Terre du Milieu - Système J

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Niemal
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Horselords - 11e partie : espionnage

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1 - Repos et soins
Les ex-prisonniers des orcs grelottaient et étaient épuisés, et Rob avait besoin de soins dans un cadre le plus confortable possible. Il était donc hors de question de faire un vulgaire campement sur une plaine battue par les vents. Si encore cela avait été la forêt... Rob ne pouvait être transporté selon Isilmë, et pourtant il faudrait bien l'amener en ville. Il fallait donc fabriquer un brancard que deux personnes porteraient avec le plus de délicatesse possible. Deux personnes adroites et relativement en forme, ce qui éliminait les personnes trop blessées, épuisées, flemmardes... ou dénuées de bras. En fin de compte, ce seraient Drilun et Isilmë. Le premier était agile et n'avait pas combattu, la seconde avait subi peu de blessures et elle bénéficiait encore des effets de la noix de l'écureuil qu'elle avait ingérée.

Vif partit chercher des branches qui pourraient servir pour le brancard, tandis que des tissus furent récupérés sur les ennemis tombés, après avoir mis fin aux souffrances des mourants. Cela permit de faire un moelleux cocon dans lequel le hobbit fut installé avec soin. Toute la troupe se mit ensuite en marche vers le sud, et la route qui permettait de passer en bas de la falaise fut bientôt retrouvée. La lionne magique avançait un peu en avant, afin d'examiner les environs et la présence d'éventuels ennemis, et de ne pas trop effaroucher les chevaux utilisés par les nordiques, Geralt, Mordin et Taurgil. L'allure était lente afin de ne pas secouer le blessé, ce qui laissa une bonne heure pour discuter de leur destination : Forpays, Buhr Waldlaes dans la langue nordique, d'accord, mais où ?

Geralt proposa les Sables d'Harad, mais on lui fit remarquer que c'était une taverne pour boire et se retrouver en société, pas une auberge avec des chambres pour voyageurs. La ville comportait plusieurs de ces dernières, mais la meilleure et plus tranquille était sans nul doute, selon Mordin, l'auberge un peu à l'écart de la ville qui s'appelait la Taverne du Cheval en Colère. Elle comportait d'ailleurs sa propre écurie et c'était la plus grande de Forpays, à ce qu'on lui avait dit. Par contre, c'était aussi la plus chère, ce qui fit grincer un peu les dents du nain qui pensa aux vingt chevaux et vingt-deux personnes qu'ils étaient. Mais il se promit de bien faire baisser les prix : l'aubergiste allait voir ce qu'il allait voir...

Le gîte était une chose, mais les ennuis possibles en étaient une autre. Que faire suite au combat qu'ils avaient menés face aux orientaux, sachant qu'une bonne part de ces derniers étaient rentrés au château au-dessus de la ville ? Ne fallait-il pas y faire un tour et essayer de se débarrasser une bonne fois pour toutes des possibles ennemis qui sinon risquaient de s'inviter au plus mauvais moment ? Ce à quoi certains répondirent qu'ils étaient tous fatigués, parfois blessés, que les effets de la noix de l'écureuil que certains avaient pris allaient s'estomper voire les affaiblir, et qu'ils ne savaient pas sur quoi ils allaient tomber. A tout le moins, il y aurait des bons guerriers et sans doute un voire des sorciers. Bref, il fallait que tout le monde soit reposé et soigné avant d'envisager la suite.

Le sud de la ville fut longé pour arriver enfin à l'auberge, à l'extrémité sud-est de la ville des voleurs. Elle était fermée, mais un peu de bruit et une pièce d'argent approchée de la lanterne de Geralt convainquirent l'aubergiste, Burhgavia, qu'il pouvait descendre ouvrir à ces voyageurs tardifs. Les chevaux furent menés à l'écurie et de la nourriture fut apportée aux nordiques qui avaient encore bien faim, tandis qu'un feu était rallumé. Taurgil demanda à faire chauffer de l'eau pour faire une infusion d'athelas, dont la fragrance apaisa les esprits. Puis le Dúnadan utilisa cette herbe de soin avec ses mains issues d'une lignée royale afin de traiter le maximum de blessures possibles. Les plus légères furent vite oubliées, mais l'état de Rob était tel qu'il était difficile de dire si la magie de l'héritier des rois du Rhudaur avait eu beaucoup d'effet sur lui.

Tous furent répartis dans des chambres et s'endormirent vite, sauf Mordin qui monta la garde le temps qu'Isilmë se repose quelques heures et le remplace. Sans parler du félin qui ne dormait que d'un œil sur le toit de l'auberge, à l'insu de ses propriétaires. L'arrivée du jour le vit s'éclipser discrètement jusqu'à une cachette au pied de la falaise, non loin. Après avoir également chassé et laissé une partie de cette chasse devant la porte de l'auberge. Burhgavia fut étonné de recevoir des cuissots de chevreuil d'un chasseur fantôme qui ne se faisait pas connaître, et qui découpait sa viande d'une bien curieuse manière... Néanmoins, les pièces de viande furent utilisées et les occupants de l'auberge ne s'en portèrent pas plus mal.

2 - Retour au pays
La journée se passa tranquillement à l'auberge, tous éprouvant le besoin de se reposer. L'état de Rob restait stable, même si les effets négatifs de l'ingestion de la noix de l'écureuil le rendaient plus fragile. Mais ils avaient sans doute été compensés par les magies des soins dont l'elfe et le Dúnadan lui avaient fait bénéficier. Ce fut aussi l'occasion pour tous de se nettoyer, ce dont certains avaient bien besoin ! Il fallut également aller acheter des vêtements divers dans une friperie afin de mieux habiller les nordiques en grande partie déguenillés suite à leur captivité et leur voyage en forêt. Sans parler de tentes et de nourriture pour le prochain voyage, prévu pour le lendemain. C'est Mordin qui râlait le plus à ces occasions, et pourtant il s'y entendait à faire baisser les prix : ses talents de négociant et son opiniâtreté firent renoncer plus d'un marchand à mieux qu'un profit dérisoire...

Les sens des aventuriers restaient bien aux aguets, tant ils redoutaient une mauvaise surprise venue du château au-dessus de la ville. D'autant que l'arrivée de tous ces étrangers avait fini par se savoir en ville et avait attiré bien du monde, le soir, dans la salle principale de l'auberge, qui faisait aussi taverne. Malgré la présence de quelques voleurs et mendiants, tout s'était bien passé, mais il était évident que leur présence n'était plus un secret pour personne en ville. Et s'ils partaient le lendemain, ni Rob ni Isilmë ne seraient du voyage. Que fallait-il faire pour leur garantir un minimum de sécurité ? D'autant que l'observation des étoiles, lors de la deuxième nuit, sembla annoncer au Dunéen magicien que leurs deux amis seraient le sujet d'une attention toute particulière d'individus que tous préféraient ne pas connaître...

Après débat, l'idée qui émergea fut de cacher le hobbit et l'elfe dans l'auberge. Au grand dam du nain, la suite royale - pratiquement jamais utilisée - fut réservée pour une dizaine de jours et le blessé et son infirmière y furent transférés. Les volets resteraient clos, comme pour toutes les chambres qui ne servaient pas. Quant aux propriétaires, leur silence fut acheté à prix d'or - qui venait de la bourse du hobbit - et par la promesse de davantage d'or au retour. Par ailleurs, lorsque la troupe se mit en route, une femme nordique fut grimée en Isilmë et un enfant, le plus petit, joua le rôle de Rob. Aux yeux de toute la ville, tous les aventuriers et nordiques quittèrent l'auberge ce matin-là.

Le voyage devait durer quatre jours au plus, car la bourgade où demeurait Paidacer, chef des Widureiks, était distante de 150 miles environ (~240 km). Mais tout le monde savait bien chevaucher, aussi le trot fut-il adopté, ce qui permit de couvrir la distance en deux jours seulement. Vif précédait ou suivait à une certaine distance, afin de ne pas perturber les chevaux que sa présence et son odeur rendaient nerveux. Le temps restait frais et sec, et le voyage se déroula sans incident. Des marchands furent croisés, mais aussi des patrouilles nordiques qui reconnurent les leurs et accompagnèrent la troupe, tandis que certains partaient annoncer la nouvelle au galop. Ils informèrent également les aventuriers que les familles qu'ils avaient libérées des orcs quelques jours auparavant étaient bien toutes arrivées saines et sauves.

Au deuxième jour, les aventuriers virent partir la majeure partie des ex-prisonniers qu'ils avaient délivrés des orcs, au fur et à mesure que leurs tribus ou familles venaient à leur rencontre. Bientôt ils étaient attendus sur leur passage et les cris de joie et les remerciements leur réchauffèrent le cœur. Quand ils arrivèrent près de Romenost, où se trouvaient les longères où Paidacer avait ses quartiers d'hiver, le chef des Widureiks vint à leur rencontre et fut transporté de joie en revoyant sa petite-fille. Paidacer organisa une fête le soir même, fête à laquelle furent bien évidemment conviés Taurgil et ses amis. Certains s'étonnèrent de ne pas voir l'elfe, le hobbit et la Femme des Bois, ce à quoi il fut répondu qu'ils étaient restés à la ville des voleurs en raison de blessures reçues. La présence du félin qu'était Vif amena d'autres questions, et il fut présenté comme un serviteur ou allié de l'elfe, bien que cela ne répondît pas à toutes les questions des nordiques...

Au cours de la fête, les aventuriers furent chaleureusement remerciés, et il leur fut annoncé que cinquante chevaux leur seraient réservés sans avoir aucunement besoin de payer. Le chef des Widureiks leur garantit tout le soutien qu'il pouvait leur apporter, et leur dit de ne pas hésiter à lui demander toute faveur qu'il serait heureux de leur accorder si cela était en son pouvoir. Il fut alors question de recruter des hommes pour gérer et prendre soin du troupeau de chevaux jusqu'en Arthedain. Paidacer accepta la demande et dit qu'il allait voir s'il pouvait se priver de quelques-uns des siens pour cette tâche. Leur nombre dépendrait surtout de l'évolution des troubles avec les orcs ou les orientaux. Il fut d'ailleurs mis en garde pour les premiers, car tous n'étaient pas morts, comme la troupe de guerre qui avait amené les prisonniers à Buhr Waldlaes, la ville des voleurs.

3 - Assaut envisagé
En pensant à Rob et Isilmë, les aventuriers ne restèrent pas plus que le minimum. Ils furent repartis le lendemain, et galopèrent toute la journée jusqu'en début de nuit pour arriver enfin à la ville des voleurs. L'auberge était telle qu'ils l'avaient laissée et leurs amis étaient bien là, dans la suite royale de l'établissement, sans avoir été aucunement inquiétés. Cela n'avait pas empêché certaines personnes de venir fureter, mais il semblait que les précautions qui avaient été prises pour faire croire que tous avaient quitté les lieux avaient été payantes. Ils eurent la bonne surprise de trouver que leur petit ami avait repris conscience grâce aux bons soins magiques (entre autres) de son infirmière elfe. Mais il était trop faible pour faire grand-chose d'autre que manger un peu et dormir.

Quelle suite donner à tout cela ? Leur mission restait d'aller voir Atagavia à Buhr Widu, qui n'était plus très loin. Mais pouvait-on laisser là deux des leurs plusieurs jours ou plusieurs semaines, temps qu'il fallait sans doute pour que Rob guérisse ? Ne fallait-il pas au préalable régler le problème des habitants du château qui étaient de mèche avec orcs et orientaux, et qui comportaient des sorciers probablement alliés au Nécromancien ? Les avis étaient partagés, certains pensant qu'ils risquaient de s'attaquer à trop gros morceau. Ils n'étaient guère que cinq à pouvoir aller combattre s'ils ne voulaient pas laisser Rob sans surveillance, comme son état le réclamait. Et ils parlaient de s'attaquer à un château et à des ennemis dont ils ne connaissaient presque rien, si ce n'était que certains maîtrisaient la magie noire et que les guerriers orientaux étaient très compétents et bien équipés...

Par ailleurs, lorsque Drilun avait étudié les runes sur les flèches trouvées ou lancées par l'homme en cuir qui accompagnait les orientaux, il avait pu déterminer la nature de la magie, qui n'occupait plus qu'une seule flèche - celle qui n'avait pas servi : cette magie accroissait les blessures des seuls humains, guidant la flèche vers les zones vitales de toute cible humaine. Fort heureusement pour Rob, qui avait reçu une telle flèche, il n'était pas humain, sinon il aurait été mort à présent. En revanche, le Dúnadan comprenait mieux comment cette flèche avait pu le blesser malgré son haubert de mailles de mithril. Mais au-delà de ça, le Dunéen, grâce à sa magie, avait pu avoir une vision de la personne ayant tracé les runes. Le visage qui lui était apparu, aux cheveux d'argent, lui semblait celui d'un elfe. Après l'avoir dessiné et montré à Isilmë, cette dernière ne le reconnut pas, mais elle ajouta qu'elle était pratiquement sûre qu'il s'agissait d'un Noldo. En pensant à Sîralassë, les aventuriers se souvinrent que les Noldor étaient rares et c'étaient souvent de grands guerriers, magiciens ou forgerons, pour la plupart nés il y avait bien des milliers d'années... Cette personne se trouvait-elle dans le château au-dessus de leurs têtes ?

Tous convinrent qu'avant de décider de lancer l'attaque, il pouvait être intéressant de trouver des alliés. Il fut convenu d'aller voir les Hommes Libres de Rult, cette bande de mercenaires dont certains avaient rencontré le chef, qu'ils avaient apprécié. Mordin, Drilun, Geralt et Taurgil décidèrent alors d'aller le lendemain dans le quartier des mercenaires. Isilmë resterait auprès de Rob, tandis que Vif, toujours sous sa forme animale, n'était pas très loin en cas de pépin. Une fois les quatre amis en ville, ils en profitèrent pour aller voir Wartik, l'herboriste. Ils l'avaient déjà réveillé une nuit, sans grand succès. Et le petit homme gros et chauve qui les accueillit se souvint aussi de cette nuit-là et de Geralt qui l'avait réveillé...

Le nain fut un peu frustré par l'herboriste : ce dernier refusait de négocier ses marchandises, ses prix étaient à prendre ou à laisser. Il pouvait d'autant plus se le permettre qu'il était en position de monopole. De plus, il devint vite apparent que l'homme avait dans le clan des voleurs un client de poids, sans doute son principal. En effet, il avait surtout des herbes et préparations qui convenaient à un tel métier : marchand de sable pour endormir et trèfle de lune pour bien voir dans l'obscurité. Mais pas de cataplasme antipoison comme Dirhavel savait faire, ou de don-de-vipère pour des guérisons miraculeuses. Il avait tout de même une pommade contre les poisons de faible virulence, qui fut achetée avec le somnifère et le liquide pour voir dans la nuit.

4 - Évaluation
Le quartier des mercenaires, appelé aussi quartier des Sans-Attache, ne fut pas dur à trouver à l'aide de quelques indications données par des passants. Par ailleurs, un espace dégagé près de la rivière qui passait par là offrait une espèce d'arène ou de terrain d'entraînement pour de nombreux guerriers que l'on pouvait entendre de loin. De nombreuses personnes combattaient là, en général en groupes distincts réunis près d'une bannière proche. Une série de bâtiments adjacents servaient de quartier général à ces bandes de mercenaires. Les quatre amis se tinrent là un moment, observant ces guerriers avec le regard critique d'hommes d'expérience. D'autant qu'avec la guerre contre Ardagor, que seul Mordin n'avait pas connue, ils avaient eu leur content de troupes à gérer et à apprécier.

Geralt en particulier, en tant que chef des assassins et de la Main Écarlate, avait des références pour juger de la qualité d'un combattant. Il compara donc les guerriers qui s'entraînaient avec ses propres assassins. Le niveau était globalement comparable, même si les compétences n'étaient pas toutes les mêmes. Néanmoins, le groupe des Hommes Libres de Rult se distinguait des autres, ses membres semblaient plus compétents et bien à même d'inquiéter ses assassins. De plus, l'esprit de groupe n'était pas le même partout. Les Éventreurs de Partila, dont Rult leur avait parlé, furent vite repérés et catalogués : des brutes agressives et individualistes. Alors que les Hommes Libres avaient une organisation et des techniques de groupe qui les mettaient à part.

C'est donc vers eux qu'ils se dirigèrent. Rult les salua - il avait reconnu les trois d'entre eux qu'il avait déjà vus - et se montra impressionné par l'équipement de Taurgil. Sa cotte de mailles, en particulier, était faite d'un métal argenté qu'il ne connaissait pas... autrement que, peut-être, en légende. Les aventuriers discutèrent un peu avec lui et parlèrent d'un contrat possible avec ses hommes, quelque chose de particulier... et dangereux. Mais avant d'en discuter plus en détail, ils tenaient à tester ses hommes de diverses manières afin d'éprouver leur qualité. Rult le comprit et les invita à les mettre à l'épreuve. Quel genre de combat souhaitaient-ils simuler ?

C'est Taurgil qui ouvrit le bal. Il fit face à trois guerriers dont l'objectif était juste de rester face à lui et passer sa défense ou son armure. Lui ne ferait que parer avec son épée sur deux d'entre eux, le troisième ayant seulement le bouclier à passer. Les consignes données étaient de ne pas se retenir... Les hommes furent un peu surpris et hésitants au départ, mais ils comprirent vite qu'ils avaient peu de chance d'arriver à quelque chose sans donner le maximum. Après une ou deux minutes de combat, aucun n'avait réussi à toucher le Dúnadan qui leur faisait face, et seul celui côté bouclier avait été près de le faire en quelques occasions.

Geralt fut le deuxième à tester les hommes de Rult. Face à deux d'entre eux, la consigne donnée fut juste de rester sur la défensive et d'essayer de ne pas perdre leur arme. Au bout de quelques secondes de combat seulement, les deux épées des guerriers avaient volé à terre, dont l'une d'entre elles plusieurs mètres plus loin. Rult leur passa un savon, mais il félicita aussi Geralt pour sa technique et sa rapidité. Il aurait aimé avoir des gens comme lui dans sa troupe... Malgré le résultat de ces deux tests, les guerriers qu'ils évaluaient semblaient bons, mais restait encore à évaluer leur sang-froid et leurs nerfs. Ce furent Mordin et Drilun qui se collèrent à ce dernier test.

Rult fut prévenu qu'il fallait un guerrier ayant la tête froide, et c'est sur sa réaction à l'inattendu qu'il serait jugé. L'idée était de le faire combattre Drilun mais de faire intervenir Mordin - oralement - pour voir comment ses tripes réagiraient. Rult appela l'un de ses hommes et lui demanda de combattre le Dunéen, en le prévenant d'une surprise au cours du combat. Et après quelques secondes de passes d'armes sans qu'aucun des deux hommes ne prenne le dessus, le nain invectiva fortement le guerrier, le menaçant de son arme sans vraiment prendre part au combat. L'homme garda la tête froide et ne se démonta pas, changeant de position pour ne pas être pris au dépourvu en cas d'attaque du nain. Ce dernier, qui n'avait pas ménagé sa peine, fut enchanté du résultat du test : pour lui, les Hommes Libres de Rult étaient ceux qu'il leur fallait.

5 - Passage secret
Les aventuriers prirent ensuite Rult à part, dans une pièce de son quartier général, et ils lui dirent que ses hommes faisaient tout à fait l'affaire par rapport au projet qu'ils envisageaient : rien de moins que de s'attaquer au château de l'ancien mage, Leärdinoth. La bâtisse était occupée par des orientaux et sorciers qui s'occupaient de réduire des prisonniers nordiques en esclavage pour Eru savait quel trafic. Ils expliquèrent que rien n'était encore décidé, et parlèrent du combat et du sauvetage qu'ils avaient menés. Les occupants du château étaient une menace pour la région, pour la ville, et pour eux. S'ils pouvaient se débarrasser de cette menace, ils le feraient. Et avec les Hommes Libres de Rult cette tâche paraissait plus facile à accomplir.

Le chef des mercenaires et ancien esclave parut ébranlé par cette perspective. Certes, la cause était de celles qu'il était prêt à entreprendre, et certes, Taurgil et ses amis étaient manifestement de grands guerriers. Mais d'une part, il était question de sorciers et magie noire, d'autre part, ils ne savaient à peu près rien du château et de ses occupants. Cela faisait pas mal d'inconnues qui ne lui permettaient pas de juger si l'entreprise était plus qu'un suicide, d'autant qu'ils avaient connu la période de l'ancien mage. Sa mainmise était alors presque totale sur la ville, et ses remplaçants, aux bruits qui couraient, disposaient d'un pouvoir au moins équivalent. L'ancien mage avait tout de même été abattu par des aventuriers, d'après ce qui se disait, il n'était pas interdit de penser que l'histoire pouvait se répéter. Mais en bon stratège, il fallait commencer par en savoir le plus possible sur l'ennemi.

En cela, les aventuriers étaient bien d'accord. Drilun espérait bien sonder magiquement les abords du château pour apprendre si un quelconque souterrain ne permettrait pas d'y accéder. En revenant à l'auberge, il se plaça donc au pied du piton sur lequel le château se dressait et le sonda magiquement. Comme il l'avait espéré, il sentit qu'un passage descendait du haut du piton jusqu'à la cave d'une maison proche. Cela faisait donc un deuxième accès au château, en plus du pont qui enjambait une partie de la ville. Ce passage était certainement gardé par des guerriers, des pièges, de la magie... Il fallait chercher à en savoir plus. Mais lorsque les quatre amis inspectèrent la maison en question, ils ne passèrent pas inaperçus. En fin de compte ils quittèrent le lieu plutôt que de trop attirer l'attention.

Une fois revenus à l'auberge, ils firent des plans qu'ils allèrent ensuite proposer à la lionne enchantée. Pour commencer, il fallait espionner le château et la maison où aboutissait le passage souterrain. Geralt s'occuperait de surveiller la maison et les allées et venues de ses occupants. Isilmë et bien entendu Rob resteraient à l'auberge, tandis que les quatre autres amis iraient voir de plus près ce qui pouvait se voir ou s'entendre. Entre la longue-vue obtenue dans le Cardolan, que l'assassin leur confia, et l'ouïe incroyablement fine de Vif, ils arriveraient certainement à apprendre des choses. Et c'est ainsi que Drilun, Mordin, Taurgil et Vif se retrouvèrent au pied de la falaise, dans l'après-midi.

Ils commencèrent par chercher un passage vers le haut de la falaise à l'est de la ville, pour éviter d'avoir à faire le tour par la route d'Araw à l'ouest. Ils finirent par en trouver un à une vingtaine de minutes à pied vers l'est, ce qui leur ferait économiser quelques minutes au final. Encore fallait-il faire un peu d'escalade, ce qui n'était pas franchement du goût du nain. En fin de compte, devant ses difficultés, La féline Femme des Bois le prit sur son dos et grimpa jusqu'en haut en une série de bonds qui réduisirent la difficulté apparente de ce passage à celle d'une balade champêtre pour lapins. Taurgil et Drilun suivirent plus lentement, avec moins d'aisance, mais ils ne rencontrèrent guère de problème pour parvenir jusqu'en haut.

Le haut de la falaise était balayé par des vents d'est auxquels se mêlait par moments une pluie glaciale. De bonnes conditions pour avancer sans être vu, mais aussi pour tomber malade, comme le Dunéen avait déjà expérimenté auparavant, et que la magie de ses amis avait permis de soigner. Vif se faufila discrètement de son côté, tandis que Mordin restait caché dans un bosquet - la discrétion n'était pas sa spécialité - et que rôdeur et archer-magicien suivaient leur propre voie. Ils se rapprochèrent ainsi à une ou deux portées de flèches de l'entrée du château, qu'ils examinèrent à la longue-vue. Le début du pont était gardé par une tourelle qui comportait une grille ou herse, puis une tour plus grande était bâtie au milieu du pont, tour où l'on pouvait deviner la présence d'un garde au moins.

6 - Espionnage
Le château fut observé sous toutes ses coutures, et les signes de vie - lumières et gardes - furent notés, même si cela n'était pas énorme. Difficile de savoir ce qu'il y avait à l'intérieur, même si la lionne arrivait à entendre des bruits d'activité certaine - cris et éclats de voix - dans le bâtiment principal du château, une espèce de donjon. La Femme des Bois, bien cachée dans un bosquet, décida de rester là un moment, et ses amis finirent par s'en retourner, d'autant que des crebain avaient été repérés qui les suivaient non loin. Le retour ne posa pas de problème, sauf lors de la descente : elle demanda une corde et une progression lente du nain, avec l'aide de ses amis.

Jusqu'à présent, la récolte était maigre, même si les aventuriers faisaient confiance à leur amie féline pour en apprendre davantage. Ce qui n'empêchait pas d'échafauder divers scénarios d'attaque du château par les Hommes Libres de Rult pendant qu'eux-mêmes tâcheraient de surprendre l'ennemi par le passage souterrain. Plans sans réelle consistance mais qui obligeaient à garder l'esprit ouvert. Pendant ce temps, Geralt inspectait de plus près le bâtiment où débouchait le passage souterrain. C'était une grande bâtisse en plusieurs morceaux, probable héritage d'extensions multiples avec le temps. Il avait choisi un endroit discret où se cacher et observait de loin les allées et venues de ses habitants.

Cela ne donna pas grand-chose en journée : les personnes qui sortaient étaient surtout de sexe masculin, mais pas toutes, et elles vaquaient à des affaires qui n'avaient rien d'extraordinaire, comme des courses diverses de nourriture entre autres. Beaucoup de courses en fait, si bien que l'assassin aux cheveux blancs se demanda si les personnes n'étaient pas des serviteurs du château qui ravitaillaient ses habitants. Mais difficile d'en être sûr. En revanche, la nuit venue, alors que l'heure était avancée et qu'il pensait à retourner à l'auberge prendre un repos plus que mille fois mérité, il fut témoin d'une scène étrange : un homme inconscient, peut-être ivre, porté par deux autres hommes alors qu'un troisième regardait tout autour comme s'il n'avait pas la conscience tranquille. Arrivés près de la maison, une porte s'ouvrit et les quatre hommes disparurent à l'intérieur. Geralt avait réagi trop tard, et lorsqu'il arriva à la porte, elle était verrouillée. Son déplacement n'était pas passé inaperçu, et il quitta les lieux après cela.

Plus haut, cachée dans son bosquet, la même nuit, Vif repéra une chose étrange. Au départ, elle vit un homme sortir du château en portant un sac. Après avoir contourné le château, il était entré dans un espace entouré de murs où elle avait entendu plus d'une fois des hennissements de chevaux. Quelques bâtiments dans un coin faisaient d'ailleurs penser à une grange et une écurie. L'homme entra d'ailleurs dans l'un de ces bâtiments, et elle entendit un son comme s'il avait jeté au sol quelque chose de gros et mou, avant de ressortir peu après.

Ensuite, elle avait entendu dans cette espère de grange des bruits bizarres qu'elle n'arrivait pas à identifier. C'était comme si le bâtiment était occupée par une grosse bestiole qui produisait des sons qui ne lui évoquaient rien, à part peut-être... les coups de bec d'une poule ! Mais elle avait du mal à imaginer une grosse poule capable de faire de tels sons, bien que certains pouvaient aussi faire penser à des os que l'on casse ou des chairs que l'on déchire... Elle finit par abandonner son poste au petit matin et rejoindre l'auberge plus bas, et partager ses informations avec ses amis. Sans parler de chasser et se reposer.

7 - Embuscade
Ces derniers événements nourrirent l'imagination des aventuriers, qui se demandèrent, sans pouvoir y répondre, si l'homme inconscient que Geralt avait vu emporté dans la maison n'avait pas servi à nourrir quelque monstre fantastique gardé dans la grange près du château. Tout cela n'incitait guère certains à s'attaquer aux ennemis qui les surplombaient, et ils préféraient partir pour Buhr Widu pour poursuivre leur mission et aller voir Atagavia. Néanmoins, Taurgil et Geralt décidèrent d'une nouvelle expédition vers la maison où débouchait le passage souterrain du château. La bâtisse comportait deux portes sur des faces opposées, si bien qu'une même personne ne pouvait les surveiller toutes les deux. Les deux aventuriers décidèrent de se poster chacun à distance de l'une des portes, caché, de manière à pouvoir surveiller tout le trafic. Le Dúnadan porterait le manteau elfique du Dunéen, et il resterait dans un secteur plutôt vide de bâtiment de la ville, et l'assassin aux cheveux blancs surveillerait l'autre porte, depuis un secteur plus passant.

Ce qui fut fait. Geralt, bien caché, remarqua le premier deux choses. D'une part, les volets de la fenêtre juste au-dessus de la porte restaient entrouverts. Une personne se tenait là qui observait les environs. Le maître-assassin pensa aux multiples fois où ses amis et lui avaient porté leur attention sur la maison, sans forcément être assez discrets. Sans doute cela avait-il mis la puce à l'oreille de ses occupants, qui surveillaient à présent le secteur. Mais également, il remarqua un nombre croissant de personnes qu'il catalogua vite parmi les voleurs, nombre inhabituel pour une matinée à cet endroit de la ville. D'autant que ces voleurs allaient et venaient sans s'éloigner, à l'affût de quelque chose... ou quelqu'un. Taurgil également avait fini par faire le même constat de son côté, et il restait bien caché.

L'homme aux cheveux blancs sentit que sa position, en bordure d'une allée assez passante, risquait de devenir inconfortable et il préféra sortir de sa cachette et se diriger d'un pas nonchalant vers la maison. Quand il vit que les voleurs alentour convergeaient vers lui, il décida de rebrousser chemin, tout en surveillant les volets plus haut pour éviter de prendre une flèche empoisonnée dans le dos. Et précisément, il vit le bout d'une flèche sortir d'entre les volets, pointé dans sa direction. Tous les muscles tendus, il plongea sur le côté juste au moment où la flèche arrivait sur lui. En se relevant, il remarqua que le tir avait été très précis et l'aurait certainement touché. Mais surtout, il entendit l'homme derrière les volets s'écrier d'une voix forte : "C'est lui, tuez-le, cent pièces d'or pour celui qui ramènera sa tête !"

Les voleurs autour de lui sortirent alors leurs armes et se précipitèrent vers lui, tandis qu'il se mettait à courir vers le sud, et l'endroit où Taurgil était caché, tout en prenant son épée. Deux voleurs essayèrent de lui bloquer le passage à l'endroit le plus étroit entre le bâtiment et le piton rocheux. Il abattit sur l'un son épée de la droite vers la gauche, blessant gravement l'homme et le repoussant sur l'autre, qui fit un pas de côté et le laissa passer. Mais tout en courant, il entendait des pas juste derrière lui et deux autres voleurs, en face, venaient à sa rencontre. D'un coup rapide et sec de l'épée, il fit sauter la tête de l'un des deux voleurs si nettement qu'une gerbe de sang éclaboussa les protagonistes... et ralentit certains. Un autre homme subit le même destin, et les autres individus isolés ne se dressèrent plus sur son chemin, et il continua à courir.

Il vit Taurgil qui s'éloignait discrètement vers la droite, et choisit de son côté de filer à gauche, en direction de l'auberge, avec un groupe de voleurs sur ses talons qui vociféraient et appelaient des renforts et parlaient de cent pièces d'or. Prenant un petit peu d'avance, il passa devant l'auberge, qu'il contourna, jusqu'à un angle formé par le mur qui entourait la cour de l'auberge et la falaise contre laquelle ce même mur s'appuyait. Dans cet angle, impossible de l'attaquer autrement que de face. De son côté, Taurgil arrivait à présent dans le marché de produits frais au sud de la ville, d'où il suivait le déroulement de la poursuite de son ami par les voleurs. Malgré le bruit, les gens choisissaient d'ignorer la scène et se concentraient sur leurs affaires. Le salut ne viendrait pas de là, mais Geralt pensait bien savoir d'où il viendrait, si même il en avait besoin.

8 - Interrogatoire
Vif dormait dans sa cachette au pied de la falaise à une portée de flèche de là. Le bruit de la poursuite la réveilla immédiatement, et elle vit son ami aux cheveux blancs décapiter les deux premiers voleurs qui lui arrivaient dessus. Elle poussa alors un puissant rugissement et se mit à courir à son allure de gros félin enchanté, bien plus rapide que n'importe quel cheval. Les quatre voleurs qui s'apprêtaient à attaquer Geralt firent quelques pas en arrière, tandis que ceux derrière eux prirent leurs jambes à leur cou et filèrent. Mais pas assez vite : la lionne fit un bond gigantesque par-dessus les quatre voleurs terrorisés, et elle rugit de plus belle, faisant courir les autres encore plus vite, avant de revenir.

De son côté, le Dúnadan assista à un début de mouvement de panique parmi la foule du marché. Les gens hurlèrent, poussèrent et tentèrent de courir loin de la terrible lionne qui arrivait dans leur direction. Des étals furent renversés, des personnes tombèrent et commencèrent à être piétinées. Le Dúnadan s'arcbouta pour résister à la foule et de sa voix puissante il ordonna aux gens de ralentir et de se calmer, relevant les personnes à terre et s'assurant que les gens refluaient désormais sans céder à la panique. D'autant que la lionne avait fini son numéro et repartait dans l'autre sens, laissant ses amis avec les quatre voleurs malchanceux qui restaient. Mordin et Drilun, alertés par tout le bruit, étaient sortis de l'auberge et étaient en train d'arriver.

Geralt avait épargné et maîtrisé deux des voleurs qui furent bientôt mis à la question. Avec difficulté, car ils avaient subi de telles émotions qu'ils avaient du mal à prononcer un mot et leurs habits étaient souillés. Mais ce n'étaient que des exécutants. Le premier avait été prévenu par son lieutenant qu'une prime de cent pièces d'or avait été donnée par une personne pour surveiller une maison et abattre un rôdeur qui tournait autour. Mais lui-même n'avait jamais vu la personne qui avait approché les voleurs pour leur proposer ce contrat. Quant à son lieutenant, plus au courant que lui, il fit comprendre qu'avec la tête que Geralt lui avait fait sauter des épaules, il aurait du mal à apporter des éclaircissements.

Le second n'apporta rien de mieux. Lui non plus ne savait pas qui était venu voir les voleurs, et son chef devait être à la maison du clan, au nord de la ville. Il repartit plus tard, non sans que la lionne ait joué avec lui et lui ait fourni assez d'émotions pour se souvenir longtemps d'elle. L'échec était donc complet et général : les voleurs n'avaient rien gagné, et même perdu pas mal de membres. Les aventuriers n'avaient pas appris grand-chose et leur présence en ville risquait de poser des problèmes désormais. Et leurs ennemis avaient échoué à les tuer, tout en se dévoilant. Lorsqu'il avait évité la flèche qui lui était destinée, Geralt avait bien cru voir des signes étranges sur le projectile qui filait vers lui. Des runes magiques destinées à aider à frayer à la flèche un passage vers son cœur ? En tous cas, le passage entre château et maison était avéré, et les habitants du château savaient sans doute que leur entrée souterraine avait été repérée.
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Horselords - 12e partie : enlèvement

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1 - Plan d'action
Les débats furent nourris entre les aventuriers : que fallait-il faire ? Diverses idées furent avancées, mais il en est au moins une qui recueillit l'assentiment d'à peu près tout le monde : dans la mesure où Rob n'était pas encore transportable, il n'était pas possible de partir et de le laisser seul avec Isilmë, ils seraient trop exposés. Il fallait donc agir et trouver le meilleur moyen d'éliminer la menace présente dans le château au-dessus de la ville. Et il fallait agir vite, car plus le temps passait, plus les risques d'une action des habitants du château augmentaient. En fin de compte, une proposition de Drilun fut adoptée avec plus ou moins d'enthousiasme selon les individus.

Son idée était la suivante : quitter la ville, puis revenir déguisés avec dans un sac une tête tranchée grimée comme celle de Geralt. Le but était de faire passer les aventuriers déguisés en bandits ayant réglé son compte à l'assassin, de manière à pouvoir demander la prime de cent pièces d'or sur sa tête. La discussion qui s'ensuivrait avec le donneur d'ordre permettrait d'accéder à la maison qui menait au château via un passage souterrain, voire au château lui-même. Histoire d'embrouiller un peu les choses et d'avoir plus de poids dans la discussion, une bande de mercenaires serait embauchée. De préférence des gens de faible valeur que les aventuriers n'auraient aucun regret à sacrifier (et donc à ne pas payer) comme les Éventreurs de Partila.

Restait aussi à traiter le cas de la lionne magique. L'assassin aurait voulu que Vif se transformât en une forme demi-animale susceptible de faire partie des faux bandits, quitte à se retransformer en grand félin le moment venu. Ce à quoi l'intéressée lui répondit, et qu'il comprit grâce au tour d'oreille magique confectionné par Drilun, que cela lui demandait trop d'énergie et que les conditions de transformation ne seraient pas forcément bonnes. Bref, ce n'était pas dans ses capacités, il faudrait faire avec elle dans la forme où elle était présentement. Ce qui voulait dire l'amener en ville d'une manière ou d'une autre, cachée aux yeux de tous mais prête à intervenir. Dans une charrette, par exemple.

Justement, le marché aux provisions, au sud de la ville, avait été passablement perturbé, de nombreuses personnes ayant fui les lieux ou s'étant cachées à proximité lorsque la lionne avait fait son numéro avec les voleurs. Plusieurs charrettes restaient là, sans propriétaire, même si certains commençaient à revenir. Geralt se rendit sur les lieux, enjambant les provisions éparpillées par terre et contournant les étals renversés, jusqu'à trouver un petit véhicule qui lui convenait. Les quelques personnes présentes l'évitaient devant sa sinistre armure de peau de dragon encore couverte du sang de certains voleurs qu'il avait décapités. Il appela à la ronde un éventuel propriétaire, mais une autre personne lui répondit qu'il était parti. Il retourna alors à l'auberge chercher son cheval pour l'atteler au petit chariot.

Lorsqu'il revint, il s'aperçut que de nombreux marchands avaient pris leurs cliques et leurs claques et étaient au loin, et il ne retrouva pas la charrette sur laquelle il avait jeté son dévolu. Qu'à cela ne tienne, il en repéra une autre qui convenait, à laquelle son propriétaire n'avait pas eu le temps d'atteler sa monture, sans doute parce qu'elle avait fui plus loin que les autres et qu'il avait pris plus de temps pour la ramener. Geralt demanda alors à la personne un prix pour son chariot à deux roues. Intimidé, l'homme parla d'une pièce d'or, ce à quoi l'assassin répondit qu'il la prenait, et il lui lança deux pièces d'or. L'homme ne demanda pas son reste : après avoir empoché les pièces, il prit sa mule et monta dessus, avant de partir au galop. Ce qui fit sortir son épouse du coin où elle s'était cachée, épouse qui courut après son homme en lui criant de ne pas l'oublier...

2 - Déguisements
Geralt fit donc l'acquisition d'une charrette à deux roues contenant encore quelques denrées - pommes fripées et divers navets et autres tubercules dans divers paniers. Il y attela son cheval et quitta la ville vers le sud, non sans avoir pris ses affaires et avoir convenu de la suite à donner avec ses amis. Amis qui prirent leurs affaires et leurs chevaux et le suivirent de manière bien visible - et ils ne passèrent pas inaperçus. Sauf la lionne qu'était Vif, qui fit un détour pour quitter le secteur discrètement et rejoindre le reste du groupe. Geralt, Drilun, Mordin et Taurgil l'attendaient hors de vue de la ville, à moins d'un mile de Forpays, à l'abri des regards dans un petit bosquet.

Et là, la séance de maquillage put commencer. D'une part, l'assassin possédait une excellente trousse de maquillage ; il restait aussi au groupe divers vêtements qu'ils avaient achetés et qui n'avaient pas été utilisés par les ex-prisonniers nordiques qu'ils avaient libérés. D'autre part, ils possédaient divers équipements comme des tentes qui pouvaient servir pour la lionne qui resterait calfeutrée dans la charrette. Drilun utilisa aussi un sort pour masquer son odeur et éviter les problèmes avec d'éventuels canidés.

Les quatre amis sous forme humaine furent bientôt transformés en bandits à l'allure (voire l'odeur) repoussante, d'autant que certains s'étaient roulés dans la boue ou d'autres substances, notamment pour masquer leur matériel qui risquait de les faire reconnaître. Le Dúnadan avait de plus retiré son casque, sans lequel personne ne l'avait vu en ville. Ils décidèrent ensuite de ne pas revenir ensemble, ce qui pourrait éveiller des soupçons, mais de rejoindre la ville en deux groupes : Mordin et Geralt avec la charrette (et Vif cachée dedans), d'une part, et Taurgil et Drilun à cheval, de l'autre. Les premiers arriveraient d'abord et passeraient par l'ouest de la ville et se rendraient au quartier des mercenaires. C'est là que leurs amis les rejoindraient, après un passage par le centre-ville et le chemin principal.

Ainsi fut-il fait. Les préparatifs avaient pris du temps, et c'était déjà le milieu de l'après-midi. La charrette et les deux chevaux sans cavalier qui y étaient attachés s'approchèrent de Forpays. Mordin la dirigea vers la falaise ouest et les bidonvilles où résidaient les derniers réfugiés nordiques issus de la Peste, quelques années auparavant. Ces nordiques étaient issus de petites communautés brisées par la maladie et dont les membres avaient fui la pestilence. La maladie avait disparu, mais certaines communautés ne s'étaient pas reconstruites, et donc divers chariots étaient encore là, avec de nombreuses familles qui tâchaient de trouver des petits boulots pour s'assurer une maigre pitance...

La charrette se faufila de manière experte entre les chariots, Mordin montrant sa maîtrise acquise au cours des nombreux voyages organisés dans sa vie de marchand. Elle se rapprocha d'un premier quartier de maisons en dur, quand deux choses se produisirent. D'une part, la lionne au fond de la charrette commença à remuer voire à glisser son museau hors de la toile de tente qui la couvrait. D'autre part, alors que les gens s'écartaient pour laisser passer ces individus à l'apparence peu avenante (et leur véhicule), une espèce de vieux fou s'interposa en plein milieu du passage, l'air saoul ou en tout cas n'ayant plus tout à fait sa raison. L'air intimidant, Geralt descendit au sol pour le faire fuir, la main déjà sur l'épée, quand l'homme le regarda droit dans les yeux et lui dit :
Le fantôme du magicien – n'est-ce pas plutôt un assassin ?
Le même objectif il poursuit – au service du glaceur de vie
Orientaux, poisons, magie noire – tels un monolithe sans espoir
De l'aide vous pouvez chercher – dans un arbre où vous monterez
L'écureuil vous y trouverez – friand de noisettes à manger


3 - Hommes des Bois
Interloqué, le maître assassin regarda le vieillard s'éloigner en marmonnant des choses incompréhensibles, puis il fut rappelé à l'ordre par son compagnon nain : la charrette était en plein milieu de la voie principale du quartier et attirait l'attention. De plus, il se passait autre chose : Vif était en train de reprendre forme humaine ! En effet, elle avait été assez surprise d'entendre parler la langue des Hommes des Bois, le nahaiduk. Elle avait prudemment sorti le museau pour voir un peu les gens qui la parlaient, et elle avait reconnu des gens de même origine qu'elle, tant parmi les occupants des chariots de réfugiés les plus proches du quartier présent que parmi les gens de ce même quartier : c'étaient tous des Hommes des Bois comme elle.

Qu'est-ce qu'ils faisaient ici loin de chez eux ? En dehors de quelques-uns qui venaient du bidonville proche récemment créé suite à la Peste, ceux du quartier semblaient bien établis ici : les maisons en bois ne semblaient pas récentes et montraient des métiers tous liés au bois, le point fort de leur culture : bâtiment et construction, fabrication de meubles, d'arcs, de tonneaux, de jouets et d'objets divers en bois sculpté (dont de très belles boîtes), etc. Après avoir mis quelques habits, Vif descendit discrètement de la charrette pour aller enquêter et interroger les siens. Les plans étaient donc modifiés, sans parler des propos cryptiques du vieil homme qui méritaient qu'on s'y attarde.

L'aventurière accosta d'abord des enfants et adolescents dans leur langue. Elle apprit que les Hommes des Bois du quartier étaient bien là depuis de nombreuses années. Ils ne formaient pas un clan à part mais semblaient d'origines diverses. Elle en eut la confirmation en parlant à des adultes, présents depuis plus de vingt ans pour certains : quelques-uns, avides de nouveauté, avaient quitté les leurs et n'avaient osé revenir ensuite. D'autres avaient été exclus sans doute suite à des méfaits divers. D'autres encore avaient fui des orcs ou autres problèmes qui avaient détruit leur communauté. Ils avaient tous fini là, ayant trouvé par hasard ou entendu parler de cette communauté des leurs, et rêvant de lendemains meilleurs...

Une fois les premiers instants de méfiance passés, l'aventurière arriva même à entrer chez l'un des édiles de la communauté et à gagner sa confiance. La personne avait du plaisir à voir un des siens et à entendre des nouvelles du pays... Vif répondit donc aux questions, y compris la concernant : elle expliqua ce qui l'avait amenée sur les routes, à savoir la poursuite du loup-garou à la demande du magicien Radagast. Elle apprit aussi la condition difficile de ses congénères, en particulier suite à la Peste. Non seulement il leur avait fallu s'adapter par le passé à une ville d'hommes différents, loin des bois et forêts, mais la chute de l'activité économique suite à la grande épidémie avait réduit leurs ressources, en plus de leur moral. Difficile de gagner sa vie comme charpentier quand de nombreuses maisons restaient inoccupées suite aux morts de la Peste...

Suite à ces difficultés, les jeunes avaient quelquefois du mal à suivre les traditions, et ils étaient parfois séduits par d'autres voies. Ainsi, Rillit l'écureuil, l'un des chefs du clan des voleurs et Homme des Bois lui-même, venait régulièrement ici pour vanter les bienfaits de la vie de cambrioleur qu'il dépeignait comme un grand art. Il séduisait les jeunes avec son enthousiasme et les incitait à le rejoindre et à devenir ses élèves. Et ces derniers temps, désœuvrés, ils étaient plus nombreux à répondre à son appel. Ce qui donna une idée à la Femme des bois : n'était-elle pas de la même culture, adroite et agile ? Un moyen possible d'infiltrer le clan des voleurs...

4 - Mauvaise nouvelle
Geralt ayant dû changer ses plans, il commença par demander au nain d'amener la charrette au centre-ville afin de croiser Drilun et Taurgil qui avaient pris la route peu après eux. Ils les trouvèrent effectivement, et le maître-assassin continua à jouer les bandits en apostrophant sèchement le Dúnadan maquillé pour l'embaucher. Lequel Dúnadan ne montra guère de coopération, ce qui entraîna une petite escalade verbale de la part de son ami. Mais en fin de compte ils furent réunis et ils revinrent tous au quartier des Hommes des Bois.

Tandis que Vif faisait son enquête, Geralt chercha et finit par trouver un artisan charron. Il fit examiner les roues par l'homme, qui, méfiant devant cet apparent bandit, les examina. Il ne trouva rien à y redire, et prit un air étonné quand le maître-assassin lui demanda de fabriquer une roue de rechange. Ils discutèrent un peu de la qualité de la roue et du prix, avec l'aide de Mordin, et tombèrent d'accord pour une roue non cerclée de fer que l'artisan pensait pouvoir faire en une journée. L'homme se mit au travail en prenant les mesures à l'aide d'une espèce de règle de bois, et les aventuriers flânèrent autour du chariot immobilisé. L'archer-magicien finit même, plus tard, par acheter deux petites boîtes en bois, solides et jolies.

Lorsque la Femme des Bois leur rapporta ce qu'elle avait appris, ils décidèrent de réfléchir à cela à l'auberge du cheval en colère. L'idée d'embaucher des mercenaires sacrifiables et de demander la prime sur la tête de Geralt cédait la place à l'infiltration du clan des voleurs. En fait, cet "écureuil" cité dans les vers cryptiques du vieux fou - que les Hommes des Bois avaient désigné comme étant Ecuris, un vieux un peu fêlé qui se disait voyant - semblait une personne intéressante à aller voir. Peut-être aurait-il des informations intéressantes à donner ? Mais quelles étaient ces "noisettes" dont il était friand ? Vif, elle, décida de rester sur place pour partager un peu la vie des siens et ne pas paraître à côté des "bandits" que ses amis simulaient.

Lorsque les quatre aventuriers arrivèrent à l'auberge, l'aubergiste Burhgavia ne les reconnut pas, mais il parut gêné lorsque Geralt lui dit qui ils étaient. L'homme lui annonça qu'Isilmë souhaitait les voir, elle avait une mauvaise nouvelle à leur apprendre. Les quatre amis firent mine de prendre une chambre, et une fois en haut, ils se dirigèrent vers la suite royale où le hobbit et l'elfe étaient cachés. Cette dernière, après avoir reconnu ses compagnons - qui se présentèrent - les fit entrer dans la pièce sombre en raison des volets fermés. Mais Rob n'était présent dans aucune des pièces de la suite. Où était-il passé ?

L'air penaude, la guerrière elfe expliqua qu'un homme très convaincant était venu voir l'aubergiste pas très longtemps après leur départ. Il avait gagné la confiance de l'aubergiste en disant qu'il savait parfaitement qui était dans la chambre royale et qu'il avait un message important de la part des amis partis peu auparavant à lui donner oralement à elle, dans la salle commune alors occupée par un peu de monde. L'aubergiste était venue la voir et elle avait cédé à son injonction, et elle était descendue, les traits et autres attributs elfiques masqués par ses vêtements.

L'homme avait été très convaincant avec elle également, après quelques moments elle n'avait plus du tout douté de sa mission. Il avait dit que d'après ses amis, elle ne devait surtout pas bouger de l'auberge mais se méfier de tout et de tous. En fait, il l'avait si bien emberlificotée qu'elle n'avait pas vu le temps passer. Puis elle était remontée et n'avait absolument rien vu de changé... en dehors du fait que le hobbit n'était plus là. Elle n'avait pas revu l'homme qui n'avait rien de particulier en lui ou sur lui - à l'exception de son bagout - et elle n'avait pas vu non plus les aventuriers au cours d'une petite recherche éclair qu'elle avait faite en ville. Mal à l'aise, elle était alors revenue dans l'auberge en attendant ses compagnons et en ruminant sa honte...

5 - Le clan des voleurs
La première réaction de Taurgil, après un commentaire acide concernant Isilmë, fut... d'aller se laver ! Il en avait soupé de son déguisement, et par ailleurs le plan de Geralt devenait caduc. En effet, il avait été conçu avec l'objectif final de protéger le hobbit avant tout, et ce dernier étant entre d'autres mains... Bref, plus besoin d'aller s'attaquer au château dans l'immédiat, il fallait avant tout retrouver le hobbit. Et ce fameux Rillit l'écureuil semblait une destination évidente. Ses trois autres compagnons déguisés se nettoyèrent également, puis ils allèrent tous récupérer Vif au quartier des Hommes des Bois. Après quelques échanges, ils se dirigèrent vers le nord de la ville, vers les bâtiments du clan des voleurs.

La Femme des bois, que personne encore ne connaissait en ville sous sa forme humaine, choisit de les suivre à une certaine distance. Elle vit petit à petit un nombre croissant de personnes suivre ses amis, comme elle-même. Si certains étaient sans doute de simples curieux, la majorité d'entre eux étaient certainement des voleurs. Lorsque ses amis arrivèrent aux portes permettant de franchir un mur d'enceinte protégeant les bâtiments, l'espace dégagé était occupé par une cinquantaine de probables voleurs en arc de cercle autour des aventuriers, plus quelques curieux plus loin.

Après quelques échanges secs avec les gardes de la porte, l'un d'eux alla voir si ses chefs, et en particulier Rillit, étaient disposés à les recevoir. L'attente dura un moment, ce qui permit à Geralt d'observer les personnes qui les entouraient. Il constata que certaines dissimulaient mal voire pas du tout une espèce de haine ou rancœur à leur égard, et manifestement ils brûlaient de les attaquer. Il se dit qu'il s'agissait probablement de compagnons ou d'amis des voleurs dont il avait fait sauter la tête au matin, et c'étaient, de manière générale, des voleurs qu'il cataloguait dans les "gros bras". A Tharbad, cela correspondait le plus souvent aux assassins. Les autres, en revanche, étaient plutôt curieux et correspondaient plus, par rapport à son expérience, à des cambrioleurs ou des tire-laine. Vif pensa reconnaître quelques Hommes des Bois parmi ceux-là.

Le garde finit par revenir et il annonça que les maîtres du clan étaient disposés à les laisser entrer. Il ouvrit l'une des portes et dit qu'il allait les mener à une pièce où Rillit l'écureuil les recevrait. Entendant cela, la Femme des Bois s'approcha de ses compagnons, mais à la hauteur du demi-cercle de voleurs elle fut repoussée avec un commentaire peu obligeant - la gamine qu'elle était n'était pas concernée par ce qui se passait. Mais Taurgil refusa de rentrer et dit qu'elle était son amie, et qu'elle viendrait avec lui et le reste de ses compagnons. Vif finit par être autorisée à rejoindre le groupe, non sans quelques propos ironiques ou graveleux de la part des voleurs présents. Puis ils suivirent le garde à l'intérieur.

Les portes donnaient sur une cour intérieure entre le mur d'enceinte au sud et divers bâtiments au nord, à l'est et à l'ouest. Une petite rivière passait sous le bâtiment nord, à travers une grille, et séparait la cour en deux avant de passer sous le mur d'enceinte à travers une deuxième grille. Un petit pont la franchissait, qui fut pris par les aventuriers, avant d'entrer par de grandes portes dans le bâtiment ouest. La salle qu'ils traversèrent faisait environ dix mètres sur cinq et comportait des bancs et tables repoussés dans un coin. Puis ils entrèrent dans une nouvelle salle un peu plus petite où des tables individuelles, comme des tables de classe, étaient rangées d'un côté. Un tableau noir couvrait une partie d'un mur, et une table plus grande occupait le milieu de la pièce, avec quelques chaises disposées autour. Sur l'une d'elles, un homme barbu vêtu de cuir fin les attendait. Quelques hommes étaient disposés sur le pourtour de la pièce, qui comportait également un escalier dans un coin et une autre porte non loin derrière l'homme.

6 - Rillit l'écureuil
L'homme barbu qui les accueillit était Rillit l'écureuil, et il ressemblait bien à un Homme des Bois. Il se présenta comme étant le chef des cambrioleurs du clan des voleurs, et à l'entendre il était manifestement très fier de son métier. Il semblait en savoir déjà long sur l'équipe, et il avoua à plus d'une occasion dans la conversation que les aventuriers avaient fait un excellent thème d'apprentissage pour ses élèves. En effet, un cambrioleur doit d'abord étudier sa cible avant de passer à l'action, et le groupe avait été vite repéré et considéré comme digne d'intérêt. Pourtant, si Geralt avait l'œil et s'il avait repéré de nombreux voleurs qui leur portaient de l'attention en ville, il ne se souvenait pas avoir jamais vu le chef des cambrioleurs.

Ce dernier, pourtant, avait dû participer car il connaissait de trop nombreux détails, comme la présence de Rob et Isilmë dans la suite royale de l'auberge. Il semblait très sûr de lui, comme s'il maîtrisait tous les aspects de la situation... sauf un, ou plutôt deux : d'une part, s'il avait vite repéré la lionne magique, en particulier sur le toit de l'auberge, il n'en savait guère plus sur elle. De plus, la rouquine qu'était Vif, face à elle, était un nouvel élément : personne ne l'avait averti de son arrivée, et s'il découvrait avec plaisir quelqu'un de sa culture - qui l'avait interpelé dans sa langue en arrivant - il ne savait pas d'où elle venait ni ce qu'elle faisait avec la bande d'aventuriers. Et il n'en sut pas plus de la part de Vif ou ses amis, ce qui sembla stimuler sa curiosité et ses réflexions...

L'homme déclara qu'en fait ils étaient attendus (sauf Vif) de manière à régler un petit différent avant qu'il n'escalade en quelque chose de plus grave et inutile pour tous, faisant référence aux voleurs qui étaient morts le matin même. Geralt l'interpela sur les attaques dont il s'était juste défendu, et Rillit déclara qu'il n'en était nullement la cause, mais celle d'un de ses collègues, un certain Hrothgar, chef de la section des "agresseurs" du clan. De la manière dont il en parla, les aventuriers comprirent que c'était un individu caricatural très bien dépeint par son activité : du muscle et peu de cerveau. S'il avait ses qualités et utilité pour le clan - et une notable proportion de voleurs sous ses ordres - il avait réagi un peu vite à la proposition qui leur avait été faite par un probable membre du château. Restait qu'il y avait eu des morts, et que les voleurs demandaient réparation.

Taurgil mit les pieds dans le plat en demandant ce qu'il avait fait de Rob et s'il était encore vivant, et en disant ensuite que leur petite bande de voleurs risquaient de le regretter si ce n'était pas le cas. Ce à quoi l'Homme des Bois répondit qu'effectivement Rob était bien leur invité. Il vanta d'ailleurs la réalisation de son enlèvement, drogué, avec l'aide d'un collègue qui avait occupé Isilmë pendant ce temps. Il avait même songé à cacher le hobbit dans une autre chambre de l'auberge, mais il avait trouvé que le sortir du bâtiment sans laisser de traces et sans aggraver son état avait représenté un défi bien plus tentant... et qu'il avait relevé avec succès. Il tempéra aussi l'ardeur du Dúnadan : il ne connaissait pas tout ce dont les voleurs étaient capables, alors qu'il avait pu bien mieux avoir une idée de ce que les aventuriers pouvaient faire. Par ailleurs, il ne tenait pas à une confrontation, qui serait mauvaise pour tous. Il dit que voleurs et aventuriers avaient peut-être assez en commun, comme un ennemi proche, pour pouvoir arriver à un accord et travailler ensemble sur un même projet.

Méfiant, les aventuriers demandèrent des preuves de ce qu'il avançait, et en particulier de la bonne santé de leur petit ami. Mais leur interlocuteur répondit qu'il ne pouvait malheureusement pas leur fournir une telle preuve pour l'heure. Néanmoins, il leur garantit qu'il était bien soigné - lui-même s'en occupait, dit-il suite à une question qui lui fut posée - et qu'il n'avait rien à craindre pour le moment. En fait, il était juste une monnaie d'échange, un levier destiné à régler un problème de manière pacifique. Rillit expliqua que son collègue Hrothgar aurait préféré - et désirait encore - une guerre totale contre les aventuriers, mais que heureusement, il était minoritaire chez les chefs des voleurs. Enfin, à titre personnel, lui-même savait beaucoup de choses sur les gens du château, choses qu'il serait prêt à partager si un accord était conclu. Partage qui serait gratuit, et qui devrait profiter à tous.

7 - Accord et partage
Restait donc à conclure cet accord. Autrement dit, que réclamait la guilde des voleurs pour régler la "dette" des aventuriers et pouvoir récupérer leur ami ? Rillit dit qu'avec le chef du clan, ils avaient convenu d'une somme de cent pièces d'or... par personne, soit six cents pièces d'or en tout. Naturellement, si l'on incluait la Femme des Bois, cela faisait maintenant sept cents. Ce qui entraîna de hauts cris chez certains comme Mordin, d'autant qu'ils n'avaient toujours aucune preuve de la présence vivante de Rob. Là encore, Taurgil menaça de régler les affaires par les armes, là encore, le chef des cambrioleurs laissa entendre que personne n'y gagnerait grand-chose, et Rob y laisserait sa vie à coup sûr.

Une proposition fut émise, bien que vite abandonnée : de laisser les voleurs se payer avec les biens pris au château, une fois que celui-ci aurait été investi. Elle fut abandonnée car certains aventuriers ne voulaient pas pouvoir y perdre au final, et donc souhaitaient limiter le "gain" des voleurs aux centaines de pièces d'or demandées. Ce qui fut refusé par Rillit : il aurait peut-être pu faire changer d'avis leur chef avec un espoir de gain supérieur. Mais si cela ne pouvait être qu'inférieur ou égal, ce n'était pas intéressant : mieux vaut tenir que courir... La discussion en resta aux pièces d'or à donner de suite : une partie immédiatement, et le reste après le château, lorsque Rob serait remis en leur possession ? L'Homme des Bois dit qu'il allait en parler à ses collègues qui attendaient non loin, et il s'éclipsa par la porte derrière lui en conseillant de profiter des boissons présentes auxquelles personne n'avait touché. Il avait bu un verre pour montrer que ce n'était pas empoisonné, mais certains ne lui faisaient toujours pas confiance...

Vif et Geralt en particulier, mais d'autres également, entendirent vite derrière la porte un débat enfiévré, où un individu à la voix forte, en particulier, ne semblait pas d'accord avec les autres. Manifestement, le chef des "agresseurs" du clan ne voulait toujours rien faire payer et encore moins laisser partir les aventuriers pour moins que prévu. Il se mit à hurler assez fort pour que tous puissent entendre tout le mal qu'il pensait des aventuriers. Ce qui mit Mordin dans une fureur noire, et il hurla à son tour que lui non plus ne voulait rien payer et qu'il aurait plaisir à régler les choses à la manière du voleur, et le plus tôt possible tant qu'à faire ! Ses amis lui firent remarquer que la vie de Rob était en jeu, et il se força à se calmer, tandis que de l'autre côté de la porte, Hrothgar fut vertement rappelé à l'ordre et finit par se taire.

Enfin, Rillit finit par revenir à la table. Non sans un regard et une petite remarque à l'attention du nain qui ne l'avait guère aidé, il dit que leur chef était d'accord pour garder Rob et laisser partir tous les autres contre cinq cents pièces d'or. Le reste serait récupéré après en échange du hobbit. Les aventuriers acquiescèrent, d'autant qu'ils avaient convenu qu'une partie de l'or contiendrait des pièces marquées magiquement par Drilun, et qu'il saurait retrouver le butin. D'une certaine manière, ce n'était qu'un prêt, qu'ils espéraient bien récupérer ensuite ! Geralt et Mordin, qui portaient pratiquement tout l'or de l'équipe, se débrouillèrent pour faire un tas sur la table, qui fut recompté par un des voleurs présent dans la salle, et emporté. Puis les choses sérieuses commencèrent.

Plus tôt dans la conversation, Rillit avait déjà dit pourquoi il gardait une dent vis-à-vis des gens du château. Lui se moquait de politique, tout ce qu'il voulait c'était qu'on leur laisse le soin d'exercer leur art, à ses élèves et lui. Déjà, le fait d'être en partie surveillé voire manipulé par les gens d'en haut n'était pas une pensée agréable. Mais surtout, deux de ses élèves un peu trop enthousiastes avaient décidé de s'inviter au château. Aucun des deux n'avait jamais été revu, et leur mort était admise par tous. Cela avait servi de leçon pour les autres, mais cela n'avait pas été oublié par leur mentor. Les voleurs avaient déjà remarqué des allées et venues suspectes entre la maison au pied du piton rocheux et le marché aux esclaves, lors du transfert de prisonniers nordiques. Rillit avait investi la maison, il avait trouvé un passage secret dans la cave, qui menait à un escalier qui sans nul doute menait au château. Mais il n'était pas monté. Par contre, il avait escaladé le piton rocheux, une nuit, et avait surveillé le château et ses environs depuis les broussailles, pendant deux jours, avant de redescendre. Et il avait fait surveiller les gens du château ou leurs serviteurs qui vivaient dans la maison près du piton.

L'homme partagea ses informations sur ce qu'il avait vu là-haut, et qui recoupaient bien les observations de Vif elle-même, en particulier concernant la "poule géante" cachée dans la grange. Entre autres choses, il avait remarqué peut-être entre vingt et trente orientaux, et au plus une demi-douzaine d'autres hommes : pour moitié des guerriers légers - des archers ou rôdeurs - et pour moitié d'autres hommes qui faisaient penser à des érudits ou des chefs : sûrs d'eux, hautains, effrayants même. L'un d'eux allait parfois chez le relieur de la ville, et c'était lui qui était venu proposer le contrat sur la tête de Geralt. Également, l'un d'eux, dans l'après-midi, avait été vu dans le quartier des mercenaires. Rillit lui-même avait participé et il avait entendu ce qui s'était dit entre l'homme et certains groupes de mercenaires comme les Éventreurs de Partila : les aventuriers devaient être mis sous surveillance, voire plus, et si jamais ils venaient les voir pour une quelconque mission, les gens du château paieraient toujours plus et devaient être mis au courant...

8 - Maison à prendre
A partir de toutes ces informations, restait à établir un plan d'action... et un calendrier. Rillit avait partagé ses informations avec les aventuriers, et il pourrait éventuellement en faire plus mais de manière passive : ses élèves et lui pouvaient assurer une surveillance de lieux ou personnes, donner des informations, relayer des messages, mais pas s'attaquer au château lui-même ou à ses habitants. Après discussion, comme l'équipe souhaitait investir le château par le passage secret, le chef des cambrioleurs indiqua qu'il pouvait grandement faciliter les choses : il utilisait diverses drogues et plantes utiles comme le marchand de sable. Ses connaissances lui avaient d'ailleurs permis de repérer un laboratoire vers le haut du donjon du château, d'où venaient sans doute les poisons pour ses habitants. Il se faisait fort de pénétrer dans la maison et d'endormir ses occupants à l'aide du marchand de sable qu'il mettrait dans la nourriture...

Ce qui fut accepté. Plus le temps passerait, plus les dangers de voir les maîtres du château réagir seraient grands. Rillit pouvait mettre en route ce plan le soir même, le temps de rassembler ses troupes et de donner des ordres. Il suffisait de quelques heures... En parallèle, il lui fut demandé s'il était possible de faire courir le bruit auprès des mercenaires que l'équipe avait été vue en haut de la falaise, non loin de l'entrée du château. L'Homme des Bois n'en était pas vraiment capable, mais son collègue qui avait embobiné Isilmë, Mard, saurait certainement y faire... contre rétribution. Il alla discuter le bout de gras avec lui, à travers la porte, suivi par Mordin qui marchanda pour faire baisser le prix. Il avait comme interlocuteur un homme à la langue aussi bien pendue que la sienne, mais de toute manière le prix n'était pas très élevé - une pièce d'or - et la discussion ne prit pas longtemps.

Entre-temps les aventuriers souhaitaient pouvoir se reposer loin des regards, en particulier ceux des mercenaires. Rillit proposa alors de les héberger dans une maison abandonnée après les y avoir fait conduire, par deux ou individuellement, par ses hommes. Vêtus de manteaux et capuchons, entourés de voleurs, ils ne devraient pas trop attirer l'attention, surtout en passant par des chemins détournés. Vif et Taurgil, néanmoins, dirent qu'ils devaient quitter la ville un moment et qu'ils reviendraient le moment venu, en bas du piton qui abritait le château, non loin de la maison. Quelques détails pratiques furent encore réglés, puis tout le monde quitta la salle pour aller vaquer à ses besoins.

Tandis que leurs amis arrivaient sans mal à la maison abandonnée où ils prenaient un peu de repos, la Femme des Bois et le Dúnadan s'isolèrent dans un endroit discret en dehors de la ville, là où les conditions étaient les meilleures pour Vif pour se transformer en lionne. Ce qu'elle arriva à faire sans mal, mais non sans une grosse dépense d'énergie et de volonté. Elle s'installa alors pour se reposer et profita d'un sommeil magique de son compagnon afin de mieux récupérer, sommeil magique que Taurgil se fit ensuite sur lui-même. La nuit était en train de tomber, mais elle risquait d'être longue et il leur faudrait le plus de forces possible.

Le reste du groupe, après quelques heures de repos, se rendit au lieu de rendez-vous, près de la maison au passage secret. Les quatre amis eurent la surprise de voir Rillit comme émerger d'une ombre près de là où ils se tenaient, sans l'avoir perçu auparavant. C'était bien la première fois que Geralt rencontrait un voleur de cette pointure, capable de le surprendre ainsi. Manquaient encore Taurgil et Vif, qui se firent attendre un peu avant d'arriver. Le Dúnadan fut repéré en train de se faufiler discrètement vers eux, mais la venue de Vif fut moins discrète : elle était passée par les toits, mais l'un d'eux ne supporta pas l'arrivée brutale de ses cent cinquante kilos et quelques chevrons cassèrent bruyamment. Malgré le remue-ménage que cela provoqua, elle arriva à terminer sa course sans se faire voir, mais les habitants du quartier levèrent encore longtemps les yeux vers les toits en mémoire de l'ombre qu'ils avaient brièvement aperçue...

Après quelques remarques ou questions au sujet de la Femme des Bois et du félin, Rillit annonça que tout le travail avait été fait, et il les invita à le suivre... en ouvrant la porte. Une bonne dizaine de personnes dormaient à l'intérieur, et suivant une suggestion des aventuriers, le chef des cambrioleurs eut l'idée de maquiller cela en beuverie. Une partie des corps furent emmenés à une taverne proche et bien arrosés, et les autres subirent le même sort sur place. Ils resteraient endormis sans doute encore au moins deux ou trois heures. Puis l'homme les mena à la cave où il leur dévoila le passage secret et le mécanisme pour entrer et sortir. Il leur demanda d'être discrets, en raison d'une (au moins) sentinelle en haut des marches. Ils avancèrent dans l'obscurité, jusqu'au pied de l'escalier qui menait au château. Là, Rillit leur souhaita bonne chance, en leur disant qu'il les retrouverait peut-être en haut, où il allait monter (par l'extérieur) pour observer ce qui allait se passer...

9 - Escalier à prendre
L'escalier était constitué de séries de marches droites qui se joignaient à angle droit sur des seuils. Il était dans l'obscurité la plus totale, et si une lumière pouvait servir au début, il faudrait bien l'éteindre au bout d'un moment, lorsque la sentinelle serait proche. De plus, il fallait faire particulièrement attention au bruit, car le passage amplifiait les sons. Au bout d'un moment, il fut décidé d'envoyer la lionne en éclaireur : non seulement elle voyait le mieux dans le noir, mais ses sens du toucher étaient si développés qu'elle pouvait sans mal avancer en aveugle. Quant à repérer un éventuel piège, c'était une autre histoire... mais elle avait tout de même un gros avantage sur les autres. Elle partit donc en avant, et arriva sans mal près du seuil où une sentinelle, quelqu'un vêtu et équipé comme ceux de la maison plus bas, faisait les cent pas tout en restant moyennement attentif, éclairé par une torche. Il avait un cor sur le côté, attaché à une lanière, et un arc à la main.

L'escalier était raide et ne permettait pas de tout voir, et une volée de marches représentait une dizaine de mètres à parcourir. L'homme était donc difficile à surprendre, et la lionne redescendit jusqu'à ses amis pour leur exposer - discrètement - la situation. Geralt vint alors avec elle, et Taurgil plus loin, mais les autres firent trop de bruit en essayant d'avancer dans le noir et décidèrent finalement de rester où ils étaient. Arrivés près de la sentinelle, Vif vit que cette dernière avait dû percevoir quelque chose car elle écoutait intensément, accroupie, comme si elle s'apprêtait à envoyer quelque chose qu'elle tenait dans l'escalier. Il fallut attendre un bon moment qu'elle se décrispe un peu, temps que l'assassin et la lionne occupèrent à se mettre d'accord par gestes.

Comme la plupart des membres du groupe, tous deux avaient pris de la noix de l'écureuil, qui augmentait considérablement leur adresse et leur rapidité. Geralt avait préparé son arc, encoché une flèche, et dès que la lionne fut partie il visa la tête de l'homme et décocha sa flèche. La sentinelle eut à peine le temps d'ouvrir la bouche quand elle vit le félin lui arriver dessus, mais la flèche fut plus rapide et elle lui transperça l'œil et le cerveau, et l'homme chuta sans bruit. D'autant que Vif l'avait attrapé pour éviter qu'il ne casse la réserve d'huile de lanterne qui gisait à terre non loin du bord de l'escalier. Elle était arrivée droit dessus mais l'avait prestement évitée et avait accompagné la chute de la sentinelle pour qu'elle tombât à côté sans faire aucun bruit... Et tous furent bientôt là.

L'homme ne portait rien d'intéressant sur lui, même si son carquois comportait quelques flèches dont la pointe était enveloppée de tissu imbibé d'huile facile à enflammer à l'aide de la torche allumée. Une réserve de torches gisait d'ailleurs non loin. Restait à poursuivre, ce qui ne serait peut-être pas si simple : la dernière volée de marches arrivait directement dans le plafond, et Vif pouvait entendre - même très étouffés - les voix ou les pas de deux personnes non loin d'eux. Un sort du Dunéen lui apprit, en écoutant les sons portés par la pierre au-dessus d'eux, qu'en plus de deux personnes à quelques mètres de l'ouverture du passage, il pouvait sentir une douzaine d'autres personnes non loin, probablement dans une autre pièce, en train de s'entraîner au combat ou en tout cas actifs physiquement.

Le mécanisme fut facile à trouver : il fallait déverrouiller la plaque de pierre au-dessus d'eux à l'aide d'un levier, et tirer sur la poignée qui permettait de faire glisser la lourde plaque sur des rails de chaque côté du passage. L'organisation suivante fut adoptée : Geralt actionnerait le levier et se tiendrait prêt à bondir dans la pièce pour tuer les sentinelles, aidé en cela par les arcs de Drilun et Isilmë un peu plus bas. Les trois autres se tiendraient plus bas : une corde avait été attachée à la poignée et enroulée aux épaules de la lionne qui tirerait le plus vite possible la plaque de pierre, aidée par Taurgil et Mordin. Et ainsi fut-il fait. Le plafond de pierre glissa d'un coup rapide, et l'assassin... sentit un tapis lui tomber dessus, tandis que des voix s'élevaient dans une langue qu'il ne connaissait pas.

10 - Château à prendre
En fait, le tapis qui recouvrait l'espace correspondant à la trappe tenait aussi par les côtés, et donc il n'était pas complètement tombé sur Geralt mais il pendait un peu sur lui. Il ne mit que quelques secondes pour le réduire en morceaux à l'aide de son épée, mais ce fut suffisant pour que les gardes donnent l'alerte tandis qu'il bondissait dans la pièce, un riche salon couvert de tentures et tapis. Les sentinelles - deux orientaux - étaient trop loin de l'ouverture pour que les archers les voient et puissent leur tirer dessus. Geralt bondit sur l'un d'eux qui reculait et lui fit sauter la tête des épaules, tandis que l'autre courait vers une double porte. Mais pas assez vite. Les archers virent la lionne bondir par-dessus eux et se précipiter dans la pièce, et bientôt une tête vola contre un mur.

Néanmoins, le mal était fait, et les bruits et cris qui s'élevèrent indiquèrent que les gens du château étaient prévenus de leur arrivée. Ils tardaient néanmoins à venir à eux, même si manifestement certains s'étaient déplacés. En dehors des portes qui faisaient face au passage secret, un escalier à gauche permettait de monter à l'étage. Comme rien ne se passait, une des deux portes fut ouverte avec précaution. Elle donnait sur un hall qui comportait une porte simple sur la droite et une double porte sur le mur d'en face, un peu vers la droite. Les battants étaient en partie ouverts et laissèrent voir des orientaux armés qui refermèrent la porte en hurlant.

L'équipe décida, faute de combat immédiat, d'explorer les étages, et elle barricada la porte. Après une fouille rapide du salon qui n'apporta rien, tous montèrent. L'étage suivant était occupé par deux pièces et un autre escalier vers l'étage supérieur. L'une des pièces comportait une chambre pour trois personnes érudites dont l'un ne devait pas être loin puisque son bureau montrait des signes d'activité très récente. L'autre pièce était une bibliothèque qui enchanta Drilun mais aussi d'autres aventuriers à la recherche de savoir intéressant ou rémunérateur... Il y avait bien quelques ouvrages sur la magie, sur des herbes aussi (poisons surtout), mais l'essentiel était occupé par des descriptions des villes et autres lieux du Rhovanion voire au-delà et des gens qui y habitaient. Dans le meuble de bureau récemment utilisé, des rapports en noirparler furent trouvés et pris ; quelques ouvrages de la bibliothèque également. Puis l'équipe gagna l'étage suivant.

En plus d'un autre escalier menant à un quatrième niveau, l'essentiel du lieu était consacré aux plantes : plusieurs d'entre elles séchaient çà et là, de multiples flacons trônaient sur des étagères, et une table au centre de la pièce hébergeait tout le matériel d'apothicaire nécessaire à la préparation de remèdes et poisons. En fait, quelqu'un avait dû s'interrompre en plein travail, car des plantes étaient encore en train de cuire dans un petit récipient. D'ailleurs, des volets et une fenêtre étaient ouverts et donnaient sur les toits de bâtiments adjacents, et il était probable que quelqu'un était passé par là peu de temps auparavant. Après un moment à fouiner et observer les environs aux fenêtres, le groupe monta au dernier étage.

Il était occupé par une grande chambre qui servait à quelqu'un qui ne l'avait pas utilisée depuis plusieurs jours au moins. En revanche, un coffre attira tout de suite l'attention de Geralt et de Mordin. Mais sa serrure comportait une substance dont l'assassin se méfia tout de suite. Après un sort de l'archer-magicien pour déverrouiller la serrure, le coffre fut ouvert à l'aide de tissu pris sur le lit. Au grand bonheur du nain, qui récupéra quelques centaines de pièces d'or, en fait à peu près ce qui avait été remis aux voleurs. Mais, tandis que certains pillaient les lieux, une autre scène se passait aux fenêtres, et la fameuse "poule géante" de Vif se montra dans toute sa splendeur.

En effet, par la fenêtre du mur nord, juste devant l'escalier, certains avaient pu voir la grange déjà aperçue par la lionne, et un homme qui en ouvrait les battants. Tandis que l'homme semblait proférer une espèce d'incantation, Isilmë utilisa des flèches incendiaires pour commencer à mettre le feu à ladite grange, quand une sinistre créature en passa les portes. Elle avait un peu le bec d'une poule, mais elle était bien plus grande qu'un cheval et elle était toute de cuir et sans plume. Un croisement entre une poule et un dragon, en somme... Drilun arriva à la blesser d'une première flèche mais elle put s'envoler avec un cri, et sa deuxième flèche rebondit sur son cuir, tandis qu'elle s'envolait dans la nuit et que l'homme de la grange courait se réfugier dans les bâtiments du château, non loin de chevaux dont on entendait les hennissements de terreur...

Le groupe redescendit et commença à explorer les autres pièces du rez-de-chaussée, du moins les plus éloignées de là où ils entendaient des cris et autres bruits des orientaux. Ils passèrent par une petite antichambre, une pièce carrefour, la riche entrée du château qui donnait sur l'extérieur, et la cuisine. Toutes étaient désertées, même si la cuisine montrait des signes récents d'activité. Manifestement, on les attendait ailleurs. Fallait-il aller au combat, et régler les problèmes une bonne fois pour toutes, ou redescendre tranquillement par là d'où ils étaient venus ? Dans le premier cas, les gens du château étaient chez eux et prêts à les accueillir, dans le second, ils resteraient une menace qui pouvait débarquer à tout instant...
Modifié en dernier par Niemal le 19 février 2021, 09:37, modifié 5 fois.
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Niemal
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Horselords - 13e partie : le vainqueur remporte tout

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1 - De porte en porte
Le choix fut vite fait : l'opération de "nettoyage" devait aller jusqu'au bout. D'autant que certains entendaient les cris de douleur d'une personne, au loin, à travers les portes. Les plus perceptifs pouvaient même dire qu'il s'agissait d'une femme, et probablement une nordique. Cris brefs et intenses, comme une personne que l'on commence à peine à torturer ; mais cris espacés, comme quelqu'un que l'on ménage, comme un plaisir que l'on fait durer. Ou peut-être s'agissait-il juste de donner du cœur aux aventuriers et de les motiver à venir. En ce cas, ce fut une réussite. Restait juste à voir par où et comment arriver.

Deux doubles portes semblaient barricadées, qui devaient donner dans la même pièce. Geralt emprunta la corde magique du serpent à son ami Dúnadan : en prononçant le mot magique "lýg" - il lui fallut plus d'un essai - il devint en quelque sorte un serpent dont le corps de Geralt tenait la queue, tandis qu'il pouvait diriger la tête et voir à travers ses yeux. Il n'y avait pas assez d'espace pour passer sous les portes, mais en revanche il y en avait assez pour voir un peu au ras du sol ce qui pouvait les attendre. Personne ne semblait présent dans la pièce où ils comptaient entrer, mais des tables et des bancs dont les pieds proches indiquaient qu'ils bloquaient le passage. En effet, toutes les portes s'ouvraient du côté du probable réfectoire où ils souhaitaient pénétrer.

Mordin prit sa hache et l'enfonça dans un panneau, faisant une ouverture suffisante pour voir la vaste pièce de l'autre côté, même si elle était dans l'obscurité. Mais la lionne qu'était Vif utilisa une autre méthode : elle planta profondément ses griffes dans le bois d'un autre battant, s'arcbouta, tira... et finit par arracher la porte de ses gonds. Il fut ensuite facile de déblayer le passage et de rentrer. A gauche, d'autres doubles portes barricadées furent dégagées, qui donnaient dans le hall qui séparait le réfectoire du salon par où ils étaient arrivés, via le passage secret. En face, une autre paire de portes laissait filtrer de la lumière et des cris de douleur. A droite, au fond du réfectoire, une simple porte ne montrait aucun signe de vie, si ce n'est quelques hennissements de chevaux proches.

La porte du fond fut ouverte sans problème. Elle donnait sur quelques marches qui descendaient dans une cour ou plutôt un jardin fermé par des murs de pierre, avec dans un coin une grange avec un départ d'incendie et une petite écurie attenante d'où montaient quelques hennissements de chevaux apeurés. Une vingtaine de chevaux se tenaient loin de la grange, sur la gauche en ouvrant la porte. Mais ce ne semblait pas être l'incendie qui les inquiétait, contrairement à ceux qui étaient dans l'écurie. Malgré la nuit, mais grâce à sa vue perçante et au trèfle de lune qu'il avait mis dans ses yeux, Taurgil vit passer, très haut dans le ciel couvert, comme une grande silhouette faisant penser à un croisement entre dragon et chauve-souris. La créature qu'ils avaient vu s'envoler était encore là, à tourner au-dessus d'eux...

Du coup, une précédente proposition de passer par les toits pour aller combattre les Sagaths fut abandonnée. Geralt en particulier ne tenait pas à se faire attaquer au mauvais moment par ce monstre dont il redoutait la puissance. Il faudrait donc passer par la porte. L'incendie de la grange serait vite éteint par un sort de l'archer-magicien dunéen, un peu plus tard, mais avant cela, l'équipe se prépara à combattre. La corde-serpent fut à nouveau utilisée, ainsi qu'un sort d'écoute de Drilun. Tous deux confirmèrent que leurs ennemis étaient bien là, dans une grande pièce occupée en son centre par un pilier noir, entre autres choses. La serrure fut magiquement déverrouillée, et l'assassin s'apprêta à ouvrir un battant pour jeter un rapide coup d'œil de l'autre côté, contre l'avis de ses amis.

2 - Contacts à distance
Le battant fut donc tiré un bref instant, le temps pour Geralt de jeter un œil (et même les deux) par l'entrebâillement, afin d'observer l'autre côté. Ce temps fut bref mais suffisant pour qu'une flèche soit tirée dans sa direction et se fiche dans la porte, à une distance d'une main de sa tête. Bref, mais suffisant pour qu'il voie la pièce dans son ensemble avec ses principaux occupants, ses meubles et son aménagement. Il referma la porte et se tourna vers ses compagnons. Les ennemis étaient bien là, dans une grande pièce large et profonde, éloignés de la porte par où ils devaient passer. Mais il avait aussi vu un élément bien plus inquiétant.

Le centre de la pièce était occupé par un épais pilier qui lui avait fait penser, sur l'instant, à une espèce de pierre irrégulière, comme un monolithe noir. Et surtout, il avait vu de nombreuses runes bien visibles taillées dans cette pierre, et l'ensemble avait engendré en lui une brève peur panique. Il avait vite maîtrisé ce sentiment, même si son cœur battait encore la chamade, mais il ne pouvait s'empêcher de penser à une puissante magie noire. La présence visible de ce monolithe noir couvert de runes incitait à penser à la mort, la souffrance et la destruction, et était source d'inconfort voire de terreur pour ceux qui refusaient ces pensées.

La magie ténébreuse qui émanait du pilier n'inquiétait pas trop les aventuriers aguerris et qui avaient tâté plus d'une fois de sorcellerie. D'autant qu'ils portaient pour une bonne part des amulettes confectionnées par Drilun pour renforcer leur résistance et leur volonté face à cette magie noire. En revanche, ce noir pouvoir avait peut-être des effets positifs sur ses habituels occupants. Cela expliquait peut-être pourquoi ils s'étaient réfugiés ici. Mais le coup d'œil avait été trop rapide, il fallait essayer d'en savoir plus, quitte à prendre un peu plus de risques. Ce que les deux membres les plus résistants du groupe étaient tout à fait disposés à faire.

Taurgil se prépara donc à ouvrir à nouveau un battant, de manière plus large et plus longue. Il le ferait abrité derrière son bouclier, afin de mieux observer la salle tout en se protégeant des flèches qui ne tarderaient pas à arriver. Pendant ce temps, au ras du sol, la lionne glisserait sa tête pour essayer de tout distinguer du lieu, et notamment tout ce qui se trouvait dans les angles morts de chaque côté de la porte. Isilmë et Drilun en profitèrent pour se mettre un peu derrière le grand et costaud Dúnadan, une flèche encochée sur leur arc bandé, prêts à tirer sur la première cible à se présenter. Et la porte fut ouverte.

L'archer-magicien, fébrile et impatient, fut le premier à décocher une flèche après un bref coup d'œil. Il avait repéré plusieurs archers dans un coin de la pièce, près de l'ouverture sur un espace circulaire rempli d'instruments de torture et où il put distinguer un escalier en colimaçon qui montait vers un étage. L'un de ces archers passa de vie à trépas, tandis qu'un autre était mortellement blessé par l'elfe et tomba inconscient. Taurgil reçut deux flèches dans son bouclier, sans aucune autre conséquence. En revanche, Vif eut le temps de voir sur sa droite un escalier en L dans le coin de la pièce, avec un archer qui ressemblait fort aux rôdeurs noirs de Dol Guldur.

L'homme attendait que quelque chose passe l'entrée et il décocha la flèche sur elle, une flèche couverte de runes comme celles qu'ils avaient déjà vues. La lionne n'eut pas le temps de retirer la tête et elle écopa d'une belle estafilade, heureusement sans gravité. Mais alors que la porte était refermée, la blessure se mit à brûler, comme si un poison pénétrait en elle par la plaie. Elle réclama de l'aide à grands cris félins, cris que Geralt pouvait comprendre grâce au tour d'oreille magique confectionné par son ami dunéen, et qu'il avait déjà activé. Tandis que Taurgil utilisait sa magie des soins pour essayer d'affaiblir ou d'éliminer le poison, le maître-assassin sortait un contrepoison de son sac et en enduisait la blessure de son amie. Petit à petit, elle sentit la douleur refluer, pour ne plus laisser que celle d'une blessure bénigne.

3 - Entrée en force
Le bilan fut fait et un plan d'action fut arrêté : les deux battants de la double porte seraient ouverts pour laisser passer Geralt et Vif. Le premier, appuyé par les flèches des archers, irait s'attaquer aux guerriers du fond de la salle, tandis que la lionne se réservait le rôdeur noir dans l'escalier. Taurgil et Mordin suivraient ensuite et iraient sus aux orientaux. Tous étaient bien protégés par leurs armures, et stimulés par de la bonneherbe qui leur conférait optimisme et maîtrise de soi. Et plusieurs avaient pris des noix de l'écureuil, qui accroissaient leur rapidité et leur adresse. Geralt, armé d'une épée magique légère et rapide, pouvait porter trois attaques dans le même temps qu'une personne normale en faisait une seule...

Les portes furent ouvertes brusquement et l'assassin s'élança à toute allure, surprenant tout le monde. Y compris les orientaux qui s'étaient déplacés de chaque côté de la porte, et qui ne purent tenter de lui porter un coup. Six guerriers avaient en effet changé de position : quatre avec des lances, deux avec des arcs. Par ailleurs, dans le reste de la pièce, des tables avaient été renversées pour permettre aux orientaux de se protéger des flèches. Sauf quelques archers qui eux avaient un peu reculé dans les espaces circulaires du fond de la pièce, prenant abri derrière l'angle d'un mur.

Lorsque la porte avait été précédemment ouverte, deux rôdeurs noirs avaient été repérés avec un arc à la main : en plus de celui dans l'escalier, que Vif se réservait, l'un d'eux était aussi présent dans un coin de la pièce. Drilun s'était placé de manière à pouvoir en faire sa cible, et à peine les portes furent-elles ouvertes et l'assassin parti qu'il décocha sa flèche. Malgré la distance, malgré les ombres épaisses, malgré l'abri dont l'homme bénéficiait, le combat fut bientôt terminé pour lui : la flèche lui traversa la tête et le cerveau, et il s'écroula sans un bruit.

La lionne découvrit la présence des orientaux de chaque côté de la porte lorsqu'elle entra, mais elle ne remit pas en question son objectif : le rôdeur noir. Elle bondit par-dessus les trois hommes qui la séparaient de l'archer aux flèches magiques, pour arriver devant lui, à quelques marches de distance. Une nouvelle fois elle sentit une flèche percer sa peau et la brûlure d'un poison se répandre, mais elle n'en avait cure, elle était assez robuste pour pouvoir ignorer la douleur un moment. Son coup de griffe fit passer l'homme de vie à trépas avant même qu'il arrivât à poser la main sur la garde de son épée, avant même que l'arc qu'il avait lâché ne touchât le sol...

Geralt était arrivé au contact des premiers guerriers. Appuyé par les flèches de ses amis, mais sous le feu des archers ennemis dans son dos, il eut encore une pensée pour son armure de peau de dragon qui empêcha les flèches de faire plus que des bleus. Puis il enchaîna les attaques et manœuvres à toute vitesse : faire sauter la tête du plus proche ennemi qui lui barrait le passage, courir jusqu'à l'archer proche et le tuer, plonger en avant pour éviter les attaques des ennemis qui arrivaient dans son dos, se relever face à eux... et continuer ainsi, faisant danser sa lame ensanglantée à toute allure.

Taurgil passa les portes avec Mordin. Le premier suivit les traces de la lionne et se trouva face à deux guerriers armés de lance. Il en tua un et encaissa sans mal l'attaque du deuxième grâce à son armure de mithril. Le nain ne fut pas aussi chanceux : il fut surpris par l'homme sur sa gauche alors qu'il entrait dans la pièce, et il sentit une pointe de lance entrer dans son flanc, malgré sa cotte de mailles, heureusement pas trop profondément. Il se tourna vers ses agresseurs, sur la défensive, et évita l'attaque du deuxième homme. A l'autre extrémité de la pièce, les ennemis restants convergeaient vers Geralt ou vers eux, tandis que Vif découvrait de nouveaux ennemis en haut de l'escalier où reposait le corps du rôdeur noir qu'elle venait de tuer...

4 - Fin du combat
Tandis que Geralt continuait à faire voler les têtes, les flèches de Drilun et Isilmë blessaient ou tuaient divers adversaires dans la salle. La lionne, elle, se tourna vers les deux silhouettes en haut de l'escalier, silhouettes noires occupées à incanter une sombre magie qui prit la forme d'une vague de peur et de désespoir portée par les ténébreuses paroles des deux sorciers. Mais cette magie se heurta à la volonté d'acier de la Femme des Bois, aidée par le collier magique confectionné par son ami Drilun. Par ailleurs, vu comme le combat tournait à leur désavantage, leurs paroles menaçantes perdaient de leur mordant et la magie de sa force. Elle grimpa l'escalier en deux bonds et mit fin aux jours d'un sorcier, tandis que l'autre s'enfuyait pour mourir un peu plus loin sous ses griffes.

Si Taurgil voyait de nouveaux ennemis arriver vers lui, il était aussi capable de faire baisser leur nombre, et un nouvel oriental s'abattit par terre. Mordin, de son côté, était plus en difficulté, gêné par sa blessure et par une armure moins performante que celle de son ami. Après une nouvelle blessure, légère cette fois-ci, il apprécia l'arrivée de Geralt pour aider à mettre fin au combat. Le Dúnadan profita également du retour de la lionne pour accélérer les choses, et le combat s'arrêta bientôt faute d'adversaires. Les orientaux s'étaient battus comme de vrais fanatiques, sans tenter de fuir ou demander grâce, jusqu'à leur mort.

Vif demanda à nouveau qu'on s'occupât d'elle et Geralt sortit encore un contrepoison pour appliquer sur sa nouvelle blessure. Mordin, de son côté, serra les dents sans broncher lorsque du baume orc fut appliqué sur sa plaie la plus profonde. Son corps avait résisté au poison enduit sur la pointe de lance qui l'avait touché, en raison de sa nature naine d'une part, mais aussi d'un poison différent, moins virulent que celui utilisé par les rôdeurs noirs. Les corps furent fouillés et les fioles de poison furent récupérées, de même que les quelques flèches couvertes de runes magiques que les rôdeurs noirs n'avaient pas utilisées. Sans parler des armes et armures, globalement de bonne qualité, même si certaines avaient à présent besoin de réparation...

La femme nordique dont ils avaient entendu les cris put être rapidement délivrée, dès la fin du combat : elle était attachée par des chaînes à des anneaux de fer sertis sur le monolithe/pilier noir au centre de la pièce, avec des braises éparpillées autour de ses pieds. Un brasero proche avait servi à chauffer divers instruments qui avaient servi à la brûler, mais elle ne souffrait d'aucune blessure sérieuse. Elle fut soignée et emmenée dans une autre pièce : si les aventuriers avaient tous réussi à résister aux effets néfastes des runes magiques serties sur le monolithe, tous pouvaient sentir un malaise en sa présence voire un effet corrupteur.

La femme était une prisonnière chargée de faire à manger pour les gens du château. Elle était arrivée là peut-être un an auparavant suite à un raid des orcs sur sa tribu. Elle avait trouvé au château d'autres prisonniers chargés comme elle des corvées, mais en général ils finissaient tôt ou tard par disparaître et être remplacés par des nouveaux - souvent des femmes. Néanmoins, peut-être parce qu'elle plaisait plus, elle n'avait pas connu le même sort, même si elle était la dernière : elle s'était retrouvée seule peu après que les orientaux partis chercher des nouveaux prisonniers étaient revenus bredouilles et amputés d'une partie d'entre eux. L'autre prisonnière avait alors servi de défouloir aux guerriers furieux... La femme nordique n'apporta guère d'information nouvelle aux aventuriers, hormis une concernant un maître des lieux, absent au moment du combat, qui passait en général autour de quelques jours par mois. Il arrivait de nuit, et d'ordinaire sa venue coïncidait avec la nervosité des chevaux dans la cour.

Plus tard, alors que certains profitaient d'un repos bien mérité, des coups sourds se firent entendre à l'entrée du château. Le Dúnadan alla ouvrir, qui s'attendait bien à la personne qui les sollicitait ainsi : nul autre que Rillit l'écureuil, chef des cambrioleurs du clan des voleurs de Forpays. Il avait manifestement suivi de loin ce qui s'était passé, caché hors des murs du château, mais il n'avait pas bougé lorsqu'il avait vu l'espèce de dragon miniature monter dans le ciel et tourner autour du site un long moment. Les bruits de bataille avaient pris fin, et la créature avait fini par s'éloigner vers l'est. Après avoir attendu, le temps d'être sûr qu'elle ne reviendrait pas, il était sorti de sa cachette pour se faire connaître, avant de redescendre vers la ville où il allait annoncer à ses collègues ce qui était advenu des occupants du château.

5 - Inventaire
Le jour arriva mais tout resta calme. En dehors de Geralt qui n'appréciait rien tant que de rester couché, Mordin et Vif avaient des blessures qui restaient à guérir, et plusieurs aventuriers subissaient à présent le contrecoup de la noix de l'écureuil, à savoir une grande faiblesse générale, tant physique que psychique. L'activité fut donc passablement réduite et consista à évaluer les possessions du château et décider de leur avenir. Les aventuriers avaient éliminé de probables sbires du Nécromancien ou autre noire puissance, mais ils n'oubliaient pas qu'ils étaient venus avant tout pour acheter des chevaux. Et l'argent qui pouvait être récupéré à droite ou à gauche n'était pas à négliger, car il permettrait peut-être d'augmenter le nombre de montures ramenées en Arthedain...

Les vingt-trois chevaux présents dans la cour étaient sans doute le "prix" le plus intéressant de leur excursion dans le château. Ils représentaient le véritable début de leur troupeau à destination des armées d'Arthedain. Par ailleurs, ces bêtes étaient toutes de qualité, globalement robustes et rapides, et trois d'entre elles, d'après les observations, semblaient habituées à l'odeur de la créature qui occupait auparavant la grange. Où qu'elle fût, il était intéressant de disposer de montures qui ne prendraient pas la fuite à son éventuel retour, comme les autres chevaux feraient certainement.

Une fouille minutieuse du château n'apporta pas grande nouveauté. Au-delà de l'or déjà trouvé dans le coffre de la plus haute pièce du château, les stocks d'armes et armures - toutes de bonne qualité - restaient sans doute le principal trésor du lieu. Ils avaient malheureusement l'inconvénient d'être bien plus encombrants que leur équivalent monétaire. Les cottes de mailles récupérées - une quarantaine - représentaient un poids quatre fois plus important que les armes ; le total armes plus armures, qui devait faire une demi-tonne environ, nécessiterait un chariot entier à lui tout seul, s'il était question de l'emmener ailleurs.

Le contenu de la bibliothèque, s'il n'avait pas forcément la même valeur marchande, devait être à peu près aussi lourd. Les livres furent examinés, triés et empilés dans des coffres et malles. Au grand dam de certains, très peu parlaient de magie, et il s'agissait essentiellement de magie noire. Au final, six tomes discutaient de sinistres rituels magiques, d'histoire de la magie noire ou d'ingrédients pour la renforcer. Divers livres traitaient de faune, flore et autres sujets généraux, mais l'essentiel des livres portait sur les peuples et les cités du Rhovanion, leurs langues et leurs richesses, leurs chefs et autres personnes d'influence...

Drilun en particulier, au cours de ses lectures, trouva des informations intéressantes sur un groupe de personnes qui se faisaient appeler les Maeghirrim ("Seigneurs Transperçants", en sindarin). Ce semblaient être les chefs du "Culte de la Longue Nuit", installé dans la Vallée du Sang Noir ("Nan Morsereg"), quelque part dans les Monts de Fer. Ce culte avait apparemment une influence grandissante sur les peuples de la région, orientaux mais également nordiques. Et les liens entre ces Maeghirrim et les forces du Nécromancien ou d'Angmar semblaient plus que symboliques. Mordin, originaire des Monts de Fer, déclara n'en avoir jamais entendu parler, par contre.

A tout cela il fallait encore ajouter diverses soieries et autres babioles précieuses comme de l'argenterie de qualité, selon les évaluations du nain. Au final, si l'on pensait à faire un peu de place pour le hobbit et la Femme des Bois sous sa forme animale, il y avait largement de quoi remplir trois chariots... et d'en laisser pour au moins dix fois plus ! Et transporter ce matériel était une chose, le vendre en était une autre, même si les livres n'étaient pas emportés pour de l'argent, eux. Pas plus que les quelques gouttes de sang séché que le Dunéen avait récoltées devant la grange, là où il avait blessé la créature volante d'une flèche. Il aurait bien aimé trouver des morceaux de cuir ou autre, mais il en fut pour ses frais ; et il choisit de ne pas récolter les fientes laissées par l'animal, tant l'odeur était peu appréciée des chevaux... et des hommes.

Drilun passa également du temps sur les runes du monolithe noir, runes extrêmement fines et bien inscrites dans l'espèce de verre noir et très dur qui composait le pilier. Il chercha à les détruire à l'aide de ses propres outils en mithril, mais la tâche se révéla vite impossible : cela prendrait trop de temps et la proximité des runes l'incommodait de plus en plus. A tel point qu'il commençait à en trembler. Il abandonna l'idée de les détruire, mais il fit un dernier effort : utilisant sa magie et avec un simple toucher des fins sillons creusés, il eut une vision de la personne qui les avait réalisés. Une fois de plus lui apparut le visage d'un grand elfe aux cheveux d'argent, vêtu de gris, d'argent et de noir.

6 - Marchandage
Après une journée et une nuit complètes à activité nulle ou réduite, les drogues furent éliminées des corps et les blessures furent refermées. Les aventuriers décidèrent alors d'aller acheter des chariots pour charger le lourd butin qu'ils avaient rassemblé dans l'entrée du château. Mais ils virent vite qu'une foule d'une cinquantaine de personnes leur barrait le chemin devant la tourelle qui gardait l'accès au château. Le clan des voleurs était là, dont deux personnages vite identifiés : Hrothgar, le chef des gros bras du clan, et Mard, son pendant pour toutes les opérations de marchandage et entourloupes de toutes sortes. Deux chariots vides étaient également présents, comme prêts à être remplis.

Lorsque l'équipe s'approcha du groupe, Mard, affable et poli, dit de sa plus belle voix qu'il souhaitait aider à valoriser les valeurs présentes dans le château afin d'en tirer le meilleur prix pour les aventuriers... et son clan. Rillit leur avait fait un rapide topo comme quoi les orientaux et leurs maîtres avaient été vaincus, ce pour quoi toute la ville (dont les voleurs) était redevable aux aventuriers. Son clan s'était rendu maître de la maison où débouchait le passage secret qui descendait du château, et de ses habitants également, bien sûr. L'homme semblait néanmoins pressé de conclure de juteuses transactions pour les deux parties (et la sienne tout particulièrement), ayant toujours à l'esprit que le château n'était pas resté longtemps inoccupé lorsque le mage Leärdinoth, premier occupant des lieux, avait été tué par une précédente équipe d'aventuriers.

Mordin, tout autant habitué au marchandage et aux belles paroles, répondit que s'il était entièrement d'accord pour faire de fructueux échanges réciproques, il tenait d'abord à terminer un marché en attendant d'en entamer un nouveau. Et par conséquent il n'était pas question de laisser les voleurs entrer ou réclamer quoi que ce fût tant que le hobbit restait entre leurs mains. Ce à quoi Mard répondit qu'il était entièrement d'accord et que si le nain et ses amis disposaient du reste de la somme convenue, il se ferait une joie de les amener jusqu'à leur petit ami souffrant. Et il était prêt à fournir dans le même temps toute l'aide nécessaire pour évacuer les biens du château en lieu sûr... dont des chariots.

Est-il utile de détailler plus avant les nombreux échanges qui suivirent dans la journée (et au-delà) entre le nain et le voleur à la langue bien pendue ? Tous deux étaient rompus aux tractations en tout genre et autant âpres au gain l'un que l'autre. Il suffira de dire qu'ils se mirent d'accord, après un inventaire rapide du contenu du château, sur une somme que les voleurs verseraient aux aventuriers pour le mobilier et tout ce que les aventuriers laisseraient sur place à la merci du clan. Trois chariots furent également achetés pour transporter les nouveaux biens de Mordin et ses amis, biens encombrants qu'ils auraient préféré vendre aux voleurs mais pour lesquels Mard ne donna pas un prix assez élevé au goût de certains.

On ajoutera aussi que les tractations - pour retrouver le hobbit entre autres - traînèrent parfois en longueur, en particulier quand le groupe n'était pas au château. Curieusement, certaines pièces furent visitées pendant ce laps de temps, et certains biens relativement peu encombrants ne furent pas retrouvés... Rillit étant sans doute le seul voleur capable de pénétrer le lieu par ses seuls moyens et sans se faire remarquer de la lionne, qui gardait l'accès au pont qui enjambait le vide jusqu'aux bâtiments, il fut fortement soupçonné, et Mard fut mis au courant que les aventuriers n'étaient pas dupes des petites manigances des voleurs...

7 - Hobbit sur canap... sur brancard
Mais avant la conclusion de ces tractations marchandes, la première d'entre elles consistait à récupérer leur petit ami. Tandis que Taurgil et Vif veillaient sur le château, le reste du groupe, accompagné de Mard et de quelques voleurs, retourna à Buhr Waldlaes en faisant tout le tour par la route qui franchissait la falaise, à l'ouest de la ville. Cela prit du temps, d'autant que les voleurs ne semblaient pas particulièrement pressés. Avec le recul, certains se dirent que peut-être n'étaient-ils pas pressés pour que l'un d'entre eux puisse visiter le château et faire descendre quelques affaires non gardées par Taurgil directement dans la ville, à l'aide d'une corde.

En tout cas, tous se retrouvèrent bientôt devant les bâtiments du clan des voleurs, à attendre encore un peu pendant que Mard prévenait ses confrères et s'assurait de leur accord. En fin de compte, après avoir payé la somme complémentaire demandée, ils furent menés à l'intérieur jusqu'à une pièce où ils s'étaient déjà entretenus avec Rillit. Ce dernier était là, avec d'autres cambrioleurs, ainsi qu'un brancard dans lequel dormait Rob, qui était drogué. Après qu'Isilmë eut vérifié qu'il allait bien - ni plus ni moins qu'avant de disparaître - les cambrioleurs, menés par Rillit, emportèrent le brancard sans heurt dans la ville. Menés par les aventuriers, ils prirent ensuite le passage secret jusqu'au château où Rob fut installé, l'elfe à son chevet.

Le reste des tractations se poursuivirent, avec quelques difficultés quand des chevaux furent pris pour aller chercher les chariots proposés. En effet, ils furent bloqués par Hrothgar qui réclama tout d'abord une taxe pour le passage des équidés. Ce qui menaça une nouvelle fois d'escalader en conflit armé et de compromettre les délicats accords marchands qui avaient été ou étaient en train de se conclure. Les cinquante voleurs - et même moins car certains qui accompagnaient Mard n'avaient nullement l'intention de combattre - n'étaient pas un réel obstacle pour l'équipe. Le sang versé, en revanche, pouvait avoir des conséquences et leur être préjudiciable.

En privé, Mard expliqua que Hrothgar, qui n'était pas vraiment une lumière, obéissait au besoin d'affirmer ses capacités auprès des voleurs qui dépendaient de lui. Accessoirement, l'argent récolté pouvait aussi servir à gagner de l'influence au sein de l'équipe restreinte des chefs du clan. La raison de sa demande de "taxe" était donc plus à chercher dans les mécanismes internes aux voleurs qu'à chercher à nuire ou exploiter les aventuriers : l'homme avait besoin d'affirmer son autorité et d'apporter des résultats concrets. Mard offrit de payer à l'avance la taxe, ce dont Mordin profita pour demander une "commission" supplémentaire, mais elle fut refusée. Ce petit arrangement finit par être accepté, et une "taxe" fut payée pour le passage des vingt-trois chevaux, même si seulement six d'entre eux étaient à présent sur le point de passer : six chevaux étaient nécessaires pour les trois chariots qu'il faudrait amener.

Néanmoins, Drilun eut tout de même envie de saboter un peu la suffisance du chef des cogneurs qui empochait l'argent. Tandis que les voleurs faisaient demi-tour pour rebrousser chemin et revenir à Forpays, il utilisa sa magie pour détacher les braies de la brute, braies qui commencèrent à glisser. C'est ce moment que choisit la lionne, qui avait suivi toute l'affaire, pour sauter vers les voleurs, sans agressivité mais comme un gros chat qui avait envie de jouer. Ce que ne comprirent pas les membres du clan, dont beaucoup se mirent à courir, y compris leur chef... qui s'étala par terre, cul nu. Le ridicule de sa situation le fit rougir comme une pivoine - et rire sous cape plus d'un voleur - mais devant l'air joueur de la lionne, il préféra ne pas insister et partit en jurant dans sa barbe après avoir remis ses habits correctement.

Certains aventuriers suggérèrent à Mard que si jamais les voleurs voulaient se débarrasser de cet encombrant personnage, ils n'avaient qu'à demander... et y mettre le prix. Ce à quoi il leur fut répondu qu'il y avait pire que Hrothgar, qu'il avait son utilité et qu'il était relativement facile à contrôler. Le clan des voleurs tâchait de rendre ses membres plus intelligents, il leur apprenait à lire et écrire, à réfléchir avant d'agir, et leur offrait une vie meilleure que ce qu'ils pouvaient espérer trouver aux alentours. Mais certains d'entre eux ne connaissaient que la loi du plus fort, et il fallait bien quelqu'un pour les tenir. Leur chef était avant tout une brute, mais seule une brute pouvait espérer leur commander, et celle-là n'était pas la plus bête. On a toujours besoin de quelqu'un pour faire le sale boulot.

8 - Départ pour Buhr Widu
Le groupe en avait fini avec Buhr Waldlaes, et n'oubliait pas son objectif premier : Buhr Widu et le prince Atagavia, chef des Waildungs. Malgré tout l'or donné aux voleurs, Mordin et ses amis en avaient plus qu'au début de leur voyage pour acheter des chevaux. A présent ils avaient déjà plus d'une vingtaine de chevaux, et trois chariots pleins de matériel... et un blessé grave. Blessé qui risquait de ne pas apprécier le voyage, d'après Isilmë, qui affirmait qu'il avait besoin de temps, de soins et d'un endroit chaud et douillet où guérir tranquillement. Mais le temps allait finir par leur manquer, et personne ne souhaitait laisser Rob derrière eux, même avec la guerrière elfe, qui avait déjà montré qu'elle ne connaissait pas bien les humains et leurs petits tours.

Gérer les chevaux et les chariots était trop pour six personnes, voire même cinq, car on pouvait difficilement compter la lionne dans les aides possibles. Vif ne voulait pas reprendre forme humaine, même lorsqu'elle serait à Buhr Widu, et comptait voyager discrètement, par exemple en tenant compagnie (et chaud) à Rob, dans l'un des chariots. Geralt conduirait ce même véhicule qui les transporterait, avec les soieries et autres objets précieux trouvés au château ; Drilun mènerait le chariot rempli de livres, avec sans doute Isilmë à ses côtés ; et Mordin gérerait celui avec les armes et armures. Ce qui laissait plus de vingt chevaux à faire avancer pour le seul Dúnadan, qui, s'il était un cavalier correct, imaginait assez bien ce qui se passerait en cas de danger : il verrait des croupes de cheval dans toutes les directions... L'ancienne cuisinière du château viendrait avec eux jusqu'à la prochaine ville, Buhr Waldmarh, où elle débarquerait pour trouver quelqu'un pour la ramener parmi les siens. Mais elle ne pourrait guère aider, toute nordique qu'elle fût, ses blessures étant loin d'être toutes guéries.

En conséquence, Mordin et ses amis allèrent voir le chef mercenaire Rult et ses Hommes Libres, et leur proposèrent un marché : les embaucher comme escorte montée - ils avaient leurs propres chevaux - jusqu'à Buhr Widu voire au-delà. Garde de jour et garde de nuit, garde des gens et gardes des biens, bêtes comprises. A la capitale des Waildungs, selon ce qui serait décidé, un nouveau contrat pourrait être conclu et un nouvel objectif fixé. A l'issue des échanges, le chef des mercenaires accepta pour un prix global d'une pièce d'or par jour pour ses hommes et lui, comprenant la nourriture pour hommes et chevaux, l'entretien ou le remplacement du matériel, et toutes les nécessités liées à un long voyage. Il fut également convenu que ce paiement pourrait se faire en nature, les aventuriers ayant des armes et armures de bonne qualité et en grand nombre.

Le jour du départ arriva, froid et venteux, une fois les dernières affaires réglées et des vivres et autre matériel achetés. L'allure fut très bonne le premier jour, même si ce n'était guère plus que celle d'un homme à pied : Geralt fit des merveilles avec son attelage, et Rob ne se rendit même pas compte qu'il voyageait, doucement bercé et réchauffé par le corps de son amie féline. Le second jour, le maître assassin ne fut pas aussi doué dans la conduite du chariot, ce qui fut ressenti par le hobbit et remarqué par Isilmë. Du coup, le reste du voyage se fit à allure plus réduite afin de perturber le moins possible le petit blessé, et ne pas compromettre ses chances de guérison. Le confort de Rob fut également amélioré par des runes magiques que le Dunéen traça sur le véhicule. Au passage, l'ex-prisonnière nordique fut confiée à la tribu qui gérait Buhr Waldmarh, contre promesse de bien s'occuper d'elle, et elle quitta l'équipe avec des remerciements.

Le soir du quatrième jour, les longères de Buhr Widu, perchées sur un amas de petites collines traversées d'une rivière, furent en vue. En chemin, divers groupes nordiques avaient été rencontrés et avaient donné des nouvelles et informations sur la région, et s'étaient enquis des marchandises bien gardées qu'ils transportaient. De son côté, Vif était toujours restée cachée dans le chariot, ne sortant que le soir pour aller chasser. Les mercenaires préféraient la voir loin d'eux et de leurs chevaux. Beaucoup de bruit avait couru à son sujet dans les tavernes de Forpays, et nombreux étaient les voleurs à l'avoir approchée de près (ou elle d'eux). La même histoire de l'animal contrôlé par la magie elfique était donnée, ce qui n'empêchait pas la méfiance. Et les hommes nordiques étaient encore plus rétifs vis-à-vis de tout ce qui avait trait à la magie, en général associée au Nécromancien de Dol Guldur. Quant aux elfes, ils ne venaient jamais par ici, et pour les gens du cru ils étaient pareils à la forêt toute proche : secrets et étrangers.
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Horselords - 14e partie : le prince et sa fille

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1 - Ambassadeurs en approche
Tandis que le convoi atteignait les faubourgs de Buhr Widu - fermes, granges et troupeaux se faisaient plus nombreux - Geralt interrogeait les divers groupes de nordiques qu'ils croisaient. Ses questions portaient essentiellement sur les attaques de Sagaths ou d'orcs, sur leur grand chef Atagavia - appelé aussi "prince" - et sur les possibilités d'acheter des chevaux. Les attaques d'orcs ne semblaient pas un problème ici, ce qui s'expliquait facilement : le peuplement nordique était assez dense entre la ville et la forêt, et toutes les tribus proches étaient en vue les unes des autres. Une attaque venue de la forêt ne passerait certainement pas inaperçue et elle serait rapidement suivie de l'arrivée de renforts.

En revanche, les Sagaths étaient autre chose. Ils ne venaient pas jusqu'ici, mais plus à l'est dans le Rhovanion, où la population était très éparse, leurs groupes et tribus de guerriers pouvaient sans mal pénétrer sur les terres du clan sans se faire voir. Des éclaireurs pouvaient alors repérer quelques cibles qui faisaient l'objet d'une attaque nocturne le plus souvent. Même si certains arrivaient à fuir et prévenir des tribus ou groupes voisins, les orientaux avaient le temps de fuir avec leur butin : chevaux surtout, mais aussi parfois femmes et enfants destinés à l'esclavage ou pire encore. Si les Sagaths n'étaient pas d'aussi bons guerriers que les cavaliers nordiques, ils étaient en général plus rapides et quittaient vite les frontières du clan. Les poursuivre signifiait alors affaiblir la frontière et inviter d'autres groupes à attaquer, car ils étaient nombreux.

Les nordiques étaient donc en état de guerre larvée, et les chevaux, dont la moitié étaient morts pendant la grande Peste, étaient plus demandés que jamais. Au grand dam des marchands qui avaient beaucoup de mal à s'en procurer, malgré la forte demande un peu partout, comme en Gondor. Si l'on ajoutait à cela le fait que le prince Atagavia avait perdu toute sa famille - sa fille Bronwyn exceptée - pendant la peste, on pouvait comprendre que les échos à son sujet parlait d'un homme encore vigoureux mais usé, peu enclin au rire et à la bonne humeur. Il gérait son clan de manière sage et efficace, même si certains regrettaient de rester autant sur la défensive. Néanmoins, il semblait aimé de tous ses sujets, de même que sa fille Bronwyn que tous tenaient en grande estime. Ce semblait être une meneuse d'hommes, grande guerrière et cavalière, mais que son père préférait garder près de lui par ces temps troublés.

Une patrouille nordique vint s'enquérir de la raison de leur présence : il était rare de voir une caravane de trois chariots aussi bien gardée, avec une petite troupe de chevaux de qualité. Le groupe expliqua qu'ils étaient en fait des ambassadeurs du roi d'Arthedain, de l'autre côté des Monts Brumeux, chargés d'acheter des chevaux pour la défense du royaume contre les attaques d'Angmar. Le chef de patrouille semblait avoir entendu parler d'eux en raison des services rendus au clan des Widureiks, et Geralt confirma qu'il s'agissait bien d'eux. Les nordiques avaient même eu vent très récemment de leur attaque sur le château de Forpays, grâce à la prisonnière nordique qu'ils avaient libérée et remise à d'autres nordiques deux jours auparavant.

L'homme pensait mener les aventuriers devant son prince, mais ces derniers répondirent qu'ils préféraient se reposer et voir Atagavia au matin. Le chef de patrouille dépêcha alors deux de ses hommes pour les conduire, chevaux, chariots et mercenaires, jusqu'à un enclos proche de quelques bâtiments où ils pourraient s'installer à moindre frais et se restaurer, aidés par des familles d'éleveurs qui habitaient là. C'était en bordure d'un petit lac contre lequel la ville de Buhr Widu était elle-même adossée, non loin de là. Le groupe fit le régal des nordiques présents, Geralt retardant le moment d'aller dormir pour narrer leurs exploits contre les orcs de la Forêt Sombre : entre autres choses, il se grima en orc pour montrer comment les viles créatures avaient été dupées.

Vif profita aussi de la nuit - et d'un sort de Drilun pour masquer son odeur - pour s'éloigner discrètement vers la lisière de la forêt. Elle était restée cachée aux yeux des nordiques, et il avait été convenu qu'elle reprendrait forme humaine avant de revenir. Taurgil partit dans la même direction peu après, ouvertement, disant aux gardes rencontrés qu'il avait rendez-vous avec une éclaireuse de leur groupe qui devait les attendre non loin. Ce qui avait également été annoncé aux mercenaires. Le Dúnadan, qui avait emporté les affaires de la Femme des Bois, finit par la retrouver quelques miles plus loin. La transformation fut fatigante mais ne posa aucun problème, et après s'être habillée, Vif put revenir avec Taurgil auprès de ses amis.

2 - Buhr Widu
Après une nuit sans histoire, le groupe déjeuna et fit une toilette afin de se rendre présentable. Isilmë annonça qu'elle viendrait avec le groupe : la santé de Rob, grâce aux herbes et soins multiples qui lui étaient prodigués, commençait à s'améliorer, et elle pensait qu'hormis imprudence ou accident, il était tiré d'affaire. Il avait donc moins besoin d'elle et pourrait se passer d'eux quelques heures. Des consignes furent données en ce sens aux nordiques présents ou aux mercenaires qui restaient. Rult venait également assister aux échanges avec Atagavia avec un de ses lieutenants, et quelques hommes devaient passer en ville acheter vivres et matériel.

La ville de Buhr Widu fut approchée à pied. Elle était installée au sommet de petites collines très proches aménagées de manière à profiter des fortifications naturelles qu'elles procuraient. Le sommet des collines avait été aplani, et comportait de nombreuses longères, ces grandes maisons allongées favorisées par les nordiques, qui comportaient un vaste espace central. Une rivière serpentait entre les flancs des collines et se jetait dans le petit lac contre lequel les collines étaient adossées. Des ponts et passerelles permettaient de passer d'une hauteur à l'autre, et des portes et tours régulaient les principaux points d'accès dans la ville.

Le groupe suivit la route jusqu'à l'entrée principale. Cette dernière passait par un portail tenu par des gardes nordiques qui régulaient le trafic, avant un petit tunnel creusé dans le flanc d'une colline. Puis la route, en montant, émergeait du sol pour arriver à une tour de garde, juste avant un pont qui menait à la colline principale. Cette dernière abritait la maison des princes, un grand bâtiment en pierre et bois similaire à une longère, en plus solide et fortifié, et qui hébergeait le grand chef des Waildungs. D'autres tours étaient visibles sur les bords de la ville protégée par un rempart en terre, et les nombreux guerriers en armes qui patrouillaient la ville ou les environs donnaient un petit air martial à Buhr Widu.

Les aventuriers s'étaient fait reconnaître sans mal et semblaient attendus. Ils se glissèrent dans le flot continu de chariots et animaux de bât qui amenaient vivres et équipement divers à la ville, et notamment à un marché installé sur la place de la colline principale, non loin de la maison des princes. D'après Mordin, la ville comportait plusieurs centaines d'habitants - peut-être un demi-millier - tous nordiques. Elle avait été fondée par Vidugavia, ancêtre d'Atagavia, quatre siècles auparavant. Vidugavia avait été le chef de tous les nordiques du Rhovanion, et sa fille avait épousé celui qui deviendrait plus tard le roi de Gondor. Le sang en partie nordique qui coulait dans les veines de leur fils, Eldacar, avait d'ailleurs été à l'origine de la Guerre Fratricide qui avait secoué le Gondor deux siècles auparavant, quand Eldacar était monté sur le trône.

Mais pour l'heure, le groupe venait voir Atagavia, avec le parchemin et l'épée remis par le roi d'Arthedain. De nombreuses personnes se pressaient pour voir et écouter le chef des Waildungs, qui était attentif aux réclamations et plaintes de ses thyns ou autres sujets, désamorçait les conflits et rendait la justice. Un garde annonça les ambassadeurs d'Arthedain, et après avoir réglé une dernière affaire, le chef des Waildungs demanda à ses sujets de leur laisser la place. Les six aventuriers, accompagnés de Rult, chef mercenaire, entrèrent au centre du hall et se dirigèrent vers le fond, où les attendait Atagavia, assis sur un grand siège en bois. Une jeune et belle femme était debout à ses côtés, et le lien de parenté entre eux était clairement visible.

3 - Le prince et sa fille
Le grand chef des Waildungs était richement vêtu, mais surtout, s'il n'était nullement imposant physiquement, il se dégageait de lui un grand charisme et ses yeux bleus étaient perçants. Néanmoins, on devinait aussi une certaine fatigue ou de la tristesse dans sa voix et son regard. Si l'âge commençait à se montrer sur son visage, il était cependant contrebalancé par une impression de force et d'énergie. Tous ces traits se retrouvaient chez sa fille, l'âge et la tristesse en moins. Et si elle n'était plus une adolescente depuis longtemps, les aventuriers sentirent vite, dans les propos qu'elle tint, une certaine impétuosité, voire même de la frustration face à la prudence de son père.

Ce dernier accueillit aimablement les aventuriers et Rult et les invita à se présenter, ce que fit chacun d'eux. Sur les côtés de la grande salle, les chuchotements allaient bon train face à ces ambassadeurs d'un nouveau genre. Une fois Rult mis à part, les six personnes présentes n'avaient pas grand-chose en commun, sans compter le hobbit absent : deux femmes et quatre hommes, un nain, une elfe, quatre humains aux origines différentes, sans parler de leur physique. En particulier, le visage de Geralt et la stature de Taurgil concentraient les regards, sans parler de leurs armures - peau de dragon et mithril - bien visibles pour partie. Quant à Isilmë, ses traits elfiques et ses pouvoirs suggérés suscitaient étonnement voire crainte.

Le prince reçut présent et parchemin du roi d'Arthedain des mains du Dúnadan. Il se leva pour sortir de son fourreau et faire tournoyer la riche épée envoyée par Argeleb II, et sembla apprécier ce royal cadeau. Les nordiques présents, par leurs commentaires et regards, indiquèrent leur admiration pour un tel objet. Atagavia lut également avec intérêt le texte qui lui était destiné, mais aussi le parchemin écrit par Paidacer, chef des Widureiks, qui lui fut également remis. Il médita un moment sur les besoins du royaume d'Arthedain exprimés dans la lettre, puis les louanges du chef du clan du sud à l'égard des aventuriers. L'histoire était parvenue jusqu'à lui depuis plusieurs jours, mais elle prenait une autre importance sous la plume d'un grand chef comme lui.

Il prit ensuite la parole pour remercier les ambassadeurs d'Arthedain et commenter la demande du roi d'Arthedain. Il ferait tout son possible pour trouver des chevaux à vendre au groupe et il allait sans tarder demander à ses thyns de voir ceux dont ils pouvaient se passer et leur réserver. Néanmoins, il rappela les temps difficiles auxquels ils devaient tous faire face : avec l'accroissement des attaques récentes des Sagaths et les nombreux pillages et vols de chevaux, ils ne pouvaient se permettre d'en céder autant qu'ils le voudraient. Il doutait de pouvoir en fournir plus de quelques dizaines au début de l'été. Ses paroles jetèrent un certain désarroi parmi plusieurs aventuriers, en particulier Mordin.

Le nain prit la parole, parfois accompagné par certains de ses amis, pour promouvoir l'aide qu'ils pouvaient apporter aux nordiques : ses amis et lui disposaient de grandes compétences, d'un équipement inégalable, voire de magie en la personne d'Isilmë. Et il laissa entendre qu'ils disposaient aussi d'autres atouts qu'il ne souhaitait pas révéler en public de peur que cela puisse servir à leurs ennemis communs. Oui, ils savaient et pouvaient faire des merveilles, comme leur aide des Widureiks l'avait clairement montré. Avec leur soutien, les chefs nordiques pouvaient sûrement mettre à terme à leurs conflits, ses amis et lui avaient aussi été envoyés pour cela. Après quoi les seigneurs cavaliers n'auraient plus besoin d'autant de chevaux et ils pourraient leur en fournir davantage. Bronwyn, fille d'Atagavia, prit également la parole pour faire la promotion d'une action concertée avec tous les clans nordiques, et elle proposa de guider les aventuriers pour les présenter aux chefs des quatre autres clans qu'ils n'avaient pas encore rencontrés.

Son père reconnut le fondement d'une telle démarche, mais il refusa platement de laisser partir sa fille devant les grands dangers d'une telle expédition par les temps qui courraient. Il était parfaitement d'accord pour que ces ambassadeurs d'Arthedain aillent voir les autres chefs de clan, dont l'un semblait déjà acquis à leur cause. Quant à lui, s'il appréciait l'aide apportée par le groupe à ses cousins plus au sud, il pensait aussi que ses invités ne connaissaient qu'imparfaitement ce qu'était la guerre contre les Sagaths. Les orcs étaient faciles à combattre, et la manière dont ils avaient été dupés était le plus grand exploit des aventuriers. Mais les orientaux étaient d'une autre trempe. Bref, il demandait à Mordin et à ses amis de faire leurs preuves, et il verrait ensuite s'il pouvait envisager une action quelconque avec les autres chefs nordiques.

Néanmoins, le groupe obtint tout de même de pouvoir parler en privé avec le chef des Waildungs en début d'après-midi, après un repas collectif où ils étaient conviés. Les aventuriers et le chef des mercenaires se glissèrent dans la foule qui emplissait les bords de la grande salle. Ils discutèrent de leurs impressions et de la suite à donner. En attendant le repas et l'entretien, certains souhaitaient vaquer à divers projets - ses amis voyaient très bien Geralt se reposer dans le foin - mais Drilun insista pour rester un peu : en plus d'observer et de discuter, la fille d'Atagavia chercherait peut-être à venir leur parler.

4 - Entretiens privés
Il obtint gain de cause, et doublement, puisqu'en effet Bronwyn, après un moment passé à les observer, finit par se rapprocher d'eux et leur parler. Elle confirma ses précédentes paroles, à savoir qu'elle espérait bien pouvoir les aider dans leur quête en échange de leur aide contre Sagaths et autres plaies qui affaiblissaient son peuple. Elle conseilla également aux ambassadeurs de bien appuyer leurs dires et prétentions par des exemples concrets : son père n'était pas facilement influencé par les seuls mots, même venant de personnes très convaincantes comme eux. Il avait beaucoup souffert et il en fallait beaucoup pour lui faire prendre des risques pour sa famille et son peuple...

Dans le reste de la matinée et le repas qui suivit dans la grande salle, les aventuriers observèrent, écoutèrent et discutèrent. Beaucoup ne comprenaient pas grand-chose, ne maîtrisant pas l'eothrik utilisé ou aucune autre langue nordique proche, mais c'était l'occasion d'apprendre à mieux connaître ces gens qu'ils allaient côtoyer encore un bon moment, et leur langue. De plus, comme les nordiques présents pouvaient parler le ouistrain, les échanges étaient facilités. Le maître-assassin, en discutant avec diverses personnes, put ainsi se faire une bonne idée de la manière dont Atagavia était perçu par ceux sur lesquels il régnait. Il était respecté, tant pour sa sagesse et ses choix judicieux que pour son évidente dévotion à leur égard, mais nombreux étaient ceux qui regrettaient sa trop grande prudence. Beaucoup auraient aimé une action concertée avec d'autres clans pour porter la guerre contre les Sagaths chez eux, sans plus avoir à les subir, impuissants ou presque.

Le moment de la fin du repas arriva enfin, et Bronwyn invita le groupe à la suivre. Ils arrivèrent à une pièce isolée à l'arrière de la grande salle où Atagavia était déjà présent. Rult ne participait pas, ils étaient donc huit, car Bronwyn restait auprès de son père. Ce qui n'était pas complètement au goût de certains aventuriers : ils auraient voulu parler seuls à seul au chef de clan, afin de lui parler de son fils qui était vivant dans la Forêt Sombre. Mais il valait mieux ne pas le dire à sa sœur, qui risquait de partir immédiatement vers l'ouest, vu son tempérament. Au contraire, cette information serait une façon de dire qu'emmener Bronwyn avec eux vers l'est et le nord était une manière de la mettre en sécurité.

L'entretien débuta, mais Atagavia n'avait aucunement changé de disposition, même s'il attendait avec curiosité de découvrir les atouts spéciaux dont les aventuriers s'étaient vantés. En plus du récit de leurs exploits passés, ces derniers lui expliquèrent que Vif avait été l'élève du magicien Radagast et qu'elle pouvait se transformer en grand félin magique presque invincible, qui n'était pas juste un animal convoqué par Isilmë. Pour confirmer ses dires, elle changea sa mâchoire en museau félin, crocs bien visibles. Père et fille se maîtrisèrent parfaitement mais accusèrent un peu le coup, Atagavia montrant qu'il n'appréciait guère ce genre de magie. Il ne démordit néanmoins toujours pas de sa position, doutant de la capacité du félin à vaincre des centaines ou milliers d'orientaux.

Bronwyn se pencha alors à l'oreille de son père pour lui faire part d'une nouvelle idée. Après un moment de réflexion et un demi-sourire, puis un soupir de lassitude, il accéda à la demande de sa fille. Il annonça aux aventuriers que le printemps serait là d'ici une dizaine de jours, et que c'était traditionnellement l'occasion d'une foire marchande dans et autour de sa ville, voire ailleurs. A cette occasion, exceptionnellement, il allait organiser - il avait encore juste le temps - des joutes guerrières où participeraient tous les sujets qui le souhaiteraient, voire des étrangers au clan, qu'ils soient nordiques, marchands, ou ambassadeurs d'Arthedain. Ce serait une manière de jauger ces derniers et d'envisager éventuellement d'envoyer sa fille avec eux, plutôt que de simples cavaliers comme il l'avait déjà promis.

La réunion fut alors levée, mais suite à un chuchotement de Geralt à son oreille, le chef de clan tarda à quitter les lieux en prétextant une discussion avec l'assassin au sujet de son armure de cuir de dragon. L'homme aux cheveux blancs annonça alors au chef nordique que son fils avait été repéré à l'ouest, en Forêt Sombre, et qu'il était un appât destiné à faire prisonnière sa fille. Fille qui serait - ou un de ses descendants - une menace potentielle pour le Nécromancien. Atagavia sembla ressentir une grande colère, et déclara qu'il n'était pas question d'en entendre reparler. Il avait déjà eu vent de rumeurs à ce sujet, et il avait envoyé des dizaines de ses meilleurs hommes en forêt l'année précédente, et aucun n'était revenu. Son fils était comme mort pour lui, et il ne voulait pas en entendre parler. Il quitta la salle, laissant Geralt méditer sur son relatif échec : l'information n'avait servi à rien, juste à montrer que le chef des Waildungs souffrait encore beaucoup de l'absence de son fils.

5 - Hésitations
Une fois le maître-assassin de retour parmi ses amis, le groupe se concerta sur la suite à donner : fallait-il participer aux joutes ? Fallait-il attendre une dizaine de jours sur place, sachant que le temps allait finir par manquer ? Attendre l'été que des chevaux soient disponibles, comme Atagavia l'avait annoncé, faisait craindre aussi de ne pas pouvoir les ramener à temps en Arthedain. D'un autre côté, si le voyage se passait bien, il ne faudrait que quelques semaines pour passer la trouée du Calenardhon et encore moins pour arriver à Fornost. Enfin, la présence de Bronwyn parmi eux serait un atout non négligeable auprès des autres chefs de clan pour obtenir des chevaux.

Les aventuriers virent des cavaliers partir dans l'après-midi même pour annoncer les joutes, et la ville et ses abords bruissèrent des conversations des gens à ce sujet : la nouvelle s'était répandue comme une trainée de poudre, et de nombreux nordiques, même sans connaître à l'avance les épreuves exactes, commençaient déjà à parier sur certains champions. Comme Atagavia l'avait annoncé, les joutes étaient une manière de remonter le moral de ses gens et d'arrêter de penser aux difficultés du quotidien. Et en cela, c'était une réussite : rapidement, autour de Buhr Widu, il ne fut plus question que de ça. Oubliées les attaques des Sagaths, les morts de la peste, les difficultés du commerce : place aux jeux et à la gloire !

La participation aux joutes semblait donc incontournable, il y avait trop à gagner à figurer parmi les vainqueurs : estime et renommée parmi les nordiques, voire peut-être même de l'argent ! Les joutes, même si elles n'attiraient pas les autres chefs de clan, bien pris par les Sagaths et autres soucis, verraient tout de même de valeureux guerriers des autres tribus nordiques qui pourraient devenir plus tard d'utiles contacts. Ce serait aussi l'occasion, bien au-delà des joutes, de voire venir beaucoup de gens, dont de nombreux marchands, tant vendeurs qu'acheteurs. Des gens auprès de qui Mordin comptait bien écouler ses armes, armures et soieries prises dans le château de Forpays, ou acheter des chevaux, surtout de la part de grands guerriers attirés par l'achat de l'excellent mais coûteux équipement qu'il proposerait.

Les dix jours environ qui les séparaient des joutes pourraient-ils être mis à profit pour aller voir l'un ou l'autre clan nordique ? D'après ce que Bronwyn avait dit, Mahrcared, chef des Ailgarthas, le plus vieux clan nordique de la région, ne demandait qu'à combattre les Sagaths, il serait facile à convaincre. Mais il était souvent parti guerroyer ou soutenir ses clans, il ne serait pas forcément facile à trouver. Par ailleurs, les Brotharas, autre clan mais du sud du Rhovanion, n'étaient pas trop loin. L'aller-retour en moins de dix jours ne poserait pas de problème, mais il était impossible de savoir à l'avance ce que les discussions avec les chefs de clan entraîneraient, ni le temps que cela prendrait.

Au bout du compte, l'équipe décida de rester sur place et de prendre son mal en patience, ou d'en profiter pour préparer au mieux leur participation aux joutes ou leurs prochaines visites auprès des seigneurs cavaliers. Au-delà des éventuels entraînements, il serait facile de se familiariser avec les coutumes des nordiques et leur langue. Certains avaient aussi besoin de temps pour se reposer, comme Geralt mais aussi Vif, affectée par ses récentes transformations. Rob avait besoin de temps pour guérir également, mais il ne serait sans doute pas assez remis sur pied pour pouvoir participer au tournoi. Et Mordin comptait bien faire des affaires avant même la foire ou les joutes, et Drilun avait en tête de fabriquer quelques flèches spéciales...

6 - Préparatifs
La fabrication d'arcs et flèches n'était pas le point fort du Dunéen, aussi chercha-t-il un artisan capable de lui apporter le talent qui lui manquait pour fabriquer des flèches. Il en trouva un, fort occupé par les demandes nombreuses liées à l'annonce du tournoi, mais qu'il sut attacher à son service grâce à un peu d'or. Il passa ainsi les cinq premières journées à fabriquer une flèche très spéciale tueuse de "poule géante", comme les aventuriers nommaient cette étrange créature à mi-chemin entre une poule et un dragon, ou plutôt une chauve-souris et un dragon. A côté de cela, il fabriqua des flèches magiques simples dont l'enchantement serait dissipé à la moindre utilisation.

Le nain installa une échoppe ambulante en ville pour vanter la qualité des ses armes et hauberts de mailles, sans parler des riches soieries et autres décorations de luxe qu'ils avaient trouvées au château de Forpays. Il n'avait pu renégocier le contrat d'une pièce d'or par jour avec les mercenaires, malgré les conditions présentes très calmes, mais il espérait bien faire rentrer bien plus d'or qu'il n'en sortait. Aidé parfois par certains de ses amis qui montraient concrètement la qualité de son équipement voire par Drilun qui améliorait magiquement certaines armures, son bagout fit nettement augmenter la quantité d'or en sa possession et diminuer l'encombrement des chariots pleins de matériel.

Taurgil commença à s'entraîner un peu. En fait, de nombreux guerriers nordiques avaient déjà commencé et certains auraient bien voulu se mesurer à ces ambassadeurs bien particuliers dont on vantait les exploits plus au sud - n'avaient-ils pas rayé de la carte des centaines d'orcs à seulement sept personnes ? Les nordiques, sans connaître les épreuves, devaient savoir un peu à quoi s'en tenir car leurs exercices étaient nombreux : tir sur cible fixe, à pied ou depuis un cheval au galop ; combat à pied, à cheval ou sur un tronc d'arbre au sol, et lutte à mains nues ; courses à cheval, avec ou sans obstacle... Quelques règles étaient couramment utilisées en tournoi : on ne cherchait pas à tuer quiconque ou le blesser gravement, tout combat devait prendre fin au premier sang, le blessé avouant sa défaite. Les gens étaient bien équipés pour éviter les blessures et lorsqu'ils étaient touchés par un coup qui leur procurait de la douleur (sans même de sang versé), ils devaient le signaler, et accepter leur défaite à la troisième fois.

Le Dúnadan accepta donc le défi d'un fier guerrier nordique et commença à le combattre à cheval, que l'homme maniait mieux que lui. Malgré ce désavantage, le guerrier nordique n'arrivait pas à passer la défense de son armure de mithril et son bouclier, et il finit par s'avouer vaincu après quelques coups qu'il reçut. Taurgil enchaîna avec le même, à terre, et là il le battit à plate couture. Même sans son bouclier, son armure le protégeait trop bien et il n'avait pas de mal à toucher ou blesser son adversaire qui essayait de percer sa défense. Il s'essaya un peu au combat sur tronc, et n'eut pas de mal à faire tomber son partenaire d'entraînement. Par la suite, il eut bien du mal à trouver des adversaires, car il apprit que celui qu'il avait combattu était un capitaine réputé. Sa cote de popularité, notamment auprès des parieurs, s'envola littéralement.

Vif aurait aimé le combat sur tronc mais bien plus en hauteur, comme cela se faisait chez elle : les Hommes des Bois avaient l'habitude de lutter dans les branches des arbres. Elle aurait voulu s'entraîner à la lutte, mais elle fut déçue de la réponse qui lui fut faite : contrairement aux autres épreuves, la lutte à mains nues était interdite aux femmes : elle se pratiquait sans armure, pieds et torse nus. La Femme des Bois arriva à pousser son ami aux chevaux blancs dans un petit entraînement à la lutte sur un tronc. Aucun n'arriva à l'emporter sur l'autre : ils savaient tous les deux lutter correctement, mais ils étaient trop rapides et leur pied était trop sûr, autant l'un que l'autre. Sa flemme légendaire fit capituler Geralt le premier.

7 - Les seize épreuves
La veille du tournoi, les gens affluèrent de toutes parts, au grand plaisir de Mordin pour qui les affaires reprirent. En effet, il n'était pas facile d'écouler du matériel extrêmement coûteux comme des hauberts de mailles complets de grande qualité. La santé de Rob s'améliorait, et il arrivait à se lever et à marcher un peu, mais il était encore trop fragile pour espérer tirer à l'arc, comme il l'aurait bien voulu. Eux deux ne participeraient pas au tournoi. Mordin envisageait de faire quelques paris pour gagner un peu d'or, se demandant sur lequel de ses amis il placerait son or. Quant à Rob, il aurait bien voulu gagner aussi de l'or à sa manière, mais vu son état ce serait plus qu'imprudent. Les cinq autres espéraient bien participer, encore fallait-il savoir à quoi.

Les joutes et épreuves furent bientôt annoncées. Il y aurait en fait quatre joutes qui se succèderaient dans la journée du lendemain, elles-mêmes divisées en trois à cinq épreuves comportant chacune plusieurs rondes. Chacun pouvait s'inscrire, contre une pièce de bronze, à n'importe quelle épreuve de n'importe quelle joute de son choix, et autant qu'il avait de courage ou d'argent. Chacun amenait son propre matériel, qu'il s'agisse de cheval, d'arc, d'épée ou armure. La lutte à mains nues était réservée aux seuls hommes, et le lendemain montra que les femmes nordiques, bien que moins nombreuses, ne manqueraient pas à l'appel. D'ailleurs, nombreux étaient ceux à parier sur Bronwyn. Il y aurait un vainqueur dans chaque joute, celui ayant remporté le plus de points cumulés aux épreuves proposées. Mais il n'était pas imposé de participer à toutes.

La première joute s'appelait l'Heure de l'Archer, et commencerait au lever du jour. Elle comporterait trois épreuves : tir fixe sur cibles de plus en plus petites ou éloignées, tir à cheval au trot puis au galop parallèlement à des cibles de plus en plus éloignées, et tir rapide sur des cibles envoyées en l'air depuis trois points éloignés dont l'archer était le centre. Elle serait suivie en cours de matinée et début d'après-midi par l'Heure du Cavalier, théâtre de cinq épreuves : course (montée) normale, course d'obstacles, course croisée, course d'équilibre et course de combat. La troisième était une course comportant un croisement : il fallait se glisser entre les adversaires arrivant à la perpendiculaire... ou forcer le passage sans heurter personne. La quatrième était une course debout sur le cheval, sans selle ni rênes ou autre équipement. La dernière consistait à faire tomber des cibles à l'aide d'une lance le plus rapidement possible.

Après quoi l'après-midi serait consacrée à l'Heure du Guerrier, divisées en cinq épreuves : combat normal à l'épée, combat en équilibre sur un tronc au sol, combat en nature sur terrain difficile (broussailles, marais, pente rocailleuse), combat monté sur cheval au pas, et lutte à mains nues. Cette dernière épreuve pourrait éventuellement se dérouler de nuit autour des feux, et elle serait suivie du repas. Pendant et après le repas viendrait l'Heure du Barde, comportant trois épreuves : chant et musique, histoires, et devinettes. Elle était susceptible de se dérouler jusque tard dans la nuit et attirerait sans doute bien moins de participants mais tout autant voire plus de spectateurs, n'étant pas destinée au même public.

Le matin des joutes se leva que Mordin était déjà prêt, comme d'autres négociants, à vendre sa marchandise. Avec un certain succès qui éclaira son visage d'un large sourire pendant tout le jour. Il avait été aidé en cela par des sorts réguliers du Dunéen pour amplifier sa voix, ainsi que la publicité que ses amis lui firent. Les gens affluaient pour s'inscrire aux différentes joutes et épreuves, ou se dirigeaient vers les champs où les épreuves d'archerie allaient se dérouler. Drilun prit son arc et se demanda combien de carquois de flèches il allait emmener. Isilmë prit également son équipement et partit s'inscrire, tandis que les gens s'écartaient devant elle. Taurgil et Geralt s'interrogèrent : allaient-ils participer à l'Heure de l'Archer, ou se réserver pour la suite ? L'assassin appréhendait toute la fatigue et les efforts que la journée allait lui coûter...
Modifié en dernier par Niemal le 26 août 2015, 08:40, modifié 3 fois.
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Horselords - 15e partie : joutes nordiques

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1 - Participants et spectateurs
Le Dúnadan finit par s'inscrire aux côtés de l'elfe et du Dunéen. Il savait qu'il n'avait aucune chance face à ses amis, mais il tenait à participer, à se montrer. L'homme aux cheveux blancs, pour sa part, préféra se ménager et ne pas prendre part aux épreuves d'archerie. Il aurait bien assez à faire avec les courses à cheval et les combats, et il aurait bien fait une grasse matinée, mais il sentait qu'il devait quand même être présent : il était important de se montrer et d'être prêt à toute éventualité. Isilmë, Drilun et Taurgil se rendirent sur le terrain de la première épreuve, le tir fixe sur cible. En plus de leurs propres flèches, Mordin leur avait fourni des flèches plus classiques, de moins bonne qualité. Ils garderaient les meilleures pour les moments plus difficiles, car les flèches n'étaient pas récupérées entre chaque ronde de tir.

Les épreuves avaient lieu au bord des collines sur lesquelles la ville était bâtie, aussi de nombreux spectateurs pouvaient-ils suivre les épreuves depuis le sommet du rempart de terre qui servait de fortification. C'est ce que choisit de faire Vif, même si elle allait régulièrement sur la place du marché pour tenir le nain marchand au courant de l'évolution de la joute. Pour sa part, Rob ne se sentait pas trop de rester debout ou assis trop longtemps et il préféra rester à se reposer dans le chariot qui l'avait amené, avec une dizaine de mercenaires pour le garder, de même que leurs affaires. D'autres hommes libres de Rult étaient présents auprès de Mordin pour surveiller ses affaires et son or, tandis que certains participaient eux aussi, comme Rult lui-même et son second.

La Femme des Bois, lors de ses allées et venues, se rendit vite compte que certains spectateurs n'étaient pas là que pour regarder les joutes. En fait, elle reconnut quelques Hommes des Bois comme elle, dont certains qu'elle était presque sûre d'avoir déjà vu... à Forpays. Elle les héla et montra qu'elle les avait bien repérés, et put faire le lien avec d'autres personnes présentes : les voleurs de Forpays étaient bien là, dont certains qui tournaient autour du nain, dont les échanges emplissaient peu à peu la bourse d'un or bien tentant...

En plus de bien montrer qu'elle n'était pas dupe et qu'ils étaient repérés, elle vit aussi Rillit l'écureuil avec un groupe de ses probables collègues ou étudiants. Elle alla le voir et discuta le bout de gras avec lui, après avoir prévenu le nain. Le chef des cambrioleurs lui confirma qu'ils étaient bien venus de Forpays exprès pour l'événement présent. A la demande expresse de la Femme des Bois, et du nain à travers elle, il accepta sans problème de ne pas toucher aux affaires de Mordin ou de ses amis, ni à celles des autres nains présents. De toute manière, il n'était pas là pour cela ; en revanche, les pickpockets, eux... et ce n'était pas lui leur chef.

Néanmoins, Rillit prévint les autres voleurs qu'il valait mieux ne pas chercher les ennuis. Cela, plus l'œil très exercé de Vif, firent que Mordin n'eut aucun problème de la journée, ce qui ne fut pas le cas de tous. Par contre, prise entre l'observation des épreuves et la surveillance des marchandises du nain, la Femme des Bois ne put savoir ce que Rillit faisait là, et lui et ses acolytes firent bien attention à ne pas rester en vue d'elle. De la journée, elle ne put déterminer ce qu'ils avaient fait. Cela étant, elle vit un certain nombre de spectateurs se faire délester de leurs bourses. C'était assez facile vu le monde présent - la population de la ville avait été multipliée par dix - mais les voleurs faisaient bien attention à ne pas se faire prendre. Le vol pouvait parfois être sévèrement sanctionné, surtout en cas de récidive.

Avant même que les premières flèches du concours d'archerie fussent lancées, les paris allaient bon train, même si en fait c'était plus pour des seconds rôles. En effet, les nordiques semblaient en grande majorité convaincus de la future domination de Bronwyn, qui passait pour la meilleure archère du clan voire du Rhovanion. Mais Mordin, lui, contesta cette domination et proposa à des capitaines nordiques de parier une de ses armures de mailles de qualité... contre un bon cheval. Cinq nordiques relevèrent le défi, trop contents d'acquérir un bon haubert de mailles aussi facilement. Le nain sourit et fit prévenir son ami que sa victoire pouvait leur rapporter l'équivalent de cent cinquante pièces d'or au cours actuel du cheval... au moins. C'était le plus gros pari de cette joute, et en fait il n'y en eut aucun de plus gros de toute la journée.

2 - L'Heure de l'Archer
Drilun sentit donc davantage de pression sur ses épaules, mais il restait confiant. Les premiers tirs commencèrent. Il n'y avait qu'un peu plus d'une quarantaine d'archers à participer, mais cela faisait trois fois plus de flèches envoyées au cours de la première ronde : chaque archer envoyait en effet trois flèches dans la cible, et il était éliminé si plus d'une flèche ratait son objectif sur les trois. Les cibles étaient représentées par des anneaux de couleur concentriques peints sur des supports de paille amovibles. A chaque ronde, la difficulté augmentait.

Après la première ronde, les défections commencèrent à se faire, et au moment d'arriver au cercle noir au centre de la cible, les prétendants ne se comptaient plus que sur les doigts d'une main : Bronwyn, Isilmë, Drilun, Rult, et un capitaine nordique appelé Feowulf. Puis les cibles furent reculées, et il ne resta bientôt plus que la fille du prince, l'archer-magicien et l'elfe. Cette dernière fut ensuite éliminée, tandis que les cibles s'éloignaient encore et encore. Bronwyn était vraiment une archère de grand talent... mais Drilun l'était encore plus, sans parler de son matériel magique. Il battit sans mal la fille d'Atagavia, sous les hourras de la foule. Les paris commençaient à changer, et certains nordiques jetèrent un regard noir à Mordin, qui sourit.

Arriva l'épreuve de tir à cheval. Chacun son tour, sur plusieurs terrains différents, les participants devaient passer à cheval devant trois cibles et planter une flèche dans le centre de chacune. Puis il fallait refaire un passage depuis un peu plus loin, et ainsi de suite, jusqu'à mettre plus d'une flèche sur les trois en dehors de la cible. L'allure commençait avec le trot, puis le galop après deux passages, et enfin le grand galop après deux autres. Une personne qui n'arrivait pas à faire galoper son cheval assez vite était éliminée, ce qui était loin d'être une tâche facile quand les mains étaient prises par arc et flèche. Ce fut l'occasion de découvrir la splendide, costaude, rapide et très obéissante monture de Bronwyn... et la grande maîtrise de la cavalière.

Isilmë fut bien vite éliminée, l'équitation n'ayant jamais été sa tasse de thé. Taurgil tint plus longtemps, mais lancer le cheval au grand galop tout en tirant à l'arc fut trop difficile pour lui. Très rares étaient les cavaliers capables d'arriver à le faire et à planter leurs flèches dans la cible, et Bronwyn était l'un d'eux. Elle arriva jusqu'au deuxième passage au grand galop avant d'être éliminée, sous les acclamations des spectateurs. Mais Drilun, même s'il n'était pas aussi bon cavalier qu'elle, s'était tout de même bien amélioré depuis le temps où il finissait la tête en bas, attaché au cheval que ses compagnons tiraient à l'aide d'une corde. Il poussa son cheval au grand galop sans grand mal et arriva lui jusqu'au troisième passage au grand galop, à l'ébahissement de tous : personne n'avait jamais vu quelqu'un arriver aussi loin dans cette épreuve !

Tandis que les nordiques avec qui Mordin avait parié commençaient à avoir des sueurs froides, la dernière épreuve de tir à l'arc débuta. Tour à tour, chaque archer se plaçait à équidistance de trois abris d'où des nordiques lançaient des cibles en l'air. Face à un abri, les deux autres étaient dans le dos de chaque côté. Les cibles n'étaient pas envoyées en même temps, il fallait donc guetter la première avant de se tourner d'un côté ou l'autre. L'épreuve demandait donc de la perception et de la rapidité... Comme précédemment, une personne était éliminée si elle ratait plus d'une cible. Sinon, trois autres cibles étaient envoyées en l'air, mais plus petites, plus vite, moins haut...

Si Drilun était loin d'être le plus perceptif des aventuriers, il était tout de même loin d'être ridicule. Et même s'il ne réagissait pas aussi rapidement que Vif ou Geralt l'auraient fait, sa maîtrise de l'arc et son matériel lui permettaient d'abattre les cibles même lorsqu'elles semblaient déjà prêtes à toucher le sol. Il passa parmi les premiers, et, ne sachant jusqu'où la fille d'Atagavia allait arriver, il donna le maximum de lui-même. Là encore, il domina tous ses concurrents, Bronwyn comprise, et remporta l'épreuve et la joute en même temps. Et il n'avait utilisé qu'une seule de ses flèches magiquement préparées. Cela n'avait pas toujours été facile et il n'avait pas toujours ménagé son énergie, mais il avait largement dominé et gagné, sa victoire était méritée et sa fierté aussi. Et Mordin fit la meilleure acquisition de sa carrière sans avoir déboursé la moindre pièce...

3 - L'Heure du Cavalier
Cette joute comportait cinq épreuves, mais seul Taurgil choisit de participer à toutes. Geralt, lui, décida d'en faire quatre sur les cinq. Il avait passé du temps à inspecter les différents parcours et les possibles pièges de gens mal intentionnés, mais n'avait rien vu. Vif avait choisi, elle, de participer à une seule épreuve, celle de l'équilibre. La veille au soir, elle avait même fait magiquement subir à son corps une transformation invisible et acquis le sens de l'équilibre d'un félin. Il y avait là beaucoup plus de monde que pour les archers, et plus de deux cents cavaliers et leurs montures se pressaient au départ de la première épreuve. La difficulté venait d'ailleurs du goulet d'étranglement que cela provoquait : pour presque toutes les épreuves, il fallait lancer son cheval le plus vite possible pour passer dans les premiers et ne pas perdre du temps dans le "bouchon".

La première épreuve était une course simple sur environ quatre miles (~ 6,4 km). Une fois le départ donné, Taurgil fut pris dans le "bouchon" du départ, et il n'arriva pas à remonter son retard par la suite. En revanche, Geralt s'était mieux débrouillé, même s'il avait été pris de vitesse par Bronwyn et quelques bons cavaliers nordiques comme Feowulf, mais surtout un autre qui s'appelait Barlof et encore un autre du nom de Warstaf. Néanmoins, petit à petit, il grignota l'avance que les autres avaient pour se retrouver non loin de la fille d'Atagavia, en tête depuis le début avec sa monture de très grande qualité. A sa grande surprise, il arriva à la dépasser pratiquement sur le poteau ! Il empocha les cinq points de l'épreuve, Bronwyn se contenta de la deuxième place et trois points, et Barlof deux points en tant que troisième.

La seconde épreuve était une course d'obstacles. En dehors du départ toujours délicat, que Geralt géra admirablement, cinq passages difficiles voire très difficiles à franchir se dressaient sur la route des cavaliers. Par ailleurs, deux raccourcis pouvaient être pris et permettaient de gagner du temps, mais au prix de franchissements très difficiles. Très peu les prirent, dont bien entendu Bronwyn, mais également Barlof et le maître-assassin. Si le nordique ne parvint pas à rattraper la fille d'Atagavia, en revanche l'Eriadorien arriva à remonter tout le monde et passa encore une fois devant la favorite. Elle finit donc deuxième et Barlof troisième.

La troisième épreuve était la plus risquée et rassembla moins de monde - environ quatre-vingt. C'était une course sur trois tours mais dont le circuit faisait un 8. Il y avait donc un croisement où il fallait trouver un trou où se glisser lorsque les concurrents arrivaient à la perpendiculaire... ou alors il fallait forcer le passage, ce qui pouvait entraîner une collision si personne ne cédait. Si Geralt, avec son œil exercé, trouva sans mal à se faufiler entre montures et cavaliers, il vit que les autres nordiques avaient du mal à forcer le passage face à Bronwyn, qui arriva ainsi à le rattraper et à le dépasser, et il ne finit que deuxième, avec trois points contre cinq pour elle. Barlof arrivait troisième : il était très intimidant quand il voulait et avait souvent forcé le passage ainsi, notamment contre Taurgil.

La quatrième épreuve, celle de l'équilibre, ne rassembla pas plus de monde que la précédente : il fallait rester debout sur son cheval, sans selle ni rênes, et faire toute la course ainsi. Une chute n'était pas éliminatoire mais faisait perdre du temps, et trois petits obstacles à franchir venaient pimenter la course. Si les nordiques savaient bien mener leurs montures même comme cela, ils n'étaient pas pour autant d'aussi bons équilibristes que l'homme aux cheveux blancs ou la Femme des Bois. Même si les aventuriers n'avaient pas forcément pris le meilleur départ, ils furent les seuls à rester en selle sans jamais tomber et arrivèrent en tête, avec Geralt premier et Vif en second, et Bronwyn "seulement" troisième, qui avait fait une chute.

La dernière épreuve consistait, sur un parcours, à transpercer/faire tomber des cibles de paille ou de bois le plus vite possible. A chaque ronde, les cibles étaient remplacées par d'autres plus petites ou plus éloignées, et les cavaliers qui rataient trop de cibles ou mettaient trop de temps étaient éliminés. Seul Taurgil participait, mais seulement pour le principe car il ne savait pas se servir d'une lance, et il fut éliminé dès le début. C'est Bronwyn qui remporta l'épreuve, avec Barlof en second et Warstaf en troisième. Au final, Bronwyn avait dix-huit points : elle était arrivée deux fois première, deux fois deuxième et une fois troisième. Geralt, lui, avait été premier trois fois et deuxième une fois, pour un total de dix-huit points également ! Enfin, Barlof arrivait ensuite avec dix points. Cette joute comportait donc deux premiers ex-æquo.

4 - L'Heure du Guerrier
La troisième joute comportait également cinq épreuves. Cinq aventuriers y participèrent. Après diverses hésitations, Geralt s'inscrivit à toutes les épreuves, y compris la lutte à mains nues qui ne le tentait guère. Taurgil ne participa pas à cette dernière mais à toutes les autres. Isilmë ne pouvait participer à la lutte et sa maîtrise de l'équitation était insuffisante, donc elle ne s'inscrivit pas non plus au combat monté, ce qui laissait trois épreuves. Drilun fit acte de présence en allant à l'épreuve du combat normal. Vif ne pouvait aller à la lutte, à son grand dam, et se contenta juste de l'épreuve du combat en équilibre sur un tronc d'arbre posé au sol.

La première épreuve, le combat normal - le plus souvent à l'épée - réunit autour de trois cents personnes. Les guerriers étaient réunis en poules de douze personnes et faisaient au moins quatre combats individuels, le temps de trouver les quatre meilleurs guerriers. Ensuite les gens étaient répartis de nouveau en poules de douze personnes dont on prenait les quatre meilleurs, puis en poules de quatre personnes dont deux étaient éliminées. Ce qui laissait seize finalistes qui s'affrontaient avec élimination directe lors de quatre combats chacun, depuis les huitièmes de finale jusqu'à la finale. Une personne était vaincue si elle recevait une blessure légère (premier sang) ou trois coups douloureux, chacun devant signaler quand il avait été touché. Une blessure grave enlevait de nombreux points et une blessure mortelle ou fatale entraînait l'élimination de toutes les joutes, et le paiement d'une forte amende. Ces combats ne devaient pas entraîner d'autre conséquence que des gênes mineures, à charge pour tous de bien gérer leurs coups.

Si Drilun résista un moment dans cette première épreuve, il ne put arriver jusqu'aux finales, auxquelles parvinrent tous ses amis qui participaient. Et ce malgré quelques sorts pour dévier les lames et lui permettre d'aller plus loin, ce qui ne fut pas sans provoquer quelque méfiance de la part de nordiques qu'il avait battus. En revanche, Geralt, Taurgil et Isilmë arrivèrent tous les trois jusqu'en demi-finale. Sans Bronwyn, qui était tombée un peu auparavant face au maître-assassin, qui fut le premier à la battre - elle tomba souvent contre lui lors des finales, à son grand dam. Isilmë perdit face au Dúnadan en demi-finale, mais elle vainquit leur chef mercenaire, Rult, et finit ainsi troisième, malgré ses nombreuses petites blessures. Le combat entre Geralt et Taurgil fut mémorable, la maîtrise supérieure du premier étant grandement compensée par l'armure de mithril du second. En fin de compte, c'est l'assassin qui triompha. Trois aventuriers finissaient aux trois premières places !

La seconde épreuve, le combat sur un tronc d'arbre posé au sol, faisait intervenir le sens de l'équilibre, domaine où Vif dépassait tout le monde. Cela lui permit ainsi, à la stupeur générale, d'arriver à passer dans le dos de Barlof, contre lequel elle combattit. Mais sa faible maîtrise à l'arme ne lui permit pas de le blesser et elle fut éliminée. En revanche, si Isilmë n'arriva pas aussi loin que précédemment, Taurgil et Geralt arrivèrent tous deux en demi-finale, l'un contre l'autre. L'homme aux cheveux blancs eut un faux pas qui le fit lourdement chuter et perdre l'épreuve contre son ami, et il dut se contenter de la troisième place après un dernier combat. Le Dúnadan, pour sa part, remporta haut la main la finale contre Feowulf, qui s'était déjà distingué lors du concours d'archerie.

La troisième épreuve, qui rassemblait toujours près de trois cents personnes comme les deux précédentes, se tenait dans des conditions environnementales difficiles : sol marécageux, ou sur pente pierreuse et traîtresse, voire dans des épais fourrés. Toute chute était une victoire pour l'adversaire. Malgré l'aide de sa magie, Isilmë ne put à nouveau arriver aussi loin que ses deux amis, qui finirent à nouveau l'un contre l'autre en finale. Cette fois-ci, Geralt prit sa revanche et termina premier, Taurgil deuxième et Feowulf troisième.

Le combat à cheval constituait la quatrième épreuve. Les participants évoluaient au pas, et la plus ou moins grande maîtrise de leur monture pouvait leur donner un avantage de position. Les nordiques auraient pu espérer dominer les aventuriers, mais leur supériorité à cheval ne fut pas assez grande pour compenser la grande maîtrise aux armes de Geralt ou l'armure de mithril de Taurgil. Tous deux finirent à nouveau en finale, Bronwyn ayant encore été éliminée contre le maître-assassin, en demi-finale cette fois-ci - elle put accéder à la troisième place. Les deux amis croisèrent à nouveau le fer et l'homme aux chevaux blancs l'emporta à nouveau...

L'épreuve de la lutte arriva enfin, alors que la nuit était déjà tombée. Elle se déroula donc entre plusieurs feux, mais ne rassembla qu'une soixantaine de lutteurs. En effet, nombreux étaient les guerriers blessés qui ne désiraient plus qu'être spectateurs, d'autant qu'ils ne bénéficiaient pas de la magie des soins de Taurgil ou Isilmë pour guérir leurs corps et apaiser leurs souffrances. A sa grande surprise, Geralt arriva jusqu'en finale où il retrouva Barlof, grand guerrier nordique agressif et bien plus costaud que lui. Mais le nordique avait reçu plusieurs blessures qui l'affaiblissaient, et il s'agissait d'immobiliser l'adversaire et non de lui porter des coups, ce qui favorisait la vitesse et la dextérité du maître-assassin. Après un long combat, c'est finalement l'aventurier qui l'emporta sur le nordique et qui prit la première place. Après quoi Vif défia le vainqueur - défi accepté par Geralt - et le battit à plate couture en quelques secondes, à la stupéfaction des spectateurs. Elle n'avait pu participer en sa qualité de femme, mais au moins elle avait montré qu'à mains nues elle était la meilleure.

5 - L'Heure du Barde
Le repas arriva et fut l'occasion de profiter des épreuves de chant et musique, conte, et devinettes. Trois épreuves pour le repos des guerriers, essentiellement destinées à animer la soirée et à mettre en valeur ceux qui avaient la langue ou la main la plus habile, ou l'esprit le plus acéré et imaginatif. Aucun de ceux qui avaient concouru aux épreuves guerrières ne participa, à deux exceptions près : Geralt s'inscrivit à l'épreuve du conte, tandis que Vif voulut participer à celle des devinettes, car elle aimait beaucoup ces jeux de l'esprit et elle en connaissait un grand nombre. Malgré le caractère peu guerrier et bien plus intellectuel de ces dernières épreuves, le prince et sa fille semblait beaucoup les apprécier et ils restèrent présents et attentifs jusqu'au bout. A côté de ça, petit à petit le nombre de spectateurs diminuait, tandis que les guerriers moulus et blessés allaient chercher un repos bien mérité.

La première épreuve ne consistait en rien d'autre que de proposer à l'auditoire le meilleur morceau de musique ou chant possible. Une quarantaine de bardes concoururent et proposèrent de quoi charmer les oreilles des nordiques et leurs invités bien au-delà du repas. Ils ne passaient qu'une seule fois, et le succès qu'ils obtenaient était mesuré par le nombre de pièces qu'on leur lançait, et qu'ils gardaient pour eux, en plus des nombreux applaudissements. Aucun aventurier ne participait mais ils purent apprécier la qualité de certains bardes, dont l'un se distingua nettement par sa voix pure et sa musique pénétrante - il arriva largement en tête de tous les participants.

Pour la seconde épreuve, celle du conte, Drilun améliora magiquement la voix de son ami afin de la rendre plus chaude et agréable. Faisant face essentiellement à des guerriers, Geralt choisit de leur parler de leur combat contre le dragon dans la montagne magique du nord du Rhudaur, tout en omettant certains détails et en enjolivant d'autres. Il avait l'habitude de raconter de telles histoires dans les fermes où ils s'arrêtaient parfois, et, l'ayant vu combattre, les nordiques pouvaient facilement croire qu'il avait pu tuer un dragon avec l'aide de ses amis. Son récit eut le plus grand succès de tous, et il remporta là sa huitième épreuve de la journée, face à une trentaine d'autres conteurs.

La dernière épreuve de ces joutes arriva enfin, alors que la nuit était déjà bien avancée. Vingt personnes y participèrent, dont la Femme des Bois. Chacun leur tour, les participants devaient proposer une devinette aux autres. Une fois que chacun avait parlé, tous ceux dont la devinette avait été trouvée et qui n'avaient pas pu, le premier, donner la solution d'une autre, étaient éliminés ; et cela recommençait. En général, une fois que la personne avait parlé, il se passait quelques secondes avant que quelqu'un ne trouvât la solution. Mais dans quelques cas, après l'équivalent d'une minute environ, la solution fut donnée pour quelques devinettes que personne n'avait trouvées.

Quels sont les fruits que l'on trouve dans chaque maison ? Il ne fallut pas longtemps à Vif pour deviner qu'il s'agissait des coings (coins) et des mûres (murs). Rapidement, elle fut de loin la personne qui avait trouvé le plus de devinettes. Deux fois fut-elle aidée par ses amis qui avaient trouvé la solution et elle non. Mais ils avaient chuchoté très légèrement, de manière à ce qu'elle seule, qui avait des sens très exercés, puisse les comprendre. Après le premier tour les concurrents étaient passés de vingt à six. Bientôt ils ne furent plus que deux, qui échangèrent sans que l'un prenne le dessus. Enfin, la Femme des Bois arriva à poser une devinette à laquelle son adversaire ne sut répondre, alors qu'elle avait trouvé celle qu'il lui avait posée. Et elle remportait ainsi sa première et unique épreuve... Mais ni Geralt ni elle ne remportèrent la joute, n'ayant participé qu'à une seule épreuve sur les trois. Néanmoins ils arrivaient tous deux en troisième place, à égalité.

6 - Récompenses
Le moment de la remise des prix arriva. Tour à tour, les premiers de chaque joute s'avancèrent et reçurent de la main même d'Atagavia un présent pour récompenser les vainqueurs. En soi l'objet reçu était rarement exceptionnel, surtout quand on sait que les vainqueurs étaient souvent déjà très bien équipés. En revanche, c'était aussi une reconnaissance, voire une consécration, et les aventuriers, présents parmi les vainqueurs des quatre joutes, espéraient bien qu'ils en retireraient des facilités pour la suite de leur quête de chevaux. Si les spectateurs étaient des Waildungs dans leur grande majorité, des nordiques d'autres clans étaient aussi présents et l'annonce de leur victoire se connaîtrait certainement bien assez vite.

Deux fois Bronwyn s'avança, ayant été deuxième archère, après Drilun, et première cavalière à égalité avec Geralt. Néanmoins, elle refusa systématiquement les prix en prétextant qu'elle n'était pas forcément la plus méritante, au vu des facilités qu'elle avait ou qu'elle avait eues grâce à son père, ou au soutien des siens. Il est vrai que lors de la course croisée, par exemple, son statut et l'amour que les nordiques avaient pour elle avaient eu un impact certain. Drilun et Geralt furent également tentés de refuser deux de leurs prix, au grand dam de Mordin qui s'étrangla presque et fit comprendre par gestes qu'il tenait à ce qu'ils ramenassent ces objets pour qu'il puisse en tirer un bon prix s'ils ne les voulaient pas...

Et donc les prix furent remis. Pour la joute des archers, il ne s'agissait que d'un arc et d'un carquois de flèches à chaque vainqueur. En revanche, tous n'étaient pas de la même qualité. Sans surprise, le premier de la joute avait le meilleur matériel, tandis que le second avait arc et flèches un peu supérieurs à la normale, et le troisième obtenait du matériel d'archerie dans aucune qualité particulière. Néanmoins, même si pour des aventuriers suréquipés et très riches cela pouvait paraître insignifiant, comme Mordin l'avait si bien fait comprendre, cela représentait tout de même de nombreux jours de travail d'artisan, et un prix non négligeable... Mais pour Drilun, c'était moins que ce qu'il avait déjà, et il donna son prix à l'archer qui venait après lui.

Pour la joute des cavaliers en revanche, personne ne refusa son prix, à l'exception de Bronwyn. Il s'agissait en effet de chevaux. Geralt obtint ainsi une excellente monture dont il n'avait pas encore possédé d'équivalent. En fait, il se souvenait d'en avoir vu seulement deux autres encore meilleures : l'ancien étalon d'Aradan Marwen qui avait été pris par Narmegil, et le cheval de Bronwyn. Et vu la rareté actuelle des chevaux, c'était pour lui un excellent cadeau, et qui allait bien lui servir ! Les deux autres prix étaient des chevaux de qualité moindre, mais quand même supérieure à ce qui se trouvait d'habitude en Eriador.

Pour le combat, Geralt obtint une épée de grande qualité, mais là encore inférieure à ce qu'il possédait déjà. Il voulut la remettre à la personne après lui, mais les simagrées du nain finirent par le faire changer d'avis. Pour les joutes verbales destinées aux bardes, des instruments de musique étaient offerts. Après un moment d'hésitation, le maître-assassin et la femme féline finirent par prendre un instrument chacun. Qui sait si cela ne leur servirait pas un jour ? Bien qu'ils ne sachent nullement en jouer, certains aventuriers comme Drilun ou Isilmë avaient quelques notions...

Mais le meilleur prix restait à venir. Mordin et ses amis virent Bronwyn chuchoter à l'oreille de son père, qui eut un demi-sourire puis un soupir. Après un moment de réflexion, il annonça qu'il acceptait que sa fille puisse partir avec les ambassadeurs d'Arthedain faire la tournée des chefs nordiques. Il avait été impressionné par leurs capacités, et donc il consentait à ce qu'elle prît le risque de les accompagner, dans la mesure où c'était ce qu'elle désirait. Sa fille parut ravie, et elle se retrouva bientôt avec les aventuriers à discuter des modalités de leur prochain voyage.
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Horselords - 16e partie : Ailgarthas

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1 - Départ précipité
Il était tard et nombreux étaient ceux qui ne souhaitaient rien d'autre que dormir. La conversation avec la fille d'Atagavia fut donc réduite au strict minimum : il fut convenu de partir le lendemain en matinée, le moment exact et les modalités restant à déterminer. Pour sa part, Geralt ne comptait pas se lever avant l'heure du déjeuner... Pourtant, la princesse nordique arriva bien plus tôt que prévu, à peine une demi-douzaine d'heures après avoir quitté les aventuriers. Si Isilmë et Mordin étaient parfaitement reposés, les autres émergeaient tout juste du sommeil et beaucoup sentaient encore douleurs et courbatures liées aux épreuves de la veille. Taurgil avait fait son maximum pour soigner les blessures, mais cela ne remplaçait pas une bonne grasse matinée...

Bronwyn se montra un peu nerveuse et pressée de se mettre en route. Elle posa diverses questions sur l'épée remise en cadeau à son père, avant d'avouer que cette épée avait disparu la veille ou pendant la nuit. Elle avait eu un doute en se couchant et elle s'était levée tôt pour en avoir le cœur net, avant d'arriver à cette conclusion. Son père commençait à se demander où elle était, et elle craignait qu'il ne changeât d'avis au sujet du départ de sa fille une fois qu'il comprendrait que son cadeau s'était envolé. Vif et les autres pestèrent après Rillit l'écureuil, chef des cambrioleurs de Forpays, qui était certainement à l'origine du vol. La Femme des Bois se souvenait de l'avoir vu rôder avec ses "apprentis" autour de la longère des princes Waildungs, la veille.

Contrairement aux désirs de Mordin, la princesse nordique ne souhaitait pas s'encombrer de chariots : elle n'avait que peu de considérations pour les désirs de commerce du marchand nain. Il faudrait parcourir les vastes plaines à la recherche de princes nordiques dont certains risquaient d'être en déplacement. La mobilité était donc essentielle, sans parler des risques possibles de rencontre d'ennemis. Les chariots ralentiraient trop le groupe, il faudrait les laisser sur place, ils attendraient le retour de l'équipe. Ce qui voulait dire, en plus de laisser les armures, armes et bijoux et autres destinés à la vente, de laisser les nombreux livres pris au château de Forpays ; mais aussi Rob, dont la guérison était loin d'être achevée.

Tandis qu'un membre du groupe partait secouer Geralt hors de son lit de paille, les autres discutaient de la manière de s'assurer que rien de fâcheux ne puisse arriver à tout ce qui serait laissé en arrière. Il fut décidé que les hommes libres de Rult seraient divisés en deux groupes. Les plus perceptifs resteraient sur place avec le lieutenant de Rult et veilleraient sur le hobbit et les possessions des aventuriers ; les autres, dont les plus robustes et adroits au combat, partiraient avec leur chef comme escorte de Bronwyn et du reste du groupe. En passant, Mordin leur prêta armes, armures et chevaux chaque fois que les mercenaires pouvaient profiter d'un meilleur équipement. Ainsi, le nain continuerait à veiller sur une partie de sa précieuse cargaison. Et ce prêt, qui pourrait éventuellement devenir plus, pouvait servir de salaire pour l'ensemble du groupe, évitant toute comptabilité ultérieure.

C'est ainsi qu'en milieu de matinée, dix-huit chevaux et leurs cavaliers s'élancèrent au galop vers l'est puis le nord : dix mercenaires plus leur chef, six aventuriers, et une princesse nordique. Ils avaient fini par se décider sur la route à suivre : ils commenceraient par le nord et les Ailgarthas. Mahrcared, leur chef, ne serait sans doute pas difficile à convaincre de s'allier aux autres princes pour mener une guerre contre les Sagaths. Si les aventuriers étaient là d'abord pour des chevaux, il était clair que la menace orientale empêcherait tout commerce significatif des chevaux tant qu'elle serait bien présente. Et puis quelle que serait l'issue de cette guerre, leur aide était aussi un sésame pour entrer dans les bonnes grâces des seigneurs cavaliers.

2 - Mahrcared
Le premier objectif de la troupe était Buhr Ailgra, la capitale des Ailgarthas. Elle était distante d'une centaine de miles (~ 160 km) de Buhr Widu par la route d'Araw, qui allait vers l'est, puis la route de la Celduin, qui partait vers le nord et Esgaroth (Lacville). En ce début de printemps, vu la matinée déjà avancée, cela ne laissait que huit-neuf heures avant que la nuit tombe, d'où l'intérêt d'aller vite. Ce qui ne fut pas forcément au goût de tout le monde. Isilmë prit sur elle et arriva à tenir l'allure. Le maître-assassin, s'il était un excellent cavalier, avait par contre horreur de tels efforts. Mais il suivit le reste du groupe en gardant ses récriminations pour lui... la plupart du temps.

En chemin, Bronwyn parla aux aventuriers du chef des Ailgarthas, Mahrcared. C'était un homme exceptionnel à plus d'un titre, et il n'était pas sans faire penser aux Béornides, de l'autre côté de la forêt. D'abord par son apparence voire son caractère : grand et costaud, il n'hésitait pas à partir combattre Sagaths et autres ennemis. Mais il dénotait aussi par son âge, bien avancé : il avait plus de quatre-vingt ans, mais son énergie semblait inépuisable et on lui en aurait donné la moitié, malgré ses cheveux plus blancs que blonds. D'ailleurs, il avait une épouse de quarante ans plus jeune que lui, et des enfants adolescents : sa première épouse et sa descendance avaient tous péri il y avait de nombreuses années, suite à un raid d'orcs de la forêt. Malgré son grand âge, il passait pour être peut-être le plus grand guerrier de tout le Rhovanion, et il était particulièrement détesté et craint des orientaux.

La fille d'Atagavia expliqua aussi qu'elle n'était pas sûre du tout de trouver Mahrcared à sa capitale. En effet, il était souvent parti au printemps, comme beaucoup de guerriers. Les Ailgarthas étaient plus susceptibles d'être attaqués que les Waildungs, son clan à elle. Par conséquent, les rôles sociaux étaient plus distincts au sein du clan du nord que dans le sien : les camps mobiles qui suivaient les pérégrinations des troupeaux de chevaux étaient presque exclusivement constitués de guerriers - hommes surtout, et femmes célibataires ; tandis que les familles, soit les femmes avec enfants et les vieillards, restaient dans des camps semi-fortifiés faits de quelques longères nordiques sur des sites faciles à défendre. Et Mahrcared avait l'habitude de faire le tour des tribus et camps à la sortie de l'hiver.

Elle ne s'était pas trompée. Buhr Ailgra était une ville d'une trentaine de longères sur une colline fortifiée qui comportait une palissade, entre autres. Lorsque l'équipe arriva, elle apprit que le maître des lieux était parti une semaine auparavant. Il avait avancé sa tournée des camps et tribus en raison d'informations concernant la menace d'une grosse tribu de Sagaths. Il avait paraît-il hésité à participer au tournoi, dont il avait eu connaissance juste avant de partir avec quelques dizaines de guerriers. La présence de Bronwyn facilita grandement les échanges avec les nordiques, et le groupe put partager un repas avec les gens de la ville et en apprendre plus sur leur vie, leurs joies et leurs peines - ces dernières souvent liées aux orientaux. Depuis la Peste Noire, ces derniers avaient changé de comportement : ils se battaient beaucoup moins entre eux, et ils avaient adopté des tactiques de guérilla nocturne qu'ils n'avaient pas auparavant. Comme s'ils étaient maintenant coordonnés et dirigés par des chefs puissants et bons stratèges...

Au passage, Geralt conta les exploits du groupe lors du concours organisé à Buhr Widu, avec son habituel succès. Néanmoins, il rencontra beaucoup d'incrédulité voire de rires lorsqu'il parla de la rapidité avec laquelle son amie Vif l'avait battu à mains nues - hors concours - après sa victoire sur Barlof en finale de la lutte, le soir. La Femme des Bois invita les nordiques à venir vérifier par eux-mêmes, et un grand gaillard costaud et expérimenté se présenta vite. Mais les postures et les gestes très rapides et "animaux" de Vif le déconcertèrent, et, s'il opposa une résistance certaine, il n'arriva pas à l'empêcher de l'immobiliser avec une clef douloureuse après un moment. Ce qui valut à la femme féline un intérêt certain pour ses prouesses et techniques... entre autres.

Au matin, le groupe fut reparti dans la direction prise par le chef des Ailgarthas - vers l'est essentiellement. L'allure fut plus réduite en raison de la pluie qui tombait et des sentiers bien moins visibles ou praticables par ce temps. Il fallut en fait plusieurs jours pour pister et enfin rejoindre la troupe guerrière du chef de clan. Mais enfin, un beau jour de Gwirith (mois du "Réveil") où le soleil brillait un peu, ils distinguèrent quelques dizaines de cavaliers nordiques arrêtés non loin et en grande conversation. Quand ils s'approchèrent, des guerriers vinrent à leur rencontre et les empêchèrent d'aller plus loin, tout en s'enquérant des raisons de leur présence ici. Mahrcared était bien là, un peu plus loin, qui discutait d'une récente attaque des Sagaths, la nuit passée, avec quelques survivants.

3 - Le fléau des Ailgarthas
Les meilleurs parleurs de l'équipe, comme Drilun, firent comprendre aux guerriers nordiques qu'ils étaient là pour Mahrcared et que leur venue l'intéresserait sûrement : ils étaient au courant des problèmes des Sagaths et ils pouvaient aider. Après être allé parler à son chef, le cavalier revint en indiquant que Mahrcared s'entretiendrait avec eux au moment du repas, qu'ils prendraient ensemble. Ce qui ne tarderait guère. Les nordiques survivants avaient beaucoup chevauché pendant la nuit et dans la matinée, et certaines bêtes étaient blessées. L'une d'elles, très mal en point, fut abattue et commença à être découpée, tandis que certains allaient chercher du bois et que d'autres creusaient une fosse à feu.

Les aventuriers finirent par rencontrer le phénomène qu'était le chef des Ailgarthas. Ils se présentèrent et lui remirent son cadeau, une excellente épée que les runes magiques de Drilun avaient rendu plus vive et rapide. Geralt, qui avait pris l'habitude de s'en servir, s'en dessaisit avec peine, tant il l'appréciait. Le chef de clan trouva la lame à son goût et invita quelqu'un pour la tester. Le maître-assassin se porta volontaire et croisa le fer avec Mahrcared, sur la défensive, et il fut abasourdi quand ce dernier arriva à lui porter un coup du plat de la lame à un endroit du corps que son armure ne couvrait pas bien.

Après quoi le repas fut consacré aux palabres. Le prince nordique était foncièrement d'accord avec Bronwyn et les aventuriers concernant le projet de guerre totale contre les Sagaths. Ils étaient devenus une plaie insupportable et leurs nouvelles tactiques les rendaient presque insaisissables. Ainsi de leur dernier coup : ils avaient réussi à tromper la vigilance des guetteurs d'un camp mobile, de nuit, en profitant du temps couvert. Ils étaient tombés à plusieurs centaines sur les guerriers surpris dans leur sommeil ou à peine réveillés, qui avaient tous été massacrés. Seuls quelques gardes éloignés de l'arrivée des orientaux avaient pu s'enfuir quand ils avaient vu que tout était perdu, et ils étaient partis sous le feu des archers ennemis. Des centaines de chevaux avaient été perdus et des dizaines de guerriers étaient morts.

Et ce n'était pas le premier essai de cette troupe de Sagaths, qui rôdait près des frontières du clan ainsi que celui des Algifryonds, au nord-est. Mais ils restaient toujours proches de terres sauvages non couvertes par des clans nordiques, où d'autres tribus orientales étaient susceptibles de venir aider. Cette tribu possédait de bons guetteurs et éclaireurs, discrets, et les attaques, très rapides et souvent silencieuses - contrairement au passé - ne laissaient pas assez de temps aux nordiques pour se ressaisir ou aller chercher de l'aide. Et quand celle-ci arrivait enfin, les Sagaths étaient partis avec leur butin, en ne laissant que mort et désolation sur place.

Mahrcared était frustré de ne pouvoir combattre comme il l'avait fait toute sa vie. Les ambassadeurs d'Arthedain pensaient pouvoir aider ? Qu'ils le montrent ! Il accepta de les emmener avec lui sur les lieux du combat, dans l'après-midi. A charge pour eux de pister et repérer les attaquants et de faire en sorte de les amener dans une embuscade où les nordiques pourraient enfin leur tomber dessus. De toute manière, il faudrait d'abord enterrer ou brûler les morts et demander des renforts. Une fois les cavaliers arrivés sur les lieux du drame, en fin de journée, l'équipe comprit qu'elle disposait de près d'une journée : les nordiques ne repartiraient que le lendemain, sans doute dans l'après-midi.

Rult et ses hommes n'étaient sans doute pas assez discrets, alors que Bronwyn, qui fut testée, se révéla capable de surprendre Mordin et Drilun. Il fut décidé de l'emmener avec le reste du groupe, de même que trois éclaireurs nordiques. Ils pourraient ainsi relayer l'information auprès de la troupe de cavaliers nordiques et la guider au bon endroit, ou donner les consignes pour l'embuscade. Alors que le soleil commençait à glisser sous l'horizon, les dix cavaliers partirent en direction de l'est. Les traces étaient si faciles à suivre qu'ils ne comptaient pas s'arrêter pour la nuit, au grand désespoir de Geralt.

4 - Sur la piste
Dès le départ, Vif décida de prendre sa forme féline, tellement plus apte à suivre une piste ou voir sans être vue. Taurgil et elle se séparèrent du groupe et se dirigèrent vers un petit bosquet, tandis que l'histoire habituelle était donnée aux éclaireurs nordiques : la Femme des Bois avait une mission spéciale comme éclaireur, elle devait quitter le groupe ; tandis qu'en parallèle le Dúnadan devait aller trouver un félin enchanté appelé magiquement par l'elfe. Une fois isolés, la femme féline se déshabilla - au grand plaisir de son compagnon - et se transforma en grand félin, avec l'aide de la magie de son ami. Puis ils rejoignirent le reste du groupe et répondirent aux questions inquiètes des cavaliers ailgarthas.

Tous chevauchèrent (ou coururent) à bonne allure, tant la piste était facile à suivre. En milieu de nuit le groupe fit une pause pour faire souffler les chevaux voire eux-mêmes, et le Dúnadan en profita pour endormir magiquement la lionne et un ou deux de ses amis, afin de les aider à récupérer. Ils repartirent après une bonne heure de repos, au son des plaintes de Geralt qui annonçait sa mort prochaine, et la nuit résonna à nouveau de leur galop. Jusqu'au moment où les traces se divisèrent en deux : une piste continuait vers l'est, tandis qu'une autre poursuivait plus vers le nord. La première allait bientôt quitter les terres des Ailgarthas, tandis que la deuxième longeait plus ou moins ses frontières, tout en se dirigeant, selon les éclaireurs nordiques, en direction de collines qui marquaient la séparation entre les terres du clan et celles des Algifryonds.

L'examen minutieux des traces apporta quelques renseignements : à l'est elles étaient moins profondes que celles vers le nord. Après réflexion, la conclusion fut que l'essentiel des chevaux non montés étaient partis vers l'est, ce qui permettait d'éviter les terres du clan voisin pour se diriger vers Ilanin, afin de franchir la Celduin. En revanche, les guerriers (et guerrières) orientaux avaient dû aller vers un probable camp, moins ceux qui devaient guider les chevaux jusqu'à Ilanin et les terres des Sagaths au-delà de la Rivière Courante, nom commun de la Celduin.

C'est la piste qui menait plus au nord - vers le nord-est, en fait - qui fut suivie. Le jour arriva bientôt, et le groupe fit une pause, afin de souffler et d'examiner les environs. Les collines frontières étaient visibles dans le lointain et Vif crut entendre un hennissement très loin, dans cette direction, hennissement qu'elle seule pouvait percevoir. Geralt réagit à l'excitation du félin et il prit la longue-vue, confirmant ensuite qu'il y avait bien quelque chose : il pensait distinguer des volutes de fumée. En fait, il arriva même à distinguer des petits points plus avancés qui devaient signaler la présence de guetteurs ou d'éclaireurs, à une dizaine de miles de distance environ. Le camp n'était pas visible, mais il était sans doute masqué par le relief sur lequel les probables guetteurs se tenaient. Un sort de Drilun, à la limite de la portée de sa magie, lui fit entendre des bruits portés par le vent qui prouvaient la présence là-bas d'un grand nombre de chevaux.

Une troupe comme celle de Mahrcared pourrait certainement se voir même de loin par les sentinelles orientales, de jour du moins. Un éclaireur nordique fut donc envoyé en arrière afin de prévenir le chef de clan que la cible avait été repérée. Lui et ses troupes ne devaient pas s'approcher trop, mais devaient rester cachés pour permettre l'embuscade dont il avait été question. Le reste du groupe choisit de se rapprocher un peu tout en cherchant un abri pour se reposer et préparer la suite. Un bosquet fit l'affaire, situé en dehors de la piste des orientaux, et un nouvel éclaireur fut envoyé pour indiquer leur position et éventuellement relayer un message. Puis le groupe se reposa, attendant tranquillement la nuit pour tenter une approche nocturne afin d'en savoir plus.

5 - Infiltration
Le soir, le ciel se couvrit et la pluie se mit à tomber. La lionne, bien reposée, décida que les conditions idéales étant réunies, l'heure de passer à l'action était venue. Taurgil se proposa pour venir avec elle, mais elle ne partageait pas du tout sa motivation. Geralt, lui, n'avait absolument pas envie de se faire tremper et d'accompagner la rôdeuse, mais c'est pourtant bien lui, en fin de compte, qui monta sur son dos en maugréant, après avoir pris du trèfle de lune pour mieux y voir dans l'obscurité. Et ils s'en allèrent dans la direction supposée du camp sagath.

La pluie se faisait de plus en plus drue, mais la lionne avança lentement et discrètement : elle avait toute la nuit pour sa mission d'espionnage, et manifestement elle se moquait de la mauvaise humeur de son cavalier. Guidée par les traces encore récentes, elle finit par arriver à proximité d'un groupe de guetteurs après quelques heures de marche prudente. Les sentinelles ne les avaient pas remarqués, et ils ne pensaient pas, vu les conditions météorologiques, que quelqu'un oserait les chercher sous une pareille pluie. Aussi ne faisaient-ils pas très attention, et la femme féline et son cavalier purent les dépasser sans se faire remarquer.

En contrebas, à peut-être un demi-mile de là, se tenaient les abords du camp. Vif en fit le tour pour repérer les autres postes de guetteurs, et Geralt et elle en trouvèrent une demi-douzaine au total. Tous comportaient trois ou quatre Sagaths avec leurs chevaux, et tous étaient disposés en hauteur, de manière à avoir une bonne vue... de jour, sans toute cette pluie. Les six groupes étaient à peu près aussi éloignés les uns les autres, pour ceux qui étaient contigus, qu'ils ne l'étaient du centre du camp. La lionne fit descendre l'assassin de son dos, puis elle se roula dans la boue pour masquer son odeur au maximum. Après quoi elle s'approcha du camp, et notamment d'un endroit où elle devinait de nombreuses montures...

Le camp était plus ou moins divisé en deux : un côté occupé par des centaines de chevaux parqués dans un enclos très sommaire, accolé à une zone de nombreuses tentes. L'ensemble du camp était gardé par des sentinelles en bordure du camp, des individus isolés espacés de moins d'une portée de flèche les uns les autres. Aucun feu n'était visible, même si elle arrivait à sentir des odeurs de bois brûlé, malgré la pluie ; quelques feux devaient être allumés sous certaines tentes. Elle se glissa entre deux sentinelles et examina de plus près les chevaux et les tentes, s'approchant le plus près qu'elle pouvait des montures sans les inquiéter, puis se glissant entre les tentes pour tenter de compter le nombre d'individus présents au bruit qu'ils faisaient.

Elle arriva à un total de plusieurs centaines de chevaux, mais elle ne pouvait être plus précise : la pluie masquait son odeur, mais elle ne pouvait pas se promener au milieu des bêtes, sa proximité arrivait déjà à leur donner quelques mauvais rêves. Par contre, en écoutant les sons et notamment les respirations de nombreux dormeurs, elle arriva au décompte de la tribu entière : environ deux cents hommes, autant de femmes et moitié moins d'enfants. Elle repéra même une tente plus importante que les autres et fut un moment tentée de mettre un peu d'action, mais elle y renonça, non sans un pincement de cœur. Puis elle retourna auprès de son ami qui attendait sous la pluie en la maudissant.

Le retour fut plus rapide, mais la pluie était telle qu'elle n'arriva pas à retrouver leurs traces, d'autant qu'elle avait fait le nécessaire pour qu'elles fussent légères. En fin de compte, elle n'arriva à retrouver leur camp qu'à l'oreille, grâce notamment aux faibles bruits que faisaient leurs montures. Grâce à un sort de Taurgil qui lui permettait de la comprendre, l'équipe put ensuite discuter de ce qu'elle avait vu et de l'élaboration de leur plan. L'idée d'attirer les Sagaths dans une embuscade fut abandonnée, et une autre idée fit son chemin : rendre aux orientaux la monnaie de leur propre pièce.

6 - Échanges et préparatifs
La lionne qu'était Vif avait pu franchir les différentes sentinelles pour arriver jusqu'au cœur du camp adverse, et en particulier aux chevaux. Le raisonnement était donc le suivant : éliminons les sentinelles, et les nordiques pourront tomber sur les Sagaths par surprise, comme ces derniers l'avaient fait avec les nordiques. Faisons fuir les chevaux au moment où les nordiques attaquent, et les orientaux, très compétents à cheval, ne seront plus rien à terre. Avec à la clé beaucoup de vies épargnées (pour le camp des aventuriers) et beaucoup de chevaux capturés (pour Mordin... dans sa tête du moins). Bref, que des choses positives. Et donc cet objectif fut-il adopté.

Restait à le mettre en pratique. Vif participerait, bien entendu, ne fût-ce que pour sa capacité à effaroucher les chevaux. Mais il fallait d'abord éliminer les six groupes de guetteurs éloignés sans qu'ils puissent donner l'alerte, et seule contre trois ou quatre personnes, c'était loin d'être évident. Des gens discrets et efficaces seraient les bienvenus : Geralt bien sûr, mais aussi Taurgil, de même qu'Isilmë et Bronwyn, tous bons voire excellents à l'arc. Moins silencieuses que les trois autres, les deux femmes suivraient de loin, à cheval, et agiraient en soutien. Mordin et Drilun, moins discrets, choisirent de partir plus tard avec le dernier éclaireur nordique afin de prévenir Mahrcared et sa troupe armée et faire part des ultimes consignes.

Dans le détail, il fut donc décidé de partir à la nuit tombée, d'autant que le Dúnadan, à l'aide de la magie que les elfes lui avaient enseignée, pensait qu'il pleuvrait à nouveau. L'armée nordique s'approcherait aussi discrètement, sans toutefois donner l'assaut. Une fois les guetteurs éliminés, un signal lumineux serait donné à l'aide d'une lanterne pour prévenir les nordiques qu'il fallait attaquer. En parallèle, la lionne ferait fuir les chevaux. Ainsi Mahrcared tomberait-il sur les Sagaths au saut du lit et privés de chevaux. Si tout se passait comme prévu, bien entendu.

Il faudrait aussi se prémunir d'éventuelles patrouilles : aucune n'avait été repérée la veille, mais c'était peut-être seulement la conséquence du raid de la nuit précédente. Il était loin d'être improbable que les orientaux envoient des cavaliers pour repérer des forces à leur poursuite ou de nouvelles cibles potentielles. Il faudrait là encore dire au chef des Ailgarthas de s'en méfier, et l'aider à gérer les éclaireurs ennemis qui viendraient dans sa direction. Les éliminer ne poserait sans doute pas problème : même si ces patrouilles ne partaient que pour la journée, un retard de quelques heures ne devrait pas inquiéter le camp. Et il était plutôt probable qu'elles seraient parties plus longtemps : il était facile de repérer des longères ou troupeaux de chevaux de loin, mais pour bien estimer les gains et les risques, il fallait y voir de plus près. Et pour rester discret, il fallait attendre la nuit...

Drilun et Mordin trouvèrent sans mal Mahrcared et ses guerriers, ainsi que Rult et ses hommes. Le chef de clan fut enchanté de savoir le clan Sagath si proche et si vulnérable, et il accepta le plan qui lui fut proposé. En cours de journée, une patrouille sagath fut repérée par des éclaireurs nordiques, mais ils revinrent peu après pour dire que les trois cavaliers orientaux avaient été abattus par les aventuriers : Vif et Geralt avaient réussi à s'approcher d'eux de dos, sans se faire voir, Bronwyn et Isilmë non loin derrière. L'assassin avait abattu un Sagath d'une flèche et la lionne en avait éventré un autre avant qu'il ait eu le temps de réagir. Le dernier n'avait pu blesser le félin et il avait été emporté par une autre flèche de l'homme aux cheveux blancs.

Le reste de la journée se déroula sans incident. Le soir venu, alors que les nuages s'épaississaient et que les premières gouttes commençaient à tomber, les aventuriers et Bronwyn, bien reposés, se préparèrent. Hormis l'elfe et la lionne, ils mirent du trèfle de lune dans leurs yeux, qui leur permettait de voir dans le noir aussi bien qu'un elfe. Un flacon avait également été remis au nain et au Dunéen, ce dernier laissant en échange ses meilleures armes magiques - épée et arc - à ses amis qui en auraient sans doute plus besoin que lui, de même que sa cape elfique. Puis ils se mirent en route tous les cinq, tandis que plus loin, l'armée de Mahrcared levait tranquillement et discrètement le camp avec Drilun et Mordin. Cette nuit, la terre n'allait pas boire que de l'eau.

7 - Des assassins dans l'obscurité
L'elfe, l'homme aux cheveux blancs, la princesse nordique, le Dúnadan et la lionne arrivèrent sans se faire repérer près du premier poste de guet. Ils étaient trois gardes, les chevaux attachés à un arbre sous lequel ils s'abritaient. Trois cordes d'arc vibrèrent dans l'obscurité, et trois corps tombèrent au sol, morts. Ils n'avaient eu le temps de pousser un cri, et vu la distance, la nuit et la pluie, les sentinelles près du camp, comme les autres guetteurs éloignés, n'avaient rien perçu. Le groupe de guetteurs suivant connut le même sort, puis deux autres groupes tombèrent sans plus de mal sous les flèches ou les griffes de la lionne. Dans chaque groupe, les corps furent fouillés et un cor fut trouvé sur l'un des guerriers, et emporté.

Mais Vif perçut alors de l'animation dans le camp, plus bas. C'était peut-être le milieu de la nuit, car l'approche avait été lente et les assassinats ne s'étaient pas vraiment faits à marche forcée. Et il semblait bien que des petits groupes de guerriers se détachaient du camp et se dirigeaient, à cheval, en direction des postes de guet éloignés... Ils allaient découvrir le pot-aux-roses et l'alarme allait être donnée ! La lionne avertit ses amis, puis elle fonça en direction du poste de guet le plus éloigné, silencieuse et mortelle. Ses amis pourraient s'occuper du groupe qui arrivait en direction du dernier poste qu'ils venaient de "nettoyer", et elle allait supprimer les orientaux vers lesquels elle courait avant qu'ils n'atteignent le poste de guet. Il resterait deux groupes de guetteurs. Auraient-ils le temps de les supprimer avant qu'ils ne donnent l'alerte ? Avaient-ils un autre cor avec eux ?

Les amis de la Femme des Bois n'attendirent pas que les Sagaths arrivent jusqu'à eux mais ils s'avancèrent à leur rencontre, afin de les abattre plus vite et pouvoir chevaucher jusqu'à un autre poste. Les guerriers furent abattus, les chevaux pris, et ils cavalèrent en direction du précédent poste de guet dont ils avaient éliminés les occupants. De son côté, la lionne arrivait sans grand mal à abattre la relève du poste de guet éloigné avant que cette même relève ne se rende compte de ce qui s'était passé. Puis Vif fonça vers un autre poste de guet, sachant qu'il était trop tard pour les empêcher de découvrir les corps de leurs confrères abattus.

Taurgil, Isilmë, Geralt et Bronwyn purent éliminer un autre groupe avant qu'ils ne donnent l'alerte, puis, comme Vif, ils se portèrent au galop vers le dernier groupe restant, qui heureusement n'avait pas de cor pour sonner l'alarme. Ils entendirent des cris et arrivèrent à temps pour voir la lionne abattre le cavalier le plus proche d'elle, et repartir vers les deux autres qui cravachaient leurs montures en direction du camp, tout en hurlant. Plus rapide qu'un cheval, elle arriva à rattraper le plus lent, qui chuta à son tour. Mais le dernier était trop loin à présent, du moins pour la Femme des Bois. L'oriental fut cueilli par une flèche de Bronwyn qui mit fin à ses cris et à sa vie. Mais le mal était fait : les sentinelles en bordure du camp avaient entendu qu'il se passait quelque chose, et l'alarme commençait à être donnée. D'ici une minute, tout le camp serait debout et en armes.

Taurgil était déjà parti avec une lanterne en direction de l'armée de Mahrcared. Il avait laissé ses amis s'occuper des guetteurs, sachant que de toute manière, l'essentiel était fait : il fallait désormais que les nordiques arrivassent le plus vite possible. Il fit le signal convenu, en espérant que les éclaireurs arriveraient à le distinguer sous la pluie. Et il le refit plus d'une fois, pour plus de sécurité, avant de se retourner et de foncer vers le camp où des cris et rugissements se faisaient entendre. Vif, de son côté, ne s'était pas arrêtée à la mort du dernier guetteur mais elle avait couru en direction des chevaux des Sagaths. Avec un puissant rugissement, elle sema la panique parmi eux, et les orientaux de garde ne purent rien faire d'autre que d'essayer de trouver un abri pour éviter d'être piétinés. Par la suite, les Sagaths essayèrent de rappeler les chevaux ou de leur courir après, mais toujours la lionne veillait et faisait refluer leurs bêtes hors de leur portée.

8 - A un contre cent
Tandis qu'une partie des orientaux se démenait - sans succès - pour remettre la main sur les chevaux, une autre partie se dirigeait vers les intrus enfin identifiés, armes à la main. En effet, Taurgil et Geralt s'étaient lancés dans le combat, épaulés par Bronwyn et Isilmë avec leur arc, à faible distance. Les deux guerriers s'étaient mis dos à dos et ils arrivaient à abattre sans mal les quelques Sagaths qui arrivaient à passer le tir de barrage des deux archères. Archères qui allaient tout de même finir par manquer de flèches, et qui, voyant les orientaux venir dans leur direction et des flèches les prendre pour cible, décidèrent de prendre le large sur leur cheval. Rôdeur et assassin se retrouvaient face à une centaine d'ennemis chacun.

Mais ces ennemis découvrirent vite que leurs adversaires étaient particulièrement adroits et bien équipés, leurs coups rapides et leurs armes mortelles. Les Sagaths ordinaires n'arrivaient nullement à les inquiéter, malgré le déluge de projectiles divers que les enfants de la tribu lançaient sur eux. Les deux amis se contentaient de les laisser rebondir sans mal sur leur casque ou armure. Des voix fortes se firent entendre dans le parler oriental que les aventuriers ne maîtrisaient pas, et ils virent des guerriers mieux équipés, avec des cottes de mailles, prendre la place de leurs plus faibles congénères. Sans grand changement néanmoins : si les nouveaux guerriers - des chefs sans doute - étaient mieux équipés et plus expérimentés, Geralt et Taurgil les surclassaient largement, même contre plusieurs à la fois. Le Dúnadan fut toutefois surpris quand il écopa d'une blessure légère malgré sa cotte de mithril.

Les Sagaths utilisèrent alors une autre tactique : tandis que certains allaient chercher des flacons d'huile pour lanterne dont ils allumaient la mèche, de nombreux archers se mettaient en position. Puis un ordre fut donné, et les guerriers au combat se reculèrent et se baissèrent, leur lance toujours à la main. Les archers firent voler leurs flèches, et l'une d'elles arriva à se glisser dans une jointure de l'armure de l'assassin et pénétra profondément. Blessure sérieuse sans être mortelle, et qui ne l'empêcha pas de combattre à nouveau une fois la douleur encaissée. Puis des flacons d'huile enflammée furent jetés vers les deux guerriers, qui durent briser le cercle de leurs adversaires pour éviter d'être pris dans les flammes. Le Dúnadan couvrit l'arrière de son ami tandis que les flèches tentaient - sans réussite aucune - de percer son dos couvert de mithril.

Mais la physionomie du combat allait bientôt changer. En effet, les Sagaths commençaient à percevoir ce que la lionne ressentait depuis déjà un moment : les vibrations du sol annonçaient l'arrivée de nombreux cavaliers. L'armée nordique arrivait enfin, après avoir identifié avec difficulté le signal envoyé par Taurgil. En fait c'est même Mordin qui l'avait vu le premier, à travers la pluie nocturne. L'arrivée de leurs ennemis à cheval signa le début de la panique chez les orientaux, largement privés de leurs moyens lorsque leurs montures faisaient défaut. Ce fut le début d'un véritable carnage : si quelques Sagaths arrivèrent à s'enfuir, ou plutôt si les nordiques laissèrent certains des plus jeunes partir sans mal, tous les autres connurent une fin rapide. Et aucun nordique ne trouva la mort ce soir-là : la victoire avait été totale.

Pour ne pas être confondus avec des orientaux dans le noir, Taurgil et Geralt s'étaient rapprochés du feu d'huile de lanterne afin d'être bien repérés. Par la suite, le Dúnadan soigna la blessure de son ami avec une dose de remède orc, ce qui fit grimacer de douleur l'Eriadorien et lui laissa à nouveau une belle cicatrice. Mahrcared était enchanté de la mort de tant d'ennemis qui avaient tués bien des siens. Et les centaines de chevaux capturés ajoutaient encore à son plaisir, même si cela compensait à peine ceux qui venaient d'être perdus. Mordin aurait bien voulu s'en attribuer une partie conséquente, mais le chef des Ailgarthas indiqua au marchand nain que ces chevaux serviraient dans la prochaine guerre contre leurs ennemis communs. La guerre terminée, il n'oublierait pas le rôle des aventuriers : il leur réservait une partie des chevaux pris cette nuit à l'ennemi, une fois qu'ils n'en auraient plus l'utilité.
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Horselords - 17e partie : Sang et sacrifices

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1 - Buhr Mahrling
Une fois la bataille achevée, les aventuriers discutèrent de leurs options. Fallait-il aller au nord-est, vers Buhr Mahrling et les Algifryonds, ou au sud, vers Vadran et les Gadraughts ? C'est le premier qui fut choisi, d'autant que Bronwyn savait qu'une route proche devait mener à la capitale du clan du nord. Après s'être renseignés sur la direction pour atteindre cette route, l'équipe ainsi que Rult et ses hommes prirent congés de Mahrcared et de ses guerriers et partirent au galop dans la matinée, quand le soleil fut revenu. Normalement, si le temps se maintenait au sec, la distance d'ici à la capitale pouvait être couverte dans la journée. Isilmë avait parfois encore un peu de mal mais elle apprenait vite par la force des choses. Une telle galopade lui aurait paru impossible quelques semaines auparavant, alors qu'à présent c'était tout à fait dans ses cordes... surtout si Geralt lui prêtait l'excellente monture qu'il avait gagnée au tournoi.

La route fut bien vite trouvée et suivie. Après un moment, les aventuriers finirent par croiser le chemin de cavaliers algifryonds avec qui ils échangèrent, une fois les présentations faites et des explications données concernant le félin. Il rendait nerveux tant les chevaux que les hommes qui le découvraient, mais la présence de Bronwyn et le bagout de certains membres de l'équipe désamorcèrent toujours les possibles incidents. Les hommes (ou femmes) furent interrogées sur les rumeurs et nouvelles locales, concernant les Sagaths ou d'autres événements. Ils écoutèrent sans grande surprise les récits d'attaques des orientaux sur des camps fixes ou mobiles, presque blasés, mais ils dressèrent l'oreille à l'annonce d'une nouvelle histoire.

A vrai dire, cela tenait plus de la rumeur qu'autre chose. A la base, il y avait des disparitions inexpliquées, comme malheureusement il y en avait trop ces derniers temps : avec les conflits, les patrouilles ou éclaireurs qui disparaissaient, probablement sous la lance de Sagaths, n'étaient pas rares. Mais là, certaines disparitions correspondaient à des individus isolés dont on avait retrouvé le cheval (vivant), puis le corps un peu plus tard. Parfois le cadavre était en partie dévoré par les charognards, mais dans certains cas où il était encore frais, il semblait juste avoir été faiblement griffé ou mordu. Pourtant la personne était bien morte, blanche comme un linge, et des bruits couraient que des sorcières séduisaient des guerriers isolés pour les tuer et les vider de leur sang.

Le groupe finit par arriver en fin de journée à la capitale sur le bord de la Celduin ("Rivière Courante"), au confluent avec la Carnen ("Eau Rouge"). Le long de cette dernière, une route menait chez les nains des Monts de Fer - chez Mordin. Tous reconnurent le schéma désormais classique d'une ville nordique fortifiée : les remparts consistaient en une butte de terre avec palissade au sommet et chemin de ronde, et l'intérieur était occupé par des longères, ainsi qu'un grand hall qui servait tant d'hôtel de ville que de résidence pour le chef de clan, Fadared, et sa famille. Les particularités de la ville étaient sa structure triangulaire qui allait jusqu'à l'agencement des longères : les résidences consistaient en trois groupes de trois grandes longères, au centre desquels se trouvait le grand hall. Chaque longère abritait plusieurs familles, et selon le marchand nain qui était venu plusieurs fois, la ville devait compter environ un demi-millier d'âmes.

Tandis que Vif restait à l'écart de la ville, Bronwyn se faisait connaître et permettait à tous d'entrer sans problème et sans payer de taxe. Après quoi des explications furent données sur leur présence à tous et un garde alla au grand hall pour demander une audience à Fadared, qui était présent en ville. Il revint plus tard en disant que tous étaient invités à partager le repas du chef de clan d'ici moins d'une heure. Les chevaux furent confiés à une écurie, nourris et pansés, et des discussions avec les nordiques présents confirmèrent voire précisèrent les informations glanées en cours de route. Mordin reconnut en ville un artisan avec qui il avait traité par le passé et partit discuter avec lui un moment. En fin de compte, aventuriers et mercenaires furent conviés à venir manger dans la demeure du prince des Algifryonds.

2 - Les soucis des Algifryonds
Fadared était là avec quelques proches, conseillers ou amis, ainsi que divers guerriers de la tribu. L'homme, un peu moins âgé que Mahrcared, semblait néanmoins porter plus lourdement que lui le fardeau des ans. Bronwyn fut chaleureusement accueillie, et elle laissa les aventuriers se présenter. Des nouvelles de leurs exploits - une partie au moins - étaient déjà parvenues jusqu'ici, à quoi il fallait ajouter les événements récents aux côtés du chef des Ailgarthas. Les ambassadeurs d'Arthedain, après avoir offert une épée magnifiquement ciselée et décorée à Fadared, se présentèrent et évoquèrent leur mission. Mordin s'attira les regards noirs de certains de ses amis lorsqu'il parla d'unir les seigneurs cavaliers pour porter la guerre chez les Sagaths et anéantir le convoi de chevaux et autres biens destiné à Angmar. En effet, s'il s'agissait bien d'un de leurs objectifs, les compagnons du nain appréciaient peu de le voir en parler publiquement, au risque de prévenir leurs ennemis longtemps à l'avance... Par la suite, Drilun en particulier essaya de noyer le poisson sous de fausses rumeurs lors de ses conversations à table avec des nordiques.

Le chef de clan comprit la chose et accepta une entrevue privée après le repas. Avant et pendant cette entrevue, il parla des problèmes actuels des siens : en plus du comportement agressif et sournois - et efficace - des Sagaths, leurs soucis provenaient également de la prise d'Ilanin par un chef sagath ambitieux et peu commode, Tros Hesnef. L'emplacement stratégique de la ville et les très fortes taxes qui avaient été levées par ce "patriarche" - c'est ainsi qu'on nommait un "grand chef", qui commandait à plusieurs tribus - handicapaient fortement le commerce avec le Dorwinion. Or les Algifryonds et les marchands du "Pays du Vin", comme certains l'appelaient, étaient des partenaires commerciaux que cette nouvelle politique faisait fortement souffrir.

Mordin et ses amis apprirent qu'avant l'avènement de ce nouveau chef sagath, Ilanin était dirigée par un autre clan sagath, les Hos, auprès de qui les marchands de Dorwinion mais aussi les nordiques avaient une certaine influence. D'ailleurs, si la ville était habitée en majorité d'orientaux, les gens originaires de Dorwinion et les nordiques en composaient une part non négligeable. Avec les Hos, le commerce n'était pas freiné et le passage des tribus sagaths sur la rivière Celduin était loin d'être gratuit. Depuis que Tros Hesnef était arrivé, très peu de marchands passaient par la ville, tandis que les Sagaths - en particulier les tribus les plus agressives - semblaient pouvoir prendre le bac sans avoir à payer.

D'autres informations ou rumeurs noircissaient un peu plus le tableau : depuis l'arrivée de Tros Hesnef, la population d'Ilanin avait fait plus que doubler. Plus exactement, à la population de la ville, forte de quelques centaines d'habitants, il fallait ajouter à présent les cinq clans guerriers commandés par le jeune patriarche, dont près de six cents guerriers. Ils campaient, pour la plupart, près de la place-forte qui dominait la ville et où Tros Hesnef et sa tribu avaient élu domicile. On disait le jeune chef originaire de Riavod, sur les rivages de la mer de Rhûn, à l'embouchure de la Celduin. Fadared déclara que l'homme aurait eu une bonne éducation, qu'il savait lire et écrire, et qu'il avait été habitué très tôt aux luttes d'influence et aux coups tordus. A Ilanin, il était conseillé par un prêtre-sorcier du culte du Noir, une religion maléfique que suivaient de nombreux Sagaths et qui les poussait à se montrer sans pitié envers les êtres vivants.

Le chef des Algifryonds confirma aussi les disparitions inexplicables de cavaliers isolés, dont certains étaient retrouvés morts, légèrement griffés et mordus, comme vidés de leur sang. D'ailleurs, il lui semblait que les Gadraughts, le clan nordique au sud, connaissaient le même problème. D'autres rumeurs, mais invérifiables, parlaient d'une sinistre créature ailée qu'on aurait vu se poser, de nuit, sur le toit de la place-forte d'Ilanin. Les contacts de Fadared, sinon, étaient catégoriques concernant une chose : de nombreux chevaux, probablement volés aux nordiques, franchissaient la Celduin pour une destination inconnue dans les terres des Sagaths. Mais s'y ajoutaient également de nombreux prisonniers, essentiellement des femmes et des enfants, dont on ne savait le destin mais que l'on redoutait.

3 - Mission
Fadared n'était pas contre une action concertée des chefs nordiques contre les Sagaths et Angmar. Mais il voyait mal son clan participer alors qu'il avait du mal à gérer les multiples problèmes qui l'assaillaient, tant militaires qu'économiques. La proximité d'Ilanin et de nombreuses tribus orientales rendaient tout mouvement risqué, car les Algifryonds seraient en première ligne en cas d'éventuelles représailles. Et contrairement aux Gadraughts qui étaient très guerriers et habitués au combat, leur clan à eux était plus marchand que guerrier. Suite aux années de la Peste Noire et au frein du commerce à Ilanin, les coffres du clan n'étaient pas assez remplis pour permettre l'achat d'armes ou de mercenaires en quantité.

Tous les problèmes du clan tournaient autour d'Ilanin, et les aventuriers voyaient assez bien le genre de mission que Fadared serait susceptible de leur suggérer pour assurer son soutien à leur projet de guerre pan-nordique. L'emplacement stratégique de la ville, aux portes du Dorwinion comme du territoire des Sagaths, nécessitait des dirigeants plus favorables aux intérêts des Algifryonds. Une suggestion fut alors émise : Tros Hesnef, le "patriarche" sagath, semblait la clef de voûte du problème d'Ilanin. Était-il possible, en l'éliminant et en le remplaçant par un chef moins soumis aux prêtres du Noir, de renverser la situation ?

Fadared expliqua qu'en effet, la disparition du jeune patriarche était le premier pas vers la résolution de leurs problèmes. En cas de mort de l'homme, les gens de Dorwinion, conjointement avec les Algifryonds, n'excluaient pas une manœuvre armée pendant que les chefs des tribus orientales seraient en train de régler le cas de la succession du patriarche. L'élimination des tribus agressives et le remplacement par un chef oriental plus coulant, comme le chef Hos qui d'ailleurs était toujours vivant, seraient sans doute à leur portée. Encore faudrait-il s'assurer que le culte du Noir ne serait pas en mesure de remplacer Tros Hesnef par un autre patriarche du même acabit, c'est-à-dire à leur solde. L'élimination du sorcier semblait donc aller de pair avec la mort du chef du clan Tros.

Apparemment, Fadared avait déjà longuement mûri la question, et ses alliés de Dorwinion aussi. Mais ils manquaient des ressources nécessaires pour abattre sorcier et patriarche sagath, alors qu'ils pensaient pouvoir gérer la suite une fois ces deux individus hors d'état de nuire. Tout naturellement, le chef nordique demanda aux ambassadeurs d'Arthedain de remplir ce rôle. Ils prétendaient être de grands guerriers et pouvoir répondre à la sorcellerie par des moyens appropriés : quelle meilleure preuve pouvaient-ils donner que l'élimination d'un grand chef sagath et d'un sorcier ?

Le chef des Algifryonds avait ses contacts et il connaissait bien le terrain. Il fit faire un double d'une carte d'Ilanin et de ses environs et la remit au groupe. Il la commenta et apporta des informations sur ce qu'il avait entendu dire sur Tros Hesnef. Ce dernier, malgré sa petite taille, faisait preuve d'un charisme exceptionnel et d'une grande rapidité au combat. Il faisait peur à ses adversaires mais aussi à ses propres troupes, qui pour certaines paraissaient prêtes à mourir pour lui. Les aventuriers furent très intéressés aussi par la place-forte au-dessus d'Ilanin, qui se dressait en haut d'une falaise calcaire, à une centaine de mètres au-dessus d'un affluent de la Celduin, le Donu. Y avait-il des rumeurs de passage secret pour entrer ou sortir de la forteresse ? Fadared ne pouvait en être sûr, même si des bruits couraient à ce sujet. De manière générale, les places-fortes comportent toujours une poterne ou autre sortie de secours...

4 - Cailloux
Les aventuriers et les mercenaires se retirèrent ensuite dans les quartiers libres d'une grande longère qu'on leur avait attribués, aux côtés d'autres familles nordiques qui partageaient le bâtiment. Ils discutèrent de la manière de remplir leur mission, et des inconnues qui les attendaient. Si la mission était assez facile à appréhender - tuer un patriarche sagath et un sorcier - ils ne connaissaient pas grand-chose de l'endroit, en dehors de Mordin qui était passé plusieurs fois dans la ville... mais qui n'était jamais monté à la place-forte. Et les mauvaises surprises comme ces histoires de vampire les incitaient à ne pas se pointer là-bas la bouche en cœur.

Cela poussa Drilun à utiliser certains de ses dons magiques, qui comprenaient la divination. Son usage n'était pas des plus simples : c'était une magie puissante mais difficile à maîtriser, et il convenait d'interpréter correctement les informations recueillies. De plus, il ne pouvait se permettre d'interroger sa magie trop souvent, tant cela lui coûtait de l'énergie. Il proposa d'utiliser un don qui consistait à lancer des cailloux chargés magiquement au-dessus d'une ligne. Selon la position des cailloux une fois tombés à terre, il pouvait répondre à une question par oui ou non, voire nuancer un peu. Plus la question était précise et plus la réponse était facile à interpréter. Plus il y avait d'éléments laissés dans le vague ou oubliés, plus les surprises pouvaient être grandes et l'écart important entre l'interprétation et la réalité.

Une première question fut donc posée au sujet de la présence d'un passage secret permettant d'entrer ou sortir de la place-forte au-dessus d'Ilanin. A cette question simple la réponse fut aisément donnée : c'était un "oui" franc et massif. Cela ouvrait de nombreuses possibilités aux aventuriers, comme celle de pénétrer en catimini dans la forteresse pour y éliminer Tros Hesnef et le sorcier. Mais rien ne disait où débouchait le passage secret à l'extérieur comme dans le château, ni s'il était gardé ou piégé. Néanmoins, si le Dunéen était capable de venir à proximité de l'endroit, ses autres pouvoirs magiques lui permettraient normalement de sentir la présence de grottes et autres boyaux souterrains. Par contre, sa magie pouvait également alerter le sorcier présent...

Un autre sujet concernait le ou les vampires dont il avait été question, qui, d'après les rumeurs, affectaient aussi bien les Algifryonds que les Gadraughts. Et Ilanin était à égale distance de ces deux clans nordiques. La ville, sa forteresse ou ses environs servaient-ils de refuge à ces créatures ? Les souterrains de la place-forte n'étaient-ils pas, potentiellement, un repaire idéal pour de telles créatures mystérieuses, si elles existaient ? La magie de l'archer-magicien lui apporta des réponses moins franches que précédemment. S'il semblait bien que de telles créatures existaient, elles ne demeuraient pas à Ilanin ou ses environs. Du moins pas en permanence : les rencontrer là-bas n'était peut-être pas impossible, mais peu probable.

Ce furent les principaux enseignements de la magie de Drilun. Le groupe décida alors de reprendre la route le lendemain, en direction d'Ilanin. L'objectif serait de s'approcher assez près pour que le Dunéen puisse déterminer la présence de souterrains menant à la forteresse. Mais il s'agirait juste de recueil d'information, l'équipe ne comptait pas passer à l'action dans l'immédiat. Il fut convenu d'aller d'abord voir les Gadraughts, qui semblaient affligés du même mal que les Algifryonds, en ce qui concernait les cavaliers isolés vidés de leur sang. Les rencontrer apporterait peut-être des informations intéressantes, et pourrait, si leurs besoins n'étaient pas très différents de ceux de Fadared, permettre au groupe de faire d'une pierre deux coups.

5 - Ombre et humidité
Après avoir informé le chef de clan nordique qu'il comptait se rapprocher d'Ilanin pour en savoir plus, le groupe prit congé, et retrouva Vif en dehors de la ville. En effet, il avait été jugé plus prudent de la laisser pour la nuit à l'écart des chevaux qu'elle affolait par son odeur, lorsqu'ils n'étaient pas habitués à elle. Les nordiques avaient néanmoins été prévenus qu'il s'agissait d'un allié à ne pas molester, et Taurgil était allé la voir en début de nuit pour la tenir au courant et lui apporter un peu de compagnie. Compagnie qu'il semblait souhaiter plus fort que la Femme des Bois, en fait. Les sentiments du Dúnadan à son égard n'étaient pas vraiment un mystère pour le groupe, mais la réciproque n'était pas vraie, et Vif se gardait bien de développer un lien comme le faisaient Drilun et Isilmë.

Le temps était assez exécrable, avec du vent et une pluie glaciale. A tel point que l'équipe se demanda si cette météo n'avait pas été envoyée magiquement pour les ralentir ; mais les magiciens du groupe ne ressentirent rien de tel. L'allure fut donc relativement lente par rapport à ce qui était souhaité, même si des sorts du Dunéen permirent de réduire le vent et d'augmenter la chaleur environnante, ce qu'hommes et bêtes apprécièrent. La distance à Ilanin par la route du Dorwinion, qui suivait le cours proche de la Celduin, la "Rivière Courante", devait être environ 80 miles (~ 130 km). Un trajet assez facile à couvrir en une journée par de bons cavaliers... mais pas dans de pareilles conditions. Les terres des Algifryonds furent quittées en milieu de journée, et la route déserte ne posa aucun souci particulier. Mais lorsque la nuit arriva, il restait encore une petite distance.

Cela ne posait guère de problème puisque le groupe n'était pas censé passer par la ville. Drilun descendit de cheval et monta sur le dos de la lionne, enroulé dans son manteau elfique. Entre les conditions météorologiques, son manteau, et le pas très sûr et très discret du félin, ils étaient pratiquement invisibles. Ils passèrent près d'une tour de garde, un peu plus loin dans les collines, sans être inquiétés, et finirent par arriver en vue (pour la lionne) de la ville d'Ilanin et de la place-forte qui la surplombait, de l'autre côté de la rivière Donu. Vif quitta le chemin qui passait près de quelques bâtiments qui devaient servir pour le bac sur la Celduin, et se rapprocha de la falaise sur laquelle était perchée la forteresse.

Drilun mit pied à terre et entreprit de faire sa magie, en la masquant le plus possible aux perceptions magiques d'éventuels observateurs. Il ressentit bientôt que la falaise comportait effectivement un réseau de grottes, dont certains boyaux menaient juste sous la place-forte. Un autre passage, assez grand pour des humains à ses sens magiques, débouchait non loin d'eux, de l'autre côté de la rivière, à une douzaine de mètres au-dessus de cette dernière. Mais aucune ouverture n'était visible depuis là où ils se trouvaient. La lionne, bonne nageuse comme tous les félins, décida alors de franchir le cours d'eau, large d'au moins une portée de flèche, afin d'inspecter l'endroit indiqué par son ami de plus près.

La traversée ne fut pas un problème pour son corps puissant. Puis elle fouilla les environs et trouva sans mal une espèce de sentier qui permettait de monter à une certaine hauteur sur la falaise, jusqu'à un petit renfoncement dans le rocher. Renfoncement qui lui faisait furieusement penser à une porte secrète fermée, mais dont elle ne trouva aucun mécanisme pour entrer. Sans doute l'ouverture était-elle commandée de l'intérieur, mais elle connaissait un magicien qui pourrait s'en accommoder, à l'avenir. Elle descendit puis retraversa la rivière et rejoignit ledit magicien. Drilun remonta sur le corps trempé de la lionne et ils partirent rejoindre leurs amis restés sous la pluie à les attendre, à plus d'une heure de trajet de là.

6 - Terres orientales
En fait, le reste de la troupe aurait préféré partir vers le sud-ouest et ne pas rester à attendre bêtement un rhume ou autre sous la pluie. Mais d'une part, Vif aurait peut-être eu du mal à retrouver leur trace ; d'autre part et surtout, le terrain, relativement accidenté une fois la route délaissée, était franchement dangereux à parcourir de nuit et sous la pluie. Il aurait été facile de blesser les chevaux suite à une mauvaise manœuvre, pour ne rien dire des cavaliers. Quand le Dunéen et la Femme des Bois furent de retour, Taurgil amena le groupe à un endroit relativement abrité pour passer la nuit sous des tentes.

Au matin, trois des hommes de Rult avaient tous les signes d'un bon rhume ou autre maladie respiratoire plus sérieuse, mais ils furent vite remis d'aplomb par la magie des soins d'Isilmë. La troupe fut bientôt repartie, mais à allure lente au départ : malgré un temps plus clément que la veille, impossible de chevaucher vite sur ce terrain trop accidenté. D'ailleurs, au détour d'un éperon, ce problème de mobilité fut encore plus criant quand une patrouille de cavaliers orientaux fut repérée sur une hauteur. Manifestement, les sentinelles les avaient vus également et elles disparurent vite à la vue ; il n'était guère envisageable de les rattraper, aventuriers et mercenaires étaient donc repérés. Ce n'est que plus tard, lorsque la plaine fut retrouvée, que l'expédition put accélérer. Pas pour très longtemps néanmoins : les plus perceptifs du groupe repérèrent du mouvement à l'horizon, et l'emploi de la longue-vue confirma la présence d'une tribu de Sagaths à petite distance, avec quelques groupes d'éclaireurs ou de chasseurs non loin.

Un débat opposa les partisans d'un "nettoyage" à ceux qui préféraient éviter les ennuis possibles et contourner les orientaux. Le groupe n'était pas sur des territoires contrôlés par les nordiques, et même si une petite tribu orientale ne présentait pas de réelle difficulté au combat, les risques de blessures de l'un d'entre eux, voire de perte de chevaux, n'étaient pas nuls. Sans parler de l'arrivée possible de renforts ou d'une autre tribu à un moment inopportun. Et ils se savaient déjà repérés... Une partie de la journée fut donc occupée à contourner les Sagaths rencontrés, tribus ou petits groupes, sans se faire repérer. Enfin, la route de l'est fut atteinte, qui menait à Ilanin d'un côté et vers le sud du Rhovanion et le Gondor de l'autre. Elle marquait aussi, pour eux, le début des territoires contrôlés par les seigneurs cavaliers. Le soir tombant bientôt, un camp fut bientôt dressé et la nuit se passa sans incident.

Le lendemain, la route fut poursuivie plus librement et rapidement, jusqu'à distinguer une présence au loin sur la route. Il s'agissait d'un convoi de chariots nains, au nombre d'une demi-douzaine, gardé par des cavaliers nordiques. En s'approchant du convoi, le groupe remarqua que les nains comme les cavaliers arboraient distinctement leurs armes, sans les tenir de manière menaçante, juste pour bien indiquer qu'ils n'hésiteraient pas à s'en servir. Mais en voyant que les nouveaux venus arrivés du nord n'étaient nullement des Sagaths, le contact se fit bien plus amical que cet affichage martial ne laissait deviner. Les nains présents connaissaient les risques du métier dans cette région, mais ils étaient soulagés de voir de potentiels amis et sources de nouvelles du nord.

Mordin fut même surpris de se faire interpeler par nul autre qu'un cousin éloigné des Monts de Fer, qui l'avait reconnu, ce qui renforça encore la détente entre les deux groupes. Des nouvelles furent échangées, et les nains avaient beaucoup à se dire car cela faisait longtemps que Mordin n'était pas rentré chez lui. Les problèmes des Sagaths et du commerce furent évoqués, et confirmation fut donnée que les Gadraughts, dont ils longeaient les terres à présent, avaient connu tant des morts mystérieuses que de nombreuses attaques récentes de troupes de guerre orientales. Cette rencontre donna des idées à Mordin, qui prit un peu de temps pour écrire une lettre adressée à son roi, Fulla III. En effet, le convoi nain devait remonter à Azan (diminutif d'Azanulinbar-Dûm), dans les Monts de Fer, où il résidait. Dans la lettre, il expliquait à son roi sa mission, et l'enjoignait de penser à un soutien des nains auprès des nordiques, dans l'hypothèse d'une action militaire contre les Sagaths et le convoi d'Angmar. De toute manière, il espérait bien aller voir son roi avant tout cela. Il remit la lettre avec une pièce d'argent pour la peine, et après remerciements et adieux, les aventuriers repartirent au galop.

Le reste du voyage se déroula presque sans incident. La troupe croisa des cavaliers nordiques avec qui le contact se passa bien, mais à une occasion, le félin montra de la nervosité en regardant en l'air. Comme personne ne voyait rien, Geralt prit la longue-vue et explora les cieux, et en particulier un petit point qui représentait sans doute un oiseau très éloigné dans le ciel. Mais à sa grande peur, il arriva à distinguer une énorme créature ailée sur laquelle il pensait reconnaître la forme d'un être humain habillé de noir... Il voyait sans doute là la créature entrevue à Forpays, chevauchée par son maître comme un vulgaire destrier. Maître qu'il ne tenait pas trop à rencontrer. La créature se dirigeait vers le sud, vers une destination inconnue. Le maître-assassin parla de sa découverte à ses amis et aux nordiques présents, mais ces derniers restèrent incrédules, n'arrivant pas à distinguer ce dont il parlait, même à l'aide de la longue-vue. Et de toute manière, elle fut partie après un moment. Pour quelle mission ? Impossible de le savoir pour l'instant.

7 - La capitale des Gadraughts
Le groupe arriva enfin à Vadran, en fin d'après-midi. La ville nordique fortifiée était pareille à ses consœurs : bâtie sur une colline, entourée d'un rempart de terre et d'une palissade, et occupée par de nombreuses longères et un grand hall. Néanmoins, l'activité qui y régnait était inhabituelle, un peu comme une ruche ou une fourmilière après avoir donné un coup de bâton dedans. Et d'après les nombreux guerriers mais aussi quelques blessés présents, cela y ressemblait fort. Les portes furent franchies avec l'aide de Bronwyn, mais les aventuriers comprirent que le chef des Gadraughts était bien occupé pour le moment. Néanmoins, ils lui firent parvenir un message oral par un garde, demandant à le voir au plus vite afin de proposer leur aide et l'entretenir d'un sujet important.

La réponse leur parvint peu après : Driuganic acceptait de les recevoir d'ici un moment. En attendant, les aventuriers s'informèrent auprès des gardes concernant l'agitation présente. Ils apprirent que les Sagaths avaient lancé des attaques meurtrières et coordonnées peu auparavant à différents endroits. De nombreux chevaux avaient été enlevés, mais également de nombreuses femmes et des enfants. Tous avaient été emmenés vers Ilanin, qu'ils devaient être en train de franchir en ce moment même, si ce n'était déjà fait. Par ailleurs, les guerriers nordiques confirmèrent également que des disparitions mystérieuses avaient eu lieu chez eux, comme chez les Algifryonds : des cavaliers isolés dont on retrouvait le cadavre griffé et mordu, mais surtout comme vidé de sang. La rumeur courait de sorcières qui séduisaient ces hommes isolés. Malgré l'escalade propre à ces rumeurs, l'homme manifestement averti qui leur en parla ne pensait pas qu'il y avait plus d'une telle disparition par mois.

Puis le groupe fut convoqué, et Bronwyn, Rult et les aventuriers entrèrent dans le grand hall du clan. Driuganic était là, avec d'autres chefs guerriers et de probables serviteurs et conseillers. Il était en train d'écouter les récits de plusieurs hommes blessés et les propositions de différents chefs. Mordin et Geralt, qui comprenaient assez bien le parler nordique, traduisaient pour leurs amis, parfois aidés par Bronwyn. En substance, le dilemme pouvait se résumer à un choix simple : ou bien engager des forces immédiatement pour sécuriser les frontières nord et ouest et permettre à de nouvelles familles d'accompagner les survivants et de tenter de reconstruire ce qui avait été détruit ; ou bien réduire la taille du domaine du clan et rappeler familles et tribus vers l'intérieur, afin de pouvoir les protéger plus facilement. Il ne fit pas savoir son choix et dit qu'il prendrait un peu de temps avant d'en décider.

Il fit ensuite mine à Bronwyn et à ses amis d'approcher. L'air sombre, il accueillit néanmoins la fille d'Atagavia avec joie, et reçut non sans un certain plaisir une hache de qualité comme cadeau de la part des "ambassadeurs d'Arthedain". Il les laissa se présenter, tout en posant quelques questions montrant qu'il recoupait les récits avec les bruits qui couraient déjà sur le compte des héros du Rhovanion. On parlait en effet de leurs victoires au concours de Buhr Widu, mais aussi de leurs prouesses face à des orcs de la Forêt Sombre ou des Sagaths entrés chez les Ailgarthas. Le félin était resté encore une fois en dehors de la ville, comme on l'en avait informé, mais il en avait entendu parler. Et il parut reconnaître certains membres de l'équipe sans les avoir jamais vus.

Mordin, bien que tenté par un exposé un peu direct de leurs objectifs, comme naguère avec Fadared, fut plus réservé dans ses propos et préféra demander une audience en privé. De toute manière, le chef des Gadraughts savait déjà par les bruits qui couraient que les ambassadeurs étaient venus là pour acheter des chevaux, et qu'ils offraient leurs services en échange de la promesse de montures. Il coupa court à certaines discussions en précisant l'état du clan que le groupe avait déjà perçu : ils étaient déjà en guerre et ne pouvaient donc pas disposer de chevaux à leur convenance tant que cette guerre durerait. L'audience fut vite expédiée, Driuganic acceptant de continuer peu après en privé.

8 - A la rescousse des Gadraughts
Le chef de clan, que ce fût en public ou en privé, ne s'embarrassait pas de fioritures et il avait l'habitude d'aller droit au but. Comme il l'avait laissé entendre, il serait possible de fournir des chevaux seulement après la fin des hostilités. Mais quand ces dernières cesseraient-elles ? Il était d'accord sur le fond pour une union des clans nordiques afin de remettre les agresseurs à leur place. Et il pensait que cette union serait capable d'affronter les Sagaths voire les loups et wargs escortant un convoi de chevaux en route vers Angmar. Mais la question essentielle restait celle de la gestion des sorciers.

Il annonça très vite la couleur : d'après les prisonniers qui avaient été faits parmi les orientaux, et suite à leur interrogatoire musclé - dont il n'était pas spécialement fier, mais sans regret non plus - il avait appris ou subodoré que les prisonniers emportés par les Sagaths étaient tous promis à d'horribles sacrifices pour le culte du Noir. Ils devaient être emmenés sur un lieu de culte secret dans des montagnes non loin d'Ilanin, en territoire sagath, à environ un jour de marche de la ville. D'après certains propos rapportés, non seulement les femmes et enfants étaient sacrifiés dans la peur et la souffrance, mais certains semblaient même utilisés pour nourrir d'horribles monstres au service du Noir.

Comment lutter contre des forces pareilles totalement inconnues des nordiques ? Comment faire face à de la magie noire que personne ne connaissait ni ne souhaitait connaître ? C'était bien là la faiblesse des nordiques et la force des Sagaths, que ce culte soutenait et manipulait. C'était bien là qu'il fallait frapper en premier, faire tomber cette hydre maléfique, ou au moins l'une de ses têtes, en espérant qu'aucune ne repoussât à sa place. Une première victoire, et les nordiques ne se sentiraient plus impuissants, ils redresseraient la tête. Que le culte tombe, que des prisonniers récemment emportés soient sauvés et puissent en témoigner, et les Gadraughts sauraient qu'ils pouvaient suivre les ambassadeurs d'Arthedain jusqu'en Angmar s'il le fallait.

Driuganic, malgré cette folle demande, n'en restait pas moins lucide. Même si les aventuriers, contre toute attente, parvenaient à trouver le lieu du culte du Noir non loin d'Ilanin sans se faire repérer, en délivrer des prisonniers et leur faire traverser les terres des Sagaths et la Celduin relèverait plus du miracle que de l'exploit. Les cavaliers ennemis arriveraient vite en masse, en nombre trop important pour pouvoir espérer tous les vaincre à moins d'une vingtaine, surtout encombrés par des femmes et enfants. Mais il n'était pas dit que les Gadraughts resteraient sans rien faire... Au contraire, le chef de clan, s'il savait qu'une action était entreprise et susceptible de donner des résultats, était prêt à engager des troupes près de la frontière, troupes qui se tiendraient prêtes à intervenir à la moindre alerte.

Un plan conjoint fut bientôt établi : les aventuriers, accompagnés de leurs mercenaires, choisirent le lieu de franchissement de la Celduin à Kardavan, un village de Dorwinion au sud d'Ilanin et proche d'une forêt en bordure des terres sagaths. En chevauchant bien, ils pouvaient y être dès le lendemain soir. Le chef de Kardavan ne verrait sûrement pas cela d'un très bon œil, mais comme tous les siens, il accepterait si l'on y mettait le prix, et Driuganic écrirait un message à son intention. Bronwyn et les ambassadeurs iraient chercher le lieu de culte et les prisonniers pendant que Rult et ses hommes surveilleraient les environs, prêts à foncer prévenir les Gadraughts s'ils voyaient quelque chose. Les cavaliers nordiques pourraient alors venir à la rescousse des ex-prisonniers et de leurs sauveurs et empêcher que les orientaux ne se lancent à leur poursuite au sud de la Celduin. Le Dorwinion râlerait sans doute si cela se faisait chez eux, à la frontière du pays. Mais les habitants du Pays du Vin ne seraient sans doute pas contre un coup porté aux Sagaths et à leur sombre culte.

9 - Nouvelles divinations magiques
Cette nouvelle mission n'était pas sans inquiéter divers membres de l'équipe : ils allaient plonger dans des terres inconnues pleines d'ennemis nombreux et dont certains étaient tout à la fois inconnus et puissants. Avant de se jeter dans la gueule du dragon, il convenait d'essayer d'en savoir le plus possible sur lui, à défaut de connaître son point faible. Les talents magiques divinatoires du Dunéen furent donc mis à contribution encore une fois, voire plusieurs, avant l'arrivée en terre ennemie. L'archer-magicien eut fort à faire et, même s'il bénéficia d'athelas pour favoriser sa méditation et le regain d'énergie, il ne put interroger l'avenir autant qu'il l'aurait voulu.

Néanmoins, le talent des cailloux magiques étant à sa portée, il l'utilisa encore. Le choix des questions était délicat, mais l'une d'elles s'imposa : trouveraient-ils les prisonniers encore vivants lorsqu'ils arriveraient à leur contact, en estimant deux jours de délai ? La réponse à cela fut un très large "oui". Peut-être y aurait-il quelques morts, mais l'essentiel des nordiques emmenés pouvaient être sauvés. Les cailloux ne disant pas comment voire même si cela était possible, néanmoins. Sans parler du fait de pouvoir les ramener en lieu sûr. Mais à tout le moins, l'espoir était permis et donc cette mission pouvait se justifier.

Plusieurs questions tournèrent autour des ennemis présents sur site. Un petit débat eut lieu concernant le nombre de Sagaths sur place. Pour beaucoup, la question n'était pas nécessaire et difficile à poser à l'aide des cailloux : le lieu étant secret, le nombre de guerriers fanatiques serait forcément limité, sans doute pas plus d'une cinquantaine. A comparer à la trentaine de ceux qu'ils avaient combattus à Forpays. En revanche, ils s'intéressèrent aussi aux wargs que des sorciers pouvaient convoquer, et qui étaient bien plus susceptibles que les Sagaths de percevoir leur présence : difficile de masquer l'odeur d'un cheval sauf par magie, et Drilun ne pourrait sans doute pas le faire pour toute la troupe. Malheureusement, sa magie lui apporta sans équivoque possible la certitude que de nombreux wargs seraient sur place.

Les sorciers et créatures magiques ou inconnues ne furent bien entendu pas oubliés. La réponse à la question des sorciers fut difficile à interpréter, mais en fin de compte le Dunéen la traduisit ainsi : la puissance du ou des sorciers présents approchait de celle d'Ardagor, sans la dépasser. Il s'agissait de puissance individuelle : si les sorciers étaient nombreux, il était à craindre que le combat fût rude ! En revanche, selon les talents magiques de l'archer-magicien, aucun loup-garou n'était à redouter, non plus que la créature ailée sur laquelle il avait tiré à Forpays. Du moins la présence de chacun était assez improbable, sans pouvoir garantir son absence à cent pour cent.

Enfin, une dernière interrogation magique, réalisée lorsque l'équipe fut près de son premier objectif, concerna la forêt qui se trouvait face au village de Kardavan, de l'autre côté de la Celduin. Aux dires de Drilun, elle ne serait pas gardée par les forces ennemies. Du moins pouvait-il espérer qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une attention spécifique en dehors d'éventuelles patrouilles. Ce qui pouvait s'avérer très utile pour leur mission : ils avaient l'assurance de pouvoir pénétrer un peu vers le nord sans craindre d'être repérés. Ce qui serait une autre paire de manches une fois qu'ils seraient sur les vastes plaines du territoire sagath. La longue-vue risquait, une fois de plus, de se révéler un outil précieux.

10 - Un assassin imperturbable
Après une nuit sans histoire, le groupe se réveilla sous un ciel chargé. Le voyage promettait de ne pas être des plus agréables, et pourtant il ne faudrait pas lambiner : le temps était compté pour les prisonniers, et il fallait arriver à Kardavan le soir même. Les six aventuriers préparèrent leurs chevaux, de même que Bronwyn, Rult et ses hommes. Des cavaliers nordiques les accompagneraient tout du long, autant pour les guider sur les sentiers qui menaient dans les collines du Dorwinion, que pour remettre le message de Driuganic au maître de Kardavan. Et ces guerriers nordiques pouvaient servir de messagers également, voire prêter main-forte aux ambassadeurs si quelque chose arrivait en route.

Néanmoins, si ce trajet fut l'occasion de rencontrer un ennemi, ce fut tout d'abord le ciel, exécrable. De la magie noire fut à nouveau suspectée, mais sans que personne ne la ressente, et le temps était de saison pour ceux qui étaient de la région. La distance était tout autant un adversaire de taille. Le temps était certainement leur pire ennemi, chaque heure qui passait pouvant signifier la mort des prisonniers ou d'une partie d'entre eux. Chevaux et cavaliers furent poussés à se dépasser, et la fatigue, tant nerveuse que physique, s'accumula petit à petit. Au bout d'un moment, certains n'en pouvaient plus : une partie des hommes de Rult, pourtant très motivés par cette mission - c'étaient tous d'anciens prisonniers et esclaves - ne pouvaient garder le rythme. Il leur fallait ralentir le pas, ou ils risquaient de ne jamais arriver.

La troupe fut alors scindée en deux : Rult et ses hommes, accompagnés de la moitié de leurs guides nordiques, iraient plus lentement et rejoindraient le reste du groupe à Kardavan. Bronwyn et les aventuriers garderaient le même rythme, avec le reste des Gadraughts qui les accompagnaient. Isilmë créa un peu la surprise, car elle n'était pas meilleure cavalière que les hommes de Rult, et même moins bonne. Mais elle avait progressé et elle s'entendait bien avec la monture qu'on lui avait prêtée. Elle prit donc sur elle et profita de ce dur trajet pour parfaire ses techniques de cavalière. Cela rappela à Drilun ses propres débuts, et la fréquence avec laquelle il voyageait la tête en bas...

Mais en ce qui concernait Geralt, ce ne fut pas de la surprise mais de la stupéfaction. Certes, c'était le meilleur cavalier du groupe. Mais en revanche il fuyait les efforts comme personne, et son moral aurait dû chuter plus vite que la pluie qui les assaillait. Or il se montrait confiant, vaillant, et ce fut lui qui tâcha par ses paroles de soutenir le moral du groupe. Motivé comme jamais, il se riait du mauvais temps et les efforts glissaient sur lui comme la pluie. Bien qu'exceptionnel, ce n'était pas la première fois que ses amis s'étonnaient d'un pareil entrain de sa part. En attendant, ils en profitaient et espéraient bien que cela durerait...

La cavalcade prit fin alors que la nuit était déjà tombée. Après voir traversé des collines couvertes de vignobles, le village de Kardavan fut en vue, un peu à l'est de la confluence de la rivière Uldona avec la Celduin. C'était un village de plus de deux cents habitants, presque entièrement composé de familles de vignerons et de tonneliers. La forêt qui occupait la rive nord de la Rivière Courante fournissait du bois pour faire les douelles des tonneaux. Nullement fortifié, il était facile de comprendre que ce hameau d'agriculteurs et artisans ne cherchait rien d'autre que la neutralité avec ses voisins, les conflits étant toujours mauvais pour le commerce. Surtout si loin du pouvoir central et si près des Sagaths...

11 - Au nord de la Celduin
Vu le temps maussade et le moment de la journée, l'arrivée des cavaliers passa relativement inaperçue. Ils se rendirent à la seule auberge locale, tandis que les nordiques se mettaient en quête du maître de Kardavan, un homme du nom de Davnos Kaldigar. Les aventuriers gardèrent l'œil du côté de la route qu'ils avaient prise, en quête de l'arrivée des hommes de Rult, mais ils comprirent après un moment qu'ils avaient dû s'arrêter pour passer la nuit à la dure. Ils arriveraient sans doute le matin suivant, ce qui fut effectivement le cas. Restait à organiser leur future expédition vers les terres des Sagaths et en particulier une petite chaîne de montagnes que certains arrivaient à voir par temps clair depuis les hauteurs des collines.

Les nordiques partis voir le maître du village revinrent annoncer que l'accueil avait été mitigé, le maître étant plus ou moins mis devant le fait accompli. Le passage de l'autre côté de la rivière serait sans doute l'occasion de nouvelles négociations, et Mordin annonça qu'il s'en occuperait. Mais avant cela, une fois Rult et ses hommes arrivés, il fallut décider de la suite à donner et du rôle de chacun. Bronwyn et les aventuriers s'aventureraient au nord de la Celduin et iraient chercher les prisonniers. Où donc Rult et ses hommes devaient-ils se poster, et que devaient-ils faire ? Après discussions diverses, Rult déclara qu'il avait saisi le fond de la pensée de Drilun et ses amis : lui et ses hommes se débrouilleraient pour surveiller le nord, et dès que l'un d'eux verrait une troupe venir vers la ville, il donnerait l'alerte et une partie des hommes iraient chercher l'armée nordique à bride abattue.

Le maître de Kardavan négocia chèrement la participation de la ville à la mission de sauvetage. L'homme, qui composait régulièrement avec les Sagaths, tenait à ce qu'aux yeux des orientaux les agissements des siens soient réduits au minimum. Mordin ne tenait pas trop à discuter, et il accepta le prix proposé par le maître après quelques tractations : la traversée de la Celduin - hommes et chevaux - fut fixée à une pièce d'or pour l'aller, et pour une somme équivalente, il fut convenu que certains bateaux se tiendraient prêts pour le retour. Le prix serait susceptible de varier selon ce qu'il faudrait réellement rapatrier, et les conditions. Manifestement, si une armée de Sagaths suivait de trop près, il serait difficile de trouver quelqu'un pour faire le passeur...

Après quoi Bronwyn et les aventuriers passèrent au nord avec leurs chevaux. Vif inspecta les bois et ne trouva rien de spécial ou d'inquiétant : des bûcherons, des gens partis chercher de la nourriture ou relever leurs collets, mais aucun ennemi repérable. Guidés par la lionne, ils progressèrent tous à travers les bois pour le reste de la journée, sans rencontrer personne. En soirée, ils avaient traversé la forêt et les plaines des terres des Sagaths s'offraient à leur vue. Au nord et à l'est, une petite chaîne de montagnes proches mais peu élevées était visible. A l'abri des arbres, il était facile d'inspecter le paysage, très proche de celui du Rhovanion : de vastes plaines légèrement ondulées, sans grand couvert autre qu'herbacé. De jour, il serait très difficile de passer inaperçu. Toute progression devait se faire de nuit.

A l'aide de la longue-vue, Geralt inspecta le terrain qu'ils allaient traverser. Il vit çà et là des groupes de Sagaths, camps divers ou éclaireurs partis en maraude ou en quête de nourriture. Mais vers le nord, en bordure de la chaîne de montagnes, il arriva difficilement à distinguer quelque chose à l'entrée d'une vallée, comme un regroupement de cavaliers, sans parler de traces qui menaient jusqu'à eux. Non sans mal, il aida le félin à regarder dans cette direction à l'aide de l'outil, et Vif arriva elle aussi à voir un groupe de Sagaths près des montagnes. Mais alors qu'elle regardait, ce groupe semblait quitter les montagnes et se diriger vers l'ouest, probablement vers Ilanin. S'agissait-il des ravisseurs des femmes et enfants nordiques ? Vu la chronologie des événements, cela pouvait bien être le cas.
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Niemal
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Horselords - 18e partie : Vallée cachée

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1 - Sommeil troublé
Le soleil descendait sur l'horizon, mais la nuit serait active : s'il fallait se reposer, c'était maintenant. Pendant que la lionne choisissait un arbre pour se percher et dormir, le reste de l'équipe, Bronwyn comprise, utilisa du breuvage de marchand de sable déjà préparé pour dormir. Ce somnifère était puissant, si bien qu'ils seraient incapables de se réveiller en cas de besoin. Mais ils savaient que l'ouïe extrêmement fine de Vif la réveillerait en cas de danger, et ils lui faisaient confiance pour gérer les choses pendant les deux ou trois heures que durerait leur sommeil. Deux ou trois heures qui en valaient le triple, tant le sommeil procuré par cette drogue était profond et reposant.

Mais alors que l'esprit de Mordin vagabondait là où vont les rêves des nains, il se trouva à voler au-dessus d'une plaine où évoluait une tribu de Sagaths. La vision était très réaliste et il se posait des questions quand une voix lui dit à peu près : "Les ennemis qui t'attendent sont puissants et nombreux, mais eux-mêmes n'ont pas que des amis. Souhaites-tu en apprendre plus sur le culte du Noir et ses dirigeants ? Me permets-tu de te montrer les réponses à tes questions ? Que souhaites-tu savoir à leur sujet ?". Surpris, il engagea la conversation avec la voix émanant de nulle part. Elle semblait appartenir à un esprit puissant mais désincarné, un esprit mystérieux qui ne tenait pas trop à parler de lui mais qui semblait avoir le culte du Noir comme ennemi.

Le nain ne tenait tout de même pas à remettre son esprit entre les mains d'un être qu'il ne connaissait pas et en qui il ne pouvait avoir aucune confiance. Fin parleur, il poussa l'esprit à dévoiler quelques bribes de son savoir. L'être lui dit ainsi que le culte comportait plus d'un millier de guerriers, entre autres choses, et certains étaient très puissants. Néanmoins, une partie d'entre eux semblaient craindre les aventuriers. Le culte était allié à Angmar et au Nécromancien, également. Mais toutes les informations données n'apportaient pas grand-chose, et comme Mordin refusait de se laisser envahir par l'entité, cette dernière finit par mettre fin à l'entretien, non sans dire qu'elle resterait disponible en rêve au besoin, et qu'elle verrait avec les compagnons du nain. Ce dernier, persuadé qu'il ne s'agissait pas d'un rêve, aurait voulu se réveiller et en discuter sans attendre avec ses amis, mais il sentit sa raison basculer et il plongea dans de vrais songes qui ne lui restèrent plus en mémoire. Mais à son réveil - il fut le premier à sortir du sommeil - il se souvenait parfaitement de l'échange.

Vif fut la suivante à se réveiller : elle n'avait pas pris de marchand de sable, et l'activité du nain fut suffisante pour la réveiller. Elle aussi avait été "visitée" dans son sommeil, mais elle avait tout de suite reconnu à qui elle avait eu affaire : Tevildo, dont elle avait peut-être du sang dans ses veines, était venu parler à sa "fille", sans cacher son identité. Il l'avait prévenue que le culte était redoutable et que sans aide, les aventuriers avaient bien peu de chances d'arriver à leurs fins. Heureusement, l'un des amis de Vif avait accepté de se laisser envahir par les visions de l'esprit des temps anciens, et le savoir qu'il en avait tiré leur servirait. Mais cela ne suffirait peut-être pas, avait dit Tevildo ; néanmoins, la Femme des Bois avait refusé de se laisser davantage corrompre par le Seigneur des Chats, et elle avait dit que les informations données devraient suffire. Tevildo s'était alors retiré de son rêve, non sans laisser entendre qu'il fallait faire attention, que le lieu du culte connaissait des créatures anciennes...

Les uns après les autres - Geralt en dernier - tous se réveillèrent et parlèrent de leur vision onirique et de l'échange avec l'esprit, sauf Bronwyn qui dit ne pas avoir été contactée. Isilmë, qui gardait un mauvais souvenir des voleurs de Forpays qui s'étaient joués d'elle, avait refusé d'entrer dans le jeu de l'esprit. Geralt s'était méfié et avait refusé de donner son âme pour des informations. Drilun, déjà en partie influencé par Tevildo, avait fini par le reconnaître et n'était pas non plus entré dans son jeu. En revanche, Taurgil, lui, ne connaissait pas l'esprit des chats, et il se fichait pas mal de savoir quels étaient ses objectifs. Pour lui, Dúnadan de l'ancienne lignée royale du Rhudaur, Angmar était l'ennemi à abattre, et si cet esprit pouvait lui apporter des éléments concrets pour lutter contre les Sagaths qui servaient le roi-sorcier, il était prêt à en payer le prix. Il dit donc à ses amis qu'il avait accepté le marché et qu'il s'était laissé envahir par les pensées de l'esprit au plus profond de lui.

2 - Vol au-dessus d'une vallée cachée
Si le rôdeur se fit traiter d'inconscient et d'autres mots encore moins doux par ses amis, il ne montra aucun regret, au contraire. Il répliqua sur le même ton en disant qu'à présent il voyait bien mieux à quoi ils allaient se confronter, et que sans les informations apportées par Tevildo ils auraient couru tout droit à la catastrophe. Il avait vu l'endroit, il savait comment y arriver, il avait vu leurs ennemis, avait une idée des forces qu'ils allaient devoir affronter ou tromper, il avait vu les prisonniers à délivrer. Et la tâche à accomplir était immense, ils n'avaient pas droit à l'erreur, leurs ennemis paraissaient vraiment très puissants. Il tâcha de relater au mieux son expérience onirique et ainsi de partager les éléments qu'il avait appris sur le culte du Noir. Personne ne mit en doute la véracité de ce qu'il avait vu : Tevildo n'avait pas intérêt à ce qu'ils meurent, quelles que fussent ses intérêts, il tenait à Vif voire à eux tous. Pas par amour, mais comme on considère de bons outils, bien utiles et difficilement remplaçables.

Taurgil avait commencé par souhaiter voir l'endroit où se tenait le culte. Volant dans les airs loin au-dessus des montagnes, il avait approché d'une d'entre elles. Avançant au-dessus d'une vallée, il avait passé des falaises et escarpements presque impossibles à franchir en escaladant, avant de plonger dans une vallée circulaire enchâssée dans la montagne, et remplie de brume. Elle était de faible dimension - peut-être dix portées de flèche de diamètre - et un lac se tenait au centre, bordé par des marais au nord, et dans lequel une espèce de langue de pierre sombre venait se jeter au sud. La langue paraissait comme sortir d'une tête de mort sertie dans la falaise : trois ouvertures passaient pour les yeux et le nez, et la vaste bouche - d'une portée de flèche de large - comportait de nombreuses "dents" comme autant de piliers qui bordaient une importante caverne. Pas un arbre, pas une broussaille, rien que des herbes et quelques plantes sauvages dans lesquelles il n'y avait guère que des petits animaux qui pouvaient se cacher.

Le Dúnadan avait vu comment entrer dans la vallée : un tunnel long de peut-être un mile (~ 1,6 km), et large et haut d'une dizaine de pieds (~ 3 m) descendait du nord de la vallée cachée jusqu'à une autre vallée qui descendait jusqu'aux plaines. Le sol de la grotte était pentu et même raide, et les deux extrémités étaient gardées par des Sagaths en cotte de mailles, comme ceux rencontrés à Forpays. De plus, lorsque des cavaliers y entraient, il voyait les parois de la grotte, couvertes de loin en loin de runes magiques, se teinter de rouge, la lumière devenant plus vive avec les passages plus nombreux. Et cette lumière progressait devant les cavaliers, prévenant les gardes au loin de la venue prochaine des voyageurs. En bref, il était impossible d'arriver discrètement, cette forme d'alarme magique paraissait imparable.

Et les gens à prévenir étaient nombreux : à l'intérieur de la vallée cachée, il avait vu six camps de tentes. Quatre camps étaient occupés par les guerriers de ce qui semblait être quatre tribus différentes - adultes et adolescents seulement, essentiellement des hommes. Les jeunes enfants ainsi que de nombreuses femmes n'étaient pas dans la vallée circulaire, mais de l'autre côté du tunnel qui y amenait, près de l'entrée, comme s'ils ne pouvaient pas y pénétrer. Les deux autres camps, plus petits, étaient tous occupés par des guerriers d'élite en cotte de mailles. Sans trop comprendre comment, Taurgil eut le sentiment que les guerriers "normaux" étaient autour d'un millier, et les guerriers d'élite exactement cent, même s'ils s'affairaient çà et là, souvent loin de leur camp.

Mais ce n'était pas tout : le Dúnadan avait vu également deux groupes de gros loups qu'il devinait enchantés par la magie d'un sorcier, un dans la vallée cachée, un à l'extérieur du lieu du culte. Mais également des corneilles de jour - des crebain - et des chauves-souris la nuit. Il avait aperçu aussi trois hommes vêtus de cuir noir qui inspiraient la peur et le respect chez les Sagaths et qu'il reconnut comme des sorciers. En fait, il avait entrevu comme une ombre du visage d'Ardagor sur chacun d'eux, lui laissant à penser qu'ils étaient peut-être aussi forts que le Seigneur de Guerre qu'ils avaient combattu dans le Cardolan. Et il avait repéré en l'air, parmi les chauves-souris, un être similaire à ces espèces de rats volants, mais aussi grand qu'un homme, costaud, redoutable. Il l'avait vu aussi, transformé en un Sagath qui écrasait tous les autres, manifestement leur chef, cruel et sanguinaire, terrible et menaçant.

Il avait volé aussi dans les cavernes derrière la "tête de mort", allant trop vite pour bien voir au-delà de la "bouche", vaste caverne semi-circulaire. Il était arrivé dans des couloirs avec différentes portes derrière lesquelles se tenaient des femmes et enfants nordiques, prisonniers. La perspective avait changé, et il les avait vus sur la "langue du mort", entourés par les Sagaths. Les trois sorciers avaient sacrifié l'un d'eux sur un autel de pierre noire, puis il avait vu toutes les femmes se faire violer par les Sagaths rassemblés, sous les yeux des enfants. Les prisonniers étaient au moins une centaine, même si après coup il ne savait pas trop bien quel pouvait être leur nombre exact.

3 - Débat et décision
Fort de ces nouveaux éléments, quel était le plan du groupe ? Le côté inaccessible et très bien gardé de la vallée rendait les choses difficiles : comment arriver sur place sans se faire repérer ? Un plan initial avait été de déguiser Geralt en "Noir", entouré de flammes magiques, pour impressionner les Sagaths. Mais il semblait, au vu des connaissances des uns et des autres ou des rêves récents, que les orientaux ne parlaient que leur langue, le logathig. Taurgil avait appris par Tevildo que quelques rares Sagaths parlaient le ouistrain ou le fornen, le "nordique commun" du Rhovanion. C'étaient d'ailleurs souvent des guerriers âgés, plus réfléchis que leurs cadets et inquiets de l'influence du culte du Noir sur leurs modes de vie. Des alliés potentiels, mais peu nombreux et qui prenaient bien soin de ne pas laisser voir leurs doutes et désaccord, de peur de faire partie du prochain sacrifice... Bref, tout se faisait en logathig, et jouer la mascarade sans parler la langue locale risquait de faire long feu.

Il fut aussi question de faire peur aux femmes et enfants sagaths qui attendaient non loin de l'entrée de la grotte qui menait à la vallée cachée. De les forcer à fuir et d'emprunter le passage à leur suite, en profitant de la panique. Mais si ces femmes et enfants n'avaient pas pris le passage, peut-être y avait-il une raison, peut-être leur était-ce interdit ? Et s'ils refusaient de pénétrer dans la grotte, qu'allaient faire les aventuriers ? Bronwyn, Mordin et d'autres ne se sentaient pas de les massacrer s'ils ne faisaient que se défendre. Bref, un passage en force paraissait plutôt risqué et malvenu. Sans parler de la difficulté à récupérer les prisonniers une fois le culte prévenu.

Après divers débats, deux lignes d'action émergèrent : il fallait arriver là-bas le plus discrètement possible et voir sur place comment procéder. Pas une mince affaire au vu des gardes ailés ou à quatre pattes, entre autres. La magie de Drilun serait sans doute souvent mise à contribution, au risque de se faire remarquer des sorciers. Au retour, en revanche, il faudrait compter sur la rapidité, sans doute en volant des chevaux pour les prisonniers et en chevauchant sans relâche, de nuit si possible. Les camps sagaths de femmes et enfants comportaient des chevaux en nombre sans doute suffisant, ils seraient faciles à prendre a priori. Cela laissait encore beaucoup d'inconnues entre les deux, mais le temps était compté, il fallait partir et profiter de la nuit pour arriver là-bas.

Le ciel nocturne était en partie dégagé, et Vif pensait pouvoir mener le groupe dans la bonne direction grâce entre autres aux étoiles. Ils allaient pénétrer en territoire inconnu, en ayant juste vu leur objectif de loin, dans une longue-vue : un sentier pris par de nombreux cavaliers et qui menait dans les montagnes... De nuit, il serait facile d'éviter les camps sagaths dont les feux parsemaient la plaine, mais des patrouilles n'étaient pas à exclure. L'équipe comptait sur les sens exceptionnels de la lionne ou de Geralt pour les éviter. Il serait aussi judicieux d'en abattre une, afin de prendre les affaires des orientaux et de pouvoir se faire passer pour eux et arriver plus facilement à la vallée. Bronwyn indiqua que la disparition d'une patrouille risquait peu de donner l'alerte : les escarmouches entre tribus étaient autrefois très fréquentes, et elle doutait même que cela ait complètement disparu...

Les six cavaliers s'élancèrent alors dans la nuit à la suite du félin. Pendant deux heures environ, ils évitèrent les camps sagaths et se rapprochèrent de leur objectif, quand Vif fit comprendre qu'elle avait une information à donner. Après un sort de Taurgil, elle dit qu'elle sentait la présence d'une demi-douzaine de cavaliers isolés qui rentraient probablement vers leur tribu peu éloignée. Il était possible de leur couper la route et de leur tomber dessus sans personne à proximité. Les aventuriers et Bronwyn avaient presque tous pris du trèfle de lune pour bien voir dans l'obscurité, le combat serait bref. Le temps était venu d'un peu d'action.

4 - Costumes orientaux à saisir
L'équipe approcha au petit trot des cavaliers orientaux, sans faire montre de discrétion, comme des membres de la même tribu que l'on croise. Le félin s'était placé au milieu des chevaux - à leur grand déplaisir, mais ils étaient habitués à son odeur - pour ne pas être facilement repéré. A une portée de flèche, les Sagaths se rendirent compte qu'une petite troupe venait à leur rencontre et ils interrogèrent les nouveaux venus dans leur langue, méfiants. Bronwyn, qui parlait quelques mots de logathig, lança un salut qu'elle espérait convaincant, et qui leur permit d'avancer un peu. Mais alors que les deux groupes n'étaient plus distants que d'une cinquantaine de mètres, les Sagaths se rendirent compte qu'ils avaient affaire à des étrangers. Ils prirent leurs lances et lancèrent leurs chevaux au galop en direction de leurs ennemis, tout en poussant des cris de guerre.

Bronwyn, Drilun et Isilmë en abattirent trois avec leurs arcs, et Geralt, qui menait l'attaque, un quatrième. Il esquiva un coup de lance tandis que la lionne se plaçait de manière à empêcher les orientaux de fuir. Les deux autres ne firent pas long feu, et le dernier périt en même temps sous la hache de Mordin et la flèche de Drilun. Les chevaux des Sagaths s'étaient enfuis, apeurés par l'odeur du félin, mais l'assassin aux cheveux blancs et la princesse nordique, les meilleurs cavaliers, allèrent les récupérer. Les corps furent chargés sur les chevaux, ces derniers furent emmenés, et la troupe s'éloigna en direction de son objectif, un sentier près des montagnes.

Vif finit par tomber dessus après une heure de plus. La trace était facile à suivre, car de nombreux cavaliers prenaient le chemin régulièrement, dans les deux sens. Il était donc large et boueux, sans parler de l'odeur du crottin. Les aventuriers se dirigèrent vers l'est et les montagnes, et commencèrent à prendre un peu d'altitude. Mais il fallait d'abord se préparer, et le groupe demanda à la lionne de trouver un endroit discret. Après un moment, elle les amena à une petite rivière encaissée, avec des bouquets d'arbres qui les masquaient complètement.

Tandis que Taurgil préparait une infusion d'athelas pour les détendre, Geralt sortit son matériel de maquillage et commença à déshabiller les corps et à déguiser ses amis. Vif s'éloigna afin de jouer l'éclaireuse et gagner un peu de temps, car son ami en avait pour près d'une heure. Elle remonta la vallée pendant une vingtaine de minute environ, quand elle s'arrêta soudain : alors qu'elle s'approchait de bois qui occupaient le fond du vallon, elle avait entendu puis repéré les silhouettes d'une douzaine de gros loups à la lisière des arbres. Le vent venait de l'ouest et ils risquaient de la percevoir s'il elle s'approchait plus. Par ailleurs, à une certaine distance, elle avait aussi cru repérer des mouvements rapides dans les airs, comme ceux que feraient de nombreuses chauves-souris. De plus, il lui semblait aussi percevoir des signes d'activité plus haut dans la montagne. Prudente, elle revint sur ses pas en direction de ses compagnons.

Geralt n'avait pas encore fini son œuvre lorsqu'elle reparut. Taurgil avait hésité à préparer de la bonneherbe pour ceux qui le désiraient, mais en fin de compte il avait été décidé d'attendre encore un peu avant d'utiliser ce stimulant : ils ne disposaient pas d'une grande quantité et elle serait sûrement plus utile plus tard. Il serait sans doute possible de trouver un autre endroit où faire un feu et une tisane. Vif mit ses amis au courant de ce qu'elle avait vu, et le groupe décida de la suite à donner. Geralt insista pour que Vif parte en éclaireuse et que le reste de l'équipe l'attende, et c'est ce qui fut arrêté. Le Dunéen utilisa sa magie pour masquer l'odeur de la lionne pendant quelques heures, et elle repartit en direction des loups et des chauves-souris.

5 - Loups et lionne
Vif retrouva les gardiens canins mais elle réussit à les éviter sans les alerter en faisant un détour. Puis elle se faufila silencieusement entre les arbres, son domaine favori. Elle progressa tranquillement, non loin du sentier qui longeait les bois. Le sol devenait de plus en plus pentu et il était plus ardu d'avancer, mais cela ne dérangea aucunement le félin. Curieusement, tandis qu'elle montait, l'air se réchauffait au lieu de se rafraîchir comme au début. Elle resta à l'écart des chauves-souris et remonta la vallée en passant de bois en bois. Petit à petit, les signes d'activité humaine se rapprochèrent et devinrent plus nets. Enfin, elle finit par arriver à quelques portées de flèche de falaises rocheuses au pied desquelles des camps de tentes étaient installés, avec de nombreux chevaux aux alentours.

A la lisière des bois, elle arriva à distinguer quatre camps malgré la brume légère qui emplissait les lieux. Les feux étaient tous éteints ou sur le point de l'être, mais elle pouvait entendre les vagissements de quelques bébés. Les mouvements ou les bruits qu'elle percevait semblaient être tous le fait d'enfants ou de femmes accompagnées ou enceintes. En bas de la falaise, au milieu des camps, à peut-être moins d'une portée de flèche du camp le plus proche, béait l'ouverture d'une grotte. Elle correspondait à la description que Taurgil en avait faite, et surtout elle était gardée par six Sagaths en cotte de mailles sur ou à côté de leurs chevaux. C'était bien là l'entrée de la vallée cachée où avait lieu le culte du Noir.

Mais d'autres signes d'activité, plus loin, attirèrent son attention : un autre camp plus éloigné était installé en bordure de forêt. Et il était occupé non seulement par des femmes et enfants mais aussi par de nombreux guerriers : il s'agissait d'une tribu entière de Sagaths, forte de peut-être deux ou trois cents guerriers. Manifestement, ils avaient entrepris des travaux de bûcheronnage, et de nombreux rondins étaient déjà stockés dans des chariots ou bien dans des espèces de paniers que devaient porter des chevaux. En y regardant de plus près, d'ailleurs, la lisière de la forêt montrait les traces de nombreux abattages et camps temporaires. Aux sens de la lionne et à son habitude de l'exploitation forestière, tout se passait comme si des camps sagaths coupaient du bois avant de partir pour la vallée cachée.

Pendant ce temps, le reste du groupe avait depuis longtemps fini de se préparer. Les corps des Sagaths avaient été cachés dans les broussailles, près de la rivière, et tous avaient pu contempler le travail du maître-assassin. L'illusion était parfaite, et même de près, il était difficile de voir en eux autre chose que des orientaux. Bien entendu, le nain ou le Dúnadan, vu leurs carrures respectives, dénotaient un peu tout de même. Mais tant qu'il ne fallait pas parler... Bronwyn en profita aussi pour suggérer de porter ou de convenir d'un signe distinctif, si jamais ils devaient se mélanger à d'autres Sagaths. En fin de compte, ils portèrent des tissus imbibés de sang, comme des guerriers blessés après un combat.

Après quoi ils décidèrent, malgré l'avis de Geralt, d'avancer un peu pour gagner du temps en attendant le retour de la lionne. Après avoir avancé une demi-heure et être descendus de cheval, ils attendirent le retour de l'éclaireuse. Mais les chevaux montrèrent des signes d'inquiétude et l'assassin aux cheveux blancs commença à distinguer des formes qui s'approchaient de leur groupe : des loups approchaient ! Après avoir pesté après ses compagnons ("je vous l'avais bien dit" revint plus d'une fois), il remarqua que les loups paraissaient incertains de leur identité : ils se tenaient à une certaine distance, humant l'air pour mieux cerner leur odeur. Vite, Drilun renforça magiquement l'odeur des vêtements des Sagaths qu'ils portaient, et ce qu'il se souvenait de l'odeur des ennemis qu'ils avaient combattus. Après un moment, les loups finirent par s'éloigner, comme satisfaits. Du coup, le groupe décida de remonter à cheval et de partir en amont sans plus attendre leur amie.

6 - Retard
Vif avait fait environ la moitié du chemin du retour quand elle aperçut six cavaliers accompagnés de six chevaux sans cavalier. Reconnaissant ses amis grâce à ces mêmes chevaux, elle se porta à leur rencontre et, toujours grâce à la magie de Taurgil, elle put donner les détails de ce qu'elle avait vu. Le débat reprit sur la manière de franchir le tunnel, mais une nouvelle donnée s'invita dans les esprits : le temps. La nuit était bien avancée, et dans quelques heures le soleil se lèverait. Le terrain était bien pentu, et les chevaux avançaient lentement, bien plus que le félin, plus adapté au relief. Il avait fallu deux heures à Vif pour arriver au bout, et vu la vitesse que mettaient ses amis, elle pensait qu'il leur faudrait bien encore trois heures pour arriver à destination.

En bref, l'objectif qui consistait à délivrer les prisonniers cette même nuit était inatteignable. Au mieux pourraient-ils arriver dans la vallée cachée au petit matin, peut-être le pire moment. S'ils voulaient garder toutes leurs chances de libérer les prisonniers en alliant discrétion et vitesse, il leur faudrait monter près de l'entrée, mais ensuite ils devraient attendre la nuit suivante. Ils devraient alors libérer les prisonniers rapidement, et fuir en profitant de la nuit le plus possible. Problème : ils avaient convenu avec les mercenaires et les nordiques de se tenir prêts à intervenir la journée qui s'annonçait. Qu'allait-il se passer s'ils ne voyaient rien venir ?

La première réaction de Geralt fut de demander à Vif d'aller porter un message en quatrième vitesse - elle seule en était capable. Le grondement de la lionne fit vite comprendre qu'il n'en était pas question : contrairement à eux, elle était loin d'avoir eu son content de sommeil. D'une part, les félins dorment deux fois plus longtemps que les humains, et d'autre part, elle n'avait pas pris de marchand de sable comme ses amis. Et même sans cela, elle appréciait assez peu la perspective de faire l'aller-retour dans une région dénudée et pleine d'ennemis pour servir de factrice ! Sans parler des conséquences possibles que son apparition en pleine journée pouvait entraîner...

Bronwyn appuya le mécontentement de la lionne : il était sans doute trop risqué ou trop tard pour envoyer quelqu'un prévenir du retard dans les plans. Il ne serait pas prudent de faire quoi que ce soit en pleine journée, donc ils étaient condamnés à attendre et préparer leur expédition au mieux. Les siens seraient bien forcés d'admettre qu'ils avaient eu du retard, peut-être s'inquiéteraient-ils, mais elle pensait qu'ils comprendraient et rongeraient leur frein sans plus de conséquence. Le problème se poserait seulement s'ils restaient sans nouvelles plusieurs jours d'affilée. Là, qui sait si les mercenaires ou une compagnie de cavaliers nordiques ne décideraient de quelque action pour en apprendre plus ? Mais on n'en était pas encore là.

Ce point de vue fut adopté. Le reste de la nuit fut donc consacré à continuer à suivre le chemin dans la montagne, ce qui était déjà bien assez pour certains. Le terrain, pentu et accidenté, n'était pas très adapté aux chevaux, qui n'avançaient guère plus vite que des marcheurs l'auraient fait. Au moins leurs cavaliers ne se fatiguaient-ils pas. Les environs de la falaise avec l'entrée du tunnel furent enfin atteints. Un camp discret fut monté dans les bois à une certaine distance des camps des Sagaths. Des traces de loup étaient présentes çà et là, ce qui voulait dire que Drilun devrait se tenir prêt à utiliser ses sorts pour leur donner à tous une odeur plus conforme à celle des Sagaths. Vif partit de son côté et trouva un énorme épicéa sans aucune branche basse mais avec de grosses branches en hauteur. Elle y grimpa sans mal et s'installa pour dormir enfin. Le jour n'allait pas tarder, et elle comptait se reposer toute la journée.

7 - Observation et action
Alors que le jour commençait à se lever, Geralt s'approcha de la lisière des bois et trouva un arbre à sa convenance. Il y grimpa jusqu'à un poste d'observation qui lui permettait de voir l'entrée de la grotte. Il s'installa le plus confortablement possible et prit la longue-vue afin d'étudier les lieux et en particulier cette entrée et la ronde des gardes. Il n'eut pas longtemps à attendre : la relève des six gardes arriva bientôt tandis que le jour pointait, relève annoncée par un rougeoiement de plus en plus vif dans le tunnel. Puis les gardes relevés montèrent tous sur leurs montures et prirent le tunnel à leur tour. La lumière rouge perdura quelques minutes après leur départ, puis elle s'estompa progressivement. Plus tard, il vit passer également des loups et des chauves-souris, mais cela ne s'accompagna pas de la lueur magique. Enfin, vers midi, alors qu'il s'apprêtait à descendre, il vit à nouveau le tunnel s'éclairer et une nouvelle équipe prendre la place des six gardes. Le tour de garde était donc de six heures environ, ou quatre changements par cycle jour/nuit complet.

De son côté, Taurgil profita de la pause forcée pour aller chercher des herbes médicinales ou utiles en forêt. Il eut le grand plaisir de trouver, entre quelques gros rochers humides, la plus grande quantité de caméléon de nuit qu'il avait jamais vue. Ce champignon, une fois ingéré, rendait le corps très terne voire sombre, le rendant presque invisible dans l'obscurité. Mais pour être efficace, cela impliquait de ne rien ou presque rien porter sur soi... Cela intéresserait sûrement Vif, et pouvait également servir pour une centaine de prisonniers. Au retour, il tomba sur une équipe de femmes sagaths parties chercher de la nourriture, tellement absorbées par leur tâche que certaines passèrent à deux doigts de lui sans rien remarquer !

Le reste de la journée se passa sans incident, même si Drilun eut en une occasion à utiliser ses sorts pour tromper l'odorat des loups. Sinon, l'essentiel de l'après-midi fut consacré au repos en prévision de la nuit qui s'annonçait décisive. Alors que le soleil baissait sur l'horizon, les sept amis se réunirent et décidèrent de la suite à donner. Le plan qui fut établi était de tuer discrètement les sentinelles à l'entrée de la grotte à la faveur de la nuit, puis de tuer la relève et d'entrer dans le tunnel comme s'ils étaient les gardes sur le chemin du retour. Il resterait encore à tuer les vigies de l'autre côté du tunnel, mais ce ne serait sans doute pas un problème, même si la lumière ne permettrait pas de bénéficier de l'effet de surprise.

Bronwyn remarqua une petite faille à ce beau plan : d'après Geralt, la relève avait lieu à la tombée de la nuit, puis sans doute vers les minuit. S'il fallait attendre la nuit pour tuer les gardes à l'entrée puis la relève, ils ne pourraient entrer dans le tunnel avant minuit, et donc la moitié de la nuit serait perdue. Auraient-ils alors le temps de libérer les prisonniers à la faveur de la nuit ? Et s'ils tentaient de tuer les gardes en soirée, il ferait encore bien trop jour et les camps de femmes et d'enfants les plus proches ne manqueraient pas de s'apercevoir du combat. Les aventuriers répliquèrent à ce problème en demandant à Drilun de faire monter dans les environs une brume magique qui masquerait leur approche avant la nuit tombée. Ils pourraient ainsi s'approcher sans mal des gardes et les tuer, et sans risquer de se faire découvrir par les Sagaths proches.

Le plan fut adopté. Appelant à lui ses ressources magiques, le Dunéen fit monter une brume qui noya bientôt toute la zone de la falaise jusqu'aux camps, y compris celui plus éloigné de la tribu sagath complète. De la bonneherbe avait été préparée afin de stimuler tous ceux qui pensaient en avoir besoin, et Vif mangea également du caméléon de nuit afin d'être comme une ombre parmi les ombres. Leurs chevaux avaient été attachés du côté de leur camp. Puis ils approchèrent tous discrètement de l'endroit où les gardes avaient été vus, et où ils les entendaient discuter. La lionne et l'assassin, les plus discrets, arrivèrent pratiquement au contact des Sagaths sans qu'ils s'en aperçussent, tandis que les autres s'arrêtaient à quelques mètres dans la brume, le plus souvent l'arc bandé. Les arcs chantèrent, ainsi qu'une lame et des griffes, et six corps tombèrent pratiquement sans bruit.

L'attaque était passée inaperçue ; du moins, ni la lionne ni l'assassin aux cheveux blancs ne percevaient la moindre agitation particulière dans les camps proches. En revanche, une lueur rougeâtre commençait déjà à apparaître dans le tunnel, et un sort de Drilun lui apprit que six chevaux approchaient dans le tunnel, distants de quelques centaines de mètres. Les corps des gardes furent dressés en un simulacre de vie grâce à leurs lances et à la paroi de la falaise, et lorsque les premiers saluts se firent entendre, Bronwyn y répondit du mieux qu'elle put. La relève apparut enfin et les premiers cavaliers émergèrent du tunnel brillamment éclairé de rouge. Le combat fut bref, un peu plus difficile - l'un des cavaliers ne mourut pas tout de suite - mais au final tout aussi efficace et discret. Restait à prendre les affaires des morts et à entrer dans le tunnel bien éclairé. Le culte du Noir les attendait.
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Niemal
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Horselords - 19e partie : Fourmilière d'ennemis

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1 - Tunnel rouge sang
Les corps furent tous fouillés rapidement sans trouver grand-chose d'intéressant. Quelques cottes de mailles furent reprises par certains aventuriers pour mieux passer pour un Sagath d'élite, et enfilées par-dessus leurs affaires, malgré le poids en plus. Des cors furent trouvés sur les gardes postés à l'entrée et furent laissés sur place. Les corps des Sagaths qui n'avaient pas été "préparés" pour donner l'impression de veiller comme d'habitude furent entreposés dans le tunnel, de manière à ne pas attirer l'attention. Taurgil, Mordin, Drilun, Isilmë, Geralt et Bronwyn prirent ensuite chacun un des chevaux des gardes présents à l'entrée, et laissèrent sur place ceux qui venaient d'arriver. Puis ils entrèrent avec Vif.

Le tunnel s'était vite assombri et le groupe entra dans une obscurité presque totale, même si la lionne percevait une très légère aura rougeâtre. Très rapidement, néanmoins, le boyau s'éclaira d'une lumière rouge de plus en plus intense au fur et à mesure que l'équipe progressait. A mi-parcours, le tunnel était éclairé comme en plein soleil, mais un soleil rouge sang qui mettait mal à l'aise certains des aventuriers. De nombreuses runes couvraient les murs et Drilun ou Taurgil sentaient une magie forte et diffuse dans tout le tunnel. Les bons cavaliers comme Geralt et Bronwyn remarquaient que les chevaux faisaient preuve de signes de fatigue anormaux, et les humains, nain et elfe eux-mêmes durent lutter contre la fatigue qui envahissait leurs muscles. Tout se passait comme si le tunnel aspirait leur énergie...

Le sol était en pente raide et les chevaux peinaient à avancer seulement au pas. La longueur du tunnel était d'un mile environ (~ 1,6 km), et formait un boyau de trois bons mètres de diamètre aux parois assez lisses et régulières, qui permettait aux cavaliers de marcher à deux de front. Alors que l'entrée était plein ouest, le boyau s'incurvait vite vers le sud dont il ne déviait plus guère. Deux fois au cours de la montée, au niveau d'un coude, des rochers avaient été entassés et bloqués par des échafaudages et étais de bois, étais qu'il semblait assez facile de défaire à l'aide des cordes que portaient tous les chevaux. Ce qui provoquerait une avalanche sans doute incapable de bloquer le tunnel, mais suffisante pour faire de la bouillie de tous les obstacles vivants sur le passage des rochers.

Après une demi-heure de progression, la lionne commença la première à entendre des voix : ils approchaient de l'entrée, occupée par quatre gardes, au son. Vif passa un peu en arrière du groupe tandis que les archers préparaient leurs arcs. Ils continuèrent comme si de rien n'était, comme les Sagaths d'élite qu'ils étaient censés être. Enfin, ils commencèrent à voir un point devant eux qui grossissait de plus en plus : le ciel nocturne. Ils percevaient les voix aussi, mais les gardes étant à l'extérieur, et le tunnel étant en forte pente, ils ne pouvaient les voir que de près. Bientôt, le groupe s'apprêta à déboucher hors du tunnel et ils virent quatre Sagaths sur leurs chevaux, dont deux d'entre eux commencèrent à se tourner vers eux.

Les deux gardes eurent seulement le temps de froncer les sourcils, surpris par ces visages qu'ils ne reconnaissaient pas. Quatre flèches tirées de quatre arcs firent quatre morts qui tombèrent sans bruit de leur cheval, jusqu'à terre. A nouveau, Geralt disposa les corps pour simuler un semblant de vie, bien qu'immobile. Progressivement, la lumière rouge du tunnel diminua et finit par disparaître entièrement. La première partie du plan s'était admirablement déroulée, ils étaient dans la vallée cachée qui servait de lieu de culte du Noir, et personne n'avait perçu leur présence jusque-là. Restait maintenant à trouver les prisonniers et à fuir au plus vite.

2 - Vallée embrumée
Il faisait nuit et une faible brume emplissait la vallée qui s'étendait devant les sept personnes, qui n'en voyaient donc qu'une partie. L'assassin aux cheveux blancs prit sa longue-vue et examina les lieux du mieux possible, aidé en cela par le trèfle de lune qui le rendait nyctalope. La vallée semblait circulaire, comme annoncée par Taurgil, mais il n'en distinguait que la moitié en raison du brouillard : sa vue ne portait pas au-delà d'un tiers de mile (~ 500 m), et à la moitié de cette distance, il ne distinguait aucun détail. Le fond de la vallée était concave et le centre était occupé par un lac dont il était difficile de distinguer la surface sous les volutes vaporeux. Les bords du lac n'étaient pas bien nets mais correspondaient plutôt à une zone marécageuse occupée par de la flore typique des marais.

Entre lac et marais au centre, et les parois abruptes sur les bords, ce qui frappa tout d'abord Geralt, ce fut le nombre de chevaux : il en compta à la louche autour d'un millier, allongés sur l'herbe ou réveillés et s'éloignant d'une meute d'une douzaine de gros loups qui arrivaient par la gauche. Ces loups - certainement des wargs enchantés - n'étaient pas agressifs envers les chevaux, se contentant de faire le tour de la vallée en reniflant autour d'eux. Drilun utilisa sa magie pour renforcer l'odeur de cavaliers sagaths sur ses amis et lui, et les canidés passèrent sans plus leur prêter attention. Un sort de Drilun lui rapporta le bruit sur le sol de nombreux chevaux, bien qu'endormis pour la plupart, et de la douzaine de wargs. Mais pas d'humains sur ce sol, même s'il distinguait un bruit de fond indéfinissable.

D'autres éléments attirèrent l'attention de l'homme de Tharbad : deux camps de tentes sagaths étaient visibles à travers la longue-vue, un de chaque côté. Il ne distinguait pas d'activité dans aucun des deux, ni feu ni agitation. D'un autre côté, il lui semblait entendre comme une vague rumeur à des moments ponctuels, bruits qui provenaient de l'autre bout de la vallée qu'il ne percevait pas. L'ouïe formidable de Vif lui apporta plus de détails : une grande foule semblait massée loin d'eux, et elle entendait distinctement une personne parler dans une langue qu'elle ne comprenait pas, et la foule répondre par des cris. Manifestement, les sorciers du culte célébraient un service qui occupait tous les habitants de la vallée, gardes exceptés.

Drilun donna l'apparence magique d'un gros loup noir à la lionne, et tout le groupe se mit en marche sur un chemin qui menait droit vers le lac. Puis le sentier se sépara en deux branches, et les aventuriers décidèrent de prendre à droite, à la suite des loups. Tout en progressant, ils voyaient apparaître de nouveaux détails. Davantage de chevaux, un nouveau camp oriental lui aussi déserté, et le début d'une masse rocheuse confuse à l'extrémité du lac. Les loups repassèrent non loin d'eux et les laissèrent tranquilles, non sans leur avoir reniflé après, de loin. Une odeur désagréable imprégnait toute la vallée, comme une légère odeur d'œuf pourri...

Arrivés près du deuxième camp sagath, l'équipe put distinguer un troisième petit camp peu avant le fond de la vallée, tandis que désormais tout le monde arrivait à entendre le bruit de la foule au loin. Cette dernière était massée sur une langue rocheuse de plusieurs portées de flèche de long et moitié moins de large. Cette "langue" semblait sortir d'une caverne très grande illuminée par des feux. Trois ouvertures au-dessus de l'entrée de la grotte, qui comportait de nombreux piliers, donnaient une apparence de tête de mort à la falaise. Sur la langue de roche haute d'une dizaine de mètres par rapport au sol de la vallée, au moins un millier de personnes se tenaient, éclairées par quelques feux, pour ce qui semblait être une sinistre cérémonie. Drilun ne les avait pas perçus car ils n'étaient pas sur le même sol que lui. Geralt prit la longue-vue et la pointa dans la direction du rituel afin de suivre ce qui s'y passait.

3 - Rite d'initiation sagath
Le site était distant de trois ou quatre portées de flèches, et avec la brume et les nombreuses ombres projetées par les feux, il n'était pas facile d'avoir une vue claire de ce qui se passait. Au départ, l'assassin aux cheveux blancs distingua une foule nombreuse serrée en une espèce de demi-cercle autour de quelques individus. Ses yeux s'habituant à la lumière et analysant la situation, il se rendit compte qu'il y avait en fait cinq groupes dans le demi-cercle de personnes, groupes qui devaient correspondre aux quatre tribus qu'ils s'attendaient à trouver, plus les Sagaths d'élite que leurs cottes de mailles permettaient de bien distinguer. Chaque tribu devait comporter entre deux et trois cents personnes, et les guerriers d'élite moins d'une centaine.

Ces groupes avaient juste devant eux, à genoux, autour de deux cents nordiques. C'étaient uniquement des femmes et enfants, pour ce qu'il pouvait voir. Ce devaient être les prisonniers qu'ils cherchaient, et qui étaient aux premières loges. Pas l'idéal pour les délivrer... Vers le centre de l'assemblée, mais un peu à l'écart, trois personnes vêtues de cuir noir étaient là, qui se confondaient à moitié avec la nuit, ce qui leur donnait un air un peu sinistre. Probablement les sorciers, se dit Geralt. Tous observaient deux petites silhouettes, un jeune adolescent sagath et un enfant nordique qui avait au plus dix ans. Le premier avait une épée et il portait une veste de cuir, le second n'avait qu'une dague pour se défendre du premier, qui s'approchait de lui...

Encouragé par les grands cris des Sagaths, le jeune adolescent tournait autour de l'enfant nordique et lui portait des coups douloureux mais non mortels. Progressivement, l'enfant s'affaiblissait de plus en plus, jusqu'à ne plus être qu'un petit corps à terre, hurlant de douleur sous les coups de son adversaire. Le Sagath finit par l'achever de manière lente et douloureuse, et son cri d'agonie résonna un instant dans la nuit, couvert par les hurlements des spectateurs. Puis l'adolescent, toujours sous les cris et encouragements, se dirigea vers une petite silhouette qu'on venait de pousser dans sa direction et qui hurlait de frayeur. Ce devait être une jeune nordique qui n'avait pas non plus dépassé les dix ans d'âge. Quand Geralt vit le jeune adolescent commencer à défaire certains de ses vêtements avec un sourire cruel, il ne put en supporter plus et arrêta de regarder la scène.

Il rapporta les faits à ses amis sans s'encombrer de nombreux détails. Vif analysa la chose comme un rite d'initiation de passage à l'âge adulte. Bien entendu, tout était fait pour valoriser chez les jeunes Sagaths les sentiments de violence, cruauté, domination, et l'absence totale de considération pour les autres et en particuliers les étrangers. D'après les visions rapportées par Taurgil, visions que Tevildo lui avait fait parvenir dans son sommeil, il y aurait encore bien d'autres événements lors de la cérémonie : prêches divers, des combats peut-être, des sacrifices... et un viol collectif pour finir. Cela laissait donc sans doute quelques heures de tranquillité pour décider d'un plan d'action et le mettre en œuvre.

Geralt reprit la longue-vue afin d'explorer les environs. Le troisième camp, plus petit et plus durable (les structures comportaient plus de bois), devait servir pour une partie des élites. Il remarqua aussi trois rampes d'accès à la langue de pierre, qui permettaient de monter un peu à l'arrière du cérémonial et des spectateurs. Il chercha à nouveau les sorciers, mais il ne put que constater l'impossibilité de les tuer à distance : ils étaient hors de portée d'arc, il faudrait venir au contact des Sagaths pour espérer les abattre ainsi. Tandis qu'il cherchait le chef des Sagaths dont Taurgil avait eu une vision en rêve, il remarqua brièvement une grande ombre noire qui volait au-dessus de la cérémonie. Croisement entre un homme et une chauve-souris, il se dit qu'il voyait pour la première fois de sa vie un vampire. Le mythe devenait réalité... mais il n'en savait guère sur ses capacités exactes.

4 - La bouche du mort
Les discussions allèrent bon train, mais ne donnaient rien de très concret : il paraissait impossible de délivrer les prisonniers dans l'état actuel des choses. S'ils s'attaquaient à une pareille foule, ils seraient vite débordés et noyés sous le nombre, sans parler des sorciers et du vampire qui disposaient de ressources qu'ils ignoraient mais qu'ils craignaient. Pas question pour autant de rester là à ne rien faire, il fallait essayer d'en savoir plus sur la configuration des lieux. En fouillant les environs ils trouveraient peut-être quelque chose d'utile ou auraient des idées d'embuscade. Certes, pendant ce temps-là des nordiques mourraient, mais c'était inévitable, et il valait mieux une bonne préparation pour en sauver le plus possible qu'une action irréfléchie qui serait un désastre.

Bronwyn, la figure sombre, ne trouva rien à dire à cela, ce qui fut pris pour un acquiescement. Il fut donc décidé de se glisser derrière la foule hurlante et de profiter qu'ils étaient tous bien occupés pour explorer les cavernes derrière eux. Il semblait y avoir une grande grotte derrière les piliers de l'entrée, grotte éclairée par de gros feux dont les reflets éclairaient de l'intérieur le "nez" de la tête de mort, c'est-à-dire une ouverture dans la falaise à une quinzaine de mètres de hauteur. De la fumée - sans doute celle des feux de la grotte - en sortait également, tandis que plus haut, au niveau des deux "yeux", deux petits feux étaient allumés et semblaient entretenus par des silhouettes humaines. Chose étrange, à certains moments une épaisse fumée vaporeuse qui se dissipait vite dans l'air était éjectée par les yeux, pendant quelques minutes.

Le groupe fit à nouveau avancer les chevaux, jusqu'à approcher du petit camp oriental qui devait servir aux élites. Lui aussi était déserté, comme les précédents, et ils y laissèrent les chevaux. Puis ils s'approchèrent de la langue de pierre sombre d'une dizaine de mètres d'épaisseur qui semblait comme sortir de la bouche de la tête de mort sur la falaise. Malgré la difficulté, Vif choisit de l'escalader, tandis que les autres montaient sur la rampe la plus éloignée de la cérémonie, prudemment. Personne ne fit attention à eux, les Sagaths étant bien trop occupés par ce qui se passait à l'autre bout de la "langue du mort". Ils s'approchèrent discrètement des "dents du mort" et regardèrent l'intérieur de la grotte par les ouvertures.

Les "dents" étaient des piliers naturels ou construits qui marquaient l'entrée de la grotte. Haut de six mètres environ, large de deux-trois mètres et espacés d'autant, ils laissaient voir une vaste grotte d'environ cent mètres de large sur cinquante de profondeur, et vingt mètres de haut au sommet. Trois grands feux étaient allumés et entretenus par quatre Sagaths d'élite vers l'arrière de la grotte, non loin de l'ouverture d'un large boyau qui pouvait faire penser à une gorge. La fumée montait vers le sommet de la caverne et l'ouverture du "nez du mort", masquant en partie huit meurtrières dans le fond de la grotte, à une quinzaine de mètres de haut, comme bloquées par-derrière par un volet de bois. De chaque côté de la grotte, un escalier semblait monter à un étage - peut-être aux "yeux" ? - et passait au-dessus d'une ouverture que gardaient trois hommes. En fait le troisième de chaque groupe n'était guère visible, mais les sens exercés de la lionne ou de Geralt permirent de le repérer. Il semblait donc qu'il y avait dix gardes en tout et pour tout dans ce vaste espace.

Tous étaient déguisés en Sagaths, Vif exceptée, mais ils ne se faisaient guère d'illusion : de près, ils risqueraient tôt ou tard d'être démasqués, et donc passer sans encombre entre les gardes semblait assez improbable. En revanche, il serait peut-être possible de les tuer sans éveiller l'attention : les Sagaths occupés à la cérémonie étaient distants de deux portées de flèche au moins, ils faisaient du bruit et étaient concentrés sur autre chose. Les dix gardes étant divisés en trois groupes, et deux d'entre eux n'étant pas clairement visibles, il serait impossible de tous les tuer instantanément. Mais avec une bonne préparation, il devait être possible de les éliminer sans avertir tous ceux à l'extérieur.

5 - Flèche trop précoce
Le plan adopté fut le suivant : d'abord se concentrer sur le groupe de trois gardes le plus près. Il ne devait pas avoir le temps de réagir, entre les efforts combinés de Bronwyn (à l'arc), Geralt et Vif. Éliminer ensuite le groupe de quatre du fond avant qu'il ait eu le temps d'appeler à l'aide ; Drilun eut même l'idée de diminuer magiquement le volume de leur voix. Et finir par le troisième groupe, que Taurgil et Mordin surveilleraient de près pendant les opérations et empêcheraient de sortir chercher du renfort. Le Dunéen commença alors à lancer ses sorts sur les Sagaths, qui ne se rendirent compte de rien, occupés par leurs tâches.

Mais alors que la lionne semblable à un gros warg sombre se glissait dans l'ombre du bord de la grotte, et que l'assassin du groupe commençait à pénétrer tranquillement dans la caverne, un incident vint précipiter les choses : Bronwyn, peut-être perturbée par les atrocités auxquelles les siens étaient ici livrés, laissa partir sa flèche trop tôt. Elle s'enfonça profondément dans le corps de l'homme qu'elle visait, qui s'effondra et attira l'attention de plusieurs gardes. Mais tout n'était pas encore en place, loin de là, et l'archer-magicien, notamment, n'avait pas eu le temps d'affecter tous les gardes, en particulier ceux du groupe à sa gauche.

Geralt joua le Sagath qui cherche à se protéger d'une attaque et il se glissa en courant dans l'ouverture derrière laquelle il entendait qu'un garde se tenait. Vif, quant à elle, se faufila sans se faire repérer dans le dos d'un garde proche qui regardait son compagnon à terre et qui cherchait l'agresseur. Les deux gardes tombèrent bientôt sans un bruit. Mais au fond de la caverne, deux des quatre gardes avaient repéré l'agitation et s'approchaient pour mieux comprendre ce qui se passait. L'un d'eux reçut une flèche qui ne le tua pas, tandis que le second essayait de donner l'alarme avec une voix enrouée. L'assassin puis la lionne, pendant ce temps, parcouraient un boyau éclairé par des torches qui longeait le bord de la caverne et qui, devinaient-ils, permettrait de prendre les gardes à revers. A l'autre bout de la caverne, les trois derniers gardes commençaient à réagir eux aussi. Ils pouvaient crier normalement, eux, et ne s'en privèrent pas.

Isilmë et Bronwyn s'étaient avancées vers les gardes du fond et elles continuèrent leur tâche, tandis que Geralt arrivait dans le dos desdits gardes pour les prendre à revers ; les quatre gardes du fond furent bientôt une affaire expédiée. Taurgil et Mordin s'élancèrent vers le dernier groupe de trois gardes qui cherchait à alerter, mais pour l'instant personne ne réagissait à l'extérieur. Ils entamèrent le combat contre eux, tandis que la lionne arrivait dans leur dos pour accélérer les choses. Mais deux nouveaux cris d'alerte se firent entendre : les escaliers de chaque côté de la grotte menaient à une ouverture en hauteur des deux côtés et à un passage en corniche au niveau de l'ouverture du "nez", à quinze mètres de haut. Et deux gardes se tenaient là, au niveau de l'ouverture, qui s'époumonaient pour tenter de prévenir les autres Sagaths, deux portées de flèche plus loin, de la présence des intrus.

Drilun, qui réduisait magiquement à peu de choses les voix des gardes, prit pour cible de ses sorts l'un des gardes haut perché, tandis que le second, qui criait encore fort, recevait une flèche dans le dos qui mit fin à ses jours. Mais en hauteur, deux gardes apparaissaient depuis les ouvertures de chaque côté de la corniche. Pire, le cri était repris par d'autres voix plus haut encore : les Sagaths présents au niveau des "yeux", invisibles depuis la grotte principale, avaient compris ce qui se passait et relançaient l'alerte. A l'extérieur, il y eut comme un frémissement : le bruit de la cérémonie s'était arrêté, comme lorsqu'un prêche est interrompu et que tout le monde attend, essayant de comprendre ce qui se passe, attentif aux bruits...

6 - Éclatement
Les dix gardes du bas étaient morts, il en restait cinq en hauteur, deux à chaque escalier et un au niveau de l'ouverture du "nez". Geralt prit l'escalier ouest pour faire face à deux des gardes, appuyé par Isilmë et Drilun. De l'autre côté, Vif laissa Mordin lui monter dessus et s'attaqua à l'escalier est et aux gardes plus haut. Bientôt, entre les flèches, les lames ou les griffes, il n'y eut plus aucun Sagath proche de vivant. Taurgil se dirigea vers l'ouverture du fond de la grotte, suivi par Bronwyn. Le Dúnadan voulait commencer à explorer les lieux avant que toutes les tribus soient prévenues et n'arrivent. Devant l'obscurité profonde, il prit une torche d'un des passages empruntés plus tôt par Geralt et Vif, puis il avança dans le large boyau qui s'enfonçait dans la montagne.

Dans la grotte, en hauteur, Geralt explorait l'ouverture proche de l'escalier ouest et découvrait un couloir et un escalier en colimaçon qui montait, d'où il entendait aussi les cris des gardes plus haut. Il le prit et déboucha sur un petit boyau noyé dans l'obscurité, au bout duquel un petit feu lançait ses lueurs. Deux gardes hurlaient à la foule assemblée plus bas, deux portées de flèches plus loin. Côté est, la lionne faisait la même découverte un peu plus tard - la disposition des grottes et passages était symétrique - et empruntait elle aussi l'escalier en colimaçon, le nain toujours sur son dos. Drilun et Isilmë, quant à eux, montaient l'escalier ouest de la grotte principale pour essayer de rejoindre leurs amis disparus.

L'assassin avançait discrètement dans l'obscurité en direction des gardes éclairés par le feu, quand il se figea soudain : une ombre venait d'apparaître, forme monstrueuse ressemblant au croisement d'un Sagath et d'une chauve-souris. Il était arrivé par l'ouverture d'un des "yeux", et les deux gardes s'arrêtèrent aussitôt de crier, bientôt imités par deux autres gardes plus loin qu'il ne voyait pas. Immobile, l'homme de Tharbad observa le monstre parler aux deux hommes puis repartir par l'ouverture dans le vide, sans doute en volant, accompagné par une nuée de chauves-souris. Il s'approcha à nouveau des deux gardes : son épée ensanglantée n'avait pas encore fini son travail. Arrivé à faible distance du feu, il courut et attaqua soudain l'un des gardes, l'arme prête, qui surveillait le couloir par où il arrivait. Son compagnon surveillait un autre couloir perpendiculaire, mais était distrait par des bruits venant d'un troisième boyau qui prolongeait celui par lequel Geralt arrivait.

De l'autre côté, en fait, c'est l'arrivée de Vif chevauchée par Mordin qui provoquait le remue-ménage. De toute manière, aucun des quatre gardes n'avait de chance de s'en sortir. Après un combat bref à l'issue inévitable de chaque côté, il n'y eut bientôt plus que des traces sanglantes sur les parois pour attester de la présence des gardes sagaths ; sans parler de quelques cadavres réduits au nombre de trois, l'un d'eux ayant achevé sa course trente mètres plus bas, après une chute par l'un des "yeux du mort". Les trois amis, bientôt rejoints par Drilun et Isilmë, purent observer se qui se passait dehors par les ouvertures sur la vallée.

Trente mètres plus bas et deux portées de flèches plus loin, voire plus, la foule écoutait, subjuguée, une forme noire qui volait au-dessus des têtes et qui les haranguait d'une voix humaine cruelle et puissante. De grandes clameurs se firent entendre, de nombreux cris de guerre, sans oublier les bruits d'armes que l'on sort du fourreau ou de lances qui s'entrechoquent. Puis une grande partie des Sagaths commencèrent à se diriger vers l'entrée de la grotte. L'exploration discrète des cavernes était un échec, et le groupe aurait bientôt à affronter un millier d'ennemis au moins. Tous redescendirent en vitesse et filèrent vers le fond de la grotte à la recherche de Taurgil et de Bronwyn.

7 - Exploration
Pendant que le reste de l'équipe éliminait les derniers gardes, le Dúnadan et la princesse nordique n'étaient pas restés inactifs. Empruntant le boyau souterrain, ils avaient tout d'abord franchi un pont qui enjambait une faille de quelques mètres de large dans le passage, puis ils étaient arrivés à une grosse intersection. Quatre passages partaient de là où ils étaient arrivés, sans compter le passage par lequel ils étaient venus. Tout semblait calme et silencieux, mais par contre de la chaleur et de l'humidité provenaient d'une ouverture à leur droite. Ils avaient choisi de laisser ce passage de côté dans un premier temps.

Le tunnel le plus à gauche, en pente douce, avait donné sur une grande caverne remplie en partie d'un lac, et en partie de cultures de champignons nourris au crottin de cheval et autres déchets. Taurgil n'aimait pas trop le lac et il avait préféré faire demi-tour sans tout explorer. Un autre passage, à gauche mais plus en face, donnait sur une galerie éboulée. En face, le conduit descendait de plus en plus et l'humidité et la tiédeur présentes rendaient le sol glissant. Les deux aventuriers s'étaient arrêtés lorsqu'ils avaient sentis qu'ils risquaient de perdre l'équilibre et de glisser comme dans un toboggan jusqu'à une vaste fosse remplie d'eau.

Il avait donc fallu prendre le passage de droite, chaud et humide. Il avait vite donné sur une caverne circulaire et concave d'une trentaine de mètres de diamètre, au centre de laquelle un trou d'un mètre de large contenait de l'eau qui bouillonnait faiblement. Les murs ruisselaient d'une tiède humidité, et il n'y avait pas de plafond visible. Trois autres ouvertures émaillaient les flancs de la grotte, plus ou moins à égale distance, un peu comme les points cardinaux en comptant le passage d'arrivée. En passant prudemment le long des murs de la caverne, le sol étant glissant, Taurgil et Bronwyn inspectèrent les trois autres ouvertures, qui donnaient sur trois couloirs.

C'est là que Vif et ses amis les trouvèrent : la lionne les avait entendus et avait mené le reste du groupe jusqu'à eux. Mais alors qu'ils se faisaient face, les deux premiers près d'une ouverture et le reste de l'équipe à la sortie du passage amenant à la caverne, les plus perceptifs remarquèrent que le bouillonnement au centre de la caverne s'intensifiait. Tous reculèrent dans le plus proche passage, et bien leur en prit : un geyser de vapeur brûlante fit bientôt irruption dans la pièce et poursuivit sa course en hauteur jusqu'à une destination inconnue, sans doute les "yeux du mort" d'où de la vapeur sortait à intervalle régulier.

Du coup, la caverne était devenue un sauna brûlant émettant une faible odeur d'œuf pourri. Le geyser, après un court moment d'attente, ne semblait pas vouloir faiblir. Néanmoins, bien équipés, les aventuriers estimèrent qu'ils pouvaient traverser tant qu'ils ne restaient pas trop longtemps (et ne glissaient pas) ; ce qu'ils arrivèrent à faire sans problème, éventuellement aidés de la lionne qui ne risquait pas trop de glisser. L'équipe fut donc à nouveau réunie. Taurgil avait remarqué que le passage se divisait en deux plus loin, et plusieurs portes verrouillées avaient été repérées mais il n'avait pu les ouvrir. Le boyau se poursuivait au-delà, et il partit l'explorer tandis que Geralt sortait ses outils de crochetage.

Vif entendait des bruits derrière certaines des portes, voire plus loin. Manifestement, l'endroit était occupé et les portes bloquaient sans doute l'accès à des cellules. L'assassin réussit à déverrouiller la serrure de la porte la plus proche, et il entra dans une chambre spartiate dans laquelle une femme nordique se tenait, apeurée, ainsi qu'un tout petit enfant. Comprenant que son déguisement la trompait, Geralt lui parla en fornen, le mélange de langues nordiques du Rhovanion, tout en ôtant son maquillage. La femme finit par comprendre que les gens qu'elle voyait étaient là pour la délivrer, et elle put répondre à ses questions.

8 - Coincés
Le couloir où se trouvaient les aventuriers était globalement circulaire et comportait une trentaine de cellules, ce qui fut confirmé par Taurgil qui apparut après en avoir fait le tour. Toutes abritaient une femme nordique et un jeune enfant, fruit des viols des Sagaths. A leur arrivée, les prisonnières et enfants nordiques étaient enfermés dans des cavernes que l'on pouvait atteindre en prenant les deux autres passages qui donnaient sur la caverne au geyser. Ces cavernes devaient être vides à l'heure actuelle, car tous les prisonniers participaient - bien malgré eux - à la cérémonie donnée à l'extérieur. Mais pas la trentaine de femmes avec bébé. Elles étaient en fait choisies pour l'attrait qu'elles avaient en termes d'apparence mais aussi de combativité et de volonté de survivre et d'endurer tout ce que les geôliers leur faisaient. Et éventuellement elles se retrouvaient là...

L'assassin se mit à déverrouiller les portes les unes après les autres, tandis que Mordin utilisait sa hache pour arriver au même résultat, même s'il n'était pas question de refermer la porte ensuite. Tandis qu'ils faisaient cela, Bronwyn rassemblait les prisonnières et essayait de les rassurer avec l'aide d'Isilmë. Certaines ayant montré un profond désir de se battre pour recouvrer leur liberté, du matériel leur fut fourni. Pendant ce temps, Vif entendait, malgré le bruit du geyser, que les cavernes étaient investies par de nombreux ennemis qui devaient être à leur recherche. Puis, lorsque le jet de vapeur brûlante prit fin, une nuée de chauves-souris fit irruption autour d'eux un bref moment avant de repartir. Ils étaient à présent repérés.

Les prisonnières avaient donné d'autres détails qui prouvaient qu'il n'y avait pas d'autre issue aux cavernes : pour sortir, il fallait faire demi-tour, et ils seraient attendus... Mais les aventuriers étaient bien préparés : en plus de l'effet résiduel de la bonneherbe, ils prirent ce fantastique stimulant qu'était la noix de l'écureuil, qui augmentait leur rapidité pendant plusieurs heures avant de les laisser affaiblis. Lorsque tous furent prêts, ils franchirent la caverne au geyser jusqu'au passage menant vers la sortie, ayant repéré des Sagaths qui les attendaient au-delà, au niveau de la vaste intersection. Il devait y en avoir une quinzaine, faisant tous partie de l'élite, armés de cottes de mailles et d'armes de qualité. Geralt et ses amis lancèrent l'assaut sans la moindre hésitation.

Les ennemis furent balayés en un rien de temps par les aventuriers bourrés de stimulants et tellement mieux équipés et entraînés. Au niveau du pont sur la fissure dans le sol, où se tenaient les derniers, Geralt sentit une odeur d'huile de lanterne et il vit plus loin des archers munis de flèches enflammées tirer dans sa direction et enflammer le pont sur lequel il se trouvait. Mais Drilun, à l'aide d'un de ses sorts, éteignit tous les feux à une trentaine de mètres environ autour de lui, étouffant le feu dans lequel l'assassin était pris. Et il abattit aussi un des archers d'un remarquable tir qui ferait sa fierté durant encore bien des années... s'il survivait à leur expédition présente.

Toute l'équipe et les ex-prisonnières nordiques et leurs enfants s'étaient brusquement trouvés dans le noir, toutes les torches ayant été éteintes par la magie du Dunéen. Mais les feux du fond de la grande caverne de l'entrée, la "bouche du mort", étaient trop éloignés et ils étaient restés allumés, ce qui jetait quelques lueurs bienvenues. Les archers sagaths avaient fui par les couloirs qui longeaient le fond de la caverne, de part et d'autre du gros boyau dans lequel ils se tenaient. Mais à présent, après cette première victoire, la partie était loin d'être gagnée : tous les autres ennemis devaient les attendre, et l'on n'avait toujours pas vu intervenir les sorciers ou le vampire.

Un sort de l'archer-magicien et une petite excursion de la lionne permirent de mieux appréhender les forces en présence : Drilun sentit un millier d'ennemis environ, massés à l'entrée de la grotte, derrière les "dents", plus quelques-uns dans les couloirs adjacents. Vif précisa qu'elle en entendait quelques-uns à l'étage également. Par ailleurs, les Sagaths, souvent armés d'arcs, étaient abrités derrière de nombreux prisonniers nordiques qui servaient tant d'écran que d'otages faciles à éliminer en représailles. Coincés entre le marteau et l'enclume, ils seraient sans doute les premiers à souffrir. Bronwyn se rappela qu'ils étaient venus là pour les délivrer. Elle voyait mal comment les aventuriers allaient pouvoir réussir leur mission, cette fois. Face à un millier d'ennemis, ce serait un exploit s'ils arrivaient à en sortir vivants. Et avec la trentaine de prisonnières libérées, un miracle. Quant à sauver les autres... elle n'arrivait même pas à l'imaginer.
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Horselords - 20e partie : Amère victoire

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1 - Débats
Bronwyn et les aventuriers discutèrent d'un plan d'action pour sortir de ce guêpier. Taurgil fut le premier à proposer quelque chose qui emporta l'adhésion de la majorité : déguiser - magiquement au besoin - Geralt de manière à le faire passer pour un avatar du "Noir", cette maléfique divinité que vénéraient les Sagaths. Il le voyait s'avancer dans la grande salle, environné de flammes maîtrisées par Drilun, monté sur Vif. Après une scène macabre où il arracherait le cœur à une victime, il sauterait dans les rangs des ennemis afin de semer la panique. En gros, il s'agissait de faire croire aux Sagaths que leur divinité était fâchée et qu'ils allaient passer un sale quart d'heure.

Dès qu'il s'agit de parler de détails pratiques, les avis divergèrent plus nettement et le ton monta parfois, en particulier de la part de l'assassin et de la lionne qui seraient au premier rang. Il fut question de passer par le "nez" de la caverne et de sauter dans la foule d'une hauteur de quinze mètres. Si la Femme des Bois pensait en être capable seule, elle était plus réservée quant à faire la même chose avec l'homme aux cheveux blancs sur son dos. Et ce dernier imaginait assez mal le choc qu'il subirait après une telle chute à califourchon sur le dos du félin. Son entrejambe s'en remettrait-il ? En fin de compte, sauter par-dessus les premiers rangs des assaillants abrités derrière une haie de prisonniers nordiques semblait plus réaliste et moins dangereux.

Plusieurs firent remarquer, et la fille d'Atagavia la première, que les Sagaths risquaient fort de se ruer au combat dans la salle, piétinant au passage ces prisonniers qui leur servaient de bouclier - ils étaient au moins une cinquantaine. Or, l'objectif du groupe était avant tout de les sauver, sans parler de ceux qui restaient derrière, dans la foule des ennemis. En cas de conflit, ce seraient les premières victimes. D'une part, cela appuyait l'idée de semer la panique parmi les ennemis plutôt que d'en venir à une confrontation directe comme certains l'avaient envisagé ; d'autre part, cela soulignait l'idée de rassembler ces prisonniers. Il fut décidé que la princesse nordique et Mordin, dont les voix seraient amplifiées magiquement, leur commanderaient en nordique de venir dans la caverne dès le début du mouvement de panique. Ainsi, prisonniers et aventuriers seraient rassemblés dans les cavernes, en un groupe compact et facile à défendre.

Ce à quoi il fut objecté que cela n'avançait pas à grand-chose : si tout le monde était coincé dans les cavernes, les ennemis pouvaient sans mal faire le siège devant l'entrée et attendre qu'ils meurent. Il faudrait donc profiter de la confusion pour sortir, prendre le plus de chevaux possible et s'enfuir par la caverne de l'autre côté de la vallée. Mais c'était compter sans les sorciers et le vampire qui ne laisseraient sûrement pas les choses se dérouler tranquillement ainsi. Le Dúnadan fut très clair : pour lui, la diversion provoquée par Geralt et Vif leur permettrait avant tout de s'occuper des têtes dirigeantes du culte du Noir. Il fallait leur régler leur compte sans être noyés par le millier d'ennemis qui les attendaient.

Après encore bien des débats, le plan fut arrêté. Les femmes nordiques pousseraient des cris, simulant l'arrivée du "Noir". Drilun se précipiterait dans la grande salle en criant qu'il se rendait, mais serait "abattu" par Geralt qui lui arracherait fictivement le cœur, qui serait en fait celui de l'un des Sagaths déjà tombés au combat. Vif alla de ce pas arracher un cœur à l'un des cadavres à l'aide de ses griffes, avant de le mâchouiller pour encore plus d'effet et pour simuler la force terrible du Noir. Geralt éclaterait de rire et se lancerait à l'assaut des Sagaths, sur le dos de la lionne qui sauterait par-dessus la première ligne de défense, afin de semer la panique. Pendant ce temps-là, Mordin et Bronwyn appelleraient à eux les prisonniers nordiques. Ils seraient protégés par Isilmë et la princesse nordique, tandis que le reste du groupe tâcherait de régler leur compte aux sorciers et au vampire. Simple en théorie, restait à voir la pratique.

2 - Échec au roi
Le plan fut mis à exécution. Le Dunéen changea magiquement l'apparence de l'assassin : plus grand, noir et ténébreux avec des yeux rouges comme celui d'un spectre, il faisait peur à voir. Et il fut couvert de sang pour rajouter un peu à son côté guerrier mortel. De l'huile de lanterne fut disposée à différents endroits sur son armure de peau de dragon, qui ne craignait guère les flammes, la lionne étant protégée par une bâche sur laquelle Geralt se tenait. Elle-même avait déjà une forme noire, similaire à un gros warg, mais difficile à percevoir dans l'obscurité en raison du "caméléon de nuit" qu'elle avait ingéré. Ce champignon permettait au corps d'absorber la lumière et la rendait plus difficile à distinguer dans le noir. Le flou de ses formes aiderait à faire passer le fait que le "Noir" ne serait pas vraiment sur un grand cheval, comme les Sagaths devaient l'attendre.

Les prisonnières nordiques poussèrent des cris de peur, et Drilun joua le rôle du fuyard épouvanté jusqu'à l'entrée de la caverne, où le "Noir" monté sur la lionne ténébreuse le fit tomber en prenant le cœur mâchouillé qui était attaché dans son dos. Une fois à terre, l'archer-magicien fit le mort tout en éteignant les gros feux entre lesquels il était tombé et qui illuminaient la caverne. Cela ne laissait que la lumière des braises pour éclairer faiblement la scène, et surtout les flammes qui couraient sur le corps du "Noir", qui s'avança un peu, menaçant. Vif entendit que les Sagaths retenaient leur respiration, et elle poussa un grognement pour indiquer à ses amis que les sorciers allaient peut-être les asphyxier, et tous retinrent aussi leur souffle. Mais nul plan machiavélique n'était ici à l'œuvre : les orientaux étaient juste saisis par la vision du "Noir" qui s'avançait vers eux...

En revanche, une voix puissante venue du haut et de la droite de la caverne montra qu'un ennemi gardait toute sa tête. Bronwyn, qui connaissait quelques mots de logathig, la langue de l'ennemi, comprit que la voix demandait aux archers de tirer. Une centaine de flèches filèrent aussitôt en direction de la lionne et surtout de son cavalier. Si beaucoup rebondirent contre son armure voire le dépassèrent sans même le toucher - Drilun entendit siffler des flèches au-dessus de sa tête - plusieurs trouvèrent les failles de son armure et le blessèrent plus ou moins légèrement. Aucune blessure n'était mortelle, mais l'assassin sentit avec effroi une brûlure intense au niveau de la plupart des blessures : les flèches étaient empoisonnées ! La douleur fut la plus forte, et il bascula en arrière.

Vif, qui n'avait pratiquement pas reçu de blessure et encore moins été affectée par le poison, sentit son cavalier qui chancelait. Mais dans le même temps, une voix trop bien connue se fit en elle et le temps sembla ralentir : Tevildo avait suivi toute la scène depuis ses sens et lui annonçait la mort prochaine de son ami... et sans doute du groupe entier, après ce cuisant échec. Les Sagaths se jetteraient bientôt dans le combat, les nordiques seraient massacrés, et il ne donnait pas cher de la peau des aventuriers. Sauf si la féline Femme des Bois s'ouvrait à lui : grâce à ses pouvoirs et à la magie des soins de Tina, il se faisait fort de soigner l'assassin...

Furieuse contre ce marché dont elle devinait le prix, Vif ne vit pas d'alternative, et elle accepta de laisser la magie et surtout l'influence de l'esprit ancien l'envahir... et rester en partie. Geralt revint immédiatement à lui, toute douleur oubliée : les poisons qui souillaient son organisme étaient éliminés et ses blessures étaient toutes refermées ! Lui aussi sentait la présence de Tevildo dans sa tête, il comprit ce qui s'était passé et le prix qu'il aurait aussi à payer. Mais il y avait plus urgent : il arriva de justesse à se redresser sur la lionne et éclata de rire tout en balayant les flèches fichées dans son armure, et en particulier celles dont il sentait encore les pointes. De son côté, la lionne se mit à rugir. Le "Noir" avait survécu à la salve meurtrière, et il entendait faire payer aux Sagaths leur affront. Sagaths qui avaient pâli et qui n'avaient toujours pas repris leur respiration.

3 - Tombé au combat
Si l'avancée de Vif et de Geralt fut le début d'un mouvement de panique qui promettait d'être un beau succès, il n'affecta pas tout le monde : la lionne et l'assassin sentirent des traits vicieux arriver dans leur dos, tirés depuis les meurtrières qui donnaient sur la grotte depuis une certaine hauteur. Les volets intérieurs en avaient été retirés, et quatre archers venaient de leur tirer dessus, sans grand effet hormis des égratignures. En revanche, les trois voix glaciales chargées de la plus noire des magies ne les laissèrent pas indifférents. Mais leur esprit était rompu aux menaces et à la magie noire, et le bijou protecteur réalisé par Drilun fonctionnait toujours aussi bien. Ils ignorèrent l'attaque et se précipitèrent vers les Sagaths à l'entrée de la grotte.

La lionne bondit par-dessus les premiers rangs des prisonniers et des guerriers avec son cavalier, écrasant un ennemi oriental à l'autre bout de sa trajectoire. Elle rugissait, tant pour effrayer les adversaires que pour empêcher qu'ils n'entendissent d'éventuels ordres donnés par leurs chefs. Les Sagaths s'éparpillaient de tous les côtés, les plus proches se faisant faucher par les griffes du félin ou l'épée maniée par le faux "Noir". Quand brusquement le combat changea : une nuée de chauves-souris s'abattit sur les deux amis, s'accrochant à leur tête ou leur tournant autour afin de les aveugler. Vif sentit l'odeur particulière de quelque chose qui leur tombait dessus du haut du ciel. Elle eut beau prévenir son cavalier, il ne vit rien venir, trop gêné par les bestioles qui masquaient sa vue.

C'est sur lui que fondit le vampire, après un piqué qui lui avait donné de l'énergie. Son corps mi-humain mi-chauve-souris était lui aussi enduit de caméléon de nuit et il était très discret, ce qui le rendait imperceptible à un œil nu normal. Et Geralt, malgré ses perceptions très aiguisées, était bien occupé par les rats volants. Il sentit brusquement des griffes lui labourer profondément le cou, puis un liquide chaud lui couler le long du corps. Puis il ne sentit plus rien. La lionne perçut que son cavalier s'affaissait sur elle et elle déplaça son corps pour l'empêcher de tomber, ne faisant que ralentir sa chute. L'assassin finit au sol, immobile et comme mort, tandis que les chauves-souris s'acharnaient sur le félin.

Vif continua à rugir pour écarter les noirs petits acrobates, tout en surveillant le ciel, à l'affût d'une attaque contre elle. Les Sagaths étaient heureusement trop occupés à fuir pour s'occuper d'elle, et la confusion était encore renforcée par les appels de Bronwyn et Mordin qui demandaient - avec succès - aux nordiques de venir les rejoindre à l'intérieur. La lionne prit une jambe de Geralt dans la gueule avec l'intention de le ramener au plus vite près d'Isilmë ou Taurgil, quand son odorat tout d'abord, puis ses autres sens, la prévinrent qu'elle était la cible de la prochaine attaque du vampire.

Ce dernier avait repris de l'altitude avant de plonger à nouveau en un sombre et silencieux piqué. Mais sa cible était trop perceptive, même avec les chauves-souris qui l'assaillaient. Vif joua des griffes et des crocs, sur la défensive, afin d'empêcher la créature de l'ombre d'arriver trop près d'elle. Prenant cette menace très au sérieux, le vampire passa au-dessus d'elle sans arriver à porter un coup et il repartit dans la nuit. La Femme des Bois reprit alors une jambe de l'assassin dans sa gueule et elle le tira le plus vite qu'elle osait en direction de la grotte. Heureusement, l'armure de Geralt le protégeait, mais il ne fallait pas qu'elle aille trop vite : de trop fortes secousses risquaient d'aggraver sa blessure ou pourraient peut-être même lui être fatales.

4 - Combat intérieur
Pendant ce temps-là, Bronwyn et les autres aventuriers n'étaient pas restés inactifs. Drilun s'était relevé et avait pris son arc, bientôt rejoint par les autres. Ils s'étaient déplacés dans la grotte en faisant bien attention à rester près de la paroi intérieure, afin d'empêcher les tireurs derrière les meurtrières de les mettre en joue. Les cris de Mordin (en fornen) et de la princesse nordique (en eothrik) s'élevèrent, renforcés magiquement par la magie du Dunéen, appelant les nordiques à les rejoindre. Malgré les rugissements de la lionne au-dehors et la panique généralisée, nombreux furent ceux qui les entendirent et qui réagirent en se dirigeant vers eux, tant leurs voix étaient sûres et autoritaires.

Mais alors que les prisonniers se faisaient plus nombreux, des voix s'élevèrent des meurtrières et une vague de terreur balaya l'assemblée. Les aventuriers résistèrent sans mal, mais les nordiques se mirent à fuir en hurlant, sauf quelques-uns que la peur tétanisait. Mordin et Bronwyn eurent beau les rappeler, seuls une vingtaine d'entre eux finirent par trouver le chemin de la grotte en fin de compte. Les autres fuyaient dans toutes les directions, mêlés aux orientaux, et se cachaient un peu partout dans les recoins de la vallée. Certains avaient aussi été piétinés dans les bousculades, à mort pour une partie d'entre eux, tandis que les survivants râlaient et appelaient à l'aide.

Des combats avaient aussi lieu avec des moyens plus traditionnels. Si Isilmë gardait les ex-prisonnières nordiques au fond des cavernes, et si Bronwyn guidait les prisonniers qui arrivaient vers le fond, Mordin, Drilun et Taurgil avaient pris d'assaut l'escalier de gauche (ouest) afin de monter à l'étage et trouver les tireurs et sorciers. Mais des Sagaths d'élite étaient sortis de l'ouverture de l'étage et bloquaient le haut de l'escalier, tandis que d'autres prenaient place sur la corniche qui menait au "nez" et bandaient leur arc dans leur direction. De l'autre côté de la grotte, une autre équipe dévalait l'escalier et venait dans leur direction ou prenait place aussi en hauteur avec des arcs.

Le Dúnadan laissa ses amis et revint en arrière pour bloquer le passage aux autres cavernes, aidé par les flèches d'Isilmë. Drilun, lui, tirait flèche après flèche, faisant un mort à chaque fois, tandis que Mordin se défendait face à ses attaquants. Tous tenaient bien leur place, sans recevoir aucune blessure, tandis que les rangs de l'ennemi s'éclaircissaient à vue d'œil. Les archers cherchaient à présent à retourner dans les cavernes de l'étage afin de fuir les flèches mortelles de Drilun. Ils avaient bien essayé de l'abattre, mais la puissante protection magique qu'il avait lancé autour de lui déviait tous les projectiles, ou alors c'était son armure : il avait ainsi vu une flèche particulièrement bien lancée pénétrer sa défense magique pour se ficher dans son cuir de dragon, tout contre sa peau...

C'est à ce moment-là que Vif arriva en traînant son fardeau jusqu'au fond de la grotte et dans le couloir qui en partait. Isilmë laissa son arc et se précipita vers le corps de l'homme aux cheveux blancs maquillé de noir et de rouge. Les feux qui avaient couru sur son armure étaient à peu près éteints, et elle put retirer sans mal son casque afin de voir sa blessure. La carotide était atteinte et la blessure saignait abondamment. Elle plaqua la main dessus et ne mit pas une minute pour faire un pansement qui bloquerait l'hémorragie, sauvant ainsi l'assassin. Néanmoins, elle ne pouvait comprendre pourquoi il était inconscient : la blessure n'était pas si grave et il ne semblait pas avoir perdu tout son sang. Peut-être avait-il été empoisonné... en tout cas son état semblait stable.

5 - La chute du vampire
Mais alors qu'Isilmë s'occupait du blessé, elle vit aussi du coin de l’œil des chauves-souris entrer dans la grotte, accompagnées par une forme sombre à la limite de sa perception elfique. Forme sombre qui passa totalement inaperçue aux sens de Taurgil, mais pas à ceux de la Femme des Bois : elle venait de reconnaître le vampire et le voyait à présent se diriger en direction de l'escalier ouest où se trouvaient Mordin et Drilun. Il était silencieux et se confondait dans l'obscurité, si bien qu'elle doutait qu'aucun de ses amis n'arrivent à le percevoir. Elle rugit un avertissement et bondit de toute la vitesse de ses quatre pattes en direction de l'escalier.

Nain et Dunéen entendirent l'appel, et ce dernier comprit le message grâce au tour d'oreille magique qu'il avait auparavant activé. Il devina même qu'il était directement menacé quand il vit la nuée de chauves-souris s'en prendre à lui. Certes, la protection magique puissante qu'il avait érigée autour de lui suffisait à le protéger des petits rats volants, mais leur nombre était suffisant pour lui masquer ce qui se passait dans la salle. Déjà qu'il n'était pas bien perceptif comparé à d'autres membres du groupe... Il se tourna néanmoins vers le centre de la grotte, prêt à tout, une flèche encochée sur son arc magique.

Vif vit la forme sombre et imperceptible du vampire faire un tour rapide pour arriver sur la gauche de son ami, le long de l'escalier et de la paroi de la grotte. Elle arriva au pied de l'escalier qu'elle commença à grimper à grands bonds. Plus haut, la griffe du vampire fut déviée par la magie de l'archer-magicien mais il arriva tout de même à le blesser légèrement au cou. Trop légèrement pour l'affaiblir durablement ou pour permettre au poison paralysant dont ses griffes étaient naturellement munies de faire effet. L'archer lança sa flèche à l'aveuglette et elle passa non loin du vampire, sans l'inquiéter aucunement. Le monstre infléchit sa trajectoire en direction du centre de la grotte afin de reprendre de la vitesse et de porter une nouvelle attaque.

Centre de la grotte qu'il n'atteignit jamais. La lionne, déjà très rapide naturellement mais encore stimulée par la noix de l'écureuil, était arrivée près de son ami et elle avait bondi dans le vide à la suite du vampire. Elle réussit à planter ses griffes dans son dos et à l'entraîner dans sa chute, jusque dix mètres plus bas. La créature savait voler, mais face à un félin plus agile, plus rapide et plus lourd, il ne put se dégager : félin et vampire tombèrent de concert, chacun cherchant à rester au-dessus de l'autre. A ce jeu, la lionne était de loin la plus forte, et elle se maintint au-dessus de son adversaire, une patte sur sa tête.

Le vampire arriva au sol dans un craquement, avec les cent cinquante kilos du félin sur lui et l'élan donné par la chute de dix mètres. Sa poitrine se brisa et sa tête éclata comme une tomate trop mûre sous la patte féline de la Femme des Bois. Il mourut instantanément, tandis que Vif amortissait le choc de ses membres puissants sans aucun mal pour son corps de gros chat. Elle rugit sa joie d'avoir mis bas son adversaire. Atterrés, les Sagaths d'élite avaient vu la mort de leur chef sans pouvoir réagir. Puis ils fuirent dans le couloir de l'étage, sans paniquer, résolus. Il restait d'autres personnes importantes à protéger, qui sauraient sans doute quoi faire. Et dans tous les cas, ils savaient qu'il fallait bien mourir un jour, et ils avaient toujours rêvé de le faire au combat.

6 - Sorciers acculés
Tandis que les Sagaths refluaient, les personnes importantes qu'ils cherchaient à protéger entrèrent justement en action. Des voix mielleuses se firent entendre dans la grotte depuis les meurtrières de l'étage, voix qui s'adressaient toutes à Vif sous sa forme féline. Des voix qui promettaient bien des choses, et dont les paroles convoyaient de subtils changements : la lionne vit les formes de ses amis se changer en ennemis, et celles des Sagaths en fuite devenir de sympathiques nordiques. Mais elle rejeta sans mal cette magie qui cherchait à la tromper : la fille timide qui avait quitté son village de la Forêt Sombre était maintenant d'une volonté pratiquement inflexible. Il fallait bien cela pour maîtriser la magie qui était la sienne et le chat qui était en elle.

Les magiciens de l'équipe sentirent un bref éclair de magie puissante à l'étage, sans effet visible. Vif se précipita vers l'escalier est qui menait à l'étage, ignorant les flèches tirées dans sa direction. Mordin et Drilun achevaient de monter l'escalier ouest, repoussant et abattant méthodiquement les Sagaths qui s'y étaient retranchés. Taurgil suivit son amie avec un peu de retard. La lionne trouva un bataillon de guerriers d'élite sur son chemin également, mais elle les ignora : elle esquiva les coups, renversa les corps et poursuivit son chemin en quelques bonds. Elle avait compté huit meurtrières et avait repéré d'où venaient les voix. Elle passa deux portes et s'arrêta à la troisième, derrière laquelle elle entendit une présence. Son premier objectif était là.

La porte fut facilement enfoncée par son corps puissant. Le sorcier lui fit face et jeta le sort qu'il avait commencé à préparer avec toute son énergie. La violence de la haine et du désespoir qui atteignit la Femme des Bois la ralentit à peine quelques secondes. Le sorcier n'était guère en position de force pour appuyer la virulence de son sort, qu'elle rejeta fermement. Puis elle bondit, et l'homme n'eut pas le temps de sortir l'arme qu'il portait sur lui. En un instant il fut mort, et la lionne ressortit nettoyer le couloir des orientaux qui arrivaient à la rescousse.

De l'autre côté, dans la partie ouest du couloir de l'étage, Mordin faisait face à un autre sorcier. Ce dernier était protégé des flèches de Drilun par la courbe du couloir, et il lança une séduction magique sur le nain, cherchant à le rallier à sa cause comme il avait essayé peu auparavant avec Vif. Mordin lui rit au nez : sa volonté était aussi trempée que celle de la Femme des Bois, et les nains étaient réputés pour être particulièrement résistants à la magie et à ce type d'influence. Devant son échec, l'homme sortit une épée avec un sourire qui rendit le marchand nain méfiant. Mais Drilun était arrivé à portée : il écourta la confrontation avec une de ses flèches, et les deux amis achevèrent les rares Sagaths vivants qui restaient dans cette portion du couloir.

Ils retrouvèrent Vif et Taurgil qui avaient fait de même de leur côté. Sur les huit pièces qui comportaient une meurtrière donnant sur la grotte, une seule était encore occupée. Le Dunéen pouvait sentir une magie puissante sur la porte verrouillée, ainsi que derrière elle. La lionne pouvait entendre son occupant aller et venir, murmurant des propos cryptiques. Les amis se concertèrent, hésitant sur la conduite à tenir. Enfoncer la porte risquait de déclencher une magie noire destructrice. Mordin essaya de convaincre la personne de se rendre, montrant qu'il ne pouvait plus arriver à rien. Le sorcier acculé répliqua qu'il préférait mille fois la mort qui l'attendait sans doute que le destin qui s’abattrait bientôt sur les aventuriers, et l'échange entre le nain et lui tourna court : il ne faisait que gagner du temps. En fin de compte, faute d'autre solution, il fut décidé de faire brûler la porte pour arriver jusqu'au sorcier.

7 - Fin du culte
Vif, Mordin et Drilun se tinrent à quelques mètres de la porte, de chaque côté, le long du même mur, tandis que Taurgil s'avança, un flacon d'huile de lanterne à la main. Son bouclier bien levé devant lui, il commença à asperger la porte d'huile, avec l'idée d'y mettre le feu ensuite. Mais il n'en eut pas le temps. L'huile dégouttait de la porte et une petite flaque se formait sous elle, passant en partie jusque dans la pièce où le sorcier s'était barricadé. Quand brusquement la porte vola magiquement en éclats. Le Dúnadan fut projeté contre le mur du couloir dans son dos mais il arriva à rester debout, tandis que ses amis plus loin étaient renversés par le souffle de l'explosion, sauf Vif à qui il fallait bien plus pour faire tomber son corps massif et puissant.

Chacun se tâta pour constater d'éventuels dégâts, mais ils étaient mineurs, des égratignures essentiellement. Taurgil avait le dos douloureux mais il ne souffrait d'aucune blessure sérieuse : le bouclier et surtout son armure de mithril avaient absorbé l'essentiel de l'impact, et sa constitution robuste avait fait le reste. Il ne restait rien de la porte sauf des débris çà et là, et l'ouverture montrait une pièce dévastée par le souffle. Mais aussi des lignes tracées au sol juste devant l'entrée, complétées par des runes et autres ingrédients divers, les marques rouges ressemblant à du sang. Bien évidemment, ces lignes émettaient une magie tout sauf faible aux yeux de ceux qui savaient voir.

Drilun ne reconnut pas les runes, il s'agissait plus d'un rituel magique que ce qu'il avait l'habitude d'utiliser. Mais il pensa que la magie pouvait être facilement brisée en effaçant les tracés qui avaient été faits à la craie, à la va-vite, et non gravés dans le sol. Il s'y employa donc, méticuleusement, sans prendre aucun risque, tandis que le sorcier était repéré de loin par la lionne : il s'était réfugié sous son lit, à l'autre bout de la pièce, encore protégé par un paravent rabattu sur le lit. Elle pouvait entendre sa respiration et sentir sa peur mais aussi sa détermination. Un animal sauvage acculé dans son terrier peut être dangereux, et elle en fit part à ses amis.

Des échanges verbaux se firent entre aventuriers et sorcier, mais ils n'aboutirent à rien. Manifestement, l'homme préférait mourir plutôt que de trahir ses maîtres, et il annonça pis que mort et souffrance à Taurgil et ses amis. Il acceptait ou plutôt constatait sa défaite mais ne se rendrait pas ou ne donnerait aucune information. Sa mort ne serait que le résultat de son incompétence et donc méritée. Mais il semblait se délecter à l'idée de ce que les actions des aventuriers allaient entraîner. Devant la confiance affichée par Mordin et ses amis, il laissa même entendre qu'ils ne chanteraient pas toujours la même chanson face au Nécromancien ou à ses plus puissants serviteurs...

Le lien avec le Nécromancien, même si ça n'était pas forcément une surprise, n'était pas quelque chose à prendre à la légère. Mais il serait toujours temps d'y penser ultérieurement. Drilun avait terminé son travail de nettoyage, et il avait senti la magie du rituel se dissiper petit à petit. La voie semblait libre, mais Vif indiqua qu'elle n'entendait plus rien sous le lit. Après une dernière hésitation, le Dúnadan entra dans la pièce et alla jusqu'au lit, qu'il souleva. Dessous, un homme en habits de cuir noirs était figé, un rictus de douleur sur les lèvres. Il s'était entaillé profondément un bras avec son épée, dont le bord luisait d'une substance huileuse et probable poison violent. Il avait dû mourir rapidement, mais douloureusement. Pourtant, il n'avait fait aucun bruit... Le dernier chef - selon toute apparence - du culte du Noir était mort à présent, et ses serviteurs en fuite. On pouvait considérer que la victoire était à présent acquise. Ce qui ne signifiait pas la fin des problèmes pour autant.

Isilmë, de son côté, avait veillé sur les prisonnières et leurs enfants aux côtés de Bronwyn. Et elle avait soigné le corps de Geralt comme elle avait pu. L'assassin portait sur lui un onguent magique utilisé par les orcs et qui pouvait faire des miracles, elle avait déjà vu comment s'en servir. Elle en utilisa une dose pour soigner la blessure au cou, qui se referma en partie. Plus tard, Taurgil fit une infusion d'athelas et utilisa sa magie pour compléter la guérison de l'homme aux cheveux blancs. La cicatrisation n'était pas complète, mais le transport du blessé sur un cheval pouvait désormais être envisagé sans crainte. Par contre rien n'expliquait son inconscience, sauf un poison ou une drogue, ni quand il reviendrait à lui.

8 - Rassemblement et tentacules
Les cavernes furent passées au peigne fin, les ennemis tombés furent fouillés et dépouillés de leurs richesses et équipement intéressant. De l'argent fut trouvé, mais en quantité bien moindre qu'attendu par le nain. Il fut offert aux prisonniers nordiques, du moins pour ceux qui voulaient bien s'encombrer d'une bourse avec diverses pièces de cuivre, de bronze ou rarement d'argent. Un grand nombre d'armes et armures de qualité étaient également présentes, ce qui le ravit. Les chambres des sorciers et du vampire reçurent une attention toute particulière, mais il semblait que le plus important avait été détruit : Drilun apprit grâce à un de ses sorts que le dernier sorcier avait eu le temps de réduire en cendres des notes en noirparler dans un brasero, à l'aide de sa magie. Il n'avait rien pu apprendre, même magiquement...

En revanche, l'équipement des sorciers attira l'intérêt : ils étaient vêtus de cuir sombre et noir, léger et très résistant. Ces vêtements furent mis de côté. Surtout, chacun portait un anneau d'or couvert de petits signes et manifestement magique. Les trois anneaux furent mis dans une bourse et confiés au nain. De la nourriture fut découverte et récupérée, sans parler d'autres choses qui pouvaient servir pour les ex-prisonniers : vêtements, couvertures, gourdes, etc. Des poisons furent repérés également, mais ils en avaient déjà un bon nombre et ils ne s'en servaient pas souvent. Tout cela prit du temps, mais il ne fallait rien laisser au hasard.

Après ces fouilles, Vif quitta ses amis pour sécuriser le passage à l'extérieur de la vallée. Dans la vallée elle-même, le mouvement de panique enclenché une demi-heure auparavant se poursuivait, et les Sagaths n'avaient pas encore fini de fuir les lieux : il leur avait fallu revenir jusqu'à leur campement, prendre quelques affaires à la hâte et un cheval, puis se précipiter vers la grotte aux parois couvertes de runes lumineuses qui descendait vers leurs terres. Mais il était difficile à un millier de cavaliers d'emprunter une grotte en forte pente et au mieux assez large pour deux de front. La fébrilité ou l'agressivité de certains avaient eu raison de toute prudence, et lorsque Vif arriva à l'entrée du tunnel, elle vit que de nombreux chevaux étaient tombés et s'étaient cassé les pattes. Son arrivée amplifia le mouvement : les chevaux, motivés par la peur, entraînèrent de nombreux cavaliers dans leur chute. La lionne s'employa à bloquer le passage et à tuer tous ceux qui voulaient encore l'emprunter pour fuir.

En parallèle, il restait encore beaucoup de nordiques à secourir. Certains, dans le mouvement de panique près de l'entrée des grottes, avaient été piétinés, mais tous n'étaient pas morts et devaient être secourus. D'autres s'étaient réfugiés à différents endroits de la vallée, regardant les Sagaths fuir les lieux au plus vite. En plus de porter secours aux blessés, il fallait rassembler les nordiques restants pour les rassurer et les préparer au voyage qui devait les ramener chez eux. Tout en récupérant le maximum de chevaux et en combattant les éventuels orientaux restants. Mordin et Bronwyn trouvèrent une monture et partirent s'en occuper, suivis également par Drilun et Isilmë. Dans la nuit et la brume, la vallée retentit de nombreux appels mais aussi de bruits de bataille, de combat et de mort. Les Sagaths encore dans la vallée étaient les plus faibles. Désorganisés, ils n'étaient aucunement une menace pour des guerriers aguerris et bien équipés, quoique fatigués.

Drilun et Isilmë, pris par leur travail, en oublièrent de faire attention où ils allaient. Alors qu'ils suivaient deux chevaux afin de les ramener aux grottes pour les prisonniers, l'elfe perçut un frémissement suivi d'une agitation croissante de l'eau du lac contre lequel ils en étaient venus à chevaucher. Elle eut à peine le temps de prévenir son ami qu'une douzaine de grosses tentacules sortirent de l'eau et se jetèrent sur les quatre chevaux - les deux que suivaient l'archer-magicien et son amie, et les leurs - et les deux cavaliers. Le Dunéen et l'elfe se trouvèrent bientôt à terre et furent assaillis par une voire deux tentacules, tandis que leurs chevaux étaient inexorablement attirés dans l'eau. Ils poussèrent des cris, attirant l'attention de Mordin et Bronwyn qui n'étaient qu'à une portée de flèche de là, et qui arrivèrent rapidement.

Drilun perçait chaque tentacule d'une flèche et elle se rétractait dans l'eau aussitôt, tandis qu'Isilmë découpait tentacule après tentacule. Mais l'une d'elles arriva à s'emparer de l'elfe et à l'amener jusqu'au bord du lac, où elle tomba suite à une flèche de son ami dans le membre puissant qui l’agrippait. De leur côté, nain et princesse nordique tranchaient un ou deux membres et voyaient les autres tentacules rebrousser chemin... et deux chevaux être attirés au fond du lac dans des remous et tourbillons, en hennissant. Puis tout redevint calme, et le Dunéen se maudit de ne pas s'être rappelé de rester bien à l'écart du lac, où ils savaient que se terrait un monstre marin. Le nain pensa avec un sourire que Drilun était sûrement le plus intelligent du groupe... sauf quand Isilmë était près de lui.

9 - Pleurs et départs
Après plusieurs heures, le bilan fut fait : cent nouveaux prisonniers nordiques avaient pu être rassemblés, soignés, nourris et réconfortés. Ils restaient durablement meurtris dans leur corps et dans leur âme, affaiblis au point de pouvoir à peine marcher pour certains comme les femmes enceintes. Cela portait le total des rescapés à environ cent cinquante. En parallèle, un nombre encore plus grand de chevaux avaient été récupérés. Il y en avait largement assez pour servir aventuriers et ex-prisonniers nordiques, et les autres qui restaient pourraient servir de bêtes de somme : elles avaient été chargées avec de la nourriture mais aussi avec ce qui avait été trouvé de plus précieux dans les grottes, notamment les armures de qualité. Quelques rares charriots avaient été laissés par les Sagaths parmi leurs tentes et autres affaires, mais la décision de s'en servir avait été abandonnée : les charriots seraient trop lents sur les plaines des territoires des Sagaths, or la vitesse était essentielle à leur fuite.

Toute la troupe se mit à cheval et traversa la vallée à présent désertée. Les Sagaths qui n'avaient pas fui avaient été abattus par la lionne ou étaient morts dans des combats contre les aventuriers. Peut-être certains faisaient-ils le mort ou avaient-ils trouvé à se cacher, mais personne ne s'en souciait. Tous arrivèrent à l'entrée de la caverne aux runes brillamment éclairée de rouge, et gardée par la lionne au milieu d'une impressionnante pile de cadavres de chevaux et d'orientaux. Les rescapés nordiques ne purent s'empêcher d'éprouver de la frayeur pour ce terrible gardien, même en ayant été prévenus de son existence et du fait que c'était un allié sûr.

Vif avait déjà parcouru une partie du tunnel pour s'assurer que personne ne les attendait pour leur monter une embuscade. Restait à pénétrer dans le tunnel et à le traverser, ce qui était loin d'être simple : la pente était raide, dangereuse pour les pattes fragiles des chevaux, et la plupart des cavaliers nordiques n'étaient pas en très bon état. Les paroles bienveillantes d'Isilmë et la perspective de retrouver enfin leur pays donna un peu d'énergie à tous, et ils entrèrent dans le sinistre tunnel parsemé de corps humains et chevalins. Plusieurs fois il y eut des chutes, parfois graves, et certains chevaux ne s'en relevèrent pas et furent achevés pour éviter de les laisser souffrir. Les blessés furent soignés, les chevaux en trop furent utilisés et leur équipement réparti. La progression était lente.

Mais la troupe dut s'arrêter après seulement deux ou trois portées de flèche dans le tunnel écarlate : les très jeunes enfants et surtout les bébés et nourrissons avaient sans grande exception commencé à se plaindre dès l'entrée du tunnel, mais plus la troupe avançait et plus leurs hurlements se faisaient intenses et désespérés, et rien ne semblait capable de les calmer. Leurs mères étaient en pleurs et ne savaient que faire. Les aventuriers soupçonnèrent la magie du tunnel d'en être à l'origine : eux-mêmes avaient senti à l'aller une fatigue anormale leur tomber dessus au fur et à mesure de leur progression. Ce devait être encore plus intense pour ces petits êtres faibles et vulnérables. Cela expliquait peut-être aussi pourquoi les plus jeunes Sagaths ne pénétraient pas dans la vallée mais restaient à l'entrée avec leur mère ou autre famille...

Si c'était bien là l'explication, les enfants étaient sans doute condamnés. Sans le dire clairement aux mères en pleurs, Isilmë et ses amis essayèrent d'expliquer qu'il n'était pas possible de faire demi-tour ou de trouver une solution au problème : il fallait continuer, quelle qu'en fût l'issue. Vif proposa à ses amis, qui traduisirent pour les mères nordiques, qu'elle pouvait éventuellement prendre des enfants sur elle pour leur faire traverser le tunnel à grande allure. Peut-être cela leur permettrait-il de survivre, si la magie noire présente était liée à la durée du passage... Six femmes seulement acceptèrent de faire confiance au félin. Mais comment installer les bébés et jeunes enfants sur elle ?

En fin de compte, Bronwyn proposa de monter sur le félin et de les tenir contre elle, dans des tissus - ils en avaient emporté un certain nombre. Ce qui fut aussitôt fait, et la lionne s'élança dans la pente comme seul un félin ou des animaux de montagne pouvaient le faire. Rapidement, cependant, les cris des enfants moururent, et leurs corps s'immobilisèrent pour de bon. Plus haut dans le tunnel, la même chose se produisit : les uns après les autres, au fur et à mesure que la troupe descendait, leurs voix s'éteignaient, puis leurs corps. C'est une troupe en larmes qui arriva de l'autre côté du tunnel, démoralisée : trente enfants venaient de mourir. Et Vif pensa à l'emprise croissante que Tevildo avait sur elle à présent, sans parler de Geralt également. Le culte du Noir avait perdu, certes ; mais eux, qu'avaient-ils gagné ? Et ils étaient encore loin d'être au bout de leurs peines...
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Horselords - 21e partie : Fuite et obstacles

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1 - Attendus
Toute la troupe finit par arriver à l'extrémité du tunnel illuminé d'écarlate par les runes magiques. Tandis que les corps des enfants morts étaient récupérés par leurs mères en pleurs, Vif fit un rapide examen des environs, aidée par Taurgil et la longue-vue de Geralt. Rien ne bougeait à proximité de l'entrée du tunnel, et les camps proches de femmes et d'enfants sagaths semblaient désertés. En revanche, des lumières étaient présentes dans les bois proches, au-delà de la zone défrichée, à peut-être deux ou trois portées de flèche de là. Les ennemis étaient bien présents, ils n'avaient pas tous fui, et ils les attendaient. Ils avaient allumé quelques feux, et il semblait que certains d'entre eux avaient préparé des flèches incendiaires. Ils restaient à couvert, mais beaucoup étaient à cheval et pourraient charger et être sur eux en un rien de temps.

Drilun confirma la chose magiquement : il "sentait" peut-être trois ou quatre cents personnes ou chevaux montés. Vu leur emplacement, cela voulait dire aussi qu'ils avaient mis la main sur leurs propres chevaux à eux, qu'ils avaient laissés dans les bois en attendant leur retour. Dont les chevaux exceptionnels de Bronwyn et de Geralt. Ce dernier commençait d'ailleurs à émerger de sa torpeur, avec difficulté. D'abord parce qu'il n'avait pas franchement envie de faire autre chose que se prélasser, ensuite parce qu'il était encore tout engourdi. Le poison paralysant du vampire l'affectait encore, limitant sa coordination. Il perçut les bandages autour de son cou et fut bientôt informé de ce qui s'était passé pendant son coma. Après avoir chaleureusement remercié la Femme des Bois de l'avoir sauvé, il raconta qu'il avait été "visité" par Tevildo pendant son sommeil. Ce dernier avait proposé de le guérir sans quoi il mourrait, mais il avait refusé... et il n'était pas mort, malgré la méchante cicatrice qu'il garderait au cou.

Un petit conciliabule fut organisé quant à la suite à donner. Personne ne souhaitait rester dans le tunnel. Si du repos aurait bien plu à certains, tous doutaient de pouvoir se reposer sous les runes magiques. Sortir s'exposait à une attaque en règle des Sagaths, dont les lances pouvaient être redoutables sur des chevaux en train de charger. Il fallait sortir de là et éviter le combat à découvert, d'autant que les effets néfastes de la noix de l'écureuil ingérée par Bronwyn et les aventuriers se faisaient sentir : leurs corps, après la formidable stimulation qu'ils avaient subie, étaient maintenant plus gourds, plus lents, plus faibles. Leur tête était moins claire et leurs sens diminués.

La solution proposée fut d'utiliser la magie de Drilun pour lever une brume épaisse permettant aux deux tanks de l'équipe - Vif et Taurgil - d'aller faire le ménage en tuant et faisant fuir le maximum d'ennemis. Le brouillard empêcherait les ennemis de charger et de se coordonner, et une fois en forêt, dans un noir de poix augmenté par la brume, les Sagaths seraient des proies faciles. Le Dunéen lança son sort avec douleur - l'énergie commençait à lui manquer à lui aussi pour faire de la magie - tandis que la lionne mangeait à nouveau un caméléon de nuit, ce champignon qui la rendrait à peu près invisible dans l'obscurité. Alors que la brume s'étendait et que nordiques et aventuriers sortaient prudemment de la caverne, Dúnadan et féline Femme des Bois allèrent à la rencontre de leurs ennemis.

Des cris se firent bientôt entendre, et quelques bruits de combat bientôt remplacés par des bruits de fuite. Taurgil, avec son armure de mithril, était presque invulnérable face à des ennemis normaux et mal coordonnés. Et Vif était comme un démon invisible et mortel, dont les rugissements affolaient les chevaux que leurs cavaliers avaient toutes les peines du monde à maîtriser. Petit à petit, les bruits s'éloignèrent, même si parfois des Sagaths en fuite tombaient par erreur - fatale pour eux - sur le groupe, ce qui permit de récupérer quelques chevaux. Mais il ne fallait pas se reposer pour autant : la nuit, qui leur était favorable, ne durerait pas plus de quelques heures encore. Et le temps passé était susceptible de voir arriver de nouveaux ennemis. Il fallait donc partir de suite.

2 - Chemin de croix
Avant même le départ, cependant, un premier problème dut être réglé : les corps des enfants morts devaient être traités d'une manière ou d'une autre. Leurs mères souhaitaient leur donner une sépulture, au grand dam des aventuriers dont certains auraient laissé les corps en arrière sans état d'âme : il était assez dur de s'occuper des vivants sans s'encombrer en plus avec les morts... Mais Bronwyn indiqua que les croyances nordiques impliquaient de ne pas laisser les morts à la merci des charognards comme les corbeaux ou les loups, même si ces derniers n'étaient que des charognards occasionnels. Après discussion, il fut convenu d'emmener les corps jusque dans le Rhovanion, où là il leur serait donné une sépulture décente - cairn ou bûcher probablement. La pilule ne fut pas facile à avaler, et Geralt dut faire preuve de persuasion enrobée de sentiments positifs, malgré sa difficulté à parler suite à son empoisonnement.

La troupe s'ébranla après avoir allumé de nombreuses lanternes et torches récupérées dans les cavernes du culte du Noir. Mais si les Sagaths ne furent aucunement un problème - la lionne les poursuivait toujours - le chemin lui-même était bien suffisant, ainsi que l'état des cavaliers. En effet, c'était un chemin de montagne escarpé, raide, difficile voire dangereux pour les chevaux. Il faisait nuit noire et la brume qui suivait l'archer-magicien n'aidait en rien à trouver les bons passages ou à distinguer là où les chevaux devaient mettre leurs sabots. De plus, les ex-prisonniers nordiques étaient épuisés voire plus, suite aux traitements reçus au culte. Pour ne rien dire de leur moral, même si la perspective de la liberté et les encouragements d'Isilmë avaient apporté un peu de baume à leur cœur.

Conséquence logique de ce qui précède : l'allure fut extrêmement lente, les chutes furent nombreuses et les blessés ne furent pas en reste. Contusions légères voire plus sérieuses et même quelques fractures pour les humains, et des pattes cassées pour certains chevaux, qu'il fallut achever. Certains montèrent à deux sur le même cheval, faute de montures en assez grand nombre. Alors que l'aube commençait à pointer, le bilan n'était pas bien encourageant : à cette allure-là, il faudrait des heures et des heures pour descendre des montagnes, et ils risquaient de vite manquer de chevaux. Mais peut-être que la lumière du jour, même à travers la brume restante, ferait la différence.

Taurgil avait rattrapé le groupe en cours de route, ayant même pris le temps de trouver un peu d'athelas pour ses soins, et Vif finit par rejoindre la troupe à l'arrêt. Elle annonça que les Sagaths avaient dressé une embuscade à plus d'un mile de là : à un endroit où les parois de la vallée se rapprochaient avant un dénivelé brutal, les ennemis avaient laissé leurs chevaux pour grimper sur les parois escarpées et préparer des pierres et leurs arcs. Ils étaient une cinquantaine de chaque côté, et il ne serait pas possible de passer sans de lourdes pertes. Il faudrait les combattre d'une manière ou d'une autre avant de passer.

Il fut décidé de faire une halte d'une heure, ne fût-ce que pour que Taurgil et Isilmë s'occupent des blessés et que tous ou presque puissent se reposer un instant. Certains aventuriers comme Drilun étaient épuisés et ils risquaient de se blesser en faisant de nouveaux efforts, ou des sorts pour le magicien. Vif et lui furent l'objet d'un sommeil réparateur magique d'une heure ainsi que de soins enchantés, afin qu'ils récupérassent un peu de leur fatigue physique et nerveuse. La pause fut la bienvenue, même si le Dúnadan et l'elfe ne chômèrent guère. Et même à travers la brume, la troupe sentit le jour arriver. Enfin, l'archer-magicien et la lionne furent réveillés, et la troupe se remit en mouvement.

3 - Verrou rocheux
L'allure fut bien meilleure que précédemment et il n'y eut pas de chute, si bien qu'après une demi-heure peut-être, les aventuriers qui précédaient la troupe au niveau du front de brume ordonnèrent l'arrêt. Le sol de la vallée était assez plat, et à deux ou trois portées de flèche, masqués à présent par le brouillard, les bords de la vallée se resserraient en une espèce de verrou étroit, un passage de vingt ou trente pas au plus. Derrière ce goulet d'étranglement, le sol chutait brusquement : c'était un des passages difficiles et traîtres qui nécessiterait du temps à négocier. Ce qui expliquait pourquoi il avait été choisi par les archers ennemis qui étaient montés sur les bords rocheux du verrou : il n'était tout simplement pas possible de passer en galopant, les chevaux se fracasseraient tous les jambes. Et il faudrait du temps pour y faire passer cent cinquante chevaux et autant de personnes, ce qui laissait du temps pour lancer des flèches et faire tomber des pierres...

La brume empêcherait les archers de tirer précisément sur les cavaliers, mais elle n'étoufferait pas complètement les sons : les Sagaths se rendraient vite compte du passage de la troupe de cavaliers, et ils enverraient bouler leurs pierres et pourraient tirer à l'aveuglette, certaines flèches trouveraient bien un corps dans lequel se planter. Et puis Drilun dit que la brume ne durerait plus guère, elle serait levée avant qu'ils aient le temps de passer tous. En revanche, elle leur laissait assez de temps pour préparer une contre-embuscade. Taurgil et Vif prirent d'un côté, Drilun et Isilmë de l'autre, et ils se mirent à grimper sur les parois un peu en amont du verrou.

L'objectif conçu par l'archer-magicien était de se poster au-dessus des ennemis sans se faire repérer, et ensuite de les déloger de leur position. Si les aventuriers avaient cherché à monter ouvertement vers les Sagaths, ils auraient subi une grêle de projectiles variés difficiles à supporter. Mais en entamant le début du conflit au-dessus des orientaux, ils seraient en grande partie protégés de leurs flèches et de leurs pierres, tandis qu'eux-mêmes auraient tout loisir de faire des cartons à l'arc ou de combattre sans avoir personne dans le dos. Sans compter que la lionne était bien plus à l'aise sur ce genre de terrain, avec ses quatre pattes et son sens de l'équilibre, qu'aucun des ennemis présents.

La lionne, l'elfe et le Dunéen furent bientôt en place, malgré la difficulté de l'escalade. Le Dúnadan mit plus de temps et il acheva sa progression alors que les derniers lambeaux de brume se dissipaient. Les quatre amis étaient restés cachés de leurs ennemis, trop occupés à écouter puis observer la troupe de cavaliers nordiques qui attendaient plus en amont. Drilun et Isilmë envoyèrent chacun une flèche, et deux ennemis tombèrent dans la pente, jetant une certaine consternation dans leurs rangs. Mais ils n'avaient pas été repérés, même par les ennemis en face. Ils recommencèrent et deux autres corps tombèrent, mais là les Sagaths placés sur l'autre versant les repérèrent. Taurgil et Vif entrèrent alors en action, descendant sur les plus proches combattants ennemis et utilisant épée et griffes pour faire place nette.

Malgré les tirs nourris des Sagaths, leurs pertes furent sévères sans aucune conséquence pour les quatre amis. Tout au plus cela força-t-il les deux archers à moins tirer à l'arc et à plus jeter des pierres pour déstabiliser ou faire chuter leurs ennemis. Tout se déroula bien jusqu'à ce que l'elfe et le Dunéen virent qu'ils étaient sur le point d'être pris en tenaille par les orientaux qui montaient de chaque côté d'eux et qui commençaient à pouvoir ajuster leur tir. Leur position devenait de plus en plus difficile, même plaqués contre la paroi, et ils n'arrivaient pas à tuer leurs ennemis assez vite pour les empêcher de progresser. Mais Geralt, qui avait suivi les événements et repéré le danger, s'était approché au bas de la paroi et avait commencé à jouer de son arc, attirant l'attention sur lui. Il était un peu à l'écart et protégé par un rocher, si bien que des Sagaths choisirent de descendre le combattre à l'épée, pour leur plus grand malheur... D'autant qu'il fut bientôt rejoint par Bronwyn.

Le nombre d'orientaux diminuant de plus en plus vite, leur moral suivit une courbe similaire et les survivants constatèrent bientôt qu'ils avaient affaire à plus fort qu'eux. La lionne et le grand guerrier en armure brillante semblaient invulnérables et très à l'aise sur ce terrain escarpé. De l'autre côté, les archers faisaient une hécatombe et les Sagaths étaient pris entre deux feux. Ils ne furent bientôt plus qu'une poignée de chaque côté qui tentèrent tant bien que mal de s'enfuir de ce terrain qui n'était pas le leur. Et puis les guerriers d'élite qui les avaient fait se placer là étaient tous morts à présent... Mordin et la troupe de cavaliers nordiques purent bientôt approcher sur un signe de leurs camarades : la voie était libre.

4 - Pas de repos pour les braves
Motivés par la perspective un peu plus concrète de leur retour prochain chez eux, et par les encouragements de Geralt, les nordiques négocièrent le passage difficile sans mal. D'autant qu'il faisait beau et qu'il n'y avait plus de brume pour les gêner. Et puis le soleil avait aussi un effet positif sur leur moral : enfermés dans la vallée secrète et souvent noyée dans la brume causée par les eaux tièdes du lac, certains des ex-prisonniers n'avaient plus vu l'astre du jour depuis des mois ! Le reste du trajet en montagne ne posa pas de difficulté particulière, et en début d'après-midi les plaines des terres des Sagaths furent sur le point d'être atteintes.

Bien entendu, leurs ennemis n'avaient pas baissé les bras. A gauche comme à droite de leur trajet prévu vers le sud, une centaine de guerriers sagaths les attendaient sur leurs montures, à distance prudente, prêts à charger. Une fois que les nordiques seraient sur le sol de la plaine, les orientaux lanceraient probablement l'assaut. Et Taurgil prévint que son armure de mithril ne suffirait pas à arrêter la lance d'un cavalier lancé au grand galop. Autrement dit, pas question de foncer dans le tas : les Sagaths étaient sur leur terrain, et combattre à six contre deux cents était plus que risqué. Et si toute la troupe s'élançait, il serait impossible de protéger tous les nordiques.

Avec ça, tout le monde était un peu sur les rotules, à de rares exceptions près : les ex-prisonniers nordiques n'étaient pas en grande forme suite à ce qu'ils avaient vécu dans la vallée, au passage dans le tunnel magique, et à la descente en montagne. Côté aventuriers, Drilun avait tant et si bien fait de la magie que son corps était douloureux et que tout nouveau sortilège était pour lui une nouvelle souffrance. Ses amis étaient bien fatigués également, à avoir combattu, chevauché ou grimpé sans relâche pendant une nuit complète et la moitié d'une journée. Les soins magiques de Taurgil et Isilmë avaient servi autant qu'il était possible, et les effets négatifs de la noix de l'écureuil ne s'étaient pas encore dissipés pour tout le monde. Et cela faisait trop peu de temps que les aventuriers avaient pris du marchand de sable : ce puissant somnifère au sommeil très réparateur se transformait en poison si les doses prises étaient trop importantes ou rapprochées.

L'observation des ennemis à la longue-vue amena Geralt à faire le constat suivant : il avait vu des cavaliers partir dans d'autres directions, et il était probable que le nombre d'ennemis ne tarderait pas à augmenter. Si la troupe faisait une halte jugée bien nécessaire pour se reposer et reprendre quelques forces, elle risquait de trouver au réveil des troupes plus nombreuses. Cela fut confirmé par Bronwyn : de ce qu'elle savait des Sagaths, il serait facile pour eux de trouver des tribus prêtes à se liguer contre un ennemi commun. En pleine journée, avec du beau temps, les chevaux pouvaient voyager rapidement. En quelques heures, c'étaient potentiellement des centaines voire des milliers d'ennemis supplémentaires qui seraient là pour leur barrer la route.

La conclusion de la princesse nordique fut immédiate : il fallait partir de suite et ne pas se reposer. Elle voyait les choses de la manière suivante : Drilun ferait se lever une brume épaisse qui empêcherait les cavaliers de les charger en aveugle. Éventuellement certains aventuriers pourraient les déstabiliser ou les attirer pendant que le gros de la troupe passerait entre les deux groupes ennemis, vers le sud. Après quoi il ne s'agirait plus que de galoper vers la liberté, vers le Rhovanion, et arriver à la Celduin, la "Rivière Courante", avant leurs ennemis. Là-bas, une armée nordique était censée les attendre et ils seraient sauvés. Le salut n'était qu'à deux ou trois heures de galop au plus, une misère, et tout à fait à la portée des montures. Bref, la magie et la vitesse étaient pour elle la meilleure solution.

Drilun confirma qu'en prenant sur lui, il pourrait faire se lever une nouvelle brume magique. Mais les ex-prisonniers nordiques seraient-ils en état de galoper ? C'est ce que pensait Bronwyn, même si ce n'était pas sans risque. En tout cas, après un discours plein de promesses et d'espoir que leur fit Geralt, la réponse fut unanime : ils étaient prêts à prendre ce risque pour rentrer chez eux, plutôt que d'attendre et de peut-être voir des ennemis trop nombreux leur barrer le chemin. Que faudrait-il faire des éventuels nordiques qui chuteraient en cours de route s'ils étaient poursuivis, comme ils le seraient très certainement ? Il fut convenu que plusieurs bons cavaliers comme la princesse couvriraient les arrières et tâcheraient de récupérer d'éventuelles personnes tombées. Et si jamais le temps manquait... ces personnes seraient abandonnées à leur sort. Mais tous semblaient prêts à cette éventualité. Après ce qu'ils avaient vécu, la mort ne serait pas si horrible à regarder en face.

5 - Au galop dans la brume
Avec une nouvelle grimace de douleur, l'archer-magicien invoqua les éléments et une épaisse brume se répandit depuis un ruisseau près duquel la troupe patientait. Couverte par la brume, la troupe de cavaliers nordiques se mit en branle, tandis que Taurgil et Vif se dirigeaient vers le premier groupe d'ennemis. Des rugissements et hennissements se firent bientôt entendre, d'un côté puis de l'autre, et divers bruits de combat. Bientôt, les cavaliers nordiques purent passer sans problème entre les deux groupes quelque peu désorganisés et privés de quelques dizaines de guerriers.

La troupe, vite rejointe par les deux guerriers, se mit au galop. Vif et Taurgil n'avaient pas fait que du ménage au sein de leurs ennemis. A l'aide de sa longue-vue, Geralt avait pu repérer auparavant le cheval de Drilun - entièrement blanc - monté par un chef sagath. En effet, tous leurs chevaux avaient été laissés dans la forêt non loin de l'ouverture du tunnel qui menait à la vallée cachée, et ils avaient été trouvés et pris par leurs ennemis. Comme il s'agissait de chevaux d'exception, en particulier ceux de la princesse nordique et de l'assassin, ce dernier avait bien sûr cherché à les repérer et avait fait comprendre à ses amis qu'il était attaché à sa monture durement gagnée dans le tournoi nordique...

Malgré la fatigue accumulée, surtout pour le félin, deux de leurs chevaux avaient pu être retrouvés : le Dúnadan montait à présent la monture de Bronwyn, ramenant derrière lui l'étalon blanc du Dunéen. Ce dernier le laissa à un nordique qui montait en croupe d'un autre, et personne ne perdit de temps à faire des échanges. D'autres chevaux purent également être pris aux ennemis, si bien que chacun avait sa monture. Plus motivés que jamais, les nordiques galopaient sans problème, sentant le vent de la liberté souffler dans la bonne direction. Aucun ne tomba, aucune halte ne fut nécessaire pour récupérer quelqu'un. Ce qui était d'autant mieux que les restes des troupes guerrières sagaths les suivaient, tout en restant à l'écart du brouillard qui suivait Drilun. Taurgil et Vif restaient en limite de la brume afin de surveiller les environs et de se repérer pour aller dans la bonne direction.

Après deux heures environ, la forêt d'où ils avaient lancé leur expédition en terre sagath était visible devant eux, de même que le miroitement qui dénotait la présence de la Celduin à proximité. Il ne manquait que deux ou trois miles au plus, et ils seraient à la rivière. Mais brusquement, une troupe d'orientaux sortit des frondaisons et se dirigea droit vers la brume, bloquant tout passage direct vers la liberté. Ils étaient étalés en lignes successives d'une trentaine de guerriers de large, lances levées, les chevaux lancés au grand galop. Distants de quelques portées de flèche de la limite de la brume, il paraissait difficile de les éviter : même en aveugle, ils finiraient bien par trouver la troupe, et le choc promettait d'être terrible.

Taurgil fit très vite passer des ordres : les nordiques, menés par Bronwyn, se décalèrent sur la droite, tout en restant noyés dans le brouillard. Les aventuriers se regroupèrent autour de Drilun, qui fit un nouveau sort pour accroître la puissance de la voix de Vif, malgré la nouvelle douleur que cela lui causa. Le groupe continua tout droit, tout en poussant des cris, tandis que la lionne restait silencieuse. Elle venait en premier, suivie non loin par Taurgil sur le cheval de Bronwyn. Puis venait Drilun, avec Mordin à sa gauche et Geralt à sa droite, et Isilmë derrière lui. La Femme des Bois sentait que la ruse du rôdeur dúnadan fonctionnait : elle percevait les cavaliers adverses qui venaient à leur rencontre, droit vers eux, attirés par leurs cris. Les nordiques devraient passer à côté, et ils seraient en sécurité dans quelques minutes. Il ne leur restait plus qu'à survivre à la charge aveugle de quelques centaines de Sagaths lancés à toute allure sur eux dans une brume dans laquelle on ne voyait rien à plus de vingt pas...

6 - Carambolage
Lorsque les sens exceptionnels de la lionne l'avertirent que les ennemis n'étaient plus qu'à une portée de flèche environ, elle poussa un puissant rugissement droit devant elle, vers le centre des lignes de cavaliers qui venaient vers eux. Les propres chevaux des aventuriers, bien qu'un peu habitués au félin, réagirent mal, et il fallut les maîtriser pour les empêcher de faire demi-tour. De nombreux hennissements et cris humains indiquèrent que les Sagaths avaient le même genre de problème. Et ce fut bientôt le contact : des formes apparurent dans la brume, formes de nombreux chevaux et cavaliers... à terre, morts ou blessés. Le rugissement de Vif avait déclenché un petit mouvement de panique chez les chevaux les plus proches, que leurs cavaliers n'avaient pas réussi à contenir. Lancés à toute allure dans des rangs au départ serrés, ces chevaux avaient entraîné un énorme carambolage dans lequel de nouveaux cavaliers adverses venaient se rompre les pattes et l'échine.

Mais c'est aussi ce que risquaient de connaître les aventuriers. Tandis que les Sagaths prenaient conscience de l'obstacle et se divisaient en deux courants de chaque côté du carambolage, Taurgil et ses amis en étaient réduits à la même manœuvre de la dernière chance. Sauf Vif, qui bondit par-dessus ou au milieu des corps. Ses amis, en revanche, arrivèrent à dévier la trajectoire de leurs montures vers la droite. Du coup, ils croisèrent les cavaliers sagaths qui venaient sur eux à peu près à angle droit, lance toujours prête levée vers leur flanc gauche. S'ils avaient ralenti, le différentiel de vitesse était quand même grand et les lances promettaient de faire du dégât.

Taurgil fut le premier attaqué, étant devant ses compagnons. S'il était relativement confiant dans sa capacité à survivre, il ne s'attendait pas à l'attaque dont il fut l'objet : ce n'est pas lui qui fut visé, mais son cheval, qui fut éventré. La bête s'écroula et le catapulta en l'air. Mais entre sa constitution, son armure et ses talents pour amortir les coups, il s'en sortit sans mal et se retrouva vite debout. Derrière lui, Mordin connut un sort similaire : ses hurlements agressifs arrivaient à faire hésiter les chevaux, mais il n'empêcha pas un Sagath d'enfoncer une lance dans l'arrière-train de sa monture. Lui aussi arriva à amortir sa chute sans mal et il se retrouva à esquiver et dévier les coups des cavaliers qui arrivaient. Isilmë, derrière, n'eut pas autant de chance. Elle perdit assez vite sa monture et se retrouva à terre, à essayer d'esquiver surtout les pattes des chevaux pour ne pas être piétinée. Un sabot lui percuta faiblement une épaule et un autre, plus douloureux, lui cassa probablement une côte et la laissa par terre. Ça ne s'annonçait pas très bien.

Drilun et Geralt, protégés par leurs amis sur leur gauche, avaient réussi à éviter les coups et à rester en selle. Le magicien - encore une fois au prix d'une douleur qui valait bien la blessure de l'elfe - avait fait faire une maladresse à un ennemi qui le chargeait, et qui avait brusquement laissé tomber sa lance. L'assassin avait lui fait montre de ses compétences tant de guerrier que de cavalier, et avait évité tous les coups et donné quelques-uns. Et maintenant les cavaliers ennemis étaient passés, mais d'après le bruit ils faisaient demi-tour et seraient bientôt de nouveau sur eux. Hormis les deux restés à cheval, les autres étaient éparpillés au milieu de la brume, sans rien que les bruits pour les aider à se diriger. Des cibles isolées, faciles, heureusement masquées par le brouillard. Cela suffirait-il ?

Tandis que le bruit du retour des cavaliers ennemis se rapprochait, Mordin se dépêchait de sortir quelques graines de roncier magique données par Radagast. Jetées sur le sol en demi-cercle, elles se mirent à pousser à grande allure et constituèrent un début d'abri qui força les ennemis à modifier leur trajectoire. Il fut bientôt rejoint par l'elfe qui était tombée non loin. Puis tous deux quittèrent cet abri provisoire pour aller vers le lieu du carambolage de chevaux : c'était un terrain trop traître pour que les cavaliers puissent les attaquer en chargeant, ils pourraient lutter à pied. Taurgil y était déjà présent, et ils achevèrent les blessés afin qu'ils ne leur posent pas problème. Bientôt ils furent rejoints par le Dunéen et l'Eriadorien aux cheveux blancs, ainsi que par la féline Femme des Bois.

7 - Cavalerie
Conscients des obstacles et gênés par le brouillard magique, les Sagaths arrivaient à allure réduite et ne pouvaient charger. Mais ils eurent bientôt repéré leur cible. A cheval ou à pied, ils pressèrent sans relâche les aventuriers de leurs lances. Certes, il y avait peu de guerriers vraiment dangereux parmi eux, et les six amis étaient très bien équipés et coordonnés. Bien sûr, le nombre de corps de leurs adversaires se traduisait par des tas toujours plus grands. Mais il en arrivait sans cesse, et la fatigue et les efforts de ces dernières heures se faisaient plus que jamais sentir. Manifestement, les orientaux le percevaient et leurs pertes ne les décourageaient aucunement. Plusieurs membres de l'équipe étaient au bout du rouleau, Drilun le premier, et si davantage de cavaliers sagaths arrivaient, la marée de leurs ennemis serait peut-être la plus forte au bout du compte...

Justement, des bruits de sabot et les vibrations du sol annoncèrent l'arrivée d'une nouvelle et nombreuse troupe de cavaliers arrivant à allure modérée. Bientôt des cris se firent entendre, mais ils firent bondir d'espoir le cœur de ceux qui reconnurent les timbres de voix et les bruits de combat : ce n'étaient pas de nouveaux orientaux qui arrivaient, mais des nordiques ! La physionomie du combat changea très vite : les Sagaths étaient entourés de guerriers frais plus nombreux et mieux équipés, alors qu'ils avaient déjà subi de lourdes pertes. Cela plus l'élément de surprise - ils ne s'attendaient vraiment pas à voir leurs ennemis jusque chez eux - contribuèrent à la rapide débandade qui s'ensuivit. Les orientaux s'égaillèrent dans la brume et au-delà, poursuivis un moment par les cavaliers nordiques jusqu'à ce que tout risque fût écarté.

Bientôt les aventuriers retrouvèrent avec plaisir Bronwyn, mais aussi Rult et ses hommes. De nouveaux chevaux furent fournis à ceux qui en manquaient, et la troupe de guerriers nordiques et d'aventuriers se dirigea vers la lisière de la forêt proche, où les ex-prisonniers nordiques attendaient. En chemin, Rult expliqua que ses guetteurs avaient repéré une brume en plein soleil et qui semblait avancer à l'allure d'un cheval au galop. Comme en plus elle était suivie par des cavaliers dont on devinait qu'ils étaient des orientaux, il avait été facile de trouver combien font deux plus deux. Les cavaliers nordiques avaient alors insisté auprès des membres du village de Dorwinion, Kardavan, afin de les aider à passer de l'autre côté de la rivière.

Ils avaient vu la troupe de guerriers sagaths entrer dans la brume et la troupe d'ex-prisonniers nordiques en sortir peu après un puissant rugissement qui avait effrayé les chevaux. Bronwyn n'avait pas mis longtemps à les mettre au courant de ce qui se passait, et ils étaient accourus au plus vite pour faire fuir leurs ennemis et porter secours aux aventuriers. Les nordiques ne cachèrent d'ailleurs pas leur ébahissement : avoir retrouvé Taurgil et ses amis en un seul morceau, avec à peine quelques blessures légères, face à des centaines d'ennemis, tenait pour eux du miracle et de la légende. Nul doute que les bardes chanteraient leurs exploits pendant encore des siècles à venir !

A leur arrivée, les ex-prisonniers nordiques exprimèrent leur joie de revoir les aventuriers vivants et de les avoir amenés tous en sécurité par une grande ovation et des cris de joie et de bonheur - les premiers qu'ils poussaient depuis bien longtemps. Tous ceux qui s'étaient échappés de la vallée étaient là, certains blessés et mal en point, mais tous vivants et le cœur rempli d'espoir. Ils allaient pouvoir rentrer chez eux ! Même si pour certains, il n'y avait plus de chez eux, leur village ou clan ayant été détruit. Néanmoins, ils revenaient parmi les leurs et avaient droit à un nouveau départ. Et ils pourraient chanter les louanges de Taurgil et ses amis auprès de Driuganic, le chef des Gadraughts, vers qui ils allaient bientôt revenir.
Modifié en dernier par Niemal le 29 août 2015, 09:52, modifié 2 fois.
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Horselords - 22e partie : Noir c'est Noir

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1 - Déclaration de guerre
Tous chevauchèrent en direction de Kardavan, le long de la rivière, tandis qu'en arrière la lionne se repaissait de viande de cheval avant de rejoindre le reste de la troupe. Ils arrivèrent enfin au petit port qui permettait de franchir la Celduin et de retrouver ce bourg viticole du Dorwinion. Tandis que des barques et bateaux faisaient franchir le gros cours d'eau aux cavaliers et à leurs montures, les aventuriers, restés en arrière afin de passer parmi les derniers, se voyaient mettre en garde par le chef nordique des troupes gadraughts. Le capitaine les prévint en effet que le maître de Kardavan, Davnos Kaldigar, n'était pas dans de très bonnes dispositions. En effet, l'armée nordique avait plus ou moins réquisitionné sa ville et ses habitants pour leur permettre de passer la rivière et de porter secours aux aventuriers et ex-prisonniers. Mais cela n'était pas neutre politiquement parlant, et cela mettait la ville en porte-à-faux total avec la politique de neutralité chère au pays du vin...

Et dire que Davnos était furieux était un doux euphémisme. Et il avait largement de quoi. Mordin lui rappela que l'homme avait accepté - moyennant rétribution conséquente - de participer au sauvetage en aidant à faire franchir la Celduin aux aventuriers et à se tenir prêt à faire de même à leur retour pour eux et ceux qu'ils amèneraient. Mais le maître ne se laissa pas démonter et à son tour, il rappela au nain quelques éléments qu'il semblait avoir oublié. A commencer par le fait que la participation de sa ville devait être la plus invisible possible pour les Sagaths. Or, il n'avait jamais été question d'aider à mobiliser une armée nordique complète d'une part ; et d'autre part, et c'était le point qui blessait le plus, l'aide ne devait absolument pas se faire au vu et au su des orientaux. Avec l'intervention des nordiques qui avaient chargé et tué ou fait fuir les cavaliers orientaux, et le rapatriement de tout ce beau monde juste après, l'aide des gens de Kardavan, même si elle avait été un peu forcée, devenait évidente aux yeux de tous sauf des aveugles de naissance, et encore !

Davnos répéta ce dont il avait prévenu les aventuriers avant leur départ : la présence des Sagaths à portée de vue était un élément qui annulait l'aide possible de sa ville. Il s'était fait forcer la main par l'armée nordique, et à présent que les Sagaths avaient vu ce qui s'était passé, cela revenait ni plus ni moins à une déclaration de guerre ! Sa bourgade de deux cents âmes était loin du pouvoir central de Dorwinion et de ses armées, ils étaient ici à l'extrême ouest du pays, à la frontière formée par la confluence des rivières Donu et Celduin. La Rivière Courante avait un courant assez fort (et froid) en ce début de printemps, la franchir n'était pas aisé pour des cavaliers, et encore plus si des soldats tenaient une berge. Mais les habitants de Kardavan n'étaient pas des soldats, loin s'en fallait, et Ilanin et son gué n'étaient qu'à une trentaine de miles (~ 50 km) de là, et il ne fallait que quelques heures à une armée de cavaliers pour aller là-bas, franchir la rivière et être de retour du bon côté...

Alors bien sûr, actuellement une armée nordique était présente. Mais les Sagaths risquaient de vite accumuler des troupes et de donner l'assaut tôt ou tard. Et si l'armée nordique partait, ce serait encore mieux pour les orientaux : ils débarqueraient encore plus vite, même s'ils étaient moins nombreux, et mettraient la ville à feu et à sang. Et le temps que le maître de Dorwinion soit prévenu et que des troupes arrivent - des messagers étaient déjà partis - il faudrait bien compter plusieurs jours. Alors, qui seraient les plus rapides ? Les Sagaths, qui formaient une cavalerie légère et rapide, bien entraînée ? Ou les troupes du pays du vin, avant tout des fantassins qui se déplaçaient surtout à pied ou par bateau ?

Et il ne fallait pas oublier non plus que tout ce beau monde - armée nordique, ex-prisonniers, aventuriers et mercenaires - devait manger et dormir. Un camp entier de tentes était en train d'être monté à la sortie de la ville, en un lieu prévu pour les caravanes de marchandises. Entre les matériaux, la nourriture, l'aide de toute sorte, les patrouilles nouvelles et plus largement le renforcement de la sécurité, l'activité habituelle de la ville avait été entièrement stoppée. Qui allait payer pour tout cela ? Non seulement les aventuriers, par leur présence et leurs actions, avaient placé une redoutable épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, mais en plus ils perturbaient leurs travaux dans les vignobles et leur commerce, et épuisaient leurs stocks de denrées comestibles. Stocks qu'il faudrait reconstituer à prix d'or vu la saison. Etc.

2 - Marchandage et décisions
Si l'homme, en bon marchand, devait certainement en rajouter une couche, ses réclamations étaient néanmoins fondées : les Sagaths, s'ils étaient unis par une forte volonté, pouvaient vite fondre sur la ville et la réduire en cendres. Et même si le culte du Noir avait été éliminé au cours de la nuit dernière, il aurait été présomptueux d'imaginer que la source de ce mal était définitivement tarie. L'actuel maître d'Ilanin, Tros Hesnef, semblait servir les mêmes maîtres et être conseillé par un autre sorcier. Le risque de voir débarquer une armée d'orientaux depuis Ilanin était donc bien réel, et Kardavan n'avait pas les moyens d'y faire face.

Les aventuriers, en accord avec Bronwyn et le capitaine de l'armée nordique, acquiescèrent à une des demandes de l'homme : l'armée nordique ne bougerait pas de là tant que des renforts ne seraient pas arrivés. D'autant que la nuit allait tomber bientôt et que les ex-prisonniers n'étaient pas en mesure de partir pour l'instant. Ils avaient besoin de repos, de soins et de temps... même si ces données n'étaient pas garanties. Comment allaient réagir les Sagaths ? Tenteraient-ils de rassembler une armée assez forte pour les attaquer ? Combien de temps cela leur prendrait-il ? Combien de temps faudrait-il rester à Kardavan ? Que devaient faire les aventuriers pendant ce temps-là ?

Le moment du départ étant incertain, les autres revendications de Davnos avaient du sens : la population de la ville avait plus que triplé du fait de leur présence, passant de deux cents à près de sept cents, et cela avait un coût. Le nain étant ce qu'il était, il marchanda âprement et en désespoir de cause, le maître de Kardavan ne réclama pas plus d'une pièce d'or par jour de présence des étrangers dans sa ville. Selon Mordin, cela devait représenter à peu près le coût effectif de leur présence. Dix pièces d'or lui furent immédiatement remises, ce qui permettait de voir venir. Et dans le cas où ils seraient partis plus tôt, le reste serait considéré comme remerciements et compensation pour le dérangement. Ce qui sembla satisfaire Davnos, bien qu'il eût sûrement aimé plus.

Cet échange posa aussi la question de l'avenir : fallait-il filer immédiatement à Ilanin avant que des Sagaths toujours plus nombreux n'y arrivent pour lancer une attaque ? Fadared, le chef des Algifryonds, leur avait en effet demandé de débarrasser la ville de son chef Tros Hesnef pour déstabiliser les orientaux et permettre de le remplacer par une personne plus encline à prendre en compte les préoccupations commerciales des nordiques et du Dorwinion. Ou fallait-il au contraire aller vers le sud chez les Brotharas, du côté de Thorontir ? Leur chef, Itanulf, devait lui aussi être persuadé de participer à une guerre contre les Sagaths ou au moins de vendre des chevaux. Il serait toujours temps de revenir vers le nord ensuite...

En fin de compte, il fut décidé d'aller à Ilanin. Mais pas immédiatement : l'équipe, dans son ensemble, était sur les rotules, tant physiquement que psychologiquement. Une nuit de repos serait la bienvenue, sans parler de quelques soins magiques. Le félin qu'était Vif partit tout de suite se trouver un toit où passer la nuit, tandis que les autres occupèrent une tente près de celles des ex-prisonniers. Ils discutèrent du lendemain et arrivèrent à la conclusion qu'il n'y avait pas besoin de se presser, la ville étant proche. Il s'agirait juste de s'y trouver pour la nuit afin de profiter de l'obscurité pour entrer dans la forteresse par le passage secret que Vif et Drilun avaient repéré. Mais alors que certains brûlaient d'envie de se restaurer et se reposer, on vint leur faire comprendre que la soirée n'était pas terminée...

3 - Douleurs et séquelles
Bronwyn et le capitaine nordique vinrent en effet leur parler des nourrissons morts lors de la traversée du tunnel. Les corps commençaient à se décomposer, et si l'odeur était déjà fort gênante après une journée, le lendemain elle serait insupportable. Mais ils n'étaient pas encore en terre nordique, et ils n'étaient pas en mesure de s'y trouver rapidement. Néanmoins, les ex-prisonniers n'étaient pas non plus en terre sagath, et cela conviendrait sans doute à une partie des mères de savoir leur enfant enterré là. Restait à le faire accepter à toutes...

Geralt prit donc sa plus belle langue et alla parler aux mères dont les enfants étaient morts. Elles se montrèrent aussi raisonnables qu'il était convaincant, et avec des pleurs elles se préparèrent à partir : un groupe fut immédiatement formé qui comprenait les hommes de Rult, des guerriers nordiques, Bronwyn, Geralt, Drilun et Isilmë, plus les mères et les cadavres des enfants. Les gens de Kardavan avaient fait savoir que le terrain situé au-delà d'un affluent de la Celduin pouvait convenir. Comme il était dépourvu de bois et que la nuit tombait et n'était pas favorable de toute manière aux travaux de bûcheronnage, des pelles et des pioches furent prises et le groupe remonta à cheval.

Après une heure, un site fut trouvé et hormis les aventuriers et mères épuisés, tous se mirent au travail : une fosse fut creusée et les corps disposés au fond, puis de nombreuses pierres furent ramenées sur la fosse, pierres sur lesquelles le Dunéen grava quelques mots. Bronwyn fit un petit discours, de même que le capitaine gadraught, puis tous s'en retournèrent au camp au bord de Kardavan. Les visages étaient à présent secs et déterminés à tourner la page. Mais chez certaines, cette blessure pourrait mettre encore du temps avant de guérir. Et les autres ex-prisonniers avaient leurs propres problèmes, que les aventuriers ne tardèrent pas à découvrir. Mais pour l'heure, la nuit se passa bien et tous accueillirent le sommeil avec abandon après quelques soins magiques.

Le lendemain matin, tandis que Vif et Geralt paressaient encore, Mordin et Taurgil partirent chercher de l'athelas dont le Dúnadan avait besoin pour ses soins. Ils revinrent après une heure, le terrain trop cultivé ne convenant pas à l'herbe. Le village ne comportait aucun herboriste mais ils purent trouver des personnes qui avaient quelques feuilles pour faire en infusion. De son côté, Drilun découvrait que le village n'avait pas non plus d'armurier, alors qu'il avait bien besoin de nouvelles flèches. Il se rappela alors que les ex-prisonniers nordiques avaient récupéré des arcs courts chez les Sagaths, de même que des flèches. Elles ne conviendraient pas à son arc long, mais il pourrait prendre les pointes et empennages et faire de nouvelles flèches avec du bois. Il partit donc dans le camp des femmes et adolescents nordiques, Isilmë sur les talons : en plus d'aimer rester près de l'archer-magicien, elle comptait apporter des soins et paroles bienveillantes aux ex-prisonniers.

Le Dunéen se fit bientôt indiquer la tente où le matériel guerrier avait été entreposé, dont les carquois de flèches qu'il trouva bien vite. Mais à peine venait-il de mettre la main dessus que trois jeunes adolescentes nordiques entrèrent à leur tour, l'air un peu gênées ou bizarres. Elles lui dirent combien elles se sentaient redevables pour tout ce que ses amis et lui avaient fait, et elles tenaient à le remercier. Et elles commencèrent à se déshabiller avec une expression de désir manifeste. L'espace n'était pas grand, bien occupé par le matériel, et ils étaient seuls sous la tente. Elles se tenaient toutes les trois devant la sortie et les protestations de Drilun ne semblaient pas les affecter, si bien qu'il les bouscula alors qu'elles commençaient à se jeter sur lui. Il sortit au grand jour, l'air débraillé, poursuivi par trois adolescentes à moitié nues et à l'expression à présent agressive. Le Dunéen se souvint des discussions au matin sur des difficultés posées par certains ex-prisonniers ; il comprenait bien mieux de quoi il pouvait s'agir à présent.

La course ou l'affrontement se termina bientôt quand Isilmë se jeta dans les bras de l'archer-magicien avec des larmes dans les yeux et beaucoup d'émotion dans la voix. Cela fit un choc pour les trois filles, qui finalement renoncèrent à leur projet et partirent se rhabiller. Des nordiques - femmes ou gardes - expliquèrent à Drilun qu'il n'avait pas été le premier à se retrouver dans cette situation. Des garçons adolescents avaient aussi cherché à se "défouler" pendant la nuit, certains trouvant une compagne volontaire, d'autres non et essayant de forcer celles qu'ils trouvaient... Les enfants avaient vécu une période difficile où les femmes et adolescentes étaient violées chaque soir, et où seuls les adolescent(e)s les plus violents et agressifs - ceux qui plaisaient le plus aux Sagaths - survivaient. Et maintenant qu'ils étaient libres, ils voulaient se défouler, et d'une certaine manière voir les rôles se renverser... Ils porteraient les séquelles de ce qu'ils avaient vécu encore sans doute longtemps, si même il leur était possible de changer et de se réintégrer.

4 - Observations et départ
En plus de fabriquer quelques flèches à la bonne dimension de son arc, Drilun eut l'occasion, avec ses amis, d'entendre divers rapports sur ce qui se passait de l'autre côté de la rivière. Plusieurs groupes de Sagaths avaient été observés au loin, certains en observation, mais qui tôt ou tard remontaient le courant en direction d'Ilanin. L'hypothèse de constitution d'une armée d'ennemis prêts à fondre sur Kardavan semblait donc prendre de la consistance. Mais impossible de l'affirmer avec certitude, ni de savoir si et quand les Sagaths pourraient rassembler une force suffisante pour menacer l'armée nordique présente et qui devait rester en l'attente de renforts.

Les aventuriers, de leur côté, décidèrent de partir en début d'après-midi. Ils se sentaient suffisamment reposés et au trot il ne fallait que trois heures pour arriver à Ilanin. Ils comptaient faire les deux tiers du trajet sur la route, puis grimper dans les collines pour éviter d'éventuelles patrouilles et passer inaperçu. L'allure serait bien plus lente, mais de toute manière ils ne comptaient pas lancer leur offensive de pénétration de la place-forte avant la nuit. Bronwyn resterait sur place aux côtés des nordiques, tant pour aider à gérer les ex-prisonniers que pour aider à repousser d'éventuels assauts.

Les six amis prirent donc la route avec des chevaux récupérés parmi ceux "empruntés" aux Sagaths pour donner à leurs prisonniers. Geralt avait auparavant maquillé l'équipe afin de donner à tous l'apparence d'orientaux, à l'exception de Vif qui gardait toujours sa forme animale magique. Ainsi, même s'ils étaient repérés sur la route par d'éventuels guetteurs, ces derniers ne donneraient pas l'alerte immédiatement et les aventuriers pourraient se charger d'eux avant d'avoir trop de monde sur les bras. Leur objectif était d'arriver discrètement afin de prendre par surprise les habitants de la place-forte au-dessus de la ville d'Ilanin.

Après environ deux heures sans voir quiconque, ni marchand ni Sagath, le groupe s'éloigna de la route et de la rivière et monta dans les collines, où l'allure fut bien plus réduite et la chevauchée plus difficile. Les meilleurs prirent parfois les cavaliers moins bons derrière eux. Ou alors, tels Drilun et Isilmë, ils alternèrent, tant de cheval que de cavalier aux rênes. Plusieurs de leurs amis remarquèrent à cette occasion que l'elfe et le Dunéen prenaient manifestement plaisir à chevaucher ensemble, très près l'un de l'autre. L'archer-magicien, d'ordinaire plutôt sombre, avait alors assez souvent le sourire aux lèvres...

Des guetteurs sagaths embusqués furent repérés au bout d'un moment, et les cavaliers descendirent de selle pour mener les chevaux au pas le plus discrètement possible dans les collines, ce qui ralentit encore la progression, mais porta ses fruits : ils étaient passés inaperçus. Plus tard, tandis que des cavaliers orientaux étaient repérés plus bas sur la route, l'équipe s'arrêta et se cacha le temps qu'ils fussent passés. Si bien que les aventuriers arrivèrent aux environs d'Ilanin alors que la nuit tombait. Vif trouva dans les collines un endroit correct pour les chevaux, où ils auraient de quoi manger et seraient invisibles des patrouilles lointaines. Puis ils continuèrent à pied, en direction de la rivière Donu qui passait au pied de la falaise sur laquelle étaient bâties les fortifications.

En chemin, dans la lumière mourante, ils purent observer à l'aide de la longue-vue les camps sagaths récents qui attestaient d'une prochaine action militaire. Geralt compta au bas mot sept cents guerriers proches des collines, et il y en avait d'autres au-delà du Donu et de la Celduin. Brusquement il sursauta : monté par un chef sagath, il avait reconnu Polochon, le cheval qu'il avait gagné au tournoi de Buhr Widu, et perdu dans les bois sagaths, deux jours auparavant. Il se dit qu'il ne partirait pas sans lui, tant il s'y était attaché. Mais d'abord, il fallait régler son compte à Tros Hesnef et à son "conseiller". Son cheval passerait après.

5 - Passage secret
Drilun et Vif avaient déjà approché la forteresse par le nord et avaient découvert un passage secret au pied de la falaise sur laquelle reposait la place-forte, plus d'une semaine auparavant. Le groupe arrivait par le sud. L'idée était donc de contourner les camps vers l'ouest puis de longer le Donu pour revenir vers l'est et trouver le passage qui les mènerait probablement à la forteresse et son maître Tros Hesnef. Certains avaient envisagé de descendre le courant à la nage, discrètement, mais ce n'était pas au goût de tous : entre les armes et armures métalliques de certains et la température de l'eau, ce ne serait pas une partie de plaisir ! En fin de compte, la berge fut suivie à pied le plus possible, avec quelques passages à escalader pour ne pas trop se mouiller. Tout se passa bien, le groupe fut discret, et les patrouilles furent évitées.

Les six amis se trouvèrent bientôt au pied d'un petit chemin qui zigzaguait deux fois en montant à flanc de falaise, avant de s'arrêter au niveau d'un creux dans le rocher où la porte dissimulée avait été repérée. Mais l'ouïe inégalée de la lionne, puis celle de Geralt peu après, les prévinrent d'une activité inhabituelle en haut de la falaise : de nombreuses personnes y venaient et laissaient tomber des pierres au sol, tout là-haut, tandis que des ordres étaient donnés. C'était une coïncidence trop étonnante pour être le simple fait du hasard : ils ne savaient comment, mais ils avaient été repérés et l'on s'apprêtait à leur envoyer une avalanche de rochers sur la tête !

Vif arriva devant la porte en quelques bonds, tandis que ses amis courraient sur le chemin pour la rattraper. Ils se tinrent bientôt tous les six devant le passage secret, serrés les uns contre les autres. Si jamais des pierres venaient à tomber, trois d'entre eux pourraient se tenir dans le creux qui abritait l'ouverture secrète et bénéficieraient ainsi d'une certaine protection. Mais les autres seraient soumis au déluge de pierres et ils seraient vite balayés. Autrement dit, il fallait trouver comment entrer le plus vite possible. Les amis de Drilun et Vif découvrirent à ce moment-là que le Dunéen et la Femme des Bois, s'ils avaient bien repéré l'endroit et détecté magiquement la présence d'un tunnel juste derrière, n'en savaient pas plus qu'eux sur la manière d'y entrer !

Geralt et Vif, les plus perceptifs, trouvèrent sans grand mal les fentes qui attestaient la réalité de la porte secrète, et ils purent même affirmer qu'elle pivotait vers l'intérieur - mais ils ne purent dire de quel côté. En revanche, ils ne trouvèrent absolument aucun mécanisme permettant d'ouvrir le passage. Ou bien ce mécanisme était entièrement à l'intérieur et nécessitait la présence d'une personne de l'autre côté, ce qui paraissait étonnant pour un passage secret, ou bien la porte s'ouvrait autrement que mécaniquement. Par magie ? Drilun n'avait rien ressenti de particulier ni vu de rune, mais la perception de la magie n'était pas son fort. En revanche, Isilmë et Taurgil pensaient bien qu'il y avait quelque chose...

L'archer-magicien, à la demande de ses amis, examina de plus près l'ouvrage, et il finit par ressentir une magie runique sur le passage. Il s'agissait bien d'une porte magique qui devait s'ouvrir à l'aide d'un mot de passe ou autre méthode prédéterminée. Mais les runes devaient être de l'autre côté et il ne pouvait en dire plus. Les aventuriers essayèrent divers mots de passe comme "ouvre-toi" dans plusieurs langues, mais sans succès. Et pendant ce temps-là, ils pouvaient entendre, plus haut sur la falaise, des hommes qui amenaient davantage de pierres. S'ils ne trouvaient pas rapidement comment entrer, trois d'entre eux risquaient de passer de vie à trépas...

Après réflexion, Vif se dit que la personne qu'ils avaient rencontrée la plus susceptible d'utiliser le passage était le vampire. Or ils avaient trouvé sur lui un collier, sans doute magique, que Mordin avait gardé sur lui, ainsi que trois anneaux similaires trouvés sur les sorciers qu'ils avaient abattus dans la vallée cachée du culte du Noir. Et si la clef, c'était le collier ? Elle fit part de sa réflexion en miaulant, et Taurgil lança un sort afin de la comprendre et de traduire. Le nain sortit le collier d'une poche, il l'agita devant la porte, et au moment où il mit le bijou en contact avec la pierre, un frémissement se fit sentir. Un épais pan de pierre pivota brusquement à l'intérieur, vers la gauche, laissant apparaître le début d'un tunnel plongé dans l'obscurité.

6 - Six divisé par deux égale Noir
Mais avant de foncer dans le noir, il convenait de s'assurer qu'une mauvaise surprise n'attendait pas nos amis. D'autant que la lionne avait perçu que les tunnels étaient occupés un peu plus loin : ils étaient attendus... D'ailleurs, des éclats lumineux sur les parois du tunnel laissaient deviner la présence de monde à proximité - peut-être une vingtaine de personnes, selon l'ouïe de la Femme des Bois. Mais ce n'était pas tout : à moins de deux pas à intérieur du tunnel, Geralt percevait quelque chose d'indéfinissable au sol, qu'il n'arrivait pas à saisir. Pour Vif, c'était plus précis : il n'y avait rien au sol, mais ce "rien" faisait faux, comme une image rapportée, comme une illusion qui cachait autre chose.

Tout était à présent immobile : les aventuriers, qui cherchaient un probable piège ; les personnes présentes plus loin dans les tunnels, qui devaient attendre le déclenchement dudit piège ; et les gens en haut de la falaise, qui devaient attendre un ordre ou Eru savait quoi. Taurgil et ses amis décidèrent de prendre le temps d'étudier cette bizarrerie qui occupait toute la largeur du couloir en un cercle parfait, pour autant que Vif le percevait. Une petite pierre fut prise et lancée sur le cercle... et la pierre disparut. Une autre connut le même sort. Divers objets servirent de test et permirent de conclure à une espèce de zone d'invisibilité au ras du sol, épaisse de moins d'une main de large : tout ce qui était en dessous disparaissait à la vue, et le grappin de Geralt ne ramenait aucun objet et ne semblait pas plus affecté. Impossible de savoir ce qui était caché, sauf une chose : c'était magique !

Prudemment, certains entrèrent dans le début du tunnel. Taurgil testa un bout de bouclier, il passa le bras au-dessus de cercle magique, mais rien ne se produisit. Geralt et Drilun étaient également entrés, et Mordin, à l'extérieur avec Isilmë et Vif, conservait le collier qui avait fait s'ouvrir le passage. Certains pensaient que la magie n'était rien d'autre qu'une alarme, d'autres que c'était un mécanisme de fermeture automatique. A tout le moins, au vu des tests déjà effectués, cela ne semblait pas couvrir un piège physique. Par ailleurs, ils étaient déjà repérés, et si la porte se fermait, le nain pourrait la rouvrir. Taurgil prit un pas d'élan pour sauter par-dessus le cercle, et il s'élança, éclairé par une lanterne que Drilun avait posée au sol.

Aussitôt, la porte de pierre magique se ferma brusquement, avec force, coupant l'équipe en deux. Quelques secondes après, un ordre fusa dans le tunnel, à une certaine distance, ordre qui fut repris de loin en loin. A l'extérieur, Vif entendit l'ordre émerger quelque part au sein de la place-forte, puis être repris par quelqu'un au sommet de la falaise. Elle perçut ensuite les efforts de nombreuses personnes qui devaient pousser des pierres par-dessus le bord de la falaise, juste au-dessus de là où elle se tenait avec le nain et l'elfe. Pendant ce temps, Mordin collait le collier contre la paroi de pierre, comme il l'avait déjà fait... mais il ne se passait rien, la pierre ne bougeait pas d'un pouce. Les trois amis se collèrent à la paroi, tandis que les premières pierres tombaient en rebondissant ou en les frôlant dangereusement. Mais qu'est-ce qui bloquait cette foutue porte, et que faisaient les autres à l'intérieur ?

A l'intérieur, Drilun découvrait de nombreuses runes sur la paroi interne de l'épais battant de pierre, tandis que Geralt percevait l'avancée de plusieurs pas, et une obscurité grandissante autour d'eux. L'archer-magicien examinait prestement les runes, admirant le bel ouvrage et déchiffrant leur utilisation. La porte ne s'ouvrait que magiquement au contact de magie noire, fut-elle celle d'un sort ou d'un objet magique. Mais alors pourquoi ne s'ouvrait-elle pas ? Il ne faisait aucun doute que Mordin avait essayé de l'activer avec le collier, comme précédemment... Mais le Dunéen arrêta un moment ses réflexions : la lumière de la lanterne faiblissait de plus en plus, et Geralt annonça que la petite caverne dans laquelle débouchait le tunnel était à présent occupée, même s'il ne pouvait y voir goutte. Et si la lanterne s'éteignait, ils seraient privés de vue - même s'ils avaient pris la précaution de s'enduire les yeux de trèfle de lune pour voir dans l'obscurité aussi bien qu'un elfe - et particulièrement vulnérables.

7 - Un trou dans une cotte de mithril
Drilun se concentra pour créer une lumière fantomatique dans l'ensemble de la caverne et du bout de tunnel où il se trouvait. Au même moment où son sort vint à la vie, sa lanterne s'éteignit : la lumière ne s'était pas réduite de plus en plus, non, la flamme s'était brusquement éteinte, comme sous l'effet d'une force magique. Le sort du Dunéen permettait tout de même d'y voir, mais il mettait aussi en valeur une zone d'obscurité à peu près totale au centre de la caverne, et elle venait vers eux. Geralt, qui avait préparé son arme et attendait en position de combat, arriva à percevoir comme une silhouette armée plus noire que l'obscurité qui tentait de lui porter un coup à l'aide d'une arme tranchante. Il bloqua le coup et répliqua, et le cri qu'il entendit lui laissa penser qu'il avait touché quelqu'un. Taurgil, pendant ce temps, restait sur la défensive, n'arrivant pas à percevoir ce que combattait son ami.

A l'extérieur, Mordin prit sa hache au manche en os de dragon et il se mit à marteler la paroi en espérant arriver à creuser la roche. Mais malgré la qualité du métal dont la lame était faite, il arrêta vite : la pierre n'était nullement affectée et le tranchant de la lame était émoussé. Les pierres continuaient à tomber, et avaient déjà réussi à faire disparaître le sentier qu'ils avaient emprunté depuis le bord de la rivière, quelques mètres plus bas. Vif avait aussi perçu la présence de Sagaths (d'après leurs voix) au bord de la rivière ; ils avaient dû arriver par le même chemin qu'eux. Mais pour l'instant, ils restaient à distance prudente, attendant que l'averse de rochers soit passée. De toute manière, pour la lionne, ils n'étaient aucunement un problème.

Dans la caverne, le combat continuait. Le maître-assassin avait encore repoussé quelques attaques, touché une nouvelle fois et pris quelques égratignures. Taurgil avait aussi essayé de porter une attaque dans le vide, attaque qui lui avait semblé rencontrer quelque chose, mais il était comme un aveugle. Plus inquiétant, Geralt éprouva l'envie soudaine de jeter son épée au loin, mais il se maîtrisa, non sans un certain effort. Il soupçonna une quelconque sorcellerie pour le désarmer et se demanda combien de temps il tiendrait, d'autant que son adversaire était très rapide et très difficile à percevoir. Drilun, quant à lui, faisait une découverte d'importance : une rune récente avait été ajoutée au milieu de la porte de pierre, et sa magie semblait liée au cercle magique au ras du sol. Cette rune bloquait la réouverture de la porte, il en était sûr. Il prit ses outils de mithril afin de la détruire au plus vite.

Ses gestes furent si rapides et précis - il s'étonna lui-même - qu'il détruisit la rune en quelques secondes. Dans le même temps, Geralt, à sa grande horreur, fut à nouveau pris d'une irrésistible envie de jeter son épée au loin... ce qu'il fit. Il se jeta alors en arrière tandis que Drilun criait à ses amis d'ouvrir la porte, et le battant de pierre pivota bientôt. Vif, aidée par ses sens exceptionnels, embrassa du regard le tunnel et le début de la caverne, et elle vit un tableau étonnant... et inquiétant : Geralt se relevait, désarmé, plus ou moins aux pieds de Drilun qui lâchait ses outils pour bientôt prendre arc et flèche. Et plus loin, Taurgil était sur la défensive, épée levée, face... au vide. En revanche, une ombre plus noire que la nuit s'était glissée sans bruit dans son dos et elle levait une lame aussi noire que le néant.

La lionne poussa un rugissement d'avertissement tout en bondissant. Le Dúnadan comprit magiquement ce qu'elle lui criait et il eut un geste désespéré pour se mettre hors de portée. Mais pas assez rapide, et il sentit une lame traverser sa cotte de mithril comme si c'était un vêtement, puis son dos. Le geste n'avait pas été inutile néanmoins, car ce mouvement brusque avait eu pour effet de laisser son cœur indemne : la lame s'apprêtait à le transpercer mais elle le rata, bien que de peu. La douleur envahit le corps du grand guerrier, qui arriva néanmoins à rester debout et conscient, tandis qu'une nouvelle douleur se propageait dans la plaie et dans son corps : la lame était enduite d'un poison fulgurant qui le brûlait.

8 - Premier objectif accompli
La lame ressortit du corps de Taurgil mais elle n'eut pas le temps de resservir : la lionne tomba sur la silhouette ténébreuse et elle porta le coup le plus violent qu'elle avait jamais assené. Épaule et bras droits (et l'arme que la main tenait toujours), ainsi qu'une portion du visage, volèrent dans un coin de la caverne, tandis que le reste du corps s'effondrait non loin et que du sang giclait contre les parois. L'obscurité redevint normale dans la caverne et laissèrent entrevoir des Sagaths d'élite qui arrivaient au combat, en plus de deux archers déjà prêts. Derrière l'un d'eux se tenait également un homme dont l'accoutrement faisait diablement penser à un sorcier, d'autant qu'il ne tenait aucune arme mais qu'il se concentrait en faisant des gestes et en marmonnant dans une langue étrange.

Geralt vit l'elfe porter secours au guerrier blessé et son premier geste fut de prendre sa sacoche avec le baume orc et d'autres préparations et de la lancer aux pieds du Dúnadan, à portée de main de l'elfe. Puis il courut aux côtés de Taurgil et lui prit son épée, tout en faisant face au guerrier sagath qui l'attaquait, qui n'arriva pas à lui faire de blessure sérieuse. De son côté, la lionne était la cible de deux flèches et d'un coup d'épée qu'elle ignora, avant de transformer l'adversaire le plus proche en charpie. Elle fut également la cible de sortilèges divers visant à manipuler son esprit. Mais cette magie noire ne put pénétrer ses défenses et sa volonté, malgré sa violence. Drilun abattait ou blessait guerrier après guerrier, et l'archer derrière lequel se tenait le sorcier vit bientôt une flèche s'enfoncer dans son abdomen. Il resta debout, le temps que la lionne le renverse en se jetant vers le sorcier dont la mort fut aussi brève que sanglante.

Isilmë n'était pas restée inactive pendant tout ce temps-là : entrée en même temps que Vif, elle avait tiré Taurgil sur le côté, dos au mur, et avait récupéré la sacoche de Geralt tandis que ce dernier les protégeait. Puis elle avait reculé le grand guerrier un peu à l'écart du combat et avait entrepris de le déshabiller pour utiliser les herbes et onguents. Mais elle comprit vite que le Dúnadan était en proie à une grande souffrance causée par un poison, et que le temps était compté. Geralt avait également un contrepoison dans ses affaires, mais le poison était trop rapide. Elle se concentra alors et appela à elle sa magie des soins, en y insufflant toute l'énergie qu'elle pouvait y mettre. Le résultat dépassa toutes ses espérances, et le grand guerrier sentit soudain la brûlure du poison s'évanouir d'un seul coup... mais pas la faiblesse qu'elle avait engendrée.

Tandis que le reste de l'équipe abattait les guerriers sagaths qui finissaient par refluer de plus en plus vite, Isilmë arriva enfin à appliquer le baume orc sur la blessure, qui se referma en partie, tout en causant une nouvelle douleur au blessé et quelques grimaces et grognements. Puis elle appliqua un tissu et stoppa l'hémorragie, avant de réaliser un bandage à l'aide de bandes de tissu magique que le Dúnadan portait sur lui. Il était à présent sauvé. Il avait survécu à une blessure mortelle, il avait été brûlé par un poison puissant et fulgurant, il avait perdu beaucoup de sang, mais il était vivant et conscient. Mieux, il était toujours resté debout ! Elle l'allongea néanmoins pour qu'il puisse se reposer, tandis que le reste de l'équipe faisait le bilan.

L'homme qui avait failli tuer Taurgil semblait être un Sagath de petite taille, nerveux mais pas particulièrement costaud, et très rapide. En fait, Drilun trouva qu'il correspondait assez bien à la description qu'on leur avait faite de Tros Hesnef, le maître d'Ilanin qu'ils étaient venus abattre. Et le sorcier qui l'accompagnait était sans doute son conseiller... Si cela se confirmait, leur mission était à présent remplie. Vif et Geralt revinrent en disant que les Sagaths étaient tous morts ou avaient bloqué la trappe qui permettait de sortir des tunnels. De l'autre côté, celui de la rivière, l'avalanche de pierres avait cessé, mais les plus perceptifs entendaient des cris et des ordres en haut de la falaise, et sans doute de nouveaux rochers ou autres matériaux que l'on amenait.

9 - La vengeance du Noir
De nombreux Sagaths d'élite étaient morts dans les tunnels, ainsi que le guerrier de l'ombre et le sorcier. Ces deux derniers étaient mieux équipés que les précédents, ce qui accréditait leur position de chef : l'un avait une armure de mailles d'excellente facture - ce qu'il en restait du moins - et très légère, tandis que l'autre portait les restes d'un cuir souple très léger mais extrêmement solide, un peu pareil à celui qui avait été trouvé en Forêt Sombre et que portait Isilmë. Par ailleurs, tous deux portaient un trousseau de clés dans une bourse de cuir, et le sorcier possédait un anneau qui ressemblait à s'y méprendre aux trois anneaux pris sur les sorciers du culte du Noir et que Mordin portait sur lui. Ce fut donc le quatrième de sa collection. Tous deux portaient également des armes d'excellente qualité et une fiole de poison. Par ailleurs, si la main et le bras arrachés par Vif avaient retrouvé une apparence normale et non ténébreuse, le cimeterre qu'ils tenaient toujours avait une lame d'un noir d'encre.

Selon toute probabilité, les principaux chefs et guerriers étaient morts, même s'il devait en rester quelques-uns pour diriger les opérations. Il ne fallait pas se laisser piéger ici mais les balayer avant qu'ils n'aient le temps de s'organiser. Certes, ils étaient attendus dehors, mais il faisait nuit et ils ne s'attendraient pas forcément à les voir arriver en haut de la falaise, ils devaient les attendre plutôt en bas. Vif proposa de grimper en haut de la falaise avec Geralt sur son dos, après avoir pris du caméléon de nuit. Son corps deviendrait invisible dans l'obscurité grâce à ce petit champignon, elle allait massacrer les ennemis sans qu'ils la voient et leur faire une telle frousse qu'ils croiraient que leur dieu était venu les punir. Drilun prêta son manteau de camouflage à Geralt afin qu'il soit encore plus difficile à voir et qu'il puisse efficacement seconder la lionne. Et tous les deux furent partis.

Les Sagaths ne repérèrent pas le félin dans l'obscurité, ni l'homme accroché à son dos. Certes, il y eut bien quelques pierres délogées pour faire un peu de bruit, mais après l'avalanche, elles étaient plutôt communes et aucune ne mit en danger les deux amis. Ils arrivèrent en haut de la falaise et semèrent rapidement la panique parmi les guerriers. Prenant la poterne d'où certains venaient, ils remplirent la place-forte de sang et de terreur, si bien que les Sagaths ouvrirent bientôt les portes et s'enfuirent, répandant la peur avec eux. Les chefs qui avaient le cran de résister furent les premiers à tomber, et la panique gagna bientôt les orientaux qui s'éparpillèrent comme si leur divinité maléfique était là pour leur donner une leçon et les prendre dans son enfer...

En semant la terreur dans les camps des Sagaths un peu plus bas, les deux amis se rendirent compte que la panique était générale mais qu'on ne les avait pas attendus. Le maître-assassin avait demandé à son amie de se diriger en direction du camp où il avait vu son cheval perdu deux jours auparavant, mais le camp était désert. Néanmoins, ils arrivèrent à distinguer à la lumière de la lune - le ciel était parfaitement clair - le chef vêtu de mailles qui s'enfuyait au loin sur le magnifique destrier que Geralt comptait bien récupérer. L'homme galopait à bride abattue et il se mit à cravacher sa monture de plus belle lorsqu'il se rendit compte qu'une forme humaine comme montée sur un nuage noir semblait le rattraper. La lionne était plus rapide que le cheval, et en passant sur le côté, Geralt trancha le mollet de son cavalier, qui tomba à terre en poussant un grand cri. Le cheval semblait épouvanté et fou de douleur, mais l'assassin aux cheveux blanc prit les rênes et réussit à le calmer enfin. Il pesta après le Sagath qui avait blessé sa monture à force de coups, tandis que la Femme des Bois allait finir de régler son compte audit Sagath.

La lionne continua à semer la terreur aux alentours, notamment en ville, afin de s'assurer qu'aucun guerrier sagath n'aurait le courage de rester. Tous fuirent dans la nature, ou, le plus souvent, ils traversèrent les rivières Donu et Celduin, entraînant avec eux les camps orientaux éloignés que les cris avaient réveillés. Entre l'invisibilité de Vif dans l'obscurité, les démembrements sanglants auxquels elle soumettait les corps de ses adversaires et la superstition qui régnait chez les Sagaths, elle fut bientôt convaincue qu'ils auraient bien du mal à revenir dans la ville. En revanche, elle vit également de nombreuses personnes observer le spectacle derrière les volets et fenêtres des maisons. Mais les habitants qu'elle voyait n'étaient pas des guerriers, et elle les laissa tranquille.

10 - Sécurisation
Ces mêmes habitants, une fois le calme revenu - les Sagaths étaient tous partis ou morts - prirent leur courage à deux mains et se consultèrent. Une vingtaine empoignèrent quelques armes et commencèrent à se diriger vers la place-forte, tous les sens aux aguets et les pores de la peau ouverts à fond. En bref, pour Vif, ils puaient la peur. Certains, au vu des nombreux cadavres qu'ils rencontraient, devaient se demander comment ils avaient pu être d'accord avec ce crétin de !&§%$@!!! qui leur avait fait croire que c'était forcément un allié, qu'il ne s'était attaqué qu'aux Sagaths fanatiques aux ordres de Tros Hesnef. C'est difficile de retenir sa vessie dans un cas pareil. La lionne rejoignit le maître-assassin dans les murs de la place-forte et elle alla chercher Drilun après un bref conciliabule que permettait le tour d'oreille magique fabriqué par l'archer-magicien.

Lorsque les gens d'Ilanin atteignirent les portes d'enceinte de la forteresse, ils les trouvèrent grandes ouvertes. Ils sursautèrent lorsque Geralt, immobile et discret dans le noir, se fit connaître. Ils sursautèrent deux fois plus haut lorsque, un peu plus tard, Drilun arriva accompagné par un gros chat presque invisible dans l'obscurité. Les hommes étaient en majorité des orientaux, plus quelques nordiques, et c'étaient pour l'essentiel des marchands qui avaient pignon sur rue à Ilanin, même si dernièrement ils n'avaient pas eu grand-chose à dire ou à faire devant la situation imposée par Tros Hesnef. Et là, ils découvraient brusquement que le jeune chef de clan et patriarche avait laissé la place à quelque chose d'indéfinissable, et qu'un nouvel ordre était à construire...

La conversation fut assez vite cordiale, les intérêts des deux parties allant dans le même sens. Néanmoins, les gens de la ville furent quelque peu dérangés par les miaulements et autres sons émis par le gros félin et que ses deux maîtres semblaient comprendre. Il leur avait été dit qu'il était une espèce d'aide invoquée par une elfe qui les accompagnait, mais la différence avec un démon invoqué par un sorcier semblait assez faible à leurs yeux, manifestement. Quoi qu'il en fût, les marchands d'Ilanin comprirent que les personnes à qui ils parlaient étaient plus des libérateurs que des envahisseurs, et qu'ils leur donnaient rendez-vous pour le lendemain matin pour établir un nouvel ordre. D'ici là, les portes seraient fermées, car leurs interlocuteurs devaient vérifier qu'il ne restait aucun ennemi dans les bâtiments de la forteresse. Ce qui fut accepté, et les gens retournèrent dans leurs maisons discuter pendant la nuit de ce qui venait de se passer.

A l'aide d'un sort, Drilun inspecta les bâtiments à la recherche de mouvements et signes de vie, tandis que Geralt et Vif fermaient les portes des enceintes extérieure et intérieure. Il restait bien un peu de monde, des esclaves amenés et divers artisans qui avaient dû servir le nouveau maître lorsqu'il avait pris possession des lieux. Ils se terraient en se demandant quel serait leur destin mais furent bientôt rassurés - certains allaient même pouvoir rentrer chez eux ! Ils les aidèrent à débarrasser la trappe vers le passage secret des nombreux meubles qui l'obstruaient, et leur firent une visite du propriétaire. Le château était bien libre d'ennemis, et Taurgil put être remonté et installé dans un lit afin de se reposer dans les meilleures conditions possibles.

En parallèle, Vif demanda à Drilun de rédiger plusieurs messages à Bronwyn, Rult et au capitaine des nordiques installés à Kardavan, de manière à les informer de la situation et leur demander - à Rult et ses hommes tout au moins - de venir au plus vite sécuriser l'endroit. C'était le milieu de la nuit, et elle se faisait fort de faire rapidement l'aller, délivrer le message puis être de retour au petit matin pour dormir. De nombreux orientaux devaient rôder dans la nature voire sur les routes, après leur fuite, mais ce n'était nullement un souci pour elle - plutôt pour eux en fait. Les messages furent bientôt rédigés et enfermés dans la sacoche accrochée autour de son cou, et elle fut partie dans la nuit à son allure de grand félin. Deux heures après, elle était à Kardavan.

11 - Nouvel ordre
Rult et Bronwyn, tirés du lit, durent se faire tirer un peu l'oreille, mais ils finirent par prendre connaissance des messages qui leur étaient destinés. Ils convoquèrent le capitaine des Gadraughts et ils discutèrent de cette incroyable nouvelle : à six, félin compris, les aventuriers avaient éliminé ou fait fuir un millier de Sagaths et tué leur chef et son sorcier. Si le capitaine nordique était plus qu'un brin incrédule, Bronwyn lui confirma que Vif et ses amis avaient des capacités fantastiques. Par ailleurs, la présence du félin, qui paraissait se fondre dans l'obscurité, grâce au caméléon de nuit ingéré, n'était-elle pas la meilleure preuve ? En plus des effets de camouflage du champignon qu'il avait ingéré et de son intelligence surprenante, pour ne rien dire de sa taille, son pelage était couvert de sang à bien des endroits...

Il fallut moins d'une heure pour convenir de la suite et rassembler les hommes. Non seulement ceux de Rult, mais également une cinquantaine de guerriers nordiques. Avec Bronwyn, ils se mirent en route au trot, en direction d'Ilanin, alors que le jour était encore loin de se lever. L'allure était trop lente pour la lionne qui choisit d'aller plus vite, suivie juste par la princesse nordique. Les mercenaires et nordiques préférèrent maintenir une allure tranquille afin de ne pas se précipiter dans une embuscade de Sagaths ou de ménager hommes et montures sur un chemin qu'ils ne connaissaient pas ou pas bien, en pleine nuit.

Vif et Bronwyn ne furent pas inquiétées et arrivèrent à Ilanin avant l'aube. La princesse nordique fut bien accueillie et mise au courant des détails de ce qui s'était passé, et de la réunion prévue avec les édiles de la ville. Les troupes nordiques et mercenaires arrivèrent à l'aube naissante et occupèrent bientôt la forteresse au-dessus de la ville. Si bien qu'au petit matin, lorsque les marchands d'Ilanin se présentèrent, le lieu était sécurisé et quelques patrouilles surveillaient les proches alentours pour prévenir d'attaques éventuelles de rôdeurs orientaux. Les marchands furent mis à l'aise autour d'un verre de bon vin trouvé dans la forteresse. La ville, passage stratégique et économique majeur sur la Men Romen, la "Route de l'Est", était aux mains des nordiques. Le commerce allait pouvoir reprendre pleinement une fois que la situation se serait stabilisée.

Les marchands d'Ilanin furent rassurés : les nordiques n'étaient pas une force d'occupation mais de stabilisation. Des messagers allaient être envoyés pour prévenir les Algifryonds au nord-ouest afin qu'ils amènent une de leurs armées, et les soldats de Dorwinion seraient également les bienvenus. Nordiques et gens du pays du vin seraient en position de force pour sécuriser la rivière et son gué, et éventuellement discuter avec l'ancien Sagath qui dirigeait la ville, Huz d'Anov. Le remettre à sa place garantirait peut-être davantage la paix que de laisser une coûteuse force étrangère : les Sagaths hésiteraient à attaquer l'un des leurs. Et ce "cadeau" qui lui serait fait ne serait certainement pas gratuit mais impliqueraient des taxes réduites et autres avantages plus ou moins discrets. Si le chef oriental était traité comme l'investigateur de ce plan et gagnait en prestige, il ne refuserait sûrement pas une telle proposition.

Les bâtiments de la place-forte avaient recélé de nombreuses marchandises précieuses comme le vin déjà cité, probablement issues des sévères taxes en nature établies par feu Tros Hesnef. Si Mordin et ses amis ne pouvaient véritablement en assumer la propriété, le nain se débrouilla pour les écouler auprès des marchands contre compensation financière ; une forme de note de frais pour leur rôle et de soldes à bas prix. Il aurait même bien vendu jusqu'au mobilier de la forteresse - rideaux compris - mais ses amis lui dirent de se contenter de ce qu'il avait : le commerce avait été limité ces dernières années et les marchands d'Ilanin n'étaient pas bien riches.

L'armée algifryond arriva le lendemain. Son capitaine n'en revenait pas de ce qu'il découvrait, et il annonça que son chef et seigneur, Fadared, était enchanté de la tournure des événements. L'appui des Algifryonds à un futur effort de guerre et à un fructueux commerce de chevaux était garanti - dans des limites raisonnables. L'armée du pays du vin serait sans doute là d'ici un jour ou deux, et les Gadraughts pourraient alors s'en retourner et escorter les prisonniers hors de Kardavan, et les ramener chez eux ou leur trouver un nouveau foyer, pour autant qu'il fût possible. Les aventuriers décidèrent de rester encore tout ce temps-là, nécessaire pour assurer la pleine guérison de Taurgil, qui se passait bien. Même avec herbes et soins magiques, sa constitution était impressionnante : il ne lui aurait fallu que trois jours pour récupérer complètement d'une blessure qui avait failli le tuer !

Ses amis et lui portèrent leurs pensées vers la suite des opérations, mais aussi vers ce qu'ils avaient découvert dans le château, en dehors d'un peu d'or. Dans les affaires du sorcier, une missive avait été préparée en noirparler, une langue employée par certains orcs et maîtres de la magie noire. Il semblait que d'autres sorciers, les "Seigneurs Transperçants", avaient été appelés à l'aide via une précédente missive. Par ailleurs, les aventuriers trouvèrent dans ces écrits comment ils avaient été découverts : les anneaux récupérés sur les sorciers pouvaient être suivis magiquement. Également, les porter au doigt pouvait permettre à d'autres utilisateurs de ces anneaux de pénétrer dans leurs esprits. Ces maléfiques babioles étaient donc des outils dangereux à utiliser et même simplement à transporter.
Modifié en dernier par Niemal le 29 août 2015, 15:50, modifié 3 fois.
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Horselords - 23e partie : Brotharas et Asdriags

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1 - Expérience
Il devenait urgent d'en savoir plus sur les objets sans nul doute magiques récupérés sur les corps des chefs ennemis vaincus, à savoir : quatre anneaux d'or portés par des sorciers, un collier pris sur le corps d'un guerrier vampire, et l'arme utilisée par Tros Hesnef, arme qui avait bien failli faire passer Taurgil de vie à trépas malgré sa cotte de mailles de mithril. Drilun hésitait un peu, car s'il était le mieux à même de découvrir à quoi ces objets pouvaient servir, il n'ignorait pas non plus que ce n'était pas sans risque. En effet, le parchemin trouvé récemment prouvait qu'il existait d'autres sorciers possédant de pareils anneaux et qu'ils étaient liés. S'ouvrir à la magie de ces anneaux, c'était aussi se rendre vulnérable au regard voire à la magie de ces sorciers...

Mais tandis que l'archer-magicien hésitait, quelqu'un avait déjà pris sa décision. Mordin était de la race fière et têtue des nains, et il se riait des influences ténébreuses de ces objets. Les humains et les elfes étaient facilement manipulables, mais les gens de sa race avaient toujours montré une grande résistance aux influences extérieures de toute sorte. Et lui était le plus têtu et obstiné de tous, il ne craignait donc rien. Sans en parler aux autres, dans son coin, il sortit l'un des quatre anneaux qu'il portait par-devers lui, et il le mit au doigt. Il ne sentit rien de spécial, ne constata aucun effet magique ou autre, et, quelque peu déçu, il retira l'anneau du doigt et le rangea avec les autres. Mais il se garda bien de parler de son expérience à ses compagnons.

Un peu plus tard, le Dunéen ayant pris sa décision, l'équipe se rassembla dans la chambre qu'occupait le Dúnadan blessé. Sa guérison était en bonne voie mais il n'était pas encore sur pied. Néanmoins, il pouvait participer aux discussions et observations, assis dans un fauteuil. Drilun proposa d'essayer de découvrir les pouvoirs du cimeterre ténébreux utilisé par le chef sagath, Tros Hesnef. Et ensuite, éventuellement, d'examiner les anneaux des sorciers et le collier du vampire. Il craignait néanmoins d'être manipulé à distance ou par la lame elle-même, et après discussion, voici ce qui fut arrêté : le magicien prendrait place au milieu d'un cercle formé par Bronwyn et ses amis, privé de toute armure ou autre possession potentiellement protectrice ou dangereuse. Il prendrait la lame et si jamais il montrait les signes d'une influence quelconque, il pourrait être vite maîtrisé.

Mordin proposa de commencer en tenant lui-même l'arme, comme il l'avait déjà fait - ce qui lui avait donné une envie de viande saignante - et que le Dunéen ne fasse que toucher la lame dans un premier temps. Ce qui fut adopté. Drilun toucha donc la lame du cimeterre tenu par le nain, et il se concentra sur la magie qu'il sentait à travers ses doigts, reconnaissant - faiblement - les effets de runes magiques qui avaient été insérées dans la lame à sa fabrication. Le cimeterre avait un pouvoir sur l'obscurité proche de la lame, qu'elle pouvait renforcer, tandis que son porteur voyait parfaitement au travers. Mais elle avait sa volonté propre, et elle voulait du sang, elle voulait blesser ou tuer, chaque jour. Et chaque jour où elle serait utilisée et non abreuvée, son influence grandirait... et peut-être même sans cela.

Tandis que Drilun se concentrait et se disait qu'il lui faudrait prendre l'arme par la poignée pour essayer d'en savoir plus, la lame fut brusquement retirée par Mordin. Dans le même temps, Taurgil perçut une puissante magie noire à l'œuvre sur le nain, tandis qu'Isilmë ressentait aussi quelque chose d'étrange concernant son petit compagnon. Ce dernier venait de comprendre que leur ami Drilun n'était pas là et qu'il avait été remplacé par un puissant sorcier qui s'apprêtait à les tuer tous d'ici une seconde. Il n'y avait que lui qui pouvait agir et mettre fin à cette menace. Et seule la mort pouvait y mettre un terme. De toutes ses forces, il enfonça la lame ténébreuse dans le corps de la personne qui se tenait au milieu d'eux.

2 - Combat et destruction
En tout cas, telle était l'intention de Mordin, suivie immédiatement du début d'un geste d'attaque. Tout d'un coup, Geralt et Vif, très rapides et perceptifs, s'aperçurent de ce qui allait se passer. Mais même s'ils étaient prêts à tout, ils ne s'attendaient pas à cela et le temps qu'ils bougent, leur ami serait transpercé. Ils se précipitèrent vers le nain, mais avec un temps de retard... De son côté, Taurgil avait à peine commencé à ouvrir la bouche et il se rendait bien compte qu'il ne pourrait prévenir ses amis à temps. Bronwyn et Drilun, quant à eux, commençaient juste à comprendre - au ralenti - qu'il se passait quelque chose de terrible et qu'il fallait réagir mais qu'il était déjà trop tard. La lame des ténèbres plongea droit en direction du cœur du Dunéen et du flot de sang qu'elle sentait là et dont elle voulait s'abreuver...

Mais Isilmë était elle aussi très rapide et elle avait senti quelque chose. Elle empoigna le bras du nain, à son côté, pour dévier la trajectoire de la lame et empêcher qu'elle ne blesse son ami. Ami qu'elle avait tant admiré depuis ses premières prouesses à Imladris, lorsqu'il avait régalé l'auditoire avec les récits des aventures de leur bande d'aventuriers. Son geste rapide et puissant n'arriva pas à arrêter complètement la lame mais elle fut suffisamment déviée pour ne rien faire d'autre qu'une fine estafilade sur le corps du Dunéen hébété. Puis l'épée de l'assassin fit voler le cimeterre hors des mains du nain, tandis que le corps de la lionne s'abattait sur lui et l'immobilisait, non sans efforts.

Mordin cherchait manifestement à se libérer du corps félin de la Femme des Bois et à achever son travail, mais Vif était la plus forte, et de loin. Le nain semblait comme possédé, même s'il ne portait plus la lame sur lui, il devait donc s'agir d'autre chose. Taurgil demanda à Isilmë de soigner leur ami immobilisé avec sa magie, ce qu'elle fit. A travers son sort elle chercha à calmer Mordin et à lui permettre de reprendre contrôle de lui-même. A sa manière, le Dúnadan voyait cela comme une énergie lumineuse qui combattait les ténèbres qui avaient pris possession de leur ami. Les deux forces semblaient équilibrées, aucune ne prenant l'avantage. Mais Mordin, qui livrait une lutte intérieure, fit un effort de volonté et cela suffit pour faire basculer l'équilibre des forces. Les ténèbres magiques disparurent en et autour de lui, et il ouvrit les yeux, l'air un peu éberlué, comme s'il se demandait ce qui s'était passé.

Après un moment, l'équipe fut convaincue et rassurée : leur ami nain avait bien récupéré toutes ses facultés. Comment cela avait-il pu se passer ? Taurgil n'avait rien senti au niveau du cimeterre, il avait "vu" l'influence maléfique venir de l'esprit du nain lui-même, comme si elle était déjà là. L'intéressé n'osa pas avouer qu'il avait mis un anneau au doigt auparavant, mais il poussa ses amis à essayer de détruire les anneaux des sorciers. En effet, dit-il pour appuyer ses propos, s'ils avaient pu arriver à influencer quelqu'un comme lui, ils étaient une menace permanente et ingérable. Après quelques débats et avis éclairés de Drilun, le groupe fut bientôt d'accord pour essayer de détruire les anneaux. Le débat fut quelque peu différent avec le collier, mais le peu que le Dunéen en avait senti acheva de convaincre les quelques réticents. Quant au cimeterre des ténèbres, il ne semblait pas trop dangereux et même fort utile, dans la mesure où l'on pouvait lui donner sa pitance quotidienne. Ce qui pouvait s'envisager avec les proies que Vif allait régulièrement chasser. Il ne serait donc pas détruit.

La destruction des anneaux et du collier ne fut tout de même pas une mince affaire. La forteresse disposait d'une petite forge pour l'entretien des armes et outils, et le forgeron, ancien serviteur ou esclave, était encore présent. La forge fut allumée, le feu activé à l'aide du soufflet, jusqu'à ce que les braises soient bien blanches et la chaleur infernale pour les non-habitués. Pourtant, l'or dont étaient faits les anneaux refusait de fondre. L'un d'eux fut pris et placé sur une enclume, et Drilun commença à le travailler avec ses outils en mithril, pour constater qu'il en aurait peut-être pour la journée à le détruire ! Il prêta ses outils à Mordin, qui, s'il arriva à un meilleur résultat, ne put que constater la résistance des anneaux et le temps que cela allait prendre. C'étaient vraiment des objets puissants.

Mais l'équipe disposait elle aussi d'objets puissants, et en particulier du cimeterre récupéré dans la main de Tros Hesnef. Un anneau chauffé à blanc fut mis sur l'enclume, et Mordin prit l'arme ténébreuse, puis l'abattit. L'anneau fut fendu en deux... ainsi que l'enclume sur la moitié de son épaisseur. Les restes de l'anneau ne montraient plus trace d'aucune magie et l'or dont ils étaient faits put être fondu sans mal. Après avoir fait quelques runes magiques pour renforcer la solidité de l'enclume, les autres anneaux et le collier subirent bientôt le même sort. L'enclume ne pourrait plus jamais servir, mais c'était bien le cadet de leurs soucis.

3 - Thorontir
Taurgil fut bientôt guéri de sa blessure et les aventuriers se préparèrent à partir, avec Bronwyn ainsi que Rult et ses hommes. Ils quittèrent Ilanin par un matin frais mais à peu près sec, au galop. Ils suivirent la Men Romen, la "Route de l'Est", vers le sud - ils traversèrent les terres des Gadraughts - puis vers l'ouest. Le temps resta potable sans être excellent, mais au moins la route n'était-elle pas engorgée d'eau. La troupe chevauchait toute la journée, entrecoupée de quelques haltes pour faire souffler hommes et bêtes et manger un morceau. Ils ne rencontrèrent pratiquement personne sur la route hormis quelques patrouilles : la menace sagath avait très fortement réduit le commerce et ce n'était pas encore la bonne saison pour les marchands. Dans l'après-midi du troisième jour ils rencontrèrent une patrouille de soldats gondoriens qui tiquèrent un peu à la vue du félin enchanté, mais ils ne firent pas de problème devant l'importance et l'assurance des gens à qui ils avaient affaire.

Peu après, la forteresse gondorienne de Thorontir ou Tirith Thoron - la "Garde de l'Aigle" - fut dépassée. La ville qui portait le même nom n'était qu'à une dizaine de miles de là et elle fut bientôt atteinte. C'était l'objectif des aventuriers : si la ville était gondorienne, elle comportait un quartier occupé par les nordiques du sud, les Brotharas, et leur chef Itanulf y résidait souvent avec sa famille. D'autant qu'il avait des enfants en bas âge qui ne pouvaient pas suivre les pérégrinations des éleveurs de chevaux. Après avoir pénétré dans la ville enceinte d'une palissade, Bronwyn les amena au quartier nordique et s'enquit de la présence d'Itanulf, qui était bien là.

Les chevaux furent laissés à Rult et ses hommes qui les menèrent à une écurie, tandis que la fille d'Atagavia se rendait à la longère qui servait de demeure au chef des Brotharas et de salle commune pour ses gens, et elle demanda audience. Le garde lui apprit qu'il était déjà en entretien public avec des soldats gondoriens et qu'ils pouvaient entrer, il faudrait juste attendre la fin de l'échange. Mais la présence de la lionne n'était pas pour le rassurer, d'autant qu'elle s'accompagnait des habituels caquètements des volailles affolées, des aboiements des chiens, de la nervosité des chevaux, et ainsi de suite. Il finit par se laisser convaincre que l'animal était parfaitement sous contrôle - personne n'aurait osé affirmer qu'il était inoffensif - et tous purent entrer et profiter du débat verbal qui avait lieu.

Trois soldats gondoriens étaient là et l'un d'eux, qui semblait leur chef, expliquait à Itanulf qu'il fallait mieux contrôler ses jeunes guerriers impétueux et éviter qu'ils ne viennent compliquer leur mission déjà bien difficile. En continuant à écouter voire en posant quelques questions aux spectateurs présents, tous nordiques, Bronwyn ou Geralt comprirent de quoi il s'agissait. Il semblait qu'une attaque d'orientaux avait eu lieu peu auparavant sur un regroupement de familles nordiques, et ses habitants horriblement massacrés. Suite à cela, des jeunes guerriers nordiques avaient voulu faire justice eux-mêmes : ils avaient pris les armes et s'étaient enfoncés sur les vastes plaines de Talath Harroch, les "Plaines des Chevaux du Sud", étendue assez pauvre seulement occupée par quelques tribus nordiques ainsi que ces orientaux. Ils avaient été repérés et renvoyés chez eux par des patrouilles gondoriennes après avoir perturbé une opération militaire en cours...

A écouter le Gondorien et le chef des Brotharas, les aventuriers avaient l'impression d'assister à la répétition d'un spectacle déjà plusieurs fois mis en scène. Les propos étaient cordiaux, les deux personnes parfaitement d'accord l'une avec l'autre et les décisions pleines de bon sens. Mais cela ne parvenait pas à cacher un certain aveu d'impuissance qui fut confirmé à voix basse par quelques observateurs à qui la question fut posée. Ce n'était pas la première fois que ce genre de "reproche" était fait par le Gondor au chef des Brotharas. Mais la situation était inextricable : les territoires étaient vastes et les moyens du Gondor comme ceux du clan nordique étaient limités, ils n'avaient pas les moyens de lancer une guerre contre des guerriers rapides et discrets. Le mécontentement grondait à chaque nouvelle escarmouche, et les têtes brûlées s'enflammaient. Aucune solution ne semblait en vue.

La discussion avec les trois Gondoriens prit fin, chacun ayant joué son rôle et fait ce qu'on attendait de lui. Les trois hommes saluèrent le chef nordique et prirent ensuite congé. Après un bref instant teinté d'une certaine lassitude, le visage d'Itanulf se ralluma en se tournant vers Bronwyn pour l'accueillir avec les égards qui lui étaient dus. Il l'invita à venir lui dire la raison de sa visite et à lui présenter ses amis dont il avait déjà beaucoup entendu parler ces derniers jours. Il était manifestement heureux de la voir, elle et les grands guerriers dont il avait eu de multiples échos récents. En cette période sombre, les bonnes nouvelles étaient rares et il n'avait pas l'intention d'en perdre une miette.

4 - Les déboires des Brotharas
Bronwyn déclara accompagner les émissaires d'Arthedain pour une tournée diplomatique auprès des seigneurs cavaliers et elle les laissa se présenter. Drilun s'approcha d'Itanulf et il lui remit la lettre du roi ainsi que le dernier cadeau qu'ils avaient amené : une épée de très bonne facture (acier nain) qu'il avait enchantée pour la rendre encore plus tranchante. Le chef des nordiques apprécia le cadeau, il fit quelques remarques et posa des questions montrant qu'il était bien renseigné, même s'il lui manquait de nombreux détails, en particulier concernant les événements récents. Il était persuadé que le père de Bronwyn devait être dans une rage folle s'il savait la moitié de ce qui se disait sur les risques que sa fille avait pris aux côtés des aventuriers. Puis il commença à parler de ses propres problèmes et d'une éventuelle participation à un effort de guerre général.

Les orientaux qui lui posaient problème n'étaient pas des Sagaths mais des Asdriags, arrivés là il y avait des années - avant la Grande Peste - depuis l'est et le sud. Apparemment, ils avaient été forcés d'émigrer en raison d'autres peuplades guerrières encore plus agressives et cruelles qu'eux. Bref, ils n'avaient eu d'autre choix que de mourir ou de fuir. Ils étaient venus par la trouée entre les montagnes du Mordor et la mer de Rhûn, et s'étaient installés dans les vastes plaines de Talath Harroch, pratiquement désertées, en particulier depuis le passage de la peste. Les premiers contacts, s'ils avaient été méfiants - d'autant qu'aucun ne parlait le ouistrain ou le fornen - avaient néanmoins été globalement pacifiques. Ce n'étaient pas que de fiers guerriers amateurs de raids et de petites épreuves guerrières, ils étaient aussi des éleveurs de chèvres et de chevaux et pouvaient faire commerce de cuir et de fromage, entre autres choses.

Et puis les choses avaient changé, un ou deux ans après la fin de la peste, qui les avait affectés eux aussi, malgré leur grand isolement. Il y avait eu d'abord des provocations, des menaces... qui avaient fini par se concrétiser : des campements nordiques avaient connu des attaques nocturnes qui avaient laissé très peu de survivants : tous ceux n'ayant pas réussi à fuir avaient été massacrés, non sans avoir connu des viols et d'horribles tortures, enfants compris. Les relations s'étaient bien vite tendues, d'autant que les Asdriags semblaient accuser les nordiques de faits similaires. Et il est vrai qu'à partir de là, les éléments les plus fougueux des deux peuples n'hésitèrent pas à chercher justice eux-mêmes, et les conflits s'étendirent. Il n'y avait dorénavant plus aucun contact pacifique, plus aucun échange entre les deux peuples.

La situation était par ailleurs compliquée par l'emplacement des tribus orientales : elles se trouvaient toutes en territoire gondorien, au sud de la Men Romen, tandis que les tribus nordiques étaient dans la partie du Rhovanion sous leur contrôle, au nord de la Route de l'Est. En conséquence, c'était normalement au Gondor de gérer cette affaire. Cela n'empêchait nullement les guerriers de passer la frontière et d'aller commettre leurs exactions loin à l'intérieur des terres ennemies : le territoire était très vaste et peu peuplé, et les forces de Gondor étaient au plus bas depuis la peste. Le Gondor avait sûrement d'autres priorités que de maîtriser un conflit dans une province extérieure où ne vivait pratiquement plus aucun Gondorien. Les forteresses avaient déjà du mal à assurer la sécurité des voyageurs sur la Route de l'Est ; à l'intérieur des terres, c'était tout simplement impossible.

Ce qui ne voulait pas dire que les Gondoriens n'essayaient pas. Le régent de Dor Rhúnen - la province de Gondor au nord du Mordor et de l'Ithilien et à l'est de l'Anduin - consacrait toutes les forces possibles à la lutte contre les Asdriags. Il s'appelait Vagaig, et il avait perdu une personne de sa famille dans un des raids précédemment cités, raid qui avait aussi emporté son prédécesseur ; les nordiques n'étaient pas les seuls visés, tout le monde était une cible potentielle. Le régent, donc, leur vouait une haine mortelle. Il consacrait la moitié de ses maigres forces à surveiller et repousser les orientaux les plus proches qui avaient fini par établir un camp fortifié, Ursh Lanna. Mais cela ne concernait que la tribu la plus proche, les Kus, alors qu'il se disait qu'il y en avait une dizaine, parfois distantes de centaines de miles. Néanmoins, il semblait qu'il s'agissait de la plus puissante de toutes les tribus.

Au sein de l'assistance nordique, certaines personnes intervinrent à un moment ou l'autre, par exemple pour appuyer les décisions du régent gondorien et déplorer qu'il n'ait pas plus de forces à sa disposition. Pour eux, les seuls bons orientaux étaient morts ou ceux qui restaient chez eux. Les contacts pacifiques n'avaient été que de la poudre aux yeux qui était tombée lorsque les peuples nordiques et dúnedain avaient été en position de faiblesse suite à la peste. D'autres personnes ne partageaient pas ce point de vue néanmoins, ayant entendu parler d'autres affaires où les orientaux représentaient des boucs émissaires faciles, parfois à tort. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils savaient ce qui avait causé les troubles ni ce qui pouvait y mettre un terme.

5 - Discussion en privé
Face à cette situation, Itanulf laissa entendre qu'il n'avait pas les moyens de participer à un effort de guerre si c'était pour retrouver son peuple massacré au retour. Les aventuriers proposèrent de régler son problème, comme ils l'avaient fait pour les autres seigneurs, et ensuite de revenir en discuter. Le prince nordique, malgré ce qu'il avait entendu dire d'eux, se demanda si l'on ne se moquait pas de lui. Mais Bronwyn confirma que les aventuriers disposaient de capacités vraiment fantastiques et insoupçonnées, comme le prouvait la prise d'Ilanin à six, face à un millier d'adversaires potentiels.

L'homme restait sceptique devant de tels propos, il voulait en savoir plus, mais Mordin lui répondit que ses amis et lui préféraient en discuter en privé. Non qu'ils remettaient en cause la probité de ses gens, mais ils pouvaient être victimes de sorciers qui pouvaient leur soutirer des renseignements précieux, ce pourquoi ils ne les partageraient qu'avec Itanulf. L'éventualité d'espions et de sorciers fit réagir le chef nordique, mais en fin de compte il finit par reconnaître la sagesse et l'expérience de ses interlocuteurs. Il leur proposa de continuer après le repas qu'ils allaient tous prendre, les siens et lui, et auxquels ils étaient conviés.

Tandis que les tables étaient montées et que les gens s'installaient ou travaillaient aux préparatifs du repas, Vif et Taurgil s'éclipsèrent pour aller chasser et abreuver le cimeterre ténébreux que le Dúnadan portait. Ils revinrent près de deux heures plus tard alors que le repas était terminé et que leurs amis discutaient déjà en privé avec Itanulf et son épouse, avec son dernier-né au bras. La princesse nordique faisait partie des modérés et des sceptiques : elle avait entendu d'autres histoires d'Asdriags injustement mis en cause près des Marais des Morts, au sud-ouest, et finalement dédouanés grâce aux actions d'une bande d'aventuriers. Il s'était avéré, en fin de compte, qu'une bande de brigands attaquait les convois et leur informateur avait essayé de faire porter le blâme sur un jeune homme d'Eithel Celebrin - une petite ville marchande - qui s'était lié d'amitié avec des Asdriags.

Par ailleurs, les aventuriers entendirent également parler d'une tribu de Gramuz - des nordiques plutôt sédentaires et agriculteurs - qui vivaient non loin d'Ursh Lanna et qui avaient eu par le passé des bonnes relations avec les Kus et autres Asdriags. Mais plus personne n'avait eu de contact avec eux depuis des mois et l'arrêt du commerce dans le secteur. Peut-être étaient-ils morts, mais si ce n'était pas le cas, ils étaient sans doute ceux qui connaissaient le mieux les Asdriags. Peut-être certains d'entre eux savaient-ils parler leur langue, l'asdradja. Parmi les nordiques présents, certains connaissaient bien quelques mots mais ils ne pouvaient tenir une conversation un peu poussée. Bronwyn était peut-être une des personnes qui se débrouillait le mieux à ce sujet, même si elle ne parlait pas non plus de manière courante ou aisée. Par le passé, les échanges marchands avec les Asdriags s'étaient beaucoup faits par geste, d'autant qu'ils ne connaissaient que le troc et n'utilisaient pas d'argent.

En fin de compte, Itanulf restait toujours un peu sceptique sur la capacité des aventuriers à régler ce problème, d'autant qu'ils ne connaissaient nullement la région. Il leur offrit néanmoins de rester sous son toit s'ils le désiraient, et leur dit qu'il allait demander à ce qu'on fasse copier une carte de la région dont il disposait, centrée sur les plaines de Talath Harroch. Il leur conseilla aussi d'aller voir le régent Vagaig : d'une part parce que l'homme connaissait bien les Asdriags et la région, d'autre part car le secteur était sous sa juridiction et qu'il convenait de lui demander l'autorisation d'aller là-bas s'il s'agissait de faire plus que de se déplacer à travers les plaines. Mais il les prévint que le Gondorien était assez obtus vis-à-vis des Asdriags et qu'il ne fallait pas espérer le voir changer ses plans. Mordin et ses amis le remercièrent et allèrent ensuite se nettoyer ou directement dormir, comme Geralt pour qui la toilette passait après le sommeil, même à l'issue d'une chevauchée de trois jours.

6 - Un Racor qui fait défaut
Le lendemain, Itanulf annonça aux aventuriers que la carte serait probablement prête pour midi. Du coup, le groupe décida d'aller rendre visite à Vagaig à la forteresse gondorienne qu'ils avaient passée la veille. Ils remontèrent donc en selle et partirent au trot, dépassant au passage une patrouille gondorienne qui allait au pas ; elle comprenait les trois individus vus la veille chez le chef des Brotharas. Le trajet d'une dizaine de miles (~ 16 km) ne posa aucun problème et prit un peu plus d'une heure. Les portes étaient ouvertes mais quelques gardes les empêchèrent d'entrer. Un officier spécialement, du nom de Racor, les interrogea avec un air un peu hautain et méfiant, en particulier vis-à-vis de la lionne.

L'homme accepta de voir si Vagaig était disponible, mais il prit son temps pour y aller et pour revenir dire que le régent serait disponible mais pas avant une heure peut-être. Son manque d'empressement et de bonne volonté mit Taurgil en colère : plutôt que d'attendre comme un mendiant, le grand Dúnadan et descendant des rois du Rhudaur s'éloigna dans les environs, en disant qu'on pouvait toujours l'appeler si l'on désirait sa présence. Par ailleurs, Racor annonça que le félin resterait en dehors de la forteresse. Mordin entra à son tour dans une violente colère et il invectiva l'homme pour ses mauvaises manières, sa lenteur, sa suffisance et ses mauvais choix. Racor pâlit et dit qu'il allait voir s'il pouvait faire accélérer les choses et il repartit, à la grande satisfaction du nain. Qui changea de composition quand l'officier revint avec une vingtaine de gardes armés en disant qu'ils étaient en état d'arrestation.

Ce fut au tour de Bronwyn de piquer un fard : elle menaça de terribles représailles lorsque son père, le plus grand des princes nordiques, apprendrait qu'elle avait été arrêtée par les Gondoriens alors qu'elle menait une mission diplomatique importante. L'homme finit par recouvrer la raison et comprit qu'il était allé trop loin, mais il resta buté sur le félin qui devait rester en dehors des murs. En conséquence, Isilmë, qui était sensée le contrôler, dit qu'elle resterait elle aussi dehors, avec lui. N'entrèrent donc que Bronwyn, Drilun, Geralt et Mordin à la suite de l'officier. Lorsque ce dernier les amena à un plus haut gradé que lui, il perdit ses manières suffisantes et se fit beaucoup plus obséquieux. Mordin ne put s'empêcher de lui envoyer quelques piques alors qu'il s'en allait, ce qui lui valut un regard bien noir de la part de Racor. Mais il ne pipa mot en présence de son supérieur, qui, lui, affichait un petit sourire. Manifestement, il connaissait les travers de l'officier de garde.

Le capitaine avait dû comprendre ce qui s'était passé, d'autant que les cris de protestation et de colère de Mordin avaient été entendus dans toute la forteresse. Le Gondorien s'excusa pour l'attitude de son subordonné et s'enquit plus en détail de leur affaire, Vagaig étant encore en entretien. Mais lorsqu'il apprit qu'un noble Dúnadan et une elfe étaient restés à la porte de la forteresse, il envoya sur-le-champ une enseigne pour donner de nouveaux ordres et laisser entrer des invités aussi illustres. Pour les Gondoriens, la noblesse dúnadan ou les elfes avaient un statut social équivalent à celui du régent lui-même, et l'attitude de Racor était une fameuse boulette sur un plan diplomatique.

Aux portes de la forteresse, le Racor en question dut donc avaler une nouvelle couleuvre quand l'enseigne apporta l'ordre qui le désavouait. Isilmë alla chercher le Dúnadan et ils s'apprêtèrent à entrer, mais l'enseigne, devant le félin, comprit en partie la réaction du lieutenant obtus. Devant l'assurance de Taurgil et d'Isilmë, et craignant de faire une autre boulette, il accepta néanmoins l'entrée de Vif dans la forteresse, au grand dam des chevaux qui s'y trouvaient et qui n'appréciaient pas sa présence - son odeur les rendait inquiets. Peu après, ils purent retrouver leurs amis qui venaient de rencontrer le régent Vagaig qui avait expédié sa précédente réunion. Là encore, le félin magique fit une impression certaine, mais la présence de Bronwyn, de l'elfe et du noble Dúnadan emportèrent le morceau. L'entretien put commencer pour de bon.

7 - Entretien avec des Gondoriens
L'entretien avec Vagaig fut correct mais bref. L'homme - grand et costaud, manifestement un guerrier d'expérience - avait du mal à comprendre l'intérêt du groupe pour aller en territoire ennemi chercher des ennuis. Il n'eut de cesse de souligner les dangers et le fait qu'ils ne pourraient compter que sur eux-mêmes, que le Gondor n'avait pas les moyens d'assurer leur sécurité ni d'aller les chercher s'ils étaient dans le pétrin. Il était violemment anti-Asdriags et ne concevait pas que les problèmes pouvaient être réglés autrement que militairement. Le régent donna de nouveaux détails sur les Asdriags, les manœuvres en cours pour les surveiller et les repousser au-delà de Dor Rhúnen, ou tout au moins la tribu Kus. Sans cacher le manque de moyens : il ne disposait que d'une centaine de guerriers lorsqu'il avait pris son poste, tant la Grande Peste avait affaibli le pays. Et la province extérieure dont il était le régent était tout sauf une priorité pour le pouvoir central...

Vagaig, voyant que ses invités étaient déterminés à s'aventurer dans les plaines de Talath Harroch malgré les risques qu'il avait soulignés, accepta de les y laisser partir. Il donnerait des consignes et les ferait accompagner par quelques gardes jusqu'à un poste militaire avancé d'où ils seraient livrés à eux-mêmes. A la demande de Mordin, il accepta de donner des ordres pour que ce soit l'officier Racor chargé de les amener là-bas - au grand plaisir du nain et de ses amis. Il apporta aussi quelques indications supplémentaires concernant les Withras, cette tribu de nordiques sédentaires qui vivaient - s'ils n'avaient pas été éliminés par les Asdriags qu'ils côtoyaient - au village de Leovidukas. Leur chef, Uirdriks, était un vieillard voûté et infirme un peu bizarre, ce qui allait bien avec la tribu entière, elle aussi bizarre : qui pouvait se laisser diriger par un infirme et s'isoler dans des collines reculées à la merci des premiers pillards orientaux qui passeraient ?

Après cet entretien, à peine furent-ils sortis du bureau de Vagaig que les aventuriers virent venir à eux un jeune nordique de bonne taille suivi par une femme dúnadan. Le nordique se précipita vers Bronwyn qu'il salua avec enthousiasme. La fille d'Atagavia reconnut Augimund, une personne de la famille de Mahrcared - chef des Ailgarthas - qui était là en tant qu'envoyé de son prince, une sorte d'ambassadeur. Il avait entendu diverses choses concernant Bronwyn et ses compagnons récemment et il était avide d'avoir plus de renseignements. La femme, quant à elle, s'appelait Lomamir et elle était l'épouse de Vagaig. Elle interrogea les aventuriers sur les raisons de leur présence, en les assurant qu'ils n'auraient pas à trahir de secret en la mettant au courant, car son mari et elle partageaient à peu près tout. Mais elle avait un avis parfois différent du sien.

Méfiants au départ, les aventuriers se détendirent peu à peu devant la cordialité de leurs interlocuteurs. D'autant qu'ils ne percevaient aucune magie sur eux : ils examinaient en effet régulièrement tous ceux qu'ils rencontraient. Les espions des sorciers pouvaient être partout... Par ailleurs, si Augimund n'avait pas beaucoup d'information à apporter aux aventuriers, il n'en était pas de même pour Lomamir. Elle ne partageait pas du tout l'obstination de son mari contre les Asdriags, au contraire. Elle avait elle aussi entendu parler des fausses accusations contre les tribus d'Asdriags du côté d'Eithel Celebrin, démenties ensuite par un groupe d'aventuriers. Mais elle avait également appris de Rincar, commandant de la forteresse locale - Tir Nimmen, en bordure est des Marais des Morts - qu'il n'avait aucun problème avec les Asdriags ; ou du moins pas plus qu'avec n'importe qui.

La discussion permit également aux plus perceptifs de comprendre que l'obstination et la haine de Vagaig vis-à-vis des Asdriags pesaient sur l'épouse du régent. Ce qui expliquait peut-être aussi le plaisir et les éclairs de joie qu'on lisait parfois dans ses yeux quand elle s'adressait à Augimund ou le regardait. Mais elle apporta aussi des détails sur l'origine de la haine de son époux. Il avait perdu une sœur très chère trois ans auparavant, en 1638, dans un des premiers raids des Asdriags, raid qui avait aussi emporté le prédécesseur de son mari. Sa sœur portait un collier en argent, un bijou de famille très fin et d'une grande beauté, qui avait dû être emporté par les pillards car il n'avait pas été retrouvé. Peut-être ce bijou était-il la seule chose qui pouvait fissurer l'entêtement dans lequel son époux s'était enfermé. Par ailleurs, ils avaient perdu trois de leurs quatre enfants ces dernières années, le dernier restant dans le Lamedon pour gérer leur fief. Autant de choses qui permettaient de mieux comprendre l'attitude de Vagaig... à défaut d'aider à la supporter.

8 - Talath Harroch
Bronwyn et les aventuriers quittèrent la forteresse et s'en revinrent à la ville de Thorontir. Ils mirent Itanulf et Rult au courant de leurs projets : ils partiraient le lendemain très tôt, rendez-vous ayant été donné à l'aube à la forteresse. Rult et ses hommes resteraient sur place, en faisant éventuellement des patrouilles aux alentours, mais ils devaient les attendre à la ville. Mordin leur remit quelques pièces d'or pour leurs frais et comme solde du mois passé. Au repas, ils apprécièrent la carte remise par leur hôte et échangèrent de choses diverses et variées. Le reste de la journée fut consacré à préparer l'expédition des jours à venir. Tandis que certains se reposaient, d'autres chassaient ou faisaient des emplettes, comme l'achat de flèches de qualité. Isilmë, elle, continuait à s'entraîner avec l'arc court pris à Tros Hesnef. C'était du matériel de grande qualité, extrêmement précis, mais elle avait plutôt l'habitude de l'arc long.

Ils se levèrent avant l'aube le matin suivant, tout en supportant les grognements de Geralt, et furent devant les portes fermées de la forteresse au moment convenu. Ils se firent reconnaître et on les laissa entrer, ce qui leur permit de constater que Racor et ses hommes n'étaient pas prêts, et ne semblaient d'ailleurs pas particulièrement pressés. Le nain éleva le ton, ce qui permit de passer à la vitesse supérieure pour les gardes, mais sans entraîner grand changement du côté du lieutenant dont le regard avait de quoi faire passer des braises pour des glaçons. Mordin déclara qu'il rejoindrait les autres avec le Gondorien, et la troupe s'ébranla. Lorsque Racor fut enfin prêt, le nain chevaucha à ses côtés et s'excusa auprès du guerrier s'il l'avait blessé, et lui posa quelques questions pour essayer d'en savoir plus sur l'homme. Il arriva à amadouer Racor qui finit par accepter les excuses du nain et à proposer les siennes, et au cours de la journée Mordin apprit pas mal de choses sur la vie difficile dans la forteresse ces dernières années : le fait que les postes étaient en général pris par des jeunes pressés de partir ou comme "punition", le manque de moyens, la solitude, etc.

Le poste militaire fut atteint en milieu d'après-midi, et Racor présenta Bronwyn et les sept aventuriers au capitaine. Ce dernier eut une réaction similaire à celle du régent : autrement dit, il ne voyait dans le projet des aventuriers qu'une folie de personnes inconscientes ne connaissant rien aux choses. Mais il ne fit pas d'histoire, et les sept amis poursuivirent vers le sud. Ils comptaient trouver le village de Leovidukas ou ce qu'il en restait, pour essayer d'en apprendre plus sur les Asdriags et ces raids dont ils commençaient à croire avec de plus en plus de force qu'ils n'étaient pas le fait de ceux à qui on les attribuait. Mais il fallait trouver les Withras, ce qui n'était pas si facile : si Vif arrivait sans mal à suivre les traces de ce qui restait d'un chemin peu emprunté, les conditions météorologiques ne s'amélioraient pas et les empêchaient de progresser vite. Le soir, il leur fallut trouver un site pour se reposer, et ils fabriquèrent un abri dans un bosquet.

Drilun mit son oreille au sol et utilisa sa magie pour repérer les présences aux alentours. En plus d'une douzaine de loups ou équivalents au sud et de quelques ongulés - chevaux et chèvres sauvages, chevreuils ou cerfs par exemple - il repéra aussi un pas très similaire à celui de la Femme des Bois sous sa forme actuelle. Bronwyn expliqua que les plaines abritaient effectivement un gros prédateur félin, le chat des herbes, dont la robe se teintait de vert avec le pollen des graminées. Mais ils étaient très rares et ne vivaient plus guère que dans les zones les moins habitées. Taurgil s'éloigna alors un peu du groupe avec Vif et il appela magiquement un félin, qui arriva peu après. Ce devait être un de ces chats des herbes, deux à trois fois plus petit que la forme féline de la Femme des Bois.

L'animal fut interrogé magiquement par le Dúnadan et son amie. Il apporta ainsi nombre de renseignements précieux concernant les environs et leurs occupants. Il semblait que le village de Leovidukas n'était plus très loin, mais essentiellement vers l'est alors que le chemin continuait au sud, et il se trouvait dans des collines proches. Les cavaliers orientaux étaient aussi dans les collines, mais plus au nord et à l'est, et il avait aussi senti un groupe nombreux traverser deux fois son territoire, de nuit. En une occasion - la dernière - les cavaliers se dirigeaient vers le nord et l'ouest ; le bruit indiquait qu'ils portaient du métal - sans doute des cottes de maille - et ils étaient suivis haut dans le ciel par quelque chose de très gros et qui sentait très mauvais.

9 - Uinderlaif
Plus tard, Taurgil mit ses compagnons au courant. Bronwyn fut alors questionnée sur les prédateurs qui parcouraient les plaines de Talath Harroch. En plus du chat des herbes dont ils avaient déjà vu un spécimen, elle parla également de la vipère d'Ëgil, dont le venin était mortel et très rapide et que le serpent pouvait aussi cracher à distance pour aveugler. Mais l'animal était très rare, ayant été exterminé partout où les Éothraim, son peuple, résidaient. Et il ne se nourrissait guère que de rongeurs. Il y avait aussi quelques ours dans les collines, mais là encore ils étaient plutôt rares. Et puis il y avait les Uinderlaif, ce qui signifiait dans sa langue les "restes des dessous".

L'animal était en fait une espèce de chacal compact et musclé qui vivait en meutes de dix-quinze individus le plus souvent. Il devait son nom au fait qu'il avait un goût prononcé pour l'abdomen de ses proies qu'il déchirait avec ses crocs puissants, laissant parfois le reste du corps à pourrir. L'animal avait une très mauvaise réputation, tant en raison de son apparence qu'à cause de son comportement : il était entièrement noir et donc très difficile à repérer dans l'obscurité, si ce n'était des yeux bleu ciel et des oreilles rouge sang. Mais surtout, il semblait bénéficier d'une intelligence presque surnaturelle et il n'était aucunement effrayé par les humains, qu'il n'hésitait pas à attaquer. Comme en plus il lui arrivait de faire des carnages dépassant de très loin ce qu'il pouvait consommer, on lui prêtait une origine démoniaque. Il était effectivement assez dérangeant de tomber sur des proies mortes des Uinderlaif dont il ne manquait que l'abdomen et une partie des viscères...

Drilun rappela alors qu'il avait senti magiquement, au sud, une douzaine de quadrupèdes qui pouvaient très bien être ces mêmes bestioles. Isilmë se reposa en premier, puis elle monta la garde tandis que ses compagnons dormaient. Vif, de son côté, était installée dans les branches d'un pin qui surplombait leur camp. Le début de la nuit se passa sans incident, mais alors qu'elle était bien avancée, l'elfe perçut des mouvements malgré la pluie et l'obscurité. Quelque chose était en train de s'approcher des chevaux ! Elle s'apprêtait à donner l'alarme mais elle n'eut pas à le faire : la lionne, éveillée par les bruits de prédateurs qui approchaient, s'était réveillée et elle avait aperçu une bande d'Uinderlaif à une portée de flèche de leurs chevaux. Elle avait alors poussé un rugissement avant de se mettre à la poursuite des chacals. Le rugissement avait réveillé tout le monde et il avait fait fuir les prédateurs aux oreilles rouges... mais aussi leurs chevaux.

Les compagnons de la Femme des Bois s'équipèrent vite et essayèrent de rappeler leurs chevaux, mais deux d'entre eux ne revinrent pas, d'autant que les Uinderlaif les avaient pris en chasse, eux-mêmes poursuivis par la lionne. Plus rapide, elle fit en sorte de s'interposer entre les chevaux et la meute, mais cette dernière fonça brusquement sur elle. Elle les entraîna loin des chevaux, puis elle leur fit face. Les premiers chacals s'arrêtèrent brusquement tandis que les autres l'encerclaient, puis ils se précipitèrent sur elle en un bel ensemble. Elle avait beau être très puissante et résistante magiquement aux blessures, Vif se dit qu'elle risquait d'être submergée. Elle fit alors un bond en avant par-dessus ses agresseurs qui ne purent l'attaquer. Puis elle se mit à courir en direction de ses amis, poursuivie par la meute d'Uinderlaif.

Les compagnons de Vif avaient perçu le péril qui guettait leur amie, d'autant qu'ils pouvaient facilement suivre ses déplacements grâce à ses rugissements réguliers. De plus, Isilmë voyait bien dans l'obscurité, et Taurgil percevait comme en plein jour grâce au pouvoir du cimeterre de l'ombre qu'ils avaient pris à Tros Hesnef - seule la pluie gênait sa vue. Ils avaient donc couru jusqu'à leurs chevaux pour secourir la lionne. Mais, arrivés à une portée de flèche environ, les chacals avaient fait demi-tour et s'étaient éloignés. Ils étaient très rapides et endurants, si bien qu'il n'était pas question de les poursuivre avec les chevaux. Vif essaya plusieurs fois de servir d'appât, mais ils se dégageaient dès qu'ils sentaient que ses amis étaient trop près.

En fin de compte, Drilun fit un sort sur Taurgil qui prit l'odeur de la lionne avant de monter sur elle. Cette dernière galopa derrière les Uinderlaif jusqu'à ce qu'ils se retournent contre elle et son ami, tandis qu'Isilmë suivait le déroulement des choses à distance avec la lunette de Geralt, ce dernier s'étant déjà recouché. Les chacals entourèrent la lionne et le grand guerrier qui s'était mis dos à elle. Puis les douze bêtes avaient foncé dans un bel ensemble vers leurs proies. Mais si leur morsure était redoutable, elle ne fut pas suffisante pour franchir la barrière de la fourrure magique du félin ou de la cotte de mithril du rôdeur. Les deux tiers de la meute furent balayés en un temps très bref et deux autres chacals qui essayaient de fuir furent rattrapés et abattus par Vif. Le reste de la nuit se déroula sans autre incident.

10 - Leovidukas
Au matin, la pluie avait redoublé et pratiquement tout le monde était trempé, sauf Geralt et Mordin qui avaient bénéficié de la seule tente que l'assassin avait pensé à prendre. Le groupe suivit Vif qui décida de faire confiance aux informations données par le chat des herbes vu la veille. Elle se dirigea donc dans la direction qu'il lui avait indiqué, en essayant de ne pas tourner en rond dans la morne plaine, sans soleil ou autres repères pour se diriger. Après un moment, le groupe finit par rejoindre un sentier qui devait plus ou moins se diriger vers l'est, et, il fallait espérer, vers le village recherché. Ils suivirent donc cette nouvelle voie sous une pluie battante.

Peu de temps après, des signes manifestes de civilisation commencèrent à émerger dans le paysage détrempé. Quelques terrains avaient été labourés et étaient entourés de haies d'arbres ou de petits murets, et des troupeaux de chèvres furent repérés au loin, gardés par quelques chiens. Aucun berger à proximité, mais par un temps pareil, ils étaient probablement en train de s'abriter dans des baraques en bois qu'on pouvait distinguer. Petit à petit, la plaine fit place à un terrain plus vallonné et commença à monter. Vif commença à entrapercevoir ce qui pouvait être un village autant caché qu'abrité derrière des rideaux d'arbres.

Alors que les cavaliers et la lionne approchaient du lieu, des silhouettes apparurent qui leur firent signe de se dépêcher et sans doute de venir s'abriter de la pluie. Il s'agissait de villageois d'ascendance nordique qui, lorsqu'ils furent assez près, leur dirent qu'ils étaient attendus et qu'ils pourraient venir se sécher dans la salle commune du bâtiment principal de leur village. Les chevaux furent laissés à une écurie et les aventuriers entrèrent enfin dans un grand bâtiment qui faisait penser à une longère nordique similaire à celle des seigneurs cavaliers, en plus petit et plus rustique. Le bâtiment était occupé par de nombreuses personnes occupées à des travaux divers, travaux qu'elles avaient interrompus pour observer avec intérêt les nouveaux venus, manifestement sans crainte. La présence de Vif faisait tout de même son petit effet.

Avec les nombreux feux allumés, il faisait chaud et sec et ils purent commencer à se sécher. Un vieillard voûté et tordu trônait à un bout de la salle et il les accueillit avec un sourire. Uirdriks, chef des Withras, fit une brève présentation et rassura tout de suite ses invités : même si lui et les siens étaient bien isolés, il avait vu leur arrivée probable en rêve. Par ailleurs, un invité de marque qui passait de temps en temps ici leur avait parlé d'eux et indiqué qu'ils pourraient peut-être chercher une aide au village : le magicien Radagast. Et il montra qu'il connaissait parfaitement l'identité de Vif, l'appelant par son nom. Mais Uirdriks s'interrompit et proposa qu'on apportât des vêtements secs aux aventuriers qui en manquaient et un lieu où se changer. Ainsi que de quoi grignoter un peu s'ils le désiraient. Une fois changés, les membres du groupe se retrouvèrent face au chef du village et de la tribu.

Au cours de l'échange qui suivit avec le vieillard, ils comprirent pourquoi sa tribu et lui passaient pour bizarres. Rares étaient les peuples à accepter la magie d'une manière aussi directe que les Withras. Manifestement, si Uirdriks était un infirme, il avait des talents magiques et maîtrisait rêves et visions magiques, ainsi que le pouvoir de communiquer et d'influencer ses interlocuteurs. Les villageois acceptaient donc assez facilement des individus bizarres comme certains des aventuriers dont on leur avait dit qu'ils avaient des pouvoirs magiques. Drilun se sentait à son aise ici, bien plus que parmi les Dunéens de la Comté parmi lesquels il avait grandi. Peut-être que les Withras étaient une bonne synthèse entre les siens et les elfes qu'il avait côtoyés dans sa jeunesse. Un harmonieux mélange de ruralité et d'acceptation de la magie. Cela dit, à part leur chef qui en parlait assez librement, les aventuriers ne percevaient aucune magie active à proximité.

11 - Questions et renseignements
Uirdriks commença par parler un peu des Asdriags que ses gens et lui côtoyaient, à savoir la tribu Kus. Il confirma l'impression de ses invités : s'ils n'étaient pas contre un peu de brigandage et de provocation guerrière ou défis virils, ils ne faisaient pas cela de nuit ou pour tuer. Et ils étaient assez intelligents pour ne pas causer de torts à des gens potentiellement utiles, comme eux, ou puissants et dangereux, comme le Gondor. Il était donc persuadé que les troubles ne venaient pas d'eux. Certes, comme eux-mêmes avaient subi des embuscades et des pertes aux mains d'ennemis qui ressemblaient à des nordiques, une partie d'entre eux avaient cherché une juste et directe rétribution. Mais cela ne comprendrait jamais les horribles tortures constatées sur les attaques de nuit. Les Asdriags n'attaquaient pas de nuit.

Le chef des Withras avait vu en rêve que les gens à l'origine des méfaits étaient bien des orientaux, peut-être au nombre d'une centaine, mais ce n'étaient pas des Asdriags. Ils semblaient n'agir que de nuit et être aidés par une ombre noire venue de l'ouest sur une grande aile noire. Pour les aventuriers, cela dénotait la présence certaine d'un sorcier comme ceux auxquels ils avaient eu affaire, et sans doute d'une féroce ailée, comme le chef infirme nomma la créature qu'ils avaient vu au château au-dessus de la ville des voleurs. Il leur apprit que ces créatures vivaient dans les montagnes de la Forêt Sombre, le plus souvent. Enfin, les massacreurs nocturnes semblaient capables de se déguiser en orientaux ou en nordiques.

Uirdriks, à la demande des aventuriers, proposa d'envoyer une adolescente - sa propre petite-fille - les mener au plus tôt chez les Asdriags qu'ils voulaient rencontrer. Elle parlait leur langue et pourrait leur servir d'interprète, s'ils acceptaient le dialogue. Par ailleurs, leur chef, Cherechyana, parlait un peu le ouistrain. Taurgil partit un moment pour interroger magiquement les éléments et il détermina que le sale temps se calmerait d'ici le lendemain. En attendant, il faisait trop mauvais pour circuler dans les collines, et la nuit, et même le jour, pouvaient porter conseil. Ce qui était une manière à peine déguisée d'inviter le magicien de l'équipe à tenter d'en savoir plus à l'aide de sa magie. L'intéressé comprit parfaitement l'allusion et il traça une ligne au sol et prit neuf cailloux dans ses mains. Il allait tenter de faire un peu de divination à l'aide de sa magie. C'était un sortilège puissant et fatigant, mais il avait un objet magique pour l'aider et une nuit pour se reposer.

Il posa ainsi six questions avant de lancer les cailloux en l'air, la réponse se traduisant par oui ou non selon l'endroit où les cailloux s'immobilisaient, et leur nombre. A la suite de quoi Uirdriks lança lui-même les cailloux, une fois. Les réponses aux questions permirent de déterminer les choses suivantes :
- prochaine cible : indéterminée entre nordiques et orientaux
- emplacement (présent) nord/sud des pilleurs : au nord de la Men Romen (la "Route de l'Est")
- emplacement (présent) est/ouest des pilleurs : plutôt à l'ouest de Thorontir
- présence d'une féroce ailée : oui
- camp permanent d'où partent les attaques : non - ils devaient être tout le temps en déplacement
- bijou de la sœur du régent Vagaig présent parmi les pilleurs
- pilleurs non intégrés à d'autres tribus

Le chef des Withras déclara pouvoir répondre à encore une autre question par sa magie divinatoire. Il préférait conserver son énergie pour le soir, pour permettre à Drilun de partager un rêve magique avec lui, pendant la nuit. Ce songe onirique porterait sur un thème ou sujet que les aventuriers pourraient décider et que le Dunéen serait à même de percevoir et d'interpréter. Toutes choses dont l'archer-magicien n'était pas capable. La journée était à moitié entamée, cela laissait plusieurs heures pour décider de la manière d'orienter leurs recherches magiques. Mais que pouvaient-ils poser comme question ? Comment faire pour retrouver les orientaux qui mettaient la région à feu et à sang et attisaient la haine entre les peuples ? Même réduit par magie, le territoire restant était vaste et cela revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin...
Modifié en dernier par Niemal le 29 août 2015, 17:33, modifié 1 fois.
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Niemal
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Horselords - 24e partie : aiguille dans une botte de foin

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1 - Rêve ou cauchemar ?
Les aventuriers, Bronwyn et Uirdriks échangèrent beaucoup avant de se mettre d'accord sur une dernière question. Petit à petit, l'interrogation glissa des orientaux vers leur chef, probable sorcier qui montait la créature monstrueuse qu'ils avaient vue à Forpays (Buhr Waldlaes). Sorcier, certes, mais était-il bon combattant ? Car cela pouvait changer beaucoup de choses... Au final, la question sur laquelle se concentra le chef des Withras fut la suivante, en résumé : l'homme qui dirigeait les orientaux était-il meilleur combattant que Bronwyn ? Elle-même était excellente, battue seulement par Drilun à l'arc et Geralt à l'épée. Les cailloux chargés magiquement volèrent puis retombèrent. Par sept cailloux contre deux, la réponse à la question fut "oui". L'homme - ou la femme, pour ce qu'ils en savaient - était vraiment redoutable.

Restait encore un rêve magique qui se déroulerait pendant la nuit entre Drilun et Uirdriks, grâce à la magie onirique de ce dernier. En attendant, chacun vaqua à diverses occupations. Malgré la pluie, Taurgil partit chercher des herbes médicinales comme du marchand de sable ou du trèfle de lune, aidé par Vif ; puis il emprunta le matériel d'apothicaire du chef nordique afin de les préparer, ainsi que quelques fioles pour conserver le liquide obtenu. Le Dunéen, quant à lui, inscrivit des runes magiques à l'encre sur le sommier du lit qu'il allait partager avec le vieillard, afin d'améliorer la qualité du rêve ; Isilmë et Mordin le regardaient faire, mais pas pour les mêmes raisons. Bronwyn échangeait avec les uns et les autres, et Geralt se reposait en prévision des efforts du lendemain.

Après une fin d'après-midi et un repas sans histoire, le magicien infirme et l'archer-magicien s'isolèrent dans la chambre de Uirdriks. Le silence tomba sur le bâtiment, seulement perturbé par le bruit de la pluie, qui s'arrêta au bout d'un moment. Vite reposée, l'elfe attendit devant la porte du chef nordique où se trouvait aussi son ami. Elle fut rejointe, quelques heures plus tard, par le nain qui n'avait pas besoin d'autant de sommeil que la plupart des humains. Enfin, alors que l'aube s'apprêtait à pointer, du bruit se fit entendre dans la chambre, dont la porte s'ouvrit. Drilun en sortit en premier, avec l'air de quelqu'un qui n'a pas spécialement bien dormi. Le rêve avait été efficace, certes, mais ce n'avait pas été une partie de plaisir.

Le songe magique portait en fait sur le bijou d'argent de la sœur de Vagaig. Le Dunéen souhaitait en apprendre le plus possible sur le moment de son changement de propriétaire et sur les émotions dont il avait été le témoin. Il s'était bientôt retrouvé dans la peau de la sœur du régent elle-même, tandis qu'il distinguait magiquement que Uirdriks chevauchait à ses côtés dans la peau du prédécesseur de Vagaig. La scène montrait une visite diplomatique dans un village nordique, les hôtes invitant donc le régent d'alors de Dor Rhúnen accompagné d'une noble dame et de quelques gardes gondoriens. Cela devait correspondre aux événements qui avaient précédé leur mort, trois ans auparavant. Mais le savoir ne permit aucunement à Drilun d'en modifier le cours.

C'est donc avec terreur qu'il perçut le réveil de la noble dame, en pleine nuit. Les hurlements dans le bâtiment lui laissèrent juste le temps de se lever, d'enfiler un vêtement et de prendre une arme, avant que la porte de sa chambre soit défoncée. Les assaillants entrèrent et elle fut bientôt submergée, puis elle fut violée, torturée et sauvagement achevée. Le bijou passa au chef des assaillants qui manifestement aimait conserver quelques belles babioles de ses victimes, tandis que ses hommes mettaient le feu au village, sous le regard d'une silhouette en noir qui se tenait aux côtés d'une créature ailée terrifiante, dans une nuit particulièrement sombre. Scène d'horreur et de destruction où les victimes n'avaient aucune chance et où les agresseurs, manifestement tous des orientaux, avaient une grande maîtrise des combats nocturnes et une grande compétence dans l'art de faire souffrir et tuer.

Puis il y eut d'autres visions similaires, d'autres nuits, ailleurs, tandis que le chef conservait sur lui ce beau bijou. Les scènes étaient identiques, mais parfois la silhouette en noir et la créature n'étaient pas là, parfois les victimes n'étaient pas des nordiques mais des orientaux. Les assaillants étaient alors sommairement déguisés en nordiques, grâce au matériel volé précédemment et à du maquillage très simple qui pouvait suffire à tromper, de nuit et à distance. Et l'archer-magicien avait fini par se réveiller, las de toute cette violence. Plus tard, Uirdriks, qui avait assisté aux mêmes scènes, avait apporté un élément supplémentaire au compte-rendu de ces visions : il comprenait la langue parlée par les agresseurs, qui était l'asdradja, le langage utilisé par les Asdriags. Mais il comportait un accent qui le dénotait de celui qu'il connaissait chez ses voisins.

2 - A la rencontre des Asdriags
Les aventuriers déjeunèrent avec leur hôte tout en discutant de ces visions et de leur interprétation, puis ils se préparèrent à partir. Geralt, qui avait du mal à se lever, fut pressé de se dépêcher, tandis que la petite-fille de Uirdriks, Lona, était présentée par son grand-père : cette grande adolescente ou jeune femme, encore célibataire, participait régulièrement aux échanges marchands avec leurs voisins asdriags de la tribu Kus. C'est eux qui habitaient la forteresse d'Ursh Lanna, où elle allait les guider et où elle était connue. Elle les présenterait à leur chef, Cherechyana, et ferait la traduction pour faciliter les échanges, même si le chef des Kus parlait un peu et comprenait à peu près correctement la langue commune.

L'équipe fut bientôt partie après avoir remercié leurs hôtes. Lona, qui n'était pas une grande cavalière, grimpa derrière Geralt qui prit la tête de l'expédition, guidé par la jeune femme. Le sol était encore humide des pluies de la veille et le ciel restait chargé mais sec, et les sept chevaux progressèrent au petit trot. Ils longèrent les collines en se dirigeant vers le nord et l'est et ne rencontrèrent personne pendant environ deux heures. Pendant la chevauchée, Lona parla des us et coutumes des Asdriags à Bronwyn et aux aventuriers, leur philosophie et leurs divinités, dominées par deux d'entre elles : une, assimilable à Eru et liée à l'harmonie naturelle ; et l'autre, entité maléfique semblable à Morgoth, portée sur le combat et la domination. Puis une première patrouille d'Asdriags fut repérée au loin, patrouille d'une dizaine de cavaliers qui vint à leur rencontre, face à eux.

Les aventuriers n'avaient pas cherché à se cacher ; tout au plus Vif restait-elle entre les chevaux - au grand déplaisir de ces derniers - pour ne pas se mettre en avant. Lona avait insinué qu'elle pouvait néanmoins être bien perçue, car tant pour les Asdriags prêchant l'harmonie naturelle que pour ceux attachés au combat, un grand félin était un signe positif. Mais surtout, le groupe fit bien attention à ne pas avoir l'air agressif, et les deux groupes s'arrêtèrent à une quinzaine de pas l'un de l'autre. Des saluts et des questions furent échangés, traduits par la jeune nordique. Les Asdriags restaient méfiants, en particulier vis-à-vis de Bronwyn, d'apparence nordique, et de Taurgil, qui avait tout l'air d'un grand guerrier gondorien. Des ennemis, donc. Mais le reste du groupe ne collait pas à ce qu'ils connaissaient, et Lona fut également reconnue, qui parlait leur langue. Sans parler du félin, qui gênait leurs chevaux et les inquiétait un peu.

Les échanges furent néanmoins cordiaux, et peu à peu les Asdriags acceptèrent de faire confiance à ces envoyés qui prétendaient vouloir les aider à mettre un terme aux raids nocturnes et au conflit avec nordiques et Gondoriens. Deux cavaliers asdriags partirent au galop prévenir leur chef à Ursh Lanna, tandis que le reste de la patrouille surveillait de loin les aventuriers, avant de disparaître de leur horizon. Le premier contact s'était bien passé, et petit à petit, au fur et à mesure qu'ils progressaient sur les terres contrôlées par les orientaux du sud de Rhovanion, des petits groupes de ces derniers se présentaient à leur vue : troupeaux de chèvres et de chevaux et leurs bergers à cheval, petits camps de tentes avec leurs familles et artisans... Des gens pauvres, avec des possessions essentiellement dominées par le végétal (tissus, bois...) et l'animal (peaux et cuirs), mais très peu de métal.

Le groupe finit par monter à l'assaut d'une colline dont le sommet était fortifié, via un chemin régulièrement emprunté par des cavaliers, au vu des traces. Une dizaine de guerriers asdriags se tenaient devant l'entrée, manifestement prévenus de leur arrivée. Ils hésitèrent un moment devant leur aspect très guerrier et leur équipement, et leur demandèrent - dans leur langue, traduite par Lona - des garanties de paix au vu des armes qu'ils portaient. Et des preuves que le félin qui les accompagnait ne poserait aucun danger. L'adolescente nordique déconseilla de laisser ses armes aux guerriers ou de mettre pied à terre : il fallait se montrer tels des égaux, ni supérieurs ni inférieurs, pour gagner le respect des orientaux.

Il fut donc répondu que les aventuriers comprenaient qu'on se méfie d'eux, mais que leurs armes resteraient dans leurs fourreaux, ils le promettaient. Par ailleurs, Geralt descendit de cheval et fit une espèce de numéro de cirque - comme mettre sa tête dans la gueule ouverte de Vif - pour montrer qu'il avait la maîtrise totale du félin. Le spectacle et la réponse eurent l'air de satisfaire les guerriers, qui les laissèrent entrer et les accompagnèrent à une écurie. Là encore, Lona parla d'un test, et encouragea le groupe à s'occuper au mieux de leurs chevaux, pour montrer aux Asdriags qu'ils prêtaient aux montures une grande importance et qu'ils étaient de bons cavaliers - toutes choses essentielles aux yeux des orientaux. D'après les commentaires perçus par la jeune nordique, le test fut passé avec grand succès.

3 - Nouveaux tests
La forteresse asdriag était très spartiate : en dehors des écuries, le plus grand bâtiment, les voyageurs firent vite des yeux le tour des constructions : une citerne, une petite forge, les quartiers des guerriers, le mess et la cuisine, et le probable bâtiment du chef d'Ursh Lanna. C'est vers ce dernier qu'ils furent conduits. Ils entrèrent dans une vaste pièce qui n'était pas sans faire penser à l'intérieur d'une vaste tente ovale, mais en dur. A l'opposé de la porte, sur une estrade, siégeait le chef de la tribu Kus, Cherechyana, avec deux femmes debout à ses côtés, une âgée et l'autre d'âge moyen. Ce devaient être ses prêtresses-conseillères, comme Lona avait expliqué. En plus de savoir le plus souvent soigner, on leur attribuait parfois des pouvoirs magiques. Et elles représentaient le pouvoir d'analyse et de réflexion de la tribu, là où le chef maîtrisait le pouvoir des guerriers. Cherechyana prenait toujours les décisions, mais il était très à l'écoute de ses conseillères, selon la jeune nordique. L'une, la plus âgée, était la plus importante, l'autre étant là pour la seconder et apprendre ; c'était son ancienne apprentie, qui la remplacerait à sa mort.

Les aventuriers furent conduits au milieu de la salle, entre deux feux, où ils attendirent debout, tandis que de nombreux guerriers orientaux entraient et se plaçaient sur le pourtour de la pièce. Les aventuriers les observèrent avec attention. Si certains - surtout des jeunes - manifestaient avec évidence de la haine et l'envie d'en découdre, ce n'était pas le sentiment dominant qui s'affichait sur les visages, et certainement pas celui du chef ou de ses conseillères. De nombreux visages exprimaient plutôt l'intérêt et la curiosité pour des visiteurs et un spectacle étonnant. Certes, Taurgil et Bronwyn n'attiraient guère les sympathies sur les visages, mais la féline Femme des Bois leur volait largement la vedette. Enfin, quand plusieurs dizaines de guerriers furent entrés et la porte refermée, Cherechyana prit la parole.

Dans un ouistrain un peu haché mais compréhensible, il invita les voyageurs à se présenter et Lona, qu'il reconnaissait, à traduire pour la compréhension de tous. Après un tour rapide et même un grognement de la lionne, les aventuriers expliquèrent qu'ils étaient là pour solliciter l'aide des Asdriags afin de retrouver ceux qui les attaquaient, tant nordiques qu'orientaux. Ils dirent qu'ils savaient que jamais les Asdriags ne s'abaisseraient à de tels méfaits comme d'attaquer de nuit, par surprise, comme des voleurs sans honneur et pas comme des guerriers. Mais le territoire était vaste et ils avaient besoin de tous les renseignements possibles pour retrouver les coupables.

Cherechyana manifesta sa surprise voire de l'incompréhension : en admettant même que les coupables n'étaient pas des nordiques, comme beaucoup semblaient le croire parmi les siens, qu'est-ce qui poussait ses visiteurs à faire confiance aux Asdriags ? Pourquoi étaient-ils venus en paix, alors que les Gondoriens ou les nordiques cherchaient à les chasser, eux les Asdriags de la tribu Kus, des plaines et collines où ils s'étaient installés ? Et comment lui, Cherechyana, pouvait-il faire confiance à des invités dont certains, comme Bronwyn, avaient des proches qui les combattaient ? A un moment, les aventuriers avaient parlé d'un ou plusieurs magiciens qui accompagnaient les pilleurs. Comment savaient-ils cela, et si c'était vrai, comment comptaient-ils les affronter ? Étaient-ils eux-mêmes des magiciens ?

Taurgil expliqua qu'il y avait effectivement parmi eux des magiciens représentant les côtés positifs de la magie comme la guérison, et il désigna Isilmë, qui avait clairement laissé entrevoir ses traits elfiques. Le chef des Kus voulut en avoir le cœur net et il proposa de mettre à l'épreuve la magie des invités, en demandant à un homme blessé de s'approcher. Le Dúnadan demanda de quoi faire une infusion et il prépara de l'athelas, tandis qu'Isilmë enlevait le pansement au bras de l'homme. Sa blessure, assez sérieuse, avait été traitée correctement et elle cicatrisait lentement. L'elfe insuffla sa magie pour aider à la guérison, avec tant de succès qu'avant même que l'héritier des rois du Rhudaur n'utilise sa magie à lui, l'homme s'exclamait qu'il ne sentait déjà plus aucune douleur ! Après le passage de Taurgil, la blessure fut presque entièrement refermée et elle serait sans doute guérie d'ici le soir.

Impressionné par ce tour de magie mais encore méfiant, Cherechyana demanda comment le groupe comptait combattre les ennemis, dont le nombre devait approcher la centaine, d'après les rares survivants. A six, si l'on ne comptait pas Lona ? Les aventuriers parlèrent de leur félin - parfaitement maîtrisé - et de leurs capacités exceptionnelles à eux, qui là encore furent mises à l'épreuve. Le chef des Kus demanda à un guerrier à lui de se mesurer à Geralt, tous deux torse nu et armés d'une simple épée. Le but étant de maîtriser l'autre et non de le blesser gravement. Auparavant, Lona avait conseillé au maître-assassin de ne pas humilier d'entrée le guerrier mais de le laisser attaquer un moment. Ce que fit Geralt, dont la défense était bien trop importante pour l'homme pourtant expérimenté : tous ses coups étaient bloqués sans mal par l'Eriadorien. Enfin, après un moment, ce dernier passa à l'attaque et il arracha l'épée des mains de son adversaire en une fulgurante passe d'armes. Cherechyana remercia son guerrier qui avait montré sa valeur, mais que l'homme aux cheveux blancs surclassait très nettement.

4 - Confiance et échanges
Midi était passé depuis un moment déjà, et certains commençaient à sentir leur estomac gargouiller. C'est sans doute pour cela que Cherechyana proposa à tous de continuer leurs échanges au cours d'un repas qui serait pris sur place. Des groupes se réunirent autour des feux présents et de la nourriture fut amenée, les convives étant tous assis par terre. Lona, Bronwyn et les aventuriers se retrouvèrent près d'un feu autour duquel avaient également pris place le chef des Kus et ses conseillères. Des plats furent amenés qui contenaient de la nourriture, froide et chaude, et chacun se servait dans des bols, écuelles ou sur des tranches de pain épais ou équivalent. Malgré les différences culturelles et une certaine méfiance encore, l'ambiance était néanmoins plutôt amicale.

Les aventuriers bombardèrent de questions Cherechyana, mais s'il répondit à certaines, il laissa surtout ses prêtresses parler, et en particulier la plus âgée. Entre les informations et remarques rassemblées par Uirdriks et le groupe et les éléments apportés par les Asdriags, l'enquête avança à petits pas. Petits, mais soutenus. Ainsi, l'identité des assaillants fut bientôt cernée. D'une part parce qu'ils parlaient l'asdradja et ressemblaient aux Asdriags, d'autre part parce que d'autres orientaux qui vivaient plus à l'est correspondaient plus au profil et aux habitudes des fauteurs de trouble. Il semblait bien que ces derniers étaient une tribu de Brygaths.

Par de nombreux points, les Brygaths étaient très proches des Sagaths, même s'ils ne parlaient pas la même langue : ils ne faisaient aucun échange avec les autres mais pillaient sans vergogne ceux qui croisaient leur route et qui étaient assez faibles pour ne pouvoir ni fuir ni résister. Et ils n'étaient pas contre les attaques de nuit, loin s'en fallait. Mais en général ils ne formaient pas de grosses troupes bien coordonnées : ils passaient tellement de temps à se battre entre eux, en plus de s'attaquer à leurs voisins, qu'ils n'arrivaient jamais à être une trop grande menace, et en tout cas pas une menace aussi efficace, discrète et évasive. Ceux-là semblaient être extrêmement bien entraînés, bien équipés et bien coordonnées, et contrôlés par une volonté supérieure. La présence de la silhouette noire et de la créature de cauchemar à ses côtés n'y était sans doute pas pour rien.

Les prêtresses confirmèrent également que le but de ce groupe était sans doute avant tout de pousser au conflit et à la guerre. De ce qu'elles avaient pu constater, il y avait toujours des survivants de leurs attaques, mais elles soupçonnaient fort que ces rescapés n'étaient pas le fruit du hasard : cela tenait plutôt du calcul. Tout était fait pour inspirer l'horreur et la haine et enflammer les esprits les plus aptes à agir sans discernement. Et le régent de Gondor était lui-même tombé dans le panneau parmi les premiers, ce qui n'était peut-être pas un hasard, même si à l'époque il n'était pas lui-même régent. Attribuer ce poste à un chef militaire motivé par la guerre avait sans doute été une erreur du pouvoir central de Gondor, peut-être pris par d'autres urgences et mal informé.

Par ailleurs, la troupe de Brygaths, s'il s'agissait bien d'eux, choisissait toujours bien ses victimes et était assez retorse : elle contournait les groupes d'Asdriags plus guerriers pour s'attaquer, à l'intérieur des terres et là où on ne les attendait pas, aux groupes familiaux plus faibles. A chaque fois, la résistance était futile et la chute immédiate, et le départ trop rapide pour que les secours arrivés plus tard puissent faire quoi que ce fût. Néanmoins, les prêtresses avaient trouvé parfois des blessures profondes comme celles d'un arc mais en plus puissant, et sans flèche nordique restante pour attester de l'auteur de l'attaque. Les victimes de ces coups spéciaux étaient systématiquement de bons guerriers ou des sentinelles qui avaient dû donner un peu de fil à retordre aux assaillants. Certains morts laissaient aussi entrevoir l'utilisation de poisons violents.

Les Asdriags avaient depuis longtemps repéré qu'un groupe discret de cavaliers traversait parfois les terres où ils étaient installés. Mais cela s'avérait tout de même assez rare, d'autant que les traces étaient en général très légères et peu visibles - ils ne les avaient certainement pas toutes trouvées. Ces traces n'avaient apparemment rien à voir avec les attaques, leurs auteurs cherchant manifestement à éviter les camps Asdriags. D'un autre côté, les attaques sur leurs camps étaient assez espacées - rarement plus d'une fois par mois, et souvent moins - et jamais deux fois exactement dans le même secteur. Sans compter que les traces des attaquants, quand elles étaient suivies, menaient systématiquement vers la frontière avec les territoires dominés par les seigneurs nordiques. Les attaques laissaient sur place, en plus de la mort et la destruction, des signes de l'origine des attaquants - flèches nordiques par exemple. Par contre, les camps attaqués étaient complètement pillés et dénués des choses de valeur comme les armes et armures ou la nourriture, sans parler des chevaux. Et des bûchers détruisaient le reste, comme les tentes et les troupeaux qui n'avaient pas fui - pour ceux qui n'étaient pas laissés à pourrir. Les sources de bois n'étaient pas toujours suffisantes pour tout faire brûler.

5 - Retour à Thorontir
Au départ, les aventuriers pensaient visiter le dernier site asdriag victime d'une attaque par ces probables Brygaths. Mais elle avait eu lieu trois semaines auparavant, et la pluie qui était tombée ces derniers jours ne laissait aucun espoir de trouver des traces intéressantes. En revanche, la pluie avait cessé mais les sols étaient encore détrempés. Cela voulait dire que la troupe de pilleurs nocturnes ne pouvait se déplacer sans laisser de profondes traces impossibles à cacher. Ou bien ils limiteraient donc leurs déplacements un moment, ou bien ils laisseraient des traces faciles à suivre, ou bien ils attendraient la prochaine pluie. Il était donc urgent de les retrouver.

Aussi Drilun traça-t-il une ligne au sol et prit-il ses cailloux, sous l'œil intéressé de Cherechyana et des prêtresses. Aidé par une carte de la région, il se concentra plusieurs fois et lança ses cailloux en l'air, interprétant les résultats pour permettre de réduire le lieu du probable emplacement actuel de ceux qu'ils cherchaient. Lorsque ses hôtes lui firent la remarque qu'il était un magicien, il ne les contredit pas, appréciant même le fait qu'on le lui dise sans le menacer. C'était presque une marque de respect, et il en venait à apprécier la région, où il se sentait mieux traité que chez lui... En tout cas, il arriva vite à un territoire relativement restreint, même s'il était impossible à fouiller pour une demi-douzaine de cavaliers. Mais pas forcément pour des individus équipés d'une longue-vue et pouvant écouter le sol à des miles de distance ou demander des informations aux animaux.

Leur cible était au nord de la Men Romen, à l'est de Thorontir, mais ni trop au nord ni trop à l'est. S'ils faisaient vite, ils pouvaient être de retour à Thorontir à la fin de la journée et ils pourraient commencer à fouiller la zone dès le lendemain. Les hôtes furent mis au courant - sommairement - des projets du groupe. Cherechyana dit qu'il aurait voulu les accompagner avec tous ses guerriers afin de chercher les auteurs des attaques, mais le Gondor ne les laisserait pas passer. Mais si jamais le groupe revenait chez eux... Taurgil et ses amis demandèrent à Lona et aux Asdriags s'ils pouvaient se débrouiller pour ne pas avoir à ramener la jeune femme à Leovidukas, et le chef des Kus comme la jeune nordique dirent que ce n'était pas un problème : les aventuriers pouvaient partir quand bon leur semblait vers leur destin.

Des guerriers asdriags accompagnèrent l'équipe privée de Lona en bas de la colline et vers l'ouest. Puis ils les laissèrent poursuivre leur chemin sur un ancien sentier qui menait au camp militaire dressé par les Gondoriens, camp où ils avaient laissé Racor l'avant-veille. Ils galopèrent et retrouvèrent le camp sans mal, et les hommes du régent furent quelque peu surpris de les voir et leur demandèrent s'ils n'étaient pas poursuivis, vu leur hâte. Le groupe répliqua par la négative et annonça que les Asdriags n'étaient pas les auteurs des attaques et qu'ils comptaient retrouver les vrais coupables, ce pourquoi ils se dépêchaient. Mais ils ne s'étendirent guère sur le sujet, surtout devant les mines sceptiques des Gondoriens. Ils repartirent au galop vers le nord et arrivèrent à la ville de Thorontir à la nuit tombée.

Itanulf fut brièvement mis au courant de ce qu'ils avaient appris et de leurs projets. Ils souhaitaient aller à la forteresse de Thorontir au petit matin, afin d'obtenir de Vagaig qu'un observateur les accompagne et puisse témoigner de la réalité des attaquants. Même s'ils ressemblaient à des Asdriags, ils seraient équipés différemment et auraient aussi sur eux des équipements et vêtements nordiques pour se faire passer pour qui ils n'étaient pas. Sans parler du sorcier et sa créature. Après une nuit trop courte (pour Geralt) et une irruption à l'aube chez l'herboriste de la ville (trop mal payé grâce à Mordin), plus un sort ou deux de l'archer-magicien, l'équipe repartit au galop vers l'est sur la Men Romen. En effet, le temps ne s'était pas amélioré pendant la nuit : un vent d'est cinglait les visages avec une pluie glaciale, entraînant les commentaires habituels de la part d'un Geralt désespéré.

6 -Diplomatie à la Taurgil
Arrivés devant les portes de la forteresse, les aventuriers se firent connaître et furent rapidement conviés à l'intérieur. Un garde alla avertir le régent et voir s'il était disponible. Il était encore en train de déjeuner avec son épouse, mais il accepta de les recevoir. Sans même s'être séchés, Bronwyn, Taurgil et leurs amis entrèrent dans les quartiers du maître des lieux. Les événements des derniers jours furent exposés à Vagaig, qui, s'il écouta poliment, ne cacha pas son scepticisme : les aventuriers avaient échangé avec les Asdriags sans se faire assassiner, il était prêt à l'accepter, mais de là à prendre pour argent comptant tout ce qu'ils avaient dit...

Le groupe expliqua qu'il sollicitait la présence d'un observateur gondorien afin de vérifier les dires des Asdriags. La bande de Brygaths qu'ils pourchassaient ne devait pas être très loin, les aventuriers pensaient être en mesure de les trouver, et les événements proches pouvaient prouver l'innocence des orientaux qu'on accusait à tort et que les Gondoriens combattaient. La présence de cet observateur, dont le rôle serait uniquement de constater et vérifier des faits, permettrait de rétablir la vérité et corriger une injustice. Malgré ces propos, Vagaig ne semblait nullement transporté par cette perspective de confier un homme à lui à des aventuriers bien trop crédules et qui perdraient leur temps, sans parler de se mettre en danger. Il demanda assez sèchement qu'est-ce qui pouvait le convaincre d'accéder à leur demande.

Taurgil, avec un manque de diplomatie qui lui était coutumier, mit les pieds dans le plat en parlant de le faire pour le bijou d'argent de sa sœur qu'ils comptaient bien récupérer. Lomamir, à ces mots, pâlit de manière nette, tandis que le visage de son époux affichait toutes les couleurs du blanc au vert en passant par le rouge. Entre l'explosion, l'évanouissement ou autre chose, personne ne semblait savoir à quoi s'attendre. En maîtrisant difficilement sa respiration et les tremblements de sa voix et de ses mains, le régent demanda confirmation de ce que prétendait le rôdeur dúnadan : que le bijou en argent de sa sœur, morte trois ans auparavant, était proche. Et que Taurgil et ses amis pensaient pouvoir le récupérer bientôt, et sans doute le ramener à son plus proche parent...

La chose fut confirmée par Taurgil, très calme et nullement intimidé par l'état d'âme du chef de Thorontir. L'aplomb du grand guerrier acheva de convaincre le régent, dont l'espoir de retrouver le bijou étouffa ses sentiments de chagrin et de haine. Il chuchota quelques mots à l'oreille de son épouse qui sortit de la pièce et fut bientôt de retour avec un Gondorien qu'ils connaissaient déjà. Il s'agissait du capitaine qui les avait déjà introduits auprès de Vagaig lors de leur précédent passage. Le régent donna l'ordre au capitaine, du nom de Gondril, de partir sur-le-champ accompagner Taurgil et ses amis pour servir de témoin à leurs actions et lui rapporter tout ce qu'il verrait. Sa mission n'était pas de les assister au combat mais de transmettre des faits, et la vitesse devait primer sur la force - il prendrait un cheval rapide plutôt qu'un lourd cheval de guerre.

L'homme, qui n'avait pas encore déjeuné, fut abasourdi par cet ordre inattendu mais il comprit vite qu'il ne servait à rien de discuter. Il partit donc réunir ses affaires et demander à ce qu'on lui préparât un cheval adapté, l'air quelque peu renfrogné. D'autant que la perspective de sortir par ce temps pourri ne devait pas lui plaire plus qu'à Geralt. Le nain tenta de le pousser à se dépêcher comme s'il s'agissait d'un homme à ses ordres, mais le capitaine remit Mordin à sa place en lui rappelant qu'il n'était pas son commandant. Néanmoins, après une vingtaine de minutes, l'homme fut parti, après avoir pris un morceau de pain et de fromage qu'il mangea en route.

7 - Rapaces et vibrations
A peine furent-ils tous éloignés de la forteresse que Taurgil appela un rapace nocturne pour lui demander s'il avait repéré une troupe de cavaliers comme ils recherchaient à proximité. L'oiseau mit un moment avant d'arriver, mais sa réponse fut négative : dans un rayon d'une bonne douzaine de miles (~ 20 km), il n'avait pas vu les cavaliers recherchés par le groupe. Ce qui ne surprit personne : d'après la carte qu'ils avaient, il leur faudrait chevaucher un moment avant d'arriver à un ensemble de collines qui semblaient plus propices à accueillir les orientaux et leur maître et sa sinistre monture. Le Gondorien qui les accompagnait ne fit pas de commentaire, mais il observa tout avec intérêt, non sans une certaine surprise mêlée de curiosité.

Ils chevauchèrent donc une heure environ au trot, puis s'arrêtèrent pour que Drilun fasse une écoute magique du sol, même s'il n'en attendait pas grand-chose : si les chevaux et leurs cavaliers orientaux étaient immobiles, et avec la pluie qui tombait, il y avait fort à parier qu'il ne puisse percevoir aucune vibration traduisant leur présence. Et effectivement, à part le froid et l'humidité qui imprégnaient le sol, il ne sentit rien de spécial grâce à sa magie. Il fallait aller plus loin pour faire un autre sort, tant pour Taurgil qui ne pouvait trop solliciter les animaux des environs que pour Drilun, pour tester une autre zone que couvriraient ses pouvoirs. Ils reprirent leur chevauchée pour une heure de plus.

Malgré la présence de quelques troupeaux et longères parfois, le paysage était assez vide, mais ils ne pouvaient voir très loin avec le mauvais temps, même avec l'aide de la longue-vue de Geralt. Mordin avait bien proposé de se séparer en plusieurs groupes pour ratisser plus large, mais ses amis lui rétorquèrent que c'était trop dangereux, il valait mieux rester tous groupés. Ils longeaient sur leur droite des collines basses qui n'étaient pas indiquées sur leur carte et à l'extrémité desquelles la forteresse de Thorontir était d'ailleurs bâtie. Ils arrivèrent à l'extrémité nord-est de ces collines et s'arrêtèrent enfin pour de nouvelles perceptions physiques ou magiques.

Un nouveau rapace fut appelé, qui couvrirait une zone plus faible qu'auparavant - autour d'une demi-douzaine de miles (~ 10 km). En parallèle, un sort du Dunéen ne donna aucune nouvelle information, pas plus que la longue-vue obtenue dans le Cardolan, même au bénéfice de l'œil si acéré du maître-assassin. Et le temps rendait la vie des voyageurs toujours aussi misérable, ce qui expliquait sans doute pourquoi ils n'avaient rencontré personne de la journée. Néanmoins, contre toute attente, l'oiseau appelé par Taurgil indiqua qu'un groupe similaire à celui cherché se trouvait plein ouest, en limite de sa zone d'observation. S'agissait-il des orientaux qu'ils traquaient ou d'un groupe de nordiques ? Le Dúnadan demanda alors au volatile de les guider jusque là-bas.

Vif et Taurgil décidèrent de partir juste à deux en reconnaissance : la lionne se faisait fort d'être de retour d'ici une heure, même avec le poids du grand guerrier sur le dos. Ils partirent donc, et le reste de la troupe décida de chercher un abri dans les collines proches pour attendre, abri qui fut bientôt trouvé. Tandis que les cavaliers descendaient de cheval et essayaient tant bien que mal de se réchauffer voire de se sécher, le capitaine gondorien s'étonnait du départ des deux rôdeurs. Il avait cru comprendre que ceux que le groupe recherchait étaient très dangereux, et il trouvait que c'était faire prendre un bien grand risque aux deux éclaireurs. N'y avait-il pas d'autre moyen de savoir qui étaient les cavaliers perçus par l'oiseau ? N'aurait-il pas été préférable de tous partir là-bas ? Bronwyn fit part aussi de quelques doutes, même si elle avait confiance dans les capacités de ses amis. De son côté, Drilun hésita à interroger magiquement ses cailloux, mais sa magie l'avait déjà bien assez fatigué comme cela et il tenait à se ménager.

8 - Pourriture et rugissements
Ces propos alarmèrent tout de même Geralt. Comme convenu avec les éclaireurs, il se posta en hauteur après un moment et observa l'ouest à l'aide de sa longue-vue, sans rien arriver à distinguer. Néanmoins, il lui sembla percevoir comme un bruit indéfinissable venant de là-bas, mais hélas couvert par le vent qui soufflait dans le mauvais sens. Isilmë décida alors de se tenir aux côtés de l'Eriadorien pour essayer de saisir ce que son ami avait perçu. Si ses sens à lui étaient très exercés, ses perceptions elfiques à elle avaient une portée supérieure. Et effectivement, en se concentrant bien, il lui sembla bien entendre... des rugissements ! Vif et Taurgil étaient en difficulté, il fallait vite les rejoindre ! Geralt ordonna le départ immédiat et, tout en se préparant, il dit à Gondril et Bronwyn de retourner à Thorontir, car c'était trop dangereux de les suivre. La princesse nordique refusa et se prépara au combat, tandis que le Gondorien, incertain, attendait une réaction des autres membres du groupe pour se décider.

Au loin, à une demi-douzaine de miles (~ 10 km) de là, la lionne avait commencé à monter discrètement une colline couronnée d'un petit bois à la suite du rapace, quand elle avait perçu la présence manifeste mais discrète de chevaux. Malgré le vent contraire, elle avait aussi senti une odeur désagréable qui lui rappelait ce que le chat des herbes de Talath Harroch avait dit du passage de la féroce ailée au-dessus de son territoire : malgré la distance, elle sentait très mauvais... Craignant une embuscade en préparation dont ils seraient la cible, malgré leur discrétion, elle décida de rebrousser chemin. Et elle mit son cavalier au courant grâce au sort qu'il avait fait qui leur permettait d'échanger.

Mais des bruits se firent entendre derrière eux : une centaine de guerriers orientaux à cheval, en cotte de mailles, descendaient à présent la colline au grand galop en poussant des cris de guerre. La lionne ne les attendit pas et elle avala les terres mouillées à une allure encore plus grande que celle des chevaux, malgré le poids du Dúnadan. Ce qui n'était pas sans lui coûter un peu. Les assaillants ne lui faisaient pas trop peur mais elle perçut bientôt ce qu'elle redoutait grâce à un mouvement de tête en arrière : une grande et terrifiante créature ailée venait d'émerger des arbres et prenait son envol. Bientôt son allure fut supérieure à celle des chevaux, et même plus grande que celle de la lionne. Et une silhouette noire semblait monter la créature. Ils étaient pris en chasse par un ennemi qu'ils savaient très puissant et dont ils ignoraient exactement toutes les capacités...

Tandis que la lionne rugissait fortement dans l'espoir de pouvoir prévenir leurs amis au loin, Taurgil prenait une noix d'écureuil dans sa bourse à herbes et une autre pour son amie. Il croqua la sienne et mit l'autre dans la bouche de la lionne, qui en fit autant. La créature volante gagnait sur eux, c'était indiscutable, en volant à une bonne dizaine de mètres de hauteur. Tout en les rattrapant, elle se décalait légèrement d'un côté, afin de donner à son cavalier une meilleure vue sur les deux fuyards. Lequel cavalier tendait vers eux une espèce de petit arc monté au bout d'un bâton. Vif avait vu des arbalètes chez les nains de Khazad-Dûm : c'étaient des armes très rares mais elle les devinait puissantes et mortelles. Et elle était prête à parier que les traits que la silhouette s'apprêtait à lancer étaient enduits d'un poison mortel et fulgurant.

La noix de l'écureuil, qui décuplait la rapidité de celui qui la mangeait, n'avait pas encore fait son effet, mais la lionne était très rapide. Au moment où elle perçut le vol du carreau, elle fit un brusque bond sur le côté pour se mettre hors de danger. La violence de l'esquive fut trop forte pour son ami, qui ne put rester accroché au félin ; d'autant que Vif s'était roulée dans la boue pour masquer son odeur avant de partir à l'assaut de la colline. Taurgil vola dans les airs et il sentit le carreau glisser sur sa cotte de mailles de mithril, avant de faire un atterrissage peu orthodoxe mais amorti par la boue, l'herbe mouillée et son armure. Il se releva sans mal, tandis que la créature volante faisait demi-tour pour un deuxième passage au-dessus d'eux.

La Femme des Bois et le Dúnadan se rapprochèrent l'un de l'autre et firent face à leur adversaire ailé. Le grand rôdeur avait saisi le cimeterre de l'ombre pris à feu Tros Hesnef et la lumière baissa autour de lui et de son amie proche, tandis qu'il s'accroupissait derrière son bouclier. Deux nouveaux traits furent tirés en une rapide succession. Le premier frôla la lionne qui avait juste eu le temps de faire un écart en bondissant, tandis que le deuxième finissait dans le sol entre les jambes de l'héritier des rois du Rhudaur. Les deux amis se retournèrent pour faire face aux cavaliers qui seraient bientôt sur eux, tandis que la créature ailée faisait à nouveau demi-tour, cette fois-ci au-dessus des orientaux, afin de revenir en même temps que ces derniers vers la lionne et le Dúnadan.
Modifié en dernier par Niemal le 29 août 2015, 18:20, modifié 2 fois.
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Horselords - 25e partie : Combat et horreur

Message non lu par Niemal »

1 - Premier choc
En fait, la créature ailée ne revint pas directement vers les deux amis. Elle se contenta d'entamer une boucle autour d'eux qui la ferait passer sur le côté des deux rôdeurs avant d'arriver dans leur dos. Les cavaliers, eux, formaient une colonne longue et étroite qui se précipitait vers eux au grand galop, malgré la pluie et le vent. Les lances étaient dressées, prêtes à les embrocher. Après un rapide conciliabule permis par la magie du Dúnadan, Vif et Taurgil se dirigèrent vers les orientaux. Tandis que la lionne bondissait vers eux en rugissant, Taurgil surveillait la trajectoire du monstre ailé et de son cavalier, se plaçant de manière à ne jamais leur tourner le dos.

Le rugissement de la lionne effraya les chevaux mais ils furent vite maîtrisés par les cavaliers. Et le premier contact se fit : Vif esquiva la lance du guerrier de tête et elle bondit à la gorge du cheval. Elle la manqua en partie, mais elle arriva tout de même à y planter quelques griffes. Cela, plus l'élan du cheval et celui, opposé, de la lionne, entraînèrent l'ablation d'une partie du cou de la pauvre bête, de très gros saignements, une forte incapacité à vivre ainsi et une chute immédiate. La lionne entendit un craquement d'os lors de la chute du cavalier au sol. Si ce dernier était encore vivant, il avait dû se casser quelque chose et ne serait sans doute plus une menace. Elle arriva à atterrir sans mal au sol de manière à faire face aux autres orientaux.

De son côté, Taurgil, abrité derrière son bouclier, échappait à deux carreaux d'arbalète tirés en rapide succession. Mais comment le cavalier du monstre ailé faisait-il pour recharger et tirer aussi vite ? Le cheval égorgé par son amie finissant sa course non loin de lui, il se rapprocha du cadavre qui forçait les autres cavaliers à l'éviter et ne pouvaient ainsi l'attaquer. D'autant qu'un peu plus loin devant, la lionne attirait leur attention. Mais malgré leurs efforts, elle arrivait à éviter toutes leurs attaques ou bien leurs lances glissaient sur son cuir magique. Son attaque suivante fut si violente qu'elle arracha presque la tête d'un cheval en lui bondissant dessus, et elle s'arrangea pour retomber sur son cavalier, dont les côtes encaissèrent très mal ce choc... Mais un autre oriental arriva à porter une véritable estafilade à Vif, malgré les corps à terre.

Le Dúnadan continuait à faire face à la créature ailée, craignant de nouveaux tirs qui n'arrivaient pas, sans doute en raison de la colonne de cavaliers qui l'enveloppait. En même temps il essayait de se rapprocher de la lionne en escaladant les cadavres de chevaux qu'elle laissait. D'autant qu'elle éventra bientôt deux autres montures, trouvant qu'il était plus rapide de les tuer ainsi et tout aussi efficace. Elle écopa tout de même d'autres blessures mineures qu'elle oublia vite grâce à sa constitution enchantée. Taurgil dut plonger de côté pour éviter une lance qui lui arrivait dans le dos, puisqu'il continuait à faire face à un adversaire qui se trouvait à l'opposé des derniers cavaliers, mais continuait à tourner autour d'eux. Le cavalier dans les airs commença alors à invectiver ses troupes dans une langue orientale que ni le Dúnadan ni la Femme des Bois ne parlaient.

Tandis que Vif abattait un ultime cheval parmi les derniers guerriers de la colonne de cavaliers, Taurgil arrivait auprès de son amie. Après avoir fait un tour presque complet, leur ennemi haut perché était pratiquement face à eux, dans la direction du sommet de la colline et du petit bois qui la couronnait, alors que les cavaliers orientaux se regroupaient dans leur dos. Certains d'entre eux prenaient leur arc au lieu de leur lance. Quelques blessés sans cheval tâchaient de s'éloigner à pied des deux guerriers, malgré leurs blessures plus ou moins sérieuses. Les deux aventuriers sentaient pleinement l'effet de la noix de l'écureuil à présent, qui accroissait considérablement leur adresse et leur rapidité. Après quelques échanges rapides, l'objectif, distant d'environ trois portées de flèche, s'imposa à eux : les bois.

2 - Blessure et poison
Taurgil grimpa alors sur la lionne, afin qu'elle l'emmenât au plus vite dans les frondaisons protectrices. Du moins il essaya, car c'était loin d'être simple. Pour commencer, son bras gauche était pris par son bouclier dont il continuait à se servir pour se protéger d'éventuels tirs d'arbalète. Quant au bras droit, il servait toujours pour tenir le cimeterre d'ombre qui les entourait d'une obscurité similaire à celle d'une nuit claire et étoilée. Mais également, la lionne ne restait pas immobile, ne voulant pas présenter une cible trop facile au tireur noir. Elle évita d'ailleurs de justesse un carreau d'arbalète qui visait une de ses pattes avant. Enfin, le grand rôdeur dúnadan arriva à se percher sur la lionne qui bondit en avant.

Ils furent bientôt atteints par un déluge de flèches, tandis que des cavaliers derrière eux se mettaient en branle. Mais entre le cuir enchanté de la lionne et l'armure de mithril de son ami, ils ne risquaient pas grand-chose. Seule une flèche perça faiblement la peau du félin magique, qui oublia vite cette douleur minime. Vif faisait des bonds de côté, elle ne courrait pas en ligne droite, afin de gêner leur arbalétrier qui était en train de passer sur leur côté droit, sur sa sinistre monture. Monture qui vira de l'aile pour se rapprocher des deux rôdeurs et arriver dans leur dos, tandis que des cavaliers orientaux se rapprochaient également. La lionne ne pouvait aller plus vite, ses manœuvres d'esquive la ralentissant. Elles étaient d'ailleurs pénibles pour son ami, qui avait bien du mal à se tenir à elle avec les mains déjà prises. Mais ces esquives furent efficaces puisqu'un nouveau carreau d'arbalète manqua l'arrière-train du félin.

Néanmoins, la créature ailée se rapprochait, volant quelques mètres au-dessus des deux amis, légèrement en arrière. Dans cette position favorable, l'homme en noir sur le dos du monstre arriva à faire une estafilade à Vif, sans gravité, mais qui lui permit de sentir un début de brûlure qui se dissipa bientôt : les carreaux étaient bien enduits de poison... L'attaque suivante, elle, visa Taurgil. L'héritier des rois du Rhudaur ne pouvait guère se défendre, d'autant qu'il cherchait à couvrir la lionne de son corps, tant pour la protéger que pour tenir sur son dos. Il sentit un trait lui arriver dans son dos avec la force d'une lance, et pénétrer légèrement là où l'armure avait été endommagée, lors des événements récents à Ilanin où il avait failli mourir.

Si la douleur de la blessure ne fit pas grand-chose au grand costaud qu'était le Dúnadan, la brûlure du poison qui s'ensuivit l'inquiéta vite bien plus : le poison était rapide et puissant, et la douleur était entêtante. Entre la blessure et le poison, il eut déjà fort à faire pour rester sur le dos de la lionne. Il n'y serait jamais arrivé dans la noix de l'écureuil, pas plus qu'il n'eût pu se concentrer en même temps sur sa magie des soins, qui l'aida à résister au poison. Progressivement, la douleur commença à refluer, tandis qu'un nouveau carreau échouait à transpercer sa cotte de mailles de mithril. De son côté, Vif devait composer avec les cavaliers qui l'avaient rattrapée et qui commençaient à réduire son espace vital et ses bonds défensifs.

Elle arriva tout de même à éventrer un cheval au passage, mais les changements de direction brutaux furent une nouvelle fois trop rapides pour son ami, qui s'envola de son dos avant de retomber une nouvelle fois au sol, sans mal une fois encore. Il se releva vite de sa roulade, face aux cavaliers qui le chargeaient, protégé par son bouclier. Aucun n'arriva à le toucher, et il arriva même à éviter le cheval qu'un cavalier lança directement sur lui - il le frôla seulement, ce qui lui fit faire un pas en arrière. Pendant ce temps, la créature ailée était passée et reprenait de la hauteur avant de commencer à faire demi-tour, tandis que Vif revenait vers le Dúnadan en esquivant sans mal les cavaliers, mais sans chercher à les attaquer. Et durant tout se temps, Taurgil continuait à se concentrer sur son sort afin d'aider son corps à résister au poison.

Le félin arriva bientôt devant son ami, en rugissant et en esquivant les coups. Vif arriva même, par une habile manœuvre, à faire en sorte que deux cavaliers qui voulaient l'attaquer se percutent, faisant tomber montures et guerriers. Elle arriva aussi à éventrer une autre bête. Autant de corps dont le rôdeur se servit pour rester hors de portée des lances. De toute manière, les attaques cessèrent vite, car les cavaliers étaient en train de se réorganiser, suivant sans doute les ordres que l'homme sur la monture ailée était en train de leur crier. Ils se séparèrent donc en quatre groupes aux quatre points cardinaux, Vif et Taurgil occupant le centre. Tandis que les derniers cavaliers passaient près des deux amis et allaient rejoindre un groupe ou l'autre, des archers à cheval se tournaient vers les deux aventuriers et bandaient leurs arcs.

3 - Courses et arrêt
Taurgil se mit à courir en direction du sommet de la colline et du bois, et accessoirement d'un des groupes de cavaliers. Sa course en zigzags avait pour but de compliquer le tir des archers. En parallèle, il continuait à se concentrer sur la magie des soins afin de résister au poison. Dans son dos, Vif le suivait en faisant face à la créature ailée et son arbalétrier dont l'arme pointait toujours vers eux. Un ordre fut donné et les archers lâchèrent leurs flèches - une vingtaine sur chaque ami - mais sans aucune conséquence. En revanche, alors que la créature ailée se trouvait face à la lionne et dans le dos de Taurgil, son cavalier tira vers ce dernier. Vif arriva à dévier le trait avec une patte - au prix d'une nouvelle égratignure - et l'armure du Dúnadan fit le reste.

Puis deux cavaliers de chaque groupe s'élancèrent vers eux, légèrement décalés, tandis que d'autres se préparaient. Leur objectif était clair : attaquer de tous côtés à la fois sans avoir à se rentrer dedans. Manifestement, ces orientaux étaient très bien coordonnés et excellents à cheval, et leur attaque promettait d'être sérieuse. Femme des Bois et Dúnadan échangèrent leur place, tout en se dirigeant - lentement - vers les bois, en zigzaguant. Un rugissement félin intimida un peu trop une monture, qui ne permit pas à son cavalier d'attaquer, tandis qu'un autre ongulé se faisait éventrer par des griffes déjà bien ensanglantées. Taurgil esquiva les attaques des cavaliers sur lui.

La féroce ailée passa au-dessus d'eux en même temps, et l'arbalétrier visa la lionne, plus facile à toucher vu qu'il arrivait dans son dos. Elle sentit le carreau pénétrer son cuir, mais trop légèrement pour que le poison pénètrât dans son corps. Par contre, elle ne put pas ignorer la douleur aussi facilement que les autres fois : à force d'égratignures et d'estafilades, son corps magique commençait à accuser le coup. Cela n'était qu'une gêne très mineure, mais pour combien de temps encore ? Taurgil, par ailleurs, avait arrêté de se concentrer sur la magie qui tenait magiquement le poison de sa blessure en échec, et la douleur ressurgit. Il semblait parfois se concentrer néanmoins, mais pas sur un sort. Comme s'il se parlait dans sa tête, ou à quelqu'un d'autre...

Les cavaliers et la créature ailée une fois passés, le rôdeur sauta sur le dos du félin et s'agrippa comme il put, tandis qu'une nouvelle pluie de flèches essayait de les cueillir. Avec quelques égratignures ou bleus pour l'un comme pour l'autre, sans grande conséquence. Taurgil se concentra à nouveau sur un soin magique, plus efficace que le premier, et la douleur reflua à nouveau. Tant et si bien qu'elle finit même par disparaître... Huit cavaliers - deux de chaque côté - s'élancèrent à leur tour. Les deux en face furent vite sur eux, d'autant que la lionne filait droit et sans chercher à éviter les flèches ou carreaux. Son rugissement, cette fois-ci, perturba profondément les chevaux des deux orientaux mais aussi de tout le groupe qu'ils venaient de quitter, derrière eux. Tous furent bientôt trop occupés à maîtriser leur monture pour faire quoi que ce soit d'autre.

Sur sa monture ailée, la silhouette en noir profita de ce que la lionne ne zigzaguait plus pour ajuster son tir : Taurgil sentit bientôt un carreau d'arbalète enfoncer des mailles de sa cotte de mithril jusque dans ses chairs. Heureusement, la blessure était légère et le poison n'arriva pas à pénétrer suffisamment. Le Dúnadan parvint à rester sur le dos de la lionne tandis qu'elle se faufilait entre les cavaliers orientaux trop occupés à calmer leurs montures et à les empêcher de s'enfuir loin de la lionne. Le groupe fut ainsi traversé, les bois n'étaient plus qu'à deux portées de flèches, et la Femme des Bois fila dans leur direction en droite ligne. Derrière, les cavaliers étaient trop désorganisés pour pouvoir les poursuivre immédiatement. Le couvert boisé était à leur portée...

Mais alors que Taurgil s'agrippait du mieux qu'il pouvait au dos de la lionne, il entendit la créature ailée, dans son dos et au-dessus de lui. Son cavalier visa soigneusement, et il tira, deux fois. Tandis que Vif entendait les deux claquements secs et très rapprochés (mais comment rechargeait-il son arme ?), le rôdeur dúnadan sentait deux carreaux s'enfoncer dans une jambe non couverte par son bouclier, heureusement protégée par un pantalon de mailles de mithril, mailles qui s'enfoncèrent dans les chairs mais empêchèrent la jambe d'être traversée. La douleur des blessures et celle des poisons qui commençaient à pénétrer son organisme furent de trop pour le rôdeur. Vif le sentit glisser de son dos et il tomba au sol. Après avoir roulé un peu il resta étalé, immobile, sans bouger, comme évanoui, voire mort. Le monstre ailé passa au-dessus de lui et reprit de la hauteur avant de commencer à tourner pour revenir vers lui, tandis que Vif freinait et faisait bien vite volte-face. Plus loin, les cavaliers avaient enfin pu calmer leurs montures et ils revenaient au galop, lances prêtes.

4 - Tête de chat
Bientôt la Femme des Bois fut auprès de son compagnon à terre, tandis que les orientaux poussaient des cris de joie et de guerre devant cet ennemi tombé. Pour eux, c'était la fin, la curée, et le rugissement de la lionne ne les affecta pas. Pourtant, leur cri se transforma bientôt tandis qu'une vision d'horreur sous la forme d'une tête de chat apparaissait au-dessus de la lionne. Tous les chevaux hennirent de peur, quelques-uns - surtout parmi les plus proches - tombèrent au sol où ils restèrent immobiles, et les autres s'enfuirent à toutes jambes dans toutes les directions, parfois après s'être débarrassés de leurs cavaliers. Certains de ces derniers étaient tombés tout seuls et gisaient au sol, inertes. D'autres étaient tombés et hurlaient des propos incohérents avant de se jeter sur tout ce qui bougeait à portée - leurs compagnons le plus souvent. Ils s'entretuaient joyeusement, certains allant jusqu'à se suicider tout seuls. D'autres étaient restés sur leur cheval affolé, tout en hurlant également. Certains prenaient une épée et taillaient leur monture en pièces jusqu'à ce qu'elle tombe. D'autres, surtout parmi les plus éloignés, se contentèrent de s'accrocher à leur monture qui filait droit devant elle, sans dévier d'un pouce.

Au loin, très loin, Geralt chevauchait en tête avec Bronwyn, suivis par le reste du groupe, y compris le Dúnadan de Thorontir qui n'avait pu se résoudre à les laisser là pour aller chercher du renfort. Ils filaient au grand galop, vers l'ouest, et l'endroit d'où Isilmë avait entendu les rugissements de leur amie. Le vent était dans leur dos et ils avalaient le terrain depuis une minute peut-être, quand l'elfe sentit magiquement quelque chose de puissant face à eux, et qui la fit frissonner. Drilun perçut également quelque chose de similaire qui lui rappela furieusement quelque chose... d'oublié. Quelque chose qu'il n'arrivait pas à faire remonter à sa conscience, mais qui le fit pâlir. Quelque chose qui avait tué de nombreuses personnes à Tharbad, de nombreux mois auparavant, et qui avait fait arrêter son cœur de battre...

Les sens exercés du maître-assassin lui montrèrent des signes de grande confusion parmi les animaux autour d'eux : aussi loin que portait sa vue, brusquement, il voyait tous les oiseaux s'élever dans les airs et s'enfuir exactement dans le sens opposé à celui qu'ils prenaient, malgré le vent et la pluie inverses. Et bon sang, même les renards, les blaireaux, les rongeurs, les serpents, etc., sortaient de leurs terriers et s'enfuyaient eux aussi en direction opposée à la leur, vers l'est ! Tout ce qui avait un minimum de sensibilité naturelle et magique fuyait une magie que personne ne tenait à rencontrer. Une magie qui avait déjà fait de nombreux morts à Tharbad, la magie de Tevildo, prince des chats.

Et c'était bien ce qui c'était passé. Sentant que le combat tournait à leur désavantage et qu'ils risquaient de ne pas pouvoir atteindre les bois, Taurgil avait appelé Tevildo à l'aide en pensée. Ce dernier n'avait-il pas prévenu qu'il resterait non loin d'eux et prêt à porter secours éventuellement ? Et effectivement, cet esprit ancien lui avait répondu, comme amusé et profitant bien de la situation. Il avait accepté d'aider le Dúnadan et sa "fille" à se sortir de ce guêpier, contre l'ancrage d'une partie de lui dans l'esprit du rôdeur. Ce dernier avait d'une certaine manière vendu une partie de son âme à un être plus vieux que le monde. Il ne mesurait peut-être pas bien la portée de ce qu'il faisait, mais il avait fait son choix : les ennemis de ses ennemis étaient ses amis. Ou du moins des alliés de circonstance.

L'esprit de Tevildo avait alors utilisé la présence de la lionne au contact de Taurgil pour appeler sa magie. La Femme des Bois servait de conducteur tandis que Tevildo utilisait l'esprit du Dúnadan pour s'ancrer en lui et nourrir sa sorcellerie. Personne de normal n'était capable de résister de près à une pareille horreur. Les orientaux et leurs montures avaient subi de plein fouet la magie du seigneur des chats, mais aussi la créature ailée et son cavalier. Heureusement ils étaient un peu éloignés, mais ils ne furent pas protégés pour autant. Seuls les cavaliers les plus éloignés s'en sortirent indemne, et ils auraient à subir des cauchemars pendant une longue période. Beaucoup étaient morts sur le coup, certains avaient sombré dans la folie, et d'autres ne pouvaient que s'accrocher à une monture folle de panique. C'est aussi ce que faisait la silhouette noire sur le monstre ailé, créature menaçante et repoussante qui fuyait à tire-d'aile vers l'ouest, comme une petite souris qui vient de rencontrer un gros matou...

5 - Soins humides et bijou d'argent
Tout en restant non loin du Dúnadan, la Femme des Bois commença à inspecter les corps à terre, à la recherche de ce qui pourrait ressembler à leur chef. Au passage, elle mit fin aux souffrances de nombreux orientaux atteints de folie. D'une part certains se jetaient sur elle sans considération pour leur personne, d'autre part ils pourraient éventuellement s'attaquer au rôdeur à terre. Et de toute manière ils étaient tous condamnés, sauf à pouvoir être attachés et bénéficier des services d'un excellent soigneur (et de temps), ce qui était exclu. Elle distingua bientôt un guerrier à terre, proche d'eux, qui portait de nombreux bijoux et dont elle n'entendait pas le cœur battre. Mais elle dut vite revenir auprès de Taurgil qui s'était réveillé et qui la sollicitait.

Le Dúnadan avait toujours le poison de deux blessures qui coulait dans ses veines. Et ses ressources étaient à présent toutes épuisées. Il avait pris en main l'épée du roi Gotshelm pour renforcer sa constitution, épée qu'il avait eue en même temps que les habits de mailles de mithril, dans le tombeau du roi. Cette épée remise par le fantôme du roi lui servait enfin... mais elle n'était pas suffisante : même fortifié magiquement, même à l'aide de sa magie, l'héritier des rois du Rhudaur ne pouvait plus lutter contre le poison, il était trop épuisé par ce qu'il venait de vivre. La souffrance grandissait sans cesse en lui, son corps avait atteint ses limites. Il lui fallait une autre aide. Il avait bien un contrepoison contre les vipères du coin, mais il ne pensait pas qu'il pourrait servir. Mais d'après ce qu'il avait vu sur Geralt à la suite de la blessure donnée par le guerrier vampire, Tevildo pouvait faire des miracles. Et il avait bien besoin de ça.

L'esprit ancien accepta à nouveau d'aider en échange d'une sensibilité encore plus importante de Taurgil à ses objectifs. Il fallut retirer l'armure et l'habit sur la jambe blessée du rôdeur, puis le prince des chats guida Vif en l'utilisant encore comme vecteur pour sa magie. Elle se mit à lécher une première blessure, sa salive neutralisant bientôt le poison, et elle fit de même pour l'autre blessure. Le corps du Dúnadan lui faisait mal partout, il était épuisé, mais à présent son état était stable, il était sauvé. Au prix d'une nouvelle partie de son âme, une fois de plus. Plus tard, quand ses amis seraient là, il leur raconterait cette espèce de pacte... Mais sans qu'il s'en rende compte, l'esprit ancien se glissa dans ses pensées et sa motivation et instilla un tel sentiment de faiblesse que Taurgil abandonna l'idée. Il leur en parlerait quand il serait reposé, en pleine forme.

Vif repartit ensuite achever les orientaux encore en vie et examiner de plus près le corps du probable capitaine. Il portait de nombreux bijoux, ce qui correspondait à ce que Drilun avait rapporté de son rêve magique. Et surtout, en cherchant un peu, il portait autour du cou un splendide bijou en argent, très fin et sans doute très ancien. C'était très certainement le bijou de la sœur de Vagaig, régent de Gondor pour la province de Dor Rhúnen. L'oriental qui le portait était donc bien le chef. Ramener le bijou au régent devrait permettre de pacifier la région, d'autant que ceux qui étaient à l'origine des troubles étaient morts ou en fuite. Il devait certainement y avoir un camp avec divers indices à proximité pour apporter d'autres preuves, sans doute dans les bois proches.

Plus loin, Geralt et ses compagnons continuaient à chevaucher vers l'ouest, quand le maître-assassin distingua quelques chevaux, parfois montés de cavaliers, qui fuyaient à toute allure vers l'est, malgré le vent et la pluie. Ils avaient l'air affolés, comme les animaux, et la trajectoire des chevaux était tellement rectiligne que l'homme aux cheveux blanc douta de pouvoir les dévier ou les arrêter, après leur avoir sifflé après sans entraîner aucune réaction. Il se contenta de les éviter et poursuivit sa chevauchée. Derrière lui, Mordin tenta bien d'intercepter cavaliers et - surtout - montures (un cheval valait cher au cours actuel !), mais il dut vite se rendre à l'évidence : hormis en tuant les chevaux ou en les soignant magiquement, il ne pensait pas qu'il était possible de les arrêter. Et pour sa part, Isilmë avait d'autres priorités que d'essayer de sauter sur ces chevaux pour leur faire profiter de sa magie des soins.
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Horselords - 26e partie : La boucle est bouclée

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1 - Bilan
Au bout du compte, Geralt et ses compagnons laissèrent fuir chevaux et orientaux, sauf l'un des guerriers qui passait assez près de Drilun et qui fut abattu d'une flèche par le Dunéen. Après quoi maître-assassin et princesse nordique arrivèrent sur la scène du carnage, avec une seule silhouette dressée au milieu des cadavres de chevaux et surtout d'orientaux. Taurgil, qui boitait et avait l'air passablement épuisé, était couvert de boue voire de sang, mais ses jours ne semblaient pas menacés. Des cris lointains dans la direction du bois qui couronnait la colline, ajoutés à quelques rugissements, traduisaient la poursuite du nettoyage opéré par la lionne. Le rôdeur dúnadan confirma qu'elle s'était lancée à la poursuite des fuyards les plus proches ou les moins rapides - ceux qui étaient à pied. Puis il raconta brièvement à Geralt et Bronwyn ce qui s'était passé, tandis que le reste du groupe arrivait.

Gondril, le capitaine de Thorontir qui avait accompagné le groupe, écarquilla les yeux et ouvrit grand la bouche devant une pareille scène. Il ne savait pas ce qui l'étonnait le plus, entre le nombre de cadavres - dont une trentaine de chevaux - et le fait de voir trôner ce qui semblait être leur unique adversaire. C'était un peu comme si Taurgil avait livré bataille tout seul et avait vaincu tout ce beau monde, bien qu'épuisé et légèrement blessé. Si le retour du félin aux griffes bien ensanglantées atténua un peu cette première impression, l'homme restait néanmoins à la recherche d'une réponse satisfaisante aux nombreuses questions qui lui taraudaient l'esprit. De son côté, Bronwyn ne semblait pas vraiment surprise : elle avait déjà vu à l'œuvre la lionne et le Dúnadan du Rhudaur.

Geralt voyait bien que son grand ami ne lui disait pas tout, et notamment comment exactement la féroce ailée et son cavalier avaient été mis en fuite. Il avait juste parlé d'une aide de Tevildo... Mais il ne se souvenait que trop bien des échos d'une scène de carnage similaire à Tharbad, même s'il avait perdu la mémoire de l'événement. Jugeant qu'il n'était ni prudent ni crédible de parler de la sorcellerie d'un esprit des temps anciens et néanmoins allié, pour autant qu'on pouvait le considérer ainsi, il inventa de toutes pièces une histoire qu'il espérait plus crédible, et il la servit au capitaine gondorien : Taurgil et la lionne avaient été assaillis par les guerriers orientaux et leur chef, montés sur une puissante et monstrueuse créature ailée ; le félin, à un moment, avait réussi à blesser le monstre qui s'était enfui, son sang versé déclenchant une puissante odeur ou magie qui avait affolé chevaux et hommes.

La pilule était difficile à avaler mais Gondril l'accepta, faute de mieux. Néanmoins, il semblait satisfait de constater que les fauteurs de trouble étaient des Asdriags, ou telles furent du moins ses paroles, vite reprises par le rôdeur blessé : selon Taurgil, il ne s'agissait pas d'Asdriags mais de Brygaths. Le problème était qu'ils se ressemblaient et parlaient à peu près la même langue. Comment prouver qui était qui ? Des survivants avaient été trouvés parmi les corps tombés à terre, et parmi eux Isilmë en sélectionna trois dont les jours ne semblaient pas immédiatement en danger. Elle utilisa sa magie pour essayer de les soigner du mal mystérieux qui les affectait, mettant une énergie toute particulière sur le dernier. Si l'un d'eux survivait, ce pourrait être un témoin important... à condition d'arriver à en tirer quelque chose.

Le groupe transporta les corps des trois hommes jusqu'au campement caché au milieu du bois, au sommet de la colline, qui fut fouillé de fond en comble. Des habits et armes nordiques furent retrouvés en assez grand nombre pour pouvoir équiper une centaine d'hommes, ainsi que du matériel de maquillage pour les grimer tous. Cela accréditait l'hypothèse qu'ils se faisaient passer parfois pour des nordiques pour attaquer des Asdriags. Mais Gondril fit remarquer que les tribus asdriags se faisaient parfois la guerre aussi. De son côté, Mordin commença à fouiller les cadavres sur le champ de bataille. Ils ne portaient pas d'argent : comme les Sagaths, ils ne faisaient pas de commerce mais prenaient aux autres ce dont ils avaient besoin, l'argent ne leur servait donc à rien. En revanche, ils portaient de nombreux bijoux récupérés sur leurs victimes.

Taurgil profita du camp pour se faire une infusion d'athelas et utiliser sur lui la magie des rois qu'il avait découverte avec Narmegil. Ses blessures légères furent bientôt guéries, et il demanda à Isilmë de lui faire un soin magique pour dormir profondément. Vif se reposa également, tandis que Bronwyn et Geralt repartaient à cheval pour aller récupérer les affaires du rôdeur dúnadan ainsi que, l'espéraient-ils, son cheval. En effet, ils étaient partis avec une telle hâte qu'ils avaient oublié le cheval et les affaires de leur ami au petit campement sommaire qu'ils avaient monté en attendant le retour des deux éclaireurs. Pendant ce temps, à la demande de Taurgil à présent assoupi, l'elfe et le Dunéen cherchèrent de l'athelas dans le petit bois, mais sans succès. Deux heures plus tard, lorsque l'Eriadorien aux cheveux blancs serait de retour, il partirait avec la lionne fouiller les environs pour en trouver, mais ils ne ramèneraient qu'une seule dose de la plante.

2 - Perspectives
Geralt et Bronwyn avaient réussi à retrouver le cheval de Taurgil à côté de toutes ses affaires. La bête ne s'était pas enfuie et personne n'était passé profiter de la monture et des affaires laissées au grand vent. Une fois revenue, tandis que le maître-assassin était parti chercher des herbes, la princesse nordique avait choisi d'aider le nain à faire un tri dans les bijoux. En effet, certains étaient manifestement des bijoux nordiques, sans doute pris à des Brotharas. Il serait intéressant de pouvoir les ramener à leurs familles proches, tribu ou clan. Les autres comportaient de l'artisanat oriental, que les Asdriags apprécieraient sans doute aussi de récupérer. De toute manière, le principal bijou, celui de la sœur de Vagaig, avait été trouvé, et les autres n'avaient pas beaucoup de valeur. Néanmoins, Mordin s'offusqua un peu à l'idée de redonner les deux sacs de bijoux qu'il avait mis du temps à ramasser...

Les amis discutèrent bientôt de la suite à donner. Il fallait rentrer à Thorontir et convaincre Vagaig que les agresseurs étaient morts ou en fuite et que ce n'étaient pas des Asdriags. Mais comment le prouver ? Brygaths et Asdriags se ressemblaient beaucoup et parlaient plus ou moins la même langue, seuls leurs comportements différaient. Les prisonniers étaient pour le moment inconscients et il ne serait pas forcément facile d'en tirer quelque chose. Bien sûr, les habits et autre matériel nordiques et le maquillage montraient clairement la volonté de tromper, mais se maquiller en nordique pouvait aussi servir à passer inaperçu sur les terres de ces derniers.

Tout reposait en fait sur les trois prisonniers. Il fallait les ramener à Thorontir pour les interroger, si possible en présence de Vagaig. Peu après le réveil du rôdeur dúnadan, les trois corps inconscients furent emmitouflés dans des couvertures et juchés sur les chevaux de Bronwyn, Geralt et Mordin. Puis la troupe quitta la colline, laissant le charnier aux bons soins des charognards qui commençaient à revenir. De toute manière, Gondril comptait bien faire en sorte d'y amener des patrouilles pour fouiller davantage et récupérer tout ce qui pouvait l'être, et faire enterrer ou brûler les corps.

Après être allés vers le sud pour retrouver la Men Romen, la "Route de l'Est", ils se dirigèrent vers l'ouest et la forteresse de Thorontir. En chemin, une patrouille de cavaliers gondoriens fut croisée et des informations diverses furent échangées. Le groupe apprit que çà et là, des chevaux fous parfois montés par des cavaliers orientaux tout aussi fous avaient été aperçus en train de filer à toute allure en ligne droite, parfois jusque dans des obstacles. Des témoignages parlaient d'un tel cheval qui s'était encastré dans la fenêtre de la maison d'un village, un autre qui avait traversé un groupe de longères sans mal, un autre encore qui s'était écrasé contre un rocher... Du coup, le régent avait envoyé un maximum de monde sur le terrain pour essayer d'en apprendre plus et comprendre ce qui s'était passé.

Le groupe arriva bientôt à Thorontir. C'était le début de la soirée, ils étaient trempés et fatigués, et avaient faim, sauf la lionne qui s'était servie au passage sur les cadavres des chevaux. Ils entrèrent tous sans mal dans la forteresse et mirent leurs chevaux à l'écurie tandis que des ordres étaient donnés. Les trois orientaux, toujours inconscients, furent emmenés à la prison tandis que du monde venait aux nouvelles. Les aventuriers apprirent d'autres histoires de chevaux affolés ou morts d'épuisement, de chute ou autre, et ils commencèrent à parler de leur aventure à Lomamir, la femme du régent. Mais ils furent bientôt interrompus par de grands cris qui provenaient de la prison.

3 - Réveils difficiles
En le manipulant, les gardes avaient réveillé l'un des orientaux. Ce dernier s'époumonait comme s'il vivait ses derniers instants ou son pire cauchemar - ce qui était peut-être vrai, d'une certaine manière. Dans tous les cas, il fallait quatre personnes pour le maîtriser et personne ne comprenait ce qu'il hurlait. Les aventuriers furent bientôt là, de même que Gondril, mais personne n'arriva à rien tirer de l'oriental. En fin de compte, il fut attaché à ce qui tenait lieu de sommier dans la cellule, et bâillonné. Il semblait impossible de communiquer avec lui d'aucune manière, tant il semblait vivre dans une autre et terrible réalité.

Peu après le rapport que fit Gondril à son chef, les aventuriers furent convoqués devant le régent afin qu'il entende leur version de l'histoire. Il écouta Taurgil et ses amis, qui se gardèrent bien de parler du bijou d'argent récupéré sur le chef de la troupe d'orientaux. Les faits furent rapportés, mais l'interprétation qu'en faisait Vagaig était manifestement différente de celle de ses interlocuteurs. A tel point que le rôdeur, déjà bien éprouvé par ses épreuves, demanda à quitter le bureau et à pouvoir se reposer, ce qui lui fut bien entendu accordé sur-le-champ. Vu son rang, une pièce lui fut accordée pour lui tout seul. La conversation reprit, mais le régent restait sceptique devant les "preuves" accumulées. Le seul point d'accord qui fut trouvé, c'est qu'un interrogatoire permettrait peut-être d'apporter des éléments, mais qu'il fallait quelqu'un capable de bien parler l'asdradja, langue tant des Asdriags que des Brygaths.

Thorontir ne disposait pas présentement d'une telle personne, même si certains pouvaient sans doute parler un peu. Vagaig ne pensait pas qu'un bon traducteur apporterait grand-chose, tant son opinion était faite, mais il accepta d'aller quérir un marchand de la ville de Thorontir qui saurait traduire et apporter sa connaissance de la langue, si jamais il était possible d'en trouver un. Mordin annonça qu'il partirait le soir même avec les gardes chargés de trouver cet homme si jamais il existait. Par contre, ses compagnons émirent le vœu de rester sur place pour se reposer. Après la Grande Peste et les difficultés que connaissait le Gondor, et la diminution des effectifs, ce n'était pas la place qui manquait. Bronwyn et Isilmë obtinrent toutes deux une chambre individuelle, tandis que Drilun et Geralt se virent offrir une chambre à partager. De toute manière, le Dunéen préféra occuper la couchette d'une cellule adjacente à celle des orientaux, en prison, cellule qu'Isilmë vint vite partager avec lui, même si elle restait debout. Quant à Vif, elle profita de la place vide dans le lit donné à l'elfe pour s'y étaler.

Mordin partit donc dans la nuit avec quelques gardes, et ils furent bientôt arrivés à la ville de Thorontir. Tandis que les gardes s'enquerraient de la présence d'un marchand parlant bien l'asdradja et présent en ville, le nain alla voir Itanulf, chef des Brotharas, pour le mettre au courant des derniers événements. Le seigneur nordique lui conseilla divers marchands qui pourraient faire l'affaire, dont l'un d'eux était bien présent. L'homme accepta de monter à la forteresse le lendemain pour servir d'interprète. Il précisa qu'il était loin de parler parfaitement, mais il comprenait bien la langue et savait se faire comprendre, ayant commercé avec les Asdriags par le passé - avant la Peste essentiellement. Il n'avait jamais échangé avec les Brygaths, qui ne commerçaient pas, et donc il ne savait pas s'il saurait reconnaître leur accent. Mais il ferait de son mieux.

Quelques heures plus tard, un deuxième oriental se réveilla dans la prison de la forteresse. Comme le précédent, sa conduite était incohérente et il était impossible de communiquer avec lui. De guerre lasse, il fut bâillonné à son tour, et ceux qui étaient venus retournèrent se coucher, sauf Isilmë qui continua à veiller. Au cours de la nuit, alors que tout était silencieux dans la forteresse, le troisième guerrier oriental se réveilla dans un cri assourdi par son bâillon. Mais il arrêta vite d'essayer de hurler et de se lever, son éveil faisant penser à quelqu'un qui se réveille d'un long et pénible cauchemar. C'était lui sur lequel Isilmë s'était appliqué lorsqu'elle avait usé de sa magie des soins. Manifestement, cela avait fait la différence. L'homme semblait apeuré, terrorisé même, mais ses yeux n'étaient pas ceux d'un fou.

4 - Premiers contacts
Avec le garde de faction, l'elfe et le Dunéen furent bientôt dans la cellule. L'homme les suivait des yeux, tremblant, mais progressivement il se calma tandis qu'Isilmë tentait de le rassurer par gestes. Même s'il ne parlait pas le ouistrain, elle sut lui faire comprendre qu'elle ne lui voulait pas de mal. Pour preuve de sa bonne foi, elle lui enleva son bâillon et lui versa un peu d'eau dans la gorge. Plus tard de la nourriture fut amenée et elle lui donna à manger, car il était toujours attaché. D'autres gardes furent prévenus mais sans réaction de la part de la direction de la forteresse ; en fait des ordres avaient été donnés par le régent pour ne pas déranger quiconque au cours de la nuit en cas de réveil - le jour arriverait bien assez vite. Enfin, l'homme fut détaché - sous la menace de quelques lances - afin de pouvoir se soulager dans le pot de chambre, et il fut ensuite rattaché. Le reste de la nuit se passa sans autre anicroche.

La vie reprit peu à peu dans la forteresse, sauf pour le prisonnier qui s'était réveillé le premier, la veille, et qui ne se réveillerait plus. Hormis Geralt, tous furent bientôt debout. Mordin et son interprète n'étant pas encore là, chacun vaqua à ses occupations. Après un petit déjeuner, Isilmë et Taurgil sortirent faire une balade à pied, accompagnés de Vif et des chants de l'elfe. La pluie et le vent avaient fait place à un ciel splendide qui promettait une belle journée. Le maître-assassin poursuivit sa grasse matinée et Drilun et Bronwyn échangèrent avec Gondril, qui les mit au courant des ordres du régent pour la nuit. Vagaig montrait assez clairement qu'il n'attendait pas grand-chose d'un interrogatoire et qu'il ne voyait donc aucune raison de le hâter. Enfin, alors même que Dúnadan, elfe et lionne revenaient de leur excursion, Mordin arriva avec le marchand compétent en asdradja et les quelques gardes envoyés la veille.

Le marchand fut vite amené devant le prisonnier, et quelques premiers propos furent échangés. L'oriental comprenait bien son interlocuteur et l'inverse était également vrai, même si le parler exact du prisonnier était nouveau pour l'interprète. Ce qui, aux yeux des aventuriers, était un élément de plus qui tendait à prouver que l'homme était bien un Brygath et non un Asdriag. Mais maintenant que l'échange semblait possible et qu'un véritable interrogatoire pouvait avoir lieu, la présence de Vagaig semblait plus que jamais nécessaire. Or il brillait par son absence : Gondril expliqua que le régent lui avait délégué l'entière supervision des échanges. Mais cela ne suffit pas pour Taurgil, qui demanda à s'entretenir immédiatement avec le chef de la forteresse.

Tandis que le prisonnier oriental était détaché et emmené sous bonne garde dans une pièce plus grande et plus adaptée à un interrogatoire, le Dúnadan du Rhudaur arriva devant le Dúnadan du Gondor. Après un bref salut, le rôdeur expliqua que l'interrogatoire allait commencer et qu'il était primordial que Vagaig soit présent pour ôter tout doute qu'il pouvait avoir sur l'identité exacte du prisonnier. Ce à quoi l'homme lui répondit qu'il n'en voyait pas l'utilité, son capitaine étant bien suffisant pour cela. Qu'est-ce qui pouvait amener Taurgil à penser que sa présence à lui, Vagaig, ferait une différence ? Pour toute réponse, le rôdeur sortit de sa bourse le bijou d'argent récupéré sur le chef des orientaux et il le présenta au régent.

Ce dernier se mit bien vite à trembler, de colère et de divers autres sentiments. Il demanda d'une voix qu'il avait peine à maîtriser d'où venait le bijou et pourquoi il ne lui avait pas été présenté auparavant. Taurgil lui remit le bijou et lui répondit que dans un premier temps, il ne voulait pas influencer le régent dans la recherche de la vérité sur l'identité exacte des orientaux qu'ils avaient combattus. Le collier d'argent avait été trouvé sur le chef des orientaux, c'étaient donc bien eux qui avaient abattu la sœur de Vagaig et le précédent régent, le bijou en était la preuve. Savoir qui était réellement ces assassins permettrait à Vagaig de faire toute la lumière sur la mort de sa sœur et de tourner le dos à sa douleur. Mais il fallait qu'il soit présent. Après un moment d'hésitation, le régent accepta de le suivre jusqu'à la pièce où l'interrogatoire avait lieu.

5 - Interrogatoire
Les premières questions ne furent pas toutes suivies de réponses, le prisonnier restant méfiant et se demandant ce qu'il avait à gagner à répondre. Néanmoins il revendiqua le fait d'être un Brygath, et, petit à petit, sa langue se délia au fur et à mesure de l'avancée de la conversation. Peut-être même se libéra-t-elle vraiment quand il comprit qu'il ne serait bientôt plus de ce monde. En effet, si les aventuriers étaient prêts à laisser l'homme partir, le régent avait été très clair : l'homme était un assassin, il avait tué sur les terres du Gondor, il serait jugé comme tel par les lois du Gondor. Les émotions que Vagaig tentaient tant bien que mal de contrôler étaient si évidentes que Taurgil et Vif s'installèrent de manière à pouvoir intercepter le régent si jamais sa maîtrise de lui venait à flancher.

Et il aurait eu des raisons pour cela. L'homme ne savait pas forcément grand-chose, ce n'était pas un chef et encore moins une lumière. En revanche, il était un vrai fanatique, et la ferveur s'entendait dans le son de sa voix même sans avoir besoin d'une traduction. Le marchand ne comprit pas tout au début, car il n'avait pas l'habitude de parler religion avec un Brygath ! Mais malgré quelques petites incompréhensions, l'identité de l'homme et des gens avec qui il vivait, tuait et pillait, devint très claire. C'était mieux qu'une tribu de Brygaths : c'était l'élite des Brygaths, choisie par leur dieu ténébreux, pour porter sa volonté sur la Terre du Milieu.

D'une manière ou d'une autre, un "émissaire" de leur dieu les avait contactés et rassemblés. C'était la grande silhouette noire qui montait la féroce ailée, quelqu'un qui tuait sans coup férir (ce qui fit sourire Vif et Taurgil) et dont les paroles pouvaient glacer le sang. Les aventuriers ne parvinrent pas à déterminer si le chef en question était un sorcier ou simplement un excellent guerrier, tant la ferveur religieuse du Brygath l'auréolait de capacités qui pour lui ne se distinguaient pas de la magie. Il avait donc réuni une centaine des meilleurs guerriers brygaths et les avait emmenés dans sa croisade de plusieurs années contre les Gondoriens, les nordiques et les Asdriags, avivant les tensions et se jouant de tous. Ils se déguisaient, surprenaient, torturaient, tuaient et détruisaient, et faisaient tout pour accroître tant la terreur que la haine des uns envers les autres. L'homme était très fier de ce qu'il avait fait et le marchand n'arrivait pas à tout traduire, et en fait il n'y tenait pas du tout tant il était écœuré par les détails qui lui étaient donnés : hommes, femmes, enfants, nordiques, Asdriags, Gondoriens, tous ceux qui les avaient croisés avaient horriblement souffert avant de mourir.

Et l'homme était heureux : certes, il savait qu'il allait mourir, mais dans sa tête il allait partir pour un paradis où ses interlocuteurs ne seraient que des brins d'herbe desséchés qu'il aurait grand plaisir à fouler sous les sabots de son cheval pour leur éternelle damnation. Il avait parfaitement répondu aux attentes de son dieu et ne pouvait donc connaître qu'un destin de rêve après sa mort. Son regard se fit noir lorsque Taurgil lui fit remarquer qu'ils avaient échoué à le tuer lui, ainsi que la lionne, et que son émissaire des dieux n'avait rien pu faire pour lui et ses compagnons, tous morts. Mais l'oriental invectiva le grand Dúnadan qui avait dû utiliser une puissante magie pour les vaincre, mais la magie de son dieu était la plus puissante et le châtiment qui l'attendait serait terrible. Etc. L'homme n'avait plus aucune retenue, il se vantait de tout et le marchand traduisait, l'air un peu malade, tandis que le regard de Vagaig se durcissait : il avait toutes les preuves qu'il lui fallait. Et il ne pouvait que constater qu'il avait été roulé dans la farine, aveuglé par ses émotions.

L'interrogatoire arriva bientôt à sa fin. L'homme fut bientôt amené au milieu de la cour, où le régent rassembla les hommes qui n'étaient pas occupés. Il parla de ce qu'il venait d'apprendre, et il égrena les nombreux chefs d'accusation dont l'oriental s'était rendu coupable et dont il était fier : tromperies, tortures, pillages, meurtres, viols... la liste était longue mais la voix du chef de Thorontir était presque mécanique, sans émotion. Enfin, il énonça la sentence et de juge il se fit bourreau. Il tira l'épée longue qu'il portait au côté et demanda à deux hommes de pencher l'oriental, qui ne résista pas. Et sa tête fut tranchée. A la question d'amener le dernier oriental encore en vie pour subir le même sort, il répondit qu'il en serait question uniquement s'il reprenait tous ses esprits et s'il était conscient de ce qui se passait. S'il restait fou et mourait bientôt d'épuisement, ma foi, que ses dieux veillassent sur lui.

6 - Préparatifs de paix
Les Brygaths étaient à présent une affaire classée, mais ce n'était pas pour autant que la paix était revenue dans la région. Taurgil, et d'autres avec lui, pensèrent qu'il fallait terminer le travail et profiter de ce qui s'était passé pour amener les gens à se rencontrer et faire la paix. Les aventuriers avaient gagné la confiance des Asdriags, des nordiques et des Gondoriens. Ne pouvaient-ils servir de catalyseur pour aider les habitants de la région à repartir sur une bonne base ? L'idée fut soumise à Vagaig, qui accepta le principe. Il alla préparer un ordre de mission pour le Dúnadan du Rhudaur et ses amis, ainsi qu'un nouveau sauf-conduit pour aller où bon leur semblait. Et notamment au camp militaire gondorien depuis lequel des attaques sur les Asdriags étaient lancées.

Après discussion, un plan fut bientôt arrêté : réunir les trois parties sur un terrain neutre, en présence des aventuriers, pour clarifier les choses et restaurer la confiance. Et faire connaître les réelles sources des conflits passés afin d'éviter d'avoir des têtes brûlées nordiques ou orientales à gérer. C'était la matinée, en se dépêchant et en étant persuasif il serait possible de réunir tout le monde dès le lendemain. La hâte était nécessaire pour éviter que des jeunes essayent de faire justice eux-mêmes, ce qui attiserait le conflit. Mais également, le temps filait et Bronwyn et les aventuriers tenaient à rentrer le plus vite possible à Buhr Widu et retrouver Atagavia.

Les nordiques furent prévenus en premier, et un sac de bijoux d'origine nordique leur fut remis. Itanulf fut enchanté d'apprendre ce qui s'était passé à Thorontir et de voir la fin du conflit en vue. Bien qu'un peu bousculé, il accepta de se déplacer dès le lendemain jusqu'au camp militaire gondorien, d'où il attendrait ensuite des consignes pour aller en terrain neutre rencontrer Cherechyana et les siens. Gondril serait également présent et représenterait les Gondoriens, il était déjà prévenu. Restait à obtenir l'accord des Asdriags, ce qui voulait dire les contacter au plus vite ; autrement dit aller à Ursh Lanna dans la journée même. Une belle trotte, mais faisable à cheval, d'autant que le temps était idéal. Ainsi fut-il fait.

Vif partit en premier. Elle emportait dans un sac attaché à elle de la quincaillerie pour les Withras qui en manquaient depuis l'arrêt du commerce. Elle allait en effet à Leovidukas avec un message rédigé par Drilun pour parler de leur projet. Elle retrouva sans mal l'emplacement du village et fut bien accueillie, de même que son cadeau. Comme demandé dans la lettre du Dunéen, Lona, petite-fille d'Uirdriks, accepta de monter sur le dos de la lionne pour aller à Ursh Lanna servir d'interprète à nouveau. Le féline Femme des Bois longea rapidement les collines, elle fut repérée par des Asdriags qui la reconnurent, de même que Lona, et les laissèrent passer. Ils arrivèrent à la forteresse orientale pratiquement en même temps que leurs amis.

Ces derniers s'étaient tout d'abord dirigés vers le camp militaire gondorien, où ils montrèrent leur ordre de mission et parlèrent des derniers événements. Le capitaine du camp fut soulagé de voir la fin des combats et il rappela vite les patrouilles pour mettre ses gens au courant. Mais ils ne s'attardèrent pas et repartirent vite en direction d'Ursh Lanna. Ils rencontrèrent après un moment une patrouille d'Asdriags ; ces derniers les reconnurent et les escortèrent jusqu'à leur forteresse, où la lionne et l'interprète nordique venaient d'arriver. Ils furent bien vite conduits devant Cherechyana, qui par chance était présent. Bientôt il fut mis au courant de toute l'affaire, et le sujet d'une rencontre et d'accords de paix fut évoqué pour le lendemain.

L'oriental fut très content d'apprendre tout ce qui s'était passé et la manière dont les problèmes avaient été réglés et leur réputation lavée. Les bijoux ramenés furent très appréciés eux aussi, d'autant que si certains provenaient sûrement du pillage de familles asdriags par les Brygaths, il y en avait bien d'autres qui leur étaient offerts, faute de pouvoir facilement retrouver leurs propriétaires. Une réunion eut bientôt lieu avec tous les guerriers présents sur place, au cours de laquelle Drilun raconta ce qui s'était passé, tandis que Lona traduisait et que Geralt en mimait les moments-clés. Leur prestation, comme les bijoux, fut bien accueillie. De leur côté, les Asdriags avaient vu passer quelques chevaux fous voire un cavalier brygath et ils se firent l'écho de ces quelques anecdotes qui leurs étaient récemment parvenues.

7 - Accord de paix
Après une nuit sans histoire, le groupe se prépara à partir. La veille, Cherechyana avait dit qu'il connaissait un endroit approprié pour faire une rencontre avec les nordiques et les Gondoriens : une espèce de petite colline basse et dénudée, visible de loin, où des armées ne pouvaient se cacher. Elle était dans le no man's land à la limite des terres que contrôlaient les Asdriags et que les Gondoriens leur disputaient. Le chef des Asdriags viendrait avec quelques guerriers, sachant que d'autres seraient tout de même à portée de voix ou de vue. La confiance qu'il pouvait témoigner aux aventuriers n'empêchait pas une certaine prudence.

Sur place, le lieu paraissait tout à fait approprié et la lionne se dirigea vers l'ouest et le camp militaire gondorien. Elle espérait trouver Itanulf et les siens, de même que Gondril, mais ils n'étaient pas encore arrivés. Elle fut néanmoins reconnue et l'officier qui la rencontra comprit qu'elle était là en attente de pouvoir guider les futurs arrivants vers le lieu des pourparlers. En attendant leur arrivée, elle se prêta au jeu de quelques guerriers qui avaient été impressionnés par l'échange du félin avec leur supérieur. Ce gros chat si intelligent pouvait-il répondre par oui ou par non à des questions simples ? Oui. Pouvait-il compter jusqu'à dix ? Pareillement. Pouvait-il lever la patte avant droite, saluer, se tenir sur ses pattes arrière et plein d'autres choses ? Sans aucun problème. Au bout d'un moment, le capitaine du camp sortit de sa tente pour renvoyer ses guerriers à leurs occupations, tellement ils étaient fascinés par l'animal et ne faisaient plus leur travail.

Itanulf et Gondril arrivèrent bientôt. Ce dernier confirma au capitaine du camp les dires des aventuriers et leur projet de réunion de paix, puis une petite troupe de nordiques et Gondoriens suivit la lionne jusqu'au lieu du rendez-vous. Cherechyana, Itanulf et Gondril se saluèrent, avec pour chacun quelques guerriers en arrière, plus les aventuriers, Bronwyn et Lona à leurs côtés. Taurgil fit une petite introduction en rappelant la tromperie des Brygaths et les conséquences pour les relations entre leurs peuples. Gondril fit le mea culpa des Gondoriens et dit que dorénavant, Gondor ne chercherait plus à chasser les Asdriags de l'endroit où ils étaient installés tant que la paix et l'ordre étaient maintenus, et même ils pourraient éventuellement faire appel aux Gondoriens en cas de besoin. Itanulf et Cherechyana promirent de restaurer la confiance et le commerce entre leurs peuples et de calmer les têtes brûlées qui, chez eux, agissaient avant de réfléchir. Il faudrait sans doute du temps avant que les relations soient excellentes, mais les chefs tenaient à montrer que c'était bien là leur objectif et que les conflits étaient inutiles.

L'entrevue s'étant bien passée, les groupes s'apprêtèrent à se séparer et finalement décidèrent de partager un repas afin de permettre de mieux se connaître. Les gens de diverses origines se mélangèrent un peu, certains servant d'interprète pour les Asdriags qui ne parlaient pas le ouistrain ou le fornen. L'ambiance fut assez chaleureuse et les aventuriers furent remerciés de leur rôle dans toute cette affaire. A cette occasion, Itanulf leur accorda son soutien entier pour une action militaire contre les Sagaths. A présent, il était confiant que sa frontière sud ne lui poserait plus aucun problème et il pouvait donc divertir des forces vers le nord. L'objectif des aventuriers était accompli. Il leur tardait à présent de rentrer voir Atagavia.

Néanmoins, lorsque les groupes se quittèrent après le repas, ils ne se joignirent à aucun d'eux mais partirent de leur côté, vers le sud et en particulier Leovidukas. D'une part, ils tenaient à ramener Lona chez elle, et d'autre part, certains d'entre eux tenaient à avoir une conversation voire plus avec leur chef et voyant, Uirdriks. Le voyage se passa sans anicroche et le village de fermiers nordiques fut atteint en cours d'après-midi. Lona fut remerciée, le chef des Withras fut mis au courant des entretiens entre les peuples, et une discussion s'ensuivit sur l'avenir et les obstacles que les aventuriers auraient à affronter. Puis ils lui demandèrent son aide : à défaut de pouvoir contacter Radagast comme ils l'avaient espéré, le groupe voulait profiter des capacités magiques de l'homme. Drilun était notamment intéressé pour partir en rêve avec le voyant sur un sujet donné. Le vieillard infirme donna son accord, restait à préciser le sujet en question. Fallait-il se concentrer sur la silhouette en noir sur la féroce ailée, le soi-disant émissaire de la divinité des Brygaths ? Ou la future campagne contre le convoi sagath vers Angmar ?

En fin de compte, c'est ce dernier thème qui fut retenu pour le rêve avec Uirdriks. Mais en parallèle Drilun utilisa ses cailloux pour en apprendre plus sur l'homme qui avait failli tuer Taurgil. Contrairement à ce qu'ils avaient cru, ce ne semblait pas être un sorcier. Il posa aussi des questions concernant Tevildo, et déduisit de ses cailloux que si d'autres personnes que celles qu'ils connaissaient avaient été touchées par l'influence de l'esprit ancien, Vif était la seule personne vivante à maîtriser la magie des chats de Tevildo. Puis, la nuit venue, l'archer-magicien s'endormit avec Uirdriks et il rêva aux précédents convois qui amenaient vivres, matériel, hommes et chevaux de la terre des Sagaths jusqu'en Angmar. Comme un oiseau, il vit des milliers et des milliers de chevaux, d'orientaux, mais aussi d'orcs et de loups, certains montés, sans parler de crebain et d'autres animaux qui suivaient la colonne de chevaux et de chariots. Et quelques probables sorciers au milieu. Le rêve de Drilun s'acheva, alors qu'il prenait de l'altitude, sur un bref rougeoiement nocturne dans les montagnes proches, rougeoiement soudain qui pouvait faire penser au feu d'un dragon, comme Uirdriks le suggéra le lendemain.

8 - Voleurs et éventreurs
Ils partirent tous le lendemain, à vive allure : ils étaient distants de plus de trois cents miles (~ 500 km) de Buhr Widu, qu'ils souhaitaient atteindre au plus vite à présent. Après avoir récupéré Rult et des hommes à Thorontir, ils chevauchèrent donc à travers les plaines du Rhovanion du matin au soir, traversant les terres nordiques sans rencontrer grand monde et parfois sans même entendre Geralt râler. Ce dernier devenait si bon cavalier qu'il lui arrivait de ne plus ressentir aucune fatigue à chevaucher, et en une occasion il s'endormit à moitié sur sa monture ! Les deux premières journées passèrent vite, et en milieu de matinée de la troisième, ils arrivèrent à la ville de Buhr Waldlaes, appelée encore Forpays ou la ville des voleurs. Ils comptaient y faire une brève halte afin de régler un petit problème.

Ils passèrent d'abord dans le quartier des Hommes des Bois pour demander des flèches de très bonne qualité au fabricant d'arcs. Ce dernier en avait quelques-unes, mais elles étaient chères et peu demandées vu leur prix, et il lui fallait du temps pour en faire d'autres, sans parler d'obtenir les pointes de flèche de la qualité voulue auprès du forgeron. Lequel forgeron fut leur étape suivante : sa boutique était dans le quartier des artisans et il travaillait dehors. Après une bonne dose de marchandage avec le nain, que l'homme sembla apprécier, il accepta, contre un peu d'or, de se mettre tout de suite à la tâche et de produire des pointes de flèche de grande qualité. Il devait en faire deux cents, voire plus, et les remettre au fabricant d'arcs qui achèverait d'en faire des flèches. Les aventuriers repasseraient d'ici deux ou trois semaines pour prendre livraison. Puis ils se dirigèrent vers la forteresse des voleurs.

Vif n'était pas entrée en ville, elle avait fait le tour par la falaise et commençait à descendre en escaladant à l'endroit de cette même forteresse. L'alarme avait fini par être donnée, mais Rillit l'écureuil, chef des cambrioleurs, avait dit aux sentinelles de baisser leurs arcs et il était allé à la rencontre du félin, sur un toit. Après quelques échanges très brefs car il ne pouvait comprendre Vif, même s'il se doutait manifestement de qui elle était, il avait fini par descendre pour aller au portail où les autres aventuriers et Bronwyn venaient d'arriver. Ils souhaitaient récupérer l'épée donnée par le roi d'Arthedain à Atagavia, que les cambrioleurs avaient dérobée lors des joutes où Geralt et ses compagnons s'étaient distingués. L'échange fut un peu tendu, les voleurs ne donnant rien contre rien, et certains d'entre eux étant manifestement prêts au combat, que souhaitaient sans doute une partie des aventuriers eux-mêmes. En fin de compte, Geralt proposa un échange avec une autre arme de qualité, qu'il se faisait fort de ramener bientôt. L'accord des voleurs obtenu, du moins s'il y avait des petits bonus à côté, le groupe se dirigea vers le quartier des mercenaires, où Rult et ses hommes étaient d'ailleurs rentrés en attendant qu'on vienne les chercher pour repartir.

L'idée de Geralt était de défier Partila, une brute nordique et chef des Éventreurs, en combat régulier. Son objectif : obtenir la hache de bataille naine dont il avait entendu parler qui ornait les murs du bâtiment des mercenaires. Il flatta donc le chef, vantant ses prouesses, mais désirant les tester par un combat à la loyale qui se terminerait par l'abandon de l'un ou l'autre. En échange de la hache, Geralt était prêt à miser sa propre épée couverte de runes - c'était celle que Drilun avait enchantée - ainsi que son armure de peau de dragon, effrayante à souhait et qui intéressait Partila, même si elle était trop petite pour lui. L'homme demanda dix pièces d'or de plus, pièces qui furent mises sur une table chez les Éventreurs. Le maître-assassin accepta de ne prendre que son épée et aucun bouclier, et le chef mercenaire prit la hache naine en question. Puis ils se dirigèrent vers un terrain dégagé qui servait d'arène, où l'espace de la rencontre fut délimité. Puis les deux hommes se firent face.

Geralt commença par rester entièrement sur la défensive, et il devint vite évident qu'il était bien trop fort et rapide pour Partila. Brusquement il porta un unique coup du plat de l'épée, coup qui brisa complètement le bras droit de son adversaire au-dessus du coude. Le bras pendouilla tandis que l'homme blanchissait, avant de s'évanouir. Il ne combattrait plus jamais avec ce bras, et Taurgil dit qu'il aurait été tout aussi simple de le tuer : Partila était connu en ville et dans les environs comme une crevure, une brute qui prenait plaisir au combat et ne connaissait que la force et l'or comme vérités. Privé de sa force, il ne donnait pas cher de sa survie. D'ailleurs, ses hommes, faisant ce même constat, étaient déjà en train de foncer dans leur quartier général pour piller tout ce qu'ils pouvaient avant de s'enfuir.

Il fallut remettre certaines choses à plat avec les Éventreurs et en particulier ceux qui s'étaient servis dans les pièces d'or du pari. Pièces qui furent récupérées, en plus de la hache. Partila fut amené à l'intérieur, posé sur un lit, puis laissé à son triste sort tandis que les aventuriers retournaient chez les voleurs. Mordin marchanda longuement avec Mard, le roi des transactions chez les voleurs, tant et si bien que Rillit abrégea les choses tellement il voyait que les deux hommes prenaient plaisir à s'affronter verbalement. Taurgil et ses amis récupérèrent donc l'épée volée à Atagavia, en échange de la hache de bataille naine et de ce que le clan des voleurs pourrait récupérer dans le bâtiment des Éventreurs de Partila. Il était pratiquement midi quand le groupe repartit en direction de la capitale des Waildungs, après avoir récupéré Rult et ses hommes.

9 - Missions accomplies
Le groupe fit le trajet dans le reste de la journée et le début de la nuit. A un moment, Taurgil et Vif s'étaient éclipsés pour que la Femme des Bois pût reprendre sa forme humaine à l'écart de la vue des mercenaires. Arrivés en vue de Buhr Widu, ils s'arrêtèrent d'abord tous à la ferme où ils avaient laissé leurs affaires gardées par la moitié des hommes de Rult. Rob était là, complètement guéri à présent, et enchanté de les revoir et d'avoir du changement. Il espérait pouvoir repartir bientôt avec eux car il s'ennuyait et ses mains le démangeaient. Ce qui était délicat pour un chapardeur comme lui... Puis le groupe approcha de l'entrée de la ville, sans les mercenaires, mais accompagnés de Rob et Bronwyn.

Malgré l'heure tardive, la nouvelle de leur arrivée se répandit comme le vent et de nombreuses personnes sortirent de chez elles pour les observer voire les suivre, tout en leur faisant des gestes de bienvenue voire en les acclamant. Les nouvelles de leurs exploits, plus ou moins justes et exagérées sans doute, avaient dû parvenir jusqu'ici et ils avaient manifestement une stature de héros. Ce qui fut confirmé par les gardes, qui prévinrent néanmoins Bronwyn que son père avait poussé quelques gueulantes bien sévères quand il avait appris à quel point sa fille s'était mise en danger. Néanmoins, en attendant de rencontrer le père, la traversée d'une partie de la ville fut riche en cris et acclamations et en plaisir pour les aventuriers, et encore plus pour Bronwyn, qui avait plus que jamais l'air d'une princesse guerrière. Enfin, ils arrivèrent à la grande longère qui était le grand hall du clan et la demeure des princes des Waildungs.

On les fit tout de suite entrer et ils trouvèrent Atagavia assis sur son trône, qui les accueillit avec déférence, même si ses yeux montrèrent comme des éclairs mais aussi du soulagement en retrouvant sa fille. Il les remercia pour l'épée d'Arthedain qui lui fut rendue, et les félicita tous pour l'accomplissement de leurs quêtes auprès des autres seigneurs cavaliers. Ils étaient de véritables héros dans le Rhovanion, et ils avaient sans doute beaucoup de choses à lui dire pour démêler les faits réels des récits exagérés. Il les invita donc à partager un repas avec sa fille et lui, en privé. Il avait déjà mangé mais il les accompagnerait et surtout écouterait leurs récits. Avant qu'il congédie tout le monde, Bronwyn déclara aux spectateurs venus derrière eux que son père organiserait sans doute très bientôt une fête en l'honneur des invités et héros, au cours de laquelle ils donneraient les détails de leurs aventures. Puis les portes furent refermées et les aventuriers s'isolèrent avec la famille princière.

Tout en mangeant, Geralt conta leurs tribulations, les difficultés rencontrées et leurs réussites. Il ne donna pas toute la vérité, en particulier en ce qui concernait les derniers événements près de Thorontir et le rôle de Tevildo. Même ici, des bruits étaient parvenus de chevaux et cavaliers fous se tuant contre des obstacles ou de pur épuisement. Atagavia écouta beaucoup sans rien dire, en posant tout au plus quelques questions pour préciser certains points. Mais manifestement, il savait déjà l'essentiel des histoires, hormis les plus récentes. Enfin, lorsque le récit de Geralt fut achevé, il félicita encore une fois les aventuriers et dit qu'il allait réfléchir à la suite des événements et à une action concertée contre les Sagaths. Il organiserait une fête d'ici deux-trois jours, où les aventuriers pourraient narrer leurs quêtes, et il ferait à cette occasion une annonce à son clan. En attendant, il était tard et les aventuriers devaient être fatigués, et lui souhaitait pouvoir retrouver sa fille en privé. Les aventuriers les laissèrent donc tous deux, non sans un "bon courage" de la part de certains à l'attention de la princesse nordique. Puis ils rentrèrent à la ferme où ils logeaient.

Le lendemain, ils eurent la visite de Léodwyn, une servante proche de Bronwyn. Elle leur expliqua que sa maîtresse était consignée à Buhr Widu par ordre de son père, elle ne devait quitter la ville en aucun cas. En attendant, elle espérait pouvoir les revoir avant la fête prévue pour les héros qu'ils étaient : cette fête avait été fixée au surlendemain soir et annoncée en ville déjà, voire au-delà. Selon Léodwyn, il devait être possible de voir leur maîtresse, son père n'ayant donné aucun ordre contre cela, à sa connaissance. La princesse semblait résignée à son enfermement, elle paraissait le prendre assez bien. Sans doute s'y attendait-elle, et puis les réactions de son peuple à son retour lui avaient fait beaucoup de plaisir.

De son côté, Geralt se posait de plus en plus de questions et il se demandait quelle suite donner à toutes ces aventures. Taurgil - deux fois - mais aussi Rob et lui-même avaient déjà failli mourir des mauvaises rencontres qu'ils avaient faites. Ils venaient de rencontrer un ennemi plus puissant que jamais contre lequel il se sentait désarmé : comment abattre un homme en l'air capable de les tirer comme des lapins, aussi bien voire même mieux que Drilun ? Avec ça, il n'avait pas apprécié du tout le défilement d'Atagavia qui n'avait pas voulu s'engager pour la future campagne militaire contre les Sagaths, repoussant cette confirmation au surlendemain. Entre les manœuvres des uns et des autres, l'influence grandissante de Tevildo et la puissance des ennemis nouveaux qu'ils auraient à affronter, il ne voyait pas comment poursuivre en avant sans une aide nouvelle. Il espérait beaucoup des magiciens Radagast et Gandalf, notamment. Faute de quoi il envisageait très sérieusement de repartir à Tharbad, toute action armée lui semblant une folie. Et éventuellement de laisser ses amis sur place s'ils ne la percevaient pas comme lui.
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Niemal
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Horselords - 27e partie : Nouveau départ

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1 - Occupations diverses
L'annonce de Léodwyn entraîna son lot de discussions entre les aventuriers. Geralt en profita pour s'épancher auprès de ses amis, mais il ne rencontra guère d'échos. Entre autres réponses, Vif lui dit que les magiciens avaient sûrement d'autres choses à faire que de s'occuper d'eux en permanence et de leur apporter de l'aide, au risque qu'ils devinssent dépendants de Gandalf ou Radagast. Par ailleurs, ils avaient de nombreux yeux un peu partout et devaient connaître leurs difficultés. S'ils ne les aidaient pas plus, c'était sans doute qu'ils estimaient qu'ils n'en avaient pas besoin. En plus de ça, avec la magie faite par Tevildo récemment, elle doutait qu'aucun des magiciens ait pu ne rien percevoir et ne soit pas en train de remonter la piste de cette magie. Drilun rappela aussi que des moyens de lutter contre le prince des chats avaient été recherchés et des pistes trouvées, et qu'il leur avait été indiqué que plus l'esprit ancien gagnait de l'influence sur eux, plus il s'affaiblissait à gérer des personnes diverses. Encore fallait-il lui opposer un front uni.

Taurgil accepta tout de même d'essayer de transmettre un message à Radagast par animal interposé. Il devait de toute manière demander de l'aide à un animal pour trouver de l'athelas dont il avait besoin pour ses soins, il pouvait aussi dire à un oiseau de transmettre un message au magicien brun. Il doutait qu'il fût à portée de sa magie à lui, mais le magicien avait un lien particulier avec les animaux et il pourrait peut-être recevoir le message quand même. Dans tous les cas, ça ne lui coûterait pas grand-chose. Ce qui fut donc fait au cours de la matinée, une fois le débat clos et les autres sujets épuisés, comme des histoires de contrepoisons, d'armure de cuir pour Rob ou d'entretien avec Atagavia et sa fille.

Les vêtements de cuir souple qui avaient été récupérés sur les sorciers rencontrés çà et là au cours de leurs quêtes étaient à la fois très résistants et discrets. Ils conviendraient sans doute bien au semi-homme. Mais non seulement ils avaient pour certains subi quelques dégâts, mais ils n'étaient pas franchement à sa taille. Il y avait sans doute assez de cuir pour faire des habits au hobbit comme au nain, encore fallait-il trouver quelqu'un capable de s'en occuper. En début de matinée, le maître-assassin était allé faire le tour des artisans de la ville, et il en avait trouvé deux susceptibles de répondre à la demande. Mais tous deux s'attendaient à un prochain effort de guerre auquel ils devraient répondre et à de nombreuses commandes d'armures diverses. Or ce cuir très particulier était nouveau et difficile pour eux à travailler, il leur faudrait sans doute une semaine pour réaliser des habits pour Rob. Ce qui n'était a priori pas prioritaire face aux futurs besoins du clan. Les aventuriers se dirent alors que l'appui de Bronwyn permettrait sans doute de changer le discours des deux artisans.

Tout cela justifiait bien de nouveaux entretiens avec le prince d'un côté, et sa fille de l'autre. Pour le premier, il s'agirait de lui montrer les risques de voir Bronwyn partir à la recherche de son frère si jamais elle apprenait qu'il était vivant en Forêt Sombre. Sans parler des risques de voir le Nécromancien venir la chercher, via ses agents, à Buhr Widu. Pour la seconde, il serait intéressant de pouvoir gagner son appui auprès des artisans de sa ville afin de pouvoir réaliser une bonne armure pour Rob. De toute manière, ils avaient commandé de nombreuses flèches de qualité à Forpays et ils seraient bloqués là un moment sans doute, donc attendre une semaine pour l'armure était tout à fait envisageable. D'autant que Drilun espérait bien travailler dessus aussi. Et puis Bronwyn avait peut-être ses projets à elle et il serait intéressant de les apprendre et d'en discuter...

En parallèle, les amis de Geralt avaient été sensibles à l'évocation par ce dernier du danger des poisons foudroyants employés par le dernier ennemi rencontré. Mais plutôt que d'attendre un contrepoison qui leur arriverait tout cru dans le bec par l'intermédiaire de Radagast, le plus sûr était de pouvoir en faire soi-même. Plusieurs personnes de l'équipe avaient des connaissances certaines en herbes et poisons, sans parler d'un grimoire à ce sujet. Et ils étaient pour certains assez doués pour aller les chercher dans la nature. Il ne manquait plus qu'un peu de matériel et de temps pour les préparer et les transformer en cataplasme ou autre substrat. Un petit tour par la boutique de l'apothicaire de la ville permettrait sans doute de régler le problème du matériel, et le temps ils en avaient autant qu'ils souhaitaient en prendre. En gros, ils avaient tous largement de quoi s'occuper.

2 - Entretiens
Une fois Taurgil revenu (avec un peu d'athelas) de son entretien magique avec des animaux, à l'orée proche de la Forêt Sombre, le groupe tenta de voir Atagavia. Les aventuriers apprirent qu'il était en déplacement pour voir divers chefs de tribus proches et qu'il ne serait là que dans la soirée normalement. Ils se rabattirent sur Bronwyn qu'ils souhaitaient voir en second, mais avec qui il y avait des choses à échanger néanmoins. Ils n'eurent aucun mal à la trouver, avec sa servante Léodwyn qui semblait être plus qu'une servante : c'était aussi une amie et elle avait toute sa confiance, semblait-il. La princesse waildung semblait plutôt en forme, pas trop affectée par la récente décision de son père de la confiner à Buhr Widu, et contente de les voir.

Concernant la décision de son père, elle s'y était préparée. Par ailleurs, quand il fut question de la future guerre contre les Sagaths, elle annonça qu'ils ne pourraient certainement pas combattre côte à côte : elle ne savait pas ce que mijotait son père, quelle astuce il pourrait trouver pour éviter d'envoyer les siens au combat, mais elle avait bien compris ce à quoi elle était destinée. Elle n'irait pas combattre car il faudrait laisser quelqu'un sur place pour diriger et s'assurer de la descendance des Waildungs. Son père partirait mener ses hommes au combat, mais sa fille resterait à Buhr Widu. Ce qui était sensé et qu'elle comprenait parfaitement. Cela étant, cela ne voulait pas dire que cela lui plaisait. Mais encore fallait-il que la guerre eût vraiment lieu. Elle pensait que c'était inévitable, trop de nordiques commençaient déjà à s'y préparer. Elle craignait néanmoins que son père trouvât quelque chose pour repousser son engagement sans avoir l'air de s'y dérober. Auquel cas elle pensait connaître une motivation qui le ferait réagir...

Pour ce qui était des artisans de la ville, elle fut enchantée de pouvoir aider. Dans l'après-midi, elle alla rencontrer les deux fabricants d'armure avec Drilun et Rob, et elle leur fit clairement entendre que le semi-homme devait être considéré comme un des plus grands guerriers du clan. Sa taille exceptée, bien sûr. La fabrication d'une armure était donc prioritaire, et elle demanda aux deux hommes de s'y mettre immédiatement et tous deux ensemble, afin de raccourcir les délais. Les artisans acceptèrent sans histoire et l'archer-magicien dunéen se mit au travail avec eux. Il allait consacrer tout son temps pour suivre la préparation des habits de cuir spécial et y inscrire des runes magiques afin de les rendre encore plus efficaces. En dehors de ça, de rapides repas et de quelques heures de sommeil, il ne ferait pas grand-chose d'autre des jours à venir.

Du côté des contrepoisons, le matériel de l'apothicaire put être emprunté sans mal : l'homme ne se voyait pas refuser une aide à de tels héros. Cela permit au groupe - Drilun excepté - d'aller faire une ample moisson d'herbes pouvant servir de contrepoisons, pour que Taurgil puisse les préparer ensuite. En effet, beaucoup d'herbes ne gardaient pas longtemps leurs propriétés curatives, alors que sous forme de cataplasme leurs vertus pouvaient être maintenues plus longtemps, voire concentrées. Par la suite, le rôdeur dúnadan se rappela que dans le matériel entreposé dans les chariots, il y avait des outils d'apothicaire, et il put faire plusieurs préparations en parallèle, car elles étaient très longues, de l'ordre d'une journée à la base.

Le soir même, Atagavia revint à Buhr Widu et les aventuriers purent le rencontrer en privé, après un repas pris avec sa fille et lui. La discussion fut brève et un peu tendue : d'abord car le sujet d'Aldoric, fils perdu d'Atagavia, lui était douloureux. Même s'il était bien vivant quelque part en forêt, il se refusait à l'admettre et à entretenir cet espoir de peur d'être déçu. D'autant que des dizaines d'homme avaient été envoyés et aucun n'en était revenu. De plus, à la surprise des aventuriers, le chef des Waildungs leur annonça que sa fille était parfaitement au courant de cette rumeur. Il ne devait rester personne d'autre qu'elle et lui au courant, d'ailleurs, car tous ceux qui avaient eu connaissance de cette rumeur faisaient partie des expéditions qui s'étaient perdues. Par ailleurs, Atagavia contesta les risques de voir sa fille partir ou enlevée par des sbires du Nécromancien : elle tenait trop à son peuple pour oser prendre un tel risque, d'une part ; d'autre part, il ne concevait pas que le Nécromancien réussît à enlever Bronwyn ici même.

En revanche, le chef des Waildungs confirma que la fête en leur honneur aurait lieu le surlendemain soir. Ses invités auraient la tâche de décrire leurs aventures aux nombreux nordiques venus les voir, certains de loin. A la suite de quoi il annoncerait l'engagement de son peuple dans une guerre contre les Sagaths. Engagement qui expliquait son absence de la journée : il avait fait un rapide inventaire des forces disponibles auprès des tribus les plus proches et envoyé des messagers vers les plus éloignées, sans compter certains qui étaient allés voir les chefs des autres clans. Néanmoins, il refusa de donner les détails exacts de ce qu'il avait décidé, prétextant ne pas encore avoir tous les éléments dont il avait besoin. Et il congédia bientôt les aventuriers.

3 - Fête et annonce
Les deux jours suivants furent donc bien occupés à trouver des herbes médicinales et les préparer, ou à tracer des runes magiques sur des bouts de cuir qui seraient portés ultérieurement par le hobbit. Mais peu avant la soirée, tous arrêtèrent leurs activités pour se préparer et faire la meilleure impression possible. Après une petite toilette, tous mirent leurs meilleurs habits et convinrent des rôles à donner : Drilun serait l'habituel conteur, épaulé par des mimes ou ombres chinoises de Geralt. Ombres chinoises renforcées par quelques modifications de trait magiquement opérées par le magicien. Rob ferait quelques acrobaties pour rajouter du visuel à certains moments-clés, tandis que Vif et Isilmë s'occuperaient de l'accompagnement musical, la première à l'aide de son bodhrán, sorte de tambour sur cadre avec bâtonnet, la seconde à l'aide de sa voix.

Et ainsi fut-il fait. Le moment venu, les amis montèrent sur la scène qui avait été préparée, devant des milliers de nordiques venus des alentours ou de plus loin. Après s'être présentés, ils décrivirent les cinq quêtes qu'ils avaient menées à bien pour les seigneurs cavaliers :
- l'élimination d'une tribu d'orcs et le sauvetage de leurs prisonniers, pour les Widureiks
- le repérage et l'immobilisation d'une puissante tribu de Sagaths, pour les Ailgarthas
- l'élimination d'un culte sagath maléfique et le sauvetage de leurs prisonniers, pour les Gadraughts
- la prise d'Ilanin des mains des Sagaths - à six personnes ! - pour les Algifryonds
- la découverte et l'élimination de fauteurs de troubles qui menaçaient la paix, pour les Brotharas

Après le récit de chaque quête, Atagavia prenait la parole pour féliciter les aventuriers et sa fille, mais aussi pour pointer du doigt à quel point la réussite avait parfois été juste pour l'un ou l'autre, voire pour le groupe : certains avaient bien failli mourir (Rob, Taurgil, Geralt), et le groupe en grand péril avait été sauvé de justesse par l'arrivée d'armées nordiques en deux occasions, chez les Ailgarthas et les Gadraughts, les clans nordiques les plus martiaux d'entre les six. D'un côté le chef des Waildungs mettait en avant leur bravoure et le côté inouï de leurs exploits, de l'autre il soulignait à quel point la limite entre réussite et échec était parfois faible. Au final, il donnait l'impression que les aventuriers avaient eu vraiment beaucoup de chance, et qu'ils pouvaient s'estimer heureux d'être tous vivants.

A la fin des récits, Atagavia congratula les aventuriers pour leur performance sur scène, performance dont les bardes pouvaient certainement s'inspirer. Il enchaîna ensuite par un parallèle entre les aventuriers et les peuples nordiques du Rhovanion. Certainement, les ambassadeurs d'Arthedain avaient de la bravoure et les dieux étaient avec eux, on ne pouvait que les soutenir et les suivre. En revanche, les seigneurs cavaliers et leurs peuples n'avaient pas les mêmes ressources qu'eux ni autant de chance. Ils allaient faire la guerre aux Sagaths et plus particulièrement au convoi sagath destiné à Angmar, afin de récupérer les nombreux chevaux volés et affaiblir tant les orientaux du nord que le roi-sorcier du nord des Monts Brumeux. Ce serait sans doute une guerre terrible, il y aurait de nombreux morts, il ne fallait pas s'y préparer à la légère. Faute de quoi, même s'ils étaient victorieux, les nordiques seraient tellement affaiblis qu'ils ne pourraient résister à l'attaque d'autres ennemis, ou simplement des autres orientaux qui ne participeraient pas au convoi.

Bref, guerre il y aurait, mais après une phase de consolidation des territoires et des ressources de chacun. Grâce aux exploits et aux avancées des aventuriers, les seigneurs nordiques devaient profiter de ce que leurs ennemis traditionnels étaient affaiblis pour renforcer leurs positions, leurs frontières et leurs élevages de chevaux. Sans oublier de se coordonner et de préparer cette future campagne. Ils seraient donc parfaitement prêts à se lancer à l'assaut des Sagaths et de leurs sombres alliés - orcs, loups et sorciers - au cours de l'été de l'année prochaine. Entre-temps, les chefs se réuniraient et prépareraient leurs troupes - Atagavia comptait partir pour cela d'ici deux jours - tandis que les artisans, éleveurs et marchands devaient faire le maximum pour soutenir l'effort de guerre. Chaque homme, femme ou enfant nordique pouvait se préparer et contribuer à la guerre d'une manière ou d'une autre.

Abattus voire furieux de ce contretemps, les aventuriers observèrent les réactions autour d'eux. Les nordiques, dans leur majorité, semblaient déçus, alors qu'ils s'attendaient plutôt à un départ en guerre à la fin du printemps. D'un autre côté, ils paraissaient aussi comprendre le raisonnement de leur chef, qui préférait consolider leurs forces pour limiter les pertes, en espérant que les Sagaths ne pourraient faire de même, quand bien même l'effet de surprise serait anéanti. De toutes manières les Sagaths devaient être prévenus déjà. Taurgil ne put s'empêcher de dire personnellement à Atagavia à quel point il considérait sa décision comme une lâcheté, mais le chef des Waildungs ne lui répondit pas. Néanmoins, certains émissaires des autres clans vinrent faire part au groupe de leur déception. Ce à quoi il leur fut répondu que tout n'était pas joué et que peut-être ils arriveraient à faire changer d'avis le père de Bronwyn. Les représentants des autres clans répondirent qu'ils étaient d'accord et qu'ils se tiendraient prêts à partir en guerre très vite, et ils leur souhaitèrent bonne chance.

4 - Nouvel entretien
A défaut du soutien franc et inconditionnel du chef des Waildungs, les nordiques furent nombreux à venir féliciter les héros du jour. Malgré l'enthousiasme un peu refroidi par cette annonce de report de la guerre à l'année prochaine, l'ambiance restait à la fête et les gens n'allaient pas se coucher de suite, mais parler encore longtemps des détails de ce que les aventuriers avaient fait - ou du moins ce qu'ils avaient dit qu'ils avaient fait. Ces derniers ne risquaient pas de pouvoir se coucher tôt dans l'état d'esprit dans lequel ils étaient, et ils rencontrèrent bientôt Bronwyn à qui ils dirent qu'ils souhaitaient lui parler de manière confidentielle. Après réflexion, elle annonça que le meilleur endroit pour cela était l'auberge, tellement bondée et bruyante qu'on ne risquait pas de pouvoir suivre leur conversation.

Mais avant cela, Vif présenta au groupe un individu qu'ils connaissaient déjà et qu'elle avait repéré dans la foule : Rillit l'écureuil, chef des cambrioleurs des voleurs de Forpays. Devant les avertissements ou menaces à peine voilées des aventuriers, l'homme déclara qu'il était simplement venu aux nouvelles et non pour préparer un coup. Les voleurs seraient déçus d'apprendre ce qui s'était passé. L'écureuil leur garantit que s'ils pouvaient aider d'une manière ou d'une autre, ses collègues, et lui tout particulièrement, étaient prêts à bien des efforts pour que la mission du groupe pût aboutir. Il ne s'engagea pas sur la nature exacte de cette aide, mais laissa entendre que du matériel voire des informations pouvaient facilement se trouver dans les mains ou oreilles des voleurs pour ensuite arriver jusqu'à eux.

Mais il fallait d'abord avoir un entretien avec la fille d'Atagavia. L'auberge était complètement bondée, mais ses occupants firent bientôt une place aux héros du jour pour qu'ils puissent s'attabler et rester entre eux. Rillit fut prié d'aller les attendre ailleurs, et pas seulement plus loin dans l'auberge. Malgré le bruit, certains craignaient qu'il pût surprendre leurs paroles voire même lire sur leurs lèvres. Il comprit sans mal et sortit de l'établissement. Après quoi Bronwyn et ses amis se firent offrir à boire sans rien avoir demandé et se serrèrent les uns contre les autres pour arriver à se parler sans crier. Très rapidement, la princesse les mit au courant de son projet pour faire changer d'avis son père. Dans un premier temps elle avait pensé mettre les aventuriers devant le fait accompli, mais maintenant qu'ils se connaissaient tous bien, elle se doutait qu'ils liraient en elle et qu'ils devineraient vite ses intentions. Et effectivement, comme certains s'en doutaient un peu (et même plus), elle comptait aller chercher son frère en forêt.

En fait, elle préférait mettre les choses au point avec les aventuriers plutôt que de tenter de les surprendre car de toute manière elle leur forçait la main : d'une manière ou d'une autre, elle irait en Forêt Sombre, une fois son père parti. Elle savait déjà comment tromper la surveillance des hommes de son père, qui s'attendraient à tout sauf à ça. Elle laisserait un message à son père pour annoncer son projet. A son retour, son père serait furieux, en particulier après les aventuriers : s'ils étaient là à l'attendre, il les rendrait coupables d'avoir poussé sa fille à cela et de ne pas l'avoir retenue ou même accompagnée. S'ils étaient partis avec elle, il serait tout autant furieux et ne pourrait plus les voir en peinture ou entendre parler d'eux. Leur mission pour l'Arthedain serait un échec dans tous les cas. Sauf un : s'ils revenaient avec Aldoric. A ce moment, il ne pourrait plus rien leur refuser.

Bien entendu, Bronwyn était parfaitement consciente des dangers encourus et de l'impact que son escapade pouvait avoir sur son père et son peuple. Malgré les détails apportés par les aventuriers sur la force qui l'attendait, elle ne put qu'opposer sa confiance en eux et, au bout du compte, son sentiment qu'elle ne pouvait continuer sa vie sans rien faire pour son frère. Elle ne pourrait devenir une chef ou mère de chef nordique si elle ne pouvait secourir sa famille à cet instant. Son argument ultime fut de dire que c'était son destin. Et qu'elle pensait qu'avec l'aide des aventuriers, son destin était de revenir vivante avec eux et son frère. A présent qu'ils étaient au courant de tout, qu'allaient-ils bien faire ? L'accompagner et faire contre mauvaise fortune bon cœur, et rester les héros qu'elle avait côtoyés ? Ou tenter de l'empêcher de rencontrer son destin, ce qui était voué à l'échec et à la fin de leur mission ?

Bien entendu, la plupart des aventuriers ne voyaient pas d'échappatoire à cette situation : bon gré ou mal gré, ils viendraient avec la princesse et ramèneraient son frère d'une manière ou d'une autre. Tous... sauf Geralt. Ce dernier refusait d'être entraîné dans une pareille aventure qu'il trouvait suicidaire. Pour lui qui avait très mal vécu son précédent voyage dans la Forêt Sombre, repartir là-bas s'apparentait à vouloir pénétrer dans Dol Guldur. Sans davantage d'aide des magiciens, il refusait de faire partie de cette expédition. Il était éventuellement prêt à accompagner Bronwyn et ses amis sur le début du voyage et notamment jusqu'aux tombeaux des princes waildungs en forêt, à une journée de marche de là. S'il n'y avait rien de nouveau, alors il s'en retournerait à Tharbad et n'entendrait plus parler des ses amis.

5 - L'écureuil et ses noisettes
Satisfaite bien qu'un peu surprise par la réaction du maître-assassin, Bronwyn rentra alors chez elle. Les aventuriers, en sortant, trouvèrent vite Rillit qui les attendait non loin. Ils reprirent donc la conversation là où ils l'avaient laissée. Qu'est-ce que Rillit et les autres voleurs pouvaient bien proposer comme aide, au juste ? Quel matériel serait-il susceptible de leur fournir ? Taurgil posa la question de matériel d'apothicaire de qualité. Le chef des cambrioleurs semblait penser qu'il était très certainement possible de trouver un tel équipement, mais le groupe ne tenait pas à ce qu'il soit volé à quelqu'un d'autre pour leur servir. En revanche, le rôdeur dúnadan se souvint que celui du château tout en haut de Forpays n'avait pas été emporté, ce qui à présent lui semblait une grave erreur. Les voleurs l'avaient-ils conservé ?

Rillit les assura que certainement, ce matériel de qualité devait dormir quelque part en attendant de trouver le bon repreneur. Il se faisait fort d'écrire une lettre à son collègue Mard, le chef des "marchands-baratineurs" parmi les voleurs, pour leur réserver la chose. Mordin devait justement partir bientôt pour la ville pour aller chercher des flèches de qualité qu'ils y avaient commandées. L'écureuil ne pouvait-il se joindre à lui ? Ce dernier déclina la proposition, indiquant qu'il avait d'autres obligations. En revanche, un cambrioleur qui l'avait accompagné pourrait se joindre au nain pour apporter la lettre à Mard. Après quoi, il avait confiance en Mordin pour en tirer le meilleur prix. Le chef des cambrioleurs, que certains aventuriers jugeaient assez sévèrement, commença à remonter dans leur estime.

Mais par ailleurs, Rillit et ses hommes ne voulaient-ils pas les accompagner dans une expédition au cœur de la Forêt Sombre, chez lui ? De nombreux cambrioleurs étaient des Hommes des Bois, ils seraient dans leur élément. Et il ne s'agissait pas de combattre mais bien de se faufiler en catimini pour arriver jusqu'à un lieu précis que gardaient de nombreux ennemis. N'était-ce pas un formidable défi à la hauteur d'un expert en discrétion tel que lui ? Rillit déclina l'invitation avec divers arguments, montrant une fois de plus qu'il en savait vraiment beaucoup sur la question. Il dit qu'il serait suicidaire d'emmener ses hommes là-bas, et pour un gain nul à un niveau pécuniaire. Quant à lui-même, le défi seul ne l'intéressait pas, il lui fallait tout de même une carotte au bout. Par ailleurs, il avait d'autres tâches à accomplir qui nécessitaient qu'il soit ailleurs et qui pourraient quand même servir aux aventuriers.

Devant les questions de ces derniers, il expliqua qu'il avait aussi à faire dans la Forêt Sombre. Ce pour quoi il était prêt à accompagner un bref moment le groupe si ses membres étaient d'accord. Il ne voulut pas dire ce qu'il devait faire dans la forêt, sauf peut-être transmettre certains renseignements. De fil en aiguille, certains se posèrent des questions et mirent bout à bout les éléments. Un cambrioleur particulièrement perceptif et à l'aise en forêt, qui va régulièrement dans les bois rencontrer Eru savait qui. Un voleur qui voit passer beaucoup de monde et d'information, qui voit son métier comme un art et ne semble pas attacher particulièrement de valeur à l'or et aux richesses, en bon Homme des Bois qu'il était. Et si, en fin de compte, Rillit était un des "yeux" du magicien Radagast ?

Mais le chef des cambrioleurs ne risquait pas de répondre directement à cette question, même si pour certains cela semblait évident. Aurait-il pu être un agent du Nécromancien, par contre ? Cela ne cadrait pas trop avec son caractère ni avec son aide ponctuelle, pas plus qu'avec les informations qu'il avait laissé filtrer à leur intention. Dans tous les cas, il était prêt à aider à sa façon et de manière limitée. Il fut entendu qu'un de ses hommes serait là le lendemain à l'aube pour partir à cheval avec Mordin, et pour le conduire aux voleurs de Forpays et en particulier à Mard, avec une recommandation de Rillit. De son côté, il attendrait le groupe à l'orée de la forêt d'ici quelques jours. Il les accompagnerait un brin puis les laisserait à leur quête consistant à retrouver et ramener le frère de Bronwyn.

6 - Derniers préparatifs
Le lendemain matin, Mordin trouva le cambrioleur de Forpays qui devait remettre une lettre de son chef à Mard pour l'achat du matériel d'apothicaire récupéré au château en haut de la ville. Il partit avec lui et quelques hommes de Rult afin de se prévenir d'éventuels problèmes. Ils galopèrent tout le jour sans rencontrer aucun ennemi et ils arrivèrent à Forpays en fin de journée. Après avoir récupéré quelques dizaines de flèches auprès du fabricant d'arcs et flèches du quartier des Hommes des Bois, le nain retrouva le cambrioleur qui avait déjà prévenu qui de droit. Mordin était donc attendu par le voleur à la langue la mieux pendue de toute la ville, qui attendait le maître marchand avec grand plaisir. Plaisir qui était réciproque : les deux hommes - ou plutôt l'homme et le nain - avaient des talents très proches l'un de l'autre et ils appréciaient véritablement de pouvoir discuter le bout de gras pour le plus pur plaisir de la joute verbale.

Ce qui fut encore le cas ici. Le marchandage entre Mordin et Mard dura une bonne partie de la soirée, à la suite de quoi le voleur dut admettre que le nain avait été particulièrement inspiré et lui avait donné une petite leçon. Il lui céda donc le matériel d'apothicaire de bonne grâce pour la modeste somme de seulement vingt-cinq pièces d'or. En ajoutant du coin de l'œil que c'était probablement un cadeau car il avait découvert sous les alambics, cornues, flacons et autre équipement, de petites runes tracées dans le verre. Il se doutait bien que ce matériel devait avoir quelque chose de magique, mais dans la mesure où il était bien incapable de déterminer de quoi il s'agissait, il était heureux de pouvoir le confier à quelqu'un à qui cela profiterait, de la même manière que les voleurs de Forpays avaient profité du passage des aventuriers.

Le lendemain, Mordin revint avec le matériel en question à Buhr Widu. Taurgil essaya de suite cet équipement couvert de runes bien cachées et il trouva bien vite qu'en plus d'une qualité très correcte, les préparations ne prenaient que le tiers du temps normal. Il put ainsi continuer à fabriquer des contrepoisons avec l'aide de ses amis avec encore plus de facilité et surtout de rapidité. Plusieurs jours après la fête qui leur avait été dédiée, l'équipe disposait de plusieurs contrepoisons sous forme de cataplasme, dont l'un assez puissant. Sans doute pas assez pour neutraliser complètement les poisons les plus virulents, mais assez pour les affaiblir et permettre aux guerriers endurants qu'ils étaient - Rob excepté - d'arriver à s'en sortir sans grand mal.

De leur côté, les artisans qui travaillaient sur l'armure de cuir du hobbit mirent environ quatre jours pour la terminer, en y passant à chaque fois toute la journée et une partie de la nuit. Quant à Drilun, il avait tracé des runes magiques pour rendre les vêtements encore plus résistants, et il continua encore après la fin du travail des artisans. Tandis que ces derniers faisaient une pause avant de s'atteler à la confection d'une telle armure pour le nain, mais sans aucune urgence, l'archer-magicien poursuivit son travail d'orfèvre magique afin de doter le cuir d'une protection encore plus grande. Il fut encouragé en cela par un temps absolument détestable qui réfréna les ardeurs de départ de certains - Geralt le premier - si bien que le groupe resta en ville deux jours de plus.

En fin de compte, peut-être trois jours après le départ d'Atagavia, le groupe fut enfin prêt et le ciel s'éclaircit un peu. Le maître-assassin déguisa Bronwyn de manière à ce qu'elle passât pour sa servante Léodwyn. Hormis pour les yeux les plus exercés, il était impossible de reconnaître la princesse. Ils quittèrent sans mal la ville avant l'aube, avec une mule couverte d'équipement pour une excursion de quelques semaines : tentes, couvertures, nourriture séchée et de nombreuses gourdes composaient le matériel porté par la bête. Après une marche d'une heure dans un sol boueux, ils arrivèrent à l'orée de la Forêt Sombre et surtout à l'entrée du sentier qui traversait la forêt d'est en ouest, Râd Angálaladh, le "chemin de l'arbre le plus secret".

7 - Cor Angálaladh
Une silhouette les attendait non loin de l'entrée dans la forêt. Rillit l'écureuil était bien là, qui patientait depuis deux jours. Vif s'isola avec Taurgil afin de procéder à sa transformation en grand félin, mais elle gratifia auparavant le rôdeur d'une joue bien rouge pour son empressement à la déshabiller. En tout cas, le voleur de Forpays ne sembla pas surpris de voir la lionne plutôt que la Femme des Bois. Le groupe entra vite en file indienne dans la forêt : le sentier était très étroit et le couvert si dense que l'obscurité était permanente. En revanche, la pluie des jours passés était si difficilement arrivée au sol que ce dernier était sec. Au cours de la journée, les aventuriers progressèrent lentement mais sans difficulté aucune. Geralt (entre autres) s'émerveillait de voir parfois Rillit disparaître en forêt et réapparaître un peu plus loin sans que personne ne s'y attendît, sauf peut-être Vif dont l'ouïe féline surpassait leurs perceptions à tous. Mais vraiment, le maître des cambrioleurs de Forpays était un voleur exceptionnellement discret.

Après une journée sans histoire, le groupe arriva peu avant le soir à un endroit où un autre sentier sur la droite achevait sa route sur le chemin qu'ils suivaient. Bronwyn indiqua qu'il s'agissait du sentier qui menait aux tombeaux de ses ancêtres, et ils le prirent tous. Après moins d'une heure, la forêt finit par s'éclaircir et les aventuriers entrèrent en un lieu moins sombre occupé par une forêt-cathédrale : il n'y avait aucun sous-bois mais juste quelques arbres majestueux, au tronc presque lisse et sans branche basse, dont les frondaisons élevées laissaient un peu passer la lumière du soleil. Divers monticules funéraires étaient disposés çà et là : les tombes des princes des Waildungs, dans ce cimetière forestier qu'on appelait Cor Angálaladh. Une atmosphère de sérénité baignait les lieux, et la princesse nordique déclara qu'ils feraient halte pour la nuit ici. Aucun orc, aucune araignée ou aucun serviteur du Nécromancien ne viendrait leur chercher noise ici.

Les tentes furent montées et un repas fut pris tandis que la nuit tombait. Bronwyn se recueillit un moment devant la tombe de sa mère et d'autres de ses ancêtres, puis elle alla se coucher. Drilun resta aussi parmi les tombes, cherchant à utiliser sa magie pour tenter de rentrer en contact avec un éventuel esprit des lieux. Il se souvenait que Sîralassë leur avait parlé d'un esprit ancien à Tumulus, dans la Comté, que lui seul avait pu percevoir. Et il avait encore bien en mémoire le rituel qu'il avait fait pour appeler Fercha, l'esprit du conflit. Sans trop savoir comment, il tentait de communier avec les ancêtres des princes nordiques pour qu'ils puissent le guider ou lui apporter une information concernant leur quête. Il n'eut pas de réponse claire, mais au bout d'un moment un sentiment se fit en lui : le désir de veiller sur Bronwyn et la protéger.

Vif partit grimper dans un arbre pour y passer la nuit et Rillit dans un autre, ce qui aurait été un exploit pour d'autres personnes qu'eux vu la difficulté à escalader les arbres. La nuit se passa sans incident et les veilleurs comme Isilmë ne virent et n'entendirent rien. Au petit matin, les uns et les autres se réveillèrent et la lionne finit par descendre de son arbre. Elle poussa alors un feulement en indiquant une petite fiole qui reposait à terre non loin de leurs affaires, et qu'aucun d'eux n'avait remarquée. Personne ne savait qui avait déposé cette fiole ici, mais en revanche ils en avaient déjà vu une semblable par le passé. Cela ressemblait un tout point à un flacon de cordial d'Imladris confectionné par maître Elrond, et dont ils avaient déjà pu bénéficier. Mais aucune trace ne pouvait renseigner sur la personne qui l'avait amené là, et un sort du Dunéen ne lui permit que d'avoir la vision d'une main aux doigts longs et fins qui déposait la fiole. Rillit semblait avoir disparu, il n'était plus dans son arbre, et beaucoup pensèrent que la fiole venait de lui. Si c'était bien du cordial d'Imladris, cela accréditait à nouveau son lien avec les magiciens.

Magiciens qui semblaient donc avoir répondu à leur appel à l'aide, d'une manière ou d'une autre. Mais cette aide probable ne suffisait pas à Geralt, qui déclara qu'il ne suivrait pas le reste de la troupe : leur quête était une folie vu les ennemis qu'ils auraient à affronter, et il allait donc rentrer à Buhr Widu puis à Tharbad plutôt que de continuer vers une mort certaine aux mains des sbires du Nécromancien, ou plutôt que de devenir une marionnette de Tevildo. Ses amis ne réagirent pas trop, habitués à ses protestations et coups de gueule, mais l'homme semblait déterminé et il prépara ses affaires pour partir de son côté. Néanmoins, alors qu'il allait quitter le groupe, des sentiments étranges et conflictuels se firent en lui...

En fait, il avait très envie d'accompagner le groupe et en particulier Vif, à laquelle il se sentait attaché. Mais en même temps, il avait très envie de quitter cette forêt et il ne comprenait aucunement d'où venait ce soudain attachement à la Femme des Bois. Soupçonnant l'influence du prince des chats en lui, il lutta avec difficulté contre ces émotions qui n'étaient vraisemblablement pas les siennes. Avec difficulté, il se dit que cela prouvait à quel point ils étaient déjà tous des outils au service de Tevildo et qu'il fallait vite partir. Mais une fois sa décision fermement (et douloureusement) arrêtée et son sac pris, il se rendit compte du chemin qu'il aurait à faire, seul dans une forêt dangereuse. Sa flemme arriva, plus forte que jamais, et il se persuada en son for intérieur qu'il n'aurait jamais la force de rentrer seul à pied à Buhr Widu. Une fois l'homme complètement déprimé, l'esprit du prince des chats n'eut aucun mal à modifier un peu plus les motivations de l'Eriadorien aux cheveux blancs : le maître-assassin décida finalement qu'il valait encore mieux accompagner ses amis jusqu'aux portes de Dol Guldur plutôt que de passer une journée seul en Forêt Sombre. En son for intérieur, il maudit cette forêt maléfique.
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Horselords - 28e partie : Sombre forêt...

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1 - Deuxième jour en forêt
Le groupe se mit en route, à la queue leu-leu sur le chemin forestier vite retrouvé. Il était en effet très étroit et ne permettait pas d'avancer confortablement à deux de front. En fait, ça n'était vraiment rien de plus qu'un sentier mince et encombré de divers végétaux qui tentaient de reprendre possession des lieux. Il était impossible aux aventuriers de voir le jour au-dessus de leurs têtes, et la lumière qui arrivait au sol, de jour, ne valait guère mieux que celle d'une nuit claire. Malgré le couvert forestier très dense, le sous-bois était si touffu qu'il semblait impénétrable la plupart du temps, et les murs végétaux qui bordaient le sentier étaient le meilleur moyen de suivre ce dernier.

Côté faune, l'ambiance oppressante de la forêt n'empêchait pas les signes de manifestation d'une vie nombreuse, bien qu'en grande partie invisible. Les pépiements des oiseaux étaient tout ce que les voyageurs percevaient d'eux, et des traces de passage - rongeurs, sangliers, loups, cervidés... - étaient souvent visibles sur le sentier pour les yeux de ceux qui savaient voir. Quelques hurlements de loups ou cavalcades de cerfs ou chevreuils se faisaient parfois entendre. La principale vie animale que tous les aventuriers arrivaient à voir en permanence, c'étaient les écureuils noirs et bien curieux qui les regardaient passer, juchés sur des branches au-dessus d'eux. Vif avait prévenu ses compagnons qu'en plus de leur couleur, ils se distinguaient des écureuils roux plus communs en dehors de la Forêt Sombre par une chair infecte. Inutile de chercher à améliorer les menus avec ces bestioles, donc.

Vif ouvrait la marche, le hobbit à moitié allongé sur son dos, très à l'aise. Après quoi venaient Bronwyn, qui tirait la mule derrière elle, puis Taurgil. Ils étaient suivis par Isilmë puis Drilun, Mordin et enfin Geralt, toujours bougonnant, qui rêvait de Polochon, son cheval sur lequel il avait réussi une fois à s'endormir... La matinée se passa sans incident, et après une pause de deux heures pour se restaurer et se reposer, le groupe repartit. Dans l'après-midi, le maître-assassin distingua derrière lui une meute de loups qui les suivaient de loin, à la limite de sa vue. Vif, en avant, les entendait grogner, probablement en raison de son odeur à elle qui énervait toujours les canidés. Mais sous sa forme de grand félin, elle devait aussi, à leurs sens, représenter une menace plus que sérieuse qui les dissuadait de se rapprocher. Et puis le groupe était nombreux et ne montrait pas de signes de peur, à l'exception de la mule peu rassurée.

Une fois la nuit tombée, lorsque les humains n'arrivaient même plus à voir le sol ou les troncs des arbres, une lanterne fut allumée et le chemin fut poursuivi un moment, malgré les protestations de Geralt. Enfin, un camp fut dressé sur le chemin et une collation fut prise. Vif grimpa ensuite dans un arbre proche pour aller y dormir, tandis que le hobbit faisait de même mais pour mieux faire la sentinelle. Juché sur une branche au-dessus de ses amis, aidé par la lanterne, il surveilla le camp un moment avant de percevoir le bruit de nombreuses pattes discrètes qui s'approchaient d'eux sur le sentier, du côté où Geralt dormait. Tandis qu'il encochait une flèche et qu'il criait pour avertir ses compagnons, la lionne, qui avait perçu l'arrivée des loups, poussa un puissant rugissement qui fit fuir les prédateurs. Puis elle se rendormit, tandis que le groupe, bien réveillé, était averti par le hobbit de ce qui s'était passé. Seule Isilmë, profondément enfouie dans l'espèce de méditation de repos que connaissent les elfes, n'avait pas été dérangée.

Tout le monde se rendormit avec les plaintes de l'assassin dans les oreilles : le rugissement avait eu raison du repos magique que l'elfe lui avait lancé, et donc son moral ne risquait pas de s'améliorer beaucoup. Drilun, ayant pitié du balafré aux cheveux blancs, épingla sur le corps de son amie un petit message avec son écriture élégante lui enjoignant de refaire un repos magique sur l'Eriadorien. Puis il se recoucha... mais pas pour longtemps : plus d'une heure après cela, les loups revinrent par l'autre côté. Là encore ils furent perçus par Rob, qui réveilla tout le monde - ou presque : il n'arriva pas à faire sortir l'elfe de sa torpeur, malgré le contenu d'une gourde versée sur sa tête.

Vif aussi avait perçu la nouvelle arrivée des loups, sans avoir besoin des avertissements du hobbit. Elle choisit de ne pas rugir cette fois, mais d'aller à la rencontre des loups par la voie aérienne, en sautant d'arbre en arbre. Tandis que Taurgil s'approchait sur le sentier, avec à la main le cimeterre d'obscurité qui lui permettait de voir dans le noir comme en plein soleil, la lionne arriva au-dessus des canidés. Ces derniers, rendus fous furieux par son odeur, hurlaient après elle depuis le sol. Elle se laissa choir sur le plus gros et probable chef, qui périt instantanément sous ses 160 kg. Les autres s'éparpillèrent, mais pas assez vite pour tous. Après en avoir poursuivi un ou deux, Vif revint bientôt jusqu'au sentier et au rôdeur, avec dans sa gueule la patte arrière d'un loup qui se débattait sans succès pour se libérer. La lame noire et magique du Dúnadan fut bientôt abreuvée, et les autres loups laissèrent le groupe tranquille tout le reste de la nuit.

2 - Troisième journée en forêt
Cette nouvelle journée ressembla fort à la précédente, mis à part l'attitude de certains. Geralt avait finalement passé une bonne nuit grâce à la magie d'Isilmë. Cette dernière avait bien trouvé le mot de Drilun et s'était exécutée. Mais elle avait aussi trouvé son corps en partie trempé, et un hobbit pour se moquer d'elle, ce qu'elle n'avait pas vraiment apprécié. Manifestement, Rob avait rongé son frein pendant toute sa convalescence, et maintenant il se défoulait, ce qui n'était pas du goût de tous. Par ailleurs, il faisait encore plus sombre en forêt, et les bruits laissaient entendre de la pluie sur les feuillages, pluie dont presque aucune goutte n'arrivait au sol. Le manque de lumière pesait donc encore plus sur certains.

La matinée se passa sans incident, et l'après-midi, une nouvelle meute de loups se mit à suivre le groupe à distance. Par ailleurs, Vif, via la magie de Taurgil, prévint ses compagnons qu'elle percevait de plus en plus distinctement la présence d'araignées géantes à proximité. Le soir venu, c'est Taurgil qui monta la garde en premier, tandis que l'elfe se reposait quelques heures pour veiller ensuite le reste de la nuit, comme de coutume. La lionne choisit de ne pas aller dormir dans un arbre mais de rester auprès de ses compagnons, à une extrémité du groupe. Le rôdeur veillait, le cimeterre maudit à la main, afin de ne pas être gêné par l'obscurité. Drilun avait néanmoins fait une lumière magique qui les couvrait tous, afin que personne ne restât aveugle à cause de l'obscurité, trop profonde pour des yeux normaux, en cas d'attaque nocturne.

Tout était calme au début. Tout ? Pas vraiment en fait : le rôdeur dúnadan, très perceptif, avait fini par distinguer des mouvements. Avec difficulté, il avait reconnu le hobbit, toujours très discret, qui farfouillait les affaires de Bronwyn et celles portées par la mule. Lorsque le semi-homme chapardeur approcha d'Isilmë, près de laquelle Taurgil se tenait, il balança sa main pour une baffe bien méritée. Rob, trop rapide, évita le coup, mais pas les remontrances qui allèrent avec : le voleur s'était retenu de dormir malgré la fatigue pour pouvoir détrousser ses copains ou s'amuser à leurs dépends ? Il avait assez d'énergie pour cela ? Ma foi, il avait donc assez d'énergie pour marcher comme les autres, alors... Tout en bougonnant, Rob retourna se coucher en essayant de tromper la vigilance du rôdeur, mais cette fois-ci, vaincu par la fatigue, il s'endormit.

Ce qui ne signifia pas la fin des ennuis nocturnes. Plus tard, alors qu'Isilmë veillait, elle perçut que les loups approchaient, et pas seulement. La lionne se réveilla aussi lorsqu'elle perçut de nombreuses présences dans les arbres : tandis qu'une meute d'une douzaine de loup approchait, des araignées géantes en profitaient pour arriver de chaque côté du sentier et se placer au-dessus du groupe, dans des branches non éclairées par la lumière magique du Dunéen. Tout le groupe fut bientôt prêt, des consignes furent données, les cordes des arcs furent tendues et des flèches furent encochées, sans parler des lames sorties. Le grognement des loups qui approchaient, du côté de Geralt, était de plus en plus facilement audible. Enfin, les prédateurs à quatre pattes foncèrent en direction d'eux et apparurent sur le sentier, au-delà de la lumière de Drilun.

Deux cordes d'arc vibrèrent et deux flèches blessèrent chacune un loup, sans les tuer néanmoins. Isilmë prit ensuite son épée, d'autant qu'elle perçut ce à quoi tous s'attendaient : de nombreuses araignées se laissaient tomber sur eux. Leur corps n'était pas très gros, entre un et deux pieds de long, mais avec leurs longues pattes de plus d'un mètre elles avaient l'air bien plus menaçantes. Geralt tua deux loups, faisant confiance à Mordin pour le protéger de l'araignée qui lui tombait dessus, ce qu'il fit à l'aide de sa hache, tout en se protégeant de la sienne à l'aide de son bouclier. Vif plongea par-dessus Bronwyn - qui trancha son araignée en deux - et surtout par-dessus la mule, bousculant ou prenant sur elle les deux arachnides qui avaient visé leur animal de bât. Drilun laissa son araignée s'embrocher sur son épée, regrettant son geste ensuite, car une épée de cinquante kilogrammes est peu maniable. Isilmë préféra faire des moitiés d'araignée, sans parler des bouts de pattes qui traînaient, de même que Taurgil. Quant à Rob, il transperça l'araignée qui lui tombait dessus d'une flèche, mais ne put empêcher d'être un peu bousculé par le corps mort qui lui atterrit en partie dessus.

Le reste du combat ne dura que quelques secondes : après à nouveau de lourdes pertes, les assaillants survivants conclurent vite que les proies étaient trop coriaces et qu'il valait mieux fuir. D'autres corps - morts - tombèrent quand même, et la forêt redevint silencieuse. Trois flèches furent perdues, les corps blessés dans lesquels elles étaient fichées ayant fui plus loin dans la forêt. Même s'il était peut-être possible de suivre les traces pour essayer de les retrouver, le risque n'en valait pas la chandelle : il était trop facile de se perdre dans cette forêt, et s'éloigner pouvait les exposer à d'autres prédateurs. Et pour Geralt, le sommeil était bien plus précieux qu'une flèche, même de grande qualité !

3 - Emyn Guldur
Au matin, la lumière était plus intense sous les arbres, ce qui signifiait qu'il devait faire grand soleil au-dessus des frondaisons. Le chemin fut repris avec une certaine lenteur. En effet, la veille au soir, déjà, le groupe avait abordé les Emyn Guldur, une série de collines ou de basses montagnes dont la plus imposante, à son extrémité sud-ouest, était constituée par Dol Guldur, repère du Nécromancien. En quelque sorte, les Emyn Guldur, les "Collines de Sorcellerie", représentaient un bras éloigné et peu élevé des Emyn-nu-Fuin, ou "Monts de la Forêt Sombre", qui occupaient ladite forêt plus au nord. Bref, cela grimpait, même si les pentes restaient bien couvertes d'une futaie dense et d'un sous-bois épais. Mais çà et là des éperons rocheux et autres promontoires arrivaient à dépasser de la canopée.

Rob comprit aussi très tôt que les paroles du rôdeur, pendant la nuit, n'avaient pas été une menace en l'air. Il se vit refuser le dos de la lionne, au grand plaisir de Geralt qui prit sa place. L'allure était relativement lente et le hobbit n'avait aucun mal à suivre le groupe. En revanche, il était beaucoup moins endurant que le reste de l'équipe et il se rendit compte qu'il risquait de souffrir au cours de la journée. Cela dit, le groupe s'arrêta vite, après peut-être seulement une heure de marche, en arrivant à une clairière longue d'une portée de flèche, clairière formée par la chute d'un arbre vénérable qui bloquait le sentier. Mais surtout, ce qui avait fait s'arrêter la lionne, c'était l'éperon rocheux dont elle apercevait le sommet au-dessus des arbres. Et plus précisément, la tête et l'aile de la monstrueuse créature qui y résidait et semblait regarder dans leur direction. Elle avait déjà vu ce genre de créature d'assez près, et elle ne tenait pas à renouveler l'expérience.

La longue-vue de Geralt confirma qu'il s'agissait bien du genre de monstre qui servait parfois de monture aux sorciers ou autres noirs individus comme celui rencontré par Taurgil et Vif. Il paraissait surveiller le chemin qui traversait la clairière. Nul doute que si l'équipe avançait, la bête ne resterait pas immobile. En tout cas, elle semblait seule sur son rocher. Un petit débat eut lieu entre les partisans d'un passage en force, au risque de prévenir celui qui avait mis le monstre là, et ceux qui préféraient contourner la clairière et passer à travers les bois touffus qui la bordaient, au prix d'un ralentissement certain et de la fatigue qui irait avec. Les seconds eurent gain de cause, et le groupe contourna donc l'endroit dégagé par la droite, non sans mal. Vif dut jouer les taxis pour accélérer l'allure de certains qui n'étaient pas très à l'aise pour se frayer un chemin dans cette végétation particulièrement dense. Ce fut le cas de Bronwyn par exemple, qui était à peine meilleure que le Dunéen dans un pareil environnement.

Après plus d'une heure, l'équipe rejoignit le chemin de l'autre côté de la clairière. Vif profita de son avance pour jeter un œil en arrière, et elle eut la surprise de voir une falaise rocheuse à relativement faible distance, avec en son flanc une vaste caverne occupée par une autre de ces créatures. Un nouveau coup de longue-vue apporta d'autres éléments : il semblait que quelques êtres vivants en piteux état - dont un orc - occupaient également la caverne, comme prisonniers de la créature. Il y avait donc deux tels monstres, comme le confirma le hobbit, parti en haut d'un arbre avec la longue-vue pour s'assurer que la première était toujours sur son perchoir. La traversée de la clairière en combattant aurait pu se révéler plus ardue que prévue.

Ce qui fut précisé un peu plus tard par un aigle que Taurgil avait appelé magiquement. Son sort avait été particulièrement efficace, et l'oiseau qui s'était présenté à lui était le chef incontesté des cieux du secteur - pour les animaux normaux du moins. Cet aigle vénérable fournit quelques renseignements : non, le village des Hommes des Bois qu'ils recherchaient n'était pas dans les parages, et il n'y en avait pas d'autre non plus. L'oiseau détailla aussi la technique de chasse intelligente des deux monstres, qui semblaient en couple : tandis que l'un attirait l'attention sur lui avant de piquer sur sa proie, l'autre volait au ras des arbres pour surprendre la proie et l'emporter dans les airs et jusqu'à la caverne. Dernière information, non négligeable : une troupe d'orcs surveillaient le sentier non loin de là.

Aidés par l'aigle qui resta toute la journée avec eux, les aventuriers poursuivirent leur chemin et rallongèrent encore leur route à travers bois pour éviter d'avoir à combattre les orcs ou se faire repérer. Dans l'après-midi, ils franchirent les collines les plus hautes et commencèrent à redescendre, mais ils ne firent aucune mauvaise rencontre, d'autant que leur scout à plumes les prévenait de tous les possibles ennuis sur le chemin. Et puis la nuit tomba et l'aigle reprit sa liberté et le cours normal de sa vie. Mais un peu plus tard, au moment de s'arrêter et faire le camp, ils se rendirent compte que leur réserve d'eau était au plus bas. Les nombreuses gourdes emportées par Bronwyn grâce à sa mule, sans parler des quelques-unes que certains portaient, avaient pratiquement toutes été vidées. Il fallait trouver une source ou rivière en urgence.

4 - Quand le chat est parti...
Ce qui était plus facile à dire qu'à faire, bien sûr. Au cours de la journée, Vif n'avait vu aucune trace récente des siens, juste quelques signes assez anciens du passage de petites équipes. Ils n'avaient pas encore pénétré le territoire des Hommes des Bois, et elle n'avait donc pas d'aide pour trouver un point d'eau. Chercher, et de nuit qui plus était, dans la forêt dense et hostile, risquait de prendre du temps et de ne pas être une partie de plaisir. Mais Taurgil résolut l'affaire en appelant un oiseau - une chouette en l'occurrence - pour leur indiquer l'emplacement du plus proche point d'eau potable. En attendant que l'animal arrive, le groupe se restaura.

Le rapace nocturne arriva et donna l'information : il existait une rivière qui descendait des Emyn Guldur, non loin de là... à quelques miles. Dans une forêt normale, c'était l'affaire d'une ou deux heures de marche pour des personnes normales. Dans la Forêt Sombre, et de nuit, cela pouvait être beaucoup plus. Tandis que Vif et Taurgil, tous deux très à l'aise en forêt grâce à leurs talents de rôdeur - sans parler de la connaissance de la forêt par la Femme des Bois - s'apprêtaient à emmener le groupe là-bas, un petit débat eut lieu pour essayer d'économiser leurs forces. En fin de compte, Rob, qui avait beaucoup transpiré dans la journée et avait déjà bénéficié d'un soin magique pour évacuer son trop-plein de fatigue, eut une idée qui mit tout le monde d'accord : Vif partirait avec quelqu'un et les gourdes et retrouverait ensuite le groupe. Comme la chouette était prête à montrer le chemin à Taurgil avant tout, la question était réglée.

Ce qui fut donc fait. Mais il fut aussi décidé que le groupe suivrait un moment : cela raccourcirait le chemin du retour des deux rôdeurs. Du trèfle de lune avait déjà été mis dans les yeux de tous hormis l'elfe et la lionne, afin de pouvoir avancer dans l'obscurité impénétrable de la forêt. Le groupe quitta alors le sentier pour les profondeurs du sous-bois. Vif et Taurgil laissèrent bientôt le reste de l'équipe en arrière, beaucoup trop lente pour le félin : au bout d'une heure, menés par le nain qui était - étonnamment - le plus à l'aise en nature après les deux rôdeurs, le petit groupe n'avait avancé que de quelques portées de flèche dans le labyrinthe végétal.

Pendant que la Femme des Bois et le Dúnadan atteignaient la rivière recherchée et que Taurgil commençait la longue tâche de remplir des dizaines de gourdes, peu aidé par Vif et ses pattes félines, les autres montèrent un camp dans un petit espace délimité par des buissons très denses et quelques troncs d'arbre. A l'insu des autres, Rob, qui participa en grande partie à l'établissement du camp, se confectionna dans les buissons une petite cachette où il se faufila bientôt pour dormir. Il fut imité par ses amis, trop heureux de pouvoir enfin se reposer, non sans avoir établi au préalable des tours de garde en attendant le retour de la Femme des Bois et du Dúnadan. Les nuits précédentes avaient été bien actives, et en plus, privés des deux rôdeurs, ils étaient perdus au milieu de la forêt.

Avant de s'endormir, Drilun réalisa une lumière magique sur un bout de bois qui fut enveloppé dans sa cape afin de masquer la lumière, qui serait néanmoins rapidement disponible. Hélas, comme escompté, le repos fut de courte durée : des bruits dans les arbres, bruits qui se rapprochaient, annoncèrent l'arrivée d'une troupe nombreuse d'araignées géantes. Geralt réveilla les autres - il arriva à trouver le hobbit dans sa cachette en perdant quelques minutes - et ils se préparèrent pour un nouveau combat. La mule fut endormie magiquement afin de la calmer, et la lumière magique de l'archer-magicien fut dévoilée afin que tous puissent y voir correctement. De leur côté, lionne et guerrier dúnadan achevaient seulement de remplir les dernières gourdes et entamaient enfin le chemin du retour.

5 - ... les araignées dansent
Geralt et ses amis patientèrent un moment, écoutant le bruit des araignées tout autour d'eux et surtout au-dessus d'eux. Les sinistres bestioles, contrairement à l'attaque précédente, ne se laissèrent pas tomber sur eux. Elles restaient invisibles, hors de portée de la lumière, mais semblaient comme tourner autour d'eux. L'Eriadorien aux cheveux blancs finit par voir et comprendre ce qu'elles faisaient : petit à petit, elles tissaient de nombreux fils au-dessus et autour d'eux, ce qui allait finir par faire une prison dans laquelle ils seraient enfermés. Ils se déplacèrent un peu - sauf la mule endormie - jusqu'aux premiers fils à terre, afin de tester leur résistance.

Rob fut particulièrement décontenancé par l'expérience : non seulement il fut incapable de sectionner un fil d'un coup de sa petite épée, mais en plus elle resta collée au filin organique, et il lui fallut un effort pour la récupérer. Si les autres, et ceux dotés de meilleures armes en particulier, pouvaient s'en sortir mieux, la situation restait inquiétante, d'autant que les araignées commençaient à laisser tomber des bouts de toile sur le camp voire sur eux. Comme un filet qui se resserrait... Drilun fit alors appel à ses pouvoirs magiques. Il alluma une torche magiquement, en masquant sa magie le plus possible. En effet, avant de partir, l'aigle les avait prévenus qu'il y avait une troupe d'ennemis non loin, et le groupe s'attendait à arriver bientôt à Buhr Dera entouré par la force du Nécromancien, dont divers sorciers. Il ne fallait pas les prévenir de leur arrivée.

La torche une fois allumée, sa flamme se mit à brûler un fil d'araignée, mais trop lentement à son goût. Il amplifia alors magiquement la flamme, l'aidant à grimper dans les autres fils ou dans les branches, tout en la maîtrisant assez pour la faire aller dans la direction où il voulait. Petit à petit, il entoura le camp d'un anneau de feu qui montait de plus en plus haut, brûlant toute leur prison de soie d'arachnide. En parallèle, pour éviter d'étouffer, un autre sort fit en sorte de garder un air pur autour d'eux, leur permettant de continuer à respirer normalement. Ou presque : ils avaient l'impression d'être au milieu d'un four, la température ambiante ayant monté de quelques dizaines de degrés ! Mais au moins les araignées s'étaient-elles enfuies, et bientôt l'archer-magicien dunéen étouffa magiquement les flammes autour d'eux, mettant fin à leur supplice.

Vif et Taurgil arrivèrent peu après. La première avait senti l'odeur de brûlé depuis un moment, et elle avait aussi surpris une conversation entre deux araignées en arrivant sur le lieu de l'affrontement sans combat. Les araignées géantes parlaient en effet une forme pervertie de ouistrain, rendue difficile à comprendre avec leur accent de mandibules cliquetantes. Mais la Femme des Bois n'était pas originaire de la Forêt Sombre pour rien, et elle avait pu comprendre ce que les créatures se disaient. En l'occurrence, elles avouaient leur défaite, mais elles parlaient de prévenir l'armée non loin et leur terrible chef. Ce que Vif traduisit par prévenir le Grimburgoth, le chef des forces du Nécromancien, qui pouvait plier la nature à sa volonté.

Autrement dit, avant même d'avoir vraiment commencé, la nuit était déjà terminée. Il n'était plus question de rester là, il fallait retrouver le sentier et repartir, même sans s'être reposé, ou si peu. Au moins avaient-ils de l'eau à présent. La mule ne pouvait être réveillée, du moins les efforts du hobbit en ce sens furent-ils vains. Mais quand la lionne poussa un rugissement dans son oreille, elle fut très vite debout et il fallut les talents de Geralt et Bronwyn pour la calmer. Le sentier fut bien vite retrouvé et le chemin vers l'ouest emprunté. Après plusieurs heures de marche, les sens exercés de la lionne lui annoncèrent que des ennemis n'étaient pas loin. Un sort de Drilun lui permit de préciser : une cinquantaine de bipèdes normaux - sans doute des uruks - et une dizaine de quadrupèdes genre gros loups bien lourds. Et un bipède très gros et lourd dont la lionne sentait les pas dans le sol : un olog à n'en point douter. Et peut-être d'autres choses dans les arbres, que le Dunéen ne percevait pas. Par ailleurs, l'ouïe fine de Vif lui permit d'entendre une voix humaine commander aux orcs. Probablement un sorcier...
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Horselords - 29e partie : l'étau se resserre

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1 - Nouveau contournement
A nouveau, le groupe décida de contourner les ennemis par le nord, à travers la forêt, avant de rejoindre le sentier. Une fois de plus, la lionne servit de guide et de taxi, ouvrant la marche afin de diriger l'équipe et portant le ou les plus lents qui risquaient de trop ralentir le groupe. Elle était fatiguée et eut plus de mal à trouver son chemin sans se perdre, mais ses sens extrêmement fins lui permirent de toujours repérer les ennemis et faire en sorte de ne pas leur arriver dessus par inadvertance. Après plusieurs heures de marche, facilitée par une lumière grandissante avec la levée du jour, le sentier fut à nouveau retrouvé qui permettrait de continuer vers l'ouest.

Malgré les désirs légitimes de repos de certains, les aventuriers choisirent de continuer le plus possible sur le sentier. Vif pensait qu'ils ne tarderaient pas à arriver à la zone verrouillée par l'armée ennemie. En effet, elle commençait à distinguer çà et là des signes laissés par les Hommes des Bois, probablement ceux de Buhr Dera, qu'ils recherchaient. Ils étaient tous assez vieux, sans doute autour d'un an, ce qui correspondait à la probable installation de la force du Nécromancien. Avant cela, le groupe d'Hommes des Bois devait parfois venir jusqu'ici pour chasser ou récolter divers produits de la forêt, en utilisant le sentier pour avancer plus vite. Mais depuis ils étaient en quelque sorte enfermés chez eux...

Quoi qu'il en fût, elle estimait que le village et l'armée ennemie qui le bloquait ne devaient plus être très loin. Et en parallèle, la vie animale semblait se faire de plus en plus discrète autour d'eux, pour ne pas dire absente, au bout d'un moment. Tout le groupe progressa donc quelques heures, prudemment, jusqu'à ce que les sens félins de la Femme des Bois commencent à l'avertir d'une présence non loin : croassements, grognements lupins, voix rauques et désagréables et vibrations dans le sol causées par les pas d'êtres lourds et massifs... Sans nul doute, l'armée qui attendait de cueillir Bronwyn n'était plus très loin, ce qu'un sort de Drilun confirma. Et ce n'était pas une simple patrouille qui les attendait à l'ouest...

Mais nombreux étaient ceux qui n'avaient pas ou peu dormi depuis longtemps : après débat, le groupe choisit de faire halte un moment pour se reposer. Des sorts de soin furent faits pour certains, qui accueillirent avec plaisir un repos profond et récupérateur, tandis que Taurgil, costaud et endurant, choisissait de monter la garde le temps qu'Isilmë puisse se reposer et prendre sa place. Las ! Le repos fut de courte durée. Après peut-être une heure environ, le rôdeur dúnadan entendit des croassements à l'ouest et il vit bientôt arriver à leur niveau, au-dessus du sentier et sous les branches des arbres, une nuée de volatiles noirs. Les corneilles volèrent autour d'eux un moment, réveillant également la lionne qui ne dormait jamais que d'un œil, puis ils repartirent vers l'ouest en grande hâte.

Plus aucun oiseau n'ayant été perçu depuis un moment, il n'était pas dur de deviner l'origine magique de ces corneilles : les crebain, peut-être envoyés là par des sorciers qui avaient perçu leur magie des soins, retournaient à leurs maîtres pour faire leur rapport. Autrement dit, ils étaient découverts et ils auraient probablement de la visite sous peu. Vif referma l'œil qu'elle avait ouvert (et le reste) et Taurgil laissa ses amis dormir encore peut-être une heure avant de les réveiller. Ainsi, ils auraient mieux récupéré et ceux dont le sommeil était plus profond grâce à la magie des soins pourraient être éveillés sans mal. Après diverses protestations et explications, le groupe reprit ses affaires et se prépara à partir. Mais vers où cette fois ?

2 - Le long de la frontière
Les bruits de crebain en l'air et d'une force au sol devenaient progressivement perceptibles sur le sentier, plus à l'ouest. Vif se rappela les indications qu'Odagis, fils de Waulfa et grand messager et traqueur de Buhr Widufiras, lui avait données. D'après ce que l'Homme des Bois lui avait dit, le village secret, Buhr Dera, devait se trouver à quelques miles au nord du sentier, et à l'ouest de leur position puisqu'ils arrivaient à la zone couverte par l'armée adverse qui entourait le village. Elle décida donc de prendre au nord, afin de les rapprocher de leur objectif.

Si la brève halte avait permis aux aventuriers de reprendre du poil de la bête, leurs corps étaient loin d'être reposés. La lionne, toujours guide et taxi pour les plus lents et maladroits en forêt, commençait à tirer la langue, et elle n'était pas la seule. Ses compagnons, même aidés par du trèfle de lune qui leur permettait de mieux voir dans l'obscurité permanente de cette forêt, avaient parfois du mal à avancer et devaient prendre sur leurs réserves pour rester groupés et maintenir une bonne allure. Mais en tout cas, la force d'intervention envoyée à leur rencontre sembla rater l'endroit où ils avaient laissé le sentier : les plus perceptifs comprirent que les ennemis avaient continué plus à l'est et bientôt ils ne les perçurent plus.

Après plusieurs heures de marche vers le nord, la lionne infléchit leur trajectoire vers le nord-ouest. Mais il ne fallut pas longtemps pour percevoir divers groupes qui gardaient le passage : groupes de loups ou wargs, montés ou pas ; groupes d'uruks également ; araignées géantes pour compléter le tout ; sans oublier des bandes de loups et de crebain qui passaient de temps à autre, et d'autres mouvements qui montraient que des messagers ou autres reliaient les différents groupes et, en plus de les ravitailler probablement, s'assurer que tout allait bien. Vif continua donc à emmener l'équipe vers le nord, laissant toujours plusieurs centaines de mètres entre les gardiens ennemis et eux.

De son côté, en dehors des sorts d'écoute magique qu'il faisait parfois, Drilun essayait régulièrement de percevoir la magie que les ennemis pouvaient faire. Même s'il se rappelait que la sorcellerie qui permettait de contrôler les plantes avait été imperceptible lors de leur premier contact, ils s'attendaient aussi à rencontrer de nombreux sorciers qui contrôlaient des crebain voire d'autres animaux. Et à une occasion, il trouva en lui une ressource insoupçonnée qui lui fit ressentir très clairement les effluves magiques autour d'eux. Il sentit une zone, ou plutôt une espèce d'anneau, de peut-être vingt miles de diamètre (~ 32 km), probablement centrée sur Buhr Dera, et qu'ils longeaient par le côté est. Et dans cet anneau, la présence d'au moins dix sorciers, et des va-et-vient continuels qui devaient correspondre aux crebain appelés par magie.

Après un moment, alors que la nuit allait bientôt tomber, la lionne perçut un son nouveau et agréable. Le groupe arriva bientôt à une petite rivière qui descendait de l'est, des Emyn Guldur probablement. Elle n'était pas bien grande, au plus dix pieds de large (~ 3 m) pour le lit et moitié moins pour le filet d'eau qui coulait dedans, profond d'au plus cinquante centimètres. La Femme des Bois inspecta le sol de ses sens félins : quelques traces de loups et autres, pas forcément récentes, et l'eau ne montrait rien de spécial. Elle se dit que l'endroit était peut-être aussi sûr qu'un autre, et tous s'arrêtèrent pour s'abreuver voire se nettoyer un peu, sans parler de remplir leurs gourdes qui étaient toutes presque vides. Après quoi ils s'éloignèrent un peu pour établir un camp.

Avec l'aide de tous, et en particulier du hobbit, un abri confortable et très bien caché put bientôt les abriter tous. Non seulement il les masquait très bien aux yeux d'éventuels guetteurs, mais il leur offrait en outre un toit empêchant les araignées qui passeraient par là de leur tomber dessus à l'improviste. Afin de les aider à récupérer vite, certains prirent du marchand de sable, ce puissant somnifère qui empêchait tout réveil pendant quelques heures mais qui donnait un sommeil si profond que chaque heure d'inconscience en valait quatre. Taurgil utilisa sa magie pour en limiter les effets néanmoins, afin de pouvoir plus rapidement réveiller les gens en cas de besoin. Puis une garde fut instituée et tous les autres tombèrent vite dans les bras de Morphée.

3 - Bref combat
La nuit, qui venait de tomber, fut de courte durée pour les aventuriers ; mais assez longue néanmoins pour que ceux qui avaient pris du somnifère aient l'impression d'avoir passé une bonne nuit. Pourtant il ne s'était écoulé que peut-être trois heures, lorsque les bruits de loups et d'orcs furent perçus derrière eux. Vif, avec son ouïe si parfaite, arriva à percevoir qu'il s'agissait d'une dizaine de wargs montés qui remontaient leurs traces. Ils devaient les suivre à l'odeur, sur laquelle ils avaient dû tomber par hasard. Par chance, ce n'était qu'une patrouille qui remontait la piste en espérant un combat et de la viande fraîche. Les orcs et loups, sans doute pas les plus malins, n'avaient pas lancé d'alerte sans quoi ils n'auraient pas été seuls.

Ils n'avaient plus le temps de se cacher ou de partir, et même si Drilun pouvait magiquement masquer leurs odeurs à tous, cela n'affecterait pas celles qu'ils avaient laissées jusqu'à leur abri. Le combat était donc inévitable, il fallait juste qu'il soit le plus bref possible et que la patrouille ne puisse prévenir personne. Tandis que Taurgil forçait Bronwyn à rester au camp pour garder la mule, non sans quelques mots durs car la princesse voulait participer plus activement, les aventuriers mettaient du trèfle de lune dans leurs yeux - pour ceux qui en avaient besoin - et prenaient place sur le futur passage de leurs ennemis. Ils étaient cachés par magie ou grâce à leurs compétences, sauf Vif, qui, en bon gros chat, attendait à plusieurs mètres de haut dans les basses branches d'un arbre, sans chercher à se cacher.

Son odeur finit par parvenir aux gros loups montés qui accélérèrent. Tandis que les premiers se précipitaient vers l'arbre où elle était juchée, ses amis entrèrent en action. La flèche de Rob fut suivie par l'épée de Geralt, et toutes les armes des aventuriers furent bientôt en action. La lionne elle-même se laissa tomber de toute sa hauteur et plus de cent soixante kilogrammes sur le loup et l'orc qui l'attendaient en bas, les tuant net sous le choc et sous ses griffes acérées. En l'espace d'une douzaine de secondes, les gros loups et les orcs - du moins les quelques survivants - avaient compris qu'ils étaient tombés dans une embuscade et qu'il fallait fuir au plus vite s'ils voulaient rester en vie. Mais grâce aux épées ou flèches des uns ou aux pattes et griffes d'une autre, ils moururent tous avant même de penser à donner l'alerte.

Néanmoins, il y avait quand même eu du bruit, sans parler d'une absence qui serait remarquée tôt ou tard. Si certains envisagèrent un bref instant de masquer les traces du combat, ils comprirent vite que la tâche était impossible : entre les traces nombreuses du passage de leurs ennemis ou eux, le sang qui avait giclé un peu partout, et les corps bientôt en décomposition, la piste était impossible à faire disparaître complètement. Même si visuellement il pourrait être possible de rendre les traces du combat moins perceptibles, l'odeur serait vite telle qu'elle attirerait crebain et loups à des centaines de mètres à la ronde. Il fallait donc vite repartir avant que l'alarme ne soit donnée et que les choses ne se compliquent.

Le groupe retrouva la rivière et descendit dans le lit. De ce que savait Vif, en la suivant vers l'ouest les chances étaient grandes de tomber directement sur Buhr Dera. En effet, les Hommes des Bois faisaient toujours leurs villages à proximité d'une source d'eau, et cette rivière coulait dans la bonne direction. De plus, il serait plus difficile de les suivre ainsi, leurs traces et leurs odeurs devenant impossibles à percevoir, surtout avec quelques sorts de l'archer-magicien. Ils s'approchèrent donc en catimini des bandes de loups, d'uruks et d'araignées qui empêchaient quiconque d'entrer et de sortir des environs proches de Buhr Dera. C'était maintenant où jamais qu'il fallait passer, cela ne serait peut-être plus possible bientôt, ou du moins pas sans des combats et beaucoup de ramdam.

4 - Au nez et à la barbe des uruks
Lorsqu'ils perçurent mieux les groupes qui leur barraient le passage, ils laissèrent la rivière et montèrent un peu plus au nord, vers un groupe d'uruks. En effet, au sud de la rivière se tenaient des loups et des orcs, et des araignées sur la rivière. Les uruks paraissaient plus faciles à tromper. Bronwyn et les aventuriers progressèrent lentement, discrètement, malgré la mule qui les suivait. Vif arriva à la moitié d'une portée de flèche des premiers uruks, distance à partir de laquelle elle pouvait commencer à les voir malgré le sous-bois très touffu, sans crainte d'être elle-même repérée. Ils étaient dix guerriers, plus un chef dont l'équipement et le comportement dénotaient son rang.

Les uruks avaient l'air de s'ennuyer ferme et parlaient, selon Taurgil qui comprenait et traduisait, des mois qu'ils attendaient là sans que rien ne se fût passé. Mais ils étaient néanmoins bien éveillés. Par ailleurs, le terrain avait été d'une certaine manière préparé : des fils d'araignées géantes bloquaient certains passages, ne laissant que très peu d'endroits pour passer et donc peu d'endroits à surveiller vraiment. Malgré l'obscurité dense même pour des gens nyctalopes, il serait très difficile de passer sans combattre ou se faire voir. Difficile... mais pas impossible, du moins pas pour tous. Rob, Geralt ou Vif n'auraient sans doute pas grand mal à y arriver. Pour les autres par contre, ce serait une autre paire de manches...

Sans parler de la mule. S'il paraissait envisageable, avec difficulté, de faire franchir le lieu à tous au nez et à la barbe des uruks, cela paraissait tout simplement impossible pour la mule, qui ferait trop de bruit ou de mouvement visible. Bronwyn se rendit à cette évidence, d'autant qu'elle s'y était plus ou moins préparée depuis le début. Restait à garder et se partager l'équipement porté par la mule, du moins ce que les aventuriers souhaitaient conserver. En fin de compte, seules l'eau et la nourriture restante furent conservées, ce qui représentait quand même des dizaines et des dizaines de kilos. Vif en prit la plus grande part, autant que son propre poids peut-être, grâce aux sacoches qui furent sanglées sur son corps. Taurgil prit le reste, vu qu'il était le plus costaud et endurant de ceux qui restaient, et à l'aise en nature.

La mule fut ensuite chassée par la princesse nordique afin de faire diversion. Son départ fit réagir les uruks, qui envoyèrent cinq d'entre eux inspecter ce bruit insolite, ce dont profitèrent les aventuriers. Ils entamèrent la traversée, à une dizaine de mètres les uns derrière les autres, lentement. Le hobbit et l'Eriadorien aux cheveux blancs n'eurent pas de mal à passer, non plus que Taurgil, aidé par la magie de la nature qui le rendait plus difficile à voir dans un pareil environnement. Isilmë passa l'épreuve sans problème non plus. Pour Drilun, ce fut limite, et un uruk regardant dans sa direction fut à deux doigts de donner l'alerte ou d'aller vérifier le mouvement qu'il avait cru voir. Heureusement, les bruits provenant de la fuite de la mule lui firent tourner la tête et il n'en fit rien, après quoi il ne retrouva pas ce qui l'avait alerté...

Vif, peu avant le Dunéen, avait fait passer la princesse nordique sur son dos, enroulée dans le manteau elfique de l'archer-magicien. Ainsi ne risquait-elle pas de faire de bruit ou de se faire voir, et tout s'était déroulé comme prévu. Le même traitement fut apporté à Mordin, dernier à traverser, qui attendit sagement que la lionne fût débarrassée de son chargement et fût revenue le chercher. Déjà, des bruits annonçaient le retour des uruks partis peu auparavant, mais ils eurent le temps de franchir la zone surveillée. Un peu plus loin, hors de vue des sentinelles, ils reprirent leur souffle et leur progression lente et discrète. Leur plan avait bien fonctionné, ils étaient tous passés, malgré la perte de la mule. Il faudrait maintenir une progression lente et silencieuse, et certains étaient chargés comme des baudets, mais il ne devrait sans doute plus y avoir d'obstacle entre eux et Buhr Dera.

5 - Poste de garde
La proximité des armées ennemies restait néanmoins une menace constante. Il fallait donc s'éloigner discrètement, lentement, sans faire de bruit qui pourrait trahir leur présence. Plusieurs heures furent donc encore consacrées à s'éloigner sans bruit. Heureusement, après un moment pas très long, ils avaient retrouvé la rivière qui valait le meilleur des sentiers. Si ce n'était l'eau glaciale qui aurait pu faire plus que les incommoder, le hobbit en particulier. Rob sentit son corps flancher face au froid, mais il appela à lui ses réserves internes pour y résister et ne pas attraper un rhume ou autre maladie. Ce n'était pas le moment d'éternuer à tout bout de champ, ou de demander l'aide de la magie des soins qui aurait pu être perçue.

Le groupe continua à s'éloigner lentement, et Vif perçut un moment derrière eux du monde sur leurs traces, mais cela s'arrêta bientôt ou en tout cas elle n'entendit plus rien. Ils décidèrent de faire une halte pour tenter à nouveau de dormir un moment, et Taurgil, qui s'était bien reposé la fois précédente, monta à nouveau la garde. Une fois encore le repos fut de courte durée : des chauves-souris arrivèrent après peut-être une heure, depuis l'est, et elles s'en repartirent aussitôt après avoir fait le tour du camp silencieusement. Le rôdeur dúnadan réveilla ses compagnons et ils repartirent bientôt. Même Geralt ne râlait plus : de toute manière, comme il l'avait dit plus d'une fois, ils allaient tous mourir ; ce n'était donc plus la peine de se fatiguer à se plaindre...

Le jour arriva et Taurgil décida d'appeler un oiseau pour lui poser une question, comme il faisait régulièrement. Mais à son grand étonnement, aucun ne vint à sa rencontre, alors qu'il lui avait semblé réussir le sortilège comme de nombreuses fois auparavant. Il se rappela vite, ou ses amis l'y aidèrent, qu'ils n'avaient pas rencontré ou entendu un seul oiseau depuis qu'ils avaient approché la zone magique perçue par Drilun. Manifestement, les animaux qui avaient pu s'enfuir l'avaient tous fait lorsque l'armée ennemie avait pris possession des lieux. Il faudrait donc se fier à leurs seuls sens en espérant ne pas passer à côté de Buhr Dera. Cela dit, Vif voyait de plus en plus souvent des signes récents de passage des Hommes des Bois, signes qui lui montraient clairement que les siens n'étaient pas loin et qu'ils passaient régulièrement dans les environs. A l'aide de leurs traces et de leurs indications dans leur langue secrète, elle était sûre d'arriver au village qu'ils recherchaient.

Après quelques heures, tandis qu'ils progressaient toujours dans la rivière, elle remarqua non loin, dans un arbre, des feuillages denses qui ne paraissaient pas tout à fait à leur place pour son œil exercé de Femme des Bois. En se concentrant bien, elle pouvait même sentir une présence discrète dans cet abri ou probable poste de garde. Elle avertit ses amis et ils continuèrent devant eux, en s'attendant bien à ce que quelque chose se passât. Et effectivement, ils furent bientôt interpelés par une voix venant de l'abri dans l'arbre, leur demandant de s'arrêter immédiatement, tandis que des pointes de flèche tournées dans leur direction étaient visibles des yeux exercés de Vif et Geralt. La langue utilisée était le ouistrain, mais avec un accent à couper au couteau qui trahissait clairement l'origine nordique de leur interlocuteur : les Hommes des Bois avaient été trouvés.

L'homme posa des questions aux aventuriers afin de déterminer s'il s'agissait d'amis ou d'ennemis, et le groupe tâcha de répondre du mieux qu'il put. L'homme, ou plutôt les hommes car Vif en entendait plusieurs qui se parlaient à voix basse dans sa langue, réagirent particulièrement au nom de Bronwyn quand elle se présenta et expliqua qu'elle était venue chercher son frère qu'on disait se trouver parmi eux, amnésique. Cela, plus leur bonne volonté à répondre aux questions, aidèrent à mettre en confiance les sentinelles de Buhr Dera, mais elles restaient méfiantes. Les gardes étaient également déstabilisés par la présence du grand félin qui semblait parler à chaque question qu'ils posaient, parler félin que Geralt traduisait grâce au tour d'oreille magique confectionné par Drilun. La mention d'une "élève de Radagast" ne leur disait rien : ils ne connaissaient aucun élève au magicien, et les grands félins qui gardaient sa demeure, s'ils en avaient entendu parler, ne courraient pas la forêt auprès d'une bande d'hommes et autres de tous les horizons, ambassadeurs d'un pays au-delà des montagnes.

Malgré tout, les Hommes des Bois prirent le risque de faire confiance aux aventuriers, qu'ils estimaient être des alliés et non des ennemis. Deux d'entre eux descendirent de l'arbre à l'aide d'une corde, agiles comme des écureuils. L'un d'eux semblait même intéressé par la lionne, cette dernière reconnaissant en lui un membre de la caste des chasseurs associée au chat : il s'agissait de chasseurs qui prenaient modèle sur les félins et imitaient leurs comportements et compétences. Quoi qu'il en fût, les deux hommes acceptèrent d'emmener les visiteurs à Buhr Dera, mais ils exigèrent de bander les yeux à tous - sauf au félin - et de prendre leurs armes. Tous acceptèrent, sauf Taurgil qui prévint que les armes qu'il portait étaient magiques et qu'elles ne pouvaient être prises par un autre que lui. Mais il invita ses interlocuteurs à lui lier les mains dans le dos si cela pouvait les rassurer. Ce qu'ils firent, et ils guidèrent le groupe dans la forêt, sur un petit sentier non loin de la rivière.

6 - Buhr Dera
Taurgil, mené par un des Hommes des Bois, venait en tête, sa corde servant au reste du groupe pour se diriger. Avant même d'avoir rencontré les sentinelles, Vif avait déjà entendu au loin des oies cancaner et des chiens aboyer, et progressivement ces bruits furent perçus par l'ensemble du groupe. Malgré le tissu qui leur couvrait les yeux, aucun des aventuriers ne tomba ou ne se blessa, et ils sentirent bientôt, après peut-être une heure de marche, qu'ils arrivaient dans un espace ouvert empli de nombreux bruits, tant animaux qu'humains. Ils comprirent que de nombreuses personnes, et en particulier des enfants, venaient de les apercevoir et venaient à eux, poussés par la curiosité. Enfin, on leur enleva leur bandeau et ils purent voir où ils étaient arrivés. Buhr Dera s'offrait à eux, au cœur de la Forêt Sombre.

Le village était situé dans une clairière au centre de laquelle trônait un chêne vénérable et immense. Son tronc était au moins aussi large que Taurgil était grand, et ses branches projetaient une ombre sur la moitié de la clairière, qui ne contenait aucun autre arbre. Les branches les plus basses de ce chêne, à une dizaine de mètres de hauteur, soutenaient une plate-forme capable d'héberger plusieurs dizaines de personnes, tandis qu'il était possible de distinguer une habitation de plus petite taille plusieurs mètres plus haut dans les banches. Une ou deux cordes pendaient de la plate-forme, permettant aux Hommes des Bois d'aller et de venir avec autant de facilité que de rapidité, hormis peut-être les plus jeunes enfants. Une corde avec panier à un bout, attachée à une poulie, permettait aussi de monter des charges lourdes, y compris des personnes blessées ou malades.

Plusieurs bâtiments occupaient la clairière : quatre longères nordiques en bois et chaume, plutôt côté sud du chêne, étaient séparées en leur milieu au niveau de la cheminée centrale, comme les aventuriers l'apprendraient. Chacune des huit pièces comportait un espace commun ouvert avec petits espaces privatifs délimités sur le pourtour par des tentures et des paravents, et abritait une famille. Un espace de cuisine collectif avec trois fosses à feu occupait l'espace entre les quatre bâtiments. Une neuvième famille, celle des dirigeants du village, habitait l'habitation construite dans les frondaisons du grand chêne. Une autre longère, un peu plus grande et située au nord-ouest du chêne, servait de salle commune pour la vie sociale et culturelle des habitants de Buhr Dera. Un petit bâtiment carré, au nord, servait de fumoir pour le village, mais manifestement il n'avait pas servi depuis un moment.

La rivière suivie par les aventuriers traversait la clairière de Buhr Dera, des petits potagers occupant une bonne partie de ses flancs, tandis que deux petits ponts en bois permettaient de passer d'un bord à l'autre sans sauter ou se mouiller les pieds. Sans parler d'une douzaine d'oies qui occupaient le ruisseau ou les bords de son lit. Vers le nord de la clairière, une demi-douzaine de chèvres petites et agiles - certaines juchées dans les arbres qui bordaient le village - observaient l'agitation avec intérêt. Quatre sentiers principaux semblaient permettre de quitter la clairière, le reste des bois étant occupé par des buissons denses et souvent épineux.

Bronwyn et les aventuriers virent moins de trente personnes autour d'eux ou dans la plate-forme au-dessus de leurs têtes, en grande majorité des enfants d'une douzaine d'années ou moins. Quelques adultes, surtout des femmes plutôt jeunes, s'occupaient des enfants les plus petits ou de tâches ménagères ou montaient la garde dans le chêne vénérable. Plus tard, les nouveaux venus apprirent que Buhr Dera comportait 48 habitants normaux, dont moins d'une vingtaine d'enfants, les gens étant considérés adultes à partir de 15 ans. A cet âge-là, ils se mariaient et avaient très vite des enfants : le plus jeune couple du village n'avait pas 20 ans et déjà deux fils. Buhr Dera ne comportait que quatre quadragénaires, tous grands-parents, et deux personnes plus âgées encore. Ils furent justement menés devant l'une d'elles.

7 - Réunions
Le thyn ou chef du village les attendait dans la salle commune de Buhr Dera. Il s'appelait Hírbrand et avait 52 ans, il était veuf et sans enfant survivant, sa famille proche étant morte pendant la Peste. Avec d'autres familles, il avait décidé de s'isoler du fléau au plus profond de la forêt. Comme souvent chez les Hommes des Bois, il était le chef car il était le plus âgé, à l'exception de la wita, mélange de prêtresse et soigneuse qui officiait dans la plupart des villages de ce peuple forestier. Celle de Buhr Dera, du nom de Súlwine, arriva d'ailleurs bien vite pour son grand âge - 72 ans ! Malgré son air décrépi et très ridé, son corps avait tout de même un côté assez leste et elle écouta les échanges entre Hírbrand et les aventuriers sans dire un mot.

Le thyn de Buhr Dera avait déjà eu un rapport oral complet de l'un des gardes qui avaient conduit le groupe au village. Néanmoins, il posa à nouveau certaines questions, ainsi que d'autres, pour s'assurer de l'identité de ces nouveaux venus. Petit à petit il se laissa convaincre, du moins en partie, d'autant que Bronwyn avait un air de famille évident avec l'homme nordique qu'ils avaient recueilli un an auparavant. Il ne put confronter le frère et la sœur, le premier étant parti pour la journée avec une bande de chasseurs-cueilleurs. Depuis que l'armée ennemie occupait les lieux, tous les animaux s'étaient enfuis ; mais ils trouvaient parfois le cadavre récent d'un gibier amené là. Par ailleurs, même si cela suffisait à peine, les produits de la forêt - racines, champignons, glands, châtaignes, baies... - leur permettaient de subsister, avec l'aide de leurs potagers, des chèvres et des oies. La nourriture séchée amenée en grande quantité par les nouveaux venus et librement donnée aux Hommes des Bois était donc la bienvenue.

Malgré le côté très hétéroclite de l'équipe, sans parler de la présence du félin manifestement intelligent, le récit des nouveaux venus fut donc bien accueilli. Aldoric, le frère de Bronwyn, ne serait pas rentré avant le soir, et les villageois attendraient donc avec impatience de voir ce que donnerait la réunion des deux prétendus prince et princesse nordiques. En attendant, les aventuriers furent invités à partager le repas des gens du village - c'était bientôt midi - et à occuper la grande longère qui servait de salle commune pour se reposer. En effet, leur état de fatigue (et saleté) était manifestement visible et parlait pour eux. Après le repas, certains comme Geralt s'endormirent derechef tandis que d'autres se lavèrent, de même que leurs vêtements. Mais Bronwyn ne put trouver le sommeil, tellement elle brûlait de revoir son frère après toutes ces années d'absence.

L'après-midi passa vite pour les aventuriers dont la plupart dormaient ou se reposaient. Les plus actifs observèrent les Hommes des Bois voire se mêlèrent à eux de loin. Peuple étrange et très frustre, capable de survivre dans le milieu hostile qu'était la Forêt Sombre, par ailleurs entouré de centaines d'ennemis. Malgré cette menace omniprésente, tous étaient unis et semblaient même heureux. Un premier groupe de chasseurs-cueilleurs rentra de son périple en fin d'après-midi, bientôt suivi par un deuxième. Le dernier était mené par Théamond, neveu de Hírbrand et chef des chasseurs du village, qu'Aldoric accompagnait souvent. Bientôt des bruits annoncèrent leur arrivée.

Des Hommes des Bois vinrent très vite réveiller les aventuriers encore endormis comme Geralt, tandis que l'ensemble des gens du village investissaient la salle commune, sentinelles exceptées. Quelques-uns des Hommes des Bois, très excités, amenaient à la longère qui abritait la salle commune un nordique grand et costaud et l'air passablement surpris par toute cette agitation. Il ne comprenait pas bien ce qu'il y avait à voir dans la salle commune où tout le village s'était donné rendez-vous. Mais à peine fut-il entré qu'il se trouva face à Bronwyn, et il s'immobilisa. Dans ses yeux un voile sembla comme se lever, et bientôt le frère et la sœur se jetèrent dans les bras l'un de l'autre. Manifestement, Aldoric venait de retrouver la mémoire, ce qui fut confirmé lors de la suite de la soirée.

8 - Prophétie
La joie des deux nordiques faisait plaisir à voir, et il fut difficile de tirer quoi que ce fût de l'un ou l'autre pendant un moment, tout occupés qu'ils étaient à se retrouver et à échanger des nouvelles. Hírbrand ordonna que les armes des aventuriers leur soient rendues, et il s'excusa pour leur méfiance. Les occasions de se réjouir étant bien rares, et puisque les aventuriers avaient amené des sacoches pleines de nourriture séchée, une petite fête fut bien vite organisée, à laquelle tout le village et ses invités furent conviés, gardes exceptés. Le thyn du village, à des questions des aventuriers, répondit qu'il n'oubliait pas les menaces qui pesaient sur eux. Néanmoins, ils vivaient tous avec ces menaces depuis trop longtemps pour ne pas profiter du présent quand il était joyeux.

Tandis que les préparatifs de la fête allaient bon train, il fut possible d'échanger un peu avec Aldoric ou sa sœur. Toute cette histoire était encore assombrie par de nombreux mystères, mais le fils d'Atagavia n'avait pas les réponses attendues. Il se souvenait bien d'être parti en forêt avec l'idée d'aller tuer le Nécromancien, responsable de la mort de sa mère. Il se revoyait encore approcher d'une zone désertique qui entourait la sinistre montagne de Dol Guldur après divers combats contre des araignées et des orcs. Mais plus rien après cela, ou plutôt plus rien avant le moment où il avait été recueilli par les Hommes des Bois de Buhr Dera. Ce qui, en comptant large, faisait tout de même un trou dans ses souvenirs de deux ou trois ans ! Il avait retrouvé la mémoire, mais pas entièrement. Selon toute probabilité, il avait été fait prisonnier à Dol Guldur, et il n'en gardait aucun souvenir. S'était-il enfui ou avait-il été laissé là pour servir d'appât pour sa sœur ? Cette dernière hypothèse était pour les aventuriers une quasi-certitude.

Ce qui gâchait un peu la fête pour eux : difficile de profiter de la joie de cette réunion quand on pensait, comme Geralt, que l'armée viendrait bientôt tous les tuer pour récupérer Bronwyn. Ce qui n'avait pas échappé aux habitants de Buhr Dera, ou du moins d'une partie d'entre eux, mais qui ne les empêchait pas de se réjouir. Soudain le temps sembla se figer dans la clairière. Drilun, qui cherchait la compagnie de Súlwine pour discuter magie avec elle, se rendit compte de deux choses : tout d'abord, la wita était immobile, les yeux dans le vague comme si elle voyait quelque chose très loin d'eux ; dans le même temps, les villageois s'étaient rendu compte de la chose et faisaient à présent silence et se tenaient immobile, attendant la suite. Ils expliquèrent que Súlwine avait parfois des visions qu'elle ne maîtrisait absolument pas. Jusqu'à présent, elles s'étaient toujours révélées juste, même si elles ne garantissaient jamais l'avenir exact. En une occasion, cela avait permis de sauver une personne normalement condamnée à mourir, car les descriptions de sa vision avaient permis à certains de retrouver l'endroit où gisait le blessé.

Et très vite, chacun étant immobile, Súlwine passa de personne en personne, petite ou grande, jeune ou vieille, homme ou femme. Elle n'oublia personne, ni les enfants ni les aventuriers, ni même la lionne qu'elle fixa plus longuement que les autres dans les yeux. En fin de compte, elle termina par les princes nordiques, d'abord Aldoric et enfin Bronwyn. Puis elle se redressa et s'adressa à tous d'une voix claire, comme si elle avait cinquante ans de moins. Elle s'adressait à tous en nahaiduk, la langue des Hommes des Bois, mais Vif ou les gens de Buhr Dera ne mirent pas longtemps à faire la traduction pour les aventuriers qui n'y comprenaient goutte, même si ceux parlant une langue nordique arrivaient à comprendre quelques mots.

La vision de la wita concernait l'avenir. Elle voyait une lignée de princes et de rois nordiques, réunis dans un grand hall comme couvert de feuilles d'or. Elle vit une armée de milliers de cavaliers partir vers le sud et l'est et chevaucher longtemps avant d'arriver à une grande plaine où une immense armée faisait le siège d'une grande cité aux multiples murs blancs et très hauts. Armée amenée là par le Nécromancien et que les nombreux cavaliers aidèrent à mettre en déroute, y compris leur chef, permettant ainsi de sauver tous leurs peuples. Ces cavaliers, et en particulier leurs rois, étaient les héritiers de Bronwyn : de sa descendance naîtrait cette nation qui pourrait sauver les peuples libres du Nécromancien et ses serviteurs...

9 - Conseil de guerre et préparatifs
Que fallait-il retenir de tout cela ? Bronwyn commença par protester : la lignée des princes nordiques ne passait pas par elle mais par son frère. Taurgil pensa, et il ne fut sans doute pas le seul, que la survie d'Aldoric était loin d'être assurée, ou alors peut-être ne pouvait-il pas avoir de descendance. En tout cas, l'affaire lui semblait claire : d'une manière ou d'une autre, le Nécromancien avait eu une vision de cette vision, peut-être devant Aldoric lui-même, et il faisait en sorte qu'elle ne pût s'accomplir. Ce qui expliquait pourquoi il avait autant mis le paquet pour attirer et surtout récupérer Bronwyn. En bref : ils étaient tous très mal barrés. Pas qu'ils ne s'y attendaient pas depuis un moment, sans oublier Geralt qui répétait à l'envi des "on va tous mourir"...

Tandis que la fête avait repris et battait son plein, Hírbrand, Théamond, Bronwyn et son frère et les aventuriers se réunirent pour discuter de la suite à donner. Cela ne faisait aucun doute, l'armée ennemie fondrait bientôt sur eux tous. En fait, la magie divinatoire de Drilun lui permit même de donner une date : dans la nuit du lendemain. Et ce qu'il avait vu ou senti par magie ne lui avait manifestement pas remonté le moral. A cinquante et des poussières, comment faire face à des centaines d'uruks, de loups et d'araignées, sans oublier les sorciers, olog et rôdeurs noirs ? Ne fallait-il pas partir tout de suite ? Mais le thyn du village déconseilla une fuite précipitée : leur départ ne sauverait sans doute pas le village d'une mort funeste, et les aventuriers seraient bien plus exposés dans la forêt qu'ici même à Buhr Dera. Cela paraissait censé, et fut accepté par le groupe, même si les perspectives ne paraissaient pas bien meilleures pour autant. Il fallait faire front tous ensemble.

Comment faire face à une telle armée ? Les idées et propositions fusèrent : il fallait se rassembler sur la plate-forme, du moins tous les archers possibles. Théamond déclara que Súlwine et les enfants iraient dans leur maison dans les branches du chêne, ce qui laissait vingt-neuf Hommes et Femmes des Bois, tous archers, pour défendre l'accès à l'arbre avec leurs flèches. Geralt pouvait fournir du poison pour l'ensemble de leurs projectiles. Les aventuriers, avec Bronwyn et Aldoric qui refusaient d'être laissés à l'écart, se tiendraient au pied de l'arbre pour empêcher les assaillants d'accéder au tronc, aidés en cela par des murs d'épineux qu'ils feraient pousser à l'aide des graines de ronciers magiques fournies par Radagast. Ils pensèrent même faire plusieurs enceintes de ronces, mais les longères disposées au sol risquaient de servir les ennemis. Il faudrait sans doute les détruire avant la bataille...

Au bout du compte, alors que la nuit s'écoulait, les enfants furent emmenés dans la maison arboricole tandis que les adultes étaient prévenus. Certains tâchèrent de réconforter les enfants, en s'aidant parfois de magie ou avec des histoires, tandis que plus bas, les Hommes des Bois aidés par les autres aventuriers vidaient les maisons de leurs affaires et démontaient les murs de bois pour en récupérer les planches. Elles serviraient à fabriquer des écrans sur la plate-forme voire à terre, écrans à travers lesquels les archers pourraient tirer tout en restant à l'abri des projectiles ennemis. Le reste des maisons fut brûlé afin que les uruks et autres ennemis ne s'en servent pas comme abri, puis des murs de ronces furent érigés grâce aux graines du magicien brun. Une palissade de pieux fut également plantée dans le sol. Quand le jour arriva les préparatifs étaient encore en cours. Toutes les possessions des Hommes des Bois furent montées dans le chêne, y compris les animaux. Tous les récipients possibles furent remplis d'eau - gourdes, jarres, tonneaux - pour lutter contre d'éventuels incendies ou pour s'abreuver.

La disposition des gens au sol donna lieu à quelques échanges tendus. En effet, les aventuriers avaient prévu trois ouvertures dans les murs de ronce, avec trois groupes de personnes pour les défendre. Bronwyn tenait absolument à participer alors qu'elle était la principale cible, ce qui déjà était un problème. Mais son frère, moins bien équipé, ne voulait pas non plus rester en arrière et sa sœur ne voulait pas le lâcher. Or il était fort possible qu'il fût magiquement envoûté et qu'il agît contre leurs intérêts et surtout contre Bronwyn au plus mauvais moment. Comme prince et princesse étaient des têtes de pioche de première, Rob fut chargé, au repas du soir, de mettre du marchand de sable dans l'assiette d'Aldoric. Ce dernier succomba vite au somnifère et fut ensuite emmené dans l'arbre, au grand soulagement des aventuriers. Ils s'étaient reposés dans l'après-midi (pas assez selon Geralt), il ne leur restait plus qu'à attendre les ennemis...

10 - Nerfs d'acier ou de plume
Une fois la nuit tombée, la longue attente de l'armée adverse commença. Régulièrement, Drilun faisait une écoute magique afin de sentir grâce aux vibrations du sol ou les sons portés par la rivière l'avancement des troupes ennemies, qui s'étaient lentement mises en branle. Alors que le ciel aurait normalement dû être très clair d'après les prévisions magiques de Taurgil, il se boucha bien vite et l'archer-magicien sentit une magie collective à l'œuvre qui le fit pâlir un peu plus. Pour ne rien arranger, Aldoric se réveilla, bien trop tôt, et il descendit de l'arbre pour participer au combat. Des échanges très vifs fusèrent, Drilun menaçant de tirer sur Aldoric s'il partait avec Bronwyn et cette dernière répliquant qu'elle tuerait le Dunéen s'il faisait cela, avec dans les yeux une lueur qui en disait long sur sa détermination. En fin de compte, après beaucoup de tension, Bronwyn accepta - difficilement - de combattre ailleurs qu'aux côtés de son frère, qui resterait avec Taurgil.

L'archer-magicien avait eu l'idée de modifier les traits de tous au pied de l'arbre afin de multiplier les fausses Bronwyn et de masquer cette dernière, de même que son frère. Ce qu'il fit lorsque l'armée se fut encore rapprochée. Soudain, Vif puis Geralt remarquèrent une unique chauve-souris qui venait vers eux. Ils eurent à peine le temps de prévenir leurs amis de la chose que la bestiole se percha sur l'épaule du Dúnadan et lui pépia à l'oreille alors même qu'il commençait à lancer un sort pour l'appeler. La magie de la nature lui permit de comprendre le rongeur ailé qui était porteur d'un message. Ce dernier disait que l'armée ennemie était en marche, mais que les aventuriers et les Hommes des Bois n'étaient pas seuls, et l'animal les enjoignit à tenir le plus longtemps possible... Cela paraissait trop invraisemblable de penser à une ruse des sorciers ennemis, d'autant que remonter le moral de leurs adversaires n'était pas dans leurs objectifs. Ils avaient donc des alliés non loin, et la nouvelle fut rapidement partagée.

La meilleure preuve que les ennemis ne souhaitaient pas leur remonter le moral arriva bientôt : alors que les troupes adverses n'étaient plus qu'à quelques centaines de mètres, le ciel fut brusquement envahi de centaines de cris. D'abord les hurlements de plus d'une centaine de gros loups peut-être, terribles tout autour d'eux. Mais aussi les hurlements de centaines d'uruks répétant inlassablement les mêmes mots, tandis que des roulements de tambour accentuaient le côté impressionnant de leurs paroles agressives. Taurgil traduisit pour ses amis ce que les uruks scandaient de tous les côtés : trois mots seulement en noirparler, "sang, feu, mort"...

L'onde de choc émotionnelle transmise par ces cris fut d'une rare violence. De nombreux sphincters se relâchèrent instantanément, tels ceux de Rob qui vida sa vessie et son intestin. Il se retint néanmoins de vomir et de gaspiller la nourriture qu'il avait ingérée peu auparavant... Mais il ne fut pas le seul, et l'elfe aussi tacha le devant de ses braies. Même le nain fut impressionné par cette débauche d'agressivité et un frisson le secoua. Seuls Geralt, habitués aux intimidations, et Vif, terrifiant fauve magique, ne furent pas affectés, mais de justesse. Des Hommes des Bois pleuraient, et pas seulement les enfants qui ne pouvaient dormir, et dont les cris entamaient encore un peu plus le moral de leurs proches. Avant même le début du combat, le moral des défenseurs était déjà dans les chaussettes pour une grande part d'entre eux.

Et le dernier sort de l'archer-magicien avait tout pour accentuer son sentiment de désespoir. Les ennemis qu'il sentait étaient très nombreux : l'anneau des forces qui se resserraient sur eux comportait entre trois et quatre cents uruks probablement, mais il pouvait y avoir des sorciers et rôdeurs parmi eux, plus une cinquantaine de quadrupèdes bien lourds - sans doute des wargs montés - et dix trolls de guerre. A cela il fallait rajouter, à l'extérieur de cet anneau d'ennemis, une centaine de probables gros loups qui surveillaient la zone, et l'un d'eux, particulièrement gros et lourd, lui fit penser avec un frisson au loup-garou Caran Carach... Encore plus loin il devait encore y avoir plus d'une centaine d'uruks ou rôdeurs noirs pour surveiller les environs et arriver en renfort au besoin, sans doute.

Et tout cela, c'était ce que ressentait magiquement l'archer-magicien à l'aide des vibrations du sol. Cela ne tenait pas compte d'autres ennemis qui ne mettaient pas pied (ou patte) à terre. La nuit étant tombée, les aventuriers ne craignaient pas trop les crebain, qui de toute manière étaient avant tout des éclaireurs. Il y aurait peut-être des chauves-souris appelées par des sorciers pour les surveiller, mais c'était un moindre mal. En revanche, ce qu'ils craignaient tous arriva bientôt. Tandis que les uruks étaient annoncés par les torches ou flèches enflammées qu'ils tenaient, une nuée d'arachnides géants les précédaient dans les arbres. Les araignées, comme les uruks, restaient dans les bois, en limite de la clairière, attendant que les uruks qui arrivaient par le sous-bois touffu plutôt que les sentiers rattrapent les autres. La vue perçante de Vif lui fournit une estimation de deux cents araignées géantes. Il était peut-être déjà minuit, mais de toute manière le jour serait toujours trop loin.

11 - Première vague d'ennemis
Les hurlements continuèrent un peu le temps que les ennemis fussent tous en place. Mais derrière les remparts en bois de la plate-forme, les archers, dont Drilun et Rob, ne craignaient pas grand-chose. Pas plus que les autres aventuriers et les prince et princesse nordiques, qui patientaient à l'abri des murs de ronces magiques. Puis les hurlements et tambours s'arrêtèrent, en commençant par ceux des wargs. Bientôt, une voix forte et haineuse s'éleva parmi les arbres, immédiatement reconnue par la Femme des Bois : Caran Carach était là et donnait des ordres en noirparler, vite traduits par le Dúnadan. Grâce à son flair ou à sa magie, le loup-garou donnait très précisément l'emplacement et le déguisement magique que portait Bronwyn, et il finissait en disant de tuer tous les autres. Et l'armée s'ébranla avec des cris.

Des flèches enflammées furent tirées dans les murs de ronces par les uruks, mais ils en furent pour leurs frais : les flèches s'éteignaient avant que les ronces ne commencent à brûler vraiment. Toutes les araignées descendirent à terre et se précipitèrent bientôt sur cet obstacle. Elles furent accueillies par une grêle de flèches empoisonnées qui en blessèrent voire tuèrent un certain nombre. Mais comme le craignaient les aventuriers, le mur de ronces n'était nullement un obstacle pour elles. Certes, les araignées ne risquaient pas beaucoup de les blesser et les empoisonner dans un premier temps, mais elles étaient si nombreuses à passer qu'elles risquaient vite de les submerger sous le nombre et de trouver une faille dans leur armure, malgré leurs pertes.

Comme prévu auparavant, après un début de combat assez bref, Geralt poussa un double appel de cor qui indiquait à ses amis une retraite dans le cercle intérieur des ronces. De son côté, la lionne resta en avant pour faire voler loin de son corps la tête du premier warg monté qui lui fonçait dessus, avant de sauter par-dessus le mur végétal, tandis que les araignées essayaient désespérément de percer son cuir magique. Ailleurs, ses amis faisaient retraite, parfois trop précipitamment pour fermer l'ouverture dans le mur à l'aide de quelques graines magiques. Personne n'avait été blessé, mais certains avaient subi des bleus et égratignures, en particulier Aldoric qui était moins bien équipé que les autres.

Bronwyn, dont le déguisement magique avait été modifié par Drilun, accompagnait Geralt. Tous deux étaient partis trop vite et avaient laissé l'ouverture dans le mur extérieur quand ils avaient vu des wargs montés et un troll approcher, tandis qu'ils étaient environnés de toute part par les araignées, heureusement gênées par les tirs des archers dans le chêne. Taurgil et Aldoric étaient partis assez vite aussi, d'autant que le prince nordique était trop exposé avec une simple tunique en cuir pour toute armure. S'il se battait bien, il ne valait rien contre un ennemi supérieur en nombre, qui le blesserait ou le tuerait bien assez vite. Isilmë et Mordin, eux, avaient bien tenu leur poste et avaient fait retraite après avoir lancé une poignée de graines magiques pour boucher l'ouverture vers laquelle un troll de guerre arrivait.

Malgré leurs pertes, les araignées géantes repartirent à l'assaut de la deuxième enceinte. Mais les aventuriers étaient plus serrés, le nombre d'araignées plus faible, et les archers dans l'arbre toujours bien placés pour épingler les arachnides avec leurs flèches empoisonnées. Les araignées finirent par arrêter leur assaut et elles se réfugièrent derrière les murs de ronces pour être à l'abri des flèches. Mais entretemps, des uruks avaient pu pénétrer dans la première enceinte, ainsi que des wargs montés et un ou deux trolls, tandis que d'autres s'approchaient. Plus d'une centaine d'araignées géantes, mortes ou mourantes, parsemaient le sol de la première enceinte, entre les deux murs de ronces. La première vague d'ennemis avait été repoussée et même en partie détruite, au prix d'un premier repli. Mais le plus dur restait à venir.
Modifié en dernier par Niemal le 30 août 2015, 18:28, modifié 1 fois.
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Horselords - 30e partie : otages et hécatombe

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1 - En attendant la vague suivante
Les assaillants faisant une pause, les aventuriers - du moins la plupart de ceux qui étaient au sol - avalèrent une noix de l'écureuil. Vif alla chercher la sienne auprès de Taurgil qui la comprenait grâce à sa magie. Progressivement, ils sentirent ce fantastique stimulant augmenter leurs réflexes et leur adresse, ce dont ils auraient bien besoin sous peu. En effet, après ce premier repli, les ennemis investissaient l'espace entre les deux murs de ronces magiques : essentiellement des uruks qui s'abritaient derrière le deuxième mur pour se protéger des flèches des archers, mais aussi des wargs montés et quelques trolls de guerre (ou olog). Et les sorciers n'étaient pas en reste, que l'on pouvait entendre au loin psalmodier ou jeter des sorts d'une voix menaçante ou insidieuse. Bientôt, des feux-follets inoffensifs apparurent au-dessus de chaque corps d'ennemi mort. L'effet visuel n'en était pas moins inquiétant et propre à faire baisser un peu plus le moral des défenseurs, ce qui était l'objectif recherché. Et ils n'apportaient pas plus de visibilité que la douce lumière lunaire que Drilun avait magiquement levée afin de les éclairer tous.

A dix mètres de haut dans le chêne, sur la plateforme, Drilun, Rob et les Hommes des Bois virent que les archers ennemis avaient allumé de nombreuses flèches incendiaires et se préparaient à tirer. Mais pas seulement eux. Cinq trolls envoyèrent des grosses pierres sur les palissades de planches qu'ils avaient érigées pour se protéger. Parfois le bois tint bon, mais plus souvent les pierres firent des brèches voire blessèrent grièvement les personnes qui se tenaient derrière. Et ensuite suivirent les flèches enflammées, même si elles avaient moins d'effet immédiat : la protection était trop bonne, la plupart des flèches étaient bloquées par les palissades, et les autres ne firent pas de blessé - pour cette fois-ci - entre autres grâce à ceux comme le hobbit qui avaient senti le danger et avaient prévenu à temps, permettant à tous de se baisser.

Ces flèches avaient bien sûr pour principal but de faire brûler leur abri ou tout au moins d'occuper ses occupants : soit les occuper à éteindre le feu, soit les occuper à se protéger, et permettre ainsi aux attaquants de passer plus facilement d'un mur à l'autre sans se faire tirer dessus. Car les Hommes des Bois étaient de bons archers, sans parler des aventuriers qui partageaient avec eux l'espace de la plateforme. Les flèches de Drilun en particulier étaient redoutables : il était même le seul à vraiment pouvoir blesser ou tuer les trolls lanceurs de projectiles ou ceux, plus proches, qui étaient en partie abrités derrière un mur de ronce. En tout cas, les départs de feu ne firent perdre de temps à personne sauf un peu à l'archer-magicien : d'un sort, il éteignit tous les feux à une trentaine de mètres autour de lui. Il aurait à le faire d'autres fois par la suite.

En bas, pendant ce temps, les aventuriers attendaient, sauf pour quelques petites actions ponctuelles. Taurgil s'était placé près de la seule ouverture dans le mur de ronces intérieur : il entendait les ennemis s'entasser derrière, se préparant à entrer bientôt, dirigés par un troll qui les commandait. Il avait demandé à Aldoric de rester près de lui, mais par la suite il ne s'était pas assez occupé de lui, pas plus que Vif qui était occupée à autre chose, et le prince nordique avait fini par appeler sa sœur jusqu'à ce qu'ils se retrouvent et fassent front ensemble. Du coup, le Dúnadan avait activé le pouvoir magique de son cimeterre ténébreux afin d'augmenter la profondeur de l'obscurité autour de lui et gêner même les orcs et trolls.

A l'opposé, la féline Femme des Bois avait vu qu'un troll était occupé à se dégager d'une ouverture dans le mur qui venait juste d'être refermée avec une poignée de graines de ronces magiques. Elle avait décidé d'en profiter pour se débarrasser de ce gros gêneur et elle avait pris son élan pour sauter par-dessus le mur : trois mètres de haut et un de large environ, ce n'était pas vraiment un obstacle pour elle. Elle franchit le mur et atterrit au sol, devant l'ennemi qui l'avait vu venir et s'était préparé à l'attaquer. Mais l'esquive de la lionne l'empêcha de voir aboutir son attaque et elle se retrouva dans son dos. Dans le même temps, Isilmë, qui voyait le sommet du monstre dépasser au-dessus du mur, tira une flèche qui se ficha dans sa tête. Le troll hurla et vacilla en arrière, mais pas assez vite pour que Vif n'arrivât à lui sauter au cou dont elle découpa les chairs grâce à un coup de ses griffes puissantes et acérées. Dans le même élan, elle prit appui sur le corps du monstre tué en train de chuter pour se propulser au-dessus du mur et rejoindre ses amis. Les autres ennemis, médusés, n'avaient même pas eu le temps de réagir.

2 - Nouveau franchissement
La lionne ne s'en arrêta pas là : en quelques bonds elle fut auprès de Mordin qui monta sur son dos après un échange magique, non sans une certaine hésitation. Malgré la drogue qu'il avait prise, il ne se sentait que moyennement capable de tenir ou combattre sur le dos de Vif. Puis elle se précipita vers l'ouverture du mur où les ennemis s'accumulaient, troll de guerre et wargs montés mais aussi de nombreux uruks. Si Mordin arriva à tenir sur le dos de la féline Femme des Bois tandis qu'elle fonçait sous les coups des ennemis les plus rapides, il vola littéralement en l'air quand elle sauta à la gorge de l'olog. Après avoir bien tournoyé comme un cerf-volant pris dans une tempête, il retomba lourdement sur le sol où il s'étala, au pied de nombreux ennemis ravis. Il y a des jours où l'on se dit qu'il aurait mieux valu rester au lit, même si dans son cas le dernier vrai lit occupé remontait à une semaine.

L'ordre d'attaque avait été donné et les forces tentaient de passer le second mur de ronces magique. Les araignées furent rapidement dans la place car ce n'était pas vraiment un obstacle pour elles, suivies plus lentement par quelques trolls qui utilisaient leur bouclier pour aider à passer le sommet de l'obstacle. Ce dont profita Drilun qui voyait des cibles rêvées pour son arc magique. D'autant qu'il avait fait un sort de protection puissant autour de lui, qui déviait ou même détruisait les flèches tirées dans sa direction. Il n'avait donc pas trop à se soucier de sa protection et pouvait rester à découvert pour tirer sans craindre les projectiles adverses.

Plus bas, Geralt, avec l'aide de Bronwyn puis d'Isilmë, avait profité du calme avant la nouvelle invasion pour élever un troisième mur de ronces circulaire juste à la verticale de la plateforme des Hommes des Bois, laissant quatre passages - un par point cardinal - pour que les défenseurs puissent y rentrer. Puis la princesse nordique était allée retrouver son frère à l'extérieur de cette troisième enceinte et ils avaient bientôt dû faire face aux araignées qui les assaillirent en nombre. Ils firent retraite vers le nouveau mur végétal qui encerclait le tronc du vénérable chêne à environ cinq mètres de distance. L'archère elfe blessait un troll qui venait de franchir le deuxième mur, tandis que la lame de l'assassin faisait voler des morceaux d'araignées un peu partout.

Côté attaque éclair de la lionne, son objectif avait été rempli : le troll avait été proprement égorgé par ses griffes sans avoir pu faire quoi que ce fût et il était tombé en arrière sur des wargs et uruks qui se pressaient en attendant l'attaque. Taurgil était venu s'interposer pour protéger son ami nain, lequel avait tout de même eu le temps de se redresser grâce à la vitesse apportée par la noix de l'écureuil. Avec Vif sur un autre de ses flancs, il n'avait eu à subir les attaques que de deux wargs montés et il s'en était sorti sans égratignure. Ce qui était aussi le cas du Dúnadan et de la féline Femme des Bois, même s'ils avaient eux aussi leur lot d'attaquants à leurs basques. Néanmoins, la situation n'était pas tenable, et ils firent retraite à travers l'ouverture dans le mur de ronces magique, de manière à pouvoir bientôt le fermer par un jet de graines.

Mais les araignées géantes étaient partout à l'intérieur, et des wargs montés sautèrent également dans l'ouverture lorsqu'ils en eurent l'occasion. Vif partit pour tâcher de faire diminuer le nombre d'octopodes envahisseurs, tandis que Geralt venait prêter main-forte à ses amis sur lesquels les araignées grimpaient. Taurgil resta près de l'ouverture du deuxième mur un moment pour bloquer le plus d'ennemis avant que le passage ne se referme, mais les wargs pouvaient sauter par-dessus les ronces en train de grandir tout en évitant le grand Dúnadan. Geralt et Mordin firent retraite vers l'une des ouvertures dans le troisième mur. Isilmë, qui avait troqué son arc pour son épée, se trouvait déjà sur place mais elle était bien incapable de retenir les arachnides qui avaient commencé à envahir les lieux. En effet, Bronwyn et son frère bloquaient l'une des ouvertures du mur de ronces intérieur, mais il en restait trois, et elle fut bientôt entourée de toute part par les créatures.

3 - Sorcellerie
Plus haut, un nouveau genre d'attaque commençait à faire des dégâts. Comme la lionne plus bas, Drilun avait senti parfois qu'il faisait l'objet d'attaques magiques, mais il avait toujours résisté sans trop de mal, repoussant les suggestions ou visions qui transformaient la réalité à ses sens. Puis il n'avait plus été inquiété, les sorciers comprenant qu'il valait mieux trouver des cibles plus faciles. Sorciers qui se tenaient en bordure de la clairière du village, comme Rob arrivait à sentir grâce à ses sens magiques développés lors de son passage à Fondcombe où il avait séjourné un moment. Ces magiciens noirs étaient trop loin et pas assez à découvert pour que le Dunéen arrivât à les flécher, mais eux arrivaient à percevoir assez de choses pour que leur magie trouvât des victimes.

Ainsi, Rob vit l'un des Hommes des Bois s'approcher d'une ouverture dans leur bouclier de planches, ouverture créée par une pierre lancée par un troll. Il sentit que l'homme était affecté magiquement, et lorsqu'il le vit qui commençait à enjamber les bords du trou pour sauter dans le vide, il se précipita sur lui pour l'en empêcher. S'ensuivit une courte lutte où le hobbit fut aidé par un autre Homme des Bois, mais l'homme ensorcelé, s'il ne put pas sauter, ne fut pas sauvé pour autant : deux flèches le touchèrent alors qu'il luttait, de même que la nouvelle pierre lancée par un troll, qui le tua sur le champ. Le choc fut assez violent pour projeter le corps en avant et bousculer le hobbit et l'autre Homme des Bois venu en renfort.

Et ce ne fut pas tout : Rob vit aussi un autre Homme des Bois proche de Drilun se reculer, armer son arc... et diriger sa flèche dans le dos de son ami. Il le prévint d'un cri, et le Dunéen eut le temps de se tourner de côté pour voir l'attaque arriver et être déviée. Il était trop bien protégé par sa magie et il retourna tirer ses flèches ou éteindre les départs de feu sans se soucier de cette nouvelle sorcellerie. L'homme derrière lui eut le temps de tirer une nouvelle flèche sur Drilun, flèche qui ne le blessa pas mais qu'il sentit tout de même, à un endroit des jambes où son armure ne le protégeait qu'incomplètement - il portait en effet des jambières de cuir de dragon qui ne couvraient pas toute la jambe. Puis l'homme ensorcelé fut maîtrisé par ses congénères.

Le plus grave restait néanmoins à venir. Après le début des premiers tirs, Súlwine avait laissé seuls les enfants de Buhr Dera, réfugiés dix mètres au-dessus de la plateforme, dans la maison arboricole qu'elle partageait avec la famille du chef du village. Elle était descendue vers les combattants avec ses herbes, cataplasmes et onguents afin de s'occuper des blessés de plus en plus nombreux. Après moins d'une minute il y avait trois morts et plusieurs blessés graves, leur état s'aggravant en raison du poison dont étaient enduites les flèches que certains avaient reçues. La wita avait l'habitude des poisons et de quoi les contrer, et elle avait commencé à utiliser ses remèdes et à traiter les blessures.

Personne ne se rendit compte alors que l'un des siens était ensorcelé et avait pris une épée courte. Épée qu'il lui enfonça dans le dos, la blessant mortellement. La personne fut vite maîtrisée, mais le mal était fait : la soigneuse n'était plus en état d'officier très longtemps et c'était un nouveau coup porté aux moral des Hommes des Bois. Rob, après avoir épinglé quelques araignées à travers une trappe de la plateforme, laissa bientôt son arc et ses flèches tranquilles pour se concentrer sur la magie des sorciers et prévenir les défenseurs lorsqu'il sentait que l'un d'eux était affecté, afin de le maîtriser avant qu'il ne fît des dégâts. Bien entendu, vu sa carrure ce n'était pas lui qui se chargeait de maîtriser les personnes ensorcelées.

4 - Paralysés
Plus rapide que tous, Geralt était vite retourné dans l'enceinte intérieure, près du chêne. Il arriva juste à temps pour voir Isilmë dos au tronc, entourée d'araignées géantes, tandis que d'autres commençaient à grimper sur le chêne. Deux d'entre elles se laissèrent tomber sur l'elfe, et le choc la mit à genou, tandis qu'une araignée arrivait à la mordre et à injecter son venin. Avec deux araignées sur le dos et quatre autres qui la maintenaient au sol, la guerrière n'avait plus assez de force pour ce relever ou combattre. Pire, elle commençait à sentir l'effet du poison sur son organisme, engourdissant ses membres. Tandis qu'elle se concentrait sur un sort de soin, seule chose qu'elle pouvait encore faire, elle sentit une nouvelle morsure. Sa magie lui permit de contrer le nouveau poison, mais l'ancien progressait toujours...

A quelques mètres de là, Bronwyn et Aldoric se tenaient dos à dos, entourés eux aussi d'araignées, et l'une d'elles arriva à mordre le prince nordique, moins bien équipé et protégé que sa sœur. Cette dernière, quand elle se rendit compte de la chose, cria et se mit à taper comme une furie sur les arachnides monstrueux qui grimpaient sur son frère, sans s'occuper de sa protection à elle, mais heureusement son armure de mailles l'empêcha de sentir aucune morsure. Les deux nordiques furent bientôt rejoints par Mordin, qui lui aussi commençait à crouler sous les araignées, mais qui arrivait relativement bien à s'en débarrasser à l'aide de sa hache magique. Les membres d'Aldoric commencèrent à s'engourdir et il reçut bientôt une nouvelle blessure avec encore une dose de venin.

De son côté, Vif entrait par une autre ouverture dans l'enceinte près du tronc et accélérait le ménage, mais elle dut bientôt laisser les octopodes pour se tourner vers les wargs montés qui commençaient à investir également le lieu : tous ceux qui avaient pu passer l'ouverture gardée par Taurgil avant sa fermeture avaient fait le tour de l'enceinte et commençaient à entrer par les ouvertures laissées libres. Dans le même temps, la lionne arrivait à percevoir le déplacement des araignées géantes qui avaient monté le long du tronc jusqu'à l'envers de la plateforme et qui se plaçaient au-dessus des défenseurs pour mieux leur tomber dessus. Lorsqu'elle sentit choir les premières au-dessus d'elle, elle bondit par-dessus les premiers wargs qui lui arrivaient dessus, pour atterrir sur les suivants et les massacrer. Les premiers sentirent toute l'énergie accumulée par une araignée de cinquante kilos qui tombe de dix mètres de haut. Si les araignées avaient l'habitude et la capacité à amortir le choc de leurs huit pattes, l'un des wargs et l'orc qui le montait se trouvèrent vite à plat ventre au sol, étourdis.

Geralt, quant à lui, eut fort à faire. Au début, il virevoltait autour des araignées qui s'attaquaient à Isilmë, tranchant pattes et corps et libérant bientôt l'elfe, aidé également par les flèches du hobbit à travers la trappe dix mètres plus haut. Mais il perçut lui aussi des wargs arriver et des araignées tenter de lui sauter dessus depuis le tronc voire plus haut. Il enchaîna donc une série d'attaques, esquives et roulés-boulés et contre-attaques qui portèrent leurs fruits. Comme avec Vif, wargs et araignées se gênèrent et il arriva à les tuer les uns après les autres, sans oublier les orcs montés sur les loups de guerre. Mais ils étaient le moindre de leurs soucis. Bientôt, il put prendre des graines magiques afin de commencer à boucher les ouvertures dans les murs de ronce.

Taurgil fut le dernier à entrer dans la petite enceinte proche du tronc du chêne. Quatre araignées le ralentissaient, juchées sur son dos ou ses épaules massives, mais elles n'arrivaient pas à percer sa cotte de mithril avec leurs chélicères. Néanmoins, quand deux autres araignées se laissèrent tomber depuis le dessous de la plateforme, dix mètres plus haut, il se retrouva par terre. Sa force avait ses limites. Néanmoins, toutes les ouvertures sauf une furent vite refermées par de nouvelles ronces, ils étaient tous à l'intérieur et dans un premier temps aucun nouvel ennemi ne put plus entrer. Bientôt les derniers wargs, orcs et araignées - y compris celles du Dúnadan - furent tués. Un feu-follet apparut au-dessus d'eux, comme au-dessus de tous les cadavres dans la clairière du village des Hommes des Bois. Aucun blessé grave parmi les défenseurs au sol, mais Isilmë et Aldoric étaient maintenant inconscients, paralysés par le venin des araignées géantes.

5 - Dernier carré
Plus haut, les choses n'allaient pas pour le mieux. Si les trolls avaient arrêté d'envoyer leurs grosses pierres et si plus aucune flèche enflammée ne venait les menacer, les flèches normales - et empoisonnées - pleuvaient littéralement de toute part. Les uruks s'étaient rapprochés et utilisaient leurs projectiles pour inonder les bords de la plateforme, blessant quelques Hommes (et Femmes) des Bois au passage. Seul Drilun, protégé par sa magie et ne craignant pas de rester à découvert, était vraiment efficace. Il avait pris une flèche enflammée éteinte par ses sorts et l'avait enflammée à nouveau pour la diriger vers un cercle de bûches arrosées d'huile de lanterne qu'ils avaient préparé au sol avant le combat, en journée. Ce cercle était situé à l'intérieur du deuxième mur de ronces, à une dizaine de mètres du tronc de l'arbre. Sa flèche atteignit son but et enflamma l'huile et le bois, et il utilisa sa magie pour faire progresser le feu plus vite et plus haut, formant une nouvelle barrière pour arrêter ou à tout le moins ralentir leurs ennemis.

Mais ces derniers étaient trop nombreux et il ne pouvait tous les tuer. De plus, si le cercle de feu les ralentit quelque peu, ils trouvèrent vite une parade provisoire consistant à utiliser les boucliers ou cadavres présents pour bloquer en partie le mur de flammes et passer plus facilement. L'archer dunéen se concentra sur les trolls chaque fois que possible, mais l'un d'eux arriva tout de même à passer jusqu'au mur de ronces magique proche de l'arbre, sous un coin de la plateforme. Il avait franchi le mur de flammes sans mal, en sautant, et il était hors de portée de ses flèches à présent, et bientôt rejoint par de nombreux uruks. Ces derniers, en effet, avaient amenés des rondins de bois, perches et gaules qu'ils avaient dû découper, de manière à faire des ponts de bois par-dessus les murs de ronces, leur permettant de franchir le deuxième mur à présent entièrement fermé.

De plus, toutes les araignées n'étaient pas mortes : il n'en restait peut-être plus guère que vingt ou trente, accrochées la tête en bas à la plateforme, dix mètres au-dessus du sol. Voyant que les personnes au sol étaient trop rapides et dangereuses, elles se mirent alors à passer sur les bords pour monter sur les barricades de planches et trouver les brèches, faites par les pierres des trolls, par où passer. Et petit à petit, elles se mirent à envahir le refuge des Hommes des Bois, déjà bien occupés à maîtriser les leurs qui étaient affectés par de la sorcellerie, à soigner leurs blessés ou à tirer sur les ennemis qui approchaient au sol. Du coup, les uruks eurent bientôt le champ libre tandis que les araignées devenaient le principal sujet d'attention des défenseurs arboricoles.

Tandis que le combat reprenait en l'air, Rob entendit un petit rugissement près de la trappe proche du tronc où il se trouvait. Il comprit que Vif avait grimpé le long du tronc et voulait à présent qu'on lui ouvrît, n'ayant pas le temps ou les capacités de faire le tour de la plateforme par le bas comme les araignées. Le hobbit dégagea la trappe du petit tonneau d'eau qu'il avait placé pour empêcher les arachnides de passer, puis il ouvrit et la féline Femme des Bois put entrer. Entre les flèches de ses amis, de la dizaine d'Hommes et Femmes des Bois encore valides et non occupés à autre chose, et ses griffes, les araignées ne furent bientôt plus qu'un souvenir. Restait à s'occuper des blessés et ensorcelés.

Il fallait faire descendre une échelle de corde pour faire monter Taurgil et ses talents de guérisseur, sans parler de ses herbes et son matériel. Súlwine, en particulier, était bien affaiblie par le sang qu'elle avait perdu, et elle ne tiendrait plus longtemps ainsi. D'ailleurs, sentant ses forces la quitter, elle appela Vif pour lui demander de promettre de sauver Bronwyn : d'après la vision qu'elle avait eue, sa descendance aurait une action décisive sur leur avenir à tous. Il fallait donc impérativement la tenir à l'abri des forces du Nécromancien. La lionne grogna son acquiescement, incompréhensible pour tout autre qu'elle ou ses amis, mais la wita sembla comprendre et elle eut un sourire confiant.

6 - Otages
Le combat prit une nouvelle tournure après une pause soudaine. Une voix forte et agressive s'éleva dans les airs depuis les bords de la clairière, vite reconnue par Vif et les autres aventuriers : Caran Carach entrait en scène. La lionne rugit, sa voix elle aussi amplifiée grâce à la magie de Drilun, de manière à faire mal aux oreilles à tous et à couvrir la voix du loup-garou. Ce dernier s'adressait en fait à Bronwyn dans sa langue, que Vif ne comprenait pas, mais Geralt si. Malgré les rugissements de son amie, il comprit vite que tandis qu'ils combattaient, le loup-garou n'était pas resté inactif. Il prétendait avoir les enfants de Buhr Dera sous son contrôle, et il les mettrait à mort si jamais la princesse nordique ne se rendait pas bientôt. Et l'assassin, pourtant rompu aux coups de bluff, ne sentait aucune tromperie dans ces paroles, juste une certaine délectation. Caran Carach semblait sûr de lui, et il avait l'air de se réjouir du tour qu'il jouait à tous...

La princesse n'avait pas compris le message en raison du bruit mais elle avait compris qu'il s'adressait à elle - tout le monde avait entendu le loup-garou prononcer son nom au début - et elle criait pour qu'on lui explique ce qu'il avait dit. De son côté, Geralt parla en sindarin à ses amis pour dire que Caran Carach prétendait avoir les enfants en otage et qu'il ne fallait surtout rien dire à Bronwyn. Mais certains Hommes des Bois comprenaient le sindarin, ayant l'habitude d'échanger avec les elfes de la forêt, et tous virent aussi les aventuriers lever le nez vers la demeure plus haut dans le chêne. Et ce qu'ils virent les glacèrent d'effroi, et de nombreux cris furent poussés. Non, Caran Carach ne plaisantait pas, et il avait un sacré atout dans la manche !

En l'air, vingt mètres environ au-dessus du sol, les dix-neuf enfants de Buhr Dera se tenaient en équilibre sur les branches, loin du tronc et même de la plateforme. Les plus grands tenaient les plus petits dans leurs bras, et ils ne semblaient pas contrôler ce qu'ils faisaient, se contenant de trembler sans réagir aux cris de leurs aînés. La vie de dix-neuf enfants ne tenait qu'à un fil, et Caran Carach reprit bientôt ses menaces, assorties d'une carotte qu'il présenta à tous en langage commun : il se moquait des enfants qui n'étaient pas sa proie, et il s'engageait - pour ce que sa parole valait, comme il le dit lui-même avec ironie - à quitter les lieux avec ses wargs dès que Bronwyn serait à lui. Il ne se joindrait pas au combat et espérait même que les aventuriers arriveraient à s'en sortir, car il comptait bien être celui qui leur règlerait leur compte...

Les idées défilèrent vite dans les têtes des aventuriers, qui ne trouvèrent aucune parade qui ne serait aussitôt contrée par le loup-garou. Gagner du temps ? Le monstre laissa planer l'idée de commencer par un premier enfant, un des plus jeunes que son aîné qui le portait lâcherait dans le vide, à la vue de tous... Amener Bronwyn sur le dos de Vif, qui combattrait ensuite le loup-garou ? Caran Carach précisa bien que Bronwyn devait sortir seule, sans aucune escorte. Cette dernière avait néanmoins fini par comprendre et elle posa ses armes par terre, en prenant Geralt à part - c'est lui qui bloquait la dernière ouverture dans le mur de ronces : elle allait y aller, elle ne pouvait avoir les morts des enfants sur la conscience. Mais elle espérait bien que le temps gagné permettrait à leurs alliés annoncés d'arriver, et qu'ensuite les aventuriers viendraient la rechercher. Sans quoi, elle était prête à assumer ses erreurs et son excès de confiance ou d'orgueil...

La princesse semblait convaincue et personne ne trouvait d'argument pour la faire changer d'avis. Personne au juste ne pensait pouvoir sauver les enfants tellement le moindre essai résulterait inévitablement par des chutes mortelles que personne ne pouvait arrêter. Néanmoins, Geralt eut une idée et il cria au loup-garou que c'était trop facile, et qu'il ferait sans doute tomber les enfants des branches une fois Bronwyn avec lui. Il exigea donc que les enfants revinssent en sûreté les uns après les autres au fur et à mesure que Bronwyn avancerait. Le monstre accepta sans difficulté, tout en prévenant que sa patience tirait à sa fin et que la princesse devait vite venir, sans quoi les premiers fruits mûrs allaient chuter...

7 - Prisonnière
La princesse conserva son armure sur l'insistance de certains aventuriers, même si tous n'étaient pas d'accord - sa cotte de mailles lui serait sans doute vite retirée. Elle franchit bientôt le mur intérieur de ronces et se livra aux uruks, qui arrivaient toujours plus nombreux, même si le combat s'était momentanément arrêté. Ils l'aidèrent à franchir le pont de perches et rondins par-dessus le deuxième mur de ronces magique, tandis que des enfants rejoignaient progressivement la demeure au centre de l'arbre. Puis Bronwyn fut prise en charge par quatre trolls qui l'attendaient là. Elle ne pouvait plus traîner les pieds comme elle l'avait fait jusqu'à alors, les monstres pouvant sans mal la traîner par un membre. Elle dut donc accélérer, tandis que davantage d'enfants regagnaient la sécurité du logis arboricole.

Au niveau du chêne, Vif était vite redescendue et le seul plan envisageable aux yeux de tous était mis en place : Geralt et elle fileraient comme le vent une fois que les enfants seraient tous en sécurité. Leur mission serait de s'attaquer à Caran Carach et de sauver Bronwyn. L'assassin pensa qu'il y avait une centaine de wargs et des trolls en plus, et il connaissait assez Caran Carach et ses capacités pour lui enlever tout espoir. Mais il n'insista pas et se prépara à foncer sur le dos de la lionne. De toute manière, n'avait-il pas dit maintes et maintes fois qu'ils allaient tous mourir ? En tout cas, son amie semblait déterminée et elle n'avait manifestement aucune peur du loup-garou. Son pouvoir à elle avait crû, son combat risquait d'être intéressant... s'ils arrivaient à les rattraper.

Au bout d'un moment, il n'y eut plus que les cinq plus grands enfants au bout des branches, tous d'au moins une dizaine d'années, mais portant ou tenant chacun un des plus petits, de quatre ans ou moins. Depuis la plateforme, Drilun et Rob virent Bronwyn franchir le mur extérieur de ronces, poussée ou tirée par les trolls qui ne la ménageaient guère. Ils pénétrèrent enfin le sous-bois et disparurent à leurs yeux, tandis que les derniers enfants regagnaient lentement la sécurité du centre du chêne. Puis un hurlement sauvage de loup se fit entendre et il résonna dans toute la clairière, bientôt suivi par une centaine d'autres. Le tumulte continua encore et encore, s'éloignant petit à petit : Caran Carach et ses wargs fonçaient à travers la forêt, suivis par les trolls qui devaient forcer la princesse nordique à courir, si même ils ne la portaient pas.

Le hurlement fut aussi le signal du renouveau de l'attaque. Pendant tout ce temps, les uruks n'étaient pas restés inactifs mais ils avaient intégré l'espace entre les deux murs de ronces magiques les plus proches du vieux chêne. Ils se ruaient à présent à l'assaut, armés de tout le bois qu'ils avaient pu ramasser ou préparer pour les aider à escalader le dernier obstacle avant d'arriver au tronc du chêne. Mais ils allèrent moins vite que la lionne, qui renversa tout le monde sur son passage et bouscula les ennemis qui étaient encore sur le pont de bois placé sur le mur intermédiaire. Personne n'arriva à la toucher, ni Geralt accroché à son dos, et à vrai dire ils furent peu à essayer tellement elle était terrifiante. D'autant qu'elle avait mangé un caméléon de nuit, ce petit champignon qui la rendait noire, comme invisible dans l'obscurité. Les ennemis ne tenaient pas trop à faire face à quelque chose d'encore plus noir qu'eux...

Vif eut tôt fait de traverser la clairière sur les traces que les trolls avaient laissées, et elle arriva enfin à la lisière de la clairière, là où les wargs étaient partis vers le sud et l'ouest. Le sous-bois semblait plus impénétrable que jamais, et son élan fut brisé presque d'un coup. La végétation semblait comme vouloir empêcher son passage, les branches, racines et lianes s'agrippant à l'assassin et elle sur leur passage et masquant toutes les traces, comme si nul troll ou troupe de wargs n'étaient jamais passés là. Entre la résistance de la végétation et l'obscurité, la lionne eut l'impression qu'elle cherchait à se frayer un passage à travers les ronces magiques que Radagast leur avait permis de faire pousser. Geralt se sentait comme agrippé par des mains invisibles qui voulaient le retenir, et il eut toutes les peines du monde à rester sur le dos de la lionne, qui avançait à une allure d'escargot, au propre comme au figuré. Et derrière eux, le combat se poursuivait.

8 - Fin du combat
Taurgil monta à l'échelle de corde qui lui était lancée, laissant aux archers uruks le soin de le prendre pour cible : efficacement protégé par son armure de mithril, ils ne purent rien lui faire. En haut, il se précipita vers la wita encore vivante, tandis que du feu était rallumé dans un brasero pour faire chauffer de l'eau. Il réduisit sa blessure grâce à du baume orc et elle se referma encore un peu plus lorsqu'il put utiliser le plein pouvoir de sa magie des soins, avec l'aide d'une infusion d'athelas. Très affaiblie mais toujours vivante et consciente, il la poussa à s'occuper des autres blessés tandis qu'il s'occupait des ensorcelés.

Ces derniers étaient maintenus par des cordes mais surveillés tout de même, d'autant que les Hommes des Bois étaient habiles à se libérer de leurs liens. Il utilisa sa magie contre celle dont les sorciers les avaient enveloppés, en espérant les nettoyer de leur sombre influence. Mais il n'était pas un grand soigneur comme Narmegil ou Sîralassë, et il échoua environ une fois sur deux, d'après l'expertise de Rob qui arrivait à lire l'aura magique de chacun et à déterminer la présence ou la disparition de la sorcellerie dont ils faisaient l'objet. Mais c'était déjà ça. Il laissa ses affaires de soin à Rob et il redescendit au sol par l'échelle de corde pour prêter main-forte à Mordin qui restait seul en bas.

Le nain était en effet tout seul, armé des graines de ronciers magiques données par le magicien brun. Il eut à surveiller les abords du mur de ronces et à ajouter de nouvelles graines partout où des perches étaient glissées, partout où des corps approchaient, de manière à épaissir toujours plus l'enceinte et empêcher les nombreux uruks d'arriver jusqu'à lui. Mais tandis que les minutes passaient, le cercle libre autour du tronc devenait de plus en plus restreint. Parfois, il essuyait aussi quelques tirs des orcs montés en haut du mur, lorsqu'ils arrivaient à prendre appui sur des cadavres, boucliers ou rondins, mais sans vraiment l'inquiéter. Néanmoins, l'aide du Dúnadan ne fut pas de trop pour tout surveiller et repousser attaques et passages ou les noyer sous les ronces.

Plus haut, Drilun ne chômait pas : par une trappe ouverte dans un coin de la plateforme, il inondait les archers et autres ennemis sous la plateforme de ses flèches. Il put même abattre le troll qui tentait de passer le mur, d'un tir en pleine tête. Malheureusement pour lui le monstre resta en travers de l'obstacle, bras pendant d'un côté et jambes de l'autre, aidant les uruks à passer par-dessus. Mais après plusieurs minutes de tir intensif, il sentit que la magie qui le protégeait commençait à refluer. Il lui fallut bientôt refermer la trappe, craignant pour sa vie sinon : il était la cible de tellement d'archers au sol qu'il risquait fort d'être blessé avec juste la protection de son armure de peau de dragon.

Rob, lui, utilisait les pansements et bandages magiques du rôdeur dúnadan pour soigner les blessés qu'il voyait, avec difficulté pour les plus atteints - il n'avait pas le savoir nécessaire pour retirer une flèche fichée dans le ventre de quelqu'un. En parallèle, il surveillait les émanations magiques des sorciers et prévenait chaque fois qu'il sentait quelqu'un d'ensorcelé. Et puis, après un temps qui lui parut interminable, il entendit quelque chose de nouveau, de même que Drilun et Taurgil. En même temps qu'un bruit et une odeur de pluie, des cris faibles parvinrent à leurs oreilles malgré le tumulte, puis d'autres cris plus rapprochés. Par-dessus les murs de ronces magiques, ils virent de nouvelles silhouettes discrètes émerger des arbres. Après avoir abattu les sorciers qui étaient alors surpris et sans défense, elles se dirigeaient maintenant vers les uruks, pris complètement à revers : une force composée d'elfes et d'Hommes des Bois venait d'arriver à leur secours.

9 - Inereneraban
Vif également avait perçu les secours arriver, d'autant que la végétation avait progressivement repris une forme normale... à proximité de la clairière. En fin de compte, comme elle n'avait pas avancé beaucoup, Geralt et elle rejoignirent les nouveaux arrivés qui achevaient le massacre des orcs restants. Deux cents elfes venaient d'arriver, menés par Legolas, fils du roi Thranduil. A cela s'ajoutait autour d'une centaine d'Hommes des Bois, menés par Odagis, fils de Waulfa, chef de Buhr Widufiras, et principal traqueur et messager de son clan. Comme il était l'un des rares - peut-être le seul - à connaître l'emplacement de Buhr Dera, c'est sans doute lui qui avait dirigé la force combinée venue les secourir.

Tandis que les ennemis étaient achevés et les blessés soignés, les aventuriers discutèrent avec Legolas et Odagis de ce qui s'était passé et de leur prochain départ pour sauver Bronwyn. L'elfe et l'homme leur apprirent que c'est Radagast qui les avait rassemblés là : il avait été averti par quelqu'un que le dénouement approchait et il s'était dépêché de prévenir les alliés possibles, traversant la forêt comme seul un magicien comme lui pouvait le faire. Certains le soupçonnaient de pouvoir prendre la forme d'un animal pour aller aussi vite... Il avait donc rassemblé la force présente qui s'était approchée par le nord, guidée par le magicien, de manière à surprendre leurs ennemis. Ils avaient perçu le départ des wargs et Radagast avait donné le signal du départ. La végétation refluait devant lui et n'opposait aucune résistance et ils avaient pu bientôt approcher de la clairière et l'encercler. Ils tuèrent les sorciers présents puis lancèrent l'assaut sur les uruks et rares wargs survivants.

Les aventuriers demandèrent à voir le magicien, ils avaient besoin de lui pour poursuivre les ravisseurs de Bronwyn, mais personne ne savait où il était, il avait comme disparu avant le combat. Mais il apparut d'un seul coup de derrière un arbre, sous les traits qu'ils lui connaissaient : un homme barbu vêtu de brun, d'âge indéfinissable, appuyé sur un bâton noueux, qui avait l'air plus d'un ermite que d'un magicien comme Gandalf. Il commença par s'enquérir de la santé des blessés, ce dont Taurgil profita pour parler d'Isilmë : le Dúnadan n'avait pu la sortir de sa paralysie car sa magie n'était pas assez forte pour annuler les effets du venin d'araignée, il avait juste pu le stopper mais c'était déjà trop tard. Le magicien brun sortit une fiole d'un de ses petits sacs et il en fit boire le contenu à l'elfe, qui finit par bouger et se réveiller, non sans mal. Elle était fatiguée et épuisée nerveusement, mais elle fut ragaillardie quand elle vit Drilun en pleine forme auprès d'elle.

Face aux demandes des aventuriers qui parlaient d'aller sauver Bronwyn, Radagast ne répondit pas tout de suite, comme s'il écoutait parfois quelque chose que personne ne percevait. Il annonça enfin que Caran Carach avait rejoint le Grimburgoth, qui était sa cible à lui, et qu'ils iraient à son encontre. Mais il doutait de pouvoir retrouver Bronwyn si facilement. Il accompagnerait donc les aventuriers et leur permettrait de poursuivre leur objectif, qui passait par le chef et sorcier qui pouvait manipuler les végétaux à sa guise et qui faisait fuir les animaux. Vif et ses amis pourraient progresser et ils seraient suivis par le magicien et sans doute quelques elfes, mais discrètement, et ils devaient faire comme s'ils étaient seuls. Concentrés sur Bronwyn, le Grimburgoth ne savait sans doute pas ce qui s'était passé et il n'avait pas conscience de l'arrivée du magicien brun. Et il fallait que cela restât ainsi afin qu'il puisse arriver jusqu'à lui avec l'aide des héros du jour, ou plutôt de la nuit.

Héros qui virent venir à eux Théamond, chef des chasseurs de Buhr Dera. Il remercia pour tout ce que les aventuriers avaient fait pour son peuple et lui. Il n'y avait eu qu'une demi-douzaine de morts, et les blessés s'en remettraient vite, grâce à la magie des elfes ou les plantes du magicien. Odagis et les leurs allaient à présent les aider à regagner des terres plus sûres où établir un nouveau village et prendre un nouveau départ. Il avait bien perçu que malgré leur fatigue ou blessures le groupe allait repartir à la recherche de Bronwyn, ce qui semblait être le plus cher désir de Súlwine. Aucun Homme des Bois ne les accompagnerait, et ils partiraient à l'aube après une courte nuit. Mais afin d'aider, Théamond leur dit que le village leur donnait le peu de choses qu'ils avaient à offrir : il remit trois boîtes en bois à Drilun, Taurgil et Geralt, expliquant qu'il s'agissait d'inereneraban, des chefs-d'œuvre réalisées par leurs meilleurs artisans. Il expliqua que la nourriture placée dedans se gardait un mois et pouvait nourrir une personne pendant toute cette période, et les herbes et poisons se gardaient presque indéfiniment dans ses petits compartiments. Compartiments qui permettaient de cacher toutes sortes de petites choses que seul le possesseur de la boîte pouvait retrouver.

Avant leur départ, et après que Taurgil eut soigné les blessures d'Isilmë grâce à sa magie, les elfes remirent également aux aventuriers des petits pots d'onguent à l'odeur forte. Ils en avaient trouvé un certain nombre sur le corps de quelques uruks, en général les mieux équipés. Ils n'avaient pas encore pu fouiller tous les corps ou récupérer tout ce qui pouvait l'être, mais Legolas avait cru comprendre que le Dúnadan et ses amis avaient déjà utilisé par le passé ce genre de remède et qu'ils en auraient peut-être bientôt l'utilité. Vif piaffait d'impatience et le groupe finit par se mettre en route, non sans avoir touché deux mots aux Hommes des Bois concernant Aldoric, toujours paralysé et qui ne devait aucunement se lancer à leur poursuite. Mais elfes et Hommes des Bois répondirent qu'ils sauraient, d'une manière ou d'une autre, lui faire entendre raison.
Modifié en dernier par Niemal le 30 août 2015, 19:27, modifié 3 fois.
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Horselords - 31e partie : trahir ou mourir

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1 - A coup de griffes et d'épée
Le groupe ne fit pas cent pas qu'il dut arrêter : la végétation, sans doute rendue inerte aux abords de Buhr Dera par le pouvoir du magicien brun, redevenait mobile et agressive, sans doute aux ordres de la force ténébreuse qui couvrait le départ de Bronwyn. Les lianes et les ronces, les racines et les branches, les arbustes - épineux surtout - et même les arbres semblaient bouger pour se mettre en travers du chemin des aventuriers, voire s'accrocher à eux pour les immobiliser. Même à l'aide de la lumière de la lanterne portée par Mordin pour repousser les ténèbres, il était tout simplement impossible à certains membres de l'équipe de mettre un pas devant l'autre sans tomber ou rester prisonnier de la végétation.

Leur objectif n'était pas si éloigné que cela : grâce à ses sens félins très exercés, Vif pouvait percevoir à un peu plus d'un demi-mile une force de plusieurs centaines d'uruks, wargs et trolls en train de s'activer. Cette armée semblait d'ailleurs se séparer en deux, avec une partie restant sur place tandis que l'autre filait vers le sud et l'ouest à bonne allure... et sans doute avec Bronwyn avec elle. Radagast avait prévenu que la route des orcs (Men Uruk) passait non loin de là qui traversait la forêt du sud au nord. C'était le chemin le plus rapide pour atteindre Dol Guldur, et si le Nécromancien s'intéressait tant à la princesse nordique, c'était sûrement qu'elle était réclamée là-bas...

L'archer-magicien confirma à l'aide d'une écoute magique la présence des ennemis en train de se séparer. Si la princesse était avec le groupe en mouvement, il fallait se dépêcher de traverser la forêt et éviter de prendre du retard. Certains demandèrent au Dunéen s'il ne pouvait pas brûler la végétation pour leur permettre d'avancer plus vite, mais Vif le déconseilla. Elle avait remarqué que de nombreux insectes, en particulier des milliers et des milliers de fourmis, étaient en déplacement autour et en même temps qu'eux, sans doute par la volonté de Radagast. Il ne serait peut-être pas judicieux de griller ces petits alliés du magicien, qui de toute manière ne pouvaient progresser très vite. Mieux valait prendre son mal en patience et garder cette assurance-vie pour les proches événements à venir.

Du coup, le groupe décida d'obliquer vers l'armée ennemie en mouvement plutôt que celle qui restait immobile à les attendre. Entre les perceptions de Vif et les sorts de Drilun, ils pourraient trouver leur chemin sans avoir à suivre les traces des olog qui avaient emmené Bronwyn. La lionne prit la tête de l'expédition et elle se mit à découper à l'aide de ses griffes et arracher de ses pattes puissantes la végétation qui les entourait. Elle faisait ainsi un tunnel à travers la végétation dans lequel les autres pouvaient avancer sans mal. Mais l'allure était lente et le travail fatigant pour elle. Au bout d'une heure, ils n'avaient progressé que d'un bon quart de mile, et elle laissa la place à Geralt.

Ce dernier, éclairé par la lanterne du nain, trouva bientôt sa vitesse de croisière. A l'aide de son épée, il taillait dans les végétaux qui les entouraient comme lors d'une danse sylvestre, impression encore accentuée par le chant elfique d'Isilmë secondé par la flûte de Drilun. Tout étonné des réserves ou de l'harmonie qu'il avait trouvées en lui, il avançait au même rythme que la lionne avant lui et sans se fatiguer, dans la direction que le gros félin lui indiquait. Lequel félin sentait que l'armée restée sur place s'était légèrement déplacée afin de se mettre sur leur route et les intercepter. De nombreuses chauves-souris de grande taille semblaient faire le va-et-vient entre eux et l'autre groupe, et il n'était pas difficile de deviner comment les sorciers pouvaient suivre leur avancée. En bref, ils étaient attendus.

2 - Séduction, menaces et exemple
Bientôt, la lionne perçut leurs ennemis à moins d'une portée de flèche, qui se mettaient en arc de cercle pour mieux les recevoir. Et quels ennemis ! Une écoute magique de l'archer-magicien, associée à l'ouïe extrêmement fine du félin magique, n'était pas très rassurante : plus d'une centaine de bipèdes à terre, probablement des uruks d'élite ; une cinquantaine de wargs, sans doute montés ; et une dizaine de trolls de guerre. Et c'était sans compter les éventuels sorciers et les rôdeurs noirs qui pouvaient attendre dans les arbres et ne pas se révéler au sort du Dunéen. Il semblait que Caran Carach ne faisait pas partie du comité d'accueil, ce dont beaucoup étaient ravis. Mais tous craignaient bien que le Grimburgoth ne fût là, comme la végétation qui les ralentissait semblait le prouver. Et n'était-il pas l'objectif de Radagast ?

Tandis que les aventuriers s'arrêtaient et discutaient plus ou moins discrètement de la suite à donner - ils avaient bien conscience d'avoir été repérés depuis longtemps - une voix forte et imposante, mais aussi glaciale, les accueillit. Cette voix humaine, du moins en partie, les félicita en langue commune pour leur opiniâtreté et les talents qui leur avaient permis d'arriver ici en un seul morceau. C'était manifestement une voix masculine et celle d'un chef habitué à commander, sans doute celle d'un grand sorcier voire du Grimburgoth lui-même. Elle était assez flatteuse et enjôleuse, vantant les mérites des aventuriers et se désolant qu'ils eussent fait certains mauvais choix. Mais ne dit-on pas que seuls les imbéciles ne changent jamais d'avis ? La voix proposa ni plus ni moins que de rejoindre les rangs du Nécromancien.

La végétation s'écarta devant le groupe pour les inviter à approcher et à discuter avec leur interlocuteur. Vif arrivait à percevoir d'où venait la voix, quelque part dans un arbre face à eux, mais impossible de voir son auteur, tellement il semblait environné de ténèbres impénétrables. Mordin arriva lui aussi à repérer assez précisément l'origine de la voix, et d'autres comme Geralt en avaient une certaine idée, mais hormis cela il était comme invisible. Impossible de décocher une flèche avec quelque espoir de le toucher. De toute manière, s'il s'agissait bien du Grimburgoth, c'était l'affaire de Radagast et il fallait essayer de gagner du temps pour que ses amis et lui puissent arriver.

En attendant, Geralt répondit vaillamment à la voix ténébreuse qu'ils n'étaient pas pressés d'approcher et que la personne pouvait les rejoindre elle-même. Drilun, lui, se moqua des arguments de leur interlocuteur vis-à-vis de la prétendue liberté procurée par les services du Nécromancien. La voix de l'homme changea quelque peu et elle se fit plus pénétrante, s'adressant directement au maître-assassin : le balafré aux cheveux blancs ferait un excellent bras droit à l'assassin du Nécromancien, avant peut-être même de le remplacer... Geralt sentit à quel point les paroles de l'homme étaient convaincantes au-delà même du naturel, mais il repoussa la séduction magique qui tentait de lui montrer ses adversaires sous de belles couleurs, et il déclina l'offre.

Les adversaires ayant un peu avancé, il reprit sa danse du sabre pour tailler la végétation qui restait impénétrable et agressive sur sa droite, afin d'essayer de contourner leurs ennemis. La voix enjôleuse se fit menaçante et elle prévint l'assassin que son offre ne pourrait pas être rejetée si facilement, et qu'il avait le pouvoir de tuer n'importe lequel des aventuriers d'une flèche, ce qu'il regretterait infiniment : ce serait un formidable gâchis de compétences que le Nécromancien souhaitait absolument éviter. Mais comme Geralt continuait comme si de rien n'était, protégé par la végétation et son bouclier, l'homme mit sa menace à exécution : une flèche surgit des ténèbres, devant laquelle la végétation s'ouvrit pour n'opposer aucune résistance. Elle frôla le bouclier à un moment où il ne protégeait pas un point faible de l'armure de dragon, et elle s'enfonça dans le côté gauche de la poitrine de Geralt en une explosion de douleur, la pointe s'arrêtant à deux doigts du cœur. Et la brûlure du poison violent qui enduisait la pointe de la flèche se mit à irradier dans tout son corps.

3 - Soins et faiblesse
Geralt s'attendait un peu à une telle attaque, mais pas à une telle efficacité. Il espérait tout de même mieux de la part de son armure de qualité et de la protection offerte par la végétation, mais il avait manifestement sous-estimé leur interlocuteur, qui semblait plus que jamais être le Grimburgoth en personne, sans doute une des personnes les plus dangereuses de Dol Guldur. Ses amis ne restèrent pas inactifs et réagirent instantanément pour le sauver : tandis que Taurgil se plaçait en premier, bouclier levé, Isilmë se précipitait vers son compagnon à terre tout en appelant à elle sa magie afin d'augmenter ses talents de soigneuse. Le poison était violent et le corps de Geralt ne pouvait le combattre longtemps, il serait vite mort. Il fallait tout d'abord retirer la flèche, appliquer un contrepoison dans la blessure, fermer cette dernière et stimuler le corps du blessé afin qu'il arrive à lutter contre ces agressions. En un minimum de temps, bien sûr : Geralt n'avait probablement pas une minute à vivre. Et après sans doute la moitié de ce temps, il serait sans doute trop affaibli pour survivre aux conséquences de la blessure et du poison.

Guidée par ses compétences et sa magie, l'elfe arriva à retirer la flèche sans aggraver la blessure de l'Eriadorien en quelques secondes, tandis qu'une fiole de contrepoison était placée près du blessé qui s'affaiblissait à vue d'œil. Malgré l'armure de Geralt, la substance fut appliquée sur la blessure en un tournemain, et la douleur commença à refluer. Entre la substance purificatrice et la magie des soins, le corps du maître-assassin arriva à éliminer le poison avant qu'il ait fait trop de dégâts. Ce ne fut qu'un bref répit dans les royaumes de la souffrance : lorsqu'Isilmë appliqua ensuite le baume orc sur la blessure afin de la refermer en partie, Geralt hurla de toute la force que ses poumons en partie blessés et le reste de son énergie lui permettaient. La peau se tordit en une horrible cicatrice et se ferma partiellement - et douloureusement. Mais le blessé n'était pas encore sorti d'affaire, même si désormais il disposait d'un sérieux répit avant son départ vers les cavernes de Mandos.

Pendant ce temps, la voix continuait à harceler les aventuriers, tour à tour séduisante ou menaçante. L'un après l'autre, à l'exception de Vif, ils se voyaient offrir la chance de sauver leur vie en entrant au service du Nécromancien, avec de nombreux avantages soulignés par rapport à leur vie passée. L'un après l'autre, plus ou moins facilement selon les cas, ils repoussèrent la séduction magique qui leur était faite. Mordin ne fut aucunement affecté tellement il était têtu et résistant à la magie. A d'autres il fallut un effort de volonté. Quant à Isilmë, elle tomba sous le charme : la vie que le Grimburgoth lui offrait paraissait enfin donner du sens à son existence, et elle se dit qu'elle avait été bien bête des choix qu'elle avait faits jusqu'à aujourd'hui. Pour un peu, elle serait tombée amoureuse de son nouveau maître qui lui parlait. Néanmoins, elle n'oubliait pas Drilun, et elle tenta de le convaincre à son tour.

Voyant que le moment du combat n'était pas encore venu, le Dúnadan avait cessé sa garde pour sortir de l'athelas et ce qu'il fallait pour le préparer, tandis que le Dunéen allumait et intensifiait magiquement un feu à partir de quelques branches pour faire chauffer l'eau le plus vite possible. Ce qui nécessitait tout de même quelques minutes : auraient-ils ce temps ? Drilun essaya de faire traîner en longueur les échanges avec Isilmë, tandis que la voix du Grimburgoth s'impatientait après un moment. L'eau commençait à peine à frémir et Taurgil allait jeter dedans les feuilles médicinales, quand l'elfe abandonna tout espoir de garder auprès d'elle son aimé et commença à se détourner de lui. Sans voir le nain se glisser discrètement dans son dos : il lui saisit les jambes et les tira en arrière et vers le haut, et elle atterrit sur le sol à plat ventre dans un choc à lui couper le souffle. Bientôt elle sentit le poids de Mordin sur son dos, l'empêchant de se relever.

La voix du Grimburgoth se fit tout d'un coup plus puissante et menaçante que jamais. Cet intense éclair de colère de la part d'une personne dominatrice et redoutable était déjà impressionnant en soi ; mais les ténèbres et la végétation alentour semblaient lui donner encore plus de poids. A des degrés divers, tous sentirent au creux de l'estomac une peur comme ils n'avaient jamais senti. Ils pâlirent, les sphincters du hobbit se relâchèrent à nouveau - heureusement ses intestins et vessie n'avaient pas eu le temps de se remplir beaucoup depuis Buhr Dera - et Vif vit même les trolls accuser le coup face à une telle vague de colère et d'agressivité. Tous se sentaient faibles et tremblants, et la voix reprit son travail de séduction, mais avec une pointe de menace sous-jacente toujours bien présente. Les aventuriers avaient été préparés, avertis, et c'était maintenant leur dernière chance. L'athelas était presque prêt.

4 - Trahison et clin d'œil
A nouveau, les uns après les autres, les aventuriers se virent offrir la possibilité d'un avenir radieux au service du Nécromancien plutôt qu'une mort imminente. Tous, sauf Isilmë qui essayait de se dégager de l'emprise du nain, pas plus que Vif à qui la voix ne s'adressait jamais. La lionne essayait bien de réclamer les choix qui s'offraient à elle, même si elle s'en doutait, mais son parler félin n'était pas compréhensible, hormis de Mordin qui avait activé le tour d'oreille fabriqué par Drilun et auparavant porté par Rob, et Taurgil qui avait usé de la magie de la nature pour la comprendre. Le Dúnadan finit par traduire les propos de son amie à l'adresse de leur interlocuteur, tout en surveillant l'athelas. Ce à quoi il lui fut répondu que la lionne se voyait offrir le choix miséricordieux d'une fin rapide... aux mains de ses anciens amis ! Ce serait leur première mission, apte à montrer leur engagement auprès du Nécromancien.

Mordin, toujours aussi nain et toujours aussi têtu, offrit autant de prise à l'envoûtement magique qu'une surface lisse et huileuse en offre à de l'eau. Le hobbit, totalement abattu moralement, sans espoir de survie et sans aucune réserve intérieure, trouva néanmoins en lui l'obstination et le rejet des ténèbres propres aux gens de sa race : il refusa, d'autant plus facilement que dans sa tête il était déjà mort et n'avait plus rien à perdre. L'Eriadorien blessé, quant à lui, repoussa la suggestion avec effort, en particulier au vu de son état, et fit comme s'il était trop affaibli pour participer à l'échange. Le Dúnadan trouva la proposition bien tentante... mais il était attaché à Vif au-delà d'une simple camaraderie, et cela fit basculer son choix. Il resterait auprès de son amie, et si elle n'avait pas d'avenir alors il partagerait son sort.

Mais un peu avant Taurgil, Drilun avait lui aussi senti tout le poids de la tentation magique et il lui avait fallu de gros efforts pour y résister. Son hésitation manifeste lui donna alors une idée. Il essaya de percevoir la magie de l'envoûtement qui émanait du Grimburgoth, afin de teinter sa propre aura magique à lui comme s'il avait été affecté par le sort. Et ainsi prétendre qu'il acceptait la proposition du Grimburgoth. Il arriva à percevoir un peu la couleur du sort ténébreux - la perception magique n'était pas son fort, et le sort était discret - et il essaya de le reproduire autour de lui d'une manière mystique, ce qu'il n'avait jamais fait auparavant. Puis il déclara qu'il acceptait et il se dirigea vers Mordin et Isilmë. Au premier il fit un clin d'œil, perçu également par la lionne, et à la seconde il lui prit les mains pour lui dire qu'il venait avec elle auprès de leur nouveau maître.

Mordin comprit ce que son ami essayait de faire, et ils firent bientôt semblant de lutter entre eux, comme si le Dunéen voulait libérer l'elfe pour repartir avec elle. La lionne enchantée arriva bientôt derrière l'archer-magicien et elle lui prit une jambe dans la gueule, si bien que le nain put se concentrer sur Isilmë qui essayait vraiment de se libérer. C'est le moment où Taurgil repoussa l'envoûtement magique, tout en appliquant l'athelas sur la blessure de son ami à terre. La tension montait et chacun sentait que le dénouement - et un probable combat - était proche. Mais que faisait Radagast, qui leur avait demandé de gagner du temps ? Seule Vif percevait distinctement les milliers et milliers de fourmis et autres insectes qui s'amassaient aux pieds de leurs ennemis, prêts à passer à l'action.

Vif entendit alors le bruit d'une corde d'arc qui se tend venant du même endroit que la voix du Grimburgoth, et elle prévint ses amis dans sa langue féline. Taurgil remettait juste l'attache de l'armure de Geralt dont la blessure se refermait peu à peu, malgré quelques petits saignements et une gêne certaine mais surmontable. Mordin, de son côté, comprit l'avertissement de son amie et il se laissa tomber à terre, sur Isilmë qui en profita pour essayer de rouler sur le côté et lui échapper. Le Grimburgoth félicita le nain pour sa manœuvre, car c'était bien lui qu'il visait, tout en lui disant que cela ne le sauverait pas. Et il tira.

5 - Les forces de la nature
La flèche plongea vers la tête du nain, mais dans sa course le bois de la flèche se tordit et la trajectoire du projectile s'infléchit. Autrement dit, la flèche tordue dévia d'un côté et manqua largement le nain au lieu de lui être fatale. Dans le même moment, une lumière argentée aussi intense que celle du soleil de midi se diffusa brusquement du tronc de tous les arbres alentours. L'obscurité qui drapait le Grimburgoth disparut instantanément, tandis que la branche sur laquelle il se tenait s'esquivait sous lui et qu'il tombait de quelques mètres sur le sol, sans mal aucun : après un roulé-boulé il se releva immédiatement, pour constater que son arc au bois noir et couvert de runes était tordu et bien incapable d'envoyer une quelconque flèche. Face à la silhouette qui venait d'apparaître non loin de lui, une douzaine de pas devant les aventuriers les plus proches, il tira son épée.

Le magicien brun, car c'était bien lui, avait fait plus que bien réussir son entrée. Avec la lumière qui baignait la scène, les pouvoirs du Grimburgoth s'étaient envolés d'un coup. La végétation autour des aventuriers reprit un aspect normal, la voix de l'homme parut plus humaine, et ses serviteurs furent jetés dans une grande confusion : là où les végétaux s'étaient éloignés d'eux, ils devenaient plus mobiles que jamais et tentaient de les agripper et de les faire tomber. Les rôdeurs noirs, perchés eux aussi, devaient s'accrocher au tronc des arbres où ils avaient grimpé pour ne pas tomber, les branches refusant de rester immobiles sous leurs bottes ou leurs gants. Les uruks avaient toutes les peines du monde à bouger tellement lianes et ronces les enveloppaient. Les wargs s'en tiraient un peu mieux, même s'ils étaient fortement ralentis, de même que les trolls qui arrachaient les végétaux pour pouvoir avancer sans trop de difficulté. Vers l'arrière, les sorciers présents étaient en grande partie immobilisés et la végétation leur masquait la vue, les empêchant de trouver des cibles pour leurs sorts.

Et ce n'était pas tout : même s'ils ne le percevaient pas tous encore, Vif vit des colonies de fourmis grimper sur les jambes des ennemis et commencer à s'infiltrer dans leurs vêtements. En plus de lutter contre la végétation, les uruks et sorciers allaient bientôt pousser des cris de plus en plus aigus au fur et à mesure qu'ils commenceraient à sentir les mandibules et l'acide formique leur ronger les chairs. En plus du Grimburgoth qui s'attaquait à Radagast, les principales menaces restaient les dix trolls présents : six d'entre eux arrivaient sur les aventuriers - trois de chaque côté - tandis que les quatre les plus en face avançaient vers le magicien brun. Lequel demanda aux aventuriers de s'en occuper pour lui laisser les coudées franches afin de se concentrer sur le chef ennemi. Vêtu de vêtements bruns qui avaient l'air un peu sales et usés, il ne paraissait pas pouvoir peser lourd face au Grimburgoth, et l'épée qu'il tira était fidèle à son apparence : une épée qui avait l'air d'être faite d'un bois vieux et gris, comme fossilisé... Pourtant elle bloqua sans mal la lame d'acier de son adversaire.

Vif ne s'en faisait pas trop pour son ancien maître, en qui elle avait toute confiance, d'autant qu'elle l'avait déjà vu à l'œuvre, même s'il ne s'agissait pas de situations aussi extrêmes. Mais avant de partir l'aider, elle s'occupa d'un autre problème à sa portée : Isilmë avait réussi à se dégager du corps de Mordin et commençait à se relever, toujours sous l'emprise du chef des rôdeurs noirs du Nécromancien. Mais un bon coup de pattes - griffes rétractées - à l'arrière du crâne de l'elfe l'envoya instantanément dans les bras de Morphée avec une belle bosse en prime. Elle ne serait une gêne pour personne pour l'ensemble du combat. Puis la lionne se précipita vers le premier troll qui arrivait sur la gauche du magicien brun.

Ses amis prenaient qui son arc et une flèche, qui son épée, et se préparaient à combattre. Geralt, bien qu'affaibli et endolori, se dirigeait sur la droite pour faire face aux trois trolls de guerre qui venaient vers eux de ce côté-là. De l'autre côté, les trois autres trolls auraient à faire face à Taurgil et Mordin. Et Rob et Drilun allaient pouvoir arroser de leurs projectiles leurs ennemis. L'archer-magicien avait un moment caressé l'idée d'abattre le Grimburgoth lui-même pour aider Radagast, mais en fin de compte il se concentra sur les trolls : le magicien brun était dans sa ligne de tir, et le chef des ennemis semblait rapide et bien équipé, ce qui risquait de rendre ses tirs peu utiles. Il préférait faire confiance au maître de Vif pour gérer son duel, et ferait en sorte qu'il soit peu dérangé.

6 - Victoire
En temps normal, affronter autant d'ennemis aussi puissants, pour ne parler que des trolls de guerre et des wargs par exemple, aurait paru suicidaire. Mais ralentis comme ils l'étaient, cela paraissait tout à fait à la portée des aventuriers. Geralt, par exemple, en fit la brillante démonstration. Faisant face, seul, à trois trolls pour lui tout seul, il utilisa à chaque fois la même méthode, couronnée de succès. Jouant sur leur lenteur, il plongeait entre les jambes d'un monstre pour se relever dans son dos, l'épée prête. La pointe de son arme était alors glissée sous l'armure, dans le dos, sous l'omoplate gauche et jusqu'au cœur du monstre, qu'il arrivait juste à atteindre. Le troll mourrait alors et tombait au sol, parfois sur des wargs qui s'étaient trop rapprochés. Le maître-assassin essuyait parfois quelques attaques d'armes ou de crocs, mais ses adversaires étaient trop lents pour lui et son armure trop solide, et il ne reçut aucune blessure. Les trois trolls périrent sous ses coups.

Néanmoins, si les ennemis étaient ralentis, la végétation qui les gênait les protégeait aussi en partie, les rendant un peu plus difficiles à tuer. Cela ne ralentit que peu Vif, qui utilisa sa tactique habituelle que Geralt venait de reprendre en partie. La lionne plongeait entre les jambes d'un monstre, puis elle sautait d'un bond puissant jusqu'à sa nuque. Elle eut un peu plus de mal avec toute la végétation, si bien que les deux trolls à la gauche de Radagast ne moururent pas instantanément, elle dut s'y reprendre à deux fois avant qu'ils ne restent immobiles au sol : l'un d'eux avec la tête complètement déchiquetée, l'autre mortellement blessé au cou mais également éventré par ses griffes puissantes.

Du côté de Taurgil et Mordin, le combat fut un peu plus rude. Le Dúnadan ne risquait pas grand-chose avec la lenteur des trolls gênés par la végétation et sa cotte de mailles de mithril. En revanche, il avait beaucoup plus de mal à entamer la chair des monstres, déjà naturellement résistante, mais également protégée par une armure et la végétation qui s'agrippait à eux. Lui aussi, après un début de combat peu fructueux, employa la tactique chère à la lionne et à l'Eriadorien aux cheveux blancs. Bien que plus grand et moins rapide, il était aussi un acrobate assez correct et il arriva à contourner l'olog face à lui pour arriver dans son dos, où il put plus facilement lui porter une blessure grave, suivie par d'autres.

Mordin, de son côté, faisait le même constat : s'il connaissait bien les points faibles des trolls et savait où taper, les armures tant naturelle, qu'artificielle et végétale autour des monstres rendaient ses coups peu probants, ne faisant que des petites blessures au départ. Il eut même la mauvaise surprise de recevoir un coup d'épée, heureusement fortement ralenti par la végétation, et qui ne lui laissa qu'une blessure légère. Il lui fallut lui aussi apprendre l'esquive, mais il profita également des flèches de ses amis pour reprendre le dessus et arriver à faire de véritables blessures. Entre Taurgil, Mordin et les archers, les trois trolls sur leur gauche passèrent enfin de vie à trépas.

Au début du combat entre Radagast et le Grimburgoth, l'un des trolls à la droite du magicien brun put tenter de lui porter un coup mais il fut évité sans mal. Par la suite, les deux trolls sur sa droite furent criblés de flèches et au minimum empêchés de nuire au magicien. L'un de ces trolls, qui était passé dans son dos, reçut tellement de flèches du hobbit qu'il avait fini par se retourner pour faire face à ce moucheron. Rob, le moral toujours anéanti par les récentes expériences, trouvait dans la mort du troll une obsession et il ne faisait rien pour se protéger, se contentant de rester à quelques pas pour tirer ses flèches au mieux. Elles ne faisaient pas grand mal au début, mais avec l'aide de ses amis il arriva aussi à abattre le monstre. Et Drilun n'eut pas trop de difficulté à abattre le sien, à la droite de Radagast, et à continuer à flécher çà et là pour se protéger et aider ses amis.

Le Grimburgoth, face au magicien brun, n'était pas de taille, malgré son équipement. Il arrivait bien à porter quelques coups, mais cela ne semblait pas incommoder outre mesure Radagast, dont le corps semblait bien plus résistant que les apparences ne laissaient supposer. Et son équipement, tout modeste qu'il paraissait, semblait bien plus endurant et résistant que les armures les plus solides. Son épée taillait dans l'armure de son adversaire et le blessait, faisant couler son sang rouge jusqu'au sol. Au bout d'un moment, le Grimburgoth mit un genou à terre, et il ne put jamais se relever : Radagast fit sauter sa tête d'un coup d'épée bien placée, et elle roula au sol. Ailleurs, les derniers serviteurs de leur ennemi succombaient dans de grandes souffrances face aux myriades d'insectes, et ils furent achevés lorsque c'était possible. Les insectes commencèrent alors à profiter de cette abondante nourriture : l'endroit serait sans doute bientôt marqué par d'énormes fourmilières, et il faudrait sans doute des semaines pour que les chairs soient toutes nettoyées.

7 - Décision, cadeaux et repos
Quelques dizaines d'elfes, menés par Legolas, arrivèrent vers la fin et aidèrent à achever les mourants et à les fouiller, tandis que Radagast s'occupait du corps du Grimburgoth. Le groupe était encore vivant, les estomacs, les esprits et les cœurs remontèrent un peu plus haut que les chaussettes pour certains. Ainsi, Rob reprit goût à la vie et son corps se remit à trembler avec l'espoir nouvellement retrouvé. De son côté, Vif paraissait en pleine forme, même pas fatiguée ou si peu et avec un moral à peu près normal, mais c'était bien la seule. Globalement, l'équipe était sur les rotules. Geralt était passé à deux doigts de la mort, et si le baume orc et les soins magiques de Taurgil et Isilmë l'avaient à peu près remis sur pied, le reste de sa blessure mettrait des jours à guérir. D'ailleurs, à la réflexion, certains se dirent que peut-être que le Grimburgoth aurait pu le tuer mais s'était débrouillé pour qu'il puisse vivre afin d'avoir une recrue de choix...

Mais en tout cas, Bronwyn n'était plus là et il fallait la retrouver. Ce fut le principal sujet de l'entretien avec le magicien brun. Lui, de son côté, avait rempli ses objectifs : le Grimburgoth était mort et il avait récupéré à son doigt un anneau qui était sûrement la source d'une partie importante de son pouvoir. Face à la demande des aventuriers, Radagast précisa que les ennemis avaient sans doute plusieurs heures d'avance et qu'ils devaient progresser vers le sud sur la route des orcs (Men Uruk), sentier qui traversait la forêt du nord au sud jusqu'à Dol Guldur, leur probable destination. Si le groupe voulait partir à leur poursuite, il allait pénétrer dans le cœur le plus noir de la forêt, où même certains arbres étaient les alliés des forces ténébreuses. En particulier autour de Nan Lanc, la "Vallée Nue", qui entourait la forteresse de Dol Guldur. Radagast était allé partout dans la forêt, mais il n'avait jamais pu pénétrer dans cette vallée.

Devant la résolution de Vif et ses amis, le magicien n'insista pas. En fait, il leur dit que Gandalf avait prévu qu'il pourrait en être ainsi et qu'il lui avait demandé de préparer diverses choses pour les aider dans leur périlleuse mission. Mais déjà, ils purent récupérer divers matériel pris sur le corps de leurs ennemis : poisons divers et surtout baumes orcs, essentiellement. L'arc du Grimburgoth fut rapidement remis en état et offert aux aventuriers : son bois noir était couvert de runes magiques de douleur et sa magie était puissante, mais le magicien ne percevait pas d'aura trop noire et corruptrice, l'objet lui semblait utilisable. Il leur remit également trois clés qu'il avait trouvées sur le chef ennemi. En revanche, son armure faite d'une peau très fine et très résistante avait été bien trop endommagée pour pouvoir encore servir à quiconque.

Radagast passa ensuite à ses cadeaux à lui : en premier venaient sept dons-de-vipère, ces petits organes capables de guérison miraculeuse, et que le magicien avait encore améliorés pour que la guérison soit plus rapide. Suivait également une gourde d'eau qui se remplissait toute seule en moins d'une heure, et dont l'eau donnait un sommeil plus profond et récupérateur, même si ce n'était pas une drogue. Enfin, Radagast avait aussi préparé... un nid de guêpes. Il expliqua que la magie de cet objet ne pouvait servir qu'une seule fois et qu'elle ne durait qu'une minute. Mais dans ce laps de temps, tous les ennemis dans un rayon d'une trentaine de mètres du nid seraient attaqués par des nuées de guêpes fantomatiques qui les feraient paniquer ou au moins qui les aveugleraient, sans aucunement gêner les aventuriers ou leurs alliés.

Enfin, le magicien déclara qu'il pouvait préparer des flèches afin de rendre inertes les arbres animés au cœur noir qui peuplaient le sud de la forêt. En quelques minutes, il pouvait transformer une flèche normale en une flèche magique qui ne servirait qu'une seule fois et d'autant plus longtemps qu'elle arriverait près du cœur de l'arbre. Après débat, les aventuriers décidèrent de dormir trois heures environ. Avec l'aide de la gourde qui doublerait leur repos, ils seraient physiquement en pleine forme tandis que Radagast pourrait préparer deux carquois de flèches spéciales. Pour chacune, il lui fallait retirer la pointe métallique, ce qu'il arrivait à faire sans mal aucun, puis il devait se concentrer un certain temps pour insuffler la magie dans chacun des projectiles.

Mais avant cela, Taurgil demanda au magicien, ainsi qu'aux elfes, s'ils n'avaient pas d'athelas pour sa magie à lui. Il avait épuisé toute sa réserve et en avait bien besoin pour soigner les dernières blessures. Il ne pouvait rien pour celle de Geralt, qu'il avait déjà bien traitée, mais Mordin et Isilmë apprécieraient un dernier soin. Et cela servirait certainement par la suite. Personne n'en avait sur lui, mais Radagast s'éclipsa un bref moment et en ramena quelques feuilles. Cela, plus des sommeils magiques jetés par Isilmë ainsi qu'un autre elfe qui maîtrisait la magie des soins, et tous plongèrent bientôt sans une inconscience profonde et réparatrice.

8 - La poursuite commence
Le jour pointait lorsque les aventuriers se réveillèrent - ou furent réveillés, pour certains comme Geralt ou Rob. Enfin, quand on parle de jour, il fallait vraiment chercher le bout de son nez, bien petit : il faisait sombre comme dans la Forêt Sombre, d'autant qu'il devait pleuvoir au-dessus des arbres, au vu des quelques (rares) gouttes qui arrivaient à traverser la canopée pour tomber au sol. Autrement dit, la lumière éclairait autant que celle d'une nuit sans lune à découvert. Radagast achevait de préparer les dernières flèches enchantées pour endormir les arbres éveillés. Les elfes étaient restés aux alentours, à monter la garde, et s'apprêtaient à repartir bientôt. Comme ils l'avaient annoncé avant le sommeil des aventuriers, ils n'iraient pas prêter main-forte à ces derniers en poursuivant les ravisseurs de Bronwyn.

Ces derniers avaient plusieurs heures d'avance, d'après ce que leur dit le magicien brun en leur remettant les flèches enchantées par ses soins. Il ne pouvait en dire plus, car ses propres messagers étaient attaqués - par des crebain ou grosses chauves-souris le plus souvent - s'ils s'approchaient trop. La distance d'ici à Dol Guldur était de soixante-dix à quatre-vingt miles (~ 110 à 130 km) et il fallait bien deux jours pour y arriver, même à allure soutenue. Radagast ajouta qu'il ferait en sorte que la végétation ne les gêne pas trop sur le chemin vers la route des orcs, après quoi ils n'auraient plus besoin de son aide. Peut-être les suivrait-il de loin voire même de près, cela dépendait d'une autre mission qu'il avait à accomplir, mais il valait mieux qu'ils ne comptent pas sur lui. Avant qu'ils ne se séparent, il leur recommanda de ne jamais se séparer les uns des autres, les dangers de la forêt pouvant être mortels pour des individus isolés.

Le groupe partit au pas de course, ce qui pour le félin n'était guère plus que son allure de marche normale. Mais les premiers problèmes apparurent bientôt : même avec l'aide de la magie de Radagast, certains membres de l'équipe n'étaient pas à leur aise pour une telle course en forêt. Drilun fut le premier à prendre du retard, si bien que Vif finit par l'attendre pour lui permettre de monter sur son dos. Après ce fut le tour de Geralt : il était toujours blessé et son endurance était très limitée, particulièrement en forêt où il y avait plus d'efforts à faire. Lui aussi finit par rejoindre l'archer dunéen sur le dos de la lionne, qui portait déjà plus que son propre poids mais sans trop sourciller. De son côté, Rob tint bon, mais une heure plus tard, au moment où Vif déclara qu'ils étaient sur la Men Uruk, la "route des orcs", il était complètement épuisé. Un sort d'Isilmë lui redonna de la vigueur, mais elle ne pourrait pas le refaire sur lui avant une journée.

La route des orcs était un simple sentier étroit qui filait entre les arbres. Pour les moins perceptifs du groupe, ils auraient pu le traverser sans s'en rendre compte, et il valait mieux que quelqu'un ne les guide pour qu'ils ne s'en écartent pas par hasard. Pour les plus perceptifs, en revanche, il était facile à suivre : non qu'il fût bien marqué au niveau du sol, mais il était relativement libre de végétation. De plus, de fréquents signes ou marques témoignaient de nombreux passages récents. Vif examina les traces qu'elle estima être vieilles d'une demi-douzaine d'heures. Ce qui fut ensuite confirmé par Drilun à l'aide d'un sort de voyance, qui lui donna le moment du passage et une vision de la troupe qu'ils poursuivaient : une centaine de wargs menés par le loup-garou Caran Carach ; plus d'une centaine d'uruks dont quatre d'entre eux portaient une cage étroite dans laquelle une personne aux cheveux blonds était bien ficelée - cage identique à celle, vide, qu'ils avaient trouvés dans les parages du combat avec le Grimburgoth ; dix trolls de guerre menés par un onzième plus grand et mieux équipé ; et une quinzaine d'humains - sans doute cinq rôdeurs noirs et dix sorciers - menés par un homme qui semblait être le chef de l'expédition, et lui-même un important sorcier.

Après discussion, le groupe décida de marcher d'un bon pas mais de ne pas courir. Sans cela, ils ne pourraient pas tous rester ensemble et certains seraient épuisés au moment de passer aux choses sérieuses. Dans un premier temps, donc, l'allure serait celle de la marche rapide, les chants magiques d'Isilmë permettant aux plus fragiles physiquement, comme Geralt, de ne pas ressentir la fatigue. Le groupe avança donc à la queue-leu-leu, la lionne enchantée en premier. Le début du cheminement ne posa aucun problème, même si rien ne laissait penser que l'écart entre poursuivants et poursuivis s'amenuisait. Et brusquement, Vif s'arrêta : après utilisation d'un sort ou d'un tour d'oreille magique préparé par Drilun pour la comprendre, elle expliqua que le sentier avait subi quelque chose, juste à côté d'un gros arbre mort qui penchait vers le sentier. Elle flairait un piège, mais elle ne pouvait voir de quoi il pouvait s'agir.

9 - Men Uruk - première journée
S'agissait-il d'un mécanisme quelconque pour les tuer ou au moins les blesser ? Des crebain allaient et venaient régulièrement au-dessus de leurs têtes, donc les poursuivis devaient se douter que la rencontre avec le Grimburgoth s'était mal passée pour ce dernier. Ils avaient dû préparer quelque chose... mais quoi ? En fin de compte, le hobbit fut envoyé en avant : c'était le meilleur d'entre eux pour la préparation des pièges, et il était très perceptif, y compris pour tout ce qui était magique. Et effectivement, à quelques mètres, il vit que de nombreux signes courraient sur le sol et jusqu'au tronc de l'arbre mort, mais en grande partie masqués car ils n'étaient pas du côté où le groupe arrivait. Et il sentait une magie nette sur les signes, sur l'arbre, et tout autour. Il imaginait très bien l'arbre lui tomber dessus ou lui exploser à la figure, et vu sa taille il n'était pas sûr de pouvoir s'écarter à temps...

Après son retour, le groupe discuta de la suite à donner et préféra faire un détour, même si cela faisait perdre une dizaine de minutes à travers les épais fourrés qui bordaient le sentier. Peut-être la magie était-elle inoffensive et juste là pour leur faire craindre le pire et leur faire perdre du temps, mais ils ne pouvaient prendre trop de risques. Et le temps perdu était minime. Une fois le petit détour accompli, le sentier fut repris, et il ne se passa rien d'autre pendant un moment. Puis la lionne s'arrêta à nouveau, tendant l'oreille et percevant des choses que seule son ouïe féline pouvait entendre. A un demi-mile environ, elle percevait la présence de wargs - autour d'une cinquantaine - et d'orcs en moins grand nombre. Drilun apporta quelques précisions grâce à une écoute magique du sol : autour de quarante wargs, dont la moitié plus lourds sur le sol, donc probablement montés. Pas de loup-garou a priori. Sans doute pas une grosse menace.

Un plan d'action fut arrêté, et le groupe repartit plus ou moins discrètement. Ils n'essaieraient pas de contourner cette nouvelle menace, car les sens des wargs pouvaient les trahir à une distance assez grande et ils ne pouvaient se permettre de faire un trop grand détour, ni de les avoir dans leur dos ou pour le retour. Arrivée à deux ou trois portées de flèche des ennemis, la lionne prévint que les wargs les avaient perçus, sans doute grâce à leur odorat. Elle grimpa dans un arbre un peu en avant, Rob dans un autre sur un côté, et les cinq autres aventuriers se mirent tous dos au même arbre, en cercle, et ils préparèrent tous leurs armes. Ils n'eurent pas longtemps à attendre : si les wargs avaient commencé à venir vers eux discrètement, cela ne dura pas : les premiers, sentant l'odeur de la lionne de plus en plus distinctement, ne purent résister à la haine qu'elle leur inspirait et ils coururent en hurlant vers elle, bientôt suivis par toute la troupe.

Une dizaine d'entre eux - non montés - restèrent au pied de l'arbre où la lionne avait grimpé, tandis que Rob décochait ses premières flèches. Puis les autres arrivèrent, y compris quelques wargs montés dont les orcs maniaient l'arc, et le combat commença. Mais il ne dura pas longtemps : la lionne se laissait tomber de son arbre sur un warg, l'écrasant au passage, avant de remonter d'un bond... et de recommencer. Sans perdre plus que quelques poils dans les vaines tentatives que ses ennemis faisaient pour la blesser. Le hobbit essuya un ou deux tirs d'archer, mais il était meilleur que l'orc qui le visait, et ce dernier le découvrit bien vite. Mordin ayant fait peur aux wargs en leur criant après, ils attendirent d'être presque tous là avant de mener leur attaque. Leurs pertes furent si rapides et si sévères qu'ils se rendirent vite compte - mais un peu tard - qu'ils n'avaient aucune chance, et seuls une dizaine de wargs et quelques orcs purent prendre la fuite. Les aventuriers n'avaient subi aucune blessure, juste un peu transpiré pour certains.

A nouveau le chemin du sud fut repris, plusieurs heures durant, en essayant parfois d'accélérer l'allure afin de se rapprocher de ceux qu'ils poursuivaient. Mais Geralt, toujours blessé, les ralentissait, et d'autres n'avaient pas l'endurance du nain ou les facilités de la lionne. Lorsque la lumière baissa, dénotant la tombée de la nuit, l'avancée sans lumière fut de plus en plus difficile, les humains et le hobbit en particulier n'y voyant goutte. Il fut décidé de faire une pause pour se reposer. Mordin, Rob et Taurgil firent un abri un peu à l'écart, abri qui les protégerait d'éventuelles mauvaises surprises nocturnes plus qu'il ne les abriterait de la pluie.

Ils discutèrent un moment de la durée de leur repos et d'éventuels tours de garde. Toute l'équipe sauf Isilmë commença à dormir, avec l'aide de l'eau de la gourde de Radagast et parfois un sommeil magique pour les plus démoralisés. Pendant trois heures l'elfe veilla, entendant divers bruits nocturnes et en particulier de probables araignées géantes qui passèrent non loin. Mais ils ne furent pas inquiétés et elle put à son tour se reposer, accompagnée par les plus grands dormeurs de l'équipe comme Geralt, Rob et Vif. Après une heure et demie de sommeil l'elfe était en pleine forme, grâce à la magie de l'eau de la gourde, et tous furent bientôt prêts. La poursuite sur la Men Uruk allait pouvoir reprendre, nocturne à présent.
Modifié en dernier par Niemal le 30 août 2015, 20:10, modifié 1 fois.
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Horselords - 32e partie : double marathon (1/2)

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1 - Course nocturne
La Forêt Sombre étant ce qu'elle est, il fallait une source de lumière ou une amélioration de la vision nocturne pour beaucoup pour pouvoir avancer. En effet, pour le nain, le hobbit et les humains, leur aveuglement était à peu près total. Une lanterne fut allumée, Taurgil ayant conservé quelques flacons d'huile. Le groupe repartit en avant à petites foulées, pour autant que les racines nombreuses, le chemin tortueux entre les troncs et les branches des arbres ou buissons le permettaient. Vif portait Geralt, toujours blessé, mais refusa de prendre Rob sur son dos : il était en pleine forme et il serait bien assez temps pour elle de l'aider quand il en aurait réellement besoin. Il obtint tout de même de faire porter une partie de son lourd équipement (pour lui) afin de se fatiguer moins vite.

Après un peu plus d'une heure, l'équipe fit halte à un endroit où les ravisseurs de Bronwyn semblaient avoir fait une courte pause. Les traces paraissaient vieilles de quelques heures aux sens de la lionne, et Drilun, à l'aide de sa magie, eut une vision des êtres qui s'étaient arrêtés là. Il pensa reconnaître ceux qu'ils poursuivaient : une cinquantaine de wargs menés par le loup-garou Caran Carach, une centaine d'uruks, une douzaine de trolls de guerre et une quinzaine d'humains. En revanche, ils étaient hors de portée d'une de ses écoutes magiques du sol, écoutes qui portaient à une heure de course tranquille au plus. Ils repartirent bientôt en courant.

Au fur et à mesure que la nuit passait, la course en forêt devenait de plus en plus pénible pour certains. Si Taurgil ou Mordin avalaient le sentier sans trop y faire attention malgré leur équipement volumineux, Rob et ses courtes pattes, et sa constitution plus frêle, n'étaient pas taillés pour un pareil marathon. Et il ne fut pas le seul à peiner, même s'il fut le premier : Isilmë était une guerrière avant tout, la course de fond n'était pas son fort, elle qui était plutôt habituée à une marche elfique rapide. Et ils ne furent pas les seuls à souffrir. Dans un premier temps, un regain d'énergie leur fut fourni grâce aux soins magiques du Dúnadan ou de l'elfe, ou encore grâce au Miruvor, le cordial d'Imladris remis par les magiciens par l'intermédiaire de Rillit l'écureuil. Mais cela ne pourrait durer éternellement.

Néanmoins, l'écart entre poursuivants et poursuivis semblait se combler, au vu des traces au sol et dans la végétation alentour. Ce qui motiva les aventuriers pour continuer à courir malgré les difficultés, même si sur la fin les charges changèrent : tandis que Geralt descendait de son dos, Vif prit de nouvelles personnes sur elle tandis que leur équipement était réparti entre les plus costauds et endurants. Le maître-assassin, malgré sa blessure non complètement guérie et son état de fatigue, prit sur sa force de caractère pour avancer malgré son état. Il était loin le fragile assassin de Tharbad, et même râleur comme il était, sa réserve interne était loin d'être négligeable, surtout quand elle était stimulée par du Miruvor.

Et puis la lionne finit par ralentir et indiqua à ses amis, par l'intermédiaire d'un des tours d'oreille de Drilun qui permettaient de la comprendre, que l'ennemi n'était pas loin. Elle percevait en effet à faible distance, sur le chemin, une troupe arrêtée composée d'une centaine de wargs peut-être, de quelques dizaines d'uruks et de quelques trolls. Cela fut confirmé par une écoute magique du Dunéen, mais du monde manquait à l'appel par rapport à sa précédente vision magique. En fait, en limite de ses perceptions magiques, il sentait qu'un autre groupe, un peu plus petit, continuait à descendre vers le sud. Et sans doute avec Bronwyn, même s'il n'avait pas moyen d'en être sûr. De plus, il sentait des présences contre le sol mais sans pouvoir déterminer précisément ce quoi il s'agissait : peut-être des gens allongés, endormis... ou en embuscade ? Et en dehors des wargs et de cinq trolls, il ne percevait que quatre bipèdes de taille normale, comme deux gardes situés de chaque côté du camp, tandis que les wargs étaient étalés un peu tout autour.

2 - Gros chat en maraude
Un petit débat eut lieu pour confronter points de vue et options possibles. Manifestement, il fallait poursuivre ceux qui continuaient vers le sud et Dol Guldur, Bronwyn était certainement avec eux. Valait-il mieux faire un détour pour éviter ce camp et probable piège, le traverser à toute allure, ou éliminer tous ses occupants pour ne plus avoir de mauvaise surprise dans le dos ? Le premier choix fut repoussé : avec l'odorat des wargs, il faudrait faire un détour trop grand qui pouvait prendre des heures dans la végétation épaisse de la forêt, en pleine nuit. Et traverser à toute allure semblait difficile, les wargs étaient plus rapides. Par ailleurs, s'il y avait quelques rôdeurs noirs ou sorciers embusqués, les risques de blessure ou envoûtements n'étaient pas nuls.

En fin de compte, un plan intermédiaire fut décidé : Vif s'approcha nonchalamment du camp, tandis que ses amis suivaient un peu plus loin derrière, après avoir éteint la lanterne et pris du trèfle de lune pour mieux voir dans l'obscurité. Bientôt, la lionne entendit le grondement des wargs enfler : ils avaient senti son odeur, comme prévu. S'ils n'étaient pas tenus par un sorcier ou loup-garou - et ce dernier ne semblait pas présent - elle allait bientôt faire un magnifique appât. Ce qui ne manqua pas : après un moment, le grondement des gros loups enfla et devint un concert de hurlements, tandis qu'ils s'élançaient tous dans la direction de cet ennemi félin. Les amis de la Femme des Bois crurent un moment que les wargs arrivaient sur eux, mais quand ils s'arrêtèrent au pied de l'arbre dans lequel elle avait grimpé, ils comprirent que le plan fonctionnait.

La lionne joua les écureuils et sauta d'arbre en arbre au niveau des frondaisons, emmenant les gros loups avec elle, incapables de l'atteindre. Elle arriva bientôt à la limite du camp, où elle découvrit qu'elle n'était pas seule... dans les arbres : en effet, de nombreux uruks y étaient perchés, cachés, matériel d'archerie prêt à servir. Mais ils ne s'attendaient pas à voir arriver un ennemi par la voie des airs, et bientôt ils tombèrent comme des fruits mûrs avec des cris facilement interprétés par les autres aventuriers. Les archers ennemis comprirent bientôt que le plancher des vaches était plus sûr pour eux, d'autant que leurs flèches semblaient n'avoir aucun effet sur la lionne, quand bien même ils arrivaient à la voir avant qu'elle ne les attaquât.

Tout en progressant, Vif poussait des rugissements à l'attention de ses amis pour les prévenir de ce qu'elle observait et déduisait. Elle devinait ainsi que les corps allongés sentis par son ami archer-magicien étaient ceux d'uruks qui faisaient semblant de dormir et que le ramdam avait poussé à se relever. Elle vit également des trolls venir à elle et tenter de la bombarder avec des projectiles de bonne taille, ce qui la poussa à chercher refuge plus en hauteur. Puis elle redescendit discrètement, non loin d'un troll qu'elle arriva à surprendre malgré les wargs qui continuaient à hurler dans sa direction, alertés par son odeur. Elle se laissa tomber sur le troll, toutes griffes dehors, d'une hauteur d'une dizaine de mètres. Entre son inertie et ses griffes, le troll ne put que pousser un hurlement devant la dissection dont il fut l'objet, avant de tomber et de trépasser. Les wargs se jetèrent sur Vif mais malgré de rares morsures sans conséquence, elle remonta sans mal dans l'arbre. Puis elle chercha à renouveler son opération.

Tout en jouant au chat et à la souris avec ses ennemis, elle aperçut au milieu du camp une cage recouverte d'une bâche, cage tout à fait assez grande pour contenir quelqu'un de la taille de Bronwyn. Elle prévint alors ses amis par un de ses rugissements, puis elle repartit en quête d'autres trolls. Un deuxième passa de vie à trépas, puis un troisième, et elle écopa d'une petite blessure par la grâce d'un warg plus doué ou chanceux que les autres. Mais bientôt, elle repéra, caché derrière un arbre, un archer vêtu de noir qui la visait soigneusement. Devinant là un rôdeur noir, elle esquiva son trait probablement empoisonné, se cacha dans les frondaisons tout en prévenant ses amis de la présence de tels ennemis, puis elle redescendit pour le surprendre comme pour les trolls. Mais aidé par les gros loups, il la repéra une seconde fois et elle dut esquiver une seconde flèche avant de retourner se cacher. Mais il ne perdait rien pour attendre.

3 - Un chef uruk peu patient
Ailleurs, pendant ce temps, les amis de Vif s'approchaient du camp, un peu à l'écart du chemin que traçait la féline Femme des Bois. Drilun avait masqué magiquement leurs odeurs pour que les loups ne les repèrent pas, et à présent ils tâchaient de se faire discrets. Malgré l'agitation causée par Vif, certains uruks restaient alertes et observaient les environs. Malheureusement pour eux, l'équipe voyait aussi bien dans le noir qu'eux par nature (Isilmë) ou grâce au trèfle de lune qui les rendait nyctalopes. Et les uruks étaient bien moins perceptifs que des gens comme Geralt ou Rob. Quatre uruks qui se tenaient aux aguets furent donc repérés par les aventuriers sans que l'inverse fût vrai.

Après concertation, les archers - Drilun et Rob - s'avancèrent assez pour pouvoir repérer au moins une cible et bien la fixer, tandis que les autres approchaient des gardes restants en catimini, les plus discrets en premier. Arcs et lames chantèrent, et les uruks périrent sans avoir le temps de pousser de grands cris, ou trop peu pour que d'autres puissent les entendre dans le concert de hurlements des wargs et de cris des victimes de la lionne. Geralt s'était occupé d'un probable chef, au vu de son meilleur équipement, et il eut une idée : il dépouilla le grand uruk, à peu près de la même taille que lui, et enfila les affaires qu'il pouvait afin de se faire passer pour lui, aidé par la magie de Drilun qui lui donna les traits de la créature. Il venait d'entendre sa féline amie parler d'une cage, et il décida d'aller y jeter un œil ainsi, à découvert, tandis que le reste de l'équipe continuerait son avancée en catimini.

Il avança donc au sein du camp, sur le sentier, vers le centre où il pensait distinguer la cage. Quelques uruks vinrent lui parler dans leur langue, mais il avait déjà par le passé endossé le rôle d'un chef orc d'emprunt. Même s'il ne comprenait pas suffisamment leur langue, il savait comme réagir : brutalement. Entre ses poings et ses hurlements à lui, les uruks comprirent bien vite qu'il valait mieux passer à l'écart de ce chef-là tant il paraissait menaçant et passablement peu patient. Ainsi, plus vraiment inquiété, il commença à s'approcher de ce qui était bien une cage bâchée placée en plein milieu du chemin, bien visible. C'est alors qu'un des rugissements de la lionne parla de rôdeurs noirs dans la troupe.

Heureusement, il avait activé son tour d'oreille magique qui lui permettait de comprendre les paroles de Vif. Prudent, il scruta discrètement les environs et découvrit qu'à une dizaine de mètres de là, caché dans des buissons, un humain vêtu de noir, qui ressemblait furieusement à d'autres rôdeurs noirs qu'il avait déjà rencontrés, surveillait la cage et ses environs. Il passa devant de manière nonchalante et finit bientôt par sortir du champ de vision du rôdeur. Puis il se faufila dans le dos de l'homme, discrètement, jusqu'à pouvoir le toucher. Le rôdeur sentit une main se plaquer sur sa bouche avant d'être égorgé, et bientôt il resta caché dans son buisson, en tas et sans vie. Puis le maître-assassin revint tranquillement vers la cage dont il souleva un coin de la bâche.

Elle était bien occupée, mais par un cadavre d'uruk. Toute l'affaire était donc bien un leurre et l'autre groupe emmenait sûrement Bronwyn loin d'eux à l'heure actuelle. Tandis qu'il entendait la lionne qui continuait à régler leur compte aux trolls et autres ennemis, au milieu de hurlements et grognements de loups, il poursuivit vers le sud du camp, repoussant d'éventuels uruks par son attitude menaçante. Jusqu'à un endroit où, curieusement, des sentinelles manquaient ou semblaient inconscientes, pour ne pas dire plus. Un endroit où cinq silhouettes le dévisageaient, arme à la main, bien cachées mais pas assez pour ses sens exercés. Avant de recevoir une flèche ou un coup d'épée mal placé, il fit un geste en direction de Taurgil, qui semblait hésiter. Ce dernier eut un petit rire et les six amis furent bientôt réunis. Ils avaient réussi à passer.

Derrière eux, Vif avait réussi à tuer les cinq trolls qu'elle avait pu repérer ainsi que deux rôdeurs noirs, sans subir d'autre blessure. Il ne restait que des uruks, moins ceux qu'elle avait liquidés, et la plupart des wargs. Elle finit par sauter à terre, tuant au passage un ou deux gros loups, et fila à toute allure en forêt, poursuivie par la meute de wargs. Ils étaient peut-être très endurants mais son corps magique n'avait pas grand-chose à leur envier, et elle était plus rapide et adroite en forêt. Elle les emmena loin de ses amis, et après une course-poursuite infructueuse les canidés enchantés finirent par abandonner. Ses amis ne risquaient plus rien à présent. Il lui fallut un moment pour retrouver le sentier, qu'elle suivit vers le sud pour les rattraper.

4 - Caprice de soin
Alors que le jour était à présent levé, la lionne retrouva le reste du groupe : ils avaient bien avancé sur le sentier mais sans courir, car plusieurs d'entre eux n'étaient plus vraiment en état de le faire : trop fatigués même après des soins et la prise de cordial d'Imladris, ils se seraient dangereusement affaiblis en courant. Et cela ne servait à rien de rattraper des ennemis puissants si c'était pour les affronter dans un état de grande faiblesse. D'après les traces et les sorts de Drilun, les poursuivis, probablement tenus constamment au courant de la position des poursuivants grâce à leurs espions ailés, s'étaient mis à courir et l'écart entre les deux groupes se creusait.

Les deux groupes étaient d'ailleurs peut-être devenus trois : en effet, lorsqu'elle rejoignit ses amis, la Femme des Bois sentit grâce à ses sens félins un groupe de wargs et de d'uruks à quelques portées de flèche, dans la direction qu'ils suivaient, vers le sud. Manifestement, les gens de Dol Guldur avaient laissé derrière eux encore quelques personnes pour les ralentir. Une écoute magique de l'archer-magicien lui laissa entrevoir un groupe d'une quarantaine de wargs, dont la moitié montés, plus une douzaine de bipèdes normaux. Pas de trolls, pas de loup-garou selon ses sens magiques. Le groupe était d'avis de foncer sans s'arrêter : les ennemis n'étaient que broutille, ils les exploseraient en un rien de temps.

Mais Vif n'avait pas envie d'exploser quiconque tant qu'elle n'avait pas reçu un peu d'attention et de soins. Elle avait subi une morsure sans gravité mais tout de même douloureuse, et elle espérait bien en être rapidement débarrassée. Isilmë proposa de faire disparaître la blessure à l'aide de baume orc dont le groupe avait des doses en abondance. Mais la Femme des Bois refusa tout net l'application de cette substance douloureuse et qui laissait de méchantes cicatrices : elle désirait un soin magique des mains de Taurgil, seul capable d'éliminer immédiatement ce genre de blessure avec ses mains de descendant de roi dúnadan, pas moins. Oui, mais pour cela il fallait faire chauffer de l'eau et faire une infusion d'athelas dans de l'eau frémissante, et cela prendrait trop de temps d'après le rôdeur : leurs ennemis ne les attendraient pas.

Son amie n'en démordait pas, et plusieurs minutes furent perdues à essayer de faire changer d'avis l'un ou l'autre, ou de proposer d'autres solutions comme faire chauffer magiquement de l'eau avec l'aide de Drilun pour accélérer l'infusion. Mais rien n'était totalement satisfaisant pour personne, et le groupe se chamailla encore un moment avant d'arriver à une décision : le Dúnadan ferait son infusion d'athelas et soignerait la féline Femme des Bois pendant que le reste du groupe avancerait et réglerait son compte aux assaillants qui les attendaient. A cinq ils étaient bien assez forts pour les tailler en pièces. Le groupe laissa donc Taurgil et Vif en arrière et se rapprocha du lieu de l'embuscade.

Ils arrivèrent bientôt en vue de l'endroit où les attendaient les forces ennemies. Elles étaient divisées en deux groupes à peu près équivalents, abrités autour et derrière deux gros arbres distants d'une dizaine de mètres de chaque côté du sentier. Des uruks étaient présents - autour d'une dizaine peut-être - flèche encochée, tandis qu'une vingtaine de wargs montés patientaient, tenus par leurs cavaliers orcs, et qu'une vingtaine d'autres gros loups se tenaient également prêts à bondir, impatients. Mais les orcs, grands et petits, ne semblaient pas si impatients que cela. Les cinq amis avancèrent sans crainte, s'approchant à une trentaine de mètres des groupes ennemis, quand quelque chose titilla le hobbit sans qu'il arrivât à déterminer ce qui clochait. En tout cas, son instinct lui disait que quelque chose n'allait pas.

5 - Envoûtement sylvestre
Et il avait raison, comme ses amis et lui le découvrirent très vite. Isilmë et Geralt changèrent bientôt complètement d'attitude : d'une avancée prudente à l'abri derrière leur bouclier, ils se mirent à bâiller en abaissant armes et protection, titubant à moitié vers le pied d'un des deux gros arbres où les troupes ennemies étaient massées. Ils ne ressentaient plus qu'une grande fatigue et l'envie irrésistible de s'allonger au pied d'un des deux arbres, sur l'aguichant et moelleux tapis de mousse ensoleillé qu'ils percevaient. Envolés les ennemis, et les amis aussi d'ailleurs : ils étaient seuls dans la forêt et ne ressentaient plus aucun autre besoin que celui de s'allonger là-bas au plus vite et de fermer les yeux... pour toujours ?

Rob, Mordin et Drilun retinrent leurs amis, leur parlèrent et les secouèrent pour les faire sortir de leur torpeur. Tandis que les cordes des arcs se tendaient chez les ennemis, l'elfe et Eriadorien aux cheveux blancs se retournèrent, agacés de ne pouvoir avancer. Par un effort de volonté, néanmoins, leur raison commença à reprendre le dessus et ils revinrent tous deux à la réalité. Ils découvrirent avec stupéfaction qu'ils étaient à une trentaine de pas des orcs, dos à leurs flèches, tandis que les wargs n'attendaient qu'un ordre pour foncer en avant. Ordre que donna justement un uruk à ce moment-là. Une dizaine de cordes d'arc vibrèrent et des hurlements d'orcs et de loups résonnèrent dans le sous-bois.

Mais la guerrière et le maître-assassin avaient recouvré leur lucidité juste à temps, et, très rapides, ils plongèrent dans la végétation qui bordait le chemin avant d'entendre le bruit des arcs et flèches. Hobbit, nain et Dunéen s'étaient préparés à cela et avaient fait de même. Toutes les flèches ratèrent leur objectif, avec l'aide des armures de qualité qu'ils portaient parfois. Lorsque les assaillants arrivèrent, les cinq amis étaient en cercle, prêts à faire face à la vingtaine de fauves dont la moitié étaient montés. Curieusement, cela ne représentait qu'une moitié des ennemis, sans même prendre en compte les archers uruks. Les autres restaient à l'abri des deux gros arbres, attendant Eru savait quoi. D'un autre côté, ils auraient eu du mal à s'approcher : les aventuriers étaient au centre d'un cercle d'ennemis, à cinq contre trente, et cela ne laissait pas vraiment de place à d'autres combattants.

Si pour certains des héros cela ne posait aucun problème, il en était tout autrement pour Rob : une fois sa flèche décochée et un ennemi mortellement blessé, il se retrouva en pleine mêlée face à un loup plus gros et lourd que lui. Il fut un moment tenté de tourner le dos et de commencer à grimper à un arbre, mais un éclair de raison lui fit comprendre que le warg ne ferait alors plus qu'une bouchée de lui. Il sortit donc son épée et donna des moulinets avec pour se défendre, arrivant ainsi à repousser les assauts du monstre. Grâce aussi à l'armure de peau très spéciale qui avait été taillée pour lui à partir des cuirs que portaient des sorciers qu'ils avaient rencontrés, cuirs encore renforcés par des runes magiques de Drilun.

Le reste du combat se passa normalement, à savoir que les ennemis tombaient assez vite, malgré quelques morsures sans gravité. Un rugissement annonça l'arrivée de la lionne, portant le Dúnadan sur son dos, et les uruks hurlèrent aux orcs montés (ou tombés à terre par la mort de leur monture) de revenir sous les arbres. Ce qui stimula Rob, toujours aux prises avec son warg, et le poussa à tenter de porter un coup. Sans succès, mais le gros canidé profita de l'ouverture pour planter ses crocs dans la jambe du petit voleur, heureusement protégée par un cuir magique. En fin de compte le hobbit resta sur la défensive et il laissa la lionne le priver de son adversaire d'un coup de patte nonchalant. A chacun sa spécialité, et celle de Rob n'était pas le combat rapproché.

Plusieurs comme Geralt commençaient à avancer sur les ennemis regroupés, écopant de quelques flèches sans effet aucun, mais la lionne leur rappela qu'il fallait se méfier des arbres enchantés de la forêt : ne voyaient-ils pas que les branches des deux arbres bougeaient alors qu'il n'y avait aucun vent ? Drilun prit une flèche spéciale enchantée par Radagast, et il l'envoya dans le tronc de l'arbre de droite, où elle se ficha profondément. Aussitôt, l'arbre s'immobilisa, alors qu'une grosse branche s'apprêtait à redescendre sur les aventuriers avec force. Les autres ennemis furent vite mis en déroute, du moins ceux qui quittaient l'abri de l'autre arbre éveillé ou qui s'exposaient aux flèches des archers. Le groupe d'aventuriers fut bientôt passé, laissant les deux arbres maléfiques derrière eux.

7 - Loups et lionne, forêt et araignées
Aidés par la lionne qui portait de plus en plus de monde, les aventuriers reprirent un rythme de course sur le sentier. Au bout d'un moment ils ne furent plus que quatre à courir : Geralt, toujours blessé et qui ne tenait plus que par la force de sa volonté ; Mordin et Taurgil, bien chargés avec une partie de l'équipement de leurs amis, et qui suaient à grosses gouttes ; et la lionne qui portait Rob, Isilmë et Drilun sur son dos musclé. En fait l'archer-magicien alternait avec le maître-assassin sur le dos de la féline Femme des Bois. Et tout ce beau monde n'arrivait à continuer à courir que grâce à la magie des soins, qui les soulageait d'une partie de leur fatigue, et du Miruvor, le cordial d'Imladris, qui affermissait leur corps et leur volonté.

Mais malgré cela, la distance ne diminuait pas entre poursuivants et poursuivis : pour les wargs et Caran Carach, l'allure n'était rien d'autre qu'une marche rapide, et les trolls de guerre, même gênés par la végétation et leur masse imposante, avaient tout de même une certaine allonge et une très robuste constitution. Ils devaient probablement aider les humains en les portant à tour de rôle, car les traces humaines se faisaient plus rares, et pour une créature de plus d'une tonne, un humain de deux cents livres ne représentait pratiquement rien. Sans doute étaient-ils fatigués à force, mais le fait était que l'écart restait le même et que les aventuriers ne pouvaient accélérer. La poursuite était un échec.

Il restait tout de même un espoir : ralentir wargs et autres afin que le groupe puisse les rattraper sans cracher leurs poumons. Ils avaient déjà laissé derrière eux une partie de leur matériel afin de s'alléger et courir plus vite ou longtemps, mais l'un d'eux - et un seul - pouvait aller bien plus vite. Un plan fut établi, et après débat, le hobbit fut choisi, pour son faible poids notamment, afin d'accompagner la lionne. Une corde fut enroulée autour du corps félin de Vif, à laquelle le hobbit fut attaché, et il ne garda que ses vêtements, son armure... et des graines de ronciers magiques remises par Radagast. Sans oublier une noix d'écureuil pour son amie. La Femme des Bois, sous sa forme enchantée, ne pouvait combattre seule Caran Carach, les trolls et autres sorciers ou rôdeurs noirs. Mais elle pensait bien pouvoir aller plus vite qu'eux en forêt, et elle était loin d'avoir épuisé toute son énergie à transporter ses amis.

Tandis que le reste de l'équipe progressait en marchant, la lionne bondit en avant. Après un moment, quand elle commença à percevoir les ennemis à quelques portées de flèche, elle quitta le chemin et se mit à zigzaguer entre les arbres pour pouvoir les dépasser. Tout en réalisant que de nouveaux acteurs étaient en train d'entrer en scène : peut-être alertés par les crebain qui les surveillaient régulièrement, les ennemis avaient dû appeler à eux des araignées géantes qui prospéraient non loin. Ces dernières étaient disposées en ligne, formant une barrière qu'elles confectionnaient avec leur toile et dont elles se servaient pour guetter les proies à venir. Quand Vif arriva à quelques dizaines de mètres de la barrière, elle vit qu'elle n'était pas parfaite mais parsemée de nombreux trous qu'elle pourrait franchir. Mais ces trous étaient gardés par des araignées géantes prêtes à tomber sur d'éventuels ennemis.

La lionne enchantée continua à courir en zigzag, esquivant les chutes des araignées, frôlant leurs fils collants et s'arrachant à eux, vers un des trous de la barrière. Rob s'accrochait aux cordes, allongé sur le dos de Vif, pour offrir le moins de prise à la végétation ou aux pattes des araignées. S'il n'avait pas été attaché, il aurait volé en l'air de multiples fois. Enfin, le félin traversa la barrière d'un bond : elle était passée, le hobbit toujours attaché à elle... mais avec un poids en plus : une araignée avait réussi à s'accrocher au dos de la lionne, ou plutôt au hobbit qui s'y trouvait, lui causant une certaine douleur. Qu'à cela ne tienne : Vif continua à foncer en avant mais en traversant fourrés et taillis, en frôlant les troncs et les branches basses, en sautant et en changeant de direction sans arrêt. Et le poids supplémentaire finit brusquement par disparaître lorsqu'il percuta une grosse branche... qui laissa aussi un beau bleu au petit voleur, en plus des traces des pinces de l'araignée !

Et ce n'était que le début de leur mission : Vif percevait maintenant qu'elle était au même niveau que ceux qu'elle poursuivait, mais Caran Carach et ses wargs l'avaient perçue également, et ils se mirent en chasse. La suite du plan fut mise en œuvre : sur une demande de la lionne, Rob se pencha plus en avant et lui mit dans la bouche la noix d'écureuil qu'il avait emportée. Stimulée par cette graine spéciale qui décuplait sa rapidité, plus rapide que les wargs, elle garda sur eux une avance de quelques foulées de félin magique et commença à revenir en direction du sentier, qu'elle percevait approximativement grâce au bruit que faisaient les trolls de guerre. A son signal, le hobbit commença à laisser tomber des graines magiques de chaque côté de Vif, de manière à peu près uniforme malgré sa position et le parcours non rectiligne de la lionne. Tandis que les ronciers magiques poussaient derrière eux, ils traversèrent le sentier et commencèrent à remonter vers le nord et vers leurs amis, le loup-garou et ses wargs toujours non loin derrière eux. Les ronces feraient un mur presque infranchissable ou du moins qui ralentirait trolls et humains, de quoi peut-être pouvoir les rattraper. La mission était accomplie ! Restait tout de même encore à échapper au loup-garou et retrouver leurs amis.

8 - Barrières
La lionne et le petit voleur fonçaient à présent plein nord, à peu près parallèlement au sentier des orcs, la Men Uruk, poursuivis par une cinquantaine de wargs menés par le loup-garou Caran Carach. Au bruit, ils passèrent le groupe de trolls et d'hommes qui filaient sur le sentier, vers Dol Guldur, et s'approchèrent à nouveau de la barrière de toile formée par les araignées géantes, et présente aussi de cet autre côté du sentier. Là encore, la barrière n'était pas parfaite, il serait peut-être possible de passer sans ralentir, même si cela paraissait plus difficile : les araignées avaient eu un peu plus de temps pour tisser leur toile. Elles ne s'attendaient pas à ce que quelqu'un essayât de passer du sud au nord, et les éviter serait sans doute facile. D'un autre côté, les hurlements des wargs avaient largement de quoi les alerter. De toute manière, Vif et son compagnon n'avaient pas le choix : il fallait passer d'un coup, sans ralentir, sinon Caran Carach serait sur eux en quelques secondes, avec tous ses wargs.

Et donc la lionne fonça en avant, en zigzaguant tout d'abord, puis droit sur une ouverture qu'elle estimait assez large pour pouvoir passer. Le hobbit, secoué comme un panier à salade, était complètement oublié, accroché qu'il était aux cordes qui le maintenaient à son amie. Entre l'envie de vomir suite aux changements brusques de direction, et les images qui lui venaient à l'esprit à entendre le loup-garou non loin derrière et l'imaginer arriver jusqu'à lui, il ne tenait pas vraiment à ouvrir la bouche. La féline Femme des Bois mit toute son énergie et plongea dans l'ouverture de toile arachnéenne, rompant quelques gros fils au passage. Ils étaient passés !

Un coup d'œil en arrière lui procura une grande joie quand elle vit le loup-garou et les wargs empêtrés dans la toile - elle était la meilleure ! Mais elle prit conscience qu'une araignée avait encore une fois réussi à s'agripper au hobbit au passage et elle se tenait encore fermement à lui, le pinçant douloureusement à travers son cuir enchanté. A nouveau, une séance de rodéo eut lieu qui laissa l'araignée géante en arrière, empêtrée dans un épais buisson que la lionne et son petit cavalier avaient traversé d'un bond. Rob n'avait même pas été blessé par l'arrachage de cette deuxième araignée, et il appréciait grandement de ne plus avoir les sales pattes de l'arachnide sur lui. Et d'être loin du loup-garou, qui ne chercha pas à les poursuivre : ils avaient trop d'avance et ils seraient bientôt parmi leurs amis.

Ces derniers furent en effet retrouvés assez vite, une fois sur le sentier des orcs. Des nouvelles furent données qui réchauffèrent le cœur des aventuriers : ils avaient une chance de rattraper les ravisseurs de Bronwyn à présent, et ils reprirent leur rythme de course sylvestre. Ils approchèrent de la barrière formée par les araignées géantes, mais curieusement, aucune ne s'y trouvait. Les perceptions de Vif et une écoute magique de Drilun eurent vite fait de découvrir le pot-aux-roses : Bronwyn et ses ravisseurs avaient franchi le mur de ronces magiques, ils étaient bien plus loin. Et les araignées semblaient s'être déplacées au niveau de cette autre barrière, bien plus difficile à franchir que leur toile. Sans doute, se dit le Dunéen, avaient-elles fait un pont de toile pour les aider à franchir l'obstacle, qu'elles gardaient à présent.

Le groupe traversa sans grand mal le mur de toile au niveau du sentier, écartant ou coupant les toiles qui entravaient le passage. Puis il continua à avancer jusqu'à arriver à portée de vue et d'ouïe des araignées. Elles étaient bien présentes au niveau du mur de ronces, qu'elles gardaient à présent. Une centaine d'araignées géantes pour leur bloquer le passage... de quoi leur faire perdre encore du temps et en donner assez aux trolls pour atteindre Dol Guldur. Comment faire pour passer au plus vite ? Essayer de contourner le mur de ronces leur prendrait beaucoup de temps, et les araignées, plus à l'aise qu'eux en forêt, les suivraient et les attaqueraient de toute manière. Autant combattre ici, au niveau du sentier, et trouver comment franchir le roncier magique.
Modifié en dernier par Niemal le 31 août 2015, 09:36, modifié 2 fois.
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Horselords - 32e partie : double marathon (2/2)

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9 - Feux magiques
Vu leur état d'épuisement, un combat contre les araignées était quelque chose de risqué : les créatures pouvaient facilement les noyer sous le nombre et leur tomber dessus de haut, même si individuellement elles étaient quantité négligeable pour les combattants qu'ils étaient. Pire encore, comme certains l'avaient expérimenté, leur poison pouvait les paralyser et les mettre hors de combat pour des heures, ce qu'ils ne pouvaient se permettre : ils étaient déjà trop fatigués pour se permettre d'avoir un ou des poids morts à transporter, et personne ne souhaitait laisser derrière lui un ami comateux sans plusieurs personnes pour le surveiller...

Mais l'endroit que gardait les araignées était dense et plein de matériau inflammable, végétation relativement sèche, même si elle était encore verte - rien qu'un feu assez intense ne pourrait faire brûler. Drilun appela alors à lui un vent nordique fort qui se mit en place progressivement. Puis il provoqua magiquement des départs d'incendie, attisant magiquement leur flamme pour la rendre plus intense et capable de brûler même les végétaux vivants et plein de sève. Petit à petit, l'incendie gagna en intensité, attisé également par le vent, et il se propagea vers le sud, causant une grande confusion parmi les arachnides qui étaient démunis contre cette agression.

Bientôt l'équipe avança, bien que lentement, derrière une barrière de flammes qui nettoyait tout le sous-bois et montait jusqu'à la cime des arbres, brûlant tout sur son passage, y compris les araignées qui n'avaient pas eu la présence d'esprit de déguerpir assez vite. La progression était lente car le sol restait brûlant et il fallait se protéger des braises qui pouvaient tomber des arbres encore en flammes. Ils utilisèrent pour cela deux bâches qui leur servaient pour faire des abris et se dissimuler en forêt, bâches qui finirent en dentelle à force de se couvrir d'escarbilles brûlantes. Mais au moins l'air restait-il respirable, grâce au vent fort qui poussait les flammes et fumées vers le sud, apportant avec lui un air respirable bienvenu.

Après une heure, le groupe était parvenu au mur de ronces, qui résistait bien aux flammes et devant lequel ils patientèrent un moment. Ce qui leur laissa le loisir de comprendre comment les trolls étaient passés. Ils virent en effet que le mur de ronces avait été détruit au niveau du sentier, permettant le passage de créatures aussi massives que les trolls. Les araignées n'avaient donc pas fait de pont par-dessus la barrière épineuse, mais par contre elles avaient rempli la brèche avec leur toile après le passage de Bronwyn et ses poursuivants, toile qui brûlait à présent et révélait le passage. Également, les plus perceptifs remarquèrent que cette brèche semblait avoir été ouverte par un feu extrêmement intense. Drilun se dit qu'un sorcier - voire plusieurs - avait dû faire preuve d'une magie dont il avait entendu parler et dont lui-même était encore incapable ; et d'ailleurs Taurgil avait pensé sentir une magie puissante à un moment passé. Cela le laissa songeur quant à la suite de leurs aventures...

Quand la barrière de ronces fut franchie, l'archer-magicien arrêta d'attiser les flammes et le vent, de manière à ce que l'incendie ne s'étendît pas plus et qu'ils pussent vite le franchir. La végétation épaisse et verte étouffa progressivement les flammes qui moururent peu à peu, et après un moment le groupe fut au sud de la progression ultime du front de flammes. Ils retrouvèrent la route des orcs, la Men Uruk, et les traces du passage de ceux qu'ils poursuivaient. Mais ils n'avaient nullement gagné sur eux, et ils étaient même hors de l'écoute magique de l'archer-magicien. La Femme des Bois, qui connaissait quelque peu le sud de la forêt, estimait qu'ils étaient peut-être à une vingtaine de miles (une trentaine de km) de Nan Lanc, la "Vallée Nue" où demeurait le Nécromancien, dans sa colline de Dol Guldur. Ils avaient une ou deux heures de retard sur ceux qu'ils poursuivaient, et ils ne voyaient plus comment le combler. Échec sur toute la ligne.

10 - Embuscade inattendue
Mais il fallait avancer malgré tout et ne pas désespérer. Deux heures furent encore consacrées à la course, amenant l'équipe à la limite de ses capacités, même pour les plus endurants comme Vif (qui portait trois personnes), Taurgil ou Mordin. La Femme des Bois estimait qu'en pratiquement deux jours et une nuit, ils avaient parcouru une soixantaine de miles (près de 100 km) sur un terrain assez ingrat, et en prenant seulement le minimum de repos ; sans parler des combats et du reste... Ils firent une pause pour souffler et Drilun en profita pour tenter une écoute magique. Et ce qu'il perçut le surprit, sans pouvoir dire s'il fallait s'en réjouir ou non.

Tout d'abord, il percevait bien un mouvement proche, à la limite de ses perceptions magiques, ce qui était une bonne chose : leurs cibles n'avaient pas accru leur avance, c'était même plutôt le contraire. De plus, les sons qu'il percevait n'allaient pas vers le sud et la probable forteresse de Dol Guldur, mais bien plus vers l'est à présent. Enfin, il n'entendait rien d'autre que de nombreux wargs - dont un plus gros, probablement Caran Carach - mais accompagnés d'une quinzaine de trolls cette fois. Et aucun bruit de pas d'humains ou d'uruks. Les ravisseurs de Bronwyn avaient reçu du renfort mais changé de direction. Pour quel objectif, dans quel but ? Impossible à savoir en l'état. Et la disparition des quelques signes d'humains normaux laissait à penser : Bronwyn était-elle toujours parmi eux ? Quid des sorciers et en particulier de celui qui avait ouvert une brèche grâce à un feu magique ? Étaient-ils tous portés par les trolls ou partis ailleurs ?

Ils dormirent tous un bref moment, hormis Geralt qui veillait au grain, d'un sommeil renforcé par l'eau de la gourde magique de Radagast. Une fois Isilmë reposée, tous furent réveillés et ils repartirent, après avoir confectionné une sorte de hamac de cordes contre le ventre de la lionne, hamac dans lequel le maître-assassin se faufila et s'endormit derechef. Le groupe reprit sa progression, jusqu'au moment où Vif fit signe d'arrêter : ils arrivaient à présent sur une zone couverte de nombreuses traces. Les wargs avaient remué la terre et cassé la végétation un peu partout sur une vaste zone, masquant toute empreinte ou signe de passage. En particulier autour de onze corps humains qui gisaient en plein milieu du sentier : onze personnes criblées de flèches et qui faisaient fort penser à des sorciers, au vu de leur équipement. L'un d'eux paraissait leur chef, avec des signes extérieurs distinctifs d'une grande autorité, même si ces signes avaient été récemment bien malmenés. Tous avaient été fouillés et dépouillés de ce qu'ils pouvaient avoir de précieux. En particulier, le chef avait une bourse à herbe vide dans laquelle Vif sentit traîner, grâce à ses sens félins, une odeur de noix d'écureuil...

Les flèches ressemblaient à des projectiles elfiques, ce qui ravit le cœur de certains, mais de nombreux détails ne collaient pas. Les soigneurs pouvaient voir d'autres blessures tranchantes ou écrasantes qui ne faisaient pas elfiques du tout. Une vision magique de Drilun permit de découvrir ce qui s'était réellement passé. Le groupe de wargs, de trolls et de sorciers - une bonne partie portés par les précédents - avait fait la rencontre inopinée de nouveaux trolls. Les sorciers, manifestement surpris et fatigués, avaient été tous attaqués et massacrés en quelques secondes, tandis que Caran Carach et ses wargs restaient à l'écart, surveillant les environs. Les sorciers avaient enfin été dépouillés, puis percés de flèches qu'un troll avait amenées. Les trolls étaient ensuite partis essentiellement vers l'est, tandis que les wargs s'occupaient à nettoyer le sol de toute trace du rapide combat qui s'était déroulé.

Les magiciens avaient prévenu que les guerriers et sorciers de Dol Guldur avaient des objectifs différents et même opposés, d'après des conversations qu'ils avaient surprises. Manifestement, les trolls avaient agi contre les intérêts des sorciers et enlevé Bronwyn pour une autre destination que celle initialement prévue. Restait que les aventuriers avaient toujours autour de deux heures de retard et qu'il fallait continuer la poursuite. Leur cible comportait une dizaine de sorciers de moins mais une dizaine de trolls de guerre en plus, et il ne fallait pas oublier Caran Carach. Avec lassitude, le groupe reprit sa route, mené par Vif qui arrivait péniblement à suivre les traces des trolls en raison du travail des wargs. Mais les aventuriers ne firent pas cinquante pas que certains d'entre eux se figèrent brusquement sur place.

11 - Vieilles connaissances
A vrai dire, Rob, Mordin et Isilmë ne comprirent pas immédiatement ce qui avait pris leurs compagnons, qui s'étaient arrêtés en fixant un point dans les basses branches d'un arbre, comme s'ils y voyaient une menace ou un quelconque ennemi. Le premier réflexe de Drilun fut même d'encocher une flèche, mais il ne la décocha pas. De manière un peu irréelle, la lionne entama une conversation, parfois partagée par le Dunéen et le Dúnadan, à l'attention d'un personnage invisible et inaudible qu'aucun des trois autres membres du groupe ne percevait. Quant à l'Eriadorien, il continuait à ronfler dans son hamac... mais qui savait ce dont il rêvait ? Il faut dire que ce qu'ils voyaient et entendaient, comme ils le devinèrent tous assez vite, ne se passait que dans leur tête : ils percevaient un lynx blanc perché dans un arbre, image mentale d'un individu bien connu... ou plutôt de deux individus, un petit bout de femme et un esprit des temps anciens qui la possédait : Tina/Tevildo.

Le seigneur des chats leur était en effet apparu, eux qui avaient subi par le passé son influence et sa magie, si bien qu'il gardait un lien mental avec eux et qu'il pouvait se manifester autrement que dans leurs rêves. Tevildo n'y alla pas par quatre chemins : il s'était grandement amusé à suivre les efforts de leur petite troupe et avait apprécié de voir leurs capacités poussées jusqu'au bout, mais maintenant les vacances étaient terminées, et il le leur dit. Il fallait faire demi-tour, car leur poursuite était finie et elle se soldait par un échec. Aller plus loin était un suicide assuré, ne fût-ce que par la seule présence de Vif et la magie qu'elle portait : elle ne pourrait entrer dans Nan Lanc et encore moins Dol Guldur sans alerter le Nécromancien et ses sbires. Et ses compagnons, si puissants fussent-ils, n'avaient aucune chance. Point final.

Mais Vif s'entêtait et parlait de promesse, à quoi il lui fut répondu qu'elle n'avait pas voix au chapitre : Tevildo pouvait faire en sorte qu'elle soit incapable de faire un pas de plus, et il le ferait si elle était incapable de se montrer raisonnable. La Femme des Bois commençait à sentir une pression sur son esprit, preuve que son "sire" ne plaisantait pas, mais dans le même temps elle perçut autre chose : comme un bruissement de feuilles qui progressait vers elle, alors qu'il n'y avait aucun vent. Inquiète au départ, elle sentit près d'elle comme une certaine familiarité, et elle se calma bientôt, tout en continuant à répondre du tac au tac à Tevildo d'une manière enjouée et féline. Si bien que l'esprit ancien commençait à gronder et à se faire de plus en plus menaçant... jusqu'au moment où une silhouette apparut brusquement au milieu du groupe, la main posée sur une épaule de la lionne. Une fois de plus, Radagast les avait surpris et il avait soigné son entrée.

La pression spirituelle que la Femme des Bois ressentait disparut instantanément, et le magicien brun confirma que lui présent, Vif garderait son plein arbitre. Manifestement, Tevildo et Radagast se connaissaient de longue date et ils échangèrent dans un parler que personne ne connaissait. A tout le moins, ce fut une bonne occasion pour expliquer aux trois qui ne percevaient rien la teneur des échanges passés. L'image mentale du lynx blanc montrait tous les signes d'une fureur croissante, mais aussi d'une impuissance et d'une grande frustration : le seigneur des chats, trop confiant, venait d'être mis en échec, et il n'appréciait pas du tout la chose. Il considérait Vif comme sa reine dans une partie d'échecs difficile à comprendre, et brusquement elle venait d'échapper à son emprise. Dire que cela lui restait en travers de la gorge était un doux euphémisme.

Admettant son échec, le lynx imaginaire s'adressa à la Femme des Bois, et à ses amis qui le percevaient, sur un ton furieux. Si les aventuriers étaient assez stupides pour cette mission suicide dans Nan Lanc voire au-delà, sous-entendu Dol Guldur, il allait faire la seule chose en son pouvoir qui pouvait éventuellement offrir une petite chance au groupe de ne pas se faire repérer : il allait ôter à Vif le chat en elle, comme c'était déjà arrivé une fois par le passé. Il ne pourrait plus rien pour elle ni pour ses compagnons d'ailleurs, car sa magie à lui serait bloquée hors de la vallée. Plus exactement, s'il utilisait sa magie pour les suivre, ils seraient tous automatiquement repérés. La Femme des Bois redeviendrait donc simple humaine et elle ne pourrait être réunie à son esprit félin qu'une fois hors de la Vallée Nue. Mais ainsi, sa magie en elle - absente - ne pourrait les trahir tous. Également, la magie de Vif n'était pas la seule à poser problème : certaines magies étaient prohibées dans la vallée car elles seraient immédiatement repérées. Seul Drilun pourrait éventuellement utiliser ses sortilèges, en les masquant le plus possible pour que sa "signature" inhabituelle ne soit pas trop facilement repérée.

Sur une note plus positive, l'esprit ajouta qu'il savait que les deux principaux collaborateurs du Nécromancien, le chef des armées et le chef des sorciers, étaient actuellement absents. Et le Grimburgoth, chef des armées par intérim, était mort, ce qui risquait de désorganiser un peu le pouvoir militaire. La force ne servant à rien face à celle de leurs ennemis, les aventuriers devraient se faire passer pour des gens de Dol Guldur et arriver à leurs fins par la ruse, ce qui ne serait possible qu'à condition de connaître les us et coutumes des habitants de la forteresse. Tevildo pouvait transférer dans l'esprit de la Femme des Bois les connaissances empruntées à l'esprit de Caran Carach par ses soins, et elle-même pourrait les transférer en tout ou partie à ses amis éventuellement. Mais avant cela ils avaient une tâche à accomplir : abattre Caran Carach. Ce dernier les attendait en effet non loin d'ici, et lui vivant le groupe ne pourrait jamais déjouer les défenses de Dol Guldur et tromper ses habitants. Et il faudrait l'abattre sans son aide à lui ni celle de Radagast, car s'ils n'en étaient pas capables, ils ne pourraient affronter ce qui les attendait plus loin.

12 - Conseils et préparatifs
Devant l'acquiescement passif de Vif et ses amis, Tevildo fut pris d'une grande colère et disparut brusquement. Le groupe se retrouva seul avec le magicien brun avec qui ils échangèrent sur ce qui venait de se passer. Radagast expliqua qu'il traquait le seigneur des chats, présent depuis un moment dans la forêt, mais qu'il avait joué ce petit tour sur les conseils de Gandalf, qui avait semble-t-il prévu que les événements pussent se dérouler un peu de cette manière. Aux magiciens, cette mission semblait aussi une folie, mais peut-être n'y avait-il que cela qui pouvait avoir une chance de réussir ? Le magicien gris paraissait voir une lueur d'espoir dans une pareille entreprise, et il se trompait rarement dans ses impressions. D'une certaine manière, c'était un rêveur très puissant...

Néanmoins, même si les aventuriers entraient dans la vallée et arrivaient à en sortir, ce qui serait une grande première, la tâche ne serait pas pour autant une partie de plaisir. Aucun animal ne vivait dans la Vallée Nue, hormis des créatures du Nécromancien comme les crebain le jour, les chauves-souris vampires la nuit, et les wargs et féroces ailés en toute période du jour ou de la nuit. Sans oublier les patrouilles d'orcs et autres. Le pourtour de la vallée était gardé par de nombreux arbres éveillés au cœur noir, dont certains très puissants - les Huorns - qui pouvaient se déplacer et attaquer. Caran Carach les attendait d'ailleurs à l'une des entrées possibles, aidé par certains de ces arbres et par des araignées géantes qui gardaient elles aussi l'entrée dans la vallée. Et une fois dans Nan Lanc, il ne fallait toucher à rien : l'eau était empoisonnée et toutes les plantes qui y poussaient étaient soient vénéneuses, soit épineuses et promptes à blesser voire tuer.

Le magicien recommanda de se déguiser en sorciers de Dol Guldur, qui étaient les êtres les plus craints de la forteresse, et en général tous humains. Pour cela, il serait judicieux d'utiliser les vêtements restants des sorciers abattus non loin par les trolls : les dépouilles pourraient sans doute fournir de quoi faire cinq ou six déguisements passables, même s'il serait sans doute judicieux d'en trouver en meilleur état. A ce sujet, Vif demanda à son ancien maître s'il avait la possibilité d'aller récupérer au moins une partie du matériel qu'ils avaient laissé derrière eux en forêt pour s'alléger et pouvoir avancer plus vite. En effet, la trousse de maquillage de Geralt s'y trouvait, et elle leur serait sans doute très utile. Le magicien acquiesça, il pourrait probablement s'en occuper tandis que le groupe se reposerait.

Car il faudrait bien cela pour avoir la force de continuer : ils étaient tous complètement épuisés, et Vif subissait également le contrecoup de la prise de noix d'écureuil, qui affaiblissait tout son organisme, volonté comprise. Néanmoins, pouvaient-ils se permettre d'attendre assez longtemps pour être complètement reposés ? Il semblait que oui, à l'aide de magie, de marchand de sable ou de la gourde d'eau magique remise par le magicien. En revanche, la Femme des Bois ne pourrait plus bénéficier de l'effet stimulant d'une autre noix avant de nombreuses heures, sans quoi le stimulant agirait comme un poison pour son corps. Et Caran Carach avait peut-être pris une telle noix pour lui...

Radagast prévint également que ses petits amis ailés lui avaient montré qu'avant l'embuscade qui avait entraîné la mort des sorciers, ces derniers avaient envoyé des messagers. Les ravisseurs de Bronwyn - les sorciers en tout cas - étaient donc attendus, et s'ils ne voyaient rien venir, les autres sorciers de Dol Guldur enverraient certainement une force de reconnaissance pour essayer de savoir où étaient passés les absents. Les cadavres furent donc dépouillés pour en récupérer ce qui pouvait l'être afin de faire des déguisements plus tard, puis le groupe quitta le lieu pour aller trouver un endroit où se reposer. Les aventuriers, après quelques sorts de soin ou préparations de somnifère, plongèrent bientôt dans un sommeil profond et récupérateur, veillés par Radagast ou la faune sylvestre qui acceptait de lui prêter main-forte.

13 - A la frontière de la Vallée Nue
Caran Carach et ses wargs n'avaient effacé les traces des trolls que sur un rayon d'une portée de flèche autour du lieu de l'embuscade. Au-delà, il serait assez facile de les suivre. Par ailleurs, Radagast semblait savoir où la piste conduisait, et certainement Tevildo aussi, puisqu'il avait parlé d'un comité d'accueil. Lorsque les aventuriers furent tous bien reposés, ils retrouvèrent près d'eux du matériel qu'ils avaient abandonné en forêt et que le magicien brun avait récupéré ils ne savaient comment. C'était sans doute à cela que l'on reconnaissait un magicien : il était capable de faire des choses manifestement impossibles pour le commun des mortels... voire des immortels.

Le repos avait eu le mérite, grâce aux herbes ou à la magie de Taurgil ou Isilmë, de bien les remettre d'aplomb. Même si le moral de certains souffrait encore d'inquiétude justifiée voire d'un défaitisme certain - Geralt ne répétait même plus qu'ils allaient tous mourir - leurs corps étaient guéris de toute fatigue voire des petites blessures accumulées. Le corps de Vif avait été purgé du contrecoup de la noix de l'écureuil, et ils se sentaient tous prêts pour le rude combat qui les attendait. Pas que cela les enthousiasmait vraiment, à l'exception probable de la Femme des Bois : elle avait passé des années à traquer le loup-garou qui avait tué dans son village. Au début il ne s'agissait pas de le combattre, mais pour la première fois elle s'en sentait vraiment capable.

En effet, même si Caran Carach était très costaud, depuis son sommeil récupérateur elle se sentait aussi forte que lui. Radagast y était certainement pour quelque chose : il lui avait comme insufflé une certaine énergie avant son sommeil, accélérant par là une évolution en cours et l'amenant à son terme. Même ses amis le percevaient : la lionne semblait plus forte, plus puissante encore, et ses griffes encore plus redoutables. Le loup-garou était plus expérimenté qu'elle au combat, tous l'admettaient ; mais les griffes de la lionne étaient plus redoutables que les crocs du loup-garou. Ils devaient être aussi rapides l'un que l'autre, mais Caran Carach disposait probablement d'une noix d'écureuil. C'était donc loin d'être gagné d'avance, d'autant que leur ennemi ne serait pas seul, et il était prudent et rusé. Sans compter sa magie à lui.

Progressivement, le bois se fit de plus en plus sombre, même pour la forêt du même nom. C'était la nuit, et sans la lumière de la lanterne les humains, nain ou hobbit auraient été complètement aveugles. Plus tard, pour le combat, ils feraient usage de trèfle de lune, mais ils seraient quand même désavantagés par rapport aux wargs et araignées qui disposaient d'autres sens pour les aider. Ces derniers étaient de plus en plus présents : les gros loups sous la forme de grognements sourds qui annonçaient qu'ils n'étaient plus loin, les arachnides par la densité de leurs fils qui contribuaient notablement à l'obscurité du sous-bois. Enfin, les aventuriers arrivèrent à une zone de peuplement très dense, comportant quelques arbres vénérables au tronc et aux racines imposantes. Les fils de toile faisaient un couvert presque continu en hauteur, dans les branches, couvert auquel étaient suspendues une centaine d'araignées. Radagast était resté en arrière peu auparavant en leur souhaitant bonne chance.

Les traces se faufilaient dans un étroit labyrinthe de troncs parsemé de fils d'araignées géantes. Elles passaient près d'un énorme tronc d'arbre derrière lequel une voix mielleuse et haïe se fit entendre. Caran Carach, car c'était bien de lui qu'il s'agissait, devait être sous forme demi-humaine, afin de pouvoir les accueillir avec toutes les suggestions ténébreuses que sa voix ensorcelée pouvait porter. Il annonça qu'il se désolait que les aventuriers n'aient pu rattraper Bronwyn à temps mais qu'il se délectait à l'avance des multiples manières qu'il utiliserait pour casser la volonté de la princesse nordique. Comme de la transformer en loup-garou et de lui faire plein de petits louveteaux, entre autres choses... Tout en le laissant parler, la Femme des Bois repérait les lieux et indiquait à Drilun les arbres enchantés qu'elle repérait, et notamment trois d'entre eux qui devaient pouvoir se déplacer - des Huorns. Puis, lassée d'entendre discourir sa Némésis, elle s'avança vers ses ennemis.

14 - Celui auquel on ne fait pas attention
C'était en fait une feinte de la féline Femme des Bois : en s'approchant d'un des Huorns, elle espérait le voir bouger pour perturber la toile des araignées et précipiter celles-ci à terre ou tout du moins les déstabiliser. Ce qui fonctionna à merveille : l'arbre animé bougea lorsque la lionne fut à sa portée, puis avança pour rester à sa portée tandis qu'elle esquivait ses branches en s'éloignant et en éventrant des araignées de ses coups de griffe encore plus puissants qu'auparavant. Drilun visa le tronc du monstre sylvestre avec une flèche enchantée par Radagast, et le Huorn sentit la flèche pénétrer en lui et le paralyser. Un deuxième Huorn accourut sur les lieux et subit le même sort, et les autres aventuriers avancèrent sous le couvert du premier arbre paralysé que les araignées géantes avaient déserté.

Un troisième arbre animé qui venait à leur rencontre fut paralysé par une flèche du Dunéen. Mais le groupe était bien mal en peine : adossés au tronc du premier Huorn paralysé, ils avaient fort à faire pour repousser le flot des araignées géantes qui convergeaient vers eux sur le sol et commençaient à reprendre possession des hauteurs malmenées par la charge des trois arbres animés. Les wargs n'étaient pas encore apparus, même si on les distinguait derrière quelques troncs. Ils étaient probablement en train de protéger leur maître qui restait sous sa forme demi-lupine pour préparer un sort, à moins qu'il ne fût en train de se transformer. Justement, une voix sépulcrale et chargée de magie noire assaillit Isilmë, lui promettant mille souffrances et notamment de voir celles que le loup-garou allait infliger à Drilun, qu'elle chérissait. Elle n'arriva à repousser le désespoir magique qu'à l'aide de sa propre magie des soins pour servir de rempart.

Vif grimpa dans les frondaisons du Huron paralysé qui les abritait. Dans les branches des arbres, elle faisait le ménage et avançait en direction de Caran Carach et de ses wargs, qui commençaient à avancer vers le lieu du combat, même si certains restaient probablement auprès de leur seigneur. De toute manière, le loup-garou était maître au sol, tandis qu'elle serait maîtresse des branches, les araignées ne pouvant pratiquement rien contre elle. Lorsqu'elle verrait son ennemi juré, elle serait là pour profiter d'une occasion qu'elle espérait bien que ses amis lui fourniraient. Aidé de Taurgil et de Mordin, Geralt lança un trio de choc en direction des wargs qui apparaissaient. Mais ils furent vite bloqués par leur nombre.

Si les araignées géantes succombaient assez rapidement, elles étaient nombreuses et la situation des aventuriers ne resterait pas tenable très longtemps. En particulier, restés seuls face à elles, Drilun, Isilmë et Rob n'en menaient pas large, notamment ce dernier, acculé au tronc de l'arbre et obligé de faire des moulinets avec sa petite épée pour se défendre. En fin de compte, il se glissa dans le dos de ses deux compagnons qui le protégèrent assez longtemps pour qu'il puisse grimper à l'arbre avant l'arrivée aérienne des premières araignées géantes. Il les fuit en sautant d'un arbre à l'autre à la manière de l'acrobate qu'il était, dans la direction qu'avait prise sa lionne amie, tandis que quelques araignées le suivaient sans mal, malgré une flèche ou deux pour leur montrer qu'il n'était pas sans défense. Côté wargs, le trio de choc arrivait à progresser un peu grâce à des intimidations, tandis que les gros loups s'apprêtaient à sauter les uns au-dessus des autres afin d'ensevelir les aventuriers sous leur nombre et leur poids, pour pouvoir plus facilement les blesser.

Plus loin, Vif avait trouvé Caran Carach entouré d'une dizaine de wargs. Il était complètement transformé en un grand loup immense, et il la regardait avec avidité, tout en se plaçant afin qu'elle ne puisse pas le surprendre en lui tombant dessus. Stimulé par la noix d'écureuil qu'il avait prise, il ne la craignait pas en face à face, mais il ne pouvait risquer de lui prêter le flanc. Il pouvait se permettre d'attendre : en plus du réveil d'un Huorn que les aventuriers durent à nouveau paralyser, il entendit les cris de Drilun et Isilmë qui se faisaient mordre chacun par une araignée. Même si l'elfe pouvait se soigner magiquement - ce qu'elle fit - son compagnon succomberait bientôt sous le venin d'araignée, et elle peu après. Les trois autres, qui se portèrent au secours de leur ami, ne pourraient résister à la force combinée des wargs et des araignées... Ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne restât plus que la lionne dans son arbre, que les Huorns finiraient par déloger de là une fois qu'ils seraient de nouveau actifs. Restait donc juste à patienter et à rester prudent pour ne pas lui fournir une ouverture...

Il y avait bien aussi le semi-homme dans son arbre non loin, mais il était en bout de branche, coincé par des araignées sur un côté et au-dessus de lui, qui s'apprêtaient à lui tomber dessus. Quelques secondes et ce serait fini pour lui. Mais les hobbits ont de la ressource, et Rob ne faisait pas exception : il ne pouvait flécher toutes les araignées qui lui arrivaient dessus, et donc il tourna sa flèche vers le loup-garou, tout en se laissant tranquillement tomber vers l'avant. Sa flèche blessa légèrement Caran Carach, offrant à Vif l'occasion qu'elle attendait. Déstabilisé par la flèche du hobbit, il ne put pas esquiver ou attaquer comme il aurait pu la masse de la lionne qui lui tombait dessus d'une hauteur de dix mètres. Elle mit toute son énergie dans son attaque, toute sa rage et toute la haine ancestrale de sa lignée pour celle de son ennemi. On pourrait dire de Caran Carach que sa tête explosa sous la violence du coup de griffe ou que son corps imposant s'enfonça dans le sol sous celui de la lionne et l'inertie qu'elle véhiculait. Mais en fin de compte, il suffit de dire qu'il mourut instantanément et que le rugissement de victoire de la féline Femme des Bois saisit de stupeur wargs et araignées.

15 - Dans la tête de Caran Carach
Dans sa chute, Rob arriva à se rattraper comme il put aux branches et surtout aux fils d'araignée proches, et à ralentir assez sa chute pour que sa rencontre du sol à plat dos se limitât pour lui à quelques bleus vite oubliés. Et il avait échappé aux araignées géantes, plus haut, qui voyaient le combat prendre une toute autre tournure. Les wargs fuyaient et les araignées géantes n'étaient plus si nombreuses que cela, et face à des ennemis redoutables, d'autant que Radagast venait d'apparaître et se dirigeait vers eux. Bientôt les arachnides prirent la fuite à leur tour. Geralt se précipita vers son ami dunéen que le venin d'araignée engourdissait de plus en plus, tout en fouillant ses affaires pour sortir un contrepoison. Mais le magicien brun fut plus rapide, qui donna à l'archer-magicien une fève à manger qui stoppa la propagation de la paralysie. Son engourdissement disparaîtrait avec le temps, progressivement.

Tina/Tevildo apparut peu après en pensée. Furieux mais résigné, il transféra dans l'esprit de Vif de nombreuses connaissances prises à Caran Carach, dont certaines très récentes. Pendant le combat, le prince des chats avait dû profiter une nouvelle fois de l'occupation du loup-garou pour pénétrer sans sa vilaine caboche, comme il l'avait fait autrefois chez Ardagor, dans l'Eriador. La Femme des Bois apprit ainsi de nombreuses choses sur Dol Guldur et ses habitants, leurs us et coutumes, leurs chefs, leur langue... Le geôlier en chef de Dol Guldur, car c'était la principale fonction de Caran Carach hormis lorsqu'il était envoyé en mission, connaissait très bien certains lieux de la forteresse. Parmi les nombreux souterrains qui la composaient, il maîtrisait parfaitement ceux qui permettaient d'entrer et de sortir de Dol Guldur par les boyaux menant aux tours et postes extérieurs, ainsi que les deux niveaux dédiés - entre autres - aux prisonniers et aux esclaves qu'il martyrisait.

Après quoi le prince des chats transféra ces connaissances dans l'esprit des amis de Vif qui le souhaitaient, à travers elle, afin qu'ils fussent familiers des lieux qu'ils allaient avoir à traverser. Ce transfert fut particulièrement efficace avec Taurgil et Drilun. Le premier avait de nombreux points communs avec la lionne enchantée, de nombreux centres d'intérêt pour la nature, la solitude - c'étaient d'ailleurs tous deux d'anciens timides - et leur vocation comme rôdeur, et les savoirs et savoir-faire qui allaient avec. Quant à Drilun, son esprit aiguisé et curieux arrivait à gérer ces informations nouvelles malgré les différences de caractère et d'esprit qui les séparaient : son intellect supérieur arrivait à absorber et intégrer tout cela mieux que les autres. Tous deux partagèrent l'intégralité des savoirs donnés par Tevildo. Pour Geralt, Isilmë et Rob, qui s'ouvrirent aussi à la magie du seigneur des chats, le transfert fut plus compliqué : trop de différences, moins grande ouverture d'esprit, moindre efficacité. Ils comprirent une bonne partie de ces nouveaux souvenirs et sauraient correctement parler la langue de Dol Guldur, le noirparler, ou naviguer dans ses sombres couloirs parsemés de pièges ; mais non sans accent, hésitations voire erreurs.

Mordin refusa de subir l'influence néfaste de Tevildo et en conséquence d'en savoir plus sur Dol Guldur et ses habitants, autrement que ce que ses compagnons lui en diraient. Il ne voulait pas d'un soi-disant prince des chats dans sa tête, en peinture ou ailleurs, et il se passerait de lui ! Cela handicaperait ses compagnons qui ne pourraient pas profiter de ses formidables talents relationnels, d'autant que les habitants de Dol Guldur fonctionnaient beaucoup sur des échanges fondés sur l'intimidation, le marchandage, le commandement et la tromperie, domaines où le nain était souvent expert. Ce qui laissa d'ailleurs ouvert le choix de son entrée dans Dol Guldur : fallait-il le déguiser en sorcier trapu - c'était un grand nain qui pouvait facilement passer pour un humain - qui resterait silencieux, ou comme prisonnier escorté vers les geôles ? Il restait d'ailleurs aussi à savoir comment maquiller Rob et Vif : le premier pouvait jouer à l'orc, mais les humains de la forteresse s'encombraient peu de telles créatures, particulièrement les sorciers : ils étaient au sommet de la rigide échelle sociale de la forteresse tandis que les orcs étaient à l'autre bout. Et quant à la Femme des Bois, elle ne pourrait cacher son statut de femme devant l'odorat des loups et des orcs probablement. Hormis les servantes prisonnières, les femmes existaient chez les sorciers ou les rôdeurs mais elles étaient rares...

Enfin, Tevildo fit virtuellement face à sa "fille" : tandis que son corps se transformait et reprenait forme humaine, elle sentit le chat en elle qui lui était arraché par la magie de son lointain géniteur enchanté. Toute sa magie lui fut retirée, ce qu'elle n'avait senti qu'une seule fois par le passé depuis aussi longtemps qu'elle se souvenait. Comme dernier cadeau, le prince des chats lui rappela qu'il l'attendrait en dehors de Nan Lanc et qu'il pourrait lui refaire don de cette magie féline sur laquelle elle avait appris à compter de plus en plus. Mais en la prévenant qu'elle lui serait à nouveau redevable d'un service... Puis la présence de l'esprit ancien disparut entièrement. Peu après qu'elle se fût habillée, Radagast vint à son tour lui parler, discrètement. Il lui révéla que les salles au trésor de Dol Guldur recélaient un autre objet important dont le Nécromancien n'avait aucun usage mais qui pourrait beaucoup servir aux peuples libres et à Vif et ses amis en particulier : une des nombreuses larmes de Yavanna que la Valie avait déposées dans le grand nord à la fin de la guerre contre Morgoth, et qui avaient de grands pouvoirs de protection et de purification. Et il lui fit une description de l'objet et transféra en elle une sensibilité particulière pour cet artefact.

Il restait à présent à se déguiser et à pénétrer dans la Vallée Nue, Nan Lanc. En n'oubliant pas qu'en plus des ennemis à deux pattes, deux ailes, quatre pattes (ou plus) et à racines, l'eau était polluée par la proximité de Dol Guldur, ses forges et ses déchets. D'après les connaissances du loup-garou abattu, cinq avant-postes - trois tours, une grande grotte et une forteresse - permettaient non seulement de garder les abords de la vallée mais aussi de pénétrer et sortir de Dol Guldur par des souterrains bien gardés. Il semblait, d'après des souvenirs que Geralt avait réussi à faire remonter à la surface, que les ravisseurs de Bronwyn se dirigeaient à présent vers la forteresse précitée, du nom de Lugdûm, soit la "Tour de l'Ombre" en noirparler. Mais les souterrains entre Dol Guldur et cette dernière étaient d'habitude toujours bloqués par de massifs blocs de pierre que seule l'activation de certains mécanismes secrets permettait de relever. Pourtant il semblait bien que les ravisseurs de Bronwyn souhaitaient l'amener aux fosses à prisonniers de Dol Guldur, près de la demeure de Caran Carach dans la colline du Nécromancien.
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Horselords - 33e partie : voir Dol Guldur... (1/2)

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1 - Déguisements
Restait donc, avant de découvrir la Vallée Nue, à se déguiser. Mais en quoi se déguiser ? Si le groupe possédait de l'attirail et des vêtements de sorciers de Dol Guldur, Geralt disposait de matériel et de compétences qui lui permettaient de faire passer n'importe lequel de ses amis pour divers ennemis... de taille comparable. Et il ne s'agissait là que de vue, pas d'odeur : Vif avait conscience de garder en elle des odeurs félines qui excitaient particulièrement tous les canidés qu'elle rencontrait. Et Radagast fit remarquer que les elfes avaient une odeur particulière que les loups pouvaient distinguer. A cela il fallait rajouter les problèmes de communication : en quoi déguiser Mordin, qui ne parlait pas le noirparler ? Et il ne fallait pas oublier non plus de modifier l'apparence de certains équipements facilement reconnaissables, comme l'arc du Grimburgoth porté par Drilun.

Le Grimburgoth, justement : d'après les souvenirs de Caran Carach, il était actuellement le grand chef militaire de Dol Guldur, par intérim du moins, en l'absence de son chef, Khamûl. Il était mort, bien sûr, mais qui était au courant ? Pas les sorciers, tombés en embuscade ; pas les gens de Dol Guldur - a priori - vu qu'aucun membre de l'armée noire qui avait isolé ou assailli Buhr Dera n'était revenu depuis l'assaut de la ville des Hommes des Bois et la défaite de l'armée, puis de leur chef. Et les trolls qui avaient emmené Bronwyn se dirigeaient loin de la forteresse, le pouvoir central ne serait pas mis au courant avant sans doute encore de longues heures...

Après discussion et quelques hésitations, l'affaire fut entendue : Drilun, qui portait l'arc du Grimburgoth, serait déguisé en chef des rôdeurs noirs de Dol Guldur et grand chef des armées par intérim. Le Dunéen avait une taille similaire, il parlait à la perfection le noirparler grâce aux souvenirs de Caran Carach qu'il avait intégrés, et ses talents de persuasion ou d'intimidation étaient loin d'être ridicules, ce qui servirait sans nul doute ; sans parler de ses talents d'archer. Il était toujours un peu mal à l'aise quand il s'agissait de jouer le rôle d'un autre, par contre, mais il avait un peu appris depuis l'époque où il avait simulé des ébats amoureux avec Isis, dans la Comté...

Geralt utilisa donc sa trousse de maquillage de qualité et certains de ses habits de réserve pour ce genre d'utilisation. Tandis que le nouveau Grimburgoth prenait forme, certaines questions se posèrent, comme : était-il crédible de voir le Grimburgoth, chef des armées, entouré de sorciers qui, traditionnellement, faisaient concurrence aux membres de ces mêmes armées ? Par ailleurs, pouvait-on faire passer le grand et costaud Dúnadan pour un sorcier, au vu de sa carrure et de son équipement très martial ? En fin de compte, Taurgil serait déguisé en rôdeur noir, ce qui correspondait bien au rôdeur qu'il était, et il agirait en tant que second ou porte-parole du Grimburgoth. Et lui aussi parlait très bien le noirparler.

Mordin fut l'objet de divers débats : de petite taille, avec une cotte de mailles, n'ouvrant jamais la bouche... ferait-il un sorcier bien crédible ? Il fut envisagé de le faire passer pour un membre du groupe d'aventuriers les ayant trahis, mais plusieurs aventuriers trouvèrent l'idée tellement difficile à avaler que le projet fut abandonné, de même que l'idée de le faire passer pour un prisonnier. Il serait un sorcier petit et trapu comme d'autres, pas causant pour un sou, ayant écopé d'une belle blessure qui l'empêchait de parler, comme l'attestait un beau pansement à la gorge. Geralt aussi ferait un très bon sorcier, malgré sa grande gueule d'assassin chevronné et balafré. Mais entre le maquillage et sa capacité à inspirer la crainte, cela irait très bien.

Restaient Isilmë, Vif et Rob. Les deux premières feraient des sorciers ou plutôt sorcières passables, et la Femme des Bois eut l'idée de tailler des lanières de peau et fourrure de Caran Carach pour masquer son odeur avec la sienne. Ces lambeaux ensanglantés allaient puer, mais cela ne ferait que renforcer son maquillage pour le nez des loups. L'elfe utilisa le même subterfuge pour masquer son odeur d'elfe, de même que le hobbit. En revanche, lui ne passerait jamais pour un guerrier ou sorcier. Les seules créatures pour lesquelles il pourrait raisonnablement se faire passer étaient les plus petits des orcs, souvent des pisteurs, appelés "snaga", ce qui signifiait "esclave" dans les langues des orcs. Ils étaient au bas de l'échelle dans leur société, et l'objet de tous les mauvais traitements et brimades. Le petit voleur se laissa maquiller en snaga, tandis que son postérieur frémissait d'inquiétude à l'idée des coups de botte qu'il aurait bientôt à recevoir...

2 - Nan Lanc
Il fallut un peu moins de deux heures pour préparer toute l'équipe, temps que certains mirent à profit pour se reposer un peu. Les aventuriers firent également le tri dans leur équipement, choisissant ce qu'ils allaient emporter et ce qu'ils laisseraient à la garde du magicien brun, qui était d'accord pour cacher leurs affaires. Il pourrait facilement les entreposer au creux d'un arbre auquel lui seul aurait accès, par exemple. Enfin, le groupe fut prêt et il quitta bientôt Radagast. Les derniers arbres qui les séparaient de la Vallée Nue, ou Nan Lanc dans la langue des elfes, furent laissés en arrière, sans susciter de réaction de la part des arbres éveillés ou non. Mais peut-être bien que le magicien brun n'y était pas pour rien.

Les aventuriers restèrent à proximité de la lisière de la forêt, d'autant qu'ils ne comptaient pas aller très loin ainsi. En effet, après consultation des mémoires de Caran Carach et discussion entre eux, ils avaient décidé de ne pas poursuivre les trolls qui avaient probablement emporté Bronwyn à la forteresse de Lugdûm, mais de prendre un raccourci pour leur couper la route. En effet, Lugdûm était loin d'eux et de Dol Guldur, à peut-être une vingtaine de miles (~ 30-35 km). Il leur faudrait la journée pour arriver là-bas, et les trolls ne les attendraient pas, sans parler du fait qu'ils craignaient Torak, chef de la forteresse, qu'ils soupçonnaient être un adversaire de taille. D'après les connaissances de Caran Carach, c'était un demi-troll et sorcier réputé, ce qui leur rappelait trop bien le seul être semblable qu'ils avaient jamais rencontré, du nom d'Ardagor, dans l'Eriador. Un personnage qui ne leur avait pas laissé de bons souvenirs et qui avait failli tuer plusieurs d'entre eux.

L'équipe irait donc au plus court pour intercepter Bronwyn, grâce aux connaissances apportées par le loup-garou : Vif, Taurgil et Drilun voyaient très clairement quel chemin prendre pour accéder à Dol Guldur rapidement puis se placer sur la route que les trolls seraient forcés de prendre. Pour cela, il leur faudrait aller d'abord jusqu'à une tour proche, du nom de Lughâsh, ou "Tour de Feu" en noirparler. Cette tour comportait une voie souterraine d'accès vers Dol Guldur, ou plutôt vers la Toile, un entrelac de cavernes d'orcs qui permettaient d'accéder à d'autres lieux de la vallée, ainsi qu'à la forteresse de Dol Guldur au cœur de ces souterrains. Certains envisageaient aussi d'aller explorer la forteresse pour trouver le meilleur endroit pour tirer la princesse nordique des pattes des trolls, voire arriver à récupérer des objets magiques dont Radagast leur avait parlé...

Et donc le groupe se dirigea non vers l'est et le sud, mais vers l'ouest, et vers la tour de Lughâsh qui se tenait à l'orée de la forêt, en bordure de la route des orcs (Men Uruk) lorsqu'elle pénétrait dans la vallée. La tour n'était pas visible, pas plus que Dol Guldur d'ailleurs : non seulement il faisait encore nuit, mais le ciel était couvert également, et même empli de vapeurs acides et nauséabondes qui leur piquaient les yeux et le nez. Cela ne facilitait pas l'usage de la vue ou même de l'odorat dans la vallée. En revanche, le sol de la vallée était pratiquement complètement nu, occupé seulement de loin en loin par des fourrés de ronces ou de rares plantes vénéneuses. Du coup, le son rebondissait facilement sur les rochers et les bruits portaient plus loin.

Après moins d'une heure de progression, des bruits se firent entendre qui émanaient manifestement d'une patrouille d'orcs. Le groupe ne changea rien à sa trajectoire, mais il fit bien attention à prendre une disposition conforme aux statuts des uns et des autres : le hobbit s'entraîna à jouer au snaga et à renifler le sol au-devant du groupe, tandis que les autres entouraient le Grimburgoth comme une garde rapprochée. Les orcs devinrent bientôt visibles, d'autant qu'ils avaient perçu le groupe et qu'ils s'en approchaient pour mieux voir de qui il s'agissait. Mais quand ils virent ce mélange de sorciers et de deux rôdeurs noirs qui faisaient peur à voir, ils firent un détour et se gardèrent bien de causer souci aux aventuriers.

La tour de Lughâsh apparut bientôt dans la brume toxique, mais Vif entendait déjà depuis un moment des commandements donnés d'une voix forte, humaine, à son pied, en noirparler. Grâce à son ouïe très fine, même sous forme humaine, elle comprit qu'un groupe conséquent de sorciers et de gardes humains était en train de se former au pied de la tour, éclairé par quelques torches, et leur chef, qui était peut-être un acolyte et possible remplaçant du chef des sorciers qui avait été tué par les trolls en embuscade, donnait des ordres. Le groupe, de plus de cinquante personnes dont deux tiers de sorciers, allait vite se rendre à Lugdûm pour prendre la forteresse d'assaut et récupérer Bronwyn. Mais bientôt les regards se tournèrent et la voix se tut, tandis que les aventuriers déguisés arrivaient vers la base de la tour et les marches qui menaient à son entrée. Marches sur lesquelles le sorcier en chef se tenait pour s'adresser à sa troupe.

3 - La volonté du Grimburgoth
Les sorciers et gardes humains s'écartèrent pour laisser passer les nouveaux arrivants, toujours précédés par le faux snaga qui reniflait le sol devant lui et avançait à moitié à quatre pattes. Lorsqu'il arriva au bas des marches, il s'arrêta, interrogateur, et jeta un œil derrière lui vers ses autres compagnons. En retour, il écopa d'un bon coup de pied de Taurgil, pas du tout feint, mais que le hobbit esquiva ou plutôt accompagna en partie, ce qui ne lui laissa guère qu'un bleu. Il se poussa donc et laissa passer les deux "rôdeurs noirs" et les quatre "sorciers" qu'il avait précédés, qui commencèrent à monter les marches jusqu'à s'approcher du sorcier qui n'avait pas bougé mais qui semblait interloqué, ayant manifestement reconnu le Grimburgoth au milieu du groupe, silhouette qui concentrait toutes les attentions.

Le sorcier en chef s'adressa à Drilun comme s'il parlait au chef des armées de Dol Guldur, manifestement surpris et gêné de se trouver face à quelqu'un qui commandait aux troupes contre qui il allait bientôt lancer ses propres gens. Il s'étonna de le trouver là, revenu de la bataille en forêt et sans ses troupes, juste entouré d'un rôdeur et de quelques sorciers. Avant d'apparaître, le groupe avait pris quelques minutes pour monter une histoire censée tenir plus ou moins la route, et que resservit l'archer-magicien : il pesta après le chef des trolls qui lui avait fait un coup en douce et l'avait trahi, d'où sa blessure - préparée par Geralt - qui permettait (du moins les aventuriers l'espéraient-ils) d'expliquer sa voix hésitante et un peu différente. Drilun s'était bien entraîné un peu et s'était aidé de sa magie, mais il manquerait toujours le petit quelque chose qui rendait le vrai chef des rôdeurs noirs si terrifiant.

L'histoire sembla prendre à peu près, et après un moment le chef des sorciers arrêta là le dialogue et descendit les marches... en ordonnant aux quatre sorciers qui avaient accompagné le Grimburgoth de rejoindre leurs rangs et de les accompagner. Drilun parla alors, exigeant que les quatre sorciers l'accompagnent jusqu'à Dol Guldur, tandis que Geralt se précipitait auprès du sorcier en chef pour lui chuchoter à voix basse. Il lui fit remarquer qu'il était intéressant de garder un œil sur le Grimburgoth afin de le surveiller et connaître ses intentions vis-à-vis de la princesse nordique, et éventuellement anticiper ses actions. Après réflexion, le sorcier approuva l'idée de Geralt, et il lui ordonna de se joindre au Grimburgoth. Mais les autres devraient le suivre, l'assaut de Lugdûm nécessiterait les compétences de chacun. L'équipe allait être scindée en deux !

A nouveau, le Dunéen intervint et exigea la présence de tous ceux qui l'avaient accompagné à ses côtés jusqu'à la forteresse, mais le chef des sorciers ne se démonta pas : il répliqua que le Grimburgoth pouvait commander aux armées, mais qu'il n'avait aucun pouvoir sur les sorciers. Le Fhalaugash ("grand sorcier") Gorovod leur commandait à tous, et il lui avait donné un ordre de mission bien précis, qu'il comptait mener à bien avec toutes ses troupes. Un sorcier accompagnerait le Grimburgoth, les autres viendraient avec lui, point final. Et l'homme se retourna et reprit son chemin, donnant l'ordre à ses troupes d'avancer. C'était sans compter sur le maître-assassin déguisé, qui l'injuria copieusement avant de lui envoyer son poing en pleine figure, avant que l'autre ait le temps de lui jeter un sort.

Drilun prépara son arc et encocha une flèche tandis que Geralt rouait de coups le sorcier en chef ensanglanté et à terre, tout en le traitant de tous les noms. Les autres sorciers ou gardes n'eurent pas le temps de réagir que la flèche de l'archer-magicien déguisé ôtait la vie à leur chef. Puis ils furent intimidés par les deux faux rôdeurs noirs, sans parler du faux sorcier que jouait Geralt. Il leur fut commandé de poursuivre leur mission sur Lugdûm et de lui donner l'assaut, tandis que le Grimburgoth lèverait des troupes pour les soutenir. La bourse du sorcier exécuté fut récupérée, le groupe reprit l'ascension des marches - y compris le snaga, à qui il fut ordonné de venir, et les sorciers et leurs gardes furent laissés à leurs affaires comme les sous-fifres qu'ils étaient. Les portes de Lughâsh furent bientôt atteintes, tandis que le sorcier désigné par Drilun comme chef intérimaire prenait ses collègues sous ses ordres et les faisait partir vers l'est.

4 - La Toile de Dol Guldur
Les orcs ouvrirent bien vite les portes de la Tour du Feu, et le "Grimburgoth" et ses compagnons firent une entrée remarquable et remarquée. A l'intérieur, après une première demande de torches et de nourriture qui vit les orcs réagir trop lentement, une bonne gueulante accéléra les choses, et la demi-douzaine d'orcs qui revint fut embauchée sans discuter pour ouvrir la voie vers la Toile, les souterrains autour de la forteresse du Nécromancien. Un escalier fut prit vers le bas de la tour, où un tunnel sombre et régulièrement emprunté menait vers les profondeurs de Dol Guldur. Une ou deux torches furent allumées et les orcs ouvrirent le chemin, sauf le "snaga" qui porta la bourse à herbes du sorcier abattu plus haut.

La petite troupe marcha trois heures environ et croisa sur son passage divers groupes comme des patrouilles de wargs ou d'orcs ou des petits convois de marchandises qui n'allaient pas aussi vite qu'eux. Tous s'écartèrent devant le groupe quand les orcs parlèrent du Grimburgoth qu'ils précédaient, et l'allure de ce dernier ou celle de ses compagnons semblèrent bien assez convaincantes. Personne non plus, orc ou loup, ne réagit à l'odeur de Vif, Isilmë ou Rob : les bouts de peau et de fourrure de Caran Carach remplissaient correctement leur office. Petit à petit, le tunnel commença à se réchauffer, et bientôt les parois rugueuses firent place à un tunnel lisse et droit agrémenté de torches. Plus loin, une herse solide bloquait le passage, derrière laquelle deux orcs veillaient.

Le groupe venait d'arriver au premier poste de garde qui filtrait les passages entre Dol Guldur et l'extérieur. Le lieu, éclairé par des torches, était protégé par deux herses - seule la deuxième était baissée - entre lesquelles une fosse de toute la largeur du couloir pouvait être activée pour précipiter d'éventuels attaquants sur des pieux. Des meurtrières sur les côtés et des ouvertures dans le plafond permettaient de cribler des intrus de flèches ou de les asperger d'huile brûlante ou enflammée probablement. En plus des deux orcs de l'autre côté de la herse baissée, les aventuriers pouvaient entendre d'autres orcs de chaque côté et au-dessus d'eux, au nombre de plus d'une dizaine.

Lorsque les gardes virent approcher le Grimburgoth, ils ne firent aucune difficulté pour demander à leurs congénères de lever la herse, ce qui prit un peu de temps. Le groupe avança et dépassa le poste de garde, entrant dans la zone qu'infestaient les orcs de Dol Guldur. La perception immédiate de cet état de fait leur parvint à travers leur nez : les orcs qui pullulaient et se battaient dans les cavernes de la Toile avaient moins d'hygiène que les rats qui se nourrissaient de leurs déchets, déchets qui n'étaient évacués que lorsque les orcs eux-mêmes ne retrouvaient plus leurs affaires qui y étaient mélangées, ou alors pour faire souffrir quelques martyrs chargés du nettoyage des cavernes. Nettoyage qui consistait à évacuer les ordures vers le plus proche trou ou coin libre, y compris le tunnel principal que tout le monde empruntait. La puanteur était telle que le hobbit fut à deux doigts d'y laisser le contenu de son estomac, et il n'était pas le seul à avoir la nausée. A divers moments, au gré des rencontres olfactives, les estomacs furent mis à l'épreuve et seul le nain semblait immunisé à ces désagréments.

Mais le groupe fit également la connaissance des pièges qui parsemaient les couloirs. En fait, ils virent en direct les effets de l'un d'eux, car les orcs qui les précédaient, peut-être rendus nerveux par les puissants individus derrière eux, passèrent trop vite et oublièrent de désamorcer une trappe. Elle s'ouvrit sous quatre d'entre eux, et un jet de vapeur brûlante et soufrée en émergea bientôt, avec les cris des orcs ébouillantés. Cris qui s'amenuisèrent petit à petit, tandis que les panneaux pivotants se remettaient en place tout seuls grâce à des mécanismes mus par la force de la vapeur. Après une minute, le piège était à nouveau en place. Les deux orcs restants le désamorcèrent grâce à une pédale cachée au pied d'un mur, peu avant la trappe, et tous purent passer.

Enfin, l'équipe traversa également diverses cavernes pleines d'orcs bruyants et malodorants et de wargs belliqueux. Traverser sans rien dire équivalait à montrer de la crainte et à inciter les habitants à se montrer intéressés (sous-entendu : agressifs, voire plus) envers les visiteurs. Rapidement, les aventuriers comprirent qu'un exemple et quelques bonnes gueulantes étaient la garantie d'un passage sans histoire. Geralt excella à la chose, vu son entraînement avec les assassins. D'une certaine manière, les orcs n'étaient pas bien différents. Et ainsi, petit à petit, les cavernes et tunnels de la Toile furent traversées, avec de nombreuses rencontres incluant aussi des chauves-souris vampires, des rats et des araignées géantes qui ne se déplaçaient qu'au plafond - et évitaient ainsi les pièges. Ils arrivèrent enfin à un nouveau poste de garde qui les séparait du niveau sept de la forteresse de Dol Guldur.

5 - Ascension
Ce nouveau poste de garde de la Toile était comme le précédent : truffé de défenses, avec une herse baissée et deux orcs pour la garder et ordonner - ou non - à leurs collègues de la lever. Le passage des aventuriers fut similaire à ce qu'ils avaient déjà connu : la seule présence du Grimburgoth, grand chef des armées de Dol Guldur, ouvrait toutes les portes et personne ne posait de question, ou en tout cas pas face à lui - ou alors ils s'exposaient à un apprentissage rapide, parfois définitif, sur la manière de fermer leur grande gueule. Drilun et ses amis entrèrent donc dans les couloirs souterrains du niveau sept, laissant derrière eux les deux orcs qui les avaient précédés jusque-là. La pierre des tunnels était ici parfaitement taillée et non grossière, et si l'odeur était forte cela n'avait rien à voir avec les tunnels des orcs : le niveau sept de Dol Guldur abritait des milliers d'uruks, dont l'hygiène et le sens de l'ordre étaient tout de même d'un niveau très supérieur à ceux de leurs petits et grossiers cousins.

Avant d'accéder à une intersection, le groupe arriva à un poste de garde, simple pièce qui jouxtait le tunnel, avec dix uruks prêts à s'enquérir des objectifs des visiteurs et prêts à ameuter les autres uruks des baraquements proches au besoin. La vue du Grimburgoth les plongea dans une certaine stupéfaction, et peut-être également de le voir entouré de quelques sorciers et d'un snaga. Le Dunéen, qui avait encore magiquement (et discrètement) pris la voix du chef des rôdeurs, n'eut pas trop de mal à satisfaire la curiosité des uruks avec une fable sur le combat en forêt contre les elfes et le magicien brun. Il en profita aussi pour demander des nouvelles des trolls, mais les gardes n'en avaient pas entendu parler. Bronwyn, comme les aventuriers l'avaient escompté, n'était pas encore arrivée.

Du coup, le groupe décida, une fois l'intersection atteinte, de prendre sur leur droite et en arrière, en direction de la grande salle de guerre où se réunissaient régulièrement les officiers de l'armée. Drilun et ses amis avaient hésité entre plusieurs destinations, comme la prison ou les salles au trésor de la deuxième strate, soit deux niveaux en dessous du niveau sept, à une altitude sans doute inférieure à celle du plancher des vaches. Mais cette salle de guerre intriguait les aventuriers en raison d'un escalier qui en partait, escalier que Caran Carach n'avait jamais pris mais qui semblait réservé aux officiers supérieurs. Les aventuriers avaient bien envie d'y jeter un coup d'œil.

La vaste salle était gardée à l'extérieur par dix uruks, qui furent très étonnés de voir le Grimburgoth et encore plus peut-être ceux qui l'accompagnaient. En fait, ils ne virent pas leur chef en premier mais un sorcier - Geralt déguisé - qui leur ordonna de s'écarter et de les laisser passer, lui et ses compagnons. Devant le refus des gardes d'obéir à un vulgaire sorcier, ledit sorcier fit mine de devenir furieux et de s'apprêter à lancer un sort, et les uruks sortirent tout de suite leurs armes et se préparèrent au combat. C'est alors que le faux rôdeur noir qu'était Taurgil bouscula le faux sorcier en colère qui s'étala de tout son long par terre, suscitant les rires des uruks et un commentaire méprisant du rôdeur à son égard. Le maître-assassin joua l'homme ridicule obligé de ravaler sa fierté, et l'incident en resta là.

Taurgil demanda ensuite à ce que les gardes ouvrissent la porte pour les laisser passer, bientôt appuyé par le Grimburgoth qui arrivait derrière lui. Malgré leurs réticences à ouvrir la salle à des sorciers (et même un snaga !), ils obéirent à leur chef militaire suprême (en l'absence de Khamûl, et le Nécromancien excepté). A l'intérieur, ils virent une vaste salle richement fournie et occupée par une grande table de chêne incrustée de runes diverses, avec des fauteuils confortables près de la table ou des bancs le long des murs. Dix autres uruks gardaient la pièce et ils furent encore plus gênés de laisser passer sorciers et snagas, à la demande du Grimburgoth, jusqu'à l'escalier à l'arrière de la salle. Il permettait de monter ou descendre, et les aventuriers, craignant de se rapprocher trop des salles du Nécromancien, choisirent de monter.

L'ascension fut longue et fatigante pour plusieurs membres de l'équipe, en particulier le hobbit, d'autant que les marches n'étaient pas très adaptées à ses petites jambes. De manière générale, les escaliers de Dol Guldur étaient plus faits pour les trolls que pour les simples orcs, et donc les marches étaient-elles plutôt larges et hautes. Ils montèrent tous longtemps, vers des lieux qui leur étaient inconnus, car les souvenirs de Caran Carach ne couvraient pas leur destination, ou en tout cas pas de manière précise. Enfin, après peut-être une heure à monter les escaliers, ils arrivèrent à leur extrémité supérieure et à une ouverture après les dernières marches. Geralt, qui ouvrait la marche, vit une vaste pièce éclairée de torches avec divers couloirs... et trois trolls de guerre qui montaient la garde, dont l'un qui s'approcha des escaliers lorsqu'il perçut l'arrivée de visiteurs. Le maître-assassin et la Femme des Bois entendaient également les bruits d'autres trolls ainsi que d'uruks et d'humains à proximité. Geralt resta en arrière et laissa passer son ami Drilun en avant.

6 - Les quartiers du Grimburgoth
Manifestement, l'endroit où vivait le Grimburgoth était l'équivalent d'un petit village, avec une foule de gardes, messagers et autres serviteurs pour combler ses besoins et désirs. De manière à peine perceptible, Vif arrivait à entendre comme des bruits lointains d'eau, ainsi que d'autres bruits d'activité encore plus faibles et lointains : cliquetis métalliques et voix humaines essentiellement. Sans en connaître les plans exacts, elle trouva dans les mémoires de Caran Carach que le niveau cinq de Dol Guldur, peut-être cinq cents mètres plus haut que le niveau sept d'où ils venaient, comportait un lac souterrain. Ils étaient donc probablement là, d'autant que c'était aussi le niveau qu'occupaient les rôdeurs noirs de Dol Guldur.

Drilun parla aux trolls avec quelques hésitations. Malgré le sort discret qui lui donnait la voix du vrai Grimburgoth, il avait conscience de parler à la garde rapprochée du chef des rôdeurs noirs, garde qui risquait de vite repérer des incohérences dans son discours ou son attitude. Il pouvait toujours invoquer la prétendue blessure que Geralt lui avait collée, et les trolls pouvaient bien ne pas être trop malins, mais il ne fallait tout de même pas faire n'importe quoi... Il parla à nouveau de la bataille en forêt avec les elfes et le magicien brun à qui il devait sa blessure, magicien qui avait fui. Puis il enchaîna sur la traîtrise du chef des trolls, Kull, qui avait voulu le doubler et avait pris Bronwyn avec lui à Lugdûm.

Les trolls avalèrent l'histoire sans trop réagir, malgré une certaine dose d'étonnement. Mais lorsque l'archer-magicien déguisé parla de lever une armée - toute l'armée même - pour aller abattre la forteresse et Kull avec, il se rendit vite compte qu'il était allé un peu loin : les armées de Dol Guldur comptaient des milliers de guerriers alors que la forteresse de Lugdûm ne devait en avoir qu'une centaine. Il se ressaisit vite tandis que des messagers uruks arrivaient, qui étaient chargés de transmettre ses ordres aux capitaines des armées. En fin de compte, il ramena ses prétentions à quelque chose de plus réaliste, et demanda à ce qu'une compagnie d'une centaine d'hommes et d'une vingtaine de trolls aille rapidement intercepter Kull et ses trolls au niveau du dernier poste de garde de la Toile qui y menait. Trois messagers prirent une porte derrière l'escalier et partirent à bonne allure.

Également, il ne pouvait pas se permettre de montrer qu'il ne savait pas où étaient ses propres quartiers au milieu des nombreuses portes et de divers couloirs qui les entouraient. C'était sans doute au bout du couloir central face à l'escalier, mais une erreur n'était pas permise. Il donna donc son sac à un serviteur qui avait accouru avec ordre de le déposer à ses quartiers. Drilun le suivit peu après, ainsi que ses compagnons. Il expliqua aux gardes étonnés que les sorciers avec lui étaient ses invités et qu'il avait à discuter avec eux de la prise de Lugdûm. Après coup, il se dit qu'il n'avait pas à donner d'explications à des sous-fifres, mais il avait du mal à rentrer dans la peau du personnage...

Le groupe avança donc tout droit, le hobbit accroché au dos du nain, caché sous son manteau, afin de ne pas susciter d'interrogations fâcheuses. Après avoir traversé un grand parloir richement décoré, les aventuriers arrivèrent à une grande salle à manger dont le vaste mur du fond comportait deux portes. Le serviteur ayant pris son sac à dos était là, hésitant, et Drilun le congédia en mimant un geste de mauvaise humeur. La pièce était luxueuse mais ne semblait pas servir souvent. Trois couloirs en partaient, en comptant celui par lequel ils étaient arrivés, et les bruits de pas et de voix qu'ils entendaient les incitaient à être prudents : les gardes et serviteurs étaient sans doute aux aguets, attentifs à ce qu'ils pouvaient dire. Ils commencèrent à s'asseoir à la table et à grignoter les quelques fruits et oléagineux présents dans des coupes. Restait à entrer dans les quartiers privés du chef des rôdeurs noirs, sans déclencher une éventuelle alarme voire un piège mortel.

7 - Quartiers privés
Drilun avait sur lui les trois clés trouvées sur le Grimburgoth, mais il fit confiance aux éléments du groupe plus experts que lui en mécanismes ou perception. En fait il fut vite découvert que la porte de gauche était ouverte, qui menait vers la chambre personnelle du chef des rôdeurs. Une clé de la porte était même accrochée à l'intérieur non loin, pour lorsque le Grimburgoth souhaitait un peu d'intimité sans doute. Le Dunéen entra dans la chambre, de même que le hobbit, de manière à ce qu'il restât toujours masqué par quelqu'un. La chambre était luxueuse une fois de plus, avec une seule porte en plus de celle qu'ils avaient prise, porte qui amenait très probablement à la même pièce que la porte de droite sur le même mur de la salle à manger. Sans doute son bureau, mais cela restait à voir.

Une première fouille fut effectuée pendant que les autres aventuriers discutaient innocemment dans la salle à manger. La pièce, en plus d'un grand lit à baldaquin, comportait divers meubles comme placards et armoires, coffres, table et chaises confortables. Mais ni Drilun ni Rob ne trouvèrent rien d'exceptionnel ou en tout cas aucune source d'information particulière ; cette pièce n'était sans doute pas là où le Grimburgoth entreposait ses notes ou secrets divers, en particulier concernant Bronwyn, ce que cherchait l'archer-magicien. Néanmoins, le Dunéen trouva dans la vaste garde-robe des habits qui lui convenaient et qui l'aideraient à endosser son rôle de chef des rôdeurs noirs. Il trouva également un arc de bonne qualité et des flèches, ainsi que des armures et manteaux de rôdeur noir qui pourraient leur permettre d'endosser de nouveaux déguisements, notamment pour les aventuriers déguisés en sorciers. Et il se servit donc.

L'autre porte fut testée. Elle aussi ouverte, elle donnait sur les bureaux privés du Grimburgoth. Là, Drilun y trouva de nombreuses notes et divers rapports sur les opérations multiples de Dol Guldur dans le Rhovanion voire ailleurs. Pas forcément ce qu'il cherchait concernant l'opération autour de Bronwyn, mais des choses fort intéressantes comme l'emplacement de la retraite secrète des Maeghirrim, les personnes corrompues dans diverses villes, etc. Il embarqua divers papiers et rapports qui pourraient certainement aider les peuples libres à porter un fameux coup au pouvoir de Dol Guldur dans le nord-ouest de la Terre du Milieu. Malheureusement il n'avait pas le temps de fouiller tous les écrits plus que superficiellement.

De son côté, Rob avait fait deux découvertes. La première consistait probablement en la réserve personnelle des poisons et baumes orcs du Grimburgoth. En plus des onguents, de nombreuses fioles bien étiquetées contenaient ou bien un poison puissant et foudroyant, ou bien un poison encore plus puissant mais simplement rapide, et ceci sous deux versions : pour arme et pour ingestion. Plusieurs fioles furent subtilisées. Également, sur un endroit nu de l'un des murs, éloigné des deux portes qui donnaient accès au bureau, il repéra ce qui semblait bien être un passage secret. Vu l'importance du seigneur des lieux, il convenait d'être paranoïaque et de prévoir le pire, aussi le hobbit alla-t-il demander main-forte au maître-assassin et à la Femme des Bois. Cette dernière trouva un piège particulièrement bien dissimulé mais qu'une rotation d'une torchère proche semblait désamorcer. L'Eriadorien remarqua des herses dissimulées au-dessus des portes, que le déclenchement du piège ferait sans doute tomber.

En fin de compte, tout le monde sortit du bureau hormis Drilun qui se tenait sur le pas de la porte entre chambre et bureau, avec un coffre placé sous l'endroit où une herse était censée tomber, en cas de malheur. Le hobbit restait face au passage secret : il avait trouvé un trou de serrure dans lequel deux des trois clés trouvées sur le Grimburgoth pourraient sans doute entrer. Mais laquelle prendre ? Il en choisit une, tourna... sans y arriver, ni dans un sens ni dans l'autre. Heureusement rien de fâcheux - de perceptible du moins - ne se produisit. Il prit alors la deuxième clé qui pouvait convenir, la tourna... et entendit un déclic, tandis que la porte apparaissait distinctement, très légèrement décalée de son chambranle. La porte secrète du Grimburgoth était ouverte !

Elle donnait sur un couloir sans lumière qui longeait le mur du bureau jusqu'à une destination inconnue. Mais était-il judicieux de l'explorer à présent ? D'autant que des sons lointains étaient perceptibles, mais difficiles à identifier. Rob retourna dans la chambre quémander l'aide de la rôdeuse si perceptive, même sans ses pouvoirs félins. Vif entra donc à nouveau et elle alla écouter dans le couloir secret. Elle entendit assez distinctement, bien que masqués par la distance et sans doute un mur également, la conversation de trolls de guerre sur les différents supplices qu'ils avaient infligés à diverses créatures. Après avoir renseigné ses amis, les aventuriers se rendirent à l'évidence : continuer l'exploration de Dol Guldur ne les mènerait nulle part ailleurs qu'au-devant de fâcheux ennuis. Ils avaient assez perdu de temps comme cela, il fallait qu'ils se recentrent sur leurs objectifs : Bronwyn et les salles au trésor de Dol Guldur.

8 - La prison de Dol Guldur
Ils se retrouvèrent tous dans la luxueuse salle à manger, prêts à repartir, mais quelqu'un fit la remarque à Drilun que s'il s'était changé, il ne sentait pas la rose. C'était bien normal après la course en forêt et les combats, puis leur traversée de la puante Toile des orcs. Mais peut-être cela pourrait-il choquer de futures personnes rencontrées ? D'autant que les appartements du chef des rôdeurs étaient bien propres, et même les trolls et uruks à son service sentaient moins que d'habitude. Heureusement, la Femme des Bois entendit de l'eau couler dans une pièce adjacente, et la salle de bains personnelle du chef des rôdeurs noirs - avec robinet d'eau chaude (et soufrée) - fut trouvée. Le Dunéen fit une rapide toilette pour conforter son image de Grimburgoth rafraîchi. Puis ils retournèrent tous vers la salle d'entrée, le hobbit toujours dissimulé sous le manteau du nain.

Les gardes de l'entrée ne firent pas de remarque, et aux questions qui leur furent posées ils répondirent que les messagers n'étaient pas encore revenus. Mais le chemin était long entre les différents niveaux, et il n'y avait pas lieu d'y voir un retard quelconque. Le groupe prit donc l'escalier et redescendit, avec plus de facilité mais non sans une certaine fatigue tout de même, jusqu'à la grande salle de guerre. Ils en sortirent sans mal, le hobbit toujours dissimulé, puis retournèrent au poste de garde où ils avaient déjà échangé avec une dizaine d'uruks. Ces derniers avaient été relevés et de nouveaux gardes les remplaçaient, mais ces derniers ne firent pas de difficulté pour dire qu'ils n'avaient rien vu ou entendu parler de spécial.

Il fallait ensuite traverser les quartiers des uruks pour parvenir à l'un des trois escaliers qui descendaient aux strates inférieures, et notamment la deuxième strate, celle de la prison, des trésors et du matériel. Lorsque le groupe apparut, les uruks furent étonnés de voir les sorciers et ils prirent leur silence pour de la peur. Une tête en moins et une intervention du Grimburgoth après, la situation était sous contrôle et un officier plus entreprenant que les autres emmena une compagnie en direction du poste de garde de la Toile menant à Lugdûm. Pourtant Drilun n'avait jamais demandé à ce que des uruks allassent là-bas, mais peut-être l'officier uruk, qui avait dû entendre parler des ordres du Grimburgoth, avait-il des choses à montrer... En tout cas, les autres uruks laissèrent passer le groupe sans autre problème.

L'escalier fut donc pris qui descendait jusqu'à la deuxième strate et au-delà, bizarrement sans s'arrêter à la première strate, réservée aux femelles que Dol Guldur abritait, d'après les mémoires de Caran Carach. Malgré sa largeur, l'escalier était bien encombré. D'une part car il était l'un des trois seuls passages vers les strates inférieures, mais surtout parce que régulièrement, des esclaves ou autres serviteurs humains voire uruks devaient descendre aux entrepôts de la seconde strate pour aller y chercher de la nourriture ou des ustensiles ou autres biens divers, munis des autorisations adéquates de leurs chefs. Enfin, les aventuriers arrivèrent à l'entrée de la deuxième strate, dans la salle de garde qui abritait l'une des deux portes de la prison de Dol Guldur, et la plus proche des fosses aux prisonniers difficiles.

Les gardes qui les accueillirent ne firent pas de difficulté face au Grimburgoth. Ce ne serait pas la première ni la dernière fois que les aventuriers remercieraient cette idée de faire passer Drilun pour le chef des rôdeurs noirs, ce qui leur ouvrait vraiment toutes les portes. Non, les uruks n'avaient pas vu passer Kull ou Bronwyn, et par ailleurs Caran Carach n'avait aucun remplaçant ou bras droit pour gérer la prison en son absence : les prisonniers étaient gérés en fonction des ordres donnés par des chefs militaires ou sorciers qui géraient leurs affaires, au cas par cas. Après une déclaration du Grimburgoth, le groupe se dirigea vers l'ouest et la zone dédiée aux trésors de la forteresse du Nécromancien. Depuis un moment déjà, Vif sentait qu'elle se rapprochait de la larme de Yavanna dont le magicien brun lui avait parlé. Et elle sentait clairement, en se concentrant, que la larme était bien à ce niveau, sur la deuxième strate, dans la direction des salles au trésor.

9 - Deuxième strate
Le groupe d’aventuriers déguisés franchit un long couloir parsemé de portes vers des entrepôts où de nombreux esclaves ou serviteurs venaient déposer ou chercher divers produits à l'aide de papiers munis des bons sceaux. Puis il arriva à l'un des escaliers qui joignaient les différentes strates de Dol Guldur, en fait celui qui jouxtait l'ouverture secrète vers les salles au trésor de Dol Guldur dans les souvenirs de Caran Carach. Quand les aventuriers entrèrent dans la salle de garde dans laquelle débouchait l'escalier, le cœur de la Femme des Bois accéléra : la larme de Yavanna était proche, à peut-être moins d'une portée de flèche, quelque part à l'emplacement des trésors de Dol Guldur dans la mémoire du loup-garou.

Les gardes, une nouvelle fois, ne firent pas le poids face à la présence redoutable du chef des armées. Ce dernier demanda quand la prochaine relève aurait lieu, en prétextant devoir mettre en sécurité certains objets présents dans le trésor. Drilun savait en effet, toujours grâce aux fragments de mémoire du loup-garou, que les salles au trésor ne pouvaient être ouvertes qu'à l'aide d'une clé que les quatre krîtars ("grands capitaines") des armées uruks du septième niveau possédaient. Quatre fois par jour, un krîtar commandant à une armée de mille uruks descendait avec la relève faite de trolls et d'uruks. Le moment de la relève était le seul où les salles étaient accessibles, et encore pas à n'importe qui, pour déposer ou prendre des objets ou richesses diverses.

Cela ne devait pas faire loin d'une dizaine d'heures que les aventuriers étaient entrés dans Nan Lanc puis dans les souterrains menant à Dol Guldur. Non seulement Kull et ses trolls avaient dû atteindre Lugdûm avec Bronwyn depuis longtemps, mais ils avaient également certainement eu le temps de se reposer. Peut-être partiraient-ils bientôt pour Dol Guldur par les souterrains, si même cela n'avait pas déjà eu lieu, d'autant que les sorciers devaient être là-bas également et avaient peut-être commencé à donner l'assaut... Si les aventuriers n'avaient pas de chance, il leur faudrait attendre près de six heures avant la prochaine relève, et Bronwyn serait alors sans doute sous les verrous et les nouvelles de la mort du Grimburgoth arriveraient probablement aux oreilles des habitants de Dol Guldur. Les aventuriers, dans ce cas, auraient à choisir entre sauver Bronwyn ou tenter de soustraire quelques trésors au Nécromancien, mais ils ne pourraient faire les deux... si même une seule de ces missions était possible !

Mais la chance ou les Valar semblaient du côté des aventuriers : les gardes parlèrent de la prochaine relève dans un délai d'un peu plus d'une heure. Il était risqué d'attendre, mais ce délai réduit permettrait de peut-être pouvoir subtiliser quelques trésors et aller ensuite sauver la princesse. Drilun déclara aux gardes qu'ils devaient avertir le krîtar chargé de la relève de sa volonté de pénétrer les salles pour récupérer du matériel, et qu'il serait là. Puis l'équipe quitta la salle de garde et prit un nouveau couloir vers le troisième escalier. Au début le Dunéen avait voulu revenir en arrière, mais il s'était dit que les gardes du premier escalier risquaient de trouver cela bizarre, et il emmena donc le groupe au dernier endroit de la strate qu'ils n'avaient pas encore visité, et où se trouvait la deuxième entrée de la prison.

En effet, un des buts que s'étaient fixés Drilun et ses amis était de visiter les geôles pour préparer une éventuelle interception ou évasion de Bronwyn depuis la prison. Et pour éventuellement trouver d'autres secrets sur la capture de Bronwyn, dans les quartiers privés de Caran Carach par exemple. Et donc le groupe se trouvait à nouveau en train de croiser des files de serviteurs et d'esclaves venus remplir ou vider les entrepôts de Dol Guldur pour la bonne marche des armées de la forteresse. Mais alors que le dernier escalier était en vue, avec sa demi-douzaine de gardes uruks, l'archer-magicien se dit qu'il n'y avait peut-être pas besoin de pénétrer la prison pour connaître les secrets du loup-garou, qui en était le chef. En fouillant bien dans ses mémoires, le Dunéen y trouverait sans doute tout ce qu'il lui fallait...

Drilun se concentra donc, et il pénétra au plus profond de l'esprit sadique et pervers du loup-garou comme il ne l'avait jamais fait auparavant. Il vit ses quartiers, vides hormis pour un énorme empilement des peaux des nombreux prisonniers qu'il avait torturés et tués, empilement de peaux sur lequel Caran Carach se reposait d'habitude. Sans parler de manger, comme des os (des prisonniers) rongés çà et là dans la pièce l'attestaient. Aller dans la prison n'amènerait rien, Drilun savait déjà tout ce qu'il y avait à savoir. Et, fortes de ce terrifiant savoir, ses entrailles se tordirent de douleur face à l'horreur de ce que l'archer-magicien venait de percevoir. Il tomba à quatre pattes et vomit tout le contenu de son estomac.

10 - Le Puits Noir
Le Grimburgoth à quatre pattes en train de vomir, voilà qui risquait de poser des problèmes de crédibilité au personnage. Par chance, seuls quelques esclaves avaient été témoin de la chose, tandis que les uruks ou autres qui peuplaient le couloir ou la salle de garde proche n'avaient pas encore identifié de qui il s'agissait. Taurgil se précipita vers les gardes pour leur parler d'un sorcier petite nature qui étalait sur le sol la nourriture de Dol Guldur trop dure pour lui, au grand plaisir des gardes qui s'esclaffèrent et retournèrent à leur occupation. De l'autre côté, des aventuriers firent de même. Restaient quelques esclaves apeurés qui avaient bien compris qu'ils avaient vu quelque chose qu'ils n'auraient pas dû, et qui attendaient en tremblant, l'échine courbée.

Tandis que Drilun se relevait avec difficulté, encore retourné par son expérience dans la tête du loup-garou, Vif se dit qu'ils ne pouvaient pas laisser de témoins compromettants derrière eux : ces esclaves, si quiconque leur posait des questions, n'avaient aucune volonté et diraient tout ce qu'ils avaient vu. Par ailleurs, les laisser en vie n'était pas un cadeau, et leur avenir était déjà tout tracé, elle ne ferait que le hâter. Avec l'aide d'autres aventuriers, elle leur ordonna de la suivre et ils se dirigèrent tous vers une ouverture dans le couloir qui permettait d'accéder au Puits Noir, ou Môrlat dans la langue des orcs : c'était le puits central du volcan qu'était Dol Guldur, chaud et rempli de vapeurs toxiques remontant des tréfonds de la colline. Un escalier était creusé dans la roche qui permettait de descendre aux strates inférieures, sans rambarde ni aucune protection.

Une fois qu'ils furent tous arrivés là, les esclaves sans volonté furent tout simplement poussés dans le vide. Ils tombèrent avec des cris sans vie vers une fin chaude et rapide. Il n'y avait pas eu de témoin, et de toute manière les aventuriers savaient grâce aux souvenirs de Caran Carach que de telles morts étaient fréquentes ici. C'était même le principal mode d'exécution des prisonniers ou autres. Par ailleurs, même si c'était une voie de passage, elle était très peu usitée : en dessous, il y avait la troisième strate avec le temple et les sorciers, mais ils étaient en majorité humains et préféraient utiliser les trois escaliers qui provenaient du niveau sept, et qui comportaient un air nettement moins vicié. Et encore plus bas que la troisième strate, seuls le Nécromancien lui-même ou de rares privilégiés comme Khamûl, pour le moment absent, y avaient accès.

Du coup, le groupe décida de faire halte sur les marches, malgré l'atmosphère agressive qui leur piquait les yeux, le nez ou la gorge, afin d'attendre là le moment de la prochaine relève. Ce qui permettrait à Mordin de se débarrasser du poids du hobbit qui rêvait aussi de se dégourdir les membres. Mais ce serait également l'occasion de modifier certains de leurs déguisements : le mélange de sorciers et de rôdeurs noirs soulevait beaucoup de questions et d'interrogations, il était temps de changer. A l'aide des manteaux pris dans la garde-robe du Grimburgoth, Geralt pourrait sans grand mal donner une apparence de rôdeur noir aux quatre d'entre eux qui étaient déguisés en sorciers. Ou du moins à certains à défaut de tous : il pourrait être intéressant de laisser une apparence de mage noir à un ou deux d'entre eux, au cas où... et donc Isilmë et Geralt gardèrent-ils leur apparence de sorcier. Mais au moins le Grimburgoth serait-il mieux entouré, avec plus de rôdeurs noirs comme lui à ses côtés.

Au cours de ce moment passé dans le Puits Noir, les aventuriers purent distinguer un autre élément qui le composait : à peut-être une portée de flèche de hauteur, il était entièrement obstrué par une espèce de filet composé de gros fils sombres. Il s'agissait en fait de l'énorme toile d'une araignée particulièrement grosse, dans les souvenirs de Caran Carach. Les plus perceptifs arrivaient même à percevoir, juste au-dessus de la toile, une grosse ouverture sombre dans le flanc de la cheminée du volcan, où l'araignée devait avoir son nid et où elle se tenait prête à sauter sur une éventuelle proie. Ce qui ne manqua pas d'arriver : après un certain temps, un cri annonça la chute d'une personne, qui fut étourdie par son arrivée dans la toile qu'elle fit beaucoup vibrer. Le son amena d'ailleurs des spectateurs sur les bords du gouffre, spectateurs qui applaudirent lorsque l'araignée sortit de son trou pour s'approcher de l'être englué dans la toile et qui criait de plus belle. Puis il fut mordu et empaqueté dans un cocon, tandis que ses cris mourraient, avant d'être emmené dans le nid de la gigantesque araignée...

Ces arrivées intempestives avaient forcé les aventuriers à faire comme s'ils étaient en train de monter l'escalier du Môrlat. De toute manière, le délai avant la relève de la garde des salles au trésor était en grande partie écoulé, et le groupe décida de retourner à l'escalier et la salle de garde proches de l'entrée secrète menant aux trésors de Dol Guldur. Une fois là, les gardes annoncèrent que la relève ne devait plus tarder, le krîtar était sûrement déjà en route dans l'escalier. La relève se composait de douze trolls et de dix uruks, et le krîtar était lui-même un troll ; il serait difficile de les croiser sans s'en rendre compte. Le groupe décida donc d'aller à leur rencontre.
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Horselords - 33e partie : voir Dol Guldur... (2/2)

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11 - Les trésors de Dol Guldur
Les aventuriers n'eurent pas à monter très haut que les plus perceptifs entendaient déjà la venue de nombreux trolls plus loin dans l'escalier. Manifestement, ces derniers tenaient à ce que les gens sur leur passage sentent à quel point l'escalier était à eux en priorité. Et même s'ils se poussaient le plus possible, les esclaves encombrés d'affaires diverses étaient une gêne par leur seule présence, ou l'occasion de se défouler un peu pour les trolls. Autrement dit, les nouveaux venus donnaient une idée très claire de la position hiérarchique des uns et des autres : les trolls écrasaient les petits minables qui avaient le malheur de ne pas paraître assez insignifiants à leurs yeux, ou qui n'étaient pas assez courageux pour descendre afin de ne pas obstruer le chemin, et devoir remonter ensuite. Lorsque le krîtar et la relève apparurent dans l'escalier aux yeux des premiers aventuriers, ils furent précédés par le corps d'un esclave cassé en deux et du reste de son chargement qui roulèrent dans les marches avant de s'arrêter un peu plus bas.

La présence de rôdeurs noirs et du Grimburgoth en personne mit fin à la petite fête : brusquement, les seigneurs de l'escalier étaient eux-mêmes les sous-fifres de quelqu'un de plus important. Le krîtar fut un peu estomaqué de croiser son grand chef ici ; s'il n'insista pas devant les quelques explications données par Drilun, il garda une attitude curieuse néanmoins. En tout cas, il accepta docilement d'ouvrir les salles au trésor pour le grand chef des armées (par intérim) de Dol Guldur. Une fois arrivé à la deuxième strate, il alla jusqu'à un mur de la salle de garde et un trou de serrure dans lequel il inséra une clé qu'il avait sur lui. Une porte apparut alors sur un autre mur, porte qui fut ouverte et qui donnait sur un petit couloir puis une antichambre où se tenaient deux trolls. Trois portes de métal donnaient sur cette antichambre bien gardée. Le krîtar utilisa encore sa clé pour ouvrir la porte dans le mur opposé au couloir par lequel la relève et lui-même arrivaient, accompagnés du Grimburgoth et de ses compagnons.

Les aventuriers arrivèrent alors dans une pièce hexagonale qu'occupaient dix uruks. Tandis qu'ils vidaient les lieux, le capitaine olog ouvrit tour à tour les cinq autres portes qui donnaient dans la pièce. Derrière chacune des portes, deux trolls gardaient une antichambre comportant sur le mur opposé la porte vers une salle au trésor. En plus des deux portes de la première antichambre, cela faisait donc sept pièces au trésor au total. Le krîtar se tourna alors vers le Grimburgoth, curieux et en attente d'ordres ou de plus de précisions. Vif comprit parfaitement et elle indiqua à son ami dans quelle pièce au trésor il fallait aller : celle qui était la plus éloignée de là d'où ils venaient. Le troll appuya alors discrètement sur une partie du mur de la pièce centrale proche de la salle au trésor qu'indiquait le chef des rôdeurs noirs. Puis il entra dans l'antichambre et déverrouilla la porte opposée, et il l'ouvrit. L'archer-magicien et la Femme des Bois entrèrent seuls, tandis que le capitaine troll restait sur le seuil. Il avait auparavant fermé la porte entre l'antichambre et la pièce hexagonale, si bien que les curieux en furent pour leurs frais.

En particulier, cela valait beaucoup mieux ainsi pour Mordin, qui aurait peut-être subi une attaque s'il avait vu le contenu de la pièce. Elle était en forme de trapèze immense d'une portée de flèche de gauche à droite et moitié moins face à eux. De nombreux coffres étaient présents dont certains, ouverts, débordaient de merveilleux joyaux, d'énormes pierres précieuses dont ni Drilun ni Vif n'avaient jamais vu de pareilles, et de quantité de pièces d'or voire de mithril. En fait, au cours du quart d'heure que le Dunéen passa dans la pièce, il trouva même une réserve de lingots de mithril dont il prit deux exemplaires pour lui. Mais la pièce comportait également de nombreux présentoirs où trônaient des choses aussi diverses que des armes, des armures, des bijoux particuliers comme des anneaux couverts de runes, des tapisseries vénérables prises à quelque royaume depuis longtemps disparu, et bien d'autres choses. Il cherchait un bâton dont Radagast leur avait parlé, mais ne voyait rien correspondant à la description qu'il leur avait faite.

Tout cela n’émouvait guère Vif, qui était attirée par une chose bien précise : une malle métallique formée de nombreuses parties métalliques complexes, vers laquelle elle se dirigea instantanément : la larme de Yavanna était dedans, elle en était sûre à présent. Mais comment cette malle s'ouvrait-elle ? En effet, elle ne comportait aucune serrure... Les sens presque inhumains de la Femme des Bois lui montrèrent vite que certaines pièces pouvaient bouger et que la malle elle-même était sa propre serrure, mais d'une complexité redoutable pour quelqu'un qui ne connaissait pas la combinaison des pièces à déplacer. Par ailleurs, des trous judicieusement placés donnaient à penser qu'un gaz pourrait s'échapper en cas d'erreur. Vif ne connaissait rien aux mécanismes, mais en revanche elle avait un toucher et une ouïe pareils à nuls autres, et elle entreprit de découvrir le fonctionnement de cette malle et la manière de l'ouvrir.

Tandis qu'elle opérait sous l’œil curieux du krîtar, Drilun promenait son regard à droite et à gauche pour repérer d'éventuels objets à emporter. En plus des deux lingots de mithril, il fut attiré par trois anneaux sous une vitrine, anneaux couverts de runes dont certaines manifestement elfiques, tandis que les autres montraient plutôt un savoir nain ou humain. Il les prit donc, avant de tomber en arrêt devant une splendide épée qui éveilla en lui un écho de la bibliothèque d'Elrond : il avait vu cette épée en image, c'était celle d'un roi de Númenor ou de quelque autre célèbre Dúnadan, faite pour le rassemblement et la conduite d'armées. Là encore, il la prit avec lui. Peu après, il entendit un déclic : Vif, guidée par ses sens et les infimes traces de ceux qui étaient passés avant elle, venait de trouver comment ouvrir la malle. Elle était à présent déverrouillée, et une poignée était sortie du couvercle, qui permettait de le rabattre en arrière.

12 - Altercation dans l'escalier
La Femme des Bois se recula et se tourna vers le faux Grimburgoth : en tant que chef, c'était à lui d'ouvrir la malle, d'autant que le capitaine olog observait tout cela avec grand intérêt. Drilun comprit et il fit basculer le couvercle, pour dévoiler deux objets. Le premier était un bâton de bois blanc presque lumineux, couvert de runes argentées anciennes et manifestement elfiques. Son cœur bondit dans sa poitrine quand il comprit qu'il s'agissait du bâton dont le magicien brun leur avait parlé, qui portait le nom de Krisfuin, ou "Pourfendeur d'Obscurité". Quand il le sortit de la malle, Vif vit le krîtar faire une brève grimace, comme si la seule vue du bâton le dérangeait. Et puis il y avait une pierre de la taille d'un poing, en forme de grosse goutte d'eau, blanche et translucide comme de l'ambre blanche. La Femme des Bois sut immédiatement de quoi il s'agissait : la larme de Yavanna.

Le fond de la malle comportait un flacon attaché par des appareillages divers et qui contenait un liquide rosâtre. C'était sans doute la source du gaz qu'une mauvaise ouverture de la malle aurait libéré dans l'atmosphère de la pièce. Il aurait été intéressant de récupérer cette fiole, mais le temps et les outils manquaient. Seul Geralt aurait pu examiner la chose - impensable de laisser un hobbit-snaga entrer là, d'autant qu'il était toujours caché, accroché au dos du nain grâce aux bretelles de son sac à dos - et ses compétences en mécanismes étaient limitées. Et le capitaine olog attendait manifestement de pouvoir partir... La rôdeuse et son chef sortirent donc avec leurs quelques trésors, le bâton blanc enveloppé dans un tissu précieux pris dans la salle, et le krîtar ferma la porte derrière eux. Puis il installa la nouvelle garde et fit sortir le Grimburgoth et ses compagnons avant de refermer derrière lui. Dans la salle de garde autour de l'escalier qui menait aux autres strates et au niveau sept, les gardes qui venaient d'être relevés attendaient.

Les aventuriers avaient rempli une des deux missions qu'ils s'étaient fixés : récupérer les artefacts dont Radagast leur avait parlé, avec quelques petits bonus en prime. Restait maintenant à remonter au niveau sept, trouver le chemin à travers la Toile qui menait jusqu'à Lugdûm, et sauver Bronwyn des griffes du chef troll qui l'avait amenée là. Ils prirent donc l'escalier, suivis de près par le capitaine olog et les troupes - douze trolls et dix uruks - qui venaient d'être relevées de la garde des trésors de Dol Guldur. Suivis de très près même : le krîtar ne perdait pas de vue le faux Grimburgoth, et il tint même à s'entretenir avec lui concernant une question sur un officier pour lequel il requérait son avis. Il lui demandait ni plus ni moins que de faire une petite tournée avec lui lorsqu'ils seraient revenus au niveau sept.

Tout cela ne manqua pas d'inquiéter Drilun : d'une part il ne se voyait pas faire la revue des troupes avec le capitaine troll, d'autre part il commençait à douter de ses réelles intentions : le krîtar le testait-il ? Comment le Grimburgoth aurait-il réagi face à une telle demande ? Même s'il ne répondit pas favorablement aux souhaits du troll, il trouvait qu'il lui portait une attention de plus en plus pesante, attention confirmée par Geralt peu après. Pour lui qui connaissait très bien le langage corporel, les manigances du troll étaient claires : il mentait comme il respirait et cette demande n'était qu'un leurre pour le piéger. Peut-être même la (mauvaise) façon dont le Dunéen avait répondu l'avait-il déjà trahi aux yeux du krîtar ? Cela fut confirmé à nouveau par Vif un peu plus tard, quand elle entendit, grâce à sa formidable ouïe, le capitaine olog chuchoter à l'oreille d'un autre troll concernant sa certitude d'avoir affaire à un imposteur...

Les plans du krîtar dont la conversation était surprise par la Femme des Bois devinrent vite limpides : attendre l'arrivée au niveau sept où il aurait à sa disposition son armée de mille uruks, sans parler des autres armées proches, pour démasquer ce faux Grimburgoth et ses amis. Et il ne perdait pas Drilun de vue... ce qui serait peut-être sa perte. Il ne fallait pas attendre d'être arrivé au niveau sept pour réagir, et le troll devait être abattu avant. Restait à trouver le bon moment, par exemple quand l'escalier serait libre d'esclaves ou autres au-dessus des aventuriers, mais que quelques-uns gêneraient encore les trolls en traînant dans leurs pattes à ce moment-là. Vif, qui percevait mieux que les autres les environs, fut discrètement chargée de prévenir quand viendrait le moment opportun, tandis que l'archer-magicien préparait discrètement son arc et une flèche spéciale...

Et le moment arriva enfin : alors que quelques esclaves attiraient l'attention et la mauvaise humeur des trolls, la féline rôdeuse fit un signe et Drilun se retourna, flèche encochée. Il cria après le krîtar qu'il n'aurait pas dû douter de son identité et encore moins de son ouïe. La flèche qu'il décocha blessa gravement le capitaine olog qui hurla de douleur, mais il tint encore debout, tandis que les autres trolls, intimidés par la voix du Grimburgoth, n'osaient pas prendre parti. Le krîtar était coriace et résistait bien aux blessures, jusqu'à ce que Geralt saisisse l'occasion de lui en porter une à une jambe, qui acheva de le déséquilibrer avec une nouvelle flèche à la tête. Il tomba dans l'escalier sur un certain nombre de marches, suivi par le Grimburgoth et ses compagnons. Le troll était encore vivant, aussi Drilun donna-t-il un ordre et Taurgil tira son cimeterre ténébreux et s'avança. Il lui fallut porter plusieurs coups à la tête du troll pour l'achever, puis le monstre expira enfin. Le rôdeur le fouilla et prit la clé des salles au trésor. Puis il la remit au Grimburgoth qui marmonna quelque chose à propos de trouver un nouveau capitaine. Et ils reprirent tous leur ascension, dans un escalier devenu très silencieux.

13 - Recrues et alarme
Il ne fallait plus perdre de temps. L'incident se saurait assez vite dès qu'ils seraient revenus au niveau sept, ce qui risquait de soulever des interrogations et de compromettre le déguisement de l'archer-magicien. Sans parler du chef troll qui avait emmené Bronwyn à Lugdûm : il fallait l'intercepter au plus vite, non seulement parce qu'ils devaient récupérer la princesse nordique, mais également parce qu'il était au courant de la mort du Grimburgoth. Certes, Drilun, sous son déguisement de chef des armées par intérim, avait envoyé une armée dans la Toile, les souterrains occupés par les orcs, afin d'intercepter le ravisseur de Bronwyn s'il prenait le tunnel de Lugdûm à Dol Guldur. Mais comment réagiraient les sous-fifres que le Dunéen avait fait envoyer si Kull, le chef troll, leur disait que celui qui leur avait donné l'ordre était un imposteur ? D'après les souvenirs de Caran Carach, Kull était supérieur au krîtar qu'il avait abattu peu auparavant dans l'escalier. A priori quelqu'un de bien plus intelligent qu'un bête troll, et certainement très persuasif...

La traversée du niveau sept se passa sans problème, et les gardes uruks ne firent aucun commentaire, même s'ils les regardaient passer avec une curiosité non dissimulée. Au loin derrière eux, Vif arrivait à percevoir une sourde rumeur : le récit de leur altercation dans l'escalier devait rapidement faire l'objet de toutes les discussions, tandis que les trolls et uruks de la garde sortaient de l'escalier. Les aventuriers arrivèrent au premier poste de garde sur la Toile, avec ses deux orcs devant la herse baissée, herse qui mettait trop de temps pour être remontée. Le groupe passa et pénétra dans la Toile. Les aventuriers furent assaillis par l'odeur insupportable des orcs et de leurs immondices, mais Drilun utilisa un sort pour purifier l'atmosphère et la rendre plus respirable. Il avait lancé discrètement son sort, et même si cela représentait toujours un risque, il se disait qu'à présent qu'ils fuyaient vers Bronwyn et la sortie, ce n'était plus si important.

Le groupe repéra assez facilement - Vif surtout - l'emplacement des pièges qu'ils croisèrent et des mécanismes pour les désactiver. Ils progressèrent ainsi jusqu'à une première caverne d'orcs, où le Grimburgoth, fort de son autorité, recruta les orcs et les loups présents qui n'avaient pas eu la présence d'esprit ou le temps de s'esquiver. C'est donc un groupe fort d'une centaine de membres qui reprit le tunnel menant au poste de garde entre Lugdûm et Dol Guldur, poste de garde normalement condamné mais que les aventuriers doutaient qu'il le fût vraiment. La troupe avança encore un peu quand, brusquement, des sons puissants se firent entendre : de nombreux cors et tambours devant eux, et une espèce de puissante corne de brume. Progressivement les sons se propagèrent dans toute la Toile et les orcs s'arrêtèrent, inquiets : l'alarme générale venait d'être donnée, et bientôt tout Dol Guldur saurait que des intrus avaient pénétré ses flancs ou que des ennemis menaçaient la forteresse du Nécromancien, qui serait très vite sur le pied de guerre.

Drilun donna l'ordre aux orcs et loups de reprendre leur progression : eux du moins ne savaient pas ce qu'il se passait, ils étaient faciles à manipuler. Mais les humains et trolls qu'il avait envoyé devant eux, au poste de garde vers Lugdûm, ne seraient sûrement pas dupes aussi aisément, surtout si - comme c'était probable - Kull était avec eux. Le chef troll devait être l'équivalent d'un commandant olog, sans doute bien malin pour avoir été choisi pour cette mission qui consistait à doubler les sorciers envoyés pour ramener Bronwyn. De toute manière, à présent que l'alarme était donnée, le temps jouerait contre eux et la couverture du faux Grimburgoth ne pouvait plus être une garantie de succès.

Une nouvelle caverne fut atteinte, pleine d'orcs dans l'expectative, armes à la main sauf pour ceux qui relayaient l'alarme avec des cors et tambours. La voix forte du Grimburgoth leur annonça que des traîtres allaient s'attaquer à eux et qu'il faudrait les abattre, et ainsi de nouveaux orcs furent enrôlés, heureux à l'idée de bientôt répandre le sang. Et ensuite ? A partir de la caverne, deux voies permettaient d'arriver au poste de garde vers Lugdûm : lequel prendre ? Mais Vif indiqua qu'il n'était plus temps de choisir : des sons arrivaient des deux côtés de la caverne, dont des bruits sourds et puissants caractéristiques des trolls. Une armée de trolls et d'humains arrivaient sur eux, aidés par les loups et les orcs que Kull avait dû embaucher dans les quelques cavernes qui les séparaient du poste de garde qu'ils cherchaient à atteindre. Ils seraient là dans très peu de temps, et eux n'avaient que de médiocres troupes d'orcs et de loups. L'issue était inévitable...

14 - Un combat perdu d'avance
La série de cavernes où ils se trouvaient présentement ferait un terrain de bataille convenable : d'une part car c'était la caverne d'orcs de leur côté, d'autre part car elle comportait de nombreux recoins et anfractuosités dans lesquels se cacher éventuellement. Certes, puisque la caverne était à un carrefour, il faudrait faire face à deux fronts au moins, ce qui n'était pas en leur faveur. Mais de toute manière ils n'avaient pas le temps de faire manœuvrer les orcs correctement ni de trouver un lieu idéal pour ce genre de bataille. Et puis l'ennemi était très supérieur en nombre, donc une meilleure situation ne ferait que leur faire gagner un peu de temps, avec le risque de les enfermer dans une situation inextricable. Enfin, le combat était imminent...

Dans des hurlements de joie sauvage, les orcs et les loups des deux côtés se jetèrent les uns sur les autres. Ça ne les changeait guère de leurs habitudes, car ils passaient une bonne partie de leur temps à se chamailler et à faire des raids les uns sur les autres pour davantage de nourriture, des meilleures armes ou une caverne plus spacieuse. D'ordinaire leurs escarmouches n'avaient pas une telle ampleur, car sinon les chefs y perdaient la tête et étaient vite remplacés par d'autres plus raisonnables. Là, on leur demandait une extinction totale, ce qu'ils n'avaient pas connu depuis très longtemps voire pas du tout, et qui correspondait parfaitement à leur nature. Ils ne ménagèrent donc pas leur joie.

Après un moment tout de même, lorsque les orcs et les loups se furent joyeusement entretués et que leur nombre avait réduit de plus de moitié, Kull ou les autres chefs qui commandaient aux troupes adverses envoyèrent humains, uruks et trolls. Si les premiers avaient déjà subi un combat et des blessures ailleurs, pour certains, les trolls et uruks ne semblaient pas tant affaiblis. Les orcs et loups restants furent bien vite balayés, et leur moral avec : Grimburgoth ou pas, quand il s'agit de sauver sa peau, un chef ne vaut plus rien s'il n'est pas capable de mettre ses menaces à exécution. Hormis les orcs et loups les plus proches de Drilun, les autres se faufilèrent dans des conduits étroits ou s'enfuirent vers Dol Guldur et les autres habitants de la Toile que l'on entendait approcher, sans doute attirés par les bruits de bataille.

Les aventuriers, assez proches les uns des autres, mirent brièvement la main à la pâte, le temps de tuer quelques ennemis qui s'étaient un peu trop avancés. La caverne était pleine de cadavres, les quelques feux et torches éclairaient mal, c'était le bon moment de se faire discret. Certains n'avaient d'ailleurs pas attendu, comme la Femme des Bois, qui n'avait pas grand-chose à apporter dans un combat, privée qu'elle était de ses pouvoirs de transformation en félin. Elle avait déjà trouvé une anfractuosité où se cacher, vite imitée par le hobbit, caché non loin du tunnel par où ils étaient arrivés. Isilmë restait dissimulée dans un repli minéral, non loin du hobbit, et les quatre autres compagnons trouvèrent à se cacher d'une manière ou d'une autre. Par exemple sous une pile de cadavres comme Mordin, ou sous une pile d'immondices qui servait de paillasse pour Drilun, ou en simulant leur mort au combat comme Geralt.

Tandis que les derniers bruits de combat ou de fuite s'éteignaient, les aventuriers retinrent leur souffle. Geralt avait préparé le nid de guêpes magique donné par Radagast, qui permettait de semer la panique tout autour du nid lorsque la magie serait activée, à une distance de peut-être trente mètres. L'idée était de pouvoir repérer Bronwyn et de faire en sorte que ses ravisseurs soient pris dans la magie concoctée par le magicien brun. L'objectif était de profiter de la situation, récupérer la princesse et s'enfuir avant que les ennemis reprennent leurs esprits et se mettent à leur recherche. Facile à dire, moins à faire : Vif avait perçu au bruit autour d'une trentaine de trolls dans la caverne ou aux alentours, mais pas Bronwyn. Déjà que de percevoir quelque chose dans les clameurs du combat était difficile, mais pourquoi diable la princesse ferait-elle quoi que ce soit qui permettrait de la reconnaître ? Elle ne savait même pas que les aventuriers étaient là... Aventuriers qui risquaient d'être rapidement découverts, au vu des orcs, trolls et loups qui commençaient à fouiller les environs, cadavres compris. Il fallait vite trouver une idée...

15 - Un hobbit trop pressé
Avant qu'il y ait trop d'ennemis proches et qu'il soit découvert, Taurgil sortit de sa cachette et reprit le combat. Il fut rapidement rejoint par Geralt, et ils se mirent dos à dos dans un passage relativement étroit, en tout cas suffisamment pour gêner un peu un troll ou permettre à une seule personne de bloquer le passage. Ainsi, ils pouvaient tenir un bon moment, d'autant qu'ils avaient mangé une de leurs dernières noix d'écureuil pour augmenter leurs réflexes et leur adresse. Les ennemis convergèrent vers eux : orcs, trolls, loups, uruks et humains. Mais c'était surtout les trolls qui pouvaient poser problème... Et puis, alors que personne ne l'attendait, Rob sortit également de sa cachette pour aider ses amis avec ses flèches... et former une nouvelle cible vers laquelle attirer les pas des ennemis. Il se dit, mais un peu tard, qu'il aurait peut-être mieux fait de rester caché. L'avenir lui donna raison.

Tandis que Taurgil tenait bon contre un troll, Geralt en abattait un premier, un second, supportait sans mal les flèches d'archer ou les crocs d'un warg, et ainsi de suite. Mais parfois, pressés par le combat, le Dúnadan et l'Eriadorien aux cheveux blancs étaient un peu serrés voire se gênaient. Heureusement pour le maître-assassin, l'empilement des corps des deux trolls abattus gênait beaucoup les ennemis qui tentaient de parvenir jusqu'à lui. Ailleurs, après avoir abattu quelques ennemis, le hobbit faisait un plongeon qui l'éloignait de ses amis pour éviter l'ire d'un troll, tandis qu'un loup et des uruks s'approchaient de lui. Rob avait lui aussi mangé une noix d'écureuil et il arrivait à tirer rapidement ses flèches, mais elles n'étaient pas assez puissantes pour tuer d'un seul coup un troll ou faire face à plus d'un ou deux ennemis. Et il en arrivait davantage...

Ailleurs, après un moment à rester cachés, Mordin et Drilun avaient eux aussi quitté leur abri avant que la caverne où ils se trouvaient ne fût trop pleine d'ennemis. Le nain avait jeté une poignée de graines de roncier magiques qu'il avait préparées. Elles avaient pu pousser sur le sol plein d'immondices, permettant de presque fermer un côté de la caverne loin de ses amis, et de limiter ses adversaires. Drilun, en plus d'abattre un ou deux ennemis, prit une noix d'écureuil qu'il arriva à porter à la bouche de Mordin, comme ce dernier l'avait réclamé en protégeant son ami d'éventuelles attaques. Ils s'aidaient donc tous un peu les uns les autres, sauf Vif et Isilmë qui restaient cachées, et Rob qui était un peu à l'écart et qui reculait petit à petit dans le couloir par où ils étaient arrivés. Il faisait face à un troll qu'il venait d'abattre d'une flèche en pleine tête, ainsi que deux uruks, entre autres. Il percevait derrière lui des bruits de nombreux pas, encore lointains mais qui se rapprochaient régulièrement.

Le troll que le hobbit avait fait tomber n'était pas mort, hélas, et il se redressa, plus furieux que jamais. Rob, après avoir abattu un uruk, décida de chercher le salut avec un petit voire un grand plongeon en arrière. Malheureusement ses pieds glissèrent sans doute sur des immondices laissés par des orcs et il s'étala devant ses adversaires ravis. Croyant sa dernière heure arrivée, il poussa un grand cri de terreur en se jurant bien de faire le ménage tous les jours dans son trou de hobbit si jamais il arrivait à sortir de là, et il ferma les yeux. Mais un autre cri répondit au sien, qui lui apporta quelques secondes d'existence et d'espoir de plus : Isilmë, qui avait suivi un moment le combat de son petit ami à distance, toujours cachée, s'inquiétait pour lui. Quand elle l'entendit crier, elle sortit de son coin en hurlant, l'épée à la main, pour se précipiter vers les agresseurs de son ami aux pieds poilus et à la tête parfois un peu vide.

Elle aussi avait mangé une noix de l'écureuil, et elle était naturellement très rapide même sans ça, et très douée à l'épée. Un orc qui se trouvait sur son chemin perdit la tête avant de comprendre ce qui lui arrivait dessus, puis elle enfonça sa lame dans le dos du troll avec toute l'énergie dont elle était capable, avant de finir en plongeant dans les jambes de l'uruk qui s'apprêtait à faire un sort à Rob. Le tout en quelques secondes. Le troll trouva soudain qu'il lui manquait trop d'entrailles pour continuer à vivre, et il s'abattit en avant... sur le hobbit, dont la voix se tut brusquement. L'uruk, complètement déséquilibré, n'eut pas le loisir de porter un coup au petit bonhomme bientôt enseveli par une tonne de muscles et autres tissus organiques malodorants. Il finit par terre et n'eut pas le temps de se relever : l'elfe l'avait fait avant lui et elle mit fin à ses jours. Rob était sauf... mais était-il encore vivant ? Et pour combien de temps ?

16 - Des guêpes en folie
Ailleurs, ça n'allait pas trop fort : plusieurs aventuriers avaient pu suivre les malheurs de Rob et son sauvetage in extrémis, et le grand danger dans lequel il se trouvait, si même il était encore vivant. Mais avant cela, tous avaient réfléchi à une manière de savoir si la princesse était là, ou plutôt savoir là où elle était, afin d'utiliser les guêpes magiques pour se tirer - et la tirer - de cette fichue situation. Ils ne pourraient sans doute pas tuer tous leurs ennemis, et des renforts risquaient d'arriver tôt ou tard. Dans leur tête ou par de brefs échanges verbaux parfois, ils se dirent qu'il fallait faire réagir Bronwyn, en espérant qu'elle en serait capable, sans pour autant prévenir les trolls de ce qu'ils comptaient faire, pour éviter qu'ils ne l'empêchent de signaler sa présence.

Geralt se mit alors à crier - fort - en nordique, évoquant une partie de leurs aventures communes, non sans une touche d'humour, afin qu'elle fût sûre qu'elle ne rêvait pas et que ses amis étaient proches. Il ne perçut rien en retour mais continua à crier ainsi, tandis que le combat continuait tout autour de lui. Seule Vif ne participait pas, et elle restait cachée, tous les sens aux aguets, en particulier l'ouïe. Elle entendit bientôt une voix de femme nordique crier quelque chose en retour, avant d'être réduite au silence suite à un coup manifeste. Mais cela suffisait à la Femme des Bois : si elle ne savait pas exactement où se trouvait leur amie prisonnière, elle connaissait à présent le tunnel dans lequel les trolls la gardaient auprès d'eux. Elle cria alors à Geralt où il devait aller pour utiliser le nid de guêpes.

Le maître-assassin venait d'abattre son troisième troll peu auparavant et il s'était retourné pour aider son ami dúnadan à combattre le troll auquel il faisait face depuis un moment. Entendant les paroles de la Femme des Bois, il se jeta en arrière et franchit les corps morts de ses puants adversaires en quelques bonds. Toujours stimulé par la noix de l’écureuil, il se faufilait entre les ennemis et leurs coups, à toute l'allure dont il était capable, dans la direction que Vif lui indiquait. Malgré les ennemis, il finit par arriver en vue de l'un des tunnels par où continuer vers Lugdûm. Quelques torches et restes de feux lui fournirent assez de lumière pour distinguer, un peu plus loin dans le tunnel, un groupe de quelques trolls. L'un d'eux était penché sur une forme allongée au sol, silhouette qui comportait des cheveux blonds qui brillaient légèrement dans le peu de lumière qui arrivait jusqu'à elle.

A nouveau, l'Eriadorien aux cheveux blancs enchaîna les plongeons et esquives pour se rapprocher de son but tout en évitant les coups de ses ennemis. Il était au moins deux fois plus rapide qu'eux, extrêmement bien entraîné, et équipé d'une excellente armure. Une anguille impossible à atteindre hormis pour un troll voire un groupe d'entre eux, ou des archers en grand nombre. Mais là ses ennemis n'étaient pas bien coordonnés, ils se gênaient et n'avaient jamais vu quelqu'un d'aussi vif que lui. Il arriva enfin à une distance qui lui parut suffisante pour affecter les ravisseurs de Bronwyn, tout en restant assez proche de ses autres amis pour que leurs propres ennemis soient affectés. Peut-être serait-il hors de portée d'Isilmë et du hobbit, mais il faudrait faire avec. Il écrasa alors le nid de guêpes par terre.

En l'espace de quelques secondes, l'air parut s'emplir d'un vrombissement assourdissant que les cris des orcs, des loups, des humains et même des trolls n'arrivaient pas à recouvrir. Tous les ennemis subirent une peur panique inexplicable qui les fit fuir de tous les côtés. Les trolls auprès de Bronwyn la laissèrent en plan, par terre, tandis que Geralt se précipitait vers elle en découpant les têtes de ceux qui risquaient de la piétiner. Ailleurs, tout combat avait cessé ; les ennemis hors de portée de cette magie subirent les effets contagieux de cette panique, ou décidèrent qu'il valait mieux fuir avec ses amis que se retrouver face à de puissants adversaires capable de faire croire aux trolls qu'ils étaient comme des lapins face à une bande de renards ou autre prédateurs... Il ne resta bientôt plus que les aventuriers, même si derrière eux, côté Dol Guldur, des bruits leur rappelaient qu'ils ne resteraient pas seuls bien longtemps.

17 - Sauvetages
Isilmë était trop loin de la nuée de guêpes magique pour que ses effets parvinssent jusqu'à elle, mais elle n'en avait pas eu besoin : il y avait trop peu d'ennemis proches encore debout au moment où Geralt avait utilisé le cadeau de Radagast, et ceux qui n'avaient pas été affectés avaient fait comme les autres. Ou alors ils étaient morts. Ce qui lui laissait tout loisir de tenter de sauver le hobbit écrasé sous le corps du troll. De ce qu'elle en percevait, il était inconscient et ne respirait plus, elle était seule pour essayer de le sortir de là, et bien entendu le corps du troll était trop lourd pour elle. Par ailleurs, même si elle arrivait à tirer Rob de sous la carcasse, il était au minimum gravement blessé et elle risquait ainsi d'aggraver ses blessures.

Était-ce la chance habituelle d'Isilmë (dont le hobbit profita bien), sa motivation ou les immondices glissantes qui servirent de lubrifiant ? En tout cas la guerrière elfe arriva à soulager un peu le poids du troll sur Rob et à le tirer de là, tout en se servant de ses compétences de soigneuse pour s'assurer qu'il restait en un seul morceau pas plus abimé qu'auparavant. Lorsque ses amis arrivèrent pour l'aider, le hobbit était allongé par terre, à côté du troll, ausculté par Isilmë qui en même temps fouillait ses affaires pour prendre un des cadeaux de Radagast. Le cœur du petit voleur battait toujours et il n'avait pas fallu beaucoup d'effort pour qu'il se remît à respirer, mais il avait plusieurs côtes cassées et sans doute des saignements internes qui le condamnaient à une mort certaine... ou presque.

Car le magicien brun leur avait donné à chacun un don-de-vipère, cette glande en forme de haricot aux pouvoirs miraculeux qui permettait de soigner les blessures les plus graves... si on en laissait le temps au corps. Et Radagast leur avait dit qu'il avait utilisé ses compétences pour que l'effet de ces "médicaments" soit encore plus rapide que d'ordinaire. Elle lui fit donc avaler le don-de-vipère qu'elle avait fini par trouver, malgré l'inconscience du grand blessé. Son état semblait stable, et après un moment il sortit même de son inconscience. Mais il n'était pas guéri, loin de là, il lui fallait du repos et du temps, même avec la magie du magicien brun. Et s'il était à peine assez en forme pour rester conscient et les yeux ouverts, il n'avait pas la force de marcher. Il faudrait le porter, ce qui risquait de compliquer son état. Mais ils n'avaient pas le choix.

Taurgil, habitué aux soins et très costaud, prit le petit bonhomme dans ses bras en essayant de le ménager le plus possible. Puis ses amis proches et lui partirent retrouver Geralt et celle qu'ils étaient venu secourir. Le maître-assassin avait pu en effet constater que la princesse nordique était bien vivante, même si elle n'était pas en grande forme : elle était épuisée par la course que les trolls lui avaient imposée, sans parler de coups douloureux qu'elle avait reçus, même s'ils ne menaçaient pas sa santé. Elle ne disait rien, peut-être trop abasourdie pour comprendre comment elle retrouvait là ses amis, ou trop intelligente pour croire qu'elle était déjà tirée d'affaire. Elle bénéficia d'onguent orc pour soigner ses rares blessures, lui octroyant au passage quelques méchantes cicatrices, et d'une gorgée de cordial d'Imladris pour lui redonner de l'énergie. On lui remit une épée ainsi qu'un peu d'équipement divers pris sur des adversaires défunts, et le groupe fut bientôt parti.

Il y avait un piège un peu plus loin dans le tunnel, une fosse qui transformait ceux qui tombaient dedans en homards prêts à la dégustation, grâce à la vapeur brûlante tirée des tréfonds de la colline du Nécromancien. Beaucoup espéraient que Kull, le chef des trolls, était tombé dedans, mais la Femme des Bois avait dû les faire déchanter. De ce qu'elle avait entendu à distance, des orcs avaient déclenché le piège en courant et devaient à présent moisir au fond de la fosse, mais les trolls avaient dû sauter par-dessus. Le moment venu elle trouva la pédale dans un renfoncement au bas du sol et elle désamorça le piège. Tous passèrent, mais ils ralentirent lorsqu'ils perçurent qu'ils approchaient d'une caverne d'orcs avec une voix forte de troll qui donnait des ordres. Kull avait bien survécu, et il organisait la contre-attaque.

18 - Autres combats
Mais le chef olog n'avait pas eu le temps de rassembler grand monde ni d'organiser ses troupes, et l'oreille redoutable de Vif ne percevait la présence que de six trolls et sans doute quelques dizaines d'orcs petits et grands, d'hommes et de loups. Hormis le chef, dont certains se méfiaient, les autres ne paraissaient pas une menace pour des aventuriers encore vaillants et surtout encore sous le plein effet de la noix de l'écureuil pour la plupart. Par ailleurs, ils n'avaient pas vraiment le choix de combattre ou non : rebrousser chemin et passer par un autre tunnel leur ferait perdre du temps et ils trouveraient d'autres ennemis qu'ils avaient fait fuir, sachant que des renforts venus de Dol Guldur arriveraient bien assez tôt. Il fallait donc forcer le passage sans attendre.

Le groupe avança jusqu'à proximité de l'entrée de la caverne et de ses feux, puis le hobbit fut doucement déposé au sol. Bronwyn le garderait tandis que Vif resterait près de l'entrée, tous les sens aux aguets afin d'aider ses amis du mieux possible avec ses perceptions. Geralt, Taurgil et Mordin avancèrent, l'arme prête, tandis que Drilun et Isilmë avaient leur arc bandé, une flèche encochée. Auparavant, tous avaient pris un peu de temps pour recouvrir leurs lames ou pointes de flèche avec les divers poisons trouvés dans le bureau du Grimburgoth. Peut-être les poisons n'auraient-ils même pas le temps d'agir, mais deux précautions valaient mieux qu'une. Et de ce qu'ils en estimaient, les poisons avaient des chances d'incommoder même les trolls.

Seuls ces derniers étaient une réelle menace, et leur nombre se réduisit bientôt grâce aux flèches de l'archer-magicien lancées par l'arc magique du Grimburgoth, puis à la lame enchantée du maître-assassin. Des loups et orcs essayèrent bien de prendre l'archer à revers, mais ils furent impitoyablement abattus par l'archère elfe. Devant les têtes ou entrailles qui volaient, les orcs, loups et hommes abandonnèrent rapidement le combat. Même Kull, puissant troll de plus de trois mètres de haut, ne résista pas bien longtemps. Étourdi par une flèche de Drilun et son poison, il fut une proie facile pour Geralt qui libéra ses entrailles à l'aide de sa lame enchantée. Seul Mordin fut légèrement blessé : il s'était glissé dans le dos du chef troll et avait tenu à lui porter un coup de sa hache magique alors même que le monstre commençait à chuter vers l'arrière. Il n'avait donc pu se pousser à temps et il avait été durement heurté par le corps mourant de Kull.

Rob fut ramassé et le groupe reprit son avancée. D'autres pièges furent désamorcés grâce aux souvenirs ou perceptions des uns ou des autres, et Vif en particulier. Une autre caverne d'orcs fut traversée, une intersection fut franchie, et les ennemis fuirent à leur approche. Ce qui n'empêchait pas les tambours et autres signaux d'alarme de continuer à retentir derrière eux, en direction de Dol Guldur. Ils étaient juste un peu plus lointains, alors que le groupe se rapprochait du poste de garde abandonné - et sensé être bloqué - vers Lugdûm. Mais il avait bien fallu qu'il fût libre pour que Kull et Bronwyn puissent le passer. Cette dernière ne se souvenait de rien de particulier, elle n'avait pas souvenir d'aucune herse ou autre, d'autant que les trolls avançaient dans l'obscurité et qu'elle n'y voyait rien.

A la dernière intersection, l'équipe trouva les restes de l'armée ayant fui par l'autre côté de la première caverne où ils avaient mené combat et où le hobbit avait été gravement blessé. Ils étaient peu nombreux, avec quatre trolls ayant du mal à empêcher les orcs et autres de prendre leurs jambes à leur cou. Un peu de cervelle écrasée sur un mur avait dû aider à les convaincre de rester. Ces trolls-là utilisèrent des gros rochers qu'ils jetèrent à la tête des aventuriers quand ils s'approchèrent, mais la noix de l'écureuil faisait toujours effet, les cibles étaient trop rapides et bien équipées, et le tunnel était heureusement assez large. Les rochers ne firent rien d'autre que les effleurer ou égratigner leurs armures, et bientôt les trolls furent percés de flèches ou taillés en morceaux, tandis que les sous-fifres s'enfuyaient en courant dans le tunnel latéral. Le poste de garde vers Lugdûm devait à présent être tout proche.

19 - Passages secrets et mécanismes
Mais avant même d'arriver dans le passage rectiligne qui dénotait la présence de ce poste de garde, Vif fit une découverte sous la forme d'un passage dissimulé. Il n'était ni piégé ni verrouillé, il suffisait de pousser pour que la porte pût s'ouvrir. Elle donnait sur un petit réduit comportant trois manivelles fixées au mur, dans lequel des engrenages transmettaient probablement la force de rotation à un mécanisme du poste non loin. La Femme des Bois vit des marques (et des odeurs) indiquant que les manivelles avaient été utilisées peu de temps auparavant. Drilun pourrait-il en savoir plus à l'aide de sa magie ? Il eut un peu de mal à voir les traces, mais avec l'aide de son amie il y parvint. Le sort qu'il fit lui apporta la vision d'un grand troll tournant les manivelles à grande allure, l'une après l'autre. Et ce fut tout.

Plus loin, d'autres traces occupaient tout l'espace du tunnel : trois larges blocs de granite, présents au plafond, avaient dû bloquer le passage jusqu'à il y avait peu. Aux traces laissées sur place et à la taille des blocs, une fois baissés il n'y avait plus aucun passage possible sauf peut-être pour quelque chose de la taille de la main - rats ou souris. Cela correspondait aux souvenirs de Caran Carach : en temps normal les blocs de pierre étaient baissés et empêchaient tout passage. Kull ou l'un des siens avait donc dû passer, à un moment ou un autre, pour relever les blocs à l'aide des manivelles trouvées dans le petit réduit. Au vu de la taille des blocs et leur probable poids, cela avait dû être long et éreintant, sauf peut-être pour un troll... et encore.

Tandis qu'une partie de l'équipe restait près des manivelles, une autre partie avançait dans le tunnel. Peu après le troisième bloc de granite, deux passages dissimulés furent repérés, l'un face à l'autre. Et ils comportaient tous deux un petit trou de serrure, d'une taille qui pouvait correspondre à celle de la petite clé trouvée sur le Grimburgoth. Elle fut essayée sur le passage de gauche : elle s'inséra bien, tourna sans mal et la porte secrète s'ouvrit. Après un petit couloir, elle donnait sur une vaste pièce comportant quatre portes et un escalier qui montait. Une demi-douzaine de meurtrières sur un mur permettaient d'apercevoir le tunnel entre Lugdûm et Dol Guldur. Tout semblait à l'abandon, même si quelques rares traces et odeurs dénotaient un passage relativement récent. Par ailleurs un tonneau rempli de torches prêtes à servir traînait dans un coin. Sans doute pour remplacer d'éventuelles torches usées dans la pièce ou dans le tunnel. Ce dernier comportait une torchère tous les trois mètres, en alternance sur un mur ou l'autre, le tout sur une trentaine de mètres. C'était comme pour l'autre poste de garde qu'ils avaient franchi près du niveau sept de Dol Guldur. Mais là les torches n'étaient pas allumées, même si elles étaient présentes.

Avec précaution, les lieux furent visités. L'escalier menait à une pièce au-dessus du tunnel, pièce qui faisait la jonction avec un autre escalier qui en descendait. Cet escalier amenait à une autre pièce, avec portes et meurtrières, similaire à la première dans laquelle ils étaient entrés. La pièce au-dessus du tunnel comportait des ouvertures dans le sol permettant de balancer des projectiles divers sur les gens présents dans le tunnel, et même divers liquides, à en croire les rigoles dans le sol. Une barrique d'un liquide huileux et de quoi le faire chauffer ou brûler permettait de deviner facilement l'utilisation qu'on pouvait faire de ce lieu et son équipement. Ailleurs, dans les deux pièces du bas, les portes donnaient sur ce qui semblait être des baraquements pour orcs, y compris des latrines inutilisées. Mais une pièce était différente.

Là où, côté droit du tunnel en arrivant de Dol Guldur, se trouvait la probable chambre d'un officier, c'était tout autre chose côté gauche : si elle avait la même taille - un carré de quatre pas de large - la petite pièce comportait quatre leviers sur un mur, et trois manivelles sur le mur opposé. A quoi pouvaient-ils bien servir ? Tant dans le passage de l'autre poste de garde que dans les souvenirs de Caran Carach, les aventuriers savaient que deux herses et une fosse étaient présentes dans le tunnel. Les leviers devaient sans doute servir à les faire tomber. Mais le quatrième ? S'il permettait de sceller le passage derrière eux avec les blocs de granite, cela valait la peine d'apprendre à s'en servir. Encore fallait-il ne pas se tromper et éviter qu'une partie de l'équipe soit bloquée en arrière...

20 - Obstacles de poids
Après avoir prévenu ses amis, Vif, accompagnée de Geralt dans la pièce aux mécanismes, s'essaya aux leviers et manivelles. Elle essaya ces dernières en premier, mais aucune ne voulait bouger dans un sens ou dans l'autre. Sans doute que la manipulation des leviers était d'abord nécessaire... De fines traces, là encore probablement laissées par un troll, lui indiquèrent que les trois leviers les plus éloignés de Dol Guldur avaient servi récemment. Elle prit le plus proche de Lugdûm et le baissa, et aussitôt la herse côté extérieur (vers Lugdûm) tomba dans le tunnel. Elle releva le levier, mais rien ne se passa. Elle empoigna la manivelle placée du même côté, sur le mur opposé, mais elle refusait de bouger. Elle abaissa à nouveau le levier qui avait fait tomber la herse, et là la manivelle accepta de bouger, permettant de ramener - lentement - la herse dans le plafond. Une deuxième personne était nécessaire pour actionner le levier en face et bloquer la herse dans sa position.

Elle testa ensuite les deux autres leviers récemment utilisés. Une trappe s'ouvrit bientôt dans le tunnel, à peu près au milieu de la zone des meurtrières, zone qui correspondait à l'espace délimité par les deux herses. La deuxième herse tomba d'ailleurs bientôt. Il était donc facile d'utiliser ces mécanismes, et d'en profiter pour retarder les poursuivants qui viendraient plus ou moins tôt de Dol Guldur. Toute l'équipe rejoignit le poste de garde, sauf Geralt, qui resta dans le conduit aux trois manivelles qu'ils avaient trouvé en premier. A l'aide de son épée enchantée, il détruisit les trois manivelles, qui devraient ainsi être remplacées avant de pouvoir permettre de relever les lourds blocs de granite. Puis il rejoignit ses amis.

De l'autre côté, les compagnons de Geralt avaient relevé les herses juste assez pour pouvoir passer dessous, et avec un peu d'huile de coude ils avaient refermé la fosse qui comportait au fond une belle brochette d'épieux d'acier effilés. Une fois son ami revenu, Vif actionna le quatrième levier. Comme prévu, les trois blocs de granite descendirent du plafond et bloquèrent totalement le passage vers Dol Guldur, sans espoir de les voir se relever bientôt. Ils étaient tranquilles de se côté-là, il ne restait plus qu'à aller jusqu'à Lugdûm, affronter sa garnison et son chef sorcier demi-troll, voire des sorciers ayant pris la place. Et après cela il restait encore à sortir de la forteresse et prendre de vitesse ou affronter les armées qui ne manqueraient pas de se porter à leur rencontre s'ils tardaient trop, avant de pouvoir retrouver le couvert des bois. Sans oublier les patrouilles de wargs et orcs, et même sans doute quelques féroces ailés voire Huorns ou arbres éveillés ! L'avenir s'annonçait rose...

Mais il ne servait à rien de s'apitoyer sur leur sort. Geralt lui-même rappelait parfois que de toute manière, ils allaient tous mourir, alors... Taurgil reprit Rob dans ses bras, qui n'avait pas eu le temps de se reposer assez et était encore trop faible pour tenir debout. Le groupe avait une provision de torches conséquente et l'une d'elles fut allumée. Puis ils se mirent tous à courir à petites foulées pour arriver au plus vite à Lugdûm, avant d'être rattrapés par les ennuis. Leur endurance n'était plus à démontrer, et Bronwyn avait été ragaillardie par la gorgée de cordial d'Imladris prise après le gros combat qui les avait vus réunis. Et puis plus que jamais, elle avait foi dans la capacité des aventuriers à dépasser tous les obstacles. Si après ça, son père n'était pas convaincu de lancer immédiatement l'offensive sur les Sagaths... Mais en fait, ce qui lui arrivait était tellement énorme qu'il serait sans doute un peu dur à convaincre de la véracité de son aventure.

Et ils coururent, encore et encore, sans trop forcer leur allure comme dans la Forêt Sombre. Après peut-être trois heures, le tunnel se termina par un escalier en colimaçon qui montait, probablement vers Lugdûm. Bientôt la dernière étape de leur voyage sur les terres du Nécromancien... Mais pouvaient-ils encore la franchir, cette étape ? Rob n'était toujours pas guéri car il n'avait pas vraiment pris le repos qu'il fallait, et ses amis étaient un peu sur les genoux, moral compris. A quelques exceptions près, ils avaient pris de la noix de l'écureuil plusieurs heures auparavant, et maintenant la drogue ne faisait plus aucun effet. Pire, ils sentiraient bientôt l'affaiblissement général de leur organisme suite au coup de fouet apporté par la drogue, ce qui affecterait aussi bien leur corps que leur esprit. Pas vraiment les meilleures des conditions pour affronter Eru savait quoi...

Et puis il y avait ces objets pris au trésor de Dol Guldur. L'épée de roi dúnadan avait servi dans les combats mais elle n'avait rien de particulier : c'était sans doute un bel objet d'apparat pour motiver les troupes et faire peur aux ennemis. Peut-être, si Narmegil avait été là, aurait-il trouvé un effet sur la magie des rois que sa famille maîtrisait, mais il était loin et Taurgil n'avait pas ses compétences. Les anneaux devaient être mineurs, sans quoi ils auraient probablement servi les sorciers du Nécromancien. Restaient le bâton blanc et la larme de Yavanna, qui manifestement ne pouvaient servir les forces de Dol Guldur et même qui les dérangeaient. Pourraient-ils être d'une quelconque utilité ? Les aventuriers avaient-ils le temps de souffler pour permettre à Drilun et aux autres d'essayer de le découvrir ?
Modifié en dernier par Niemal le 03 septembre 2015, 10:59, modifié 2 fois.
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