arrêta de fuir. Le morceau de banquise sur lequel elle se tenait se brisa et commença à avancer en direction du démon, mais elle maintint son équilibre et encocha à nouveau la flèche de lumière. Durlach, le regard fixé sur l'archer-magicien, fut attiré par cette lumière vive qui le dérangeait, et il hésita : allait-il agir contre le magicien qui, il le sentait, l'avait invoqué, ou allait-il porter son attention sur cette lumière plus lointaine mais détestable qui l'irritait, d'autant qu'elle s'approchait lentement de lui ?

Gillowen, en tant que magicienne, s'était spécialisée dans la maîtrise des éléments, et d'autant plus facilement qu'elle avait eu le Suimbalmynas à étudier un long moment. Tout en maintenant son corps à flot en nageant doucement, elle s'était concentrée sur un sort de maîtrise de l'eau qui fit apparaître une espèce de vague ou mur d'eau devant elle, afin d'empêcher sa chute sur le bord du gouffre qui avait remplacé le lieu du rituel. Ainsi, elle donna assez de temps à Andalónil pour arriver jusqu'à elle en volant et l'emporter loin du démon de feu, jusqu'à un endroit de la banquise à peu près sûr. De son côté, rassuré par le sort de son amie magicienne, l'Homme des Bois, arrivé derrière le muret de glace qui commençait à avancer en direction de Durlach, créa une flèche de lumière qu'il tira sur le démon. Il n'espérait pas le blesser mais au moins détourner son attention de Drilun ou Isilmë. Il le toucha, mais sans aucun effet visible, comme si le serpent de feu géant dressé au milieu du trou, sur son petit lac de lave, n'avait même pas senti la flèche de lumière le toucher. Taurgil, pendant ce temps, appuyé au même muret que l'Homme des Bois, touchait l'Eargil qu'il portait : en plus de l'empêcher de perdre l'équilibre, cet artefact permettait de calmer les eaux magiquement. Il s'en servait donc pour ralentir le flux de l'eau vers le démon et limiter les soubresauts de la banquise autour d'eux, facilitant les manœuvres de ses amis. En même temps, il se dirigea vers l'autre muret auprès duquel étaient réunis le nain, le hobbit et le balafré aux cheveux blancs, passant d'un morceau de banquise à l'autre grâce à l'équilibre surnaturel conféré par l'artefact qu'il portait.

Rob, de son côté, appelait les esprits du Nord à grands cris, les suppliant d'aider ses amis ; tout en mettant la main aux derniers nœuds, avec l'aide de Mordin, aux cordes que Geralt venait d'envoyer en direction de Drilun. Ce dernier vit la boucle envoyée tomber à une dizaine de pas de lui, et il nagea comme un fou dans sa direction ; mais le courant, même ralenti par l'action de l'artefact commandé par son ami dúnadan, restait le plus fort. Il se rapprochait inexorablement du bord du gouffre au centre duquel se tenait le Balrog. Il aurait peut-être nagé plus vite sans son bâton de lumière, mais il ne pouvait se résoudre à le lâcher. C'était déjà incroyable la vitesse avec laquelle il avait nagé malgré cela, à croire que les esprits appelés par Rob étaient discrets mais plus efficaces qu'il le pensait ! N'empêche qu'il était encore à plusieurs pas de la corde, qui progressait plus à cause de l'avancée du bout de banquise qui portait ses amis que par son avancée à lui...

Isilmë, quant à elle, mit en joue tranquillement Durlach avec la flèche de lumière encochée sur son arc. Puis elle visa, tandis que la lumière du fragment d'Illuin qui composait la pointe de la flèche, très intense, finissait par emporter l'attention du serpent de feu démoniaque, qui abandonna Drilun - de toute manière il allait lui tomber tout cru ou plutôt tout rôti sous peu, sans rien faire - pour se consacrer à l'archère elfe. Elle ne tenait pas à tirer trop tôt, elle était encore loin, et elle préférait se rapprocher le plus possible, même si elle sentait que le démon ouvrait la gueule pour lui envoyer quelque souffle enflammé digne des meilleurs dragons de feu. Elle n'aurait droit qu'à une flèche, un essai, et elle était encore à une quarantaine de pas du monstre. Tandis que la bouche dudit monstre s'ouvrait de plus en plus sur un gosier d'où montait comme une rivière de lave, elle visa un point entre les yeux du Balrog. Alors qu'elle progressait de plus en plus vite vers le bord du gouffre empli de vapeur brûlante, et vers Durlach, elle laissa la flèche voler dans sa direction, en y mettant absolument tout son savoir, toute son énergie, toute sa motivation. D'une manière ou d'une autre, pour elle il n'y aurait pas d'après.

9 - Fins et perspectives
Le Balrog ne chercha même pas à éviter le projectile. Comment une chose aussi insignifiante aurait-elle pu le toucher ? Mais la flèche, nullement affectée par la chaleur intense qui enveloppait le serpent de feu démoniaque, traversa les flammes et la peau du Maia sans ralentir. Elle avait été créée exactement pour cela, à l'aide d'une magie réalisée par les Valar eux-mêmes aux commencements du monde. Grâce au rubis de Zigûr - présent à la création de la flèche - qui contenait une partie de l'essence de Durlach, la flèche était en quelque sorte aimantée par cette même essence. Peut-être guidée en plus par une volonté supérieure, ou par certains esprits du Grand Nord, elle arriva dans le cerveau du monstre de feu où la magie du fragment d'Illuin se libéra en une explosion de lumière. Après un cri bref et assourdissant, le corps de Durlach se désintégra, remplacé par une espèce de lumière ténébreuse et rougeâtre qui s'éleva lentement dans les airs avant de disparaître. Les aventuriers, en tuant la dernière forme physique du Balrog, venaient de le bannir à jamais de la Terre du Milieu ! Durlach était à présent libéré du Puits de Morgoth qui l'avait tenu emprisonné pendant des millénaires, et le Grand Nord était libéré du démon de feu.

L'eau qui plongea dans le gouffre se transforma en glace, recouvrant le petit lac de roches fondues au fond jusqu'à former comme un pic grâce à l'élan de l'eau qui se précipitait vers le site de la mort de Durlach. Jäänainen apparut alors, tandis que les courants - calmés par la magie de l'artefact de Taurgil - amenaient les aventuriers sans mal jusqu'au pic de glace. La glace était l'œuvre de la Dame du Froid, bien sûr, qui espérait ainsi étouffer le Balrog. Mais finalement elle n'avait pas eu le temps de mettre son plan à exécution, et elle en paraissait presque désolée. Plusieurs aventuriers la soupçonnèrent d'avoir attendu le dernier moment dans l'espoir de voir mourir Isilmë, afin de faire souffrir son amoureux contre qui elle gardait une dent assez longue. Mais au moins était-elle libérée de son engagement, et elle fut bientôt partie, laissant le soin aux aventuriers de regagner la rive par leurs moyens, à travers une banquise réduite à de nombreux morceaux instables. Heureusement, à l'aide des effets de la noix de l'écureuil, ce ne fut pas une très grande épreuve pour eux.

Ils rejoignirent donc sans trop de mal Vieille Mère Fumée et Vif, et la vieille dame les félicita pour leur réussite sans aucune blessure pour quiconque. Canadras arriva peu après, et il félicita également l'archère elfe pour son tir bien inspiré. Certains remarquèrent les nombreuses traces sur ses écailles et notamment les nombreuses runes abîmées : il n'était pas sorti indemne de l'expérience. Andalónil arriva aussi avec Gillowen, manifestement furieux de voir que les aventuriers - notamment Geralt - s'en étaient aussi bien sortis, sans qu'il eût rien pu faire, et il s'éloigna bientôt. Dans sa tête, la lionne enchantée percevait que la joie de Tevildo ne connaissait plus aucune limite. Il semblait que le dernier obstacle avant sa libération venait de tomber. Manifestement, l'invocation d'Eloeklo était déjà un problème réglé pour lui !

Canadras proposa alors d'emmener immédiatement - et gratuitement - les aventuriers au Puits de Morgoth pour le rituel suivant, qu'il conduirait. Ces derniers voulaient souffler et se reposer un peu avant cela, et par ailleurs ils avaient besoin de passer aux Brumes Éternelles pour récupérer l'Ulûkai de Morgoth qui servirait pour le rituel. Le dragon aux quatre cornes ne vit aucun problème à attendre un peu avant d'emmener le groupe d'abord chez les elfes, et il promit de les déposer plus doucement que la fois précédente. De toute façon il y aurait le sommet des arbres pour amortir leur chute. Taurgil et ses amis furent un peu surpris de l'empressement et la bonne volonté du magicien draconique, et ils flairèrent anguille sous roche. Pourtant, le Dúnadan ne voyait pas de traîtrise de la part de Canadras, qu'il pensait trop indépendant pour suivre les plans de Tevildo ou Eloeklo. Ce dernier semblait lui aussi satisfait de ce qui s'était passé, aux dires de Gillowen. Les deux Maiar voyaient donc tous deux la présence de l'autre comme quantité négligeable, comme si chacun avait un pion, un plan secret pour faire basculer la situation de son côté. L'héritier des rois du Rhudaur pensait plutôt à une traîtrise d'Andalónil, mais comment et pour qui ?

Canadras rappela que normalement, le rituel d'invocation d'Eloeklo nécessitait la mort par le froid d'une puissante créature du froid comme un troll, un géant ou un dragon... Ces derniers estivaient à présent, pour la plupart, mais le dragon-magicien pouvait adapter le rituel pour réussir sans cela. Par contre il avait absolument besoin de Gillowen et Andalónil. Sinon le rituel nécessitait aussi la destruction d'un objet magique - le plus puissant le meilleur - toujours par le froid, un environnement de froid intense et la présence de vent du nord la plus forte possible. Vieille Mère Fumée, avant de dormir, remercia les aventuriers pour cette fantastique expérience, et pour l'avoir sauvée, mais elle en resterait là et ne les accompagnerait pas au Puits de Morgoth. Mordin et Dwimfa, dans leur coin, pensèrent que le temps des secrets allait bientôt arriver à terme et que les surprises n'allaient pas manquer prochainement. Ils ne croyaient pas si bien dire !
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Niemal
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Grand Nord - 43e partie : Ulûkai et nouveau corps

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1 - Discussions et sacrifice annoncé
Malgré la fatigue et les tensions accumulées, et même si pour beaucoup la journée avait été bien longue, les aventuriers ne se sentaient pas en état d'aller se reposer : ils étaient encore fortement stimulés par l'effet de la drogue de la noix de l'écureuil, la victoire sur Durlach réalisée au-delà de leurs meilleures espérances, et la perspective de poursuivre leur quête et d'en voir la fin rapide. Mais cette fin pouvait prendre bien des formes, et pas toutes des meilleures. Les choses allaient un peu vite, les interrogations étaient nombreuses, et les réponses pas vraiment évidentes à trouver. Le groupe décida de s'isoler un peu avec la vieille nommeuse d'esprit et l'elfe magicienne, à distance respectable d'Andalónil et un peu également de Canadras. Le premier ne leur prêtait de toute manière pas beaucoup d'attention, et d'ici peu il allait passer ses frustrations sur les rochers des environs. Le second pourrait sans doute suivre leur conversation à distance, mais dans un premier temps cela ne posait pas trop problème. Par ailleurs, au fond d'elle-même, Vif sentait la présence du Prince des Chats, heureux, amusé et attentif à la fois.

En premier lieu, plusieurs posèrent des questions à Vieille Mère Fumée : en tant que spécialiste des rituels magiques, que pensait-elle de l'apport du Puits de Morgoth comme site du rituel d'invocation d'Eloeklo ? La vieille femme avoua qu'elle n'était pas sûre du tout de toutes les implications. Certes, elle savait faire de nombreux rituels, mais elle avait pu voir avec le rituel élaboré par Canadras qu'il jouait dans une catégorie entièrement différente. Ce qu'il présentait paraissait sensé, mais ce n'était pas le genre de rituel qu'elle pratiquait : lui manipulait des forces comme un grand sorcier, et la Losson utilisait ce mot avec une valeur plutôt négative dans la langue des Lossoth. Elle tentait de faire une magie plus délicate, en harmonie avec les forces et esprits environnants. L'un imposait, l'autre guidait. Et le site du Puits de Morgoth était un lieu pour elle maudit et corrompu.

Elle expliqua qu'elle y était déjà allée plusieurs fois. Non pour faire du tourisme ou de la magie : au contraire, les esprits, avec qui elle avait de très bonnes relations, lui avaient toujours déconseillé d'utiliser toute magie là-bas, même la plus inoffensive et positive possible. Elle y était descendue pour aller chercher des herbes rares qui ne poussaient que dans le Puits, et à chaque fois cela avait été une sacrée expédition, avec d'autres sages ou nommeuses d'esprit lossoth. La descente de la falaise aux rochers glissants et tranchants avait toujours été une épreuve, et il y avait parfois eu des accidents. Les aventuriers lui dirent, au cas où elle y retournerait un jour, qu'ils avaient réalisé à un endroit de la falaise qui bordait le site une espèce d'escalier de pierre lors de leur passage passé. Pas que cela serait une balade de santé, mais ainsi il existait à présent une voie beaucoup plus sûre et facile pour les Lossoth ou autres qui voudraient y descendre - et remonter. En tout cas, Vieille Mère Fumée admettait que le lieu était magique, et donc, pour un rituel comme les réalisait Canadras, le site pouvait apporter quelque chose. Par ailleurs, elle avait cru comprendre, en écoutant leurs discussions, que ce rituel impliquait la destruction d'un objet puissant, destruction qui ne pouvait se faire que là-bas...

A côté de ces questions à la vieille dame, beaucoup s'interrogeaient concernant les volontés de chacun des Maiar et du dragon, sans même parler d'éventuels invités surprises. Car si la présence du magicien Radagast semblait à peu près avérée, d'autres personnes ou esprits semblaient porter beaucoup d'intérêt à leur quête. Le nom du Vieux Gris fut avancé, et Vif - par l'intermédiaire de Geralt - rappela la présence d'un esprit invisible mais apparemment allié. Dans le proche avenir, des interrogations au sujet de cet inconnu revinrent souvent : esprit, autre Maia, ancêtre de Sîralassë ? Leur ancien compagnon d'armes était en effet le petit-fils caché de Maglor, seul fils survivant de Fëanor, le créateur des silmarils, et sans doute encore présent en Terre du Milieu. Qui sait s'il n'était pas là, quelque part, à essayer de racheter les torts passés de sa famille ? D'ailleurs, qui sait si Sîralassë lui-même n'était pas dans les environs... Et les relations entre toutes ces entités étaient délicates à cerner, et c'était bien là le problème des aventuriers, qui ne savaient pas qui était allié à qui ou qui allait trahir qui. Gillowen, qui avait bien côtoyé Andalónil dernièrement, mais encore plus Eloeklo dans sa tête, annonça par exemple que le Démon du Vent du Nord, qu'ils comptaient invoquer prochainement, se méfiait de son soi-disant serviteur Andalónil, qui avait prêté allégeance à plusieurs maîtres, mais qui au final ne servait sans doute personne d'autre que lui-même.

Néanmoins, certaines des questions pouvaient peut-être trouver une réponse auprès du principal instigateur du rituel : le dragon Canadras lui-même. Aussi Drilun décida-t-il de se rapprocher de lui pour lui poser quelques questions. Avec le temps et l'intensification des échanges avec le dragon magicien, d'autres aventuriers se joignirent au Dunéen, et pour finir tout le groupe participa aux débats sur le rituel ; de près, comme avec Drilun, ou de plus loin comme pour Rob qui craignait toujours un peu de finir dans la gueule du dragon. Il aimait faire à manger, mais pas être mangé, cela va sans dire. Néanmoins, il écouta les questions de son ami magicien avec intérêt, car tous étaient concernés. Pourquoi faire le rituel là-bas, quels détails importants le dragon pouvait-il leur révéler sur ce fameux rituel ? D'autant qu'il semblait très motivé pour réaliser ledit rituel, oubliant même de réclamer de nouveaux paiements pour ses services aux aventuriers...

Canadras répondit de bonne grâce aux questions du magicien dunéen, avec peut-être l'air un peu condescendant d'un maître qui enseigne à des petits enfants turbulents. Ou peut-être était-ce juste l'air des dragons en général, quand ils discutaient et qu'ils ne cherchaient pas à manger leurs interlocuteurs - pas tout de suite. En tout cas, le dragon expliqua que le rituel était très complexe, bien au-delà des capacités de Drilun ou des autres aventuriers. Par ailleurs, il combinait deux rituels : l'invocation d'Eloeklo, mais aussi la réalisation d'un corps pour ce dernier, qui nécessitait une magie très puissante... qu'il était possible d'atteindre grâce à la destruction de l'Ulûkai de Morgoth, cette grosse gemme maudite chargée d'une magie incroyablement puissante que Gillowen et ses anciens amis avaient récupérée, et que Taurgil et compagnie avaient pris à l'elfe magicienne possédée. Gemme qui était à présent gardée dans la vallée de Brumes Éternelles, non loin du Puits de Morgoth. Gemme qui ne pouvait être détruite que dans le Puits, où elle avait été créée.

Mais aussi, pour invoquer Eloeklo là-bas, le rituel nécessitait le sacrifice par le froid d'une puissante créature du froid telle que troll des neiges, géant ou dragon du froid comme Canadras lui-même. Or les trolls et géants estivaient à présent et ils étaient bien enfermés dans leurs cavernes, d'où ils ne sortiraient plus avant de nombreux mois. Et les dragons ne se laisseraient pas manipuler facilement, pour ne rien dire de maintenir vivant l'un d'eux ou de le transporter jusqu'au lieu du rituel. Néanmoins, Canadras dit qu'il avait trouvé un moyen de contourner le problème avec l'aide d'une personne qui avait donné son accord : Gillowen, activement possédée par le Démon du vent du Nord, serait sacrifiée au cours du rituel. D'une part, elle apporterait la partie "sacrifice" nécessaire au rituel, d'autre part elle portait en elle un morceau de l'essence d'Eloeklo lui-même, ce qui répondait en partie aux besoins du rituel. Comme en plus, à travers elle, Eloeklo était présent, cela facilitait même le rituel : sa mort "libérerait" l'esprit d'Eloeklo qui serait magiquement maintenu sur place, en attendant de recevoir l'énergie magique qui lui permettrait de construire un nouveau corps.

2 - Protestations
Les nouveaux - et ancien - amis de la magicienne elfe protestèrent devant le plan du dragon : il y avait certainement autre chose à faire, le rituel pouvait assurément être accompli en sacrifiant quelqu'un d'autre, comme par exemple Andalónil lui-même, comme Vif l'exprima (via Geralt) la première. Et par ailleurs, Gillowen était-elle bien sûre d'approuver cela ? Cette dernière dit qu'elle en avait discuté avec le dragon alors que les aventuriers étaient dans le monde des esprits avec Vieille Mère Fumée. Et elle en était arrivée à la conclusion que c'était sans doute la meilleure des solutions. Eloeklo était aussi d'accord, bien entendu : depuis qu'elle avait retrouvé son âme, elle avait tout fait pour se rendre insupportable, mais le conflit permanent était à double tranchant. Et, surtout, elle fit comprendre à Dwimfa et à ses amis que, au-delà de la libération que ce serait pour elle vis-à-vis du démon qui la possédait, ce serait aussi une libération par rapport à ses souffrances internes et à la Terre du Milieu elle-même : elle était lasse de vivre.

Car d'une certaine manière, tout cela était de sa faute : tout avait commencé lorsque, jeune et insouciante, elle avait joué avec des forces magiques qu'elle ne maîtrisait pas, et qui amenèrent Eloeklo à posséder Dwimfa, puis elle longtemps après. Ce qui avait entraîné quantité de morts, au premier rang desquels ses anciens amis - à l'exception de Tina et de l'Homme des Bois - et en particulier de Dinyondo, son aimé, qui l'attendait maintenant en Valinor. Indirectement, elle avait favorisé la mort et la souffrance de milliers de personnes, en permettant notamment à Eloeklo et Tevildo - et d'autres - de redevenir actifs. Alors oui, peut-être était-ce nécessaire pour régler les problèmes qu'ils posaient une fois pour toutes, et elle était heureuse d'entrevoir une solution définitive à la quête ou aux quêtes dans laquelle elle s'était trouvée embarquée ; et dans laquelle elle avait embarqué bien du monde, dont Dwimfa, son ami d'enfance, mais aussi dans une certaine mesure tous les aventuriers présents. Elle était encore très jeune, mais en quelques années, elle avait connu trop d'horreurs, d'échecs, de désespoir, de souffrances... Malgré tous les bons moments et succès, elle ne désirait plus qu'une chose : la paix. Et si sa mort pouvait lui apporter cela tout en aidant au bannissement des Maiar, elle l'accueillerait avec plaisir.

À nouveau certains aventuriers revinrent à la charge, mais plutôt auprès de Canadras : Gillowen pouvait très bien rester vivante et choisir de quitter la Terre du Milieu dans un bateau pour le Lointain Ouest, avec d'autres elfes. Pourquoi n'était-il pas possible de tuer Andalónil à sa place ? D'ailleurs, plusieurs ne comprenaient pas que ce dernier n'eût pas déjà fui tellement cela leur semblait une solution évidente. Ce à quoi le dragon répondit que la présence du démon ailé et vivant était essentielle au bon déroulement du rituel. En effet, invoquer Eloeklo était une chose, mais quelle en était la finalité ? C'était de l'abattre et de pouvoir utiliser son corps blessé, et en particulier son sang, pour pouvoir libérer à son tour Tevildo. Or le corps du Démon du Vent du Nord était de plus en plus insubstantiel, son sang n'était plus que vent et nuage : pour pouvoir le combattre et le blesser, il était nécessaire de lui fournir un nouveau corps, sans quoi son invocation risquait fort de n'aboutir à rien, le combat - réussi ou non - n'aurait pas de conséquence. Il repartirait et tout serait à recommencer... avec des nouveaux ingrédients à fournir, dont un sacrifice.

Bref, il fallait donc, en plus de l'invocation, donner un nouveau corps à Eloeklo, quitte à le tuer juste après. Et pour cela, il était nécessaire de détruire l'Ulûkai de Morgoth, que Gillowen et ses amis avaient trouvé autrefois au sommet de la forteresse orc de Gundabad. Et donc, Andalónil était nécessaire : une fois qu'Eloeklo serait présent, après la mort de Gillowen, Canadras devait, en prolongation du rituel, faire un lien entre la gemme maudite présente et l'esprit du Maia, et maintenir ce lien actif. Ensuite, Andalónil serait chargé de transporter l'Ulûkai, en volant, au-dessus du lac de lave qui était au centre du Puits de Morgoth. Et là, il laisserait tomber la gemme dans la lave, gemme qui serait détruite. L'énergie, libérée, serait alors siphonnée grâce au rituel vers l'esprit d'Eloeklo, qui aurait alors le pouvoir de créer un nouveau corps substantiel, que son ancienne enveloppe fût présente ou non.

Certains aventuriers faillirent s'étrangler en entendant cela. Remettre l'Ulûkai de Morgoth à Andalónil en espérant qu'il le détruirait plutôt que de s'en servir ? Et pourquoi pas remettre la gemme maudite au Nécromancien tant qu'on y était ? Canadras expliqua que le démon ailé serait tenu par des sorts de sa composition afin de l'empêcher de partir avec comme c'était sûrement son plus grand désir. En fait, il comptait bien là-dessus : Andalónil verrait sûrement cela comme une occasion inespérée de devenir très puissant, plus que Durlach, Eloeklo, Tevildo ou le Nécromancien. Trop confiant en lui-même, il se sentirait capable de résister aux sorts jetés sur lui, avec la perspective enviable de devenir le nouveau grand roi de la Terre du Milieu. Cela seul l'inciterait à rester, au risque d'être non le tueur mais le sacrifié pour la bonne marche du rituel. Le désir de tuer Gillowen était une autre motivation du démon pour rester, même si elle était mineure : tout ce qui le valorisait et lui permettait de céder à ses penchants l'aiderait à tenir en place.

De nouvelles protestations fusèrent : le risque était trop grand ! L'un des aventuriers qui ne participaient pas activement au rituel pouvait s'en charger ! Canadras détailla alors les contraintes : à pied, le centre du Puits de Morgoth prendrait bien une journée à atteindre depuis le site du rituel. De plus, il ne s'agissait pas d'un puits vertical en haut duquel jeter la gemme pour la voir tomber dans la lave et être détruite. Le lac était au centre d'un cratère où régnaient des vapeurs toxiques, irrespirables, et une chaleur mortelle. Et les bords du cratère comportaient deux parties : la plus élevée avec une pente raide d'environ 45°, que des projections de lave atteignaient parfois, et une chaleur déjà mortelle à relativement court terme ; et une partie plus basse, siège d'une falaise parfaitement verticale jusqu'au sol du cratère régulièrement arrosé de jets de lave mortelle. Et au fond du cratère, le sol brûlant qui séparait la falaise du lac de lave lui-même était mortel pour tous hormis le dragon lui-même, et encore.

Et quand bien même un aventurier, comme par exemple Taurgil, armé du marteau de Galgrin qui protégeait contre des chaleurs extrêmes, arriverait là, en respirant on ne sait comment, l'énergie du rituel aurait depuis longtemps été épuisée. Et qui sait si un voyageur n'allait pas faire de mauvaises rencontres en chemin, surtout maintenant que Durlach n'était plus là, et encore plus si ledit voyageur portait sur lui un artefact d'une grande puissance... En effet, ce cratère était ce qui restait des anciennes forges d'Angband, forteresse de Morgoth jusqu'à la fin du 1er Âge. Même si les projections de lave avaient obturé la plupart des anciennes voies d'accès qui menaient là, toutes n'étaient pas complètement bloquées... et certains des anciens serviteurs de Morgoth étaient encore bien présents, cachés dans les profondeurs de la terre depuis des milliers d'années.

3 - Détails et prise de conscience
Canadras répondit à d'autres questions, et il détailla par exemple un autre ingrédient du rituel : un objet magique à détruire par le froid, le plus puissant le meilleur. Il pouvait d'ailleurs y en avoir plus d'un. Divers aventuriers auraient bien vu certains des objets magiques remis au dragon servir à cela, mais manifestement ledit dragon avait d'autres projets pour les paiements qui lui avaient été faits. Le fouet d'Andalónil - que l'intéressé était d'ailleurs en train d'utiliser à grand bruit sur les rochers proches pour soulager sa colère - fut cité aussi, en espérant que les sorts que Canadras jetteraient sur le démon lui permettraient de choisir l'objet à détruire ailleurs que dans les possessions des aventuriers. Néanmoins, Geralt se dit qu'il avait d'anciennes armures inutilisées, stockées à Brumes Éternelles, et qui pouvaient bien servir pour cela. Devant la crainte affichée par certains aventuriers de voir Canadras avoir peut-être des vues sur l'Ulûkai de Morgoth, il répondit longuement qu'il pensait que cet objet était trop néfaste même pour lui : il avait déjà senti - à distance - son pouvoir par le passé, extrêmement puissant et corrupteur. Il craignait donc de devenir l'esclave de la grosse gemme et préférait la voir détruite. Il confirma aussi que pour le moment, alors qu'elle était en contact avec une larme de Yavanna, cachée dans la vallée des Brumes Éternelles, il ne la sentait pas. Mais par le passé, lorsqu'elle avait été active, il avait senti son pouvoir même de très loin.

Par ailleurs, le dragon - dont le côté prolixe et accommodant surprenait voire inquiétait - fut aussi interrogé sur ses intérêts à lui et les liens qu'il avait avec Eloeklo et Tevildo. Manifestement il avait eu des échanges avec eux, ou à tout le moins avec le premier. Il ne nia pas la chose, même s'il resta flou sur la nature exacte des accords passés. Néanmoins, il expliqua que l'occasion de réaliser le rituel d'invocation et création de corps pour Eloeklo était un défi qu'il tenait à relever en tant que magicien. Par ailleurs, s'il n'était pas évident d'interpréter tous ses propos, il semblait bien avoir obtenu des contreparties en échange de son aide au Démon du Vent du Nord. L'étendue et la nature exactes de ces contreparties resteraient pour les aventuriers du domaine de la conjoncture. Drilun pressa aussi le dragon de questions concernant les garanties ou moyens de pression qu'il avait pour voir respecter les éventuels contrats passés avec les Maiar. Canadras se contenta de regarder l'archer-magicien d'une manière très distante, hautaine et peut-être condescendante. Les amis du naïf Dunéen lui firent remarquer qu'avec Tevildo aux écoutes à travers les perceptions d'une majorité d'entre eux (et surtout de Vif), le dragon n'allait certainement pas abattre ses cartes dans la partie qu'il jouait avec ses "partenaires"...

Canadras détailla aussi la position de chacun des aventuriers dans le rituel, car tous devaient participer, à des degrés divers. Deux zones avaient été définies : une étoile à six branches, superposition de deux triangles équilatéraux (aux angles de 60°) inversés, à l'intérieur d'un cercle de cinq pas de rayon, définissait une "zone interne" ; un cercle extérieur, de six pas de rayon, délimitait une seconde zone où se tiendraient les participants, à la pointe des triangles. Canadras lui-même serait à l'ouest, faisant face approximativement aux montagnes où Eloeklo était emprisonné. Dans le triangle de Canadras se trouvaient également Isilmë, au nord-est, et Drilun, au sud-est. À l'est se trouvait Vif, avec Rob derrière elle. Au nord-ouest devaient être placés Dwimfa, devant Geralt, et Taurgil au sud-ouest, avec Mordin dans son dos. Au centre du rituel, Gillowen prendrait place avec les objets magiques à détruire. Elle serait accompagnée par Andalónil, chargé de la tuer, de détruire les objets magiques, puis ensuite de prendre l'Ulûkai - remis à Rob au début du rituel, d'après le dragon - pour aller le détruire au centre du Puits de Morgoth.

Cette disposition ne laissa pas d'inquiéter divers aventuriers, et en particulier Mordin et Dwimfa. Aucun d'eux n'était corrompu par Tevildo, qui ne pouvait espionner leurs pensées. Le Prince des Chats savait bien que les deux amis avaient des plans contre lui, plans que les autres ne connaissaient pas ou imparfaitement. Il avait des doutes sur les capacités du nain et de l'Homme des Bois à contrecarrer ses projets, mais il était méfiant. Or là, Geralt, si le Prince des Chats prenait possession de lui, serait idéalement placé pour tuer Dwimfa ou du moins le surveiller et possiblement interférer avec ce qu'il ferait. De même, mais dans une moindre mesure, Taurgil serait devant Mordin et donc le Dúnadan pourrait aussi gêner le nain, même si sa position était moins bonne. Canadras fit face aux critiques sans manifester la moindre émotion, comme s'il s'attendait très bien à cela et qu'il l'avait bien anticipé. Il donna quelques détails, comme par exemple que Geralt était là notamment pour peut-être avoir à gérer une éventuelle tentative de possession de Dwimfa par Eloeklo. Il déclara à tous que ces dispositions étaient les meilleures tant pour la conduite et le succès du rituel que pour la survie des aventuriers. Il ajouta qu'il comprenait leur méfiance, mais qu'il était possible de changer cela. Simplement, le rituel serait plus difficile, et les chances de survie des aventuriers seraient moindres. Libre à eux de ne pas avoir confiance en lui, et d'assumer leurs choix. Dans tous les cas, il aurait grand plaisir à essayer de les sauver tous, même s'il n'était pas sûr de pouvoir y arriver...

Après un moment, les aventuriers décidèrent de s'éloigner avec Vieille Mère Fumée, de manière à échanger entre eux en privé, loin de Gillowen et de Canadras. La magicienne elfe comprit bien que la présence en elle d'Eloeklo gênait et elle alla rejoindre Andalónil. Par contre, Dwimfa attendit un peu avant de quitter le dragon, et lorsque ses amis furent assez éloignés, et notamment Vif, il évoqua à nouveau avec Canadras le placement de Geralt dans son dos. Il dit que le groupe avait déjà prévu quelque chose pour le protéger d'Eloeklo, donc que l'argument de Canadras ne tenait pas et que le placement devait être changé. Ce à quoi le dragon répondit que peut-être que quelque chose avait été prévu, mais tout le monde ne le savait pas - sous-entendu Eloeklo voire Tevildo - et il valait mieux que cela restât ainsi. Sans parler du fait que cette chose, qu'il sentait très bien, et jusqu'à une centaine de miles environ malgré l'atténuation apportée par le gant porté par l'Homme des Bois, compliquait sérieusement le rituel : c'était quelque chose de puissant et opposé à la nature d'Eloeklo. Dwimfa réalisa en effet que l'anneau qu'il portait, fait du fragment de lampe magique d'Illuin, émettait une lumière incroyablement pure et forte, alors que c'était comme un point faible voire une allergie du Démon du Vent du Nord. Le dragon ajouta qu'il doutait que la babiole n'eût pas été perçue par Tevildo et Eloeklo, même si les détails exacts restaient dans l'ombre... Enfin, si Geralt n'était pas avec Dwimfa, ce dernier aurait peut-être d'autres surprises - et peut-être plus retorses - qu'un balafré aux cheveux blancs contrôlé par Tevildo, car ce dernier aurait besoin de garanties. Il termina en disant que parfois, garder ses ennemis près de soi est le meilleur moyen de les surveiller.

Lorsque Dwimfa eut rejoint ses amis et la nommeuse d'esprit, les discussions reprirent. Mais au bout du compte, malgré les différentes manières d'envisager la chose, Geralt fut le premier à dire - quoi qu'il lui en coûtât - qu'il pensait que Canadras avait raison et que la préparation du rituel, telle qu'il l'avait présentée, était la meilleure possible. Bon, de toute manière, vu les risques et les mauvaises surprises auxquelles il s'attendait, il était plus que jamais persuadé qu'ils allaient tous mourir, alors... Ce à quoi Isilmë ajouta que pour elle, il n'y avait pas d'autre choix que de faire aveuglément confiance au dragon. En effet, il savait des choses qu'eux ne savaient pas, et il avait plus d'intérêt que les Maiar à les garder en vie. Cette simplicité, ce bon sens, firent dire à certains que la guerrière elfe avait bien récupéré des effets secondaires du breuvage magique ingéré à Brumes Éternelles. Cela avait ralenti et perturbé son intellect, mais au bout du compte il semblait bien qu'elle avait retrouvé son intelligence. Ou peut-être que c'étaient eux qui étaient tous devenus idiots. L'avenir n'allait pas tarder à leur dire ce qu'il en était réellement, de toute manière...

4 - Entretien avec le Prince des Chats
Néanmoins, il y avait encore un interlocuteur susceptible de leur apporter quelques réponses. Depuis le début des échanges entre eux ou avec le dragon, Vif avait surveillé son "patron" dans un coin de sa tête, qui écoutait leurs échanges. Elle était particulièrement attentive à ses sautes d'humeur - surtout des explosions de joie ces derniers temps - qui pouvaient peut-être leur donner de précieuses indications sur les futurs plans du Prince des Chats. Malheureusement, la féline Femme des Bois en fut pour ses frais : Tevildo n'avait montré aucune réaction particulière aux échanges qu'ils avaient eus, comme s'il se retenait trop bien de montrer ses émotions, ou comme s'il avait déjà tout su, ou tout anticipé. En revanche, rien n'empêchait de le contacter directement, ce qu'elle fit, tandis que son lien magique avec Geralt permettait à ses amis de suivre et participer.

Il y avait en effet quelques zones d'ombre dans les plans du Maia, en particulier en ce qui concernait le combat contre Eloeklo. Car si Tevildo approuvait le plan de Canadras de donner un corps au Démon du Vent du Nord, un combat aurait lieu. Or le démon avait vu qu'une flèche avait suffi pour abattre Durlach, il pouvait s'attendre à ce que la suivante fût pour lui... mais là il n'y aurait pas d'effet de surprise. Par ailleurs, le dragon avait précisé les effets possibles de l'arrivée d'Eloeklo en chair et en os, et notamment une aggravation du mauvais temps. Ce qui ne ferait absolument pas l'affaire des archers du groupe. Même si la flèche était immunisée contre la magie du Maia, encore fallait-il que l'archer fût en mesure de tenir debout pour tirer sa flèche. Dwimfa, de son côté, était le seul à savoir que les souvenirs de ses amis avaient tous été modifiés et qu'ils ne pouvaient se souvenir que la flèche contre le Démon du Vent du Nord avait en fait été créée pour tuer Tevildo, pas Eloeklo. Le combat contre le démon ne serait donc sans doute pas si facile...

Néanmoins, le Prince des Chats paraissait bien confiant. Il leur expliqua que la création d'un corps n'était pas une partie de plaisir, loin de là, et elle demandait du temps avant de maîtriser sa nouvelle forme. De plus, Eloeklo n'avait plus connu cela depuis de nombreux millénaires... Bien sûr, l'énergie produite par la destruction de l'Ulûkai serait sans doute telle que le nouveau corps du démon des Ered Muil, les "Montagnes de la Désolation", risquait d'être assez vite opérationnel. Peut-être même serait-il plus puissant qu'il ne l'avait jamais été, avec cette parcelle de l'énergie de Morgoth qui serait alors libérée de la gemme. Néanmoins, cela ne semblait pas affecter beaucoup son optimisme. Et même si la flèche contre le démon ratait sa cible, Taurgil ou d'autres aventuriers seraient sans doute capables de porter un coup assez puissant pour blesser Eloeklo. Même si la blessure n'était pas mortelle, si le Kuilëondo que portait Tina pouvait être mis dans la blessure, alors l'énergie vitale du démon serait aspirée plus ou moins vite, et Tevildo serait libéré. La plus grave la blessure, le plus vite l'esprit du démon viendrait occuper le ténébreux rubis autrefois avalé par Ungoliant, la grande araignée dévoreuse de lumière... En tout cas, dans les échanges faits par l'intermédiaire de Vif, il semblait que le Maia était prêt à participer d'une manière active à l'utilisation du Kuilëondo.

Certains aventuriers firent remarquer que le combat ne serait peut-être pas si simple, et aspirer l'esprit du démon ne leur apparaissait pas comme une partie de plaisir, surtout si Andalónil venait prêter main-forte à son patron. Ce à quoi le Prince des Chats répondit que le démon ailé n'aurait pas le temps de revenir assez vite pour participer au combat. Et il restait confiant sur le fait que le corps nouveau d'Eloeklo le laisserait affaibli bien assez longtemps pour le maîtriser. Ce qui poussa certains à retourner l'argument contre Tevildo lui-même : si tout marchait bien selon ses plans, le Maia serait libéré et pourrait occuper le corps de Vif et le transformer. Ne craignait-il pas de voir arriver quelqu'un comme Radagast pour lui mettre des bâtons dans les roues ? Et si Vif mourrait dans le combat ? Le Prince des Chats ne se démonta pas. Il admit bien qu'il y avait un petit risque, mais qu'il était maîtrisé, il aurait le temps de prendre pleinement possession de son nouveau corps, voire même de donner du pouvoir à ses "enfants" sous forme animale. Et à défaut de Vif, il pourrait aussi se servir du corps de Tina, même s'il était bien plus faible et moins approprié à l'utilisation qu'il pourrait en faire... Et puis, avec une attitude très féline, il ajouta que ce petit risque rendait l'aventure encore plus savoureuse !

Tout cela semblait bien beau, mais divers aventuriers avancèrent que cela reposait sur un prérequis que plusieurs trouvaient assez léger : la destruction de l'Ulûkai par Andalónil. Qu'est-ce qui prouvait à Tevildo que le démon ailé ferait sa part, alors que manifestement il n'en avait aucune envie ? N'était-ce pas faire courir un risque énorme de confier une babiole si puissante à quelqu'un d'aussi intéressé par la possession d'un tel artefact pour ses intérêts personnels ? Canadras n'était-il pas un peu optimiste ? Et par ailleurs, qu'est-ce qui prouvait que le dragon n'était pas de mèche avec Eloeklo ? Le Prince des Chats semblait vraiment très confiant, notamment envers le dragon, et il dit qu'il se chargerait de garder Andalónil dans les clous, avec l'aide de Canadras. Ce dernier, par ailleurs, méprisait Eloeklo, affirma Tevildo. Même s'il s'était un peu amélioré dernièrement, le Démon du Vent du Nord restait avant tout une brute sans subtilité qui ne connaissait que les rapports de force et les relations de maître à esclave. Il paraissait donc inconcevable de voir le dragon laisser Eloeklo devenir plus puissant qu'avant, et libre ; car il savait que dans les yeux du démon, au bout du compte, Canadras ne pouvait être qu'un ennemi... ou un serviteur docile, ce que le dragon ne serait jamais !

Après ces échanges, les aventuriers se concertèrent, mais leur humeur était plutôt sombre. Ils soupçonnaient très fortement Tevildo de ne pas avoir tout dit concernant ses intentions réelles, et redoutaient de mauvaises surprises les concernant. Taurgil se demandait aussi pourquoi le Maia ne préférait pas tout simplement détruire le Kuilëondo dans le Puits de Morgoth pour être libéré. Néanmoins, certains répliquèrent que l'accès au lac de lave censé détruire le bijou maudit était loin d'être évident. Le combat contre Eloeklo était peut-être plus simple au bout du compte. Mordin était aussi inquiet du positionnement du rituel, ce dont il fit part à Dwimfa en privé : il craignait que Tevildo ne se doutât qu'il avait une larme de Yavanna avec lui, et qu'il avait prévu de le maîtriser, lui Mordin, par l'intermédiaire d'un Taurgil possédé. Il aurait préféré être avec Vif, qui devait être la cible de sa larme. Dwimfa, qui savait que la larme du nain était un leurre, se dit qu'il fallait que Tevildo crût cela, ce serait une bonne chose pour lui : ainsi, lui, l'Homme des Bois, aurait les mains un peu plus libres pour faire ce qu'il avait à faire, avec peut-être "seulement" Geralt dans son dos à gérer...

Au bout du compte, certains des aventuriers étaient un peu déprimés : il y avait trop de choses qu'ils ne savaient pas, trop de traîtrises et autres surprises possibles, peut-être pas toutes mauvaises mais personne n'était très optimiste à ce sujet. Il faudrait s'adapter à la situation qui serait peut-être très différente de ce à quoi ils s'attendaient. Beaucoup craignaient de n'être que des pions, dans une bataille qui opposait des forces qui les dépassaient tous et qui avaient déjà pris position voire bougé. Ils avaient l'impression que l'avenir ne dépendait plus d'eux, mais serait décidé par d'autres... Pourtant, l'un des aventuriers pensait exactement le contraire, et ses épaules lui paraissaient bien lourdes !

5 - Adieu et voyage aérien
Le soleil n'allait pas tarder à pointer le bout de son nez, et les perspectives prochaines avaient douché l'excitation née de la victoire sur Durlach. Il était donc temps d'aller prendre du repos, ce dont plusieurs avaient bien besoin ! Mais avant de passer cette dernière nuit en compagnie de Vieille Mère Fumée, Dwimfa lui demanda ce qu'elle pensait d'un dernier rituel pour les préparer à leur future et probable dernière épreuve. La vieille nommeuse d'esprit répondit qu'elle ne pensait pas que ce serait nécessaire. Elle-même allait faire un rituel pour la purifier de ce qu'elle avait fait et vu, mais pour les aventuriers les choses n'étaient pas terminées, et elle pouvait sentir que sur la plupart d'entre eux, les esprits étaient encore actifs. Réclamer à nouveau de l'aide alors que pour les esprits leur engagement était encore valide ne serait pas forcément une bonne chose. Par contre, elle pensait qu'il ne fallait pas trop tarder : un délai risquait de voir les esprits partir petit à petit, et ils seraient plus difficiles à mobiliser à nouveau.

Rob confirma la chose : il pouvait encore sentir les esprits autour de lui, échanger avec eux même. Par contre le lien semblait moins fort qu'avant. Il en était de même pour Dwimfa, et pour Taurgil, Drilun et Vif il percevait toujours quelque chose, un lien avec les esprits, juste un peu plus faible. Par contre, pour Isilmë et Geralt, qui possédaient le lien le plus faible au départ, le hobbit ne percevait plus rien : les esprits les avaient quittés, il n'y avait sans doute plus aucune aide à attendre de leur part. Pour Mordin, le petit voleur sentait quelque chose, mais d'indéfinissable : il y avait peut-être encore quelques esprits qui rôdaient autour de lui, mais bons ou mauvais, il ne saurait dire. Peut-être un peu des deux. Le nain aurait sans doute encore à se méfier de surprises possibles. Avant de partir se coucher, Vieille Mère Fumée leur dit tout de même que si elle les revoyait après leur ultime rituel avec leurs némésis, elle aurait plaisir à leur faire un rituel de purification pour les aider à se nettoyer de leurs épreuves... et de leurs chagrins possibles voire probables.

Beaucoup furent ceux qui avaient été bien affectés par le rituel puis le combat avec le Balrog, et ils demandèrent l'aide de la guerrière et soigneuse elfe afin de regagner plus vite toute l'énergie nerveuse qu'ils avaient dépensée. Isilmë utilisa donc sa magie des soins à tour de bras pour procurer un sommeil aussi profond et récupérateur que possible, avec une efficacité toute particulière sur Geralt, qui en avait bien besoin. Et l'elfe ne s'en arrêta pas là : le sommeil de ses amis étant bien plus long que le court repos dont elle avait besoin, elle passa une bonne partie du temps où ils dormaient à réparer la nacelle faite de cordes et autres bouts de cuir et tissu, nacelle qui avait servi au dragon à les transporter dans les airs. Car il referait le taxi lorsqu'ils seraient tous prêts, et mieux valait s'assurer que leur véhicule ne se romprait pas au beau milieu du voyage aérien...

Enfin, lorsqu'ils furent tous reposés, bien insuffisamment selon les critères de Geralt, ils furent prêts à prendre la route des airs. Gillowen avait demandé à partir avec eux : elle n'avait plus l'amulette chauve-souris qui lui permettait de se transformer en grand chiroptère et de voyager elle aussi par la voie des airs. L'objet avait en effet été remis à Canadras, qui ne l'avait plus sur lui ou en tout cas ne voulait plus s'en séparer. Quant à Andalónil, il n'était pas assez bon en vol pour la porter aussi loin, et de toute manière il était déjà parti. Elle ferait donc le voyage avec Dwimfa et ses amis. Ils achevèrent les dernières touches sur l'entrelacs de cordes et autres liens sur lequel Isilmë avait travaillé pendant leur repos, puis ils s'installèrent tous. Canadras prit une extrémité de l'espèce de panier de cordes qui les enveloppait, puis il décolla.

Comme la fois précédente, l'expérience du décollage ne fut pas des plus agréables : ils furent violemment tirés vers le haut et jetés les uns contre les autres, d'où quelques bleus et positions inconfortables. Mais après cela, et quelques contorsions pour retrouver une meilleure position, ils purent à nouveau profiter de quelques heures de vol dans les airs du Grand Nord, d'autant qu'il faisait jour et que le temps resta clair tout du long. Ils étaient bien équipés donc ils n'avaient pas froid, et malgré le vent du nord qui rendit le trajet plus long que la fois précédente où ils avaient fait le même voyage mais dans l'autre sens, ils arrivèrent assez vite en vue des forêts qui entouraient la vallée des Brumes Éternelles, où les attendaient les elfes et une partie de leur équipement. Dont le fameux Ulûkai de Morgoth, élément clé du rituel et source de bien des convoitises.

Fidèle à sa promesse, le dragon descendit bien bas, volant au ras de la canopée dont les plus hauts arbres fouettèrent la nacelle pleine d'aventuriers. Puis cette dernière fut abandonnée à la gravité et tous chutèrent. Ce n'était pas la première fois, sûrement pas la dernière, mais entre leurs compétences - magie comprise - et leur équipement, ils s'en sortirent sans mal aucun, même les moins acrobates comme Mordin ou Drilun. Avant que d'autres dragons qui surveillaient la vallée ne vinssent leur chercher des poux dans la tête, ils laissèrent derrière eux les restes de leur nacelle accrochés à la cime des arbres, puis ils entrèrent vite au plus profond des bois pour retrouver un des sas magiques possibles vers la vallée cachée, guidés par Vif et Taurgil. Ce fut une expérience nouvelle pour Gillowen, qu'elle aima beaucoup, mais encore moins que retrouver de nombreux elfes avec qui elle put bientôt échanger gaiement. Certains aventuriers avaient eu des doutes sur la réaction des elfes de Brumes Éternelles à l'entrée d'une personne possédée par Eloeklo, mais ils virent que leurs doutes n'étaient pas fondés. Comme certains le rappelèrent, à part Dwimfa et Mordin, ils étaient tous corrompus jusqu'à la moelle et possiblement possédés par un Maia ou un autre, alors...

6 - Entretiens oniriques
Nestador et Lothwen, chefs de la communauté elfe, vinrent vite à eux, en plus de nombreux autres elfes. Ils avaient appris en vision le bannissement de Durlach, mais ils tenaient à avoir des détails de première main. Ils furent impressionnés par la prouesse d'Isilmë, qui avait abattu d'une seule flèche le monstre qui avait eu raison de Thilgon, leur ancien chef. Ce dernier, qui le premier avait trouvé puis planté des graines de cembereth, était un grand guerrier qui avait beaucoup combattu contre les forces de Morgoth pendant la Guerre de la Grande Colère. Abattre le Balrog d'une simple flèche, toute puissante qu'elle fût, ne leur semblait pas un mince exploit, et encore plus en sachant que cela avait été fait par amour pour Drilun. Néanmoins le récit qu'en fit Geralt fut bref, ce qui était bien car il semblait que le temps était compté. Durlach n'était plus, mais Eloeklo et Tevildo étaient encore là, et les elfes de la vallée sentaient un dénouement proche.

Malheureusement, ils ne pouvaient donner de détails : une puissante magie rendait leurs visions inopérantes. Ils percevaient juste assez pour deviner que de grandes choses allaient se produire dans le Puits de Morgoth, mais sans pouvoir rien distinguer, à de rares exceptions près. Une certitude était qu'ils ne reverraient pas tout le monde, il y aurait certainement des morts. Ce à quoi certains comme Geralt ou Vif répondirent qu'ils ne s'attendaient pas à survivre, et en plus Gillowen avait prévu de mourir dans le rituel d'invocation d'Eloeklo. Par contre, en focalisant leurs visions magiques bien au-delà de la confrontation prochaine, les elfes, dans une grande majorité, voyaient la purification et le verdissement du Grand Nord, sans Démon du Vent du Nord ou Prince des Chats pour perturber ses habitants. Ils étaient donc très confiants dans le succès prochain du groupe d'aventuriers. Bien sûr, ces derniers n'avaient peut-être pas autant d'enthousiasme, sachant que la mort allait sans doute faucher certains d'entre eux. Mais lesquels ?

Dwimfa demanda à Nestador s'il était possible d'avoir un entretien mystique entre lui et les aventuriers, hors des oreilles indiscrètes des Maiar. Le chef des voyants de la vallée acquiesça et les invita à participer à une vision collective au centre du lac, sur l'île des visions, dans le sauna que les elfes avaient conçu spécifiquement pour entrer en méditation et favoriser les visions, même sans être magicien. D'une certaine manière, il s'agissait d'une forme de rituel peu différent de ceux des Lossoth, mais à la manière elfe. Les aventuriers, après un rapide repos, furent donc transportés sur l'île où ils allaient méditer pendant toute une journée en présence de Nestador. Drilun devait apporter Krisfuin, le bâton de lumière, et l'anneau lumineux porté par Dwimfa, fait d'un fragment d'Illuin, servirait aussi à repousser les Maiar et en particulier Eloeklo.

Les aventuriers se purifièrent donc, ils avalèrent certains breuvages ou respirèrent des fumées qui les aidèrent à oublier leur corps et à donner toute liberté de voyager à leurs esprits. Et bientôt ils se retrouvèrent dans un monde coloré qui n'était pas sans leur rappeler en partie le monde des esprits visité grâce au rituel de Vieille Mère Fumée, mais bien moins vide visuellement, car rempli de nombreuses formes de toutes les couleurs, et sans esprits... à deux exceptions près. En effet, un lien était visible entre la magicienne elfe, Gillowen, et un esprit au loin difficile à percevoir mais dont il était facile de deviner l'identité. Mais tant Drilun que Dwimfa rayonnaient de lumière même sous leur forme éthérée, en raison du grand pouvoir de l'objet magique que chacun portait. En s'approchant de l'esprit de Gillowen, le lien avec Eloeklo fut rompu, et elle put parler sans être espionnée par le démon. En revanche, un autre lien existait entre plusieurs aventuriers et un sombre félin plus loin, lien particulièrement fort avec Vif notamment. Mais Tevildo était tout de même tenu à l'écart et il aurait peut-être du mal à tout percevoir. De toute manière il ne serait pas possible de tout lui cacher, car il pourrait ensuite lire dans leurs esprits ce qu'il s'était passé. Donc les aventuriers ne s'en soucièrent pas outre mesure.

La magicienne elfe confirma une fois de plus sa volonté de se sacrifier. Peut-être ne voulait-elle pas tout révéler du cheminement qui l'avait amenée à cette décision, mais elle expliqua qu'il ne s'agissait pas d'un simple suicide, d'une fuite pour retrouver son amour à Valinor. Non, elle avait l'intuition que cela servirait vraiment la cause des aventuriers, et participerait au succès du bannissement des Maiar. Elle pressentait, même si elle ne pouvait donner d'arguments ou de détails, qu'Eloeklo allait avoir une mauvaise surprise. Par ailleurs, elle était persuadée qu'Andalónil prévoyait de prendre (et garder) l'Ulûkai pour lui. Mais elle faisait confiance en Canadras pour avoir pris les mesures nécessaires pour palier à ce risque, même si elle ne savait pas exactement en quoi cela consisterait. Elle ne pouvait pas dire qu'elle connaissait les motivations du dragon, mais elle pensait bien qu'il n'était pas le serviteur d'un Maia ou d'un autre, et que les contrats qu'il avait passés avec eux ne le liaient pas plus que nécessaire. Il restait tout de même un dragon, donc il ne fallait pas attendre de lui de l'altruisme. Enfin, elle était aussi confiante quant à l'issue du rituel car elle avait eu une vision de Geralt marié avec des enfants. Ce qui fit rire l'intéressé lui-même et ses amis : après le bannissement de plusieurs Maiar, une quête encore plus difficile consisterait pour lui à élever des marmots ! Il est vrai qu'il se sentait moins prêt à cela qu'à combattre Eloeklo ou Tevildo avec une épée...

Mordin et Dwimfa demandèrent ensuite à leurs amis de les laisser seuls avec Nestador, afin de s'entretenir avec lui loin des oreilles du Prince des Chats. Lesquels amis, avec l'aide de Nestador, rejoignirent leur corps et quittèrent le sauna. Ils attendirent donc avant de voir sortir, un peu plus tard, l'elfe, le nain et l'Homme des Bois. Mordin avait le visage souriant et confiant, tandis que Dwimfa avait une tête d'enterrement. Leurs amis essayèrent d'imaginer les propos qui avaient été échangés. Des informations sur l'esprit allié invisible ? Le meilleur moyen de combattre Tevildo ? Comment gérer un maître-assassin contrôlé par le Prince des Chats et armé jusqu'aux dents dans le dos de l'Homme des Bois ? Manifestement, ce dernier n'avait pas obtenu de réponse très satisfaisante à ses interrogations. À travers les yeux de Vif, Tevildo se demanda si Mordin n'était peut-être pas plus dangereux qu'il ne l'avait estimé. Tout le poussait à croire que l'Homme des Bois serait la seule vraie menace à son plan, cela semblait trop évident. Et s'il avait été induit en erreur ?

7 - Matériel et préparation du rituel
Avant de partir, le bilan matériel fut fait, des objets changèrent de main et d'autres furent récupérés. Pendant que Nestador s'occupait des aventuriers sur l'île des visions, Lothwen avait fait réaliser par les siens une nouvelle nacelle plus confortable pour que Canadras pût transporter les aventuriers vers le Puits de Morgoth. L'Ulûkai fut récupéré, et d'autres possessions des aventuriers comme d'anciennes armures de Geralt, qui seraient détruites au cours du rituel. Également, Taurgil et ses amis avaient autrefois demandé aux elfes de réaliser des imitations de l'Ulûkai. Ils prirent ainsi possession de trois leurres dans leur sac de fibres de cembereth, fausse larme de Yavanna comprise. Bien sûr, il n'était pas question de faire détruire la mauvaise gemme, mais peut-être qu'Andalónil hésiterait à voler la gemme de Morgoth avant la fin du rituel, s'il ne savait pas laquelle était la bonne.

Mais avant tout, les aventuriers décidèrent du partage d'objets magiques essentiels, au premier rang desquels les arcs et les flèches, et en particulier certaines flèches enchantées bien spéciales. Drilun, pour commencer, déclara qu'il allait donner son arc, car il serait trop occupé à utiliser sa magie et son bâton de lumière pour pouvoir tirer des flèches. Il y avait d'autres très bons archers dans le groupe, même s'il était le meilleur. Rob conserverait son arc court, vu qu'il n'était pas assez grand pour manier un arc long ou composite. De toute manière son arc était magique et puissant, donc il n'avait pas besoin de plus. Le groupe avait autrefois réalisé trois flèches spécialement enchantées contre Vif, dont une flèche pour arc court, qu'il conserva. Dwimfa prit l'arc magique de Drilun, ses carquois de flèches, ainsi qu'une flèche magique contre Vif et une contre les félins en général. Plus une autre flèche enchantée pour faire du bruit et affecter les oreilles les plus sensibles... comme ceux de la féline Femme des Bois. Geralt prit l'arc de lumière de l'Homme des Bois et deux flèches anti-félins. Isilmë garda son arc magique à elle, une flèche contre Vif et deux flèches anti-félins. Mordin garda sur lui une perle magique capable de faire un son étourdissant à même d'affecter son amie féline.

Les herbes médicinales et autres stimulants furent répartis le mieux possible. Il ne leur en restait plus tant que cela, en particulier la bonneherbe et les noix de l'écureuil, mais cela suffirait. Dwimfa, profitant d'un moment où Vif n'était pas là, inspecta discrètement la bourse à herbes spéciale que la lionne enchantée avait d'habitude autour du cou et qui lui permettait de prendre et avaler certaines préparations. Peut-être la lionne sentirait-elle son odeur à lui par la suite, mais elle ne verrait rien de changé à l'intérieur de la bourse. Les aventuriers discutèrent de l'utilisation possible des dernières graines de ronciers magiques préparées par Radagast, qu'ils distribuèrent à ceux qui pensaient en avoir l'utilité. Un débat eut lieu concernant le partage des Ulûkai de Morgoth - trois faux et un vrai. Taurgil exprima son idée et ses besoins au nain, mais il le laissa choisir, avec Dwimfa, qui aurait quoi. Il était conscient que l'homme et le nain connaissaient des secrets et donc qu'il était préférable qu'eux seuls sussent qui avait l'original. Les quatre pierres dans leur sac furent remises à Taurgil, Rob, Mordin et Dwimfa, ces deux derniers étant les seuls à savoir où était la bonne. Rob se retint bien d'essayer de trouver grâce à ses perceptions magiques quel était le véritable Ulûkai. Il ne tenait pas à donner cette information à Tevildo. Les perles gémelles furent laissées à leurs propriétaires actuels, après débat qui ne fut tranché que par le nain et l'Homme des Bois, encore. Le groupe était d'accord pour penser que Vif devait garder l'une d'elles, car elle serait une pièce centrale de la lutte contre Tevildo, mais son partenaire restait à préciser. Après conciliabule entre les deux aventuriers que Tevildo ne pouvait espionner, Geralt garda donc la seconde. On ne change pas une équipe qui gagne.

Après un repos long et profond aidé par divers elfes soigneurs maîtrisant bien mieux la magie des soins qu'Isilmë, les aventuriers prirent congé des elfes de Brumes Éternelles en les remerciant bien, le cœur lourd pour beaucoup. Drilun leur avait demandé des graines pour un futur jardin chez le dragon, mais ils avaient répondu que les graines étaient précieuses et qu'ils les feraient parvenir lorsqu'il serait chez Canadras. Neuf personnes s'éloignèrent, mais qui les elfes reverraient-ils ? Gillowen et le groupe franchirent un sas magique hors de la vallée, et s'éloignèrent discrètement pour ne pas se faire repérer par les dragons qui surveillaient les environs. Et d'autant plus qu'en cette saison, en ce lieu, le jour était perpétuel et durerait encore quelques mois, et de plus il faisait relativement beau et clair. Ils trouvèrent sans mal Canadras à faible distance, bien visible et comme défiant d'autres dragons de se mêler de ses affaires.

Ils rejoignirent le dragon sans être inquiétés par d'autres grands lézards ailés ou non, et Mordin confia au dragon à quatre cornes qu'ils avaient avec eux trois faux Ulûkai et un vrai. Sachant que la bonne gemme devait être détruite plus tard, il écrivit en langue naine - langue secrète - le nom du porteur de l'original, et montra le papier au dragon. En lui demandant s'il avait magiquement reconnu ledit original... ce qui fut confirmé par Canadras, qui semblait pouvoir lire le khuzdul. Après s'être tous enduits de gel enchanté préparé par les elfes pour se protéger du froid, ils s'installèrent dans la nacelle donnée par les mêmes elfes, et Canadras s'élança. La nacelle était plus élastique que ce qu'ils avaient connu jusqu'à présent, donc le choc fut moindre et le vol agréable. Mais le dragon les prévint que cela ne durerait pas : non seulement le trajet était court, mais en plus Andalónil avait été chargé d'appeler magiquement un vent du nord très fort et des conditions météorologiques assez détestables sur le site du rituel. Canadras apaiserait en partie le mauvais temps autour de lui par magie, mais cela allait tout de même secouer. Et il eut raison.

Les estomacs furent donc bien secoués, et l'atterrissage un peu brutal contre un bosquet de cembereth ou de pins rabougris, mais à part un peu de fierté ils ne perdirent rien. Ils étaient situés dans le Puits de Morgoth, côté nord, dans les cercles extérieurs les plus verts où la végétation était la plus fournie, et où normalement il ne gelait pas. Tandis que Canadras inspectait et complétait le rituel qu'Andalónil, qui se tenait non loin, avait déjà préparé, les aventuriers coupèrent à l'aide de haches fournies par les elfes de Brumes Éternelles quelques petits troncs ou grosses branches à des arbres proches. Ils les plantèrent du mieux qu'ils pouvaient près d'eux, afin de les aider à lutter contre le blizzard. D'autant qu'ils s'attendaient à voir les conditions sérieusement se détériorer quand Eloeklo serait là physiquement. Puis le dragon les installa sur le rituel, comme prévu. Drilun et Geralt firent germer, juste en dehors du cercle du rituel derrière eux, un mur de ronciers magiques de deux pas de large pour faire un abri partiel contre le vent. L'archer-magicien inséra aussi des branches dans son bout de roncier en train de pousser, pour le renforcer, et il essaya même d'y accrocher une bâche pour renforcer le côté protecteur de l'abri. Mais le vent était trop fort et la bâche se déchira et les morceaux s'envolèrent.

Rob donna l'amulette qui le liait à Gillowen à cette dernière. Elle allait mourir et l'objet magique ne servirait plus à rien, car il était lié à elle bien spécifiquement. L'objet magique serait donc détruit en même temps que les autres. Le temps était tel que, si la magicienne elfe et le démon ailé qui se tenait à côté d'elle étaient visibles de tous, au milieu de l'étoile à six branches, en revanche ils n'arrivaient pas tous à distinguer tous leurs amis, notamment ceux à dix pas d'eux, à l'autre bout du cercle. Chacun était prêt, et Canadras rappela le déroulement du rituel : une première partie pour invoquer Eloeklo, qui se terminerait par le sacrifice de Gillowen et des objets magiques sous la main (et le fouet) d'Andalónil. Cela s'accompagnerait d'ailleurs d'un petit moment d'absence de lumière au moment où l'esprit du Maia serait libéré du cadavre de l'elfe. Puis une seconde partie, possiblement plus longue - mais cela dépendait du succès de la première partie - pour lier l'énergie de l'Ulûkai à la présence en esprit d'Eloeklo, sorti du corps de la magicienne mais resté piégé au milieu du rituel. Enfin, la gemme maudite de Morgoth serait remise à Andalónil qui irait la détruire dans le lac de lave plus au sud. Dans l'intervalle, tous devraient rester concentrés et peut-être donner de l'énergie au dragon pour maintenir le lien actif. Puis l'énergie magique née de la destruction de l'Ulûkai serait aspirée et permettrait de fournir un nouveau corps à Eloeklo. À présent, tout pouvait commencer.
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Niemal
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Grand Nord - 44e partie : Bannissements et fin

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1 - Début du rituel
Après avoir vérifié que tous étaient prêts, le dragon Canadras lança le début du rituel. Réunissant les énergies magiques comme seul un dragon comme lui savait le faire, il dirigea l'opération avec efficacité. De toute manière, seuls Drilun et Dwimfa participaient activement et restaient focalisés sur les ordres du dragon et leur réalisation : eux seuls savaient manier ce type de magie. À côté de cela, les autres utilisateurs de magie du groupe, à savoir Taurgil, Isilmë et Vif, restaient attentifs à ce qui se passait mais d'une manière un peu plus distante : ils étaient susceptibles d'intervenir pour fournir de l'énergie magique, mais sans doute pas avant la fin de la première partie du rituel, à la mort de Gillowen et la destruction des objets magiques. Ce qui pouvait prendre un certain temps. Rob, Mordin et Geralt, de leur côté, ne pouvaient intervenir magiquement. situés derrière un de leurs compagnons - respectivement Vif, Taurgil et Dwimfa - ils étaient néanmoins attentifs à ce qui se passait dans et autour du rituel magique. Andalónil était au centre du cercle du rituel, tourné vers l'est, comme Gillowen qui était juste devant lui. Les objets magiques à détruire étaient à leurs pieds.

Le hobbit n'était peut-être pas un utilisateur de magie, mais il la percevait comme personne, sauf sans doute Canadras lui-même. Et ce qu'il voyait le fascinait et le terrifiait à la fois : la quantité d'énergie magique manipulée par le dragon était énorme et elle ne faisait que croître avec le temps. Mais il n'y avait pas que cela : au-delà de la magie du rituel lui-même, il sentait des présences autour de lui. Certaines lui chuchotaient à l'oreille : les esprits du Grand Nord ne l'avaient pas oublié et ils le maintenaient dans une veille permanente. Rob sentait de la tension chez eux, ils s'attendaient à quelque chose mais peut-être eux-mêmes ne savaient pas quoi exactement. Et une autre présence était bien visible à ses sens ésotériques : l'aura de Tevildo était bien là, focalisée sur le rituel et plus particulièrement sur certains membres du groupe. Le hobbit fut surpris de percevoir que le Prince des Chats consacrait beaucoup d'attention à Taurgil en priorité, ainsi que - ce à quoi il s'attendait plus - à Dwimfa, et secondairement à Drilun, lui-même, et aux autres, et Mordin non le moindre.

Geralt, de son côté, était assis dans la neige, les yeux fermés. En apparence il n'avait rien à faire, et tenir debout dans les rafales de vent et de neige ne le motivait guère, comme tout effort de manière générale. Pourtant, en lui-même, il était très attentif à ce qui se passait, à travers les sens de Vif qu'il pouvait partager grâce aux perles gémelles qui les unissaient. Et les sens extraordinaires de la lionne enchantée lui disaient beaucoup de choses. Comme leur petit ami mais de manière moins nette, elle sentait la présence de Tevildo qui allait et venait entre eux. La Femme des Bois était aussi très attentive aux sautes d'humeur de son "patron", mais ce dernier ne laissait rien paraître d'autre que grande concentration et enthousiasme. En revanche, Vif arriva aussi à percevoir quelque chose du côté de l'ouest, bien au-delà de Canadras, mais trop loin pour qu'elle pût déterminer de quoi il s'agissait exactement en raison du blizzard qui les environnait. Sans doute y avait-il quelque chose ou quelqu'un par-là, à environ une portée de flèche, mais elle n'aurait pu en dire plus. Manifestement ils n'étaient pas seuls. Tina était-elle là, et/ou quelqu'un d'autre ?

Le temps s'étira, le vent et la neige ne faiblissaient pas, et la tension ne diminuait pas non plus. Les arcs des archers étaient tendus, prêts à servir, parfois tenus à la main, comme chez Rob et Isilmë. Drilun avait planté dans le sol, près de lui, son bâton de lumière magique, Krisfuin : il savait que la lumière magique pouvait interférer avec le rituel, Eloeklo étant très sensible à toute forme de lumière, en particulier certaines que le bâton pouvait engendrer. Ce dernier était donc "éteint", mais il pouvait le reprendre et le réactiver à tout moment. Au bout d'un moment, Isilmë se concentra pour augmenter l'intensité de ses perceptions, comme les elfes savaient le faire. Cela durerait un long moment, bien au-delà de la première partie du rituel, et garantissait que peu de choses lui échapperaient, même si elle ne pouvait rivaliser avec les perceptions du dragon ou de son amie féline. Taurgil, de son côté, fit appel à la magie de la nature que les elfes lui avaient enseignée. Il fit complètement corps avec les éléments, si bien qu'il était bien plus difficile à percevoir. En fait, tant qu'il restait immobile, il était invisible aux yeux de ses compagnons. De toute manière, avec le blizzard qui les environnait, ils n'arrivaient pas tous à percevoir les autres membres du groupe qui se tenaient de l'autre côté du cercle du rituel, à une vingtaine de pas. Mais cette discrétion accrue pourrait peut-être servir plus tard...

La tension monta d'un cran quand Canadras annonça que la fin de la première partie du rituel était proche. Rob empoigna sa casserole magique et fit chauffer de l'eau sans avoir besoin de feu, en prévision d'un besoin éventuel d'une infusion d'athelas pour son grand ami dúnadan et ses mains de roi guérisseur. Au signal du dragon, Andalónil entra en action, et Rob perçut une aura de froid magique grandir autour du démon. Après avoir détruit les objets magiques entre ses mains ou à l'aide de son fouet, il s'approcha du dos de Gillowen. Un sourire mauvais apparut sur ses lèvres qui n'échappa pas le moins du monde à Vif ou à Rob, en face de lui, à Isilmë, un peu sur le côté, ou à Geralt, à travers la lionne enchantée. Pour Drilun ce fut plus dur, mais il comprit quand même ce qui se passait, de même que les autres membres du groupe, même s'ils étaient plutôt dans le dos du démon et de la magicienne elfe : Andalónil se préparait à la tuer, et il savourait cet instant...

Le démon prit un bras de Gillowen dans chacune de ses mains, et si elle ne dit rien, sa souffrance se fit visible sur son visage pour ceux qui lui faisaient face. Le froid du démon envahissait les bras de l'elfe, ils gelaient. Elle était toujours consciente, même lorsque le démon brisa un bras en mille morceaux en accentuant la pression de sa puissante main. Et il en fit autant avec l'autre côté. En même temps, le froid et le vent semblaient s'intensifier, et la lumière diminuer de plus en plus, bien que de manière très graduelle et lente. Puis le démon empoigna les jambes de l'elfe. Dwimfa, qui voyait périr lentement et atrocement celle qui avait été sa plus formidable amie de ses jeunes années, sentit une boule amère dans la gorge et dans l'estomac. Isilmë, de son côté, voyant le plaisir manifeste du démon, eut du mal à s'empêcher de tirer une flèche pour mettre fin aux souffrances de Gillowen. Mais cela aurait sans doute interrompu le rituel... Les deux jambes de l'elfe furent gelées et brisées, mais elle était encore consciente. Le démon prit alors sa tête avec une main, la suspendant en l'air telle une poupée dont on a arraché bras et jambes. Le vent se fit plus violent et la lumière de plus en plus faible. Bientôt plus personne ne vit rien, pas même Vif et ses yeux félins. Canadras dit à tous de se tenir prêts. Discrètement, l'Homme des Bois fit glisser quelque chose qu'il avait préparé dans sa manche jusque dans sa main, puis il mit ce quelque chose à sa bouche et l'avala.

2 - Présences
À présent Gillowen devait être morte, la tête gelée par le démon Andalónil. Ses souffrances devaient avoir pris fin, son âme devait être en route pour les Cavernes de Mandos. Une mort de plus à ajouter à la longue liste de ceux que Dwimfa appelait ses proches... La lumière était à présent complètement absente, même pour la féline Femme des Bois, et les rafales de vent et de neige faisaient un bruit qui masquait presque tout. Néanmoins, Vif entendit assez nettement un mouvement brusque en face d'elle, suivi par un cri étouffé : elle comprit que le dragon Canadras venait d'avancer au centre du rituel, à la place qu'occupait Andalónil, le probable auteur du cri de surprise... et de douleur. D'autres aventuriers perçurent également le mouvement, sans comprendre ce qui venait de se passer. Certains voulurent réagir, mais ils n'en eurent pas le temps.

Dwimfa eut la surprise - mais en était-ce vraiment une ? - de brusquement sentir un bras le ceinturer dans son dos et une main tenir une lame d'épée contre sa gorge. Geralt venait de se lever silencieusement, de tirer son épée et de l'immobiliser. Pourtant il ne fit rien de plus, il ne devait pas vouloir sa mort... pour l'instant. Ou plutôt, corrigea-t-il, Tevildo avait sans doute des plans pour lui. Mordin, de son côté, se sentit brusquement ceinturé par deux bras très puissants et soulevé au-dessus du sol. Taurgil s'était retourné sans bruit et il avait entouré son ami de ses bras immenses pour l'immobiliser. Mais comment avait-il pu le percevoir aussi bien dans cette obscurité totale et ce blizzard ? Question partagée aussi par son compagnon immobilisé par le maître-assassin...

Dans l'obscurité la plus totale, Vif, Rob, Drilun, Taurgil, Geralt et Isilmë avaient brusquement ressenti deux choses. La première était une froide détermination doublée d'une grande joie : Tevildo était en eux qui les dirigeait. Une part d'eux-mêmes avait peut-être essayé de résister à ce coup d'état psychique, mais c'était peine perdue. Le Prince des Chats était le plus fort, il les contrôlait complètement à présent. Dans le même temps, tous avaient perçu d'une manière magique, dans leur esprit, l'emplacement de chacun autour ou dans le rituel. Ils ne "voyaient" pas vraiment les autres, mais percevaient leur présence, leur aura. Ceci, plus la connaissance de l'emplacement de chacun peu auparavant, rendait l'identification de tous les présents assez facile. Il était ainsi aisé de percevoir la position de chacun par rapport à soi-même. La présence du dragon, très spécifique, était facile à identifier, et tous comprirent qu'il avait avancé au centre du rituel. Il se tenait au-dessus de ce qui devait être le démon.

De Gillowen, nulle trace de sa présence, son âme n'était déjà plus là aux sens magiques des six aventuriers contrôlés par Tevildo. En fait, il y avait bien une présence supplémentaire, mais elle semblait plus dense ou puissante encore que celle du dragon, et sans savoir comment, les aventuriers possédés comprirent qu'ils s'agissaient d'Eloeklo : le Démon du Vent du Nord était là, comme s'il était présent dans le corps mutilé et mort de l'elfe magicienne. Des présences très faibles, comme diaphanes, étaient peut-être les esprits du Grand Nord, qui rôdaient autour du rituel. Enfin, une autre présence très grande ou dense, similaire à celle d'Eloeklo, semblait approcher à l'ouest, à peut-être une centaine de pas. En fait non, il y avait deux présences, et les six aventuriers surent ou comprirent que le corps félin de Tina arrivait, possédé par Tevildo. Le Prince des Chats sortait enfin de l'ombre pour parachever sa libération et sa transformation.

Et l'obscurité se leva elle aussi, tandis que dans le même temps le blizzard cessa rapidement : le vent diminua, la neige s'arrêta progressivement de tomber, laissant percevoir un tableau singulier. La perception magique des uns et des autres disparut bientôt, tandis que les perceptions visuelles reprenaient leur rôle. Au centre du rituel, le dragon Canadras était penché sur Andalónil : une de ses pattes maintenait le dos du démon au sol, dos qui laissait échapper ce qui ressemblait à un liquide noir. Andalónil était blessé, et sa détresse était manifeste. Apparemment il souffrait et ne pouvait pas bouger, à peine respirer, et Rob comprit que le dragon bloquait aussi ses tentatives d'utiliser sa magie. Et le froid du démon ne faisait rien au dragon, bien sûr. À côté d'eux deux, le corps mutilé de Gillowen reposait dans la neige, immobile. Mais grâce à ses sens magiques, Rob sentait bien que l'esprit d'Eloeklo était là, comme enfermé.

Dwimfa et Mordin comprirent bien ce qui était en train de se passer, et le nain en particulier exhorta son ami dúnadan à lutter et reprendre le contrôle de son corps, tandis qu'il tentait de se libérer de son étreinte par la force. Mais sans succès. En plus du maître-assassin et du grand rôdeur dúnadan, occupés à immobiliser les deux seuls aventuriers non influencés par Tevildo, Isilmë avait pris son arc et encoché une flèche. Elle s'était déplacée pour lui permettre de voir - ou de viser - l'un comme l'autre de ses deux amis immobilisés. Rob avait aussi son arc prêt, tandis que la casserole magique avec l'eau bouillonnante avait été posée derrière lui. Vif ne bougeait pas, pas plus que Drilun, tous deux attendant des ordres. Et puis un lynx blanc apparut bientôt à l'ouest et se dirigea vers le centre du rituel, en passant à la droite du dragon, à l'opposé de Dwimfa. Dragon qui fixait l'Homme des Bois d'un œil attentif, comme ce dernier le remarqua bientôt...

3 - Éclairs et révélations
À force de se trémousser dans tous les sens pour se libérer des bras du Dúnadan, Mordin sentit brusquement quelque chose qui figea son visage et le reste du corps. Un bref moment, le flot de paroles du nain, qui peu auparavant jurait, encourageait, menaçait et vitupérait comme lui seul savait faire, se tarit. Le visage blême, il sentit quelque chose qu'il avait soigneusement accroché à sa ceinture se libérer... et tomber par terre. Tous les regards se posèrent sur la larme de Yavanna qui venait de tomber dans la neige. Le nain en aurait pleuré. Mais quel était le foutu esprit ou maître de la (mal)chance qui lui avait joué un tour pareil ? Immédiatement, l'elfe et le hobbit se mirent à viser dans la direction du nain, toujours maintenu en l'air par le rôdeur dúnadan, tandis que le magicien dunéen se concentrait pour un sort.

Drilun était privé de son bâton de lumière, même s'il était à sa portée. Cet artefact amplifiait la volonté du porteur pour résister à une influence comme celle de Tevildo, donc ce dernier avait bien ordonné au magicien de ne pas le toucher. Et il lui avait dit de lancer la foudre sur la larme de Yavanna voire son porteur, si jamais le nain remettait la main dessus. Privé du bâton de lumière, Drilun pouvait lancer le sort, mais il était complexe, et lui demanderait du temps. Il se concentrait donc, tandis que les efforts de Mordin pour se libérer de son grand ami dúnadan redoublaient. Il ne pouvait rien contre la force du rôdeur, maintenant qu'il avait absorbé la magie qui l'avait à moitié transformé en arbre. Mais il avait d'autres ressources : il se faufila et se tortilla comme jamais, comme un contorsionniste l'aurait fait. Contorsionniste qu'il n'était pas... mais il avait autre chose : une incroyable volonté. Au bruit d'un "crac" exprimant la fracture d'une épaule, il arriva à se libérer de l'étreinte de Taurgil et tomba dans la neige, à ses pieds, étourdi de douleur.

Il eut le temps de remettre la main sur la larme, juste avant que le grand dúnadan ne s'assît sur lui, l'immobilisant de tout son poids et cherchant à lui bloquer les bras, et notamment celui qui tenait la larme. De toute manière, la foudre magique préparée par Drilun partit enfin : l'éclair fondit sur Mordin et sur la larme, vaporisant cette dernière. Le nain aurait sans doute été tué s'il n'avait pas porté sur lui divers équipements elfiques, manteau et armure de cuir, qui l'isolaient assez bien. Il en retira une bonne brûlure et un nouvel étourdissement dû à la douleur, ce dont profita Taurgil pour l'immobiliser encore mieux. Avec en plus un bras invalide et douloureux maintenu par le grand et costaud rôdeur, il ne pouvait plus rien faire. La larme avait été détruite, il avait complètement raté le sauvetage de ses amis, il avait tout fait foirer. Jamais dans sa vie il ne s'était senti aussi mal et désespéré.

Dwimfa n'avait pas vu tout cela, le corps de Canadras lui masquant le nain et le Dúnadan. Mais il comprit assez bien ce qui venait de se passer. Il en profita pour se débarrasser du gant épais qui couvrait l'anneau fait d'un fragment de la lampe d'Illuin, anneau qu'il portait au doigt et qui avait été fabriqué dans la ville des elfes des neiges, au pôle nord du monde. Une puissante lumière envahit alors les lieux depuis sa main. Mais il n'y eut pas d'effet visible sur ses amis possédés, ou sur Tina/Tevildo. Sa harangue pour bannir le Maia ou son influence ne donna rien. Seul Drilun, dont cette lumière était comme une drogue pour lui, eut un élan pour venir lui prendre l'anneau, élan bien vite réprimé par le Prince des Chats. Dwimfa se laissa alors aller à un apparent désespoir, comme le nain. Sauf que l'Homme des Bois, qui avait un peu deviné la cause de la détresse de son ami, savait que la larme qu'avait porté Mordin était une fausse... et qu'il y en avait une autre, une vraie ! Une larme que Vieille Mère Fumée lui avait fait passer avant le rituel pour appeler Durlach...

Mais maintenant que tout semblait sous contrôle, Tevildo laissa libre court à sa joie. Le lynx blanc qu'était Tina s'était transformé en une petite femme pas plus grande qu'un enfant - plus petite en fait que le hobbit. Elle était nue, les cheveux blancs et la peau très pâle, les yeux rouges : c'était une albinos. Elle portait, attachée autour du cou par une lanière de cuir, un médaillon au centre duquel trônait une pierre noire plus sombre que la nuit : le Kuilëondo. Cette pierre avait été autrefois un joyau de lumière créé par les Noldor à Valinor. Ungolianth, la grande araignée-démon dévoreuse de lumière, l'avait dérobée et avalée, avec l'aide de Morgoth. Puis elle avait rejeté une pierre noire qui n'émettait plus aucune lumière mais qui semblait au contraire l'absorber. En fait, elle absorbait les âmes, et présentement elle hébergeait celle du Prince des Chats, piégé là par un de ses anciens ennemis. Ce qui ne l'empêchait pas d'utiliser ses pouvoirs, notamment pour posséder des mortels ou autres à proximité.

Malgré le froid qui la faisait grelotter, Tina/Tevildo ne put s'empêcher de s'adresser aux aventuriers pour les féliciter. Oui, vraiment, ils feraient d'excellents lieutenants à son service une fois qu'il aurait repris sa liberté, avec un corps à lui qui lui permettrait d'exprimer toute sa puissance. Le groupe avait vu juste sur un point : les contrôler tous en même temps lui était très difficile, et il n'aurait pas pu les maintenir dans cet état tout en se faisant un nouveau corps. Ce qu'il allait bientôt faire en plongeant la pierre noire du Kuilëondo dans le corps ensanglanté de Gillowen. Oui, elle était morte, mais son corps recelait à la fois du sang et un esprit - celui d'Eloeklo ! Piégé là par le rituel de Canadras, il serait absorbé par l'artefact qui ne pouvait contenir en même temps les esprits de deux Maiar. Le sien serait donc libéré et il pourrait complètement posséder celui de Vif, dont la forme féline s'avança bientôt vers le centre du rituel.

Et surtout, il n'aurait pas besoin de contrôler les aventuriers, car quelqu'un d'autre le ferait à sa place : Tina. En effet, il la contrôlait complètement, et elle avait de redoutables pouvoirs sur l'esprit. Il n'avait pas réussi à savoir exactement ce qu'elle avait manigancé avec les aventuriers, mais il s'était servi de son implication pour les piéger à leur insu : en plus de la magie qu'elle avait réalisée sur eux, elle avait planté dans leur esprit - grâce à une suggestion de sa part - un contrôle magique qui doublait celui de Tevildo lui-même ! Quand il transférerait son esprit dans le corps de Vif et qu'il le transformerait en un corps à sa mesure, il aurait assez d'énergie pour contrôler la Femme des Bois mais aussi Tina, qui elle contrôlerait les aventuriers. Après quoi, quand la transformation serait complète, il reprendrait le contrôle et s'occuperait de Mordin et Dwimfa. Il salua au passage l'astuce consistant à donner la larme de Yavanna au nain plutôt qu'à l'Homme des Bois, pourtant plus capable. Mais il l'avait plus ou moins deviné et il avait pris toutes les précautions possibles. Il fit alors un signe au dragon, qui lacéra la poitrine de l'elfe à terre, et Tina approcha l'artefact de la blessure.

4 - Libérations
Le médaillon avec la pierre noire fut posé dans la blessure béante et sanglante, et tous, même les non-magiciens, sentirent ou entendirent comme un cri provenant du corps de Gillowen, même s'il n'avait pas été prononcé physiquement. Dans le même temps, quelque chose sortit de la pierre noire, comme une brume sombre qui prit la forme d'un félin noir, forme qui vola jusqu'au corps de Vif et plongea en lui. Rob percevait maintenant l'aura d'Eloeklo à l'intérieur du bijou, tandis que celle de Tevildo grandissait dans le corps de la Femme des Bois... et son corps en même temps : la lionne enchantée était en train de grandir ! L'emprise du Prince des Chats en chacun d'eux avait diminué, il n'y avait plus que le contrôle de Tina à présent, mais malheureusement il était plus que suffisant. Taurgil maintenait Mordin par terre et ne relâchait absolument pas son attention, pas plus que Geralt avec Dwimfa. Ce dernier fut tenté d'essayer de libérer le maître-assassin avec ce qui restait caché dans sa manche, mais c'était risqué : il devait toucher la peau nue de son ami avec l'objet, or le maître-assassin était très bien couvert par vêtements et armure ! Et puis il se rappela la conversation qu'il avait eue avec Vieille Mère Fumée : il fallait attendre le plus possible, c'est au moment où Tevildo croirait avoir gagné qu'il serait le plus vulnérable. Et quelque chose ou quelqu'un - étaient-ce les esprits du Grand Nord, qui étaient autant présents autour de lui qu'ils l'étaient autour de Rob ? - lui chuchotait à l'esprit qu'il fallait patienter encore... ce qu'il fit.

Le corps félin de Tevildo avait à présent triplé de taille environ par rapport à celle de Vif, il était gigantesque, aussi grand qu'un troll, mais sur ses quatre pattes. Il était terrifiant et paraissait aussi puissant qu'un petit dragon. Mais une lueur nouvelle apparut dans les yeux de Tina, pour ceux qui pouvaient la voir. Elle retira le bijou du corps de Gillowen, et l'approcha du corps d'Andalónil, toujours fermement maintenu par la patte puissance du dragon Canadras. Ce dernier se redressa et écarta en partie sa patte pour permettre à Tina de poser l'artefact sur la blessure, ce qu'elle fit. Le démon hurla de douleur et d'épouvante, tandis que quelque chose évacuait son corps pour pénétrer dans la pierre noire... hors de laquelle une brume était en train de sortir. Rob sentait qu'Eloeklo était chassé du Kuilëondo, mais il était très affaibli. Son esprit essaya de rassembler son énergie pour survivre, mais en fin de compte tous virent la légère brume se dissiper tranquillement dans l'air, et un ultime cri de rage retentit dans leurs têtes, et en particulier celle de Dwimfa : il avait toujours un lien avec le Démon du Vent du Nord, qui l'avait possédé pendant de nombreuses années. L'Homme des Bois en ressentit une grande joie - combien il avait attendu ce moment ! - et une nouvelle détermination.

En effet, Canadras, en laissant en partie la place à Tina, n'était plus à présent un obstacle entre elle et lui. Alors que l'essence d'Andalónil finissait de quitter son corps, qui commençait d'ailleurs à se dissoudre, pour occuper le Kuilëondo, le dragon s'était complètement redressé. L'Homme des Bois n'avait maintenant plus rien entre Tina et lui. La noix d'écureuil doublée de bonneherbe qu'il avait ingérée, cadeau de Vieille Mère Fumée lorsqu'il avait voyagé avec Vif chez les Lossoth pour acheter des pierres ponces, faisait plein effet depuis un moment déjà. Il était plus motivé que jamais, et plus rapide et alerte que jamais, plus encore que Geralt ne l'avait jamais été, sauf avec une noix d'écureuil lui aussi... ce qui n'était pas le cas à présent. Et il s'était bien entraîné, ces derniers jours, à ses talents de prestidigitation et de lancer de projectile... comme la larme de Yavanna dans sa manche, autre cadeau de la vieille dame !

Il fit donc glisser ladite larme dans sa main, sans éveiller les soupçons de Geralt. Dwimfa était déjà un excellent voleur et acrobate, et, stimulé par la noix de l'écureuil, tout lui paraissait encore plus facile. De plus, il n'oubliait pas son disque de chance, qui lui permettait de mettre toutes les chances de son côté par un effort de volonté. Et il sentait les esprits du Grand Nord qui étaient là, qui le soutenaient. Était-ce d'eux que venait cette injonction ? Rapide et souple comme un serpent, et protégé en plus par sa peau de bois, il esquiva la lame sur la gorge et se dégagea promptement de l'étreinte du maître-assassin pour faire quelques pas en avant. Alors que ce dernier levait son épée pour lui en porter un coup dans le dos, et que brusquement, Isilmë et Rob se tournaient dans sa direction, l'arc prêt et une flèche encochée, il lança la larme de Yavanna, la vraie cette fois, en direction de Tina. Cette dernière était nue et elle eut à peine le temps de lever la main que la larme la toucha.

À son contact, le lien entre Tevildo et elle fut rompu. Elle était libre, enfin, après des années de possession, et le Prince des Chats était trop occupé avec son nouveau corps pour faire grand-chose dans l'immédiat. Et elle n'allait pas lui laisser le temps de réagir. Elle arrêta le contrôle sur les six aventuriers, qui retrouvèrent brusquement leur libre arbitre. Geralt retint le coup qu'il allait porter à l'Homme des Bois, et l'elfe et le hobbit ne laissèrent pas voler leur flèche. Dwimfa cria alors le mot de commande pour rappeler à ses amis le plan établi avec Tina lorsqu'ils étaient chez les elfes des neiges. Dans le même temps, la petite naine albinos gardait en main la larme de Yavanna pour la protéger de l'influence de Tevildo, puis elle projetait son esprit en soutien à celui de Vif, lui criant de résister au Prince des Chats. Il serait ainsi attaqué physiquement de l'extérieur et psychiquement de l'intérieur. Deux fronts qu'il ne pourrait pas gérer en même temps, surtout aussi vite après son changement de corps. La fin de Tevildo était proche...

5 - Combat, mort et bannissement
Brusquement, le Prince des Chats n'eut plus personne à contrôler, hormis Vif avec qui il partageait le corps. Cela aurait pu être facile en temps normal, malgré la formidable volonté de la Femme des Bois. Mais cette volonté était encore renforcée par celle de Tina, tout aussi forte, sans parler de l'aide apportée par Geralt grâce aux perles gémelles ! Brusquement, stimulée par ses amis, Vif tint tête à son "patron" : il ne pouvait plus utiliser son corps, ne pouvait se préparer aux attaques qui allaient pleuvoir sur lui. Et elle échangea mentalement avec Geralt, toujours par la magie des perles, l'incitant à la tuer au plus vite et à pousser les autres à le faire aussi. Le maître-assassin eut un moment d'hésitation, de souffrance peut-être aussi, mais il relaya la demande de son amie, tout en prenant en main l'arc de lumière.

Les autres ne l'avaient pas attendu : Dwimfa était en train de prendre l'arc du Grimburgoth que Drilun lui avait remis, et il encochait à présent la flèche anti-Tevildo avec pointe lumineuse fabriquée avec un éclat d'Illuin chez les elfes des neiges. Mais il prit le temps de surveiller Canadras, ne sachant comment il allait réagir. Il fut rassuré en voyant le dragon s'écarter tranquillement et observer ce qui se passait sans faire mine d'intervenir. Il avait roulé le Prince des Chats qui croyait qu'il était son allié... Drilun prit son bâton de lumière et réalisa immédiatement une grande lumière intense et pure pour gêner Tevildo et stimuler ses amis. Taurgil appelait à lui sa magie de roi et se préparait à combattre à l'aide de son épée. Mordin était libre à présent, mais vu ses deux bras blessés, il n'était pas en mesure de faire quoi que ce fût d'important contre le gigantesque félin. Enfin, Rob et Isilmë avaient l'arc déjà prêt, et tous deux changèrent la flèche initialement encochée : tous deux avaient une flèche - et une seule - enchantée pour trouver les points vitaux du corps de Vif. Au bout du compte, ils furent les plus rapides, et tirèrent en même temps.

En grandissant, la forme féline avait réduit l'armure de cuir de Vif en morceaux qui ne la protégeaient plus le moins du monde. En revanche, sa fourrure et sa peau avaient changé et étaient devenues plus épaisses et solides. Tant l'elfe que le hobbit mirent donc tout leur talent dans leur tir, car ils savaient qu'ils n'auraient pas d'autre essai, et les autres flèches qu'ils possédaient n'étaient pas aussi efficaces. Les deux flèches s'enfoncèrent profondément dans la poitrine du félin géant, et l'une d'elle trouva le chemin du cœur. Le corps du félin s'affala sur le côté sans un bruit. Geralt sentit la douleur dans la poitrine comme si ç'avait été la sienne, puis plus rien : la magie des perles avait disparu, il ne percevait plus rien dorénavant, le corps de son amie était bien mort à présent. Qu'en était-il de Tevildo ?

À nouveau, les aventuriers observèrent comme une brume sombre sortir du corps gigantesque de leur amie transformée. Brume qui prit la forme d'un félin noir qui grandit de plus en plus au-dessus d'eux. Mais il fut bientôt frappé par le premier rayon de soleil qui traversa les nuages depuis la fin du blizzard, fin qui se poursuivait. C'était le milieu du printemps dans le Grand Nord, et si loin au nord, cela voulait dire un jour qui durait des mois. Le soleil sembla faire fondre la forme sombre et nébuleuse, qui se dissipa peu à peu et dont il ne resta bientôt plus rien. Tevildo, Prince des Chats et ancien lieutenant de Morgoth, était mort pour la dernière fois. Son essence n'était plus assez forte pour le maintenir en Terre du Milieu, dont il était définitivement banni, juste après Eloeklo. Tous deux avaient donc rejoint Durlach, autre lieutenant de Melkor, au-delà des frontières du monde.

Mais tout n'était pas fini. Tout d'abord, Tina se précipita vers le corps félin de Vif et se dépêcha de trouver la blessure mortelle d'où elle retira les deux flèches. Puis elle se concentra, la main sur la blessure, tandis que Rob pouvait voir la magie qui affluait en elle. Bientôt la plaie se referma, comme si elle n'avait jamais existé, et le corps de la petite naine tomba sur le sol enneigé, comme inconsciente. Taurgil, qui avait rangé son épée, se précipita à con côté, mais il ne trouva aucun signe de vie, le cœur ne battait pas, elle était comme morte ! Vite, il demanda à Rob de lui apporter la casserole d'eau bouillante afin de faire une infusion d'athelas et d'utiliser ses mains de roi guérisseur. Il ne savait pas ce qui se passait, mais il n'allait pas laisser cette minuscule humaine mourir sans rien faire.

Cela rappela à Dwimfa une histoire ancienne où sa petite amie avait sauvé tout son groupe d'aventuriers tout en paraissant morte. Il savait qu'elle avait le pouvoir de transférer magiquement une blessure sur elle et de se guérir ainsi malgré son apparence de cadavre inanimé. Mais il laissa le grand Dúnadan utiliser ses mains guérisseuses. Après tout, il n'était pas si sûr que ça que Tina pût guérir un cœur transpercé, et même si c'était le cas, cela lui prendrait sûrement beaucoup de temps et d'énergie. La magie du Dúnadan ne pouvait pas lui faire de mal.

6 - Renaissance et dernier labeur
Cependant, si guérison de Tina il y avait, elle prendrait du temps. Plus de temps qu'une autre guérison qui montra son efficacité : le gigantesque corps félin de Vif se mit à bouger, sa tête se leva et ses yeux s'ouvrirent : la lionne enchantée - et géante - était bien vivante ! Mais qui était-elle ou qui la contrôlait au juste ? Car son attitude semblait un peu étrange, comme craintive ou stressée. Méfiant, Taurgil prit son arme et s'approcha prudemment, sans agressivité. Se méprenant peut-être sur ses intentions, le félin géant se mit à feuler, puis il attrapa le corps de Tina dans sa gueule, comme prêt à bondir. Ayant activé son tour d'oreille magique qui permettait de comprendre le parler félin de Vif, Geralt comprit que la lionne enchantée considérait la petite guérisseuse comme de la famille qu'il fallait protéger. Mais elle ne semblait pas tout à fait elle-même...

Le grand Dúnadan rengaina son arme et utilisa sa magie de la nature qui permettait de parler aux animaux. Il put ainsi s'afficher comme ami du félin, qui se tranquillisa. Mais manifestement, ce félin-là n'était plus leur amie : sa partie humaine semblait complètement morte, partie avec Tevildo. Ne restait en elle que la partie féline, animale, qui reconnaissait ses anciens amis mais pas forcément sa transformation et ce que cela changeait en elle et autour d'elle. À la place de Vif il y avait donc à présent un félin géant capable de manger du troll au petit déjeuner, aussi puissant et sans doute bien plus rapide qu'un Ver des cavernes, ces dragons sans ailes et à l'intelligence limitée, animale, que les aventuriers avaient rencontrés notamment dans les montagnes du Grand Nord, plus à l'est. Tina avait sauvé son corps, mais leur Vif était bien morte malheureusement...

Un mouvement de tête du dragon Canadras avertit de l'arrivée de nouveaux venus. Le groupe vit deux grandes silhouettes approcher de derrière la végétation environnante, deux vieillards qu'ils reconnurent tous : les magiciens Gandalf et Radagast. Tandis que le Gris Pèlerin s'arrêtait près du dragon pour le remercier pour son aide, le félin géant reconnaissait et accueillait avec joie le magicien brun, qui vint près d'elle et lui parla doucement. Pour ces deux-là il semblait n'y avoir rien de changé. Plus tard, les deux magiciens dirent aux aventuriers que la part humaine de Vif n'était plus là effectivement, et malgré l'espoir de Taurgil de la retrouver un jour ils ne pensaient pas que ce serait le cas. Si elle avait pensé à se transformer avant sa mort elle aurait sans doute été encore là. À présent, le corps géant de Vif resterait à jamais félin, y compris dans sa tête. Sans doute qu'avec le bannissement de Tevildo la magie qui l'avait rendue si grande partirait petit à petit, et elle retrouverait sa taille initiale de grand félin. Mais difficile de dire combien de temps cela prendrait.

En attendant, des choses restaient à faire, et Canadras interrompit la réunion de famille pour le rappeler : le rituel magique et les bannissements qui avaient suivi n'étaient sûrement pas passés inaperçus. La magie du Kuilëondo mais aussi celle de l'Ulûkai de Morgoth, proche de son lieu de création, étaient plus actives que jamais, et le contact avec la larme de Yavanna n'était plus suffisante pour la masquer. Les plus puissantes créatures vivant dans le Puits de Morgoth, ou plutôt dans ses profondeurs, risquaient de montrer le bout de leur nez - et le reste - devant la perspective de mettre la main sur de pareils artefacts, maintenant que les anciens lieutenants de Morgoth - Durlach, Eloeklo et Tevildo - n'étaient plus là. Il fallait aller les détruire au plus vite, d'autant que leur pouvoir de tentation et de corruption ne faiblissait pas, au contraire ! Le dragon était tenté, même si une partie de lui refusait de s'approprier la gemme de Morgoth au risque de perdre son libre arbitre. D'autres n'auraient pas ce souci, par contre.

Le dragon refusait de se charger d'une telle tâche, manifestement il craignait le pouvoir corrupteur de l'Ulûkai qui allait grandir avec la proximité du lieu de sa création. Mais en revanche, ajouta-t-il en fixant ses yeux sur le hobbit, il connaissait quelqu'un qui ferait parfaitement l'affaire. Quelqu'un qui aurait bien du mal à l'utiliser et qui, d'après ce qu'il en savait, avait du mal à être affecté par une pareille tentation. De plus, si jamais il échouait à lui résister, Canadras se ferait un plaisir de le laisser tomber avec son fardeau dans le lac de lave. Car le dragon allait tout de même participer : il prendrait donc le hobbit avec lui et les artefacts à détruire, et il s'envolerait jusqu'au lac de lave au centre du Puits de Morgoth, où Rob les lâcherait. Les artefacts seraient détruits, et la Terre du Milieu ne s'en porterait que mieux.

Gandalf donna son aval à ce plan et dit qu'il fallait se préparer à partir très rapidement. En effet, si Canadras et Rob réalisaient leur mission, la magie dégagée par la destruction des artefacts allait très certainement provoquer une grande éruption qui risquait de mettre en danger tous ceux encore à l'intérieur du Puits, malgré la distance. À part le hobbit, les autres aventuriers devaient rejoindre au plus vite l'escalier de pierre permettant de sortir facilement du Puits, et il se proposa de les guider là-bas. Manifestement, le félin géant les suivrait en surveillant de près le corps de Tina qui serait transporté dans les bras du grand Dúnadan. Avant de partir, Rob demanda si d'autres artefacts maudits ne pouvaient pas être détruits en même temps, et en particulier l'anneau elfique autrefois pris à Gillowen, et qui avait la fâcheuse manie de sectionner le doigt du porteur quand il était en contact avec certaines magies. Le magicien gris approuva, et si certains regards se tournèrent vers Dwimfa et les robes ou l'épée qu'il portait, l'Homme des Bois fit bien comprendre qu'il gérait parfaitement leur pouvoir corrupteur et qu'il serait bien temps de les détruire plus tard et autrement. Après avoir remis la larme de Yavanna au hobbit, qui pourrait en avoir besoin, les aventuriers filèrent avec le félin géant et les deux magiciens. Ne restaient plus que Canadras et le hobbit portant trois choses : le sac en fibres de cembereth avec l'Ulûkai de Morgoth et une autre larme de Yavanna pour réduire son pouvoir ; le Kuilëondo ; et, enfin, l'anneau magique de Gillowen. Il mit les deux derniers dans le sac, qu'il tint d'une main tandis qu'il tenait la larme dans l'autre.

7 - Air pollué et encombré
Canadras se saisit du corps du hobbit dans une patte, de manière assez délicate pour ne pas le blesser. Puis il sauta en l'air et battit vigoureusement des ailes pour prendre de l'altitude et se diriger vers le sud, où se trouvait le centre du Puits de Morgoth, et son lac de lave qui avait il y a longtemps été le cœur des forges d'Angband. Initialement, c'est Andalónil qui devait se charger de faire le travail, à savoir emporter l'Ulûkai jusqu'au lac et le faire tomber dedans. Le démon ne volant pas très vite, il avait été prévu un délai assez long pour lui permettre de s'acquitter de sa tâche, à peu près l'équivalent de quatre mille battements de cœur. Le dragon aurait pu aller bien plus vite, mais il allait le plus lentement possible, pour laisser le temps aux aventuriers et aux magiciens de sortir du Puits. Pourtant le temps pressait et il était attentif à d'éventuelles rencontres. Par conséquent, même s'il n'allait pas vite, il ne paressait pas pour autant mais surveillait de près les alentours, et Rob en faisait de même.

Tandis que l'air se réchauffait de plus en plus, le sol sous eux évoluait : la végétation se faisait progressivement plus rare, parsemée parfois de flaques de lave refroidie probablement projetées là lors d'éruptions. Puis le cratère lui-même apparut, dépourvu de toute vie, tandis que la chaleur augmentait encore et que l'air commençait à lui piquer les yeux et la gorge. La pente du cratère était raide, environ quarante-cinq degrés, et Rob arrivait parfois à distinguer les restes d'ouvrages ou d'ouvertures en grande partie recouverts de lave refroidie. Sans le labeur constant de nombreux esclaves, lui apprit Canadras, les anciens tunnels d'Angband qui débouchaient là s'étaient peu à peu obturés. Mais il restait quelques ouvertures pour les créatures les plus petites, et certains êtres plus grands, au besoin, pouvaient se frayer un passage en détruisant la lave refroidie.

C'est alors que le hobbit en eut la démonstration : non loin d'eux, en-dessous, des roches volèrent en éclat sous l'action d'un corps puissant qui émergea d'une grande ouverture à présent dégagée. Il s'agissait d'un dragon de couleur rouge vif qui n'avait rien à envier en taille à Canadras. Le monstre prit son envol mais il ne se dirigea pas vers Canadras et le hobbit. Pour l'instant, il se contentait de voler paresseusement sous eux, comme s'il avait du mal à retrouver l'usage de ses ailes. Ce qui ne faisait nullement l'affaire de Rob : le dragon aux quatre cornes qui le portait l'avait prévenu qu'il restait encore une bonne distance avant d'arriver au-dessus du lac de lave ; et même si cela avait été le cas, il ne se voyait pas lâcher les artefacts qui pourraient sans doute être récupérés par le dragon écarlate qui volait sous eux. Néanmoins, il avait sur lui un objet magique qui pouvait gêner le nouvel arrivant...

Il fit part de ses réflexions à Canadras : Rob pensait pouvoir utiliser un objet magique fabriqué à Helloth, la ville des elfes des neiges. Cet objet avait été conçu pour gêner Andalónil spécifiquement, mais il pouvait servir contre toute créature ailée : il permettait de rendre son vol bien plus maladroit. Le hobbit n'était pas sûr de pouvoir affecter un dragon, et encore plus une bête aussi ancienne que celle qui naviguait sous eux, mais Canadras pouvait-il donner un coup de pouce magique pour leur donner plus de chances d'affecter le gêneur ? L'intéressé acquiesça et Rob prit l'objet et se concentra dessus, déployant une énergie magique qui fut bientôt renforcée par le dragon magicien. Bientôt, le hobbit constata que le dragon rouge, sous eux, avait du mal à voler et il perdait de l'altitude et de la vitesse. Canadras lui dit alors qu'il fallait en profiter pour accélérer et prendre de l'avance, et il plongea en avant et vers le bas, tout en augmentant la cadence de ses battements d'ailes. La partie pentue du cratère fit bientôt place à une falaise quasiment verticale donnant lieu, bien plus bas, à une plaine en pente douce en grande partie recouverte de lave refroidie et d'où émanaient de nombreuses fumeroles. Après peut-être un tiers de mile, Rob distingua difficilement un immense lac de lave recouvert d'un voile de vapeurs rougeâtres et mortellement chaudes, au-dessus duquel ils arrivaient. Il y avait du mouvement là-dessous, en particulier près du bord, mouvement qui faisait parfois penser à des formes humanoïdes ou animales...

Canadras accéléra encore vers le centre du lac, distant de plus d'un mile, tandis que Rob éprouvait de plus en plus de difficultés pour respirer et rester conscient. Il s'accrocha autant qu'il put, se remémorant le regard de Canadras quand il disait qu'il aurait plaisir à le laisser tomber dans la lave s'il échouait à remplir sa mission. Il serra les dents, jusqu'au moment où le dragon lui donna le signal de lâcher les artefacts, car il estimait qu'ils étaient au bon endroit et que personne n'allait intercepter les objets qui tomberaient dans la lave. Le hobbit sentit la tentation des objets, et en particulier de l'Ulûkai, qui était là à l'endroit qui l'avait vu naître. Plus fort que jamais, il voulait corrompre Rob pour ne pas être détruit, cherchant à lui envoyer des visions du paradis qu'il connaîtrait en utilisant la gemme maudite. Mais Rob était protégé par la larme de Yavanna qu'il tenait en main, et puis ces visions qui lui étaient envoyées ne lui parlaient guère de toute manière : il n'était qu'un simple hobbit chapardeur et inculte qui aimait la bonne nourriture, l'amitié et l'excitation du vol ou de l'aventure.

Avant de lâcher le sac avec l'Ulûkai de Morgoth et les deux autres artefacts, il mit la main, dans le sac, sur l'autre larme de Yavanna qui neutralisait en partie ses pouvoirs. Puis il laissa tomber ledit sac avec la gemme maudite, le Kuilëondo et l'anneau elfique porté autrefois par Gillowen. Ils chutèrent à travers les voiles de feu et atterrirent dans la lave, qui les engloutit. Mais Rob ne les voyait plus, et Canadras se mit à battre furieusement des ailes pour prendre de la vitesse et de l'altitude. Un puissant grondement monta dans le cratère, annonciateur d'une éruption comme le Puits de Morgoth n'en avait sans doute jamais connu. Il faut dire, et Rob le voyait bien, que le fond du cratère était en train de bouillonner d'une quantité d'énergie magique incroyable, due sans doute à la destruction des artefacts. Dans un moment il ne ferait pas bon se trouver dans le secteur... Le dragon arriverait-il à sortir de là avant l'éruption ? Chercherait-il à lâcher du lest pour pouvoir s'enfuir plus vite ? Le hobbit ruisselait de sueur, et pas seulement à cause de la chaleur, tandis que des voix à son oreille le soutenaient et l'encourageaient à tenir bon : les esprits du Grand Nord ne l'avaient pas oublié et ils renforçaient sa volonté pour lui permettre de continuer à respirer et peut-être arriver à retrouver ses amis...

8 - Course et escalade
Bien plus au nord, à peine quelques soins magiques avaient-ils été faits sur Mordin que Gandalf s'était élancé. Il poussait les aventuriers à donner le meilleur d'eux-mêmes, et les plus rapides à aider les plus lents en portant leurs affaires. Ils couraient donc, ce qui pour le félin géant qu'était Vif n'était rien de plus qu'une marche tranquille. Ses anciens amis auraient bien voulu se servir de la nouvelle forme qu'elle avait acquise pour les porter tous et aller encore plus vite et sans effort, pour Geralt en particulier. Mais Radagast avait prévenu que son esprit animal ne serait sans doute pas d'accord pour une telle chose, et donc il fallait courir. Heureusement, les aventuriers en avaient vu d'autres et ils étaient très endurants. Ils arrivèrent donc bientôt à l'espèce d'escalier qu'ils avaient taillé dans la falaise pour pouvoir sortir du Puits de Morgoth plus facilement. Certains d'entre eux étaient à peine essoufflés...

Mais à présent il fallait grimper et vite, même si ce n'était pas vraiment de l'escalade : plus une ascension très raide sur une sorte d'escalier aux marches irrégulières et glissantes. Du coup, Taurgil, malgré la présence de la petite forme blanche qu'il portait et qui l'encombrait, n'eut pas de mal à suivre Gandalf, étonnamment rapide malgré son apparence de vieillard. Le grand Dúnadan était serré de près par le félin géant qui n'avait aucun mal à suivre. En revanche ses anciens amis se faisaient un peu de souci concernant les éboulements qu'il était susceptible de déclencher, vu son poids. Mais tout se passa très bien. Derrière Vif venait Dwimfa, extrêmement à l'aise dans un tel contexte. Puis Geralt, un peu moins rapide, suivi par Mordin, un peu plus lent mais tellement motivé qu'il s'étonnait lui-même. Et, enfin, Isilmë et Drilun.

Le Dunéen magicien, c'était notoire, était le moins adroit du groupe pour ce genre d'exploit. Aussi son amoureuse, très douée par contre, d'autant plus si elle utilisait ses capacités d'elfe, avait choisie en premier lieu de les encorder tous les deux et de passer en premier. Radagast était le dernier, mais curieusement, personne ne le vit monter. En revanche, lorsque les premiers arrivèrent au sommet, il était déjà là pour les attendre et les aider. Certains se rappelèrent avoir vu une grande chouette harfang s'envoler depuis le fond du Puits et les dépasser alors qu'ils progressaient vers le sommet du grand cratère... En tout cas, les premiers - Taurgil portant Tina, Vif et Dwimfa - arrivèrent sans mal. Gandalf, arrivé un petit moment auparavant, regardait, concentré, vers le sud et le centre du Puits de Morgoth, où Rob et le dragon devaient détruire les artefacts.

Alors que Geralt et Mordin franchissaient le sommet à leur tour, tous perçurent que quelque chose se passait au loin : une lumière rouge et jaune grossissait au centre du Puits, et bientôt ils sentirent tous la terre trembler fortement. Isilmë eut à peine le temps d'arriver au sommet que les aventuriers eurent fort à faire pour rester debout et ne pas tomber. Ils arrivèrent à garder leur équilibre... sauf l'archer-magicien, encore dans l'escalier sommaire, qui lâcha prise et chuta vers une mort certaine, sur les bords tranchants de la falaise ou à son pied. Mais sa chute fut vite interrompue par la corde qui les liait tous deux, son aimée et lui. Elle avait eu le temps de planter son piolet dans la neige et le sol gelé, et avait réussi à tenir bon et à ne pas lâcher. Très vite, Vif sentant la menace pour son amie dans son esprit animal, elle se précipita vers Isilmë. Prenant l'elfe dans sa gueule gigantesque, elle tira un bon coup sur la corde qui menaçait de la faire basculer dans le vide. La corde tint bon, et Drilun fut catapulté vers le haut, bien au-dessus du bord du gouffre. Il atterrit sur le sol enneigé, non sans quelques bleus, mais vivant. Ils s'en étaient tous sortis à peu près indemnes...

Bien plus loin au sud, une forme ailée progressait dans l'air, à peine plus vite que les projections de lave qui paraissaient la poursuivre. C'était un beau feu d'artifice, mais il semblait que le dragon Canadras avait réussi à fuir les abords du cratère assez vite pour ne pas être pris dans l'éruption volcanique. Peu à peu, les plus perceptifs purent distinguer une forme humanoïde et assez petite tenue dans une des pattes du dragon. Apparemment, le hobbit n'avait pas fini dans le lac de lave, contrairement aux artefacts qui étaient probablement la cause de cette éruption intense. Mais était-il encore vivant, vu l'enfer auquel il avait échappé de très peu ? Heureusement, l'attente ne fut pas de longue durée, et lorsque Canadras arriva, tous purent voir que leur petit ami était bien vivant, bien que sacrément échaudé !

9 - Bilan et avenir
Le bilan de famille aurait été incomplet sans un membre, qui finit par se réveiller bientôt : Tina sortit enfin de sa transe magique, affaiblie mais bien vivante. L'application d'athelas par les mains de Taurgil l'avait bien aidée, sans quoi elle aurait mis bien plus de temps à guérir assez pour pouvoir retrouver un peu d'activité consciente. D'une certaine manière, elle arrivait à parler mentalement avec Vif, en qui elle reconnaissait un lien familial : elle soupçonnait qu'elles étaient sœurs ou demi-sœurs, issues d'un programme destiné à réaliser de parfaits rejetons pour servir Tevildo, ce qui fut confirmé par les magiciens. Il y avait en effet, ou plutôt il y avait eu autrefois, un culte de Tevildo dans le sud du Gondor. C'est eux qui avaient utilisé le Kuilëondo pour influer sur la destinée du Gondor, à travers notamment les descendants d'un enfant caché de la reine Berúthiel, qui était sans doute à l'origine de ce culte. Elle utilisait ses chats pour espionner les Gondoriens... Le culte avait été mis en échec et en partie détruit, mais une prêtresse avait survécu jusque récemment, qui avait eu trois enfants : Tina, Vif et une autre personne dans le sud, à présent disparue. Par ailleurs, Arang, ancien ami et membre du groupe d'aventuriers de Gillowen, Tina et Dwimfa, était l'un des descendants de la reine Berúthiel et il avait dû reprendre le flambeau laissé par un ancêtre... Mais tout cela était à présent terminé, Tevildo et la menace qu'il représentait n'étaient plus.

Mais Tina était triste : elle avait rencontré une famille pour la perdre presque immédiatement, du moins en partie. Et puis elle avait été la cause de nombreux torts, en cédant à la corruption de Tevildo qui lui avait fait miroiter un avenir fait de puissance magique et de respect des autres pour sa petite personne. Malgré l'attention des magiciens, elle avait failli et était devenue le jouet du Prince des Chats. Qui sait si sans cela elle n'aurait pas pu sauver ses anciens compagnons, sans parler de ne pas leur mettre des bâtons dans les roues, à eux et à l'équipe de Vif et ses amis... Au final, comme le firent remarquer les magiciens, ils avaient eu raison du Maia, emportant en même temps deux autres anciens lieutenants de Morgoth, et pas des moindres ! Et quantité d'autres ennemis puissants... Oui, il y avait plein d'issues heureuses à tous ces choix, ces aventures, mais elle en était lasse. Elle voulait passer du temps avec Vif à présent, et le sentiment semblait mutuel. Elle resterait dans le Grand Nord avec le grand félin, au moins jusqu'au moment où il retrouverait une taille plus normale. Ce dernier aurait bien voulu rentrer chez lui, en Forêt Sombre, mais Radagast lui avait fait comprendre qu'il faudrait attendre pour cela : dans l'immédiat, vu sa taille et son poids (et son appétit !), il valait mieux rester dans les environs. Dans un milieu où les peuples libres étaient plus denses, elle risquait fort de poser problème tant qu'elle n'aurait pas repris une taille plus normale.

Canadras, pour sa part, restait un dragon : son regard était fixé sur le Dunéen, et Drilun sentait bien qu'il aurait à payer ce à quoi il s'était engagé : servir Canadras pendant dix ans de sa vie. Et le dragon lui faisait comprendre que le moment était venu. Isilmë avait aussi passé un contrat, pour seulement un an, afin de lui permettre de rester auprès de son aimé. Mais elle comprit vite que Canadras s'apprêtait à partir très bientôt en emmenant avec lui seulement l'archer-magicien qu'elle aimait, pas elle. Peut-être daignerait-il la prendre également, mais cela ne serait pas gratuit, et lui vaudrait encore davantage d'années au service du dragon... Drilun fut un moment tenté de mettre fin à ses jours, mais Canadras perça facilement ses pensées et lui rappela quel terrible tort il ferait à son aimée s'il réalisait ce funeste projet. Sans parler de languir dans les cavernes de Mandos jusqu'à la fin des temps avant de pouvoir être réunis... Décidément, Canadras avait réponse à tout et le Dunéen se sentait bien piégé. Ses arguments concernant le manque de nourriture chez le dragon furent vite balayés devant les solutions possibles. En fin de compte, même ses amis lui rappelèrent avec quel enthousiasme il avait pensé apprendre la magie auprès d'un tel maître...

L'avenir des autres était plus flou, moins tracé. Dans l'immédiat, ils allaient certainement retourner voir les elfes de Brumes Éternelles, qui les avaient beaucoup aidés et qui avaient besoin des larmes de Yavanna. Peut-être même pouvaient-ils les aider à en trouver d'autres pour la purification du Grand Nord... Taurgil avait toujours en tête de combattre Angmar par tous les moyens possibles dans la guerre qui opposait le roi-sorcier à l'Arthedain et au Cardolan, le Rhudaur - dont il était le roi potentiel et légitime - étant déjà tombé. Quels seraient les aventuriers prêts à le suivre dans cette nouvelle quête ? Rob, qui n'avait pratiquement plus aucune famille dans la Comté ? Mordin, qui n'avait plus aucune dette envers l'Arthedain ? Geralt, qui ne voulait certainement pas reprendre son rôle de chef des assassins de la guilde des voleurs de Tharbad ? Dwimfa, partagé entre le Grand Nord et la Forêt Sombre ?

Gandalf les étonna tous en parlant d'un autre destin potentiel pour le maître-assassin. Quelqu'un l'attendait impatiemment en Arthedain, quelqu'un qui était venu là il y avait peu afin de ne pas être trop éloigné du balafré aux cheveux blancs, quelqu'un qui avait des sentiments pour lui. Après un moment, Geralt finit par mettre un nom sur cette personne : Bronwyn, fille d'Atagavia, chef de la plus grande tribu des Éothraim, qu'ils avaient beaucoup aidés ? Bien sûr, ils avaient eu de nombreuses aventures ensemble. C'est vrai, pour beaucoup de nordiques cavaliers de là-bas, il était un héros : le meilleur cavalier, l'un des meilleurs guerriers... et pour ces fiers guerriers, ses nombreuses cicatrices prouvaient sa valeur et son courage et augmentaient encore son prestige ! Il ne se voyait pas devenir capitaine là-bas et encore moins avoir des marmots. Pourtant cette révélation le laissa songeur : l'avenir peut être plein de surprises, et il ne s'attendait vraiment pas à celle-là, même s'il n'était tenu à rien et pouvait choisir une tout autre voie, comme tous les mortels...

Dwimfa, lui soupira. Oui, le Bien avait gagné, les trois anciens Maiar et anciens lieutenants de Morgoth avaient été bannis, sans parler du démon Andalónil et de quantité d'autres ennemis. Mais à quel prix ! L'elfe et magicienne Gillowen, sa plus grande amie, était morte atrocement sous ses yeux, sans parler des autres membres de son ancienne équipe d'aventuriers - seule Tina restait vivante. Vif, l'ancienne fillette adoptée par les siens et filleule de Radagast, son amie elle aussi, n'était plus qu'un gigantesque félin dont la partie humaine était morte, emportée par Tevildo. Ses amis Drilun et Isilmë étaient maintenant tenus de servir le dragon-magicien Canadras pendant dix ou onze ans, pour l'aide qu'il leur avait apportée, sans laquelle ils auraient failli. Cinq morts, une réduite à un état animal, deux esclaves d'un dragon... sur quatorze aventuriers. Et ce n'était pas tout ! Son épouse et son enfant lossoth étaient morts, de même que l'un de ses frères, victimes collatérales de sa nature d'aventurier. Ainsi que quantité d'amis et de connaissances, de Lossoth et autres membres des peuples libres : simplement car les forces du mal trouvaient plus simple et naturel de tuer tout le monde aux alentours pour faire sortir les aventuriers de leur cachette. Oui, sa chance l'avait sauvé bien des fois, mais il avait vu mourir tant de monde autour de lui qu'il en était malade... Et c'était sans rien dire de sa transformation en raison de la magie des Ents-femmes : sa peau était de bois et il dépassait tout le monde d'une ou deux têtes à présent, Taurgil excepté. Pourrait-il encore avoir une vie normale après ça ?

Mais dans tous les cas, ils avaient tous encore le choix. À part Isilmë qui s'était irrévocablement liée à Drilun et qui avait scellé son destin ainsi, tous étaient des mortels qui pouvaient choisir leur destinée. Triste ou heureuse, courte ou longue, leur vie serait ce qu'ils en décideraient de faire... ou d'essayer de faire. Ils avaient vécu de formidables moments, et d'autres qui les hanteraient toute leur vie. Ils avaient développé d'incroyables amitiés, certaines encore très fortes, malgré les nombreux chagrins et pertes d'êtres chers. Ils avaient vraiment bien vécu, et comptaient dans leurs relations des rois et reines, des voleurs petits et grands, des elfes puissants et des nains bourrus, des magiciens, des voyants et des forgerons, mais aussi de nombreuses personnes simples - Petites Personnes et Grandes Gens - prêtes à les accueillir à bras ouverts. Leurs aventures les avaient transformés, et ils avaient peut-être changé le monde par leurs actions - changé en bien, du moins ils l'espéraient. Que ne leur restait-il pas à vivre et expérimenter encore ?

À eux de répondre à cette ultime question...
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