Terre du Milieu - Système J

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Niemal
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Horselords - 34e partie : feu (glacé) aux fesses

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1 - Le récit de Bronwyn
De là où ils se trouvaient tous, Vif arrivait tout juste à distinguer l'écho de quelques voix d'uruks distantes et étouffées qui leur parvenaient via l'escalier et sans doute à travers une paroi rocheuse. Proches donc, mais trop loin pour être une menace directe. Néanmoins, il fallait en savoir plus. Tandis qu'ils reprenaient leur souffle en bas de l'escalier, Bronwyn décrivit à ses compagnons son histoire et la forteresse de Lugdûm qu'elle connaissait un peu. En effet, avant de les retrouver, elle était déjà passée par là et elle avait eu le privilège de contempler la forteresse de l'extérieur et de l'intérieur. Son récit intéressait donc tout le groupe, et elle tâcha de rassembler ses souvenirs pour n'omettre aucun détail.

La princesse nordique commença son récit à partir de l'entrée dans la Vallée Nue, peu après l'embuscade et la traîtrise des trolls et la mort des sorciers. Elle relata comment elle avait réussi à laisser discrètement tomber un morceau de vêtement comme preuve de son passage, morceau de tissu qui avait effectivement été retrouvé. Puis elle avait été poussée, tirée, traînée, portée par les trolls à travers Nan Lanc jusqu'à une espèce de ravine ou vallée très étroite. Au fond de cette vallée, adossé à la paroi rocheuse, se trouvait un petit château, identifié par les aventuriers comme étant bien Lugdûm. Il avait d'abord fallu passer un portail à travers un mur crénelé gardé par quatre tours et des uruks, portail qui donnait sur une cour intérieure. En plus du précédent mur, la cour était délimitée par deux murs latéraux, crénelés aussi, qui joignaient les tours d'angle du précédent mur à la paroi rocheuse. La cour, à peu près carrée, faisait au plus une trentaine de pas de côté.

Au fond de la cour, adossé à la paroi rocheuse, il y avait le donjon, constitué de plusieurs tours imbriquées les unes dans les autres. L'entrée du donjon donnait sur un couloir de garde entouré de meurtrières, et la porte au bout sur une grande salle de garde avec plusieurs portes ou ouvertures. Avec les trolls ils avaient pris une porte en face et à gauche, qui avait amené à une pièce circulaire avec un uruk de garde devant un corridor rectiligne qui, pensait-elle, s'enfonçait dans la falaise rocheuse. Au bout du corridor se trouvait une grande pièce éclairée par des torches et quelques feux, un vrai foutoir qui devait être la pièce à vivre des orcs (pratiquement que des uruks), avec un puits et six portes vers d'autres pièces probablement. Le mur du fond de la pièce était couvert de grosses tapisseries.

Le groupe avait été amené à l'une des portes de gauche ; elle donnait sur une grande pièce que les uruks avaient libérée, ce devait être un baraquement à eux, pour les trolls et elle. On lui avait donné quelque chose d'immangeable et un peu d'eau, et elle était tombée d'épuisement. Mais plus tard, après un sommeil lourd, il s'était passé quelque chose : une alarme, on l'avait réveillée et une espèce de grand gaillard - plus grand et plus costaud que Taurgil, avec une tête à faire peur et des habits de cuir noir et un bâton - était venu les chercher. Une fois revenus dans la pièce centrale avec tous les uruks qui courraient vers le couloir par où ils étaient venus, les trolls et elle, accompagnés par le grand gars qui semblait être le chef du coin, et quelques uruks munis de torches, étaient allés au fond de la pièce. Ils avaient soulevé les tapisseries à un endroit où se trouvait une ouverture sans porte qui donnait sur leur salle au trésor, avec des coffres et plein de pièces - bronze et cuivre, du peu qu'elle avait vu.

Mais surtout, il y avait un passage secret au fond de la pièce, passage que le chef avait ouvert avec une clé - Bronwyn pensait se rappeler du bruit d'un déclic - et dans lequel il avait emmené tout le monde. Au bout du couloir, un escalier qui descendait en colimaçon. En bas, le chef et ses uruks étaient restés là et les trolls et elle étaient partis dans le tunnel sans lumière où le groupe se tenait à présent. Le reste, les aventuriers le connaissaient à peu près : il y avait eu un début de combat au poste de garde contre des humains et trolls, jusqu'à ce que le chef des trolls de son groupe leur crie tellement après que les adversaires s'étaient rangés à lui et avaient donné l'alarme, et puis ils avaient encore rameuté du monde dans les cavernes aux orcs, et enfin il y eut le mémorable combat au cours duquel les ennemis avaient été mis en fuite, grâce à un nid de guêpes magique...

2 - En quête d'informations
Les voix que Vif était la seule à percevoir, sauf peut-être Geralt parfois, devaient donc être des uruks restés dans la forteresse. Mais il fallait en savoir plus, et la Femme des Bois grimpa peu après l'escalier afin de trouver la porte de pierre secrète par où Bronwyn était déjà passée. A tâtons, après avoir atteint le sommet de l'escalier et traversé le couloir qui s'étendait au-delà, elle avait trouvé un mur de pierre avec une poignée et une serrure métallique. Appuyant son oreille contre la pierre, elle avait écouté les voix des uruks, probablement une vingtaine, blessés et occupés à gémir ou à se vanter de leurs exploits contre les sorciers et leurs gardes ; puis elle était revenue faire son rapport.

Les voix ne provenaient pas d'une pièce juste derrière la porte secrète, mais d'un espace plus éloigné, ce qui correspondait à la description de Bronwyn : les uruks étaient sans doute dans leur salle commune ou leurs baraquements, et ressassaient l'attaque des sorciers et leurs sbires contre la forteresse. L'attaque, d'après les récits, avait été un demi-succès ou demi-échec : les attaquants étaient entrés au rez-de-chaussée mais n'avaient pu prendre pied sur les étages du donjon où les défenseurs s'étaient réfugiés. Et ils n'avaient manifestement pas trouvé ce qu'ils étaient venu chercher - Bronwyn. Ils avaient fini par partir, après avoir subi de lourdes pertes, mais les défenseurs avaient bien perdu au moins la moitié des leurs, et la moitié des survivants semblaient bien amochés.

Vif repartit avec Geralt et Rob, porté par ses compagnons, et une torche pour examiner la porte secrète et sa serrure. Pendant ce temps, Drilun examina un peu les objets qu'ils avaient prélevés dans les salles au trésor de Dol Guldur, à commencer par les trois anneaux et leurs runes magiques. Le premier, destiné aux elfes, pouvait sans doute renforcer leur magie elfique et leur capacité à faire de la musique ou du chant. Le second, manifestement d'origine naine, permettait de mieux percevoir, connaître et évaluer les éléments précieux tirés du sol, tels que minerais, métaux et gemmes. Le troisième, à la facture plus humaine, devait favoriser l'aisance en voyage voire en langue, de même que les échanges marchands. L'épée de roi couverte de runes devait renforcer le pouvoir royal de son possesseur et sa capacité à insuffler de l'espoir chez les siens et de la crainte chez les ennemis. Mais malgré sa finesse et sa légèreté, la magie qui l'habitait n'était pas dirigée spécifiquement contre des créatures monstrueuses.

Alors que le Dunéen commençait à examiner les très nombreuses runes du bâton magique, le voleur, l'assassin et la rôdeuse revinrent faire part des nouveaux éléments récoltés. La serrure serait très difficile à crocheter, mais aucun piège mécanique ou magique ne semblait présent nulle part. En revanche, le hobbit était dans un tel état qu'il ne se sentait pas capable du crochetage d'une pareille serrure. Et une ouverture magique risquait d'alerter du monde proche, comme le chef de la forteresse qui était réputé pour être un sorcier, sans doute similaire à Ardagor, le Seigneur de Guerre du Cardolan dont tous ceux qui l’avaient rencontré gardaient de très mauvais souvenirs. Et de toute manière, l'état de santé de Rob était un vrai problème, d'autant que bientôt le contrecoup de la noix d'écureuil le plongerait sans doute dans le coma. Et ils ne pouvaient attendre une heure sa guérison, temps dont les armées de Dol Guldur profiteraient pour se masser devant la forteresse ou parvenir à rouvrir les souterrains.

Vif se rappela alors que le contact de la larme de Yavanna semblait fortifier le corps, et elle apporta l'objet à son petit ami. Son visage s'éclaira vite tandis qu'il sentait l'énergie de guérison apportée par le don-de-vipère encore stimulée par la magie de la larme, et la douleur refluer. Le groupe décida alors de rester les minutes nécessaires pour que Rob guérisse de la blessure reçue lors de la chute du troll sur lui. Drilun reprit l'étude des runes du bâton, toutes tournées vers la lumière et la lutte contre l'obscurité, ses magies et ses créatures. Et Geralt prit son matériel de maquillage : dans une forteresse pleine d'uruks, il fallait prendre la couleur locale !

3 - Uruks et hôpital
L'archer-magicien n'eut pas le temps d'apprendre grand-chose de neuf à propos des runes du bâton, trop nombreuses, qu'arriva son tour d'être transformé : après Bronwyn, Isilmë et Geralt lui-même, le Dunéen fut bientôt grimé en un repoussant uruk ! Le matériel et le temps manquaient néanmoins pour en faire autant pour toute l'équipe, mais au moins n'y avait-il plus aucun sorcier, ex-prisonnière ou faux Grimburgoth de visible parmi eux. Et le hobbit était enfin guéri de ses hémorragies internes grâce au pouvoir du don-de-vipère ingéré, stimulé par la magie de Radagast et celle de la larme. Mais Rob était encore très affaibli par cette blessure, même si elle ne lui causait plus de douleur et si elle ne risquait pas de se rouvrir. Par ailleurs, son moral était encore au plus bas face à ses récentes déconvenues. En tout cas il pouvait à nouveau marcher.

Tandis que l'équipe montait l'escalier à la rencontre de la porte secrète, les amis du petit voleur firent assaut d'encouragements pour lui remonter le moral. Geralt fut peut-être le plus enjoué et il arriva presque à redonner quelques sourires à son ami, mais lui-même manquait un peu de conviction au fond de lui : son côté râleur et pessimiste était trop proche de la surface pour faire beaucoup illusion... Du coup, face à la serrure de la porte secrète et au découragement du hobbit, Drilun fit un sort pour que les outils de crochetage de son ami luisent dans l'obscurité, et un autre sort pour éclairer l'intérieur de la serrure. Il prit bien soin de masquer sa magie, mais peut-être un puissant sorcier pourrait-il la remarquer...

Rob s'attaqua alors à la serrure complexe qui lui faisait face, mais le découragement le gagna tandis qu'il n'arrivait à rien. Il s'obstina néanmoins, jetant ses dernières bribes de volonté dans la bataille, et à sa grande surprise il entendit bientôt un déclic qui lui regonfla le cœur : la serrure venait d'être crochetée ! Avec précaution, la poignée fut tirée, et la porte s'ouvrit petit à petit, sur une pièce en forme de trapèze, pièce pleine de quelques coffres et coffrets ouverts voire renversés. Mais pas d'or dans ce tas de trésor, essentiellement de la menue monnaie, pièces de cuivre surtout et un peu de bronze aussi. Parmi ces dizaines voire centaines de milliers de pièces, Vif arriva néanmoins à repérer deux ou trois pièces d'argent, qu'elle empocha, grâce à son œil infaillible.

Les aventuriers étaient entrés discrètement, après avoir masqué ou éteint leur lumière. En face du passage secret par où ils étaient sortis, une ouverture dans le mur était masquée par une épaisse tapisserie sous laquelle filtrait un peu de lumière. Des vantardises d'uruks mêlées à des râles et autres signes de souffrance provenaient de l'ouverture également, mais pas de réaction face à l'entrée discrète des aventuriers dans la pièce au trésor. A l'aide de la corde magique du serpent que portait Taurgil, Isilmë espionna la salle de l'autre côté : à l'aide du mot de pouvoir elle avait transféré son esprit dans la corde qu'elle tenait par un bout, et elle voyait depuis l'autre extrémité de la corde, comme si c'était une tête de serpent ; tête qu'elle avait glissée dans l'ouverture, sous la tapisserie...

Grâce à la lumière des torches et feux allumés, elle vit une vaste salle triangulaire avec un puits en son centre, un couloir à l'opposé et six portes également réparties, dont deux ouvertes. Des voix d'uruks blessés provenaient des ouvertures, mais aussi de paillasses disposées contre les murs, où une dizaine de grands orcs tâchaient de surmonter la douleur de leurs blessures à l'aide de rodomontades diverses et variées. Deux autres grands orcs apparemment peu blessés arrivèrent par le sombre couloir à l'autre bout de la pièce, portant un uruk mort ou inanimé qu'ils commencèrent à fouiller et piller, sans répondre aux éventuelles questions ou injures de leurs compagnons mal en point.

4 - Nettoyage et nouveaux arrivants
Discrètement, l'elfe relata ce qu'elle avait vu et les aventuriers et Bronwyn discutèrent de la suite à donner. Difficile de passer inaperçu, pour ne pas dire impossible : s'ils entraient, ils s'exposeraient à des questions et il faudrait trouver une raison convaincante pour justifier leur arrivée par le passage secret. Des idées furent avancées, mais personne n'y croyait vraiment : tôt ou tard, l'alerte serait donnée. Fallait-il passer en force et rapidité alors ? Les uruks présents n'offraient aucune menace que celle d'alerter les autres, qui ne devaient pas être bien nombreux. Il serait sans doute facile de balayer toute résistance et de sortir de la forteresse. Et le plus tôt serait le mieux, car chaque minute passée devait correspondre à de nouvelles troupes en train d'arriver en vue de Lugdûm voire d'y entrer.

Mais certains firent remarquer que le chef de la forteresse était encore là, d'après les conversations qu'ils avaient épiées, et c'était sûrement un adversaire redoutable. Et puis il y avait peut-être encore confusion voire combat à l'extérieur entre sorciers et armée d'orcs et autres, ce serait dommage d'alerter tout ce beau monde par une sortie précipitée. Entre discrétion et force, entre rapidité et risque grandissant, difficile de faire un choix. Mais la lenteur n'était pas de mise, d'autant que le contrecoup des noix d'écureuil se ferait sentir sous peu. Passage en force alors ?

Un nouvel élément vint perturber cette discussion : de l'autre côté de la tapisserie, tous entendirent les pas de course et la voix excitée d'un uruk qui raconta que deux formes ailées étaient en train de se poser dans la cour, suivies au sol par des guerriers et sorciers. Le nouveau venu repartit en courant, bientôt suivi par les pas de course des deux uruks fossoyeurs ou pilleurs, ainsi que les injures des blessés qui voulaient qu'on s'occupe d'eux ou qu'on leur dise ce qu'il se passait plus en détails. De l'autre côté de la tapisserie, il n'y avait plus que des blessés graves voire mourants.

Geralt saisit alors l'occasion au vol et il pénétra discrètement dans la pièce en passant silencieusement sous le tissu, sans se faire voir. Il s'approcha d'un uruk isolé qui lui parla avec agressivité, c'est-à-dire peut-être normalement pour un uruk. Le maître-assassin avait mis au doigt l'anneau magique du voyageur, et il découvrit qu'il comprenait mieux la langue des uruks, et il répondit sur un ton plus agressif encore, avant de rouer de coups l'uruk à terre jusqu'à ce qu'il ne bouge plus. Puis il lui prit vêtements et autres possessions pour pouvoir maquiller un autre de ses amis, sans entraîner grande réaction de la part des autres blessés qui évitaient son regard. Il avait agi comme eux l'auraient fait, tout était normal à leurs yeux. Pourquoi ne pas pousser plus loin l'avantage ?

L'Eriadorien déguisé en uruk entra ensuite dans un des baraquements par une des deux portes ouvertes, où quatre blessés en piteux état gisaient sur le sol. Il approcha du premier, qui grogna un peu mais beaucoup moins quand il sentit une lame lui percer le corps. Puis ce fut le tour du deuxième, et les deux autres commencèrent à piailler plus fort quand ils commencèrent à comprendre le sort qui leur était réservé. Ce qui ne changea rien à leur destin. Ailleurs, des voix demandaient ce qui se passait, et il sortit tranquillement pour aller visiter l'autre baraquement occupé par des blessés, qui connurent le même sort.

Dans la pièce principale, les uruks blessés se faisaient silencieux, imaginant peut-être que l'uruk qu'ils percevaient ne supportait plus leurs cris et qu'il avait fait taire les autres à coups de pied ou pire. Geralt commença à les tuer rapidement et discrètement, profitant qu'ils regardaient tous ailleurs que dans sa direction pour éviter d'attirer sa colère. Quand les derniers comprirent enfin ce qui les attendait, ils commencèrent à vagir voire bouger mais ils n'allèrent pas loin. Le silence revenu, le maître-assassin s'immobilisa : personne n'appelait ni ne venait par le couloir opposé à la pièce au trésor. Si gardes il y avait, ils avaient dû penser que ce n'étaient que les vagissements des blessés. Tranquillement, il se servit sur les corps et retourna auprès de ses amis pour transformer en uruks ceux qui pouvaient encore l'être.

5 - Les souterrains de Lugdûm
Il ne lui fallut que quelques minutes pour accomplir cette tâche à bien. En dehors du hobbit, toujours déguisé en snaga, l'équipe faisait un parfait groupe d'uruks. Groupe qui prit tranquillement le couloir et unique autre sortie de la pièce commune et des baraquements des orcs. Les aventuriers arrivèrent vite dans une pièce semi-circulaire comportant une unique porte, pièce gardée par un uruk... qui regardait par la porte ouverte et posait des questions tandis que d'autres voix orcs faisaient des commentaires. La pièce montrait également des signes récents de combat, avec des trainées de sang frais çà et là.

Par la porte ouverte, Vif et Geralt entendaient également les voix distantes et puissantes de deux êtres qui s'affrontaient manifestement dans une joute oratoire de haute volée. Ils n'arrivaient pas à bien tout saisir sauf qu'il s'agissait de noirparler et que le peu qu'ils entendaient leur donnait froid dans le dos. Le garde finit tout de même par s'apercevoir de leur présence quand ils cherchèrent à passer, mais il ne se poussa pas, étonné de ne pas reconnaître ces nouveaux visages. Pris à partie par Geralt qui l'injuria méchamment, il se fit néanmoins tout petit et ne réagit pas.

Drilun en profita pour essayer la magie du bâton qu'il avait dérobé à Dol Guldur, du nom de Krisfuin, le "Pourfendeur d'Obscurité". Il avait vu dans les runes magiques du bâton qu'il avait été conçu pour combattre les créatures maléfiques comme les orcs, trolls et dragons, et il tenait à faire un essai. Krisfuin était encore enroulé dans un tissu pour ne pas attirer l'attention, tant il paraissait lumineux et dérangeant pour les habitants de Dol Guldur. Tandis que son ami de Tharbad occupait l'uruk, il lui assena un bon coup de bâton sur la tête, pourtant protégée par un casque. La tête explosa littéralement jusqu'au cou, éclaboussant de sang et de cervelle le visage de Geralt, dont les injures s'arrêtèrent immédiatement. Tandis que le maître-assassin lâchait le corps sans tête de l'uruk et s'essuyait avec dégoût, l'archer-magicien contemplait le bâton recouvert de tissu souillé, la bouche grande ouverte. Et dire qu'il ne savait pas combattre avec ce genre d'arme...

L'incident n'avait eu aucune conséquence, et le groupe finit par poursuivre son chemin : la porte donnait sur un carrefour et salle de garde comportant deux petites portes et une plus grosse qui menait manifestement vers l'extérieur d'où venaient les voix. A cela il fallait ajouter une ouverture vers la base d'une tour avec escalier en spirale pour monter ou descendre. Un uruk était posté devant la grosse porte ouverte, tandis que parfois des commentaires en noirparler se faisaient entendre dans les escaliers, venant des étages supérieurs. Il y avait du spectacle dehors, et tous les uruks présents voulaient en profiter.

Geralt poussa le garde uruk de côté pour passer, et les questions que ce dernier s'apprêtaient à lui poser moururent vite sur ses lèvres quand il vit les gros yeux qu'il lui faisait et les quelques amabilités qu'il lui chuchota fortement à l'oreille. Puis il arriva dans un couloir percé de meurtrières, derrière lesquelles il perçut un uruk de chaque côté. Au bout, deux sentinelles gardaient une porte massive bien qu'abimée, à moitié ouverte, et un splendide tableau s'offrit à lui. A l'extérieur c'était déjà la nuit, renforcée par les brumes nocives de la Vallée Nue, mais il voyait bien assez les occupants de la cour, d'autant que quelques torches venaient apporter un peu de lumière au tableau.

6 - Sorcier et démon
La créature ailée, mélange de petit dragon et de chauve-souris géante que les aventuriers appelaient affectueusement "poule géante" depuis la première fois où ils en avaient rencontré une, il s'y attendait. Elle picorait d'ailleurs quelques cadavres qui jonchaient le sol de la cour. Pas de surprise non plus pour le sorcier charismatique qui se tenait à ses côtés, ou les autres sorciers et guerriers humains - souvent blessés - qui se tenaient derrière, vers la gauche. L'homme, manifestement puissant et autoritaire, semblait vieux mais animé d'une volonté et d'une énergie incroyable, et sa voix roulait comme du tonnerre dans un ciel lourd prêt à s'effondrer. Il avait un sceptre à la main qui donna des frissons au maître-assassin, comme si ce symbole d'autorité irradiait d'une puissante magie que même lui arrivait inconsciemment à percevoir. Probablement voyait-il là Gorovod, chef des sorciers de Dol Guldur, se dit-il en son for intérieur.

En face du sorcier, par contre, il fut surpris : lui qui s'attendait à une autre "poule géante", il en fut pour ses frais. Dans la cour, sur la droite, un être à la peau très pâle et légèrement bleutée se tenait, aussi grand qu'un troll. Il portait également des ailes membraneuses comme celle d'une chauve-souris, et il jouait négligemment avec un très long fouet qui faisait comme des étincelles bleues. Il irradiait du personnage un froid mordant qui affectait même l'air autour d'eux, comme il s'en aperçut avec la condensation de la vapeur de la respiration des personnes présentes - sauf celle du monstre. Monstre qui devait être Andalónil, maître des esclaves et démon du froid, que secondaient une dizaine de trolls de guerre un peu derrière lui. Sa voix était moins forte que celle du sorcier, mais tout aussi glaciale et pleine de sous-entendus mordants...

Car les deux individus étaient bien en train de s'affronter, et les menaces et la magie ou la puissance qui irradiaient d'eux faisaient danser d'un pied sur l'autre même les trolls de guerre, manifestement mal à l'aise. Même les aventuriers qui n'étaient pas assez près de la porte ouverte pour voir la scène pouvaient suivre les échanges verbaux et comprendre ce qui se disait, à l'exception de Mordin qui ne comprenait pas le noirparler, langue qu'utilisaient les protagonistes. Et il était clair qu'ils s'affrontaient pour avoir le privilège d'éliminer les aventuriers et récupérer Bronwyn, et gagner ainsi les faveurs du Nécromancien.

Entre les connaissances de Caran Carach et la joute verbale du sorcier et du démon, il fut assez facile de recadrer leur lutte d'influence : en l'absence provisoire de Khamûl et de la voix du Nécromancien, et après la mort du Grimburgoth et de Caran Carach, Gorovod et Andalónil étaient les deux plus grosses pointures de Dol Guldur après le Nécromancien lui-même. Ils n'avaient pas de lien hiérarchique direct, même si, investi de l'intérim de la voix du Nécromancien, le chef des sorciers pouvait normalement commander au démon des temps anciens. Mais ce dernier avait beau jeu de dire que le Fhalaugash n'avait aucun pouvoir sur les armées de Dol Guldur, et que lui, Andalónil, avait servi sous les ordres de Morgoth lui-même ; il avait donc bien plus la pratique du commandement des troupes et de la conduite des combats que son mortel interlocuteur.

Entre les diatribes, le démon affichait assez clairement son désir de se voir confier pour de bon le poste de chef des armées de Dol Guldur, et sa présence physique dans la cour était plus qu'imposante, elle écrasait toutes les personnes présentes. Sauf Gorovod : malgré son allure bien plus frêle, sa voix ne cédait en rien à celle de son adversaire politique, et il semblait même dominer le débat, forçant Andalónil à sous-entendre un dénouement possible et brutal de leur différent. Ce à quoi le sorcier répliquait qu'en plus du fait que l'issue d'un tel affrontement physique était tout sauf écrite d'avance, le Nécromancien verrait de toute manière d'un très mauvais œil un pareil conflit, et que même victorieux, la survie du démon serait compromise...

7 - Hauteurs
Les aventuriers se retirèrent à une certaine distance des uruks pour convenir de la suite à donner. En plus du duo de choc qui attendait dehors, sans parler de leurs serviteurs, Geralt avait aussi perçu des armées plus loin dans la vallée, par le portail grand ouvert de la forteresse. Il n'avait pas réussi à apercevoir le chef de Lugdûm, par contre, mais il lui avait semblé que quelqu'un se tenait dehors, à gauche de la porte de la forteresse, trop près du mur pour qu'il puisse l'apercevoir depuis l'intérieur. Quoi qu'il en fût, l'équipe tomba vite d'accord sur un point : affronter toute cette smala bourrée de magie et de puissance n'était pas une option envisageable. Le Fhalaugash, pris par surprise, peut-être ; mais Andalónil, prétendu démon du froid, était une inconnue bien trop importante pour oser l'affronter dans de telles conditions. Il fallait trouver autre chose.

Les commentaires qui provenaient parfois de l'escalier en colimaçon qui permettait de gagner les hauteurs du donjon indiquèrent la voie à suivre : la fouille du donjon permettrait peut-être de trouver une solution ou autre issue, et puis les uruks étaient peu nombreux et occupés. Le groupe commença donc à monter discrètement l'escalier et à visiter les niveaux supérieurs, Geralt en tête. Les étages étaient essentiellement formés de la juxtaposition de trois tours de tailles et de hauteurs différentes. Hormis un grand espace ouvert et crénelé comportant quatre uruks au troisième étage, les autres pièces étaient vides ou ne comportaient le plus souvent que deux voire trois uruks occupés à regarder en bas.

Une fois de plus, le maître-assassin fit preuve de ses talents, prenant à part un uruk puis un autre, parfois après l'avoir attiré dans un espace fermé et plus discret. Tous moururent silencieusement, le corps transpercé par son épée magique. Seuls les quatre uruks sur les créneaux du troisième étage furent épargnés : le risque était trop grand de les voir donner l'alarme et ils étaient trop nombreux pour espérer que leur mort fût parfaitement discrète. Néanmoins, Geralt se mêla à eux et usa de son talent d'intimidation pour éviter toute question. Il se pencha entre deux créneaux pour mieux observer la scène en bas. Près de la porte d'entrée, il repéra le géant et probable demi-troll vêtu de cuir noir et d'un bâton qui devait être le chef de Lugdûm ; et plus loin dans la vallée, il distingua de nombreuses troupes d'orcs et de wargs présentes ou en train d'arriver, sans parler de trolls moins nombreux. Et l'air était plein de chauves-souris voire de quelques battements d'ailes plus grandes mais cachées dans les brumes fétides de la vallée.

Le groupe n'avait pas trouvé d'autre issue. Il n'y en avait tout simplement pas... à moins de passer par les airs. En effet, le sommet d'une tour au quatrième étage était tout contre la paroi de la falaise sur laquelle la forteresse s'appuyait. Le groupe avait envisagé de passer par-là pour atteindre les murs d'enceinte et gagner ainsi la vallée. Mais d'une part, ils seraient très exposés à la vue des personnes présentes dans la cour et des quelques uruks présents dans les tours du mur d'enceinte ; d'autre part, les armées présentes posaient un autre problème, leur arrivée parmi elles risquant d'éveiller la suspicion. En revanche, personne ne semblait les attendre en haut de la falaise. Ce qui représentait tout de même une grimpette très difficile et exposée aux yeux des personnes de la cour, si elles levaient la tête, ou aux sens des chauves-souris...

C'est néanmoins la décision qui fut prise, car c'était bien la moins mauvaise. Il faisait nuit noire, sans lune ni étoiles, et les regards n'étaient pas tournés vers eux. Quant aux chauves-souris, percevraient-elles autre chose que des orcs, si même elles sentaient quelque chose grimper à la paroi ? Hormis Isilmë, tous prirent du trèfle de lune afin de bien voir dans l'obscurité. Et Geralt utilisa noir de charbon et fond de teint sombre pour les rendre tous encore plus noirs et invisibles dans l'obscurité. Tous utiliseraient le manteau de camouflage elfique de Drilun, également. Ce dernier n'osait prendre le risque de lancer des sorts pour les rendre encore plus difficiles à percevoir dans le noir : avec de telles pointures en bas, il n'était pas sûr de pouvoir masquer assez sa magie pour qu'elle ne les alertât pas.

8 - Numéro de cirque et corde magique
Tous furent bientôt prêts. Le meilleur grimpeur était Rob, même dans son état de grande faiblesse physique et morale. Mais il était trop affaibli et sans assez d'énergie et de ressource pour faire cette ascension : dans le meilleur des cas il s'affaiblirait dangereusement, dans le pire des cas il tournerait de l’œil et chuterait en cours de montée. C'est donc à Vif que revint l'honneur d'ouvrir la voie et de faciliter l'escalade pour ceux qui suivraient : elle était la deuxième meilleure grimpeuse, héritage de son origine de Femme des Bois, et très costaude et endurante à présent. Elle n'avait pas combattu dernièrement, juste aidé à transporter les affaires des gens les plus affaiblis, et elle avait encore de la réserve. Cette escalade était largement à sa portée.

Elle partit donc, enveloppée dans le manteau elfique de Drilun, emportant avec elle deux cordes mises bout à bout et un grappin. Relativement rapidement, sans faire de bruit, elle avalait la falaise, tandis que les voix du sorcier et du démon, plus bas, continuaient de remplir l'air d'une tension palpable et glacée. Elle arriva au sommet sans encombre et apparemment sans avoir été remarquée, accrocha fermement le grappin et laissa doucement filer la corde avec le manteau elfique attaché au bout. En bougeant le moins possible, aplatie sur le sol pour ne pas alerter les espions ailés, elle fit remonter les paquets d'équipement que ses amis attachaient à la corde pour les soulager lorsque viendrait leur tour de grimper.

Puis ce fut au tour de ses amis. Aidés par la corde, Geralt, Bronwyn et Isilmë montèrent sans grande difficulté et également sans se faire voir. En revanche, quand la dernière fut arrivée au sommet, du bruit se fit en bas : Gorovod et Andalónil, même s'ils n'en n'avaient pas fini l'un avec l'autre, avaient dû atteindre une espèce de compromis et ils donnaient à présent l'ordre à plusieurs trolls et sorciers d'aller dans la forteresse surveiller l'accès au passage secret. Vu ce que les aventuriers avaient laissé derrière eux, ils doutaient que les morts récentes passent inaperçues, ils devaient plutôt s'attendre à rencontrer un peu de vie. Autrement dit, il devenait urgent de partir...

Drilun monta à son tour, toujours sans éveiller de réaction plus bas ou en l'air, tandis que les échanges reprenaient entre sorcier et démon dans la cour. Restaient Rob, très affaibli, et Mordin et Taurgil, deux indécrottables terriens pas à l'aise du tout pour ce qui était de faire un peu d'escalade. Rob pouvait s'en tirer, mais les deux autres risquaient de s'épuiser malgré leur endurance et d'attirer l'attention avec une escalade longue et difficile. Vif prit alors la corde magique du serpent, celle-là même qu'Isilmë avait utilisée peu auparavant. Elle descendit à mi-parcours et se mit en baudrier, c'est-à-dire la tête en bas et accrochée à la corde normale de manière à ne plus pouvoir bouger même en portant une lourde charge. Et elle arriva à activer la magie de la corde du premier coup.

La corde magique était maintenant comme un serpent aussi fort qu'elle, accroché à ses deux mains. Rob s'attacha à l'autre bout et elle le remonta rapidement jusqu'en haut de la falaise, étrange numéro de cirque qui voyait une corde animée par magie appuyée sur une silhouette elle-même attachée à une autre corde. Puis ce fut le tour de Mordin, trois fois plus lourd avec le peu d'équipement qu'il avait gardé sur lui. Et enfin celui de Taurgil, qui se passa bien plus facilement : motivé par l'échéance de leur probable découverte, il grimpa comme il ne l'avait jamais fait et elle n'eut presque pas besoin de l'aider. Mais quand elle commença à remonter, les pas bruyants des trolls et leurs cris annoncèrent que leur passage avait été découvert : les sombres créatures et les sorciers avaient trouvé tous les morts du côté des baraquements des uruks et ils avaient compris que quelqu'un était passé il y avait peu.

9 - Campement piquant
Tandis que les cris et les ordres fusaient en bas, Vif retrouvait enfin ses compagnons qui se préparaient tous à partir. Mais ils n'avaient pas encore quitté le sommet de la falaise qu'un bruit d'ailes les fit se retourner : la forme puissante et rapide du démon s'élevait dans les airs derrière eux, et elle vint rapidement à quelques mètres au-dessus du groupe, glaçant l'air aux alentours. Interdits, ils ne réagirent pas, et ils furent surpris d'entendre le démon les héler et demander aux uruks qu'ils étaient (à l'exception du snaga, quantité négligeable) s'ils avaient vu quelque chose. Geralt répondit et joua très bien au humble subalterne qui n'avait rien vu de particulier, et Andalónil ordonna sèchement à l'équipe de monter plus haut, au sommet de la colline, pour surveiller les environs. Et il s'envola dans la brume, tandis que plus loin, le Fhalaugash s'éloignait sur sa créature ailée et les armées s'éparpillaient suite aux ordres donnés. La chasse était ouverte.

Trop heureux d'être encore vivants et du bon tour qu'ils venaient de jouer, les aventuriers et Bronwyn escaladèrent lentement les rochers dans la direction que le démon leur avait donnée. Vraiment lentement, car ne n'était pas leur route et ils étaient déjà tous très fatigués. En particulier le hobbit, qui fut enfin rattrapé par le contrecoup de l'ingestion de la noix de l'écureuil : encore affaibli physiquement et mentalement, il s'écroula sur le sol, inconscient. Ses amis le portèrent et continuèrent leur chemin un moment avant de choisir une voie plus facile qui les mènerait hors d'ici, vers la forêt et la sécurité. Mais par où passer ? Le plancher des vaches grouillait des serviteurs du Nécromancien, et l'air était plein de battements d'ailes petits et grands. Et les aventuriers étaient à présent épuisés, au bout du rouleau.

La plus forte concentration d'ennemis était au nord, là où ils auraient voulu aller. Ils s'éloignèrent donc dans les collines en cherchant les passages les plus faciles pour économiser leurs forces. Mais ils sentaient qu'ils ne tiendraient pas longtemps, du moins certains d'entre eux, sur ce terrain rocailleux et accidenté. A l'aide de la longue-vue, Geralt avait identifié un itinéraire relativement facile, mais c'était encore trop pour beaucoup d'entre eux. Le maître-assassin distingua alors, plus en hauteur mais assez près d'eux, un bois d'arbres résineux tordus et sinistres. Ils finirent par l'atteindre et virent qu'il était empli de grosses ronces prêtes à découper les cuirs sauf les plus durs. Ce semblait néanmoins une très bonne cachette, et ils étaient équipés de bonnes armures. Grâce à leurs talents, leurs armures ou les deux, ils se faufilèrent dans les ronces et s'endormirent derechef, éventuellement après avoir pris de l'eau de la gourde de Radagast.

Bronwyn veilla sur eux dans un premier temps : elle avait pu dormir à Lugdûm en cours de journée, elle se sentait moins fatiguée que les autres. Lorsqu'Isilmë se réveilla après un moment, elle prit à son tour de l'eau enchantée et plongea dans le sommeil. Ils purent ainsi dormir plusieurs heures et ne furent aucunement dérangés. Immobiles sous les ronces et les résineux, les chauves-souris ne les repérèrent pas. Et les wargs devaient chercher ailleurs, ou alors leurs odeurs ressemblaient trop à celles des uruks grâce aux vêtements qu'ils leur avaient pris. Quant à Rob, comateux, on lui fit avaler du marchand de sable afin d'accélérer sa guérison. Son sommeil serait plus récupérateur et de toute manière il était trop faible pour se réveiller et tenir debout.

Vers le milieu de la nuit, l'équipe fut bientôt prête à repartir, le hobbit attaché au dos du nain. Ils reprirent tous leur route en direction de la plaine et du fond de la Vallée Nue, rencontrant parfois sur leur passage des groupes d'orcs, souvent montés, avec qui ils échangeaient sur la poursuite de leurs proies. A chaque fois, ils jouaient leur rôle et ils ne furent pas inquiétés, mais le terrain les faisait aller plutôt vers le sud. Et puis les plus perceptifs commencèrent à remarquer un certain éclaircissement à travers les brumes fétides de Nan Lanc, brumes qui leurs piquaient les yeux et la gorge, entre autres choses. D'un autre côté, l'effet secondaire des noix d'écureuil était en train de se dissiper et ils se sentaient mieux. Le hobbit commença même à bouger, mais l'air qu'il respirait irrita trop sa gorge et après une forte toux il retomba dans le coma.

10 - Chasse aux uruks
Malgré le poids mort que continuait à constituer Rob, l'arrivée prochaine du matin, même voilé par la pollution de Dol Guldur, était de bon augure. Mais la réjouissance fut de courte durée, quand les aventuriers virent venir à eux une troupe d'une vingtaine de wargs montés. Et surtout, ce qui était inquiétant, c'était leur attitude, différente de celle des autres groupes qu'ils avaient rencontrés. Contrairement aux autres fois, les sbires du Nécromancien étaient venus à eux dès qu'ils les avaient repérés, comme si c'étaient des uruks qu'ils cherchaient et non un groupe d'humains accompagnés d'une elfe, d'un humain et d'un hobbit. Et puis de toute manière, qui à Dol Guldur les avait vus sans leurs déguisements ?

Les orcs montés sur les wargs arrivèrent bien vite et il fut vite clair que c'étaient bien des uruks qu'ils cherchaient : le chef orc leur intima l'ordre de les suivre jusqu'à une colline éloignée plus au nord où ils étaient attendus. Il se moqua d'eux en disant que tous les uruks devaient aller là-bas et ils étaient ensuite entièrement dépouillés en présence de divers sorciers, trolls et wargs. Le groupe comprit alors que leur ruse avait été éventée, magiquement ou par un autre moyen. L'identité des uruks était à présent vérifiée, mais il n'était pas question de se laisser faire. Geralt hurla après le chef orc qui prit peur et commanda la retraite de son groupe qui repartit à toute allure. Mais l'un d'eux prit son cor et commença à s'en servir, vite interrompu par une flèche d'Isilmë qui le fit passer de vie à trépas.

Le mal était fait néanmoins, et d'autres sons de cor se firent entendre plus loin dans la brume. Il fallait maintenant trouver le couvert des arbres au plus vite. Ils avaient bien avancé mais il restait encore une certaine distance, et le groupe se mit à courir dans la direction que le maître-assassin leur indiquait suite à son repérage à l'aide de sa longue-vue. Hélas, après peu de temps, alors que le soleil s'était clairement levé derrière la brume et que des bribes de ciel ou de forêt pouvaient parfois être perçues au loin, une clameur vint les accompagner : des crebain volaient au-dessus d'eux en les poursuivant de leurs entêtants croassements.

Une heure se passa ainsi à parfois entr'apercevoir la forêt qui semblait s'approcher lentement d'eux dans la brume, même si c'était le contraire. Les corneilles au service des sorciers de Dol Guldur continuaient à croasser sans arrêt et les aventuriers étaient surpris de n'avoir encore rencontré personne. Mais un puissant battement d'ailes annonça l'arrivée d'une "poule géante" qui passa au-dessus d'eux et s'arrêta un peu plus loin, entre la forêt et eux. La créature semblait vouloir leur bloquer la route mais pas les attaquer, à leur grande surprise. Peut-être quelqu'un craignait-il pour la vie de Bronwyn et avait-il donné des ordres en ce sens ? En tout cas, les guerriers du groupe se précipitèrent sur la bête, Geralt en premier. Le monstre bondit en avant, prêt à porter un coup de bec qui n'arriva jamais : la princesse nordique venait d'envoyer une flèche dans le bec grand ouvert, flèche qui traversa ensuite la tête du sinistre animal, qui mourut instantanément.

Et la course fut reprise, toujours agrémentée par le bruit des corneilles au-dessus d'eux. La forêt s'approchait de plus en plus, ils y seraient bientôt, il n'y aurait plus qu'à franchir la lisière avec comme seuls obstacles quelques Huorns et arbres éveillés. Avec l'aide des flèches préparées par Radagast et les perceptions de Vif, ce serait une tâche facile et vite accomplie. Étonnant tout de même qu'il n'y ait pas eu quelqu'un d'autre pour les arrêter. Drilun en regrettait même de ne pas avoir rencontré le Fhalaugash pour pouvoir lui régler son compte et récupérer sa panoplie magique qu'il espérait conséquente. Alors que leur salut semblait à portée de main et que les cœurs se ragaillardissaient, Vif prévint le groupe : il y avait de la magie à l'intérieur des bois, tout près de la lisière, et la température descendit vite de plusieurs degrés : le démon de froid les attendait.

11 - Andalónil
Le maître des esclaves de Dol Guldur attendait effectivement les aventuriers. Grâce aux crebain, il les avait repérés et suivis depuis les airs, et il avait conçu un plan à leur sujet. Envoyant les autres groupes partis à leur recherche sur de fausses pistes, il avait décidé de les arrêter à lui seul. Quel meilleur moyen de prouver sa valeur au Nécromancien de Dol Guldur et de briguer le poste convoité de chef des armées rendu vacant par la mort du Grimburgoth ? Et c'est ainsi que les aventuriers n'avaient presque trouvé personne sur leur route. Mais loin au-dessus d'eux, au-delà même des crebain, il avait pu les suivre et les observer un moment. Pas directement à cause des brumes de la Vallée Nue, mais il pouvait percevoir les sources de chaleur comme leurs flammes de vie, et cela lui suffisait.

Néanmoins, il n'était pas dénué de prudence et il n'avait pas survécu à la Guerre de la Colère, à la fin du premier âge du monde, sans un minimum de jugeote. Il ne fallait pas sous-estimer ces aventuriers qui l'avaient impressionné : abattre le Grimburgoth et se faire passer pour lui pour pénétrer incognito dans Dol Guldur, c'était une première ! Mais le chef des rôdeurs noirs était un mortel faillible, de même que le bras droit du Fhalaugash, d'après ce qu'il avait cru comprendre. Il se demandait également si l'absence de Caran Carach, qui aurait dû être revenu, ne trouvait pas non plus son explication dans ces gens pleins de ressources. Il les sentait affaiblis, mais il fallait les attendrir encore un peu, ne fût-ce que pour profiter un peu plus longtemps du plaisir de les voir tomber...

La facilité avec laquelle ils se débarrassèrent du monstre ailé confirma son sentiment de nécessaire prudence. Il les attendrait caché dans les épaisses frondaisons de la lisière de la forêt, à proximité des Huorns et autres arbres au cœur noir dont la magie ou les branches pourraient les affaiblir un peu plus. Il accéléra l'allure afin d'arriver avant eux sous le couvert des arbres, et il se faufila entre les branches de manière à pouvoir être près d'eux mais inaccessible. Il n'avait pas besoin de les voir pour les sentir, et son fouet et sa magie suffisaient pour les affaiblir voire les tuer à distance. Il faudrait juste faire attention à ne pas tuer celle que le Nécromancien recherchait. Mais quelle utilité une simple mortelle avait-elle pour lui, et pourquoi mobiliser autant d'énergie pour elle ? Il aurait été curieux de la cuisiner un peu pour en savoir plus sur les étranges secrets qu'elle devait recéler.

Andalónil sentit le groupe s'arrêter à faible distance de la lisière. Ils étaient prudents et connaissaient le danger des arbres, puisqu'ils avaient déjà franchi une fois la lisière de la vallée. Ou peut-être sentaient-ils sa présence, il y avait des magiciens parmi eux, d'après ce qu'il avait cru comprendre. Quand les flèches de l'un d'eux paralysèrent un Huorn, puis un autre, ainsi que plusieurs arbres éveillés, il se dit qu'il avait vraiment affaire à des personnes d'exception, et très bien équipées. N'était-ce qu'avec l'arc du Grimburgoth, que plusieurs uruks avaient dit reconnaître. Oui, l'archer qui maniait cet arc, même s'il n'était pas le seul à utiliser ces flèches paralysantes, était peut-être une des principales menaces. Il faudrait lui régler son compte parmi les premiers.

Le démon nota avec satisfaction que la magie des arbres avait prélevé son écot : plus d'un aventurier avait eu du mal à lutter contre le sommeil magique et il avait fallu les efforts - et les baffes ! - de ses amis pour le maintenir éveillé. Et l'un d'eux restait allongé par terre, inconscient, sans parler de la petite vie immobile accrochée à un autre de l'un d'eux. Ils étaient huit, mais seulement six capables d'avancer, et ils s'apprêtaient à bientôt entrer sous la forêt. D'après leurs voix et leurs échanges, il n'avait perçu que trois personnes de sexe féminin, qu'il lui fallait épargner en attendant d'être sûr d'en savoir plus. Pour les autres, il allait pouvoir bientôt utiliser sa puissance et son fouet...

12 - Feu et fouet de glace
Isilmë avait succombé au chant des arbres éveillés et les claques n'avaient pas suffi à la réveiller, contrairement à Drilun. Aussi Vif prit-elle l'elfe à bras-le-corps, à moitié pour l'emmener et à moitié pour s'en servir de bouclier : elle sentait la présence du démon dans les branches, et bientôt elle ne fut pas la seule : un froid mordant irradiait d'une source proche, gelant les feuilles et les branches, sans parler de leur respiration. Hormis Geralt qui était un peu devant et commençait à pénétrer sous les arbres, les autres restaient globalement groupés, approchant des arbres endormis mais à l'écart des arbres éveillés les plus proches.

Un éclair de feu bleuté et glacial traversa les branches proches et fondit sur l'archer-magicien. Tous se tenaient prêts à quelque chose comme cela et ils s'éparpillèrent, mais malgré ses efforts, le Dunéen n'arriva pas à esquiver complètement le jet de flammes glacées. Il sentit un froid brûlant... heureusement dissipé par la magie dont il avait serti son armure de peau de dragon. Il se réfugia derrière le tronc d'un gros arbre, mais cela suffirait-il à arrêter une pareille magie ? Juste après cet éclair de feu glacé, ce fut au tour de Geralt de subir l'assaut du démon : il vit le fouet se dérouler dans sa direction, les lanières brisant les branches sur leur passage. Il para de son épée quelques lanières, mais certaines le frappèrent à la poitrine, et il souffrit du choc mais encore plus du froid qui lui pénétrait le corps malgré son armure. Il sentit aussi le froid engourdir son esprit, mais ce froid fut immédiatement contré par un objet que Vif lui avait remis : la larme de Yavanna, qui rendait son esprit imperméable à une telle magie noire. Vite il trouva refuge derrière un tronc et il fouilla ses affaires à la recherche d'une noix d'écureuil.

Un autre coup de fouet rata le maître-assassin de peu, malgré la protection de l'arbre. Ailleurs, Vif échappait en plongeant à la branche d'un arbre éveillé dont elle s'était trop approchée, laissant tomber l'elfe par terre. Elfe qui finit par être réveillée par le Dúnadan. A la suite de quoi elle et Drilun tirèrent dans les feuillages où ils pensaient que le démon s'était réfugié, mais sans succès visible. Le Dunéen entendit ensuite une voix lui montrant Geralt comme si c'était Andalónil, mais il arriva à repousser ce sortilège avec l'aide du bâton magique de lumière, Krisfuin. Alors que le reste de l'équipe progressait sous les arbres afin de fuir le démon, ils entendirent tous son rire démoniaque et terrible qui leur promettait mille morts et souffrances et qui leur donnait l'envie irrésistible de prendre leurs jambes à leur cou. Tous résistèrent tant bien que mal à la peur, mais l'espoir s'amenuisa dans leur cœur voire disparut complètement chez Drilun : il sortit de derrière son arbre et avança calmement en tirant flèche après flèche dans les branches des arbres, affrontant sa mort prochaine et certaine.

Tandis que les flèches des archers se perdaient dans les branches, Geralt avança, l'épée levée pour attendre le prévisible coup de fouet à son attention. Il ne fut pas déçu et interposa son arme autour de laquelle les lanières du fouet s'enroulèrent. Malheureusement pour lui c'était bien ce que souhaitait le démon, qui tira ensuite d'un coup sec. L'assassin aux cheveux blancs résista à cette tentative de le désarmer, mais la force du démon était telle qu'il vola en l'air et que son arme finit par lui être arrachée. Après une chute acrobatique dont il était coutumier, il sortit du fourreau l'autre épée qu'il portait et, comme son ami dunéen, il courut à la rencontre du démon sans plus aucun souci pour sa santé. Ayant perçu l'arbre dans lequel il se terrait, il y grimpa à toute la vitesse dont il était capable.

Andalónil était séduit par l'opiniâtreté de cet homme qui s'apprêtait à le combattre, ayant perdu tout espoir. Puisqu'il était en grande partie brisé, il allait achever le travail et en faire un jouet docile, et il lui lança un sortilège pour déformer ses perceptions et l'envoûter. Mais il ne savait pas que le maître-assassin portait la larme de Yavanna sur lui, larme qui le protégeait complètement de sa magie et que le démon ne percevait pas. Stupéfait, il vit Geralt lever sa lame sur lui et même arriver à lui faire une égratignure, puis une deuxième. Aussi insignifiantes furent-elles, cela le mit dans une rage noire et il s'apprêta à écraser ce chétif humain sous le double coup d'une masse d'armes dans sa main gauche et de son fouet dans sa main droite. L'Eriadorien balafré savait que le moment était venu pour lui de rejoindre les cavernes de Mandos, mais il regrettait juste de ne pas avoir pu blesser plus le monstre de froid.

Masse et fouet redescendirent sur le maître-assassin, mais au ralenti, tant les branches s'étaient enroulées autour des deux armes et des bras du démon. Geralt fut frappé par une masse de feuillage glacé qui le déséquilibra sans le blesser aucunement, et il arrêta sa chute à une branche un peu plus bas dans l'arbre. Il aurait voulu remonter combattre, mais il n'en eut pas le temps : la végétation s'acharnait sur le démon qui la brisait de ses armes tout en déployant ses ailes et en prenant de la hauteur. Il comprenait que le magicien brun était là et il était dans son élément à lui, aussi fuyait-il. Maître-assassin et archer-magicien retrouvèrent l'espoir et le goût de la vie et se mirent à trembler, tandis que Radagast sortait de derrière un arbre et faisait signe à tous de le suivre : les ennemis n'allaient pas tarder à les poursuivre et il fallait fuir.
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Horselords - 35e partie : sommeil de mort

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1 - A l'ombre des arbres
Des centaines voire des milliers d'orcs, de loups et d'araignées cherchèrent sans relâche à ramener les aventuriers vers Dol Guldur ou à les envoyer vers les cavernes de Mandos, aidés par divers sorciers et leurs alliés ailés. Mais Radagast était avec eux qui veillait, ouvrant des pistes au milieu de la végétation pour ses protégés et lui, pistes qui se refermaient complètement derrière eux et bloquaient ou ralentissaient leurs poursuivants. Crebain et chauves-souris esclaves des serviteurs du Nécromancien rencontrèrent face à eux les nombreux alliés ailés du magicien brun, et ne purent guère renseigner leurs maîtres, qui finirent vite par comprendre que leur magie était inopérante face à celle de Radagast. Et d'autres alliés du magicien, terrestres et à quatre pattes cette fois, brouillèrent savamment les rares traces laissées par les poursuivis, quand ils n'attiraient pas les noirs prédateurs dans des chasses futiles loin de leurs objectifs.

Restait tout de même que leur seul nombre et leur côté ubiquitaire avaient de quoi inquiéter tout de même les aventuriers. Même guidés par le magicien brun, ils marchèrent beaucoup, pratiquement jamais en ligne droite, pour éviter les myriades d'ennemis tant devant que derrière eux, au sein d'un labyrinthe végétal contrôlé par Radagast. Mais si ce dernier pouvait écarter la végétation face à eux, il ne pouvait en faire autant des ennemis qui s'y trouvaient parfois. Il fallut donc combattre de temps en temps, éliminer loups, orcs ou araignées le plus souvent, jusqu'à leur faire comprendre qu'ils avaient plus à perdre à obéir à leurs chefs ténébreux qu'à fuir au diable vauvert.

Les alliés de Radagast ne participaient pas, en général, à ces combats, ou du moins pas directement. Le magicien brun semblait avoir autant de considération pour ses amis à ailes ou à pattes que pour Vif et ses compagnons, et il évitait autant que possible de les faire intervenir en personne, sauf parfois les insectes sociaux comme fourmis, guêpes et abeilles sauvages. La plupart du temps, les animaux de la forêt alliés du magicien se contentaient de rapporter la présence des ennemis quand ils approchaient, de veiller sur les aventuriers et le magicien lors des courtes haltes qu'ils faisaient pour se reposer et dormir, ou leur amener à manger quand ils n'eurent plus aucune provision.

Malgré ce régime digne des plus sévères entraînements des meilleurs corps d'armée, le groupe arriva à récupérer petit à petit, tant physiquement des quelques blessures reçues, que moralement : grâce au repos, à leur magie ou à celle de la gourde du magicien, ils reprirent confiance en eux, se reposèrent le corps comme l'esprit et oublièrent un peu certaines horreurs dont ils avaient été les témoins voire les sujets. Néanmoins, ils n'eurent pas le temps de discuter beaucoup ou de faire autre chose que fuir, combattre et s'aider les uns les autres. Geralt ajouta une nouvelle cicatrice à sa collection grâce à du baume orc, Rob fut souvent transporté jusqu'à guérir enfin complètement des suites de sa blessure reçue lorsque le troll lui était tombé dessus. Néanmoins, Drilun ou Geralt montrèrent à Radagast les objets rapportés de Dol Guldur. S'il confia que les objets magiques n'étaient pas son fort et que son cousin Saroumane en saurait bien davantage, il s'attarda tout de même sur la larme de Yavanna, dont il parla assez longuement.

Après avoir expliqué qui était Yavanna, Valie de Valinor et maîtresse des plantes et, dans une moindre mesure, des animaux sauvages, il expliqua ce que représentait sa "larme" : c'était une vraie larme de cette espèce de déesse, larme versée, parmi bien d'autres, après la Guerre de la Colère contre Morgoth, à la fin du Premier Âge. C'était autant un constat du mal que Morgoth avait fait subir à la terre qu'un moyen de le guérir avec du temps et de la volonté : ces larmes renfermaient en effet une magie capable de guérir le monde des souillures du Noir Ennemi du Monde, si elles étaient rassemblées par les peuples libres, et les rituels adaptés accomplis. Radagast ajouta que certaines personnes consacraient déjà leur vie à retrouver ces larmes, mais très peu avaient encore ressurgi. Plusieurs avaient été recouvrées par l'ennemi qui y avait vu le potentiel qu'elles pouvaient avoir aux mains de leurs adversaires, et il les avait cachées.

Celle présente à Dol Guldur lui avait longtemps posé le plus grand souci, et le magicien avoua qu'il avait toujours douté de trouver quelqu'un pour aller la chercher et encore moins la ramener. Cela étant fait, il ajouta qu'il pensait que les autres émergeraient d'une manière ou d'une autre et que le rituel de purification du monde pourrait être un jour lancé. Il s'en faudrait encore sans doute de nombreuses années, mais le mouvement était en marche, inexorable, pour peu que les ennemis soient contrés dans leurs efforts de cacher de nouvelles larmes, et que celles qui restaient entre leurs mains soient récupérées, comme à Carn Dûm sans doute... Et au-delà de leur pouvoir de purifier la terre, Radagast fit part de son sentiment que certaines pourraient faciliter le départ d'anciens serviteurs de Morgoth qui rôdaient encore dans les désolations glacées ou près des entrailles enflammées de la terre, loin du soleil ou de la lune...

2 - Noires lectures
Enfin, après une dizaine de jours et de nuits de courses effrénées et de combats divers en forêt, les poursuivants commencèrent à abandonner, écœurés, et la pression se relâcha sur le groupe. Cela permit de consacrer un peu de temps à autre chose qu'à la seule survie, comme de s'entraîner aux armes pour certains, activité vite limitée pour le bruit qu'elle faisait et le risque d'attirer leurs ennemis. En revanche, Drilun, Taurgil et Vif, qui maîtrisaient le mieux la langue de Dol Guldur, s'attaquèrent aux nombreux parchemins qu'ils avaient trouvés chez le Grimburgoth, parfois aidés par leurs autres compagnons, qui abandonnèrent vite toute idée de procurer une aide efficace après des essais infructueux.

Trois jours de suite, donc, ils passèrent chacun au moins une heure à essayer de lire, trier ou rassembler les nombreuses notes du Grimburgoth ou de ses correspondants. C'était bien insuffisant, il aurait fallu au moins une journée entière pour tout lire et une semaine complète pour résoudre les nombreux puzzles que ces notes représentaient. Néanmoins, ce travail préparatoire amena son lot d'informations plus ou moins intéressantes, et encore plus de questions. Le Rhovanion était un fruit parcouru par de nombreux vers au service plus ou moins direct du Nécromancien et de ses agents, mais ce n'était pas le seul mal qui guettait ses habitants : depuis peu, des dragons en maraude assaillaient aussi certains habitants et voyageurs... dont les serviteurs du Nécromancien parfois !

Drilun chercha surtout des informations sur les indicateurs et agents ténébreux ayant infiltré les peuples libres et en particulier leurs alliés, les seigneurs-cavaliers nordiques. Il trouva bien des mentions de telles personnes çà et là, mais pas assez pour pouvoir en tirer des noms. Il semblait juste qu'il y en avait un peu partout, y compris dans la guilde des mendiants de Forpays, mais aussi celle des voleurs de la même ville. Mais Esgaroth, Londaroth ou Dale étaient aussi cités, voire même Thorontir, siège du pouvoir du Gondor et du régent de Dor Rhúnen, Vagaig.

Avec l'aide d'Isilmë, des cartes ou morceaux de carte furent rassemblés qui désignaient manifestement des lieux importants pour les gens du Nécromanciens. L'un de ces lieux devait être Nan Morsereg, la vallée cachée où se terraient les Maeghirrim, ces noirs sorciers qui répandaient un culte maléfique dans le Rhovanion et exécutaient les basses œuvres du Nécromancien. D'autres, nombreux, figuraient probablement des camps sagaths en plaine, ou des groupes d'orcs en montagne, autant d'alliés possibles du convoi de caravanes pour Angmar. Enfin, trois signes devaient dénoter autre chose, trois individus alliés à personne et néanmoins redoutables : trois dragons.

Car les notes étaient formelles : il semblait bien que les sorciers du Nécromancien avaient favorisé le récent réveil des dragons des Montagnes Grises. Mais trois d'entre eux avaient pris intérêt à la caravane régulière qui longeait le sud des montagnes chaque année pour ravitailler le pays et les armées du roi-sorcier en nourriture et chevaux... et ils s'étaient servis. Ces dragons ne constituaient pas une menace pour les seuls peuples libres, mais pour les agents ou alliés du Nécromancien également ! Des études et mesures semblaient en cours pour juguler ces menaces, mais il faudrait encore lire beaucoup plus pour apprendre le résultat que ces démarches avaient donné... si même il était possible de l'apprendre à l'aide des parchemins et papiers emportés.

3 - Retrouvailles
A peu près deux semaines après être sortie de Dol Guldur, l'équipe approcha enfin du point de rendez-vous qui avait été donné par messager ailé aux elfes qui étaient descendus prêter main-forte aux Hommes des Bois. C'était moins d'un mois auparavant, et tous se souvenaient du combat contre l'armée du Grimburgoth et de l'arrivée du magicien, des elfes et d'autres Hommes des Bois, ce qui avait permis de tourner le cours de la bataille, largement remportée. Avant de se précipiter à la rescousse de Bronwyn, les aventuriers avaient laissé aux elfes le corps paralysé d'Aldoric, son frère, ainsi que divers biens dont ils n'avaient pas l'utilité, dont un peu d'or...

Par un tiède milieu d'après-midi, le groupe parvint aux tombeaux des princes waildungs qui n'étaient qu'à une journée de marche de l'orée de la forêt. Un homme nordique, costaud et de grande taille, marchait entre les troncs-cathédrales et les tombeaux de cet endroit imposant et calme, réputé jamais visité par araignées géantes, orcs ou autres bêtes maléfiques. Quand il les perçut, Aldoric, car c'était bien lui, se précipita à leur rencontre et en particulier celle de sa sœur, qui n'avait pas attendu pour courir dans sa direction. Tandis que frère et sœur partageaient leur joie d'être à nouveau réunis, quelques elfes daignèrent quitter les branches ou autres abris d'où ils veillaient, et s'approchèrent du groupe. Dont Legolas, fils du roi Thranduil et un des elfes les plus ouverts aux échanges avec les "étrangers" que les aventuriers représentaient pour eux. En effet, beaucoup étaient des elfes sylvestres qui n'aimaient pas trop se mêler aux autres races, et en particulier aux nains, comme Mordin s'en rendit bien vite compte : il vit assez distinctement, au cours des échanges qui suivirent, des elfes se moquer de lui de loin, et il dut faire un effort pour se contrôler...

Aldoric avait l'air complètement remis de ses blessures, physiquement du moins. Legolas leur apprit que sa convalescence n'avait pas été facile pour eux : il n'avait eu de cesse de vouloir partir à la rescousse de sa sœur lorsqu'il avait appris où elle était allée, emmenée par les forces du Nécromancien. Son moral était resté très mauvais pendant tout le temps que les aventuriers avaient passé là-bas, et l'homme n'avait souri qu'au moment de recevoir des nouvelles par les oiseaux que Radagast avaient envoyés... Après quoi il les avait pressés de partir au plus vite, et depuis qu'ils étaient arrivés là il rongeait son frein en n'arrêtant pas de marcher ou d'écouter les bruits de la forêt...

Bref, les elfes étaient ravis de se séparer d'Aldoric, même s'ils étaient contents pour les deux enfants du prince Atagavia. Par ailleurs, ils étaient tout de même un peu curieux et impressionnés par ce que les aventuriers avaient fait : personne avant eux n'était jamais ressorti vivant de Dol Guldur, personne d'autre que les serviteurs du Nécromancien du moins. Quelques propos furent donc échangés à ce sujet, mais assez brefs : manifestement, nombreux étaient les elfes qui souhaitaient repartir au nord et retrouver des frondaisons plus vertes et accueillantes, où ils avaient leurs habitudes et où ils ne consacraient pas autant de temps à lutter contre orcs et araignées.

Drilun interpela néanmoins le fils du roi concernant la suite de leur quête, à savoir la guerre contre les Sagaths et le convoi pour Angmar. Les elfes du roi Thranduil ne pourraient-ils pas apporter leur aide ? Legolas doucha quelque peu les espoirs des aventuriers en disant que son père, comme la majorité de son peuple, ne souhaitait pas se mêler des affaires des humains. Il lui semblait donc très improbable d'obtenir de lui quoi que ce fût. A la remarque de Mordin concernant l'aide probable des nains des Monts de Fer qu'il se faisait fort d'obtenir, il répliqua que c'était un argument de plus pour ce pas participer : son père se souvenait des conflits entre elfes et nains, au Premier Âge du monde, et les nains n'étaient pas les bienvenus chez lui.

En revanche, il dit aussi que les communautés elfes étaient assez indépendantes, et leurs chefs faisaient bien comme ils l'entendaient. Dans leur immense majorité ils ne souhaitaient pas entendre parler et encore moins voir les humains, à l'exception notable des Hommes des Bois et parfois des Béornides. Néanmoins, dans le village de Celebannon vivaient les elfes qui côtoyaient le plus souvent des hommes car ils faisaient commerce avec les gens de la ville d'Esgaroth. Leur chef, Ohtar, avait plus d'une fois montré de l'intérêt pour les nordiques, les considérant plus comme des alliés que de simples clients ou fournisseurs. C'était sans doute lui qui était le plus susceptible d'apporter une aide aux nordiques et aux aventuriers.

4 - Approfondissement
Ces échanges prirent fin au bout d'un moment. Peut-être certains auraient-ils voulu profiter plus du temps avec les elfes de Thranduil, leur faire lire les documents trouvés à Dol Guldur ou essayer encore de les convaincre. Mais Legolas et les siens étaient partis de chez eux depuis longtemps et ils avaient encore un long chemin à faire avant de rentrer au palais du roi ou autres lieux de vie, dans la mesure où ils allaient faire un grand détour pour éviter les montagnes de la forêt, car elles avaient mauvaise réputation. Legolas promit de parler des aventuriers et de leur quête à Ohtar, chef de la communauté elfe de Celebannon. Il fit néanmoins remarquer que le groupe arriverait peut-être là-bas avant lui...

Radagast le brun quitta également les aventuriers, en même temps que les elfes, après un adieu simple mais plus marqué envers Vif. Mordin fut bien content de voir disparaître ces gens moqueurs, même s'il ne put faire autrement que de remarquer également le respect des elfes envers eux tous - même Rob ou lui - au moment de leur départ. On ne rencontre pas tous les jours des gens capables de se faufiler dans Dol Guldur au nez et à la barbe de ses habitants et d'en ressortir sains de corps et d'esprit ! Pour l'esprit, d'ailleurs, Aldoric avait été mis en contact avec la larme de Yavanna et il avait recouvré une partie de la mémoire oubliée de son emprisonnement à Dol Guldur. Mais d'une part, cela n'avait rien de réjouissant et il aurait sans doute voulu continuer à oublier cela ; d'autre part, la fin de son séjour là-bas restait occultée, peu avant sa rencontre avec une personne importante. Qui sait s'il n'avait pas vu le Nécromancien en personne ?

Le groupe, malgré l'envie muette mais claire des frère et sœur nordiques, ne partit pas tout de suite vers la capitale des Waildungs, Buhr Widu. En effet, comme Drilun l'expliqua très bien, il y avait sans doute des traîtres qui gravitaient autour de leur père. Il valait mieux en savoir le plus sur eux avant de se présenter devant Atagavia la bouche en cœur, et de révéler des choses qui devaient rester cachées aux serviteurs du Nécromancien. Les neuf personnes campèrent donc sur place, résolus à passer une journée entière à examiner les précieux documents trouvés chez le Grimburgoth. Les aventuriers se rendirent alors compte qu'ils n'avaient rien à manger. Ce qui n'était pas un problème en soi : malgré les réticences de certains de ses amis, Vif partit en forêt avec un ou deux compagnons et revint vite les bras chargés des fruits et autres denrées comestibles de la forêt. Il y avait déjà framboises, merises et fraises des bois, et il faisait presque chaud... ce qui fit dire à la Femme des Bois que l'été ne devait plus être si loin que ça et que le temps leur était compté.

Drilun, Taurgil et elle se jetèrent donc sur les papiers et parchemins écrits en noirparler et tâchèrent de résoudre le puzzle gigantesque des informations qu'ils recélaient. Il leur aurait fallu une semaine au moins, mais de nouveaux éléments apparurent avec netteté. Les informations sur les dragons se firent plus claires : ils s'appelaient Bairanax, Culgor et Haurnfile, tous étaient jeunes, et seul le premier était ailé. Celui-là semblait particulièrement friand d'ours et il prenait un malin plaisir à provoquer et éliminer les quelques Béornides qui vivaient encore au nord de la forêt, sans doute plus pour longtemps. Par contre, il avait été blessé par un autre dragon lorsqu'il était venu chasser sur son territoire. Les deux autres semblaient être frère et sœur et passaient leur temps à se battre. Les sorciers de Dol Guldur avaient comme projet de récupérer des écailles des trois dragons afin probablement de réaliser outil ou arme magique contre eux. Mais savoir si le projet était passé ou à venir n'était pas clair.

L'emplacement exact dans les Monts de Fer et la description sommaire du siège des Maeghirrim furent établis. Ils étaient à l'origine d'une sombre secte appelée Culte de la Longue Nuit qui attirait des individus de tout le Rhovanion, et l'un des Maeghirrim coordonnait ces agents et disposait d'un réseau d'espions et informateurs, dont les bandes de brigands comme la troupe de Dieraglir de Relmether. Mordin avait entendu parler de ce fameux bandit qui avait la réputation d'être un excellent archer qui ne ratait jamais sa cible, et qui obligeait les marchands à ne voyager qu'en nombre, bien gardés et armés. Une note parlait également d'une prisonnière elfe des Maeghirrim, ce qui intéressa au plus haut point les aventuriers : voilà qui pourrait être un levier intéressant dans une discussion avec les elfes de Thranduil...

Mais Drilun, de son côté, séchait : il était concentré sur la recherche des espions et informateurs du Nécromancien (ou ses agents) au sein des tribus des seigneurs cavaliers, les Waildungs en tête. Il trouvait bien des informations en ce qui concernait leur nombre et les sphères dans lesquelles ils évoluaient, mais il était incapable de dévoiler des individus précis. Même avec l'aide de Bronwyn, impossible de descendre en dessous d'une vingtaine de suspects, pour seulement trois ou quatre coupables... Il s'acharna tant et si bien qu'il finit par trouver la solution d'une espèce de code sur un autre document, ce qui lui permit enfin d'arriver à mettre des noms précis sur les "traîtres", noms qui parlaient tous à Bronwyn. Il y avait trois guerriers (dont un officier) et un marchand de Buhr Widu, et c'étaient des informateurs peu scrupuleux et amateurs d'or et non des agents directs, mais c'était important. Les informateurs des autres tribus mais aussi de Forpays étaient clairement désignés. Rillit n'en faisait pas partie et un rapport à son sujet parlait même d'un voleur inoffensif et toujours la tête dans son art et oublieux du reste du monde et du quotidien...

5 - Retour à Buhr Widu
Le lendemain du départ des elfes et de Radagast, en fin de journée, le groupe décida qu'il était temps de rentrer voir Atagavia, de faire face à son courroux et de lui ramener ses enfants. Comment prendrait-il la chose ? Les paris étaient ouverts, même si Bronwyn et Aldoric s'en moquaient bien. L'équipe rejoignit alors le sentier forestier qui traversait la forêt d'est en ouest et se dirigea à bonne allure vers l'orée proche. Bonne allure car Isilmë utilisait ses dons elfiques, renforcés par le port de l'anneau de son peuple volé au trésor de Dol Guldur, pour évoquer un chant motivant qui donnait des ailes aux pieds et faisait oublier toute fatigue à une partie de ses compagnons. Ceux qui n'étaient pas affectés par le chant, comme Vif et les deux nordiques, étaient assez endurants pour suivre au pas de course.

Après six heures à cette allure, au milieu de la nuit, la Femme des Bois commença à percevoir que l'orée n'était plus très loin. De plus, des ronflements venaient de l'endroit vers lequel ils se dirigeaient, si bien qu'Isilmë arrêta de chanter et Drilun fit un sort d'écoute magique. Il ne pouvait percevoir les êtres allongés, endormis, mais il entendit tout de même les pas de deux humains ou bipèdes équivalents qui semblaient monter la garde et bougeaient de temps en temps. Manifestement, ils étaient attendus... Vif se rapprocha discrètement et elle put percevoir une douzaine de cavaliers nordiques, presque tous endormis non loin de leurs chevaux, qui avaient monté un camp à l'entrée du sentier en forêt. Une fois revenue et ses amis mis au courant, ils débattirent de la suite à donner : faire un détour et arriver en surprenant tout le monde ? Geralt était contre et aurait bien voulu prendre un cheval pour aller dormir plus vite.

En fin de compte, il ne serait peut-être pas sage de trop se moquer d'Atagavia alors qu'il fallait lancer l'offensive sur les Sagaths et le convoi, et donc le groupe reprit son allure rapide et musicale. Ce qui réveilla bientôt les gardes, nerveux, qui demandèrent aux nouveaux venus, encore invisibles dans les bois, de se présenter. Bronwyn les interpela alors, au grand étonnement du capitaine des gardes, qui demanda à la princesse de se montrer... ce qu'elle fit. Mais la joie et l'étonnement des gardes, leur stupéfaction même, ne connurent plus de borne lorsque son frère Aldoric se montra à son tour. Après un long moment d'hébétement, le capitaine se reprit enfin et ordonna à ses hommes de seller les chevaux pour les donner aux aventuriers et aux enfants de son prince : ils rentraient en ville au plus vite, tandis que les gardes restants iraient à pied. Ce qu'ils firent en courant, espérant rater le moins possible des récits qui allaient suivre dans le grand hall de la capitale.

Car c'est bien ce qui se passa : au portail de la ville, le capitaine hurla qu'on leur ouvre et le bruit du retour de la fille mais aussi du fils du prince se propagea comme une flèche et tous furent bientôt réveillés. Les aventuriers, avec Bronwyn et Aldoric, arrivèrent dans la longère des princes des Waildungs avec une bonne partie de la ville derrière eux, et le reste qui suivrait bientôt. Le père et ses enfants oublièrent tout protocole et s'embrassèrent un long moment au vu de tous, un très long moment même, avant que Bronwyn fasse reprendre conscience à son père que la nuit ne faisait que commencer. Atagavia sourit et s'assit sur son trône, les enfants à ses côtés, et il accueillit comme il se devait les aventuriers, les pressant d'expliquer par quel tour de magie ils revenaient non pas avec un mais avec ses deux enfants. Il avait en particulier du mal à deviner pourquoi sa fille persistait à se moquer de lui en disant qu'elle était allée à Dol Guldur, comme son frère avant elle...

Contre sa volonté tant il était pressé d'aller dormir, Geralt fut bombardé conteur en chef de leurs exploits. Il s'exécuta de mauvaise grâce, résumant aussi brièvement que possible leurs aventures en forêt et à Dol Guldur, parfois complété par Drilun qui enjolivait le récit trop terne de son ami. Raconter la traversée de Dol Guldur comme si c'était aussi simple que de faire son marché, ce n'était pas très crédible ! Mais confirmé et appuyé par Bronwyn et Aldoric, les auditeurs durent finalement admettre que l'impossible était devenu réalité : le frère et la sœur avaient été faits prisonniers là-bas, mais grâce aux exploits des aventuriers et à l'aide des elfes et du magicien brun, ils en étaient tous sortis sains et saufs. Les demandes de précisions ou de nouvelle audition ne manquèrent pas, personne n'ayant envie de dormir... sauf Geralt et ses amis. Il fallut l'insistance du prince et les propres récits de ses enfants pour que les aventuriers puissent s'éclipser.

Ils ne partirent pas tout de suite (pauvre Geralt) mais obtinrent de voir Atagavia en privé. Ils lui expliquèrent qu'ils n'avaient pas donné trop de détails et ne souhaitaient pas s'étendre beaucoup en raison des indicateurs que la ville abritait. Puis ils donnèrent les noms et l'origine de ce qu'ils avaient appris. Ils conseillèrent aussi au prince de ne pas les faire arrêter, du moins pas dans l'immédiat. Mieux valait des ennemis proches et connus que des ennemis inconnus qu'il serait plus difficile de contrôler. Car si les informateurs disparaissaient, ils seraient sans doute vite remplacés. Il était plus sage de les surveiller et de filtrer les informations qui provenaient jusqu'à eux, dans un premier temps. Cela pourrait peut-être même permettre de fournir de fausses informations aux espions du Nécromancien.

6 - Mauvaise surprise
Tandis que Bronwyn et Aldoric continuaient à raconter au peuple de Buhr Widu le détail de leurs aventures dans la Forêt Sombre, Atagavia fit sortir les aventuriers par l'arrière de la longère. Il leur souhaita une bonne nuit, sous-entendant qu'ils se verraient bientôt et avaient encore beaucoup à se dire, mais qu'il respectait ce qu'ils avaient fait et leur besoin de sommeil. Pour lui, la nuit serait courte, si même elle avait une chance de ne pas être définitivement terminée. Geralt et ses compagnons s'empressèrent de retourner à la ferme où ils avaient laissé Rult et ses hommes garder leurs chevaux et autres biens, en rêvant à l'avance d'un sommeil sans histoire dans de la paille profonde. La journée qui suivrait serait certainement bien active...

Rult avait déjà été prévenu par quelques-uns de ses hommes qui, alertés par les bruits nocturnes et inhabituels en ville, étaient allés voir de quoi il retournait. Le chef des mercenaires devina sans mal les désirs de ses employeurs et il ne les questionna pas trop. Le groupe retrouva donc l'étable vide dans laquelle ils avaient élu domicile, et en particulier l'étage occupé par un peu de foin qui restait et qui leur servait de couche. Foin dans lequel ils se jetèrent avec plus ou moins d'empressement et de délice : Geralt en tête, comme à son habitude, suivi peu après par Rob. Vif s'installa non loin de Mordin, à qui la larme de Yavanna avait été confiée. Connaissant sa vulnérabilité aux influences de Tevildo et se doutant qu'il se manifesterait tôt ou tard, elle comptait bien s'éloigner de la larme le moins possible, car l'objet permettait de repousser toutes les influences étrangères, même les plus fortes.

Tous furent bientôt endormis, même si l'on pourrait ergoter sur le repos d'Isilmë, qui n'était pas tout à fait un sommeil mais plutôt un état de rêve éveillé, bien que très profond. En tout cas, ce sommeil ne se déroula pas tout à fait à la convenance de ses dormeurs. En effet, Vif fut alertée par quelque chose d'indéfinissable qui la réveilla bientôt. Surprise, elle se rendit compte qu'il faisait jour, comme le montraient les quelques rais de lumière qui filtraient à travers le bardage de la grange. Ses amis étaient tous en train de se réveiller en même temps, ce qui était plus qu'étrange. Combien de temps avaient-ils dormi ? Mais surtout, un silence inquiétant les environnait, doublé d'une odeur étonnante autant qu’écœurante... de sang.

Elle se leva bientôt, les sens en alerte, imitée par les autres, eux aussi inquiets de ce qu'il se passait. Aucun son d'oiseau ou hennissement de cheval ne venait troubler le silence entêtant, et d'autres que la Femme des Bois sentaient également l'odeur inquiétante de sang à proximité. Ils descendirent sur le plancher des vaches et Geralt s'approcha du portail qui permettait d'entrer et de sortir de l'étable. Il l'ouvrit et regarda à l'extérieur... et son sang se figea. De nombreux cadavres jonchaient le sol, tant ceux d'hommes de Rult que de chevaux. L'un d'eux était en train d'être dévoré sans bruit par un monstre ailé qu'il avait rarement vu d'aussi près, accompagné par un sorcier vu deux semaines auparavant et qu'il aurait aimé ne plus jamais revoir, même en rêve. Et à côté du sorcier, un géant ailé à la peau claire tirant vers le bleu lui faisait de grands sourires en levant son fouet...

Le maître-assassin referma le portail d'un geste brusque et se jeta en arrière en criant "FOUEEEEEET" tandis que l'arme en question traversait sans mal les planches de l'étable et arrivait à le blesser cruellement à une jambe, qui le brûla comme si elle venait de geler. Les ennemis à leur porte, et eux sans armure et sans armes ! Ils étaient perdus... Mais comment tout cela était-il arrivé ? Tandis que Mordin remettait son habit de mailles en toute hâte, Rob et Vif partaient se cacher dans la paille à l'étage, Drilun préparait un sort et les autres prenaient leurs armes au plus vite. Les bords de la grange commencèrent à prendre feu, œuvre sans doute de quelque ténébreuse magie, tandis que les aventuriers les plus perceptifs arrivaient à entendre des cris d'agonie, au loin. Manifestement, il ne fallait pas s'attendre à de l'aide de quiconque, la situation semblait encore pire que dans leurs plus noirs cauchemars ! Les Waildungs étaient-ils tous tombés face aux forces du Nécromancien ?

7 - Convocation
Mais plutôt que de se cacher, Vif s'orienta plutôt vers le nain. Il y avait trop de choses qui clochaient dans ce qui leur arrivait, ne fût-ce que le fait de se réveiller tous en même temps. Arrivée devant Mordin, elle lui ordonna de lui donner la larme de Yavanna. Le marchand ouvrit alors la bourse où il avait déposé l'artefact... mais il n'y était plus ! Rob, très doué pour ce genre de petits tours, fut secoué comme un prunier sans changer grand-chose : il n'avait pas la larme et il ne savait pas où elle avait bien pu passer. Tandis que le nain se ruait à l'assaut du démon de froid, en bas, Vif se mit à fouiller la paille à toute allure. Distraitement, elle entendit des cris et des râles d'agonie en bas, sans doute de Taurgil, et continua ses recherches.

Mais aucune larme n'était présente sous la paille. En revanche, dans le bois du plancher, elle eut l'insigne honneur de voir apparaître une tête de chat grimaçante qui bougeait et semblait se moquer d'elle. Furieuse, elle remit de la paille par-dessus, mais non sans avoir le temps de saisir la convocation que Tevildo lui remettait à sa manière. En bas, c'était au tour du nain de tomber sous les coups de fouet de glace du monstre, tandis que les flammes grimpaient partout de plus en plus vite et haut. La Femme des Bois se mit alors à hurler sans s'arrêter à l'attention de son ami à la barbe fournie : "MORDIN, LA LARME, SUR MOI, VITE !!!". Était-ce Isilmë qui venait de mourir à son tour, plus bas ?

Vif se réveilla brusquement. Son visage lui faisait mal, une lèvre était éclatée et son nez était peut-être cassé tant il était douloureux. Plus loin, elle entendait Rob, Geralt et Drilun qui criaient dans leur sommeil. Les hommes de Rult se tenaient autour d'eux ou près du Dúnadan ou de l'elfe, qui étaient à peine réveillés et livides. Au-dessus d'elle, Mordin était penché et il tenait la larme de Yavanna contre son front. Elle lui fit signe de se dépêcher d'aller utiliser la larme sur les amis encore endormis, ce qu'il s'empressa de faire. Mais il ne put "sauver" de la mort en rêve que le hobbit, tandis que Drilun et Geralt mourraient sous le feu du brasier ou la glace du fouet du démon, pour se réveiller enfin. Ce n'était pas vraiment le repos auquel s'attendait le maître-assassin...

A vrai dire, ça n'avait même pas été du repos du tout. Les blessures reçues pendant ce cauchemar collectif avaient disparu au réveil, mais les angoisses et douleurs demeuraient toutes fraîches dans leur mémoire. Sauf dans celle du nain, qui n'avait absolument pas vécu ce cauchemar traumatisant, sans doute parce qu'il n'avait jamais bénéficié de la magie et de la corruption du Maia. Il avait été réveillé par les cris de Vif toute proche et l'arrivée des hommes de Rult, inquiétés par le bruit. Mais ils n'avaient pu réveiller quiconque. Mordin lui-même avait donné gifle après gifle à la rôdeuse, d'autant qu'il la savait costaude, et même encore plus quand il avait vu que cela ne servait à rien. A présent il était désolé pour son visage un peu bouffi et le sang qui gouttait sur ses vêtements. Et encore plus marri de ne pas avoir songé plus vite à se servir de la larme. Surtout que le cauchemar avait duré bien plus longtemps dans la réalité qu'en rêve : même s'il faisait encore nuit noire, les aventuriers avaient crié un long moment, peut-être une heure !

Vif annonça que c'était la manière de Tevildo de la convoquer pour qu'elle puisse récupérer ses pouvoirs. Manifestement, le prince des chats tenait à lui faire - à leur faire - payer son attente et leur petite escapade à Dol Guldur. Maintenant que Radagast n'était plus auprès d'eux, il avait quartier libre pour jouer avec eux et il ne s'en privait pas. Il avait certainement des choses à demander en échange des pouvoirs, et il annonçait la couleur : il maîtrisait le jeu, il avait les plus gros atouts, il faudrait sans doute passer sous les fourches caudines pour pouvoir dormir tranquillement à nouveau. Restait à aller le voir et à découvrir ce qu'il désirait. Tant qu'à faire, mieux valait ne pas trop le faire attendre. Car en attendant, pas question de dormir : les sommeils magiques d'Isilmë avaient volé en éclat devant la sorcellerie de Tevildo, et l'eau de la gourde de Radagast ne semblait plus avoir d'effet.

8 - Descendance féline
Vif devait donc aller voir son "patron", même si la Femme des Bois se sentait de moins en moins de liens avec lui. En fait, depuis Dol Guldur et la découverte de la larme, et la capacité nouvelle qu'elle avait eue de la sentir, la rôdeuse se considérait plutôt comme une "servante de Yavanna", pour qui elle avait bien plus d'atomes crochus. Pas qu'elle tenait à abandonner son côté félin, qui lui manquait beaucoup, mais elle n'était pas prête à n'importe quoi pour le récupérer. De même, ses amis ne voyaient pas cet entretien d'un bon œil et ils ne tenaient pas à la laisser partir seule. Certes, Tevildo ne voudrait sans doute pas les voir tous et il était en position de force, mais ses compagnons désiraient rester à proximité pour pouvoir intervenir rapidement au besoin.

Diverses questions fusèrent sur le nombre et la nature des amis qui accompagneraient Vif. Bons en combat comme Geralt ? Insensibles à la corruption du prince des chats comme Mordin ou une autre personne équipée de la larme ? Etc., etc., les avis furent nombreux, le groupe prêt à l'accompagner changea de nombreuses fois. Seul Rob ne voyait aucun intérêt à aller accompagner son amie, et en cela tout le monde était d'accord avec lui. Le choix fut enfin fait, avec difficulté, et le groupe se prépara à partir. Vif ne porterait pas non plus la larme avec elle. D'abord parce que le risque serait trop grand que Tevildo s'en empare et la cache ou la jette quelque part ; ensuite parce que la rôdeuse semblait plus utile au grand patron des félins avec toute sa tête que comme une docile marionnette.

Le petit groupe partit derechef pour l'orée de la forêt alors qu'il faisait encore nuit. Ils pénétrèrent ensuite en forêt et avancèrent un moment sans but, jusqu'à ce que la Femme des Bois leur fasse comprendre qu'ils devaient l'attendre là : elle seule devait continuer, d'après ce que le Maia lui avait fait comprendre magiquement. Ils patientèrent donc un moment, les sens aux aguets, mais rapidement ils ne purent plus rien percevoir : Vif s'était trop éloignée, et leur "intervention rapide" était réduite à néant. De toute manière, comment vouloir jouer au plus fin avec un esprit plus vieux que le monde qui pouvait lire dans les pensées de la quasi-totalité des membres du groupe d'aventuriers ?

L'attente fut de courte durée néanmoins. Si Vif avait dû s'éloigner de plus d'un demi-mile, l'échange avec le lynx blanc possédé par le Maia avait été de très courte durée. La rôdeuse était donc vite revenue, toujours sans ses pouvoirs, mais l'air bien furieuse. Sur le chemin du retour, elle parla donc du "contrat" que Tevildo lui avait proposé : en échange du retour de ses capacités magiques, il comptait qu'elle progresse encore dans la maîtrise de ses pouvoirs. Et quel était cette ultime étape de sa magie féline ? L'enfantement d'un nouveau garou, rien de moins. A faire avec Taurgil, pas moins, sans doute pour ses origines royales et les pouvoirs que cela pouvait entraîner, comme avec Míriel d'ailleurs, la fille de Narmegil Eldanar et d'Isis.

Vif avait été assez étonnée de la proposition, car elle ne se sentait pas la capacité de faire une telle magie. Il est vrai qu'avec les pouvoirs de Tina et ceux de Tevildo, elle pouvait s'attendre à tout... Mais en revanche, elle n'était absolument pas d'accord pour servir de ventre à la disposition du Maia, afin qu'il grossisse son armée de pions dans la partie d'échecs qui était la sienne. Elle refusait de n'être qu'un outil, surtout si cela signifiait qu'elle serait éventuellement "jetable" à l'avenir. Elle avait donc refusé, préférant rester humaine et sans chat en elle que d'avoir une descendance féline. Ses amis la taquinèrent, et Taurgil ne se priva pas d'insinuer que Tevildo avait parfois de bonnes idées, mais ils étaient d'accord : donner un nouveau garou à Tevildo était difficilement envisageable, d'autant que l'état de femme enceinte aurait sans doute de lourdes conséquences sur Vif et ses amis. Tous les compagnons les plus anciens ne se souvenaient que trop bien de ce qu'avait enduré Isis.

9 - Débats et choix difficiles
Une fois rentrés, il fallut trouver une solution à cette question d'ordinaire très simple : comment dormir ? Tous étaient épuisés et bien affectés par le cauchemar de leur bout de nuit, et ils ne pourraient vite rien faire sans un peu de sommeil. Ils fabriquèrent des espèces de menottes de corde pour permettre à trois individus de dormir tout en restant en contact avec la larme de Yavanna. Cela n'était pas l'idéal question confort ou intimité, mais cela valait mieux que la privation de sommeil et ce qui s'ensuivrait rapidement. Les trois premiers cobayes prouvèrent que la larme était un rempart efficace contre la magie de Tevildo. Isilmë, qui faisait partie du trio de départ, se réveilla avant les autres et céda sa place et ainsi, au court de la matinée, tous purent dormir et se reposer.

Néanmoins, il fallait compter une douzaine d'heures pour que tous puissent profiter d'un sommeil sans cauchemar. Au cours des jours qui allaient venir, lorsqu'ils seraient partis en guerre, ils n'auraient certainement pas autant de temps à consacrer à leur sommeil. Sur le long terme, donc, ce n'était pas une solution viable de compter sur la larme de Yavanna. D'autant qu'ils pourraient être amenés à se séparer, voire à perdre la larme, et ce n'était pas parce que de nombreuses autres larmes étaient censées exister qu'ils en trouveraient bientôt. Au contraire, elles semblaient même reposer dans des endroits dangereux, ou alors bien cachées. De plus, Tevildo n'en resterait certainement pas là : si Vif refusait d'endosser le rôle qu'il voulait lui voir jouer, il allait certainement accentuer la pression sur eux et leur pourrir la vie. Il se moquait éperdument de la réussite de leur mission, pour autant qu'ils en ressortaient vivants. Il pouvait donc facilement saboter leurs efforts et en tout cas les aventuriers s'attendaient à ce qu'il menaçât de le faire.

Mordin objecta tout de même que cet esprit n'était pas seul au monde, et que des gens comme les magiciens étaient à sa poursuite. Il ne tenait sans doute pas à faire trop de vagues, sans quoi il finirait tôt ou tard par se faire repérer et rattraper. Il était donc possible d'espérer que les cauchemars ne soient que de loin en loin des rappels de ses exigences et non une contrainte au quotidien. Mais ses compagnons, pour qui le cauchemar qu'ils avaient vécu était déjà un de trop, ne partageaient guère son optimisme. De la même manière, il fut envisagé de se réfugier chez Radagast à Rhosgobel, mais l'idée fut vite rejetée : rien ne disait que le magicien accepterait, et personne ne savait s'il pouvait les protéger à distance. Ils se voyaient mal le suivre en permanence ou même que lui accepte qu'ils le suivent. Et puis ce n'était qu'une forme de prison qui ne satisferait personne.

En fin de compte, tous furent d'accord sur une chose : s'ils rejetaient complètement la demande de Tevildo, s'ils ne lui étaient plus d'aucune utilité, il les détruirait tous et ceux à qui ils tenaient par la même occasion. Ce serait la fin de chacun d'eux, et probablement de manière lente et douloureuse si c'était possible. Sans parler de leurs amis nordiques qui feraient les frais de son mécontentement : rien que la perte des pouvoirs de Vif était un coup dur pour les épreuves qui les attendaient. D'un autre côté, il avait beaucoup "investi" en Vif et elle était pour lui comme une reine dans son jeu d'échecs personnel, et la reine est une pièce qu'on ne sacrifie pas aisément. Il tenait à elle, et il fallait qu'il continue à voir en elle - et en eux tous - un intérêt suffisant pour qu'il acceptât de les laisser dormir. Il fallait lui proposer un autre contrat, lui laisser la porte entrouverte pour satisfaire ses intérêts. C'était le plus fort et il les détruirait tous au besoin ; les aventuriers devaient trouver quelque chose qui l'intéresserait plus que le gaspillage de leur mort. Mais quoi ?

Il fallait donc retourner voir Tevildo et essayer de discuter le bout de gras avec lui, et tâcher de trouver quelque chose. Tous comptaient sur la rôdeuse pour essayer de tirer les vers du nez du Maia et arriver à un nouvel accord avec lui, un accord plus satisfaisant que de perpétuer la lignée des chats de Tevildo. Arrivés à ce point du débat, les aventuriers sortirent tous et repartirent vers l'orée de la forêt, sans chercher à savoir qui voulait ou devait venir ou pas. En chemin, ils croisèrent des gardes nordiques qui leur indiquèrent que le prince souhaitait leur parler, mais ils déclinèrent l'invitation et dirent qu'ils viendraient après la résolution d'un problème urgent. Et bientôt ils se retrouvèrent face au mur végétal de la forêt.

10 - Accord à l'arraché
Tout le groupe s'enfonça bientôt dans le sous-bois touffu, et après un moment Vif continua seule. Elle revint vite vers l'équipe, néanmoins, afin de faire participer ses amis, qui étaient concernés, aux débats. Si Tevildo se fit un peu tirer l'oreille, il finit par se manifester. Du moins à ceux qui avaient un lien de corruption avec lui, c'est-à-dire tous sauf Mordin, à qui il fallut retransmettre les débats avec le lynx blanc. Le nain en profita pour fumer et montrer ainsi son dédain au Maia. L'échange avec ce dernier ne fut pas facile, Tevildo évoquant très clairement la possibilité de les tuer tous et de passer à autre chose pour lui s'il ne trouvait pas quelque intérêt à ce qu'ils pouvaient lui apporter. Malgré tout, la Femme des Bois restait ferme : porter un chat de Tevildo en elle, quel que fût le père, était hors de question.

En fin de compte, le lynx blanc consentit à faire une proposition. Vif et ses amis ne voulaient rien faire qui pourrait mettre en péril les peuples libres de la Terre du Milieu, même quelque chose d'aussi neutre que de faire un enfant ? Bien. Alors Tevildo leur aide pour tuer un grand ennemi de ces mêmes peuples libres de la Terre du Milieu, un ennemi qui vivait dans le Grand Nord. Autrement dit, les aventuriers étaient-ils prêts à s'engager à l'aider en ce sens, à sa demande, après leur mission pour l'Arthedain et les seigneurs-cavaliers ? Diverses questions furent posées, dont il ressortit essentiellement qu'il s'agissait d'un ancien serviteur de Morgoth, mais guère plus.

Les aventuriers furent dubitatifs et cherchèrent le piège que le prince des chats devait leur tendre, mais ils n'en trouvèrent aucun. Ce qui était inquiétant était qu'ils ne percevaient pas l'intérêt de Tevildo, alors qu'il y en avait forcément un, mais lequel ? Néanmoins, le contrat semblait acceptable tel qu'il était présenté, même si ce ne serait certainement pas une partie de plaisir. Les aventuriers discutèrent d'ailleurs du genre de créature que cela pourrait être. Mordin pariait sur un dragon, mais les autres penchaient plutôt vers quelque chose d'autre, comme ce démon du froid qui habitait Dol Guldur. Tous regrettaient de ne pas avoir passé plus de temps dans des bibliothèques diverses comme celle de Fondcombe, à étudier les faits anciens et notamment l'histoire des guerres contre Morgoth...

En fin de compte, ils donnèrent leur accord au lynx blanc. Les amis de Vif la laissèrent avec le Maia et s'éloignèrent, non sans que ce dernier ne leur adressât un dernier message concernant le métal qu'il valait mieux ne pas emporter dans le Grand Nord. Un peu plus loin, ils parlèrent de partir de suite voir Atagavia, puisque de toute manière ils n'avaient plus rien à faire là. Les six compagnons étaient divisés, certains voulant attendre leur amie, mais Drilun mit tout le monde d'accord en disant qu'il allait d'abord utiliser sa magie de clairvoyance pour en savoir plus sur leur futur ennemi. Il fouilla le sol aux alentours jusqu'à trouver neuf cailloux de taille similaire, puis il traça une ligne droite dans le sol, ligne au-dessus de laquelle il se plaça. Un côté correspondait à une réponse positive, l'autre à une réponse négative. Il se concentra, puis lança les cailloux en l'air au-dessus de la ligne.

La question qu'il avait posée tout en appelant à lui sa magie était de savoir si l'ennemi du Grand Nord qu'ils devraient abattre était un dragon, comme le suggérait Mordin. Les cailloux tombèrent presque tous du même côté, celui du "non". L'un des cailloux avait quand même atterri côté "oui", ce qui était difficile à interpréter. L'être devait avoir un quelconque rapport avec les dragons, sans doute, mais lequel ? Après cela, le Dunéen reprit les cailloux et les lança en l'air à nouveau après s'être bien concentré. La question était cette fois-ci de savoir si cet ennemi des peuples libres était un Maia, comme ces puissants esprits ou serviteurs divers qui secondaient les Valar ou Morgoth lui-même. Certains se souvenaient peut-être de cet ancien lieutenant de Morgoth qui avait été vaincu lors de la guerre de la dernière alliance des hommes et des elfes, le seigneur des anneaux, connu sous le nom de Sauron... Les cailloux retombèrent tous du même côté, celui du "oui". L'être à abattre était bien un Maia, comme Tevildo lui-même, et probablement un ennemi du prince des chats. Et sans doute quelqu'un d'aussi puissant que lui, voire plus puissant même, puisqu'il avait besoin d'aide...

Restée avec Tevildo, Vif attendit de retrouver ses pouvoirs. Une fois ses amis bien éloignés, elle vit venir à elle de nombreux félins, dont le lynx blanc, mais essentiellement des chats sauvages, quelques lynx et même une espèce de panthère. A la demande mentale du Maia elle s'allongea sur le sol et les félins se blottirent contre elle voire sur elle, en ronronnant pour ceux qui le pouvaient, ou en la léchant et en la traitant comme l'une des leurs. Puis elle vit le visage du lynx blanc s'approcher du sien et ses yeux la fixer de plus en plus près. Tout d'un coup elle perçut comme l'image d'un félin qui jaillit des yeux du lynx pour pénétrer dans les siens et elle sentit à nouveau le pouvoir magique qu'elle avait longtemps connu. Mais il se passa autre chose également : juste derrière l'image du félin qui jaillissait des yeux du lynx, elle vit comme une autre silhouette fantomatique. Cela ressemblait à un petit bout de femme, ou peut-être une enfant ou hobbit sans pieds poilus, femme à la peau blanche, aux chevaux blancs et aux yeux rouges. Silhouette qui semblait silencieusement appeler au secours avant d'être ravalée par les yeux du lynx blanc...

Lorsque Vif revint un peu plus tard, elle ne trouva que trois de ses amis : Drilun, Isilmë et Taurgil n'avaient pas voulu faire attendre le prince des Waildungs et ils étaient tout de suite partis après les sorts de l'archer-magicien. Ils les retrouveraient bien assez tôt de toute manière, et en chemin elle leur parla de la satisfaction de Tevildo, et de son avertissement aussi : il avait bien dit qu'il ne supporterait pas les tentatives de se soustraire à leur accord en essayant de le suivre à la lettre plutôt qu'au fond. Peut-être faisait-il référence au Dúnadan qui avait un moment émis l'idée que "après" leur mission accomplie pour l'Arthedain pouvait être très longtemps après... En tout cas, ils étaient prévenus, le prince des chats ne ferait sans doute pas d'autres fleurs, et il serait illusoire d'essayer de le tromper alors qu'il lisait leurs pensées. Elle évoqua aussi la petite femme entraperçue dans les yeux du lynx, et qui correspondait à la description qu'on leur avait faite de la forme humaine de Tina. Peut-être que l'emprise de Tevildo sur son hôtesse commençait à s'affaiblir...

11 - Préparatifs de guerre
Le petit groupe revint à Buhr Widu, étonnamment calme pour un début d'après-midi, peut-être parce que le clan avait fêté le retour des enfants du prince, dont l'un que tout le monde tenait pour mort, jusque tard dans la matinée. En tout cas, les rares personnes croisées firent toutes de grands compliments aux quelques amis, et leurs sourires et leur chaleur étaient plaisants à ressentir. La longère semblait vide quand ils arrivèrent, mais un garde leur indiqua que leurs amis étaient avec Atagavia dans la chambre privée qu'il utilisait régulièrement, et ils y furent amenés. Ils n'y étaient pas depuis bien longtemps car lorsque les premiers aventuriers étaient arrivés, le prince était encore en train de donner des ordres à des capitaines pour la mobilisation des quelques troupes disponibles et les nouvelles consignes pour optimiser la protection du peuple affaibli par tant de départs.

Une grande carte était étalée sur la table, et les aventuriers eux-mêmes avaient étalé leur carte annotée des éléments trouvés dans les papiers de Dol Guldur. Atagavia résuma à nouveau sa problématique : ses enfants s'étaient occupés de faire partir des messagers pour convoquer les seigneurs des cinq autres tribus, à qui il faudrait sans doute autour d'une semaine pour venir, sauf Mahrcared qui était plus proche. Mais plus de temps que cela serait certainement nécessaire pour qu'ils puissent réunir leurs propres troupes, même si Bronwyn avait suggéré qu'une partie du travail était déjà fait. Le prince des Waildungs avait un demi-sourire en prononçant ces mots, et sans doute devait-il deviner que sa fille avait poussé les autres seigneurs à se tenir prêts pour un tel événement. Mais cette guerre précipitée posait plusieurs problèmes, qui étaient de trois ordres.

Le premier était le temps. En retrouvant les gens de Buhr Widu, les aventuriers avaient appris à quel point ils avaient passé du temps en Forêt Sombre : le jour présent était le dernier du mois que les elfes appelaient Lothron ("en fleur"), c'est-à-dire que l'été arriverait dans un mois à compter du lendemain. Du peu qu'en savait Atagavia, le convoi pour Angmar avait l'habitude de passer le sud des Montagnes Grises au début de l'été, mais il ne connaissait pas vraiment de date précise. Il savait juste que la caravane devait franchir les Monts Brumeux en direction d'Angmar dans l'été, car l'hiver pouvait vite arriver par là-bas, et la neige bloquer les cols. Or il fallait compter peut-être deux semaines pour réunir toute l'armée. Et encore au moins une semaine pour l'amener au sud des Montagnes Grises. Arriveraient-ils à temps ?

Et cela dépendait de bien d'autres facteurs, comme du chemin à parcourir. Le début du trajet ne posait guère de problème, il fallait aller au gué sur la Celduin ("Rivière Courante"), au nord des territoires des Ailgarthas que dirigeait Mahrcared. Ce qui représentait une distance d'environ deux cent quinze miles (~ 345 km) de Buhr Widu, soit cinq jours au pas et moitié moins au trot. Mais ensuite ? A l'est du Long Lac, où la ville d'Esgaroth était bâtie, les terres étaient accidentées et freineraient leur progression voire occasionneraient des pertes s'ils cherchaient à aller vite. Il y avait plusieurs routes possibles également, certaines plus longues et d'autres plus escarpées. Et tout dépendait de leur destination, à savoir le sud des Montagnes Grises ou le nord des Monts de Fer, si le convoi ennemi n'était pas trop rapide. Pour aller vers les Montagnes Grises, il serait sans doute meilleur de prendre par l'ouest du Long Lac, mais cela obligerait à retraverser la Rivière Courante, sans doute à Londaroth, après les chutes. Et ensuite il faudrait encore franchir la Rivière de la Forêt (Taurduin), sur laquelle n'existait ni pont ni gué. Ensuite ce n'étaient que des plaines.

Mais ces plaines, d'un côté ou de l'autre, étaient occupées par d'autres nordiques qui ne verraient peut-être pas d'un bon œil une armée tout saccager sur son passage. A l'est du lac les terres étaient occupées par cinq tribus de Gramuz, ces nordiques paysans qui cultivaient les riches terres au nord de la Celduin. Traditionnellement plutôt des alliés contre les Sagaths, il ne fallait pas se les mettre à dos, d'autant qu'ils pourraient peut-être fournir des provisions qui leur manquaient, vu qu'ils n'avaient pas le temps d'attendre les moissons de la fin du printemps. A l'ouest du lac il fallait compter avec le maître d'Esgaroth et, plus loin, aux quelques clans de nordiques qui gravitaient autour de la bourgade de Dale, au pied de la Montagne Solitaire. Au-delà, ce n'étaient plus que de vastes plaines conduisant vite au pied des Montagnes Grises. Autant le maître d'Esgaroth, du nom d'Odagavia, que les clans de Dale, commandés par Éoder, pourraient peut-être apporter aide ou nourriture. Et que dire d'une aide possible, éventuellement contre rétribution, de la part des nains des Monts de Fer ou des elfes de la forêt ?

12 - Participations
En gros, Atagavia demandait ni plus ni moins aux aventuriers de fournir autant d'aide que possible. Après tout, ils étaient tous dans le même bateau et la guerre qu'ils menaient était tout de même risquée : les peuples du Rhovanion avaient perdu la moitié de leur population et de leurs chevaux pendant la Grande Peste de 1635-1637, et le commerce redémarrait à peine, lorsque les bandits et les Sagaths lui en laissaient la possibilité. C'était donc un peuple déjà très affaibli qui partait en guerre, et qui n'avait pas l'habitude de se frotter à des sorciers et des créatures volantes, dont peut-être même des dragons ! De plus, l'objectif du prince des Waildungs n'était pas seulement de rentrer victorieux, mais surtout de rentrer avec le moins de pertes possible. La guerre était peut-être nécessaire, et bénéfique sur le long terme, mais il ne la ferait jamais de gaité de cœur.

Aux côtés du prince et de ses enfants bientôt là, les aventuriers examinèrent les cartes et firent des suggestions, posèrent des questions et tâchèrent de trouver la meilleure réponse. Par où fallait-il commencer ? Quelle était la meilleure route ? Où mener bataille contre l'armée adverse ? Comment gérer les orcs et loups qui suivraient la caravane ? Combien de temps pour aller voir le roi des nains des Monts de Fer ? Et s'occuper des Maeghirrim ? Ou aller voir les elfes ? Comment faire traverser la Celduin ou la Taurduin aux chevaux ? Pouvait-on construire et emmener des armes de guerre comme des balistes ? Comment se défendre d'une redoutable créature ailée montée par un non moins redoutable arbalétrier ? Fallait-il se séparer pour accomplir le maximum de missions, cela ne risquait-il pas de les affaiblir ? Fallait-il d'abord examiner plus à fond les papiers récupérés ? Etc., etc. Les aventuriers ne pourraient jamais tout faire et encore moins sans prendre certains risques, il faudrait faire des choix.

Mais lesquels ? Un des éléments essentiels, qui leur manquait, était bien la date de passage de la caravane pour Angmar. Son trajet était à peu près connu : elle suivait en général la même route au nord des Monts de Fer et au sud des Montagnes Grises jusqu'à la passe des Monts Brumeux non loin de Gundabad, la plus grande et puissante cité d'orcs de ce côté-ci de la Terre du Milieu. Arriver trop tard pour l'intercepter signifierait chevaucher plus loin en territoire dangereux, sur des terres plus escarpées et moins propices à leurs forces montées, et mieux connues des orcs ou même des dragons. Et Gundabad était une force contre laquelle ils ne pouvaient lutter, d'autant qu'elle était située en montagne peu accessible pour leurs chevaux. Du coup, le passage par l'ouest du Long Lac était peut-être préférable car plus rapide et plat, mais deux rivières restaient à passer qui poseraient problème.

Ces deux points semblaient primordiaux : l'armée pourrait bien sûr passer à la nage, mais ce serait long et fatigant, et les affaires seraient trempées, ce qui sous-entendait que les réserves de nourriture ne se garderaient pas. Réserves qu'il fallait acheter d'ailleurs. Il fut question de construire un pont sur la Taurduin, puis ensuite de faire un pont flottant à partir de barges ou bacs attachés les uns aux autres. Dans le même temps, Mordin, à l'origine de cette idée, parlait aussi d'aller voir son roi à Azanulinbar-Dûm, dans les Monts de Fer, mais il ne pourrait être au four et au moulin en même temps : la capitale naine était distante de bien deux ou trois jours à cheval de la ville d'Esgaroth. Et la ville elfe de Celebannon n'était accessible que par voie fluviale depuis Esgaroth ; Geralt pensait se souvenir avoir entendu un marchand parler d'un voyage de l'ordre d'une semaine pour y arriver...

Petit à petit, la possibilité de partager le groupe en deux se dessina. L'un autour de Mordin irait voir les nains, à l'est, tandis que l'autre, autour d'Isilmë, pourrait démarcher les elfes, à l'ouest. Mais rien n'était encore décidé et tous n'étaient pas forcément d'accord avec cette idée, qui les mettait plus facilement à la merci d'une embuscade ou d'une attaque de la créature ailée et de son mortel cavalier. Enfin, Atagavia précisa que l'armée nordique n'était pas encore établie, et peut-être apprécierait-il un coup de main pour obtenir un maximum de troupes des autres seigneurs-cavaliers, lorsqu'ils seraient là. Après tout, c'était plus envers les aventuriers qu'ils étaient redevables, et non lui-même. Mahrcared serait sans doute là d'ici quelques jours, et les autres d'ici une semaine. Mais leurs troupes ne seraient pas encore prêtes, et leur nombre dépendrait sans doute des ordres et orientations qui seraient donnés au tout dernier moment.
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Horselords - 36e partie : préparatifs de guerre

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1 - Idées et propositions
Pour sa part, Drilun était plutôt partisan de diviser le groupe en deux pour pouvoir faire un maximum de choses. Bien entendu, il ne minimisait pas le risque d'attaque par créature ailée ou embuscade, mais il estimait qu'en mettant de chaque côté des gens perceptifs, des bons combattants à distance comme en mêlée et des gens à la langue bien pendue, ça pouvait s'envisager. Il aurait bien vu un groupe aller voir les elfes et un autre les nains. Comme de plus il était question d'une prisonnière elfe dans les papiers ramenés de Dol Guldur, le groupe allant voir les nains aurait pu faire coup double. L'elfe était en effet dans les Monts de Fer où habitaient les nains, prisonnière des Maeghirrim dont ils connaissaient l'emplacement grâce aux papiers. Le franchissement éventuel des rivières lui semblait également un élément essentiel à prendre en compte au plus tôt : on n'improvisait pas un pont en une journée, et s'il fallait traverser à la nage, les provisions seraient endommagées.

De son côté, Mordin était bien sûr très partant pour aller voir les siens, et il envisageait même de faire miroiter un lingot de mithril récupéré dans le trésor de Dol Guldur pour attirer leur attention et éventuellement obtenir un bataillon de guerriers nains. Idée qui n'était pas forcément au goût de tous : le mithril n'était pas négociable pour certains, et les nains avaient peu d'intérêt face à des cavaliers. Il estimait aussi comme très simple son idée de franchissement de la Taurduin à l'aide de barques et barges mises bout à bout pour faire un pont flottant : avec tout l'or dont ils disposaient et Esgaroth juste à côté, ce serait un jeu d'enfant. Certains firent tout de même remarquer que le commerce avait repris et que les bateaux étaient utilisés pour descendre ou remonter la Celduin, donc que les barges nécessaires ne seraient pas forcément disponibles en assez grand nombre, même si l'idée semblait intéressante et plus pratique que la construction d'un pont en dur.

Geralt, pour sa part, était très remonté à l'idée de séparer le groupe en deux. En particulier, l'archer sur sa féroce créature ailée pouvait faire beaucoup de dégâts, surtout s'il était secondé par des troupes de cavaliers. Pour sa part, la lecture approfondie des papiers de Dol Guldur lui semblait prioritaire et le reste de leurs actions dépendraient de ce qu'ils y trouveraient. Il proposait tout de même de glaner des renseignement par divination magique, d'aller voir la Taurduin qu'il faudrait peut-être passer pour voir de visu comment s'y prendre, et d'aller acheter du ravitaillement chez les Gramuz, ces fermiers et éleveurs nordiques au nord de la Celduin. Aller voir elfes, nains ou Maeghirrim ne venait qu'en dernier dans sa liste des priorités.

Taurgil, de son côté, envisageait de pouvoir laisser Mordin aller seul chez les siens, éventuellement accompagné par Rult et ses hommes. Mais cela parut un peu léger aux yeux de certains, qui rappelèrent par exemple que Dieraglir de Relmether avait à sa disposition peut-être une centaine de brigands bien entraînés et qu'il était réputé excellent archer. De même, le Dúnadan voyait bien Isilmë aller voir les elfes de la forêt, ce à quoi il lui fut répondu qu'elle serait une proie facile et qu'en plus son charisme était du même ordre que celui du hobbit, avec un sous-entendu assez clair... En bon rôdeur et habitué des bois, Taurgil pensait qu'un pont en dur ne serait pas trop long à mettre en place. Mais la distance des bois proches et la difficulté de l'abattage, du transport et de la construction mirent un peu à mal ses estimations.

Bronwyn fut interrogée concernant ces divers sujets. Elle évacua rapidement une idée émise de voyager avec des troupeaux, et parla d'acheter des provisions qui se garderaient chez les Gramuz ou dans les plus proches grandes villes marchandes, à savoir Esgaroth ou Forpays. Elle était d'accord avec Geralt pour dire qu'il ne fallait pas prêter le flanc à une attaque en se divisant. Sa priorité restait pour elle le recueil d'information, que ce fût dans les parchemins ramenés, la magie de Drilun, ou aller voir directement sur place. Puis venait la diplomatie et le commerce, pour établir les conditions concrètes de traversée du nord, ce qui amènerait peut-être des éléments déterminants quant au choix de la route à prendre, au-delà de la rapidité théorique de chacune. Enfin, son père donna une indication concernant la taille de l'armée. Il estimait que sa seule tribu pourrait rassembler un demi-millier d'hommes, et les cinq autres tribus sans doute chacune un peu moins. Le total ferait certainement plus de mille cavaliers, peut-être un peu moins de deux mille au total.

2 - Cailloux et estimations
Un point fit à peu près consensus : la nécessité de consacrer du temps - une semaine - à fouiller les papiers pris à Dol Guldur. Mais le nombre de personnes à mettre à cet ouvrage fit débat. Vif, Taurgil et Drilun étaient ceux qui maîtrisaient le mieux la langue noire ou "noirparler" utilisé dans les papiers, et il ne paraissait pas utile que d'autres qu'eux tentent de déchiffrer les notes ou rapports du Grimburgoth ou les papiers qui lui avaient été adressés. La Femme des Bois n'était nullement une grande lectrice : elle savait déchiffrer, ce qui était déjà mieux que Rob, mais ça n'allait guère plus loin. Elle ne voyait pas l'utilité de consacrer du temps à ça, alors qu'elle pouvait être plus utile ailleurs. Le Dunéen était aussi demandé pour des travaux de magie runique, et sa magie serait encore utile ailleurs, sans parler de ses autres compétences. Peut-être les talents linguistiques et scripturaux du Dúnadan suffiraient-ils, lui qui avait toujours attaché beaucoup d'importance aux livres et aux écrits...

Mais en dehors de cela, toutes les discussions achoppaient sur un élément très simple, dont dépendaient beaucoup d'autres : à quelle vitesse le convoi pour Angmar progressait-il, était-il déjà parti, serait-il possible de l'intercepter ou faudrait-il lui courir après, etc. La féline rôdeuse parla bien d'aller voir par eux-mêmes, mais vu les délais liés aux trajets et la difficulté à tout faire, cela ne motiva pas grand monde. En revanche, la magie ne pouvait-elle les aider ? Bronwyn avait déjà pointé du doigt un endroit idéal stratégiquement pour lancer un assaut sur le convoi. Selon les routes envisagées, il faudrait sans doute autour d'un mois pour amener les armées nordiques là-bas, avec plus ou moins de marge mais aussi d'inconnues et de problèmes liés au ravitaillement selon les routes envisagées. La magie divinatoire de Drilun pouvait-elle leur donner une estimation du temps dont ils disposaient ?

Après de longues discussions sur l'utilité de cette magie qu'Atagavia considérait avec un certain scepticisme, mais aussi sur la manière de poser le problème et de faire ces divinations, l'archer-magicien finit par se décider. Reprenant quelques cailloux qui ne le quittaient plus guère et traçant une ligne au sol, il se concentra sur le lieu à atteindre selon Bronwyn. Le convoi l'aurait-il dépassé d'ici trente-cinq jours ? Les neuf cailloux volèrent, puis retombèrent de part et d'autre de la ligne : un sur la ligne, six côté "oui" et deux côté "non". Mauvaise nouvelle, le convoi était peut-être trop rapide pour pouvoir le bloquer là où ils l'escomptaient. Il refit une autre tentative mais avec un délai de trente jours, et la réponse fut la suivante : cinq cailloux côté non, quatre côté oui. Autrement dit, le convoi serait là à peu près d'ici trente jours. Le temps qu'il faudrait à leurs armées pour y arriver aussi...

Ils n'avaient donc aucune marge et ne pouvaient se permettre de perdre du temps. Bien sûr, ils pourraient peut-être toujours imaginer des stratagèmes pour ralentir le convoi, mais il valait mieux faire en sorte d'arriver avant. En reprenant les estimations de plus près, Atagavia fit remarquer que cela lui paraissait quand même jouable : en dehors de Mahrcared qui arriverait là sans doute d'ici trois jours, les autres seigneurs mettraient bien une semaine pour se rassembler à Buhr Widu ou y amener des émissaires. Il estimait qu'il faudrait bien encore une semaine pour que les troupes soient prêtes. Restait à les déplacer jusqu'au nord : par l'ouest du lac, une dizaine de jours semblait amplement suffisant, vu les vastes plaines. Mais il faudrait franchir deux rivières d'une manière ou d'une autre, par exemple par un pont flottant fait à l'aide de barges et barques, comme proposé par Mordin. A l'est du lac, le terrain était plus long et accidenté, et passait chez les Gramuz, ces nordiques fermiers et éleveurs. S'ils ne s'opposaient pas à leur passage, cela pourrait être un atout car ils pourraient même ravitailler l'armée. Et combattre la faim au ventre n'était jamais une bonne chose...

Le mieux restait encore d'aller voir sur place. Il n'était pas envisageable de visiter tout le pays à traverser et les clans et tribus qui y résidaient, mais en ce concentrant sur les principaux chefs des Gramuz, au nombre de cinq, l'affaire paraissait à leur portée et probablement profitable. D'autant que l'un d'eux, du nom de Brogdin, semblait bénéficier d'un prestige assez grand auprès des autres et c'était le plus près des territoires des seigneurs cavaliers. Il n'était pas toujours facile à trouver car il voyageait beaucoup, mais Mahrcared et lui étaient amis : peut-être que le chef des Ailgarthas, présent d'ici trois jours, aurait de bons conseils à donner ? Par ailleurs, Bronwyn souligna la nécessité de penser au plus vite au ravitaillement. En plus des Gramuz, les deux plus grands centres urbains où trouver marchands et nourriture étaient Esgaroth et Buhr Waldlaes, encore appelé Forpays. La "ville des voleurs" était de loin la plus proche et les aventuriers avaient là-bas de nombreux contacts. En attendant Mahrcared, un petit saut là-bas paraissait tout à fait justifié.

3 - Achats divers et variés
Le lendemain, les enfants du prince partirent de leur côté pour rassembler des troupes et organiser les Waildungs qui seraient affaiblis par le départ de tant de guerriers. Taurgil se plongea dans les notes ramenées de Dol Guldur, et Drilun alla voir les artisans qui avaient commencé à travailler sur une armure de cuir spécial pour Mordin. Armure dont la veste n'était pas encore terminée, et dont la fabrication avait été arrêtée peu après le départ des aventuriers. A présent, les deux artisans étaient bien trop pris par l'effort de guerre pour occuper tout leur temps à cette armure, mais Bronwyn avait obtenu que l'un d'eux consacrât une journée à la finition de la veste de cuir spécial.

Les autres membres de l'équipe prirent leurs chevaux, et Rob monta avec Geralt. Puis ils galopèrent vers Forpays sans ménager leur peine ou leurs montures, et ils y arrivèrent en tout début d'après-midi. Le nain cria de manière si forte et agressive que les ruelles labyrinthiques de la ville se vidèrent devant eux, et ils parvinrent bientôt à la petite forteresse occupée par la guilde des voleurs. Reconnus sans mal, ils expliquèrent le but de leur visite et ils furent bientôt invités à entrer jusqu'à une petite pièce d'un des bâtiments. Mard Neffar, le marchand en chef des voleurs, les attendait derrière une porte, à travers laquelle Mordin et lui échangèrent en rivalisant de propos à moitié vrais, de faux soupirs ou gémissements et d'exclamations exagérées.

Contre la somme faramineuse de cent pièces d'or payables d'avance, le nain fit l'achat d'assez de vivres pour nourrir une armée de mille hommes pendant un mois. Ce qui au final n'était pas si cher que ce à quoi les aventuriers s'étaient attendus, et ils se félicitèrent de pouvoir bientôt compter sur un tel ravitaillement, normalement disponible d'ici une semaine. Cette nourriture se garderait un mois environ et était constituée de pain dur, de biscuits, de fruits secs, de viandes ou fromages qui l'étaient encore plus (secs), de tubercules divers, voire de farines variées à cuisiner en route avec lait ou eau, sel et levure. Mordin négocia encore le transport de toute cette nourriture jusqu'à Buhr Waldmarh, ville au nord entre Forpays et Buhr Widu, pour quatre pièces d'or supplémentaires : il faudrait bien aux voleurs au moins une dizaine de chariots et trois allers-retours pour amener les vivres jusque-là.

Après quoi les échanges marchands portèrent sur des stimulants tels que du trèfle de lune pour voir dans l'obscurité. Le groupe aurait bien voulu avoir aussi des noix de l'écureuil, dont l'utilité n'était plus à démontrer, mais Mard se contenta de dire qu'il n'avait rien en stock et que Rillit l'écureuil, chef des cambrioleurs, était sa seule source et qu'il fallait voir directement avec lui. A ce nom, un visage à l'envers apparut à une fenêtre, bien entendu celui de l'Homme des Bois dont il était question. Il invita Vif à le rejoindre sur le toit, ce qu'elle fit sans mal. Il lui expliqua que ce n'était pas la saison et qu'il garderait le peu qui lui restait. Elle le taquina en parlant de leur passage à Dol Guldur et du défi que cela pourrait être pour lui, mais il répondit qu'il n'était pas assez fou pour vouloir cambrioler le Nécromancien en personne. Avant qu'elle ne redescendît, il lui dit de faire attention à l'un des leurs - un Homme des Bois - qui servait justement le Nécromancien sous les traits d'un bateleur, quelque part dans le nord. Mais il ne put en dire davantage, comme s'il n'avait rien de sûr à lui dire de plus.

Les aventuriers satisfaits prirent congés des voleurs de la ville et passèrent par la boutique de Wartik l'herboriste, dans le quartier des belles de nuit. Mais il n'avait guère de stimulants à leur vendre : d'abord parce qu'ils avaient déjà en grande partie vidé sa boutique de ses plus précieuses herbes lors d'un précédent passage, ensuite parce que le clan de voleurs était lui aussi très demandeur de ce genre de denrées. Et bien entendu, le gros de ses réserves concernait des stimulants sexuels ou des contraceptifs, ce qui n'intéressait nullement les aventuriers. Ils trouvèrent quand même quelques achats à faire chez lui comme de l'athelas ou des contrepoisons, puis ils sortirent et reprirent leurs montures.

L'après-midi n'était pas très avancé et le solstice d'été était seulement dans un mois, donc les journées étaient déjà longues. Aussi la troupe repartit-elle au galop et ne s'arrêta-t-elle pas avant d'arriver à Buhr Widu à la nuit tombée. Ils avaient fait le trajet de quatre-vingt-dix miles (~ 145 km) aller et autant retour dans la journée et fait bien avancer leurs affaires, aussi étaient-ils tous contents. Sauf peut-être le hobbit : non seulement cette chevauchée avait épuisé Rob, mais elle avait également bien usé son fondement, quelque peu ensanglanté par ces efforts trop intenses pour son cuir un peu trop délicat. Isilmë usa de sa magie pour accélérer sa guérison, et le lendemain il n'en avait plus qu'une peau un peu sensible et quelques désagréables souvenirs...

4 - Nouvel objectif
De leur côté, Drilun et Taurgil n'étaient pas restés inactifs, mais avec bien moins de résultats. Le premier avait eu une mauvaise surprise avec l'artisan chargé de finir l'armure de cuir spécial pour Mordin. L'homme ne devait pas être dans un de ses meilleurs jours car il accumula les bourdes. Si rien d'irréparable ne fut accompli, le chantier n'avança pratiquement pas et l'homme jeta l'éponge à la fin de la journée, estimant qu'il n'avait vraiment pas la tête à cela avec tout le travail qu'on lui avait demandé par ailleurs. Il est vrai que devant la demande d'armures et autres équipements en cuir suite aux préparatifs de guerre, son collègue et lui ne dormaient que le minimum et ils faisaient des journées doubles.

Le Dúnadan, lui, n'en était qu'au début du tri et de la lecture de l'intégralité des parchemins pris à Dol Guldur. Il lui faudrait encore six jours de plus pour arriver à y voir à peu près clair sur tous les sujets évoqués. Il aurait bien aimé aller chercher des herbes en forêt et en particulier du lichen du bûcheron, qui permettait d'affûter magiquement les lames. Avec l'aide de la larme de Yavanna, cela aurait sans doute été un jeu d'enfant d'en trouver, et il était curieux de voir si les propriétés magiques de l'inerenerab donné par les Hommes des Bois s'appliqueraient aux effets magiques du lichen. Mais avant de partir, ses amis lui avaient déconseillé de partir seul avec la larme : les agents du Nécromancien ou peut-être Tevildo ne seraient sans doute que trop heureux de le débarrasser de l'artefact, voire de lui. Il n'avait donc rien fait d'autre que lire et trier ; sauf pour un passage matinal et quotidien dans un abattoir pour satisfaire la soif de sang de son cimeterre ténébreux.

Taurgil ayant commencé son travail d'érudit, les autres ne tenaient guère à l'interrompre ou l'aider au risque de le perturber. Drilun n'avait plus l'aide d'un artisan du cuir et lui-même n'avait pas les compétences nécessaires pour travailler une telle substance, il ne voyait donc pas l'intérêt de rester. Avec ses compagnons, il choisit d'aller voir Brogdin puis les nains. En effet, les aventuriers disposaient de six jours à attendre après leur retour de Forpays : en dehors de Mahrcared qui serait sans doute là d'ici deux jours, les autres seigneurs arriveraient à ce moment-là et Atagavia comptait sur les aventuriers pour les persuader de donner le maximum. Mais en six jours, en gardant une allure de galop voire plus, il serait sans doute possible de trouver Brogdin et de faire des affaires avec lui, puis d'aller aux Monts de Fer pour faire de même avec Fulla III, le chef des nains, et d'être revenu à temps.

L'équipe partit donc au petit matin, accompagnée de cinq hommes de Rult, laissant le Dúnadan à Buhr Widu, mais aussi le hobbit dont le peu de goût pour les chevauchées trop intenses prédisposait à rester. Il se consola en utilisant le matériel d'apothicaire magique qui avait été trouvé dans le château au-dessus de Forpays : toute la journée il filtra et concentra les effets protecteurs d'une dizaine de contrepoisons de faible intensité de manière à obtenir un unique contrepoison bien plus puissant et efficace contre les substances que leurs ennemis mettaient parfois sur leurs lames ou flèches. Il allait même y passer une deuxième journée afin d'obtenir un deuxième tel contrepoison, tandis que son grand ami continuait à lire, trier et classer les papiers...

Drilun, Geralt, Isilmë, Mordin et Vif, quant à eux, galopèrent à bride abattue vers l'est aux côtés des cinq mercenaires, puis progressivement vers le nord à partir de Buhr Waldmarh. Malheureusement, il pleuvait légèrement, ce qui freina leur allure au départ. Par la suite, l'archer-magicien décida d'utiliser la magie pour repousser la pluie autour d'eux et faciliter leurs déplacements. Néanmoins, ils ne purent couvrir les deux cent quinze miles (~ 345 km) qui les séparaient du gué sur la Celduin en une journée, mais durent s'arrêter aux deux tiers. Après une nuit reposante - et trop brève pour Geralt - chez des nordiques de la tribu des Ailgarthas, ils repartirent le lendemain et arrivèrent enfin au gué sur la Celduin. Un petit village existait là auparavant, mais il avait été abandonné pendant la peste puis pillé, et il n'en restait que des ruines.

5 - Au nord de la Celduin
La rivière était gonflée par les pluies récentes mais le gué était facilement franchissable à cheval, l'eau arrivant à peine à la poitrine d'un homme normal. Mordin apprit à ses compagnons que la Rivière Courante, ou Celduin en langue elfique, était fréquemment parcourue par des bateaux et barques à fond plat qui faisaient la navette entre le pays de Dorwinion et la ville d'Esgaroth sur le Long Lac. A vide, elles n'avaient aucun problème pour franchir ce gué, mais à plein, les Rats des Rivières, ces hommes qui faisaient avancer les embarcations à l'aide de perches, devaient descendre et tirer le navire à l'aide de cordes, parfois. Le groupe traversa sans mal, Vif puis Geralt allant même jusqu'à faire le trajet debout sur leur cheval, afin de ne pas se mouiller les jambes.

Après un déjeuner à l'abri dans une des bâtisses en ruines, les cinq aventuriers et leurs gardes repartirent sur le chemin qui longeait la rivière, en suivant le courant. Le nain se souvenait en effet d'une bourgade de plus d'une centaine d'âmes, pas très loin, nommée Buhr Chep. Elle était perchée sur une colline qui surplombait la rivière et comportait deux moulins à vent. Qui disait moulin disait farine et achat possible de pain, biscuit, et autre ravitaillement ; et de plus, les gens de la ville pourraient sans doute les renseigner sur les éventuels déplacements de Brogdin, chef des Frithas. C'était l'une des cinq tribus des Gramuz qui occupaient la région fertile au nord de la Celduin et à l'ouest de la Carnen ("Eau Rouge" en langue commune), cet affluent de la Celduin qui descendait des Monts de Fer et marquait le début des terres des Sagaths.

Après une bonne heure de galop sur la route et sous la pluie, le village fortifié fut en vue. Après une discussion avec un garde à l'entrée, Mordin déclara qu'ils n'avaient aucune marchandise à vendre. L'homme ouvrit alors le portail dans la palissade et les laissa entrer dans demander de taxe. Puis ils laissèrent leurs chevaux à une écurie, sous la garde des hommes de Rult, et se dépêchèrent de gagner le bâtiment le plus imposant de la ville. C'était un grand hall qui servait à la fois de centre administratif mais aussi de demeure pour les familles du maître de la ville, Gaedeling, et du chef des gardes, Banagar, et leurs serviteurs. Ou du moins ce qui restait de leurs familles, la peste d'il y a quelques années ayant prélevé son écot.

Le maître de Buhr Chep se souvenait de Mordin et il lui fit bon accueil, s'étonnant tout de même de le voir sans caravane ni marchandises et avec si peu de compagnons. De plus, le nain avait fait se presser le garde de l'entrée en disant qu'ils venaient de la part des seigneurs cavaliers au sud, et Gaedeling était curieux d'apprendre ce que cela signifiait. Mordin lui dévoila donc en partie leur mission et la préparation de la guerre contre les Sagaths et le convoi pour Angmar. Avec comme objectifs à court terme l'achat de ravitaillement pour l'armée de cavaliers et la recherche de Brogdin afin de discuter du passage de l'armée sur les terres de sa tribu et l'obtention de vivres et de conseils éclairés.

L'homme se montra aimable et renseigna les aventuriers du mieux qu'il le pouvait sur les déplacements du chef des Frithas. Il avait eu connaissance de son passage non loin quelques jours auparavant, et il donna quelques directions et points de repère. Mais ensuite il faudrait demander sur place quelle route il avait bien pu prendre. Après quoi les greniers furent visités, mais les stocks étaient au plus bas et les moissons n'avaient pas encore commencé. Des commandes furent passées de biscuits et pain dur mais aussi de poisson séché, la ville possédant un embarcadère et quelques pêcheurs, mais cela n'allait guère loin et ne pourrait sustenter beaucoup la future armée. Il fut convenu que les vivres seraient stockées sur place, vu la proximité avec le gué sur le Celduin. Puis le groupe repartit dans la direction qui lui avait été indiquée.

6 - Sur la piste de Brogdin
Les aventuriers choisirent vite de s'en remettre aux cailloux et à la magie de Drilun. En effet, le chef des Frithas était susceptible d'avoir fait un circuit long et compliqué et peut-être n'était-il en fait pas très loin. A l'aide d'une carte et de ses cailloux, le Dunéen se faisait fort de trouver dans quelle portion du territoire le chef gramuz se trouvait. Il suffirait alors de s'y rendre et de poser des questions, ce qui ferait sans doute gagner du temps. En effet, courir après lui en demandant de ses nouvelles pouvait prendre des jours et ils n'avaient pas de temps à perdre comme cela. Une ligne fut donc tracée sur le sol, les cailloux furent saisis, et l'archer-magicien se concentra sur la carte.

En utilisant une ligne est-ouest puis nord-sud, il espérait rapidement arriver à un secteur précis. Mais le flou lié aux cailloux ne facilita pas la tâche, d'autant que l'homme était sans doute en déplacement avec quelques gardes et amis. Néanmoins, après quelques essais, une zone de la carte put être bientôt isolée, vers laquelle les aventuriers se rendirent. Ce qui n'était pas si simple que cela : des haies et champs cultivés se tenaient entre eux et leur objectif, et le terrain était loin d'être plat. Il était donc impossible d'avancer en ligne droite comme aurait pu le faire un oiseau. Par ailleurs, même si Mordin était en terrain connu, il en connaissait surtout les plus gros bourgs et les routes principales et non chaque ferme et ses petits sentiers.

Drilun avait eu un moment l'idée d'utiliser un sort d'écoute pour les aider à identifier Brogdin et sa troupe, mais chemin faisant, il avait vu que cela n'aurait sans doute pas donné grand-chose : la région comportait diverses fermes et petits groupes d'habitants, aux champs ou ailleurs, à pied ou à cheval. Et si Brogdin voyageait beaucoup, il pouvait à tout moment se trouver avec d'autres groupes de gens puisque c'était le but de son voyage : voir son peuple afin d'être bien informé et éventuellement résoudre les problèmes ponctuels qu'on pouvait lui soumettre. Alors ils progressèrent petit à petit, avec l'idée de consulter régulièrement les cailloux pour faciliter leur voyage. Quand la chance ou les Valar leur sourirent de manière assez particulière.

En effet, alors qu'ils se tenaient sur une hauteur à chercher leur chemin, Vif fixa bientôt un point lointain sur l'horizon. Chacun savait qu'elle avait des sens exceptionnels même sous sa forme humaine. Néanmoins, les conditions n'étaient pas les meilleures : il faisait humide avec un petit crachin qui masquait en partie le territoire et atténuait les sons. Pourtant, la Femme des Bois annonça bientôt qu'elle savait où était le chef des Frithas : par un mélange de perception auditive et visuelle, voire de la pure intuition, elle avait "vu" un groupe de cavaliers importants à moins d'une dizaine de miles au loin. Geralt lui-même, avec l'aide de la longue-vue, aurait eu bien du mal à accomplir une telle prouesse ; et en plus la féline rôdeuse n'avait jamais vu Brogdin et n'en connaissait que ce que Bronwyn lui en avait dit. Mais elle était sûre d'elle, et elle emmena bientôt ses compagnons dans la direction où elle avait vu leur objectif.

Et après une heure, il apparut qu'elle avait bien raison. Les aventuriers et leurs gardes rattrapèrent une dizaine de cavaliers, dont l'un plus âgé qui ressemblait bien à la description qu'on leur avait donnée de Brogdin... et qui était bien le chef des Frithas. La Femme des Bois était toute fière de sa prouesse qui avait de quoi rendre jaloux même des oiseaux de proie, mais personne n'aurait eu l'idée de le lui reprocher, vu le temps qu'elle leur avait fait gagner. Après s'être salués, les aventuriers découvrirent que Brogdin était bien tel qu'on leur avait décrit : comme Mahrcared, c'était un grand cavalier et sans doute un féroce guerrier qui ne tenait pas en place. Ses cheveux et sa barbe blanche - il était âgé de 49 ans - ne cachaient pas ses yeux pleins d'énergie, et ses compagnons lui témoignaient un très grand respect.

L'homme montra bientôt qu'il avait entendu parler d'eux et qu'il connaissait un peu le projet des Éothraim, sans doute par Mahrcared, chef des Ailgarthas, avec qui il était ami. Il était enchanté d'avoir une telle compagnie et, tout en continuant à chevaucher vers sa destination, il ne put s'empêcher de poser des questions sur la véracité des récits qu'on lui avait faits. Ils lui semblaient tellement exagérés... Néanmoins, Geralt et Drilun avaient été reconnus vainqueurs de plusieurs épreuves du tournoi, sans parler de Vif pour ses devinettes, et cela n'était pas contestable. Peu avant d'arriver au petit groupe de longères qui étaient sa destination, il fit un clin d’œil aux aventuriers et les défia à la course vers les bâtiments visibles au loin dans le soir tombant. Et il lança sa monture au triple galop.

7 - Le chef des Frithas
Geralt montra qu'il n'avait pas usurpé son premier prix au concours d'équitation et il arriva nettement premier. Brogdin arriva peu après, suivi non loin par Mordin et Drilun, tout étonné de sa performance, côte à côte, puis les autres. Après quoi le chef des Frithas, non sans avoir rassuré ses gardes et les membres de la communauté fermière où ils venaient d'arriver, prit ses armes et se mit face à Geralt. Il avait vu qu'il était un excellent cavalier, et il tenait maintenant à le tester en tant que guerrier. A dire vrai, son ami Mahrcared lui avait vanté les talents de l'Eriadorien, et il ne demandait qu'à vérifier. Ce qui fut vite fait : le maître-assassin se prêta au jeu et montra sa parfaite maîtrise du combat à l'épée, qui surclassait largement les talents de Brogdin, pourtant lui-même loin d'être ridicule et sans doute l'égal de Bronwyn. De bonne grâce et même enchanté, l'homme finit par s'avouer vaincu, et il demanda comment Mahrcared avait pu battre le maître-assassin...

Les deux groupes de cavaliers, après s'être occupés des chevaux, furent ensuite invités par les fermiers nordiques. Tandis qu'ils se restauraient, Brogdin vanta leurs exploits dont il avait eu vent à ses hôtes tout en demandant des détails ou confirmations. Les aventuriers s'exécutèrent avec plaisir mais sans trop en dire non plus tellement la vérité pouvait parfois paraître peu crédible. La prise d'Ilanin et la fuite des Sagaths face à Vif montée par Geralt, par exemple, firent partie du lot. Vaincre des centaines de Sagaths à huit était déjà tellement peu crédible, pas la peine d'en rajouter en disant qu'en fait l'essentiel du travail avait été le fait de seulement deux d'entre eux...

Plus tard dans la soirée, Brogdin redevint plus sérieux et aborda le sujet pour lequel il avait été approché. Il était au courant d'une guerre possible contre les Sagaths et l'attaque d'un convoi exceptionnel pour Angmar, et il tenait à en savoir plus et ce qui pouvait bien motiver ces intrépides aventuriers. Car il ne cachait pas son scepticisme face à une telle entreprise : les Sagaths étaient de redoutables guerriers, et leur proximité avait de quoi faire hésiter tous ceux qui prendraient part, même indirectement, à un tel projet. Même en cas de victoire, les tribus restantes garderaient une dent contre les vainqueurs et risquaient de leur rendre la vie dure. Et c'était sans compter sur les sorciers et les échos de créatures magiques ou maléfiques, toutes plus féroces et terribles les unes que les autres...

Les aventuriers, et en particulier Mordin, répliquèrent que certaines créatures avaient déjà été anéanties, avec le culte maléfique qui endoctrinait une partie des Sagaths. Grâce à leur action passée, les orientaux - du moins ceux qui suivaient aveuglément les ordres du Nécromancien ou plutôt de ses sbires - étaient à présent affaiblis. En frappant fort et en obtenant une victoire éclatante, avec un minimum de pertes de leur côté, les nordiques pourraient réduire la menace des Sagaths de manière durable voire définitive : ils ne pourraient plus jamais être plus qu'une épine dans le pied à leurs frontières. Tous en profiteraient, Éothraim comme Gramuz, et c'était donc la raison pour laquelle les gens de Brogdin et les autres Gramuz avaient tout intérêt à soutenir l'armée nordique qui passerait prochainement. Sans parler du butin transporté par le convoi lui-même, qui profiterait à tous et pas juste aux guerriers, même si les Éothraim en seraient les premiers bénéficiaires. Les amis et alliés ne seraient pas oubliés, d'autant que la taille du convoi laissait augurer un trésor de guerre conséquent...

Ce discours sembla plaire à Brogdin. Après réflexion, il annonça qu'il se rangerait à leur côté du mieux qu'il le pourrait. De manière indirecte : avec les prochaines moissons, pas question de participer à une bataille, leurs jeunes avaient mieux à faire que ça. En revanche, non seulement il permettait le passage des troupes à travers leurs terres, mais il annonça également qu'ils seraient gratuitement ravitaillés avec des produits frais aussi longtemps qu'ils seraient chez lui. Mieux encore, il allait voir avec les chefs des autres clans gramuz et il garantissait qu'au minimum il obtiendrait qu'ils puissent leur accorder le libre passage. Ce qui n'empêchait pas d'aller les voir après qu'il leur aurait touché deux mots pour obtenir produits frais, ravitaillement et conseil. Concernant l'achat de vivres qui se conserveraient, il annonça qu'il pourrait rassembler de quoi nourrir une armée de mille hommes pour une quinzaine de jours, ce pour quoi Mordin lui versa cinquante pièces d'or.

Il discuta également des routes envisagées pour gagner le sud des Montagnes Grises. Petit à petit, avec l'aide des Gramuz déjà partiellement acquise, il apparut que le passage par l'est du lac était le plus intéressant : le ravitaillement était garanti, sans parler des conseils pour prendre les bonnes routes et ne pas perdre de temps. Après avoir traversé le territoire des Frithas, le passage par l'est du Long Lac à travers les terres des Brogingas, autre clan gramuz, promettait d'être rapide et sans souci. Ce soutien aurait aussi un effet très positif sur le moral des troupes, et il n'y avait aucun pont à construire nulle part. Les quelques journées éventuelles perdues à faire ce détour, comparé au passage à l'ouest du lac, seraient donc largement regagnées en termes d'impondérables et autres problèmes évités.

Tout paraissait plus clair et facile, et les aventuriers passèrent une bonne nuit, avant de repartir le lendemain matin sous un soleil éclatant en direction des Monts de Fer. L'avenir leur semblait bien prometteur, et Geralt en oublia même de dire qu'ils allaient tous mourir de toute façon... Comme leur planning restait tout de même serré, ils avaient demandé aux quelques hommes de Rult qui les accompagnaient jusque-là d'aller les attendre au gué sur la Celduin. Ils comptaient en effet sur une journée entière pour aller chez les nains, une journée pour discuter ou marchander, et une journée pour revenir au gué. Et les chefs des Éothraim étaient censés arriver à Buhr Widu le lendemain, alors qu'il fallait une bonne journée de galop pour atteindre la ville depuis le passage sur la Celduin - en espérant qu'il fasse beau. Les mercenaires présents au gué feraient au moins en sorte de leur garantir des chevaux frais s'ils étaient à la bourre...

8 - Or et matériel
Tandis que leurs amis chevauchaient sur les terres des Frithas afin de rejoindre la route des nains (Men-i-Naugrim), Taurgil et Rob apprenaient au lever du jour que Mahrcared et divers cavaliers de la tribu des Ailgarthas étaient arrivés la veille, au début de la nuit, à Buhr Widu. Autrement dit, Atagavia les convoquait afin de peser sur les décisions du vieux seigneur cavalier. Le Dúnadan et le hobbit ne se firent pas prier et ils arrivèrent bientôt à la grande longère du chef des Waildungs, où Atagavia et Mahrcared les attendaient. Le chef des Ailgarthas fut un peu déçu de ne pas voir Geralt, qui l'avait beaucoup impressionné lors de leur précédente rencontre, mais il avait le rôdeur dúnadan également en bonne estime. Il eut un regard curieux pour le petit voleur aux pieds poilus, mais il ne fit pas de commentaire.

Le vieux guerrier, s'il était déjà convaincu des objectifs de l'entreprise, n'en cacha pas moins ses difficultés. Entre les moissons qui seraient ratées çà et là, les migrations d'une partie des tribus pour éviter de possibles ennuis ou représailles, le délai trop court pour équiper correctement les guerriers avec le travail de leurs artisans, les stocks d'or qui n'avaient jamais été plus que maigres ces dernières années... Avait-il besoin de détailler davantage ? En un temps si court, il serait amené à compenser beaucoup de choses manquantes pour la préparation et l'équipement de l'armée avec un or qui lui faisait défaut. Plus il se sentirait à l'aise sur ce sujet, plus nombreux seraient les cavaliers sur le champ de bataille.

Le chef des Ailgarthas demandait donc un prêt pour pouvoir mieux équiper son armée, en quelque sorte. Dans les discussions qui suivirent, il évoqua la somme de quatre cents pièces d'or pour permettre l'équipement de quatre cents cavaliers. Taurgil hésita, sans parler de Rob, car il ne se sentait pas à même de décider pour l'ensemble du groupe. D'un autre côté, Mordin avait laissé bien plus d'or que cela en partant, sans même parler de la petite réserve que le hobbit avait gardée par-devers lui, réserve tout de même loin d'être négligeable et qui couvrait presque la moitié de ce que demandait le seigneur. Aussi le Dúnadan finit-il par accepter ce marché afin de garantir le maximum de troupes de la part des Ailgarthas, la plus ancienne tribu présente dans le Rhovanion parmi toutes celles des Éothraim. Avec les cinq cents d'Atagavia, cela faisait dès à présent neuf cents cavaliers !

Après réflexion, Taurgil proposa également à Mahrcared de se servir en nature. En effet, ses amis et lui avaient récolté une réserve conséquente de très bonnes armes et armures prises à des Sagaths d'élite au service de rôdeurs noirs et autres serviteurs du Nécromancien. Une partie avait été vendue, mais il en restait une bonne part. Par ailleurs, se dit le rôdeur, s'il fallait donner ce matériel d'élite à des alliés, autant que cela soit aux Ailgarthas, dont la réputation guerrière n'était plus à faire. Avec ça, de toutes les tribus qui composeraient l'armée nordique, ils étaient sans doute ceux qui connaissaient le mieux les terres les plus au nord, de par leur histoire et par l'emplacement des terres de la tribu.

Le chef des Ailgarthas déclara qu'il était intéressé et, à l'issue de la réunion en fin de matinée, il alla visiter le stock d'armes et armures qui remplissait un chariot complet. Ses commentaires enthousiastes concernant les cottes de mailles et armes de qualité laissèrent à penser que Taurgil ou Rob n'auraient pas besoin de débourser la moindre pièce d'or. Et effectivement, Mahrcared se contenta de prendre l'intégralité du stock d'armes et armures, chariot compris. Ce qui simplifiait d'autant la gestion des affaires des aventuriers. Après quelques dernières discussions sur les différentes routes possibles pour arriver à temps pour bloquer le convoi, les Ailgarthas repartirent chez eux en promettant de revenir d'ici trois jours pour rencontrer les autres chefs et faire part de l'avancée de leurs préparatifs.

9 - Moisson d'herbes en solitaire
Mahrcared et ses cavaliers une fois repartis, Taurgil se replongea derechef dans les papiers de Dol Guldur pour rattraper le temps consacré à la diplomatie. Rob, de son côté, s'interrogea : que pouvait-il faire pour aider l'équipe ? Ces derniers temps, il avait du mal à trouver sa place dans l'équipe, ayant le sentiment d'être avant tout un boulet, au propre comme au figuré. Ayant frôlé deux fois les ailes de la mort, il avait dû être secouru et transporté par les autres, comme à Dol Guldur. Son côté gamin irresponsable s’accommodait mal du risque élevé qu'ils couraient tous en permanence, et sa constitution bien plus fragile que celle des Grandes Personnes ne pardonnait guère face aux ennemis à qui ils faisaient face régulièrement. A une époque, être discret et d'aspect inoffensif pouvait suffire pour le tirer d'affaire, mais ce n'était plus vraiment le cas à présent.

Au-delà de ses talents d'archer qui pour l'instant ne lui servaient guère, restait tout de même ses facilités avec les herbes comestibles ou utiles. Les deux soirs précédents il était allé chercher des champignons pour mitonner de bons plats à Taurgil et lui, ainsi qu'aux hommes de Rult qui avaient apprécié le changement de régime. Et il avait utilisé le matériel d'apothicaire du Dúnadan aussi bien qu'aucun autre membre de l'équipe n'aurait pu le faire. Ses amis avaient déconseillé à Taurgil d'aller seul en forêt chercher des herbes, particulièrement avec la larme de Yavanna. Mais lui, Rob, était plus discret et insignifiant que le rôdeur dúnadan. Il irait donc et verrait ce qu'il pouvait trouver qui les servirait.

Une fois le déjeuner englouti, il quitta les environs de Buhr Widu et gagna l'orée de la forêt à l'endroit où elle était traversée par le chemin qu'ils avaient déjà emprunté. Il se faufila sur le sentier en se faisant petit et discret et marcha une bonne heure, puis commença à explorer les environs tout en restant à distance prudente de la voie qui l'avait amené là : même s'il se débrouillait bien en nature, il savait à quel point il était facile de se perdre ici pour tous hormis Vif. La chance ou la prudence restèrent de son côté, il ne se perdit à aucun moment, ne dérangea aucunement la faune locale et en particulier ses plus terribles prédateurs, et commença à récolter stimulants et autres herbes utiles.

L'herbe la plus facile à trouver fut l'athelas, dont son compagnon dúnadan faisait grand usage. Bonneherbe et noix de l'écureuil auraient été de merveilleuses prises, mais les graines ou noix n'étaient disponibles qu'à l'automne et ils n'en étaient qu'à la fin du printemps. Il se consola avec des champignons appelés caméléon de nuit, qui permettaient de donner un aspect sombre au corps et de le rendre invisible dans l'obscurité. Puis il fut attiré par une lueur dans le sous-bois, et il tomba sur une petite plaque de lichen phosphorescent : du lichen du bûcheron, qui permettait d'affûter magiquement les lames ou pointes métalliques ! Malheureusement le pouvoir du lichen ne se gardait pas une fois décroché, il fallait l'utiliser de suite, et il n'avait pas pensé à emprunter l'inerenerab de Taurgil... Il appliqua tout de même le lichen sur ses pointes de flèche, même s'il savait que dans quelques jours il n'en resterait plus rien.

En revenant, il eut la chance de trouver sur son chemin une petite vipère rare dont les glandes, une fois séchées, constituaient un remède miraculeux aux blessures, ce dont ils avaient bien profité, et lui en particulier. Attrapant son arc, il tua la bestiole d'une flèche et parvint à récupérer les deux glandes qu'il mettrait à sécher le soir même, une fois rentré. Puis il rentra au bercail car le soir tombait, non sans manger quelques cerises et framboises au passage et récolter quelques champignons comestibles pour la soirée. L'après-midi ne s'était pas si mal déroulé, même s'il était bien fatigué. Il pensa au reste de l'équipe, parti voir les Gramuz ou les nains. Où étaient-ils en ce moment ? Avaient-ils fait bonne route ou avaient-ils trouvé des problèmes en chemin ? Quelque chose en lui l'incitait à penser que la seconde proposition était la plus vraisemblable...
Modifié en dernier par Niemal le 05 septembre 2015, 11:46, modifié 2 fois.
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Horselords - 37e partie : une flèche dans le cou

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1 - Ronchons et grognons
Revenons aux cinq amis partis voir les Gramuz et nains au nord de la Celduin. Malgré la réussite de la veille et le soleil éclatant, la bonne humeur de Geralt avait vite fondu. Tandis que les cinq cavaliers traversaient les territoires des Gramuz au grand galop, évitant fermes et champs, troupeaux et bergers, il égrenait aux oreilles de ses amis la liste des problèmes soulevés par leur projet d'aller voir le chef des nains des Monts de Fer, Fulla III. En vrac, il cita le peu d'intérêt d'aller acheter du matériel coûteux qui servirait à peu de monde ; les grands risques qu'ils prenaient de se faire attaquer par des sorciers ou bandits - et probablement les deux - ou par une féroce créature ailée ; la quasi-certitude de ne pas être rentrés à temps pour jouer les diplomates avec les seigneurs cavaliers ; etc.

Malheureusement pour le maître-assassin, tout laissait à croire qu'il était en minorité, et ses amis s'opposèrent à chacun de ses propos. Même si les achats faits chez les nains profitaient à peu de monde, cela pouvait faire une notable différence : les combats équilibrés ne basculaient-ils pas grâce à l'action de quelques individus remarquables pour leurs compétences et/ou leur équipement, comme eux-mêmes ? Sans compter que Mordin se faisait fort d'obtenir de son roi un marché qui leur serait bien profitable. Les risques qu'ils prenaient à voyager à cinq ? Certes, les bandits menés par Dieraglir de Relmether, archer réputé infaillible, n'étaient pas à prendre à la légère, sans oublier Maeghirrim et autres. Mais n'avaient-ils pas affronté bien pire par le passé ? Et comment se faire surprendre avec des gens aux sens aussi développés que ceux de Vif ou Geralt ?

Ce dernier fit tout de même remarquer qu'un excellent archer pouvait faire de gros dégâts même sur des gens prévenus, comme Drilun l'avait prouvé plus d'une fois. De plus, sous sa forme humaine, Vif ne portait aucune armure et elle était extrêmement vulnérable. Et au-delà de leurs vies, pour lesquelles il ne se faisait pas tant de soucis de cela, restait le problème de leurs chevaux ou des suites d'une éventuelle blessure grave sur l'un d'entre eux. Leurs montures pouvaient facilement être abattues et ils n'auraient plus moyen de revenir rapidement à Buhr Widu, sans parler du problème de leur vulnérabilité. Et même sans cela, si l'un d'entre eux était gravement blessé, il ne serait pas transportable rapidement et ils manqueraient à coup sûr leurs prochains rendez-vous. Sur ce point, ses amis reconnurent qu'il n'avait pas tort, même s'ils dirent aussi que Geralt amplifiait les risques qu'il percevait, comme à son habitude.

En fin de compte, l'Eriadorien aux cheveux blancs et aux nombreuses cicatrices fut accusé de changer d'avis au moindre effort, de faire passer ses siestes avant leur mission, et de toujours voir les choses en noir. Il se retrouva seul contre quatre à vouloir rebrousser chemin et retourner chez les Éothraim, même s'il prétendit que son cheval, Polochon, était d'accord avec lui et voulait aussi rentrer. Il finit par s'avouer vaincu et dit de mauvaise grâce qu'il poursuivrait sa route avec ses amis, comme convenu, tout en prédisant au groupe des ennuis certains et l'échec probable de leur mission chez les nains ou auprès des seigneurs cavaliers au sud. Etc., etc., et s'il continua encore à grogner et bougonner dans sa barbe inexistante, c'était un comportement si habituel chez lui que ses amis n'y firent plus attention.

Ils retrouvèrent bientôt la Men-i-Naugrim, la "Route des Nains", et la reconnurent pour ce qu'elle était. Ce n'était en effet rien de plus qu'un sentier régulièrement fréquenté avec quelques cairns ou autres signes qui attestaient de son importance pour les yeux exercés et habitués comme ceux de Mordin, qui connaissait bien cette route qu'il avait prise de nombreuses fois. Le groupe se dirigea alors vers le nord-est et poursuivit au grand galop : ils étaient partis tôt le matin et il restait sans doute une bonne douzaine d'heures de soleil, mais il faudrait bien cela pour arriver à destination, sans compter que la fin, dans les Monts de Fer, était plus escarpée et que leur allure serait réduite. Ils passèrent fermes et fermiers, bergers, cavaliers et divers groupes de voyageurs, sans s'arrêter. Ils avaient l'air diablement pressés et le groupe hétéroclite n'avait pas l'air particulièrement agressif, aussi furent-ils laissés en paix. Les sabots avalèrent plaines et collines, et hommes et bêtes se mirent à transpirer avec la montée du soleil dans le ciel.

2 - Probables problèmes en vue
Après une série de collines, le groupe traversa de vastes plaines où le regard pouvait porter très loin parfois, surtout par un temps aussi clair. Toujours attentive à ce qui les entourait, la Femme des Bois observait le paysage et ce qui s'y trouvait. Avec le temps, ses perceptions avaient pris une telle acuité qu'elle arrivait à distinguer des choses que la plupart des gens n'auraient jamais remarquées, même avec l'aide d'une longue-vue. Présentement, elle observait les signes de présence humaine : des fermes éparses distantes de quelques miles, dont une partie en mauvais état ou à l'abandon ; des haies et des champs cultivés ou eux aussi dans un état d'abandon manifeste ; et de vastes étendues sauvages ou pâtures où paissaient paisiblement quelques troupeaux sauvages ou parfois domestiques, avec des bergers non loin, souvent des cavaliers. L'impact de la peste récente, qui avait tué jusqu'à la moitié des hommes et bêtes, était encore clairement visible.

En milieu de matinée, alors que Mordin estimait qu'ils avaient accompli près du tiers du trajet, ils virent apparaître un groupe de collines boisées que la route contournait par la droite. Le marchand nain leur expliqua que de par le relief plus accidenté, la vue portait moins loin que partout ailleurs en plaine et que l'endroit était réputé dangereux : les attaques de convois peu armés ou de voyageurs isolés, voire de fermes et hameaux, étaient sans doute plus fréquentes dans le secteur que partout ailleurs en plaine. A chaque fois qu'il était passé là, il avait pris soin d'être bien accompagné par gardes et mercenaires, avec les armes à portée de main. En bref : si embuscade il devait y avoir, il y avait toutes les chances que cela fût là. En premier du moins, pensa Geralt.

Vif aperçut sur leur droite, à plusieurs portées de flèche, un corps de ferme en mauvais état, occupé par peut-être une trentaine de chevaux. N'étant pas très familière de la région, et vu la distance, elle ne pouvait rien dire sur la ressemblance des habitants qu'elle percevait à des bandits plutôt qu'à des fermiers. Mais le côté à moitié à l'abandon des bâtiments et des terres lui faisait penser aux premiers. Elle annonça à ses amis que les premiers bandits étaient présents sur leur droite, et ils discutèrent de l'option consistant à aller les attaquer pour prendre leurs chevaux. Ils finirent par abandonner l'idée : cela ne ferait que les ralentir, car il serait impossible de garder avec eux les chevaux obtenus vu leur allure. Sans parler des risques de complication. De toute manière, ils n'étaient pas menacés pour le moment, et ils ne risquaient pas d'être rattrapés à la vitesse à laquelle ils chevauchaient. Certains estimaient qu'ils avalaient la route à la vitesse de vingt miles (~ 32 km) à l'heure, et même si leurs chevaux ou certains d'entre eux souffraient en silence, ils avaient encore de la réserve.

Peu après, tandis qu'ils s'approchaient des premières collines, ils passèrent un sentier sur leur gauche qui menait aux collines et à diverses fermes qu'on pouvait parfois distinguer au loin. Mais surtout, Mordin fut un moment frappé par le reflet du soleil sur quelque chose de métallique au sommet de la plus proche colline. Là-haut, derrière des arbres ou broussailles, il aurait juré que le soleil s'était reflété sur un casque, une armure ou une épée. Bref, il annonça à ses amis qu'il pensait bien que des guetteurs étaient là-haut qui les avaient perçus. Et qui disait guetteurs disait comité de réception. Tandis que Geralt reprenait ses prédications et "je vous l'avais bien dit", ils choisirent de continuer à la même allure, tout en se réorganisant pour assurer le plus de couvert à Vif. Elle avança bientôt entre ses quatre amis, Geralt et Mordin menant le groupe et Drilun et Isilmë le fermant. De son côté, l'archer-magicien appela à lui un vent magique de manière à gêner le travail d'éventuels archers.

Le chemin perdit de sa rectitude tandis qu'il commençait à longer une zone un peu rocailleuse et escarpée. Sans être une véritable falaise, les rochers sur leur gauche faisaient un dénivelé d'une vingtaine de mètres de hauteur et étaient en partie couverts d'arbres et arbustes derrière lesquels il était facile de se cacher. De l'autre côté de la route le sol remontait de manière assez raide, empêchant tout passage à vive allure mais sans présenter beaucoup d'abri derrière lequel monter une embuscade. Si attaque il devait y avoir, elle viendrait certainement de la gauche. Et effectivement, après un tournant, Vif et Geralt virent clairement qu'une bande de peut-être une trentaine d'archers les attendaient en hauteur, tandis qu'à une portée de flèche, en travers de la route, un arbre était couché. Néanmoins, ce n'était pas un gros arbre et il serait facile de passer par-dessus. En un éclair, le maître-assassin accéléra et prit un peu d'avance tandis que ses amis baissaient la tête et le suivaient à petite distance.

3 - Flèches et dards
Tandis que les cordes des arcs des archers se tendaient, Geralt s'approcha rapidement de l'arbre couché sur le flanc et il vit bientôt, de l'autre côté que celui par où ils arrivaient, des signes cabalistiques inscrits sur le sol. Soupçonnant quelque funeste magie, il orienta son cheval de manière à éviter les signes, tout en prévenant ses amis par des cris. Mais Vif avait vu le danger et prévenu son ami dunéen, qui réfléchit à un sort d'extinction, en se disant que la magie serait peut-être liée au feu. Le maître-assassin franchit sans mal l'arbre couché, et, tandis que Polochon allait toucher à nouveau le sol, il vit que ce dernier était jonché de nombreux nids de guêpes. Au contact avec le sol, les occupantes des nids s'éveillèrent, furieuses, et s'envolèrent au plus vite vers les plus proches victimes à piquer. Et suite à un ordre bref vingt mètres plus haut, les cordes des arcs se détendirent.

Les cibles n'étaient pas les cavaliers mais les montures. Polochon fut percé de nombreux traits, mais aucun n'était mortel. A la douleur s'ajouta le vrombissement de guêpes toutes proches pour le faire paniquer. Geralt réussit non sans mal à rester en selle mais il n'eut pas grand-chose à faire pour le pousser à accélérer. Une nouvelle salve de flèches aggrava encore l'état du pauvre cheval qui ne tiendrait pas longtemps, mais au moins lui avait-il permis d'éviter les guêpes. Par ailleurs, il vit non loin un passage vers la gauche et le haut des rochers qui permettrait sans doute de rejoindre les archers sans trop de mal, à pied. Il ralentit son cheval comme il put, se laissa tomber au sol avec adresse et essuya quelques flèches qui ne lui firent aucun mal. Puis il se mit à grimper vers les agresseurs.

Derrière lui, le péril des guêpes avait été perçu, d'autant que le maître-assassin avait eu le temps de pousser un cri correspondant à leur nom. Les chevaux furent eux aussi blessés par flèche mais également par dard au moment de franchir l'arbre en travers du chemin, et leurs ruades firent voler en l'air l'archer-magicien et la Femme des Bois. Le premier avait eu le temps de s'entourer d'une armure magique mineure à l'aide d'un sort, et il atterrit sans mal dans les branches de l'arbre au sol, tandis que les insectes piqueurs essayaient sans résultat de parvenir jusqu'à sa peau. La seconde, rompue à toutes sortes de chutes, s'était réceptionnée sans mal ; elle découvrit bientôt qu'au contact avec sa peau, elle-même en contact avec la larme de Yavanna, la magie qui rendait les guêpes furieuses disparaissait et ces dernières, désorientées, fuyaient sans la piquer.

Plus loin, Mordin se laissait tomber de cheval, ce dernier refusant de ralentir beaucoup en raison des flèches et des dards qui le paniquaient, et revenait vers Vif afin de la protéger. Il faisait de grands moulinets avec son bouclier pour écarter les guêpes, que cela ne gênait guère, et qui cherchaient à trouver des endroits pour passer sous son armure et le piquer. Isilmë, de son côté, s'accrocha un moment à l'encolure de son cheval, puis elle se laissa tomber à son tour non loin de l'endroit où Geralt avait commencé à grimper. Elle fut bientôt à l'abri des flèches et se mit à grimper à son tour, tandis que plus haut le maître-assassin voyait les premiers bandits arriver dans sa direction et l'un d'eux, debout sur un gros rocher, le viser avec son arc. Arc composite en métal, comme il avait vu de rares exemplaires dans l'Arthedain, et couvert de runes qu'il devinait magiques. Soupçonnant qu'il s'agissait de Dieraglir de Relmether, il enchaîna les feintes et esquives tout en profitant du couvert végétal pour empêcher l'archer de le toucher.

Plus bas, Drilun, empêtré dans les branches de l'arc, se concentrait sur un sort d'armure magique plus puissant en espérant que celui qu'il avait fait le protégerait des flèches qui commençaient à pleuvoir sur lui. L'une d'elles arriva néanmoins à trouver la faille entre toutes ses armures physiques ou magiques, et il écopa d'une blessure légère... qui se mit bientôt à le brûler : la flèche était empoisonnée ! Non loin, Vif n'avait pas attendu que Mordin arrive à la rescousse : esquivant les tirs à l'aide d'une suite de bonds rapides, elle se faufila bientôt du mieux qu'elle put sous le tronc de l'arbre au sol, de manière à être la moins exposée possible aux tirs des archers. Ce qui était d'autant plus facile que ces derniers se concentraient plutôt sur les cibles faciles - en apparence - du nain et du Dunéen.

4 - Sérieuses menaces
La Femme des Bois, allongée sous l'arbre, fut bientôt protégée en partie par la présence de Mordin et de son bouclier, tandis que les guêpes grimpaient sur le corps de son ami à recherche de parties dénudées. Elle eut alors l'idée de lui faire toucher la larme de Yavanna, et davantage d'insectes partirent, désorientés, guéris par la magie de l'artefact. Mais en même temps, le corps très perceptif de la rôdeuse la renseignait sur un nouveau danger : tant les vibrations dans le sol que ses oreilles lui annonçaient l'arrivée prochaine de deux groupes de cavaliers qui convergeaient vers eux, et elle aurait été prête à parier qu'il ne s'agissait pas de sauveurs. Les probables bandits qu'elle avait auparavant repérés les avaient sans doute suivi peu après leur passage, et d'autres s'étaient tenus plus loin pour leur couper le route.

De son côté, Isilmë arrivait au contact des premiers bandits et en tuait un premier, tout en voyant les cavaliers approcher depuis sa position élevée. Il s'agissait bien de nouveaux bandits d'après ce qu'elle pouvait en voir, armés de lances ou d'arcs. Puis elle para les coups des deux autres adversaires à son contact, tandis que d'autres arrivaient bientôt, même si la plupart se dirigeaient plutôt vers Geralt. Ce dernier avait réussi à éviter la flèche lancée par le chef des bandits, Dieraglir, mais s'il n'avait pas arrêté de bouger elle lui aurait sans doute transpercé l’œil ou une autre partie du visage non couverte par son armure de dragon. C'était bien un excellent archer, et très rapide avec cela : à peine s'était-il relevé de son plongeon pour éviter la flèche que l'archer avait déjà un nouveau trait de prêt. Par ailleurs, le maître-assassin avait senti un bref moment comme un brouillement de ses sens, comme si quelqu'un lui montrait les choses d'une autre manière, mais il avait repoussé cette influence.

Plus bas, l'archer-magicien dunéen avait fini par lancer son sort de grande armure magique, malgré la douleur lancinante du poison de la flèche. Il prit bientôt un contrepoison qui atténua vite la douleur, permettant à son corps d'éliminer les toxines, puis un flacon de baume orc dont il gaspilla une bonne part avant d'arriver à l'appliquer correctement sur sa blessure, qui se ferma en le piquant violemment et en lui laissant une belle cicatrice. Il se rapprocha alors du nain et de la Femme des Bois afin de les protéger par son corps environné de magie. D'autant que la rôdeuse féline allait bientôt en avoir besoin : devant toutes ces menaces, le chat en elle devenait de plus en plus fort, malgré l'absence de forêt environnante et le plein soleil. Assez fort pour lui permettre de se transformer, ce qu'elle commençait à faire. Mais elle avait dû remettre la larme à Mordin, car cette dernière bloquait complètement le chat en elle si elle restait au contact de l'artefact.

Plus haut, l'Eriadorien aux nombreuses cicatrices virevoltait et plongeait entre ses adversaires qui n'arrivaient pas à porter un coup assez précis pour le blesser à travers son armure. Mais en fait, seul comptait pour Geralt le chef des bandits et redoutable archer, et lui ne décochait pas sa flèche mais se contenait de le suivre. L'homme était en position élevée, au-dessus de la mêlée, et tôt ou tard Geralt devrait bondir vers lui pour espérer le blesser. Il y aurait un moment, si l'homme était assez rapide, où il pourrait lui tirer dessus à bout portant sans qu'il puisse véritablement esquiver. Arriverait-il à tromper sa vigilance et à l'atteindre en premier ? De toute manière, il y avait de plus en plus de bandits qui lui courraient après, et plus il attendrait et plus son attaque sur le chef des bandits serait difficile. Il ne pouvait attendre trop longtemps.

Isilmë comprit ce que son ami tentait de faire, mais elle avait déjà bien assez de monde sur elle pour pouvoir essayer quoi que ce fût pour l'aider. Plus bas, Vif continuait sa transformation, non sans quelques piqûres de guêpes qui furent vite oubliées, d'autant que la fourrure qui lui poussait commençait à la protéger, tandis que ses oreilles qui s'allongeaient lui annonçaient l'arrivée prochaine des cavaliers. Ses vêtements furent bientôt à terre, ses mains se couvrirent de griffes et ses yeux se fendirent d'une pupille verticale. Mordin et Drilun, impressionnés, en oubliaient les flèches qu'on leur tirait dessus pour observer pour la première fois, de près, la transformation de leur amie. Ils eurent bientôt devant eux un puma qui devenait de plus en plus gros, tandis que les premiers cavaliers apparaissaient.

5 - La mort a des moustaches
Geralt, au milieu de ses petits bonds et changements brusques de direction, fit une feinte qu'il espéra suffisante, puis il sauta sur le rocher sur lequel trônait Dieraglir. Son épée magique traversa la veste de cuir et la cotte de mailles du chef des bandits au niveau de l'abdomen, détruisant la plupart des organes vitaux. L'homme s'affaissa sans un cri, mort sur le coup. Mais juste au moment où le maître-assassin avait porté sa terrible attaque, le chef des bandits avait décoché sa flèche, qui traversa le cou de l'Eriadorien aux cheveux blancs. Figé par la douleur, il ne perçut pas les bandits furieux qui arrivèrent dans son dos et le transpercèrent de leurs épées. Mourant, il tomba au sol, inanimé, et son âme se prépara à rejoindre les cavernes de Mandos.

Tandis qu'Isilmë abattait son deuxième bandit et se défendait contre trois autres, toujours avec succès, elle vit Geralt tomber et les bandits délaisser son corps pour se tourner vers elle, l’œil vengeur et manifestement prêts à lui faire connaître le même sort, sinon pire. Elle était seule et de plus en plus entourée d'adversaires, et se mit dos à un arbre pour protéger en partie ses arrières. Mais elle allait bientôt faire face à six personnes à la fois, et elle ne pourrait se défendre face à ceux qu'elle ne voyait pas, car en partie dans son dos. En bas, une soixantaine de cavaliers s'apprêtaient à charger ses amis avec lances et arcs. Si elle restait sur place elle se ferait couper en rondelles, et si jamais elle arrivait à passer ses adversaires et sauter dans le vide, en espérant ne pas mourir de la chute sur les rochers, ce serait pour se faire transpercer ou piétiner. Charmantes perspectives !

Pendant ce temps, dans le monde onirique dans lequel baignait l'esprit de Geralt, une rencontre avait lieu. Il n'en attendait pas moins de l'esprit des chats, Tevildo : le Maia tenait sans doute assez à lui pour refaire le coup de la guérison miraculeuse, mais le lien de corruption qu'il partageait avec lui serait-il suffisant pour que sa magie puisse opérer sur lui comme autrefois, sans Vif à proximité immédiate ? Manifestement, cela devait être le cas, et l'esprit joua avec lui comme un chat joue avec une souris avant de la croquer. Le maître-assassin allait devoir donner encore un peu de son âme à Tevildo ou dire définitivement adieu à son existence en Terre du Milieu, et tous deux le savaient et savaient que l'autre savait. Mort ou damnation, le choix était des plus réduits...

Mais cette damnation n'avait pas que des mauvais côtés. Geralt voyait à présent le Prince des Chats sous des atours de plus en plus positifs, tandis que l'essence du Maia l'emplissait et que sa magie guérissait ses blessures. Incomplètement du moins : les coups d'épée et le poison qui coulait dans ses veines furent soignés, et du sang neuf apparut dans son organisme pour remplacer celui qui avait coulé à flots. Mais il avait toujours une flèche en travers du cou : la blessure n'était que stabilisée, et elle se rouvrirait au moindre mouvement, d'autant qu'une carotide avait été endommagée. Tevildo quitta l'esprit de Geralt en lui souhaitant bonne chance, et en lui suggérant de casser la hampe de la flèche pour pouvoir ensuite la retirer... et sans doute refaire appel à lui.

Geralt se réveilla donc au sol, le cou douloureux et traversé par la même flèche qui l'immobilisait. Aucun des bandits ne s'occupait plus de lui : ils devaient le tenir pour mort - et ils auraient eu raison pour des adversaires plus ordinaires - et leurs cris et leur fureur portaient à présent sur ses amis. Les bruits d'épée proches indiquaient que l'elfe devait passer ou allait passer un sale quart d'heure, et il devait encore y avoir une douzaine d'archers qui tiraient leurs traits tandis que de nombreux cavaliers chargeaient en criant. Tout doucement, discrètement, il prit du baume orc dans ses affaires, sans entraîner de réaction. Mais après ? Il lui faudrait casser la flèche et la retirer, ce qui allait certainement agrandir la blessure, d'autant qu'il n'avait jamais été un grand soigneur, sans parler des conditions d'un tel "soin" ! Et il était hors de question de refaire appel à Tevildo. Non, il attendrait en espérant que ses amis arrivent à se débrouiller et viennent s'occuper de lui ensuite.

6 - Retournement
Un puissant rugissement se fit bientôt entendre qui eut plusieurs conséquences. D'une part, le groupe de cavaliers le plus proche vers lequel le grand félin s'était tourné fut comme bloqué net : les chevaux, apeurés par la proximité soudaine de ce grand prédateur qui annonçait clairement la couleur, tâchèrent de s'arrêter sur place malgré leur élan et même de rebrousser chemin au plus vite. Les cavaliers eurent fort à faire pour maîtriser leur monture et rester en selle, et tous n'y arrivèrent pas. De plus, l'endroit était relativement étroit pour une charge, et la bousculade qui s'ensuivit, sans parler des piétinements et des cris qui en résultèrent, ajoutèrent à la confusion. De ce côté-ci, il n'y aurait pas d'attaque avant un moment.

Plus haut, les bandits hésitèrent, surpris, et en particulier ceux qui s'attaquaient à Isilmë. L'elfe guerrière en profita pour plonger sur sa gauche, entre ses adversaires, en direction du vide et de ses amis plus bas. Les bandits les plus proches tentèrent bien de lui faire quelques boutonnières en passant, mais ce fut sans succès face à son esquive, sa rapidité et leur temps de réaction. Deux d'entre eux lui coururent alors après : elle n'avait nulle part où aller que le vide et de nombreux cavaliers plus bas, elle serait très bientôt acculée. Les autres bandits s'approchèrent aussi du vide, bien que plus lentement et à l'affût de l'être qui avait fait un tel bruit.

Être qui n'était pas resté inactif : ils n'avaient gagné qu'un répit, et après un moment d'hésitation, les flèches avaient recommencé à pleuvoir et un groupe de cavaliers serait bientôt sur eux. La seule échappatoire possible restait les rochers. La grimpette ne serait pas bien difficile, il y avait de nombreuses prises et ce n'était pas une vraie falaise, plutôt un escalier rocailleux un peu raide et d'une vingtaine de mètres de haut. Drilun, toujours protégé par sa magie, commença derechef à grimper, lentement. En revanche, il savait que son ami nain, à ce jeu-là, était aussi adroit qu'une pierre. D'un autre côté, le grand félin qui l'accompagnait avait force et adresse à revendre, et l'affaire fut vite entendue : quelques mots suffirent pour expliquer au nain qu'il allait jouer à la souris et que le félin allait se charger de l'amener en hauteur.

Ce qui fut fait : Vif prit une jambe de Mordin dans sa gueule puissante, lequel Mordin attrapa la fourrure du félin pour ne pas traîner par terre. La féline Femme des Bois sauta ensuite sur les rochers : en une demi-douzaine de bonds elle fut bientôt au sommet de l'escarpement, au grand plaisir de son amie elfe et à la grande surprise et la déconvenue des bandits. On leur avait certes parlé d'un tel félin, mais entre une description et le voir en chair et en os, ce n'était pas vraiment la même chose. De plus, leur chef était censé s'en occuper grâce à des flèches spéciales qui lui avaient été remises, et lui mort, la tâche devenait un peu compliquée, et la bestiole foutrement dangereuse...

Ce qu'elle prouva bientôt : posant son ami nain au sol, elle bondit d'un coup sur un des agresseurs qui suivaient Isilmë de près. La tête de l'homme vola bientôt en direction de ses collègues, tandis que l'elfe se retournait et abattait l'autre bandit à ses trousses. Plus bas, Drilun arrivait à se mettre hors de portée des lances, et les flèches qui furent tirées dans sa direction ne l'atteignirent pas, grâce à l'armure enchantée dont il s'était entouré. Le nain se mit alors à invectiver les bandits, les traitant de tous les noms avec une fureur et une imagerie qui arriva à faire rougir ou blanchir certains d'entre eux. Et le fauve à ses côtés, pour ne rien dire de la guerrière elfe experte, ne semblaient plus du tout aussi vulnérables que quelques minutes auparavant. Les bandits n'avaient plus de chef, et leur moral commença à vaciller...

7 - Soins et nouveaux chevaux
La petite trentaine de bandits présents sur les rochers eurent fort à faire lorsque le félin commença à faire le ménage parmi eux, d'autant plus qu'aucun d'eux n'avait d'arme magique. Dès lors, il devenait difficile de faire plus que des égratignures à Vif, et la vitesse avec laquelle elle faisait voler têtes et membres n'incitait pas à tester sa résistance aux attaques groupées, d'autant que le chef des bandits n'était plus à pour les motiver ou les organiser. Par ailleurs, les cavaliers sur le sentier découvrirent, lorsqu'ils tentèrent de monter rejoindre leurs collègues, que les flèches de Drilun, épaulées par la hache de Mordin, étaient tout aussi mortelles. Démoralisés, ils remontèrent vite en selle et s'enfuirent avant que le félin magique ne s'intéresse à eux de trop près.

La féline Femme des Bois ayant repéré le corps de Geralt non loin, elle commença par faire le vide autour de lui de manière à permettre à Isilmë d'arriver jusqu'à lui. Tandis que les premiers bandits commençaient à fuir, elle repéra des chevaux attachés non loin, sans doute les montures des archers dans les rochers. Lorsque la débandade devint complète parmi les bandits, peu d'entre eux parvinrent à récupérer leur monture. Elle en distingua une qui semblait de meilleure qualité que les autres, sans doute le cheval de feu Dieraglir, et elle fit bien attention à ce que personne ne partît avec. Entre la peur des chevaux à son égard et ses griffes à l'attention des cavaliers, elle arriva à isoler une dizaine de chevaux qui purent être récupérés, plus tard, avec l'aide d'un de ses amis.

Entre-temps, l'elfe avait eu la demi-surprise de voir Geralt ouvrir les yeux et lui parler. Avec une certaine difficulté, vu la flèche qu'il avait dans le cou, sans parler de ses habits trempés de sang à divers endroits. Elle se concentra sur sa magie des soins, puis cassa la hampe de la flèche avant de la retirer le plus délicatement possible, ce qui n'empêcha pas le maître-assassin de grincer sous cette nouvelle douleur, ni le sang de couler à nouveau. Le baume orc qu'il avait en main fut utilisé pour cicatriser - douloureusement - la blessure en partie, puis elle fit un pansement pour permettre au reste des plaies de guérir normalement. Et elle endormit Geralt à l'aide d'un sort afin qu'il commençât de suite à récupérer... ou peut-être aussi pour ne plus l'entendre râler qu'il leur avait bien dit !

Tandis que l'Eriadorien aux cheveux blancs dormait au contact de la larme de Yavanna afin d'accélérer encore sa guérison, les chevaux des bandits furent récupérés. Les leurs étaient tous morts en raison des nombreuses blessures subies et du poison dont les flèches avaient été enduites. Il fallut récupérer leurs affaires et les porter sur leurs nouvelles montures. Polochon serait bientôt la proie des charognards, mais le probable cheval de Dieraglir paraissait de qualité équivalente. Du coup, les amis de Geralt s'accordèrent pour lui réserver ce nouveau cheval, et ils lui donnèrent un nom qui ferait certainement l'enthousiasme de leur ami flemmard : ils l'appelèrent Édredon...

Au bout du compte, ils restèrent là plusieurs heures, jusqu'au début de l'après-midi. Les autres petites blessures furent également soignées, et ils discutèrent de la suite à donner. Geralt, une fois réveillé, annonça immédiatement qu'il retournait au sud et qu'il n'irait pas voir les nains. Leur planning devenait impossible à respecter avec le retard pris, sans parler de l'hypothèse d'une future attaque dans les Monts de Fer s'ils poursuivaient - à quatre - jusque-là. Sans oublier que les blessures restantes nécessitaient une allure bien plus modérée pour guérir convenablement. Entre les nains et les seigneurs des Éothraim, il fallait choisir, et Mordin lui-même fut le premier à dire qu'il accompagnerait Geralt vers le sud : ils n'iraient pas voir les siens.

Les cadavres des bandits furent dépouillés, leurs armes et armures pouvant servir pour l'armée nordique, et l'arc magique de Dieraglir fut remis à Geralt. C'était un arc composite métallique comme ceux que faisaient autrefois les Númenoréens, et il était couvert de runes. Selon Drilun, qui les avait examinées, les traits qu'il lançait devaient être particulièrement mortels pour les cibles de race humaine. L'homme avait également un petit carquois d'une dizaine de flèches spéciales, dont l'archer-magicien dunéen pensait qu'elles étaient enchantées pour tuer des félins. Si Vif avait été transformée plus tôt, elle aurait pu avoir une bien mauvaise surprise. La question se posa de garder ou détruire ces flèches : elles pourraient peut-être servir contre Tina/Tevildo. Mais si jamais celui qui les portait était manipulé magiquement, la Femme des Bois risquait d'avoir des problèmes...

8 - Empoisonnement
Le groupe reprit donc la Men-i-Naugrim en direction du sud-ouest, au pas. Après avoir versé une larme pour Polochon, Geralt fut enchanté de son nouveau cheval et du nom qui lui avait été donné. Quatre des chevaux étaient montés et les six autres portaient les équipements pris aux bandits qui n'avaient pu s'enfuir, tandis que Vif les suivait un peu à l'écart afin de ne pas affoler leurs nouvelles montures qui n'étaient pas habituées à son odeur. Ils ne firent aucune rencontre d'importance sur la route, et, une fois le soir arrivé, ils se mirent en quête d'une ferme disposée à les accueillir. Mordin estimait qu'ils avaient couvert la moitié de la distance qui les séparait du gué sur la Celduin.

Après avoir repéré une ferme habitée qui pourrait faire l'affaire, la féline Femme des Bois s'isola avec Isilmë, qui utilisa sa magie pour la plonger dans un profond sommeil récupérateur - elle aussi avait besoin de repos. A la ferme, les gens étaient plutôt méfiants suite à la Grande Peste et aux (trop) nombreux bandits qui écumaient les chemins depuis ces temps funestes. L'accueil ne fut pas très chaleureux au premier abord, mais Drilun sut convaincre qu'ils venaient en paix et qu'ils ne feraient aucun mal à leurs hôtes, ils les paieraient même. Une fois l'accord obtenu, Geralt alla directement trouver assez de paille pour dormir confortablement et on ne le vit plus.

Ses trois amis partagèrent le repas avec le reste de la maisonnée et ils furent reconnus pour qui ils étaient. Non seulement des bruits avaient couru jusqu'ici concernant les vainqueurs du tournoi des Éothraim, mais Brogdin était passé par ici le jour même et il avait parlé d'eux. Les aventuriers durent répondre aux nombreuses questions de leurs hôtes, puis ils allèrent se coucher, après avoir remis en cadeau, en échange de l'accueil, l'épée d'un des bandits ainsi qu'une pièce d'argent. Puis ils s'endormirent aux côtés de Geralt, tandis que la fatigue d'une journée bien chargée se faisait sentir et réclamait son dû.

Au petit matin, néanmoins, certains furent réveillés par des cris et gémissements venant de la ferme, mais aussi par les nœuds douloureux que faisaient les entrailles de Drilun et Isilmë. Mordin, pour sa part, sentait bien quelque chose, comme une digestion un peu difficile, mais il n'était pas plus affecté que cela. Au contraire des fermiers, dont certains étaient fort malades, et dont le plus jeune, âgé de deux-trois ans, était mort pendant son sommeil. Après la peste encore très présente dans les mémoires, c'était un nouveau coup dur pour les habitants du lieu qui ne comprenaient pas ce qu'il se passait. Néanmoins, lorsque Geralt eut reniflé les restes de nourriture, il confirma vite ce que tous avaient deviné : la nourriture avait été empoisonnée.

Isilmë utilisa sa magie pour tenter de soigner les habitants de la ferme, de même que ses deux amis et elle-même. Elle dut s'y reprendre à deux fois et utiliser la larme de Yavanna pour amplifier ses pouvoirs de guérison, car le plus jeune enfant affecté encore vivant était mourant. Puis, en fin de matinée, après avoir surveillé toute la maisonnée, elle eut enfin la certitude qu'ils étaient tous sortis d'affaire. Elle aurait bien voulu rester encore car le plus jeune enfant, s'il récupérait petit à petit, était encore très faible. Mais ses amis lui firent comprendre qu'ils avaient encore une longue route devant eux.

Tandis qu'elle soignait, le Dunéen était allé retrouver Vif et l'avait mise au courant de ce qui s'était passé. La lionne magique avait alors parcouru les alentours de la ferme et elle avait trouvé ce qu'elle cherchait : des traces de pas qui dataient sans doute de la veille au soir. Elles allaient jusqu'à la ferme puis en revenaient, jusqu'à un endroit où attendait un cheval, qui était ensuite parti au pas, puis plus loin au galop. La féline Femme des Bois demanda alors que Drilun montât sur elle pour suivre les traces, qui les amenèrent, deux heures plus loin, à des traces plus grosses. La magie de l'archer-magicien le laissa entrevoir qui avait participé à la réunion : une redoutable créature ailée qu'ils avaient déjà rencontrée, montée par un probable Dúnadan dont Vif ne se souvenait que trop bien et qu'elle estimait être Sakal, l'assassin du Nécromancien et un redoutable arbalétrier ; et un nordique barbu et blond dont l'attirail faisait terriblement penser à l'un des Maeghirrim. Mais les traces étaient déjà vieilles et continuaient ensuite vers Esgaroth, et il avait fallu rejoindre les autres à la ferme.

9 - Faune et flore de la Forêt Sombre
Le même matin où ses amis découvraient qu'ils avaient été victimes d'un empoisonnement, à l'exception notable de Geralt (qui s'en trouva fort aise et le fit savoir) et de Vif, Rob, plus au sud, repartait en Forêt Sombre à la recherche d'herbes médicinales ou utiles. Cette fois-ci, il s'enfonça encore plus loin dans la forêt, toujours aussi discrètement, se concentrant sur les substances les plus rares et utiles. Dans l'après-midi, en particulier, il tenta de trouver d'autres de ces vipères spéciales dont les glandes donnaient des remèdes miraculeux, les "dons-de-vipère". Mais il eut beau fouiller, il n'en trouva aucune. Lorsqu'il se rendit compte que le soleil déclinait, alors qu'il se gavait de framboises et de merises avant de rentrer, il était bien trop tard pour rentrer. C'est alors qu'il entendit les premiers loups.

Il avait beau être discret, il n'en laissait pas moins une odeur tout à fait à la portée de l'odorat des canidés. Ces derniers, le soir tombé, devenaient plus actifs et ils trouvèrent que l'odeur du hobbit était fort alléchante, et qu'il ferait certainement un bon dîner pour leur harde. Ils furent bientôt sur ses traces, et Rob comprit vite que son retour à Buhr Widu était quelque peu compromis. Il trouva un arbre dans lequel il serait facile de grimper et il fut vite juché à plusieurs mètres de hauteur, hors de portée des loups. Néanmoins, ceux-ci ne se privèrent pas de tourner autour de l'arbre où il s'était réfugié, comme s'il était un fruit mûr qui ne tarderait pas à tomber. Jusqu'au moment où il prit son arc et abattit deux d'entre eux.

Ils s'éloignèrent alors, hors de portée de ses flèches, mais il sentait bien qu'ils n'étaient pas loin et qu'il devrait passer la nuit dans l'arbre. Il se demanda alors s'il n'y avait pas d'araignées géantes à proximité, et commença à regretter son excursion. Mais faute d'autre solution, il s'aménagea une couche dans l'arbre, de même que divers mécanismes pour le réveiller en cas de visite inopinée. On n'est jamais trop prudent, d'autant qu'il pouvait difficilement compter sur ses amis pour le retrouver en cas de problème. Mais la nuit se passa sans incident notable, si ce n'est les nombreux yeux animaux qui brillaient dans l'obscurité et qui le fixèrent pendant tout le moment où il restait éveillé.

Le lendemain, les loups semblaient bien partis en quête d'une proie plus facile et il put redescendre. Il reprit alors sa recherche d'herbes médicinales et trouva notamment quelques plantes rares dont les propriétés curatives étaient importantes. Puis, par chance, il croisa à nouveau le chemin d'une petite vipère aux glandes miraculeuses. Il l'abattit d'une flèche et récupéra sans mal ses deux glandes à venin. Enfin, alors que l'après-midi touchait à sa fin, il se décida à rentrer, non sans quelques détours pour se remplir l'estomac çà et là. Hobbit il était, hobbit il restait ! Et cette fois-ci, il avait pris assez d'avance pour ne pas être surpris par la tombée de la nuit.

Il n'eut aucun mal à retrouver son chemin et en particulier le sentier qui menait à l'est, en dehors de la forêt. Le retour fut dénué de toute surprise, bonne ou mauvaise, et il atteignit la lisière de la forêt alors que le soleil commençait à se coucher derrière elle. Sur les plaines qui le séparaient de Buhr Widu, il récolta quelques champignons et autres denrées comestibles, puis contourna la ville pour se diriger vers la ferme où les hommes de Rult et ses amis étaient hébergés. Amis qu'il eut justement le plaisir de voir revenir sur leurs chevaux, alors que la nuit était pratiquement tombée. Mais les cinq mercenaires partis avec eux n'étaient pas présents, ses amis - et leurs chevaux - semblaient fatigués, et il se demanda si certaines des montures n'avaient pas changé...

10 - En attendant les seigneurs
En effet, la veille, les cinq aventuriers avaient galopé (ou couru, pour Vif) tout l'après-midi pour rejoindre le gué sur la Celduin avant la tombée de la nuit. Ils y avaient retrouvé les cinq hommes de Rult qu'ils avaient envoyés là, un peu surpris de voir leurs commanditaires revenir plus tôt que prévu. Le lendemain, après un petit déjeuner à l'aube, le gué avait été franchi. Puis ils avaient laissé les chevaux en surnombre aux mercenaires afin de descendre au plus vite, en un galop rapide, vers Buhr Widu. La distance était de 215 miles (près de 350 km) et il faisait beau. A la vitesse moyenne d'environ vingt miles à l'heure (~ 32 km/h), ils réussirent à couvrir la distance dans la journée, avec quelques pauses pour souffler ou laisser boire les bêtes. Mais ils ne ménagèrent ni leurs corps ni leurs montures, et encore fallut-il l'aide de la magie des soins d'Isilmë pour aider à supporter la fatigue de ce dur et rapide voyage. Drilun avait des plaies aux fesses en descendant de selle, et l'elfe n'avait peut-être jamais eu aussi mal de sa vie tellement son corps lui était douloureux.

Peu avant leur arrivée à Buhr Widu, la Femme des Bois s'était également isolée avec Isilmë afin de tester un effet de la larme de Yavanna. Elle avait déjà constaté que cette dernière l'empêchait de se transformer si elle restait à son contact. Mais que se passerait-il si elle la touchait alors qu'elle était déjà transformée ? Comme soupçonné, le chat en elle battit en retraite et son corps reprit rapidement forme humaine, même si cette transformation précipitée n'était pas sans entraîner une certaine fatigue nerveuse. Ce qui était très intéressant : la larme pourrait servir si jamais le chat prenait trop de place en elle et submergeait l'esprit humain de Vif, mais aussi pour éventuellement libérer Tina, qui n'était qu'une petite humaine contrôlée par l'esprit de Tevildo.

Après une bonne nuit de repos, comment fut occupée la dernière journée avant l'arrivée prévue des seigneurs cavaliers ? Tandis que Geralt flemmardait tout son soûl et que Taurgil repartait mettre le nez dans ses parchemins qui commençaient à lui sortir par les yeux, Mordin découvrait qu'il manquait un chariot complet à leurs possessions. Toutes les armes et armures de qualité prises sur les Sagaths d'élite qu'ils avaient combattus au château de Forpays avaient disparu ! Des centaines et des centaines de pièces d'or envolées ! Le Dúnadan étant déjà bien occupé à autre chose, c'est le hobbit qui eut l'heur de lui expliquer le pourquoi de la chose et le fait que Mahrcared était reparti avec. Par humour ou excès d'imagination, Rob préféra inventer une histoire invraisemblable de "poule géante" qui était venue tout prendre, puis de Gandalf qui était passé par là. En oubliant un peu vite que d'une part, Mordin n'était pas né de la dernière pluie, peut-être contrairement au hobbit lui-même ; d'autre part, il supportait très mal tout manque de respect à son égard, et qu'il pouvait parfois s'emporter violemment s'il trouvait qu'on se moquait de lui... comme dans le cas présent.

Rob, qui n'était pas bien lourd alors que Mordin était costaud même pour un nain, se retrouva bientôt suspendu en l'air au bout des bras de son ami, bien que ce dernier terme puisse être sujet à débat. N'ayant pas compris que les plaisanteries les plus courtes sont souvent les meilleures, il découvrit brutalement que la tête du nain était plus dure que la sienne. Et encore, Mordin avait pris soin d'enlever son casque en premier. Puis il laissa le hobbit se remettre de sa blessure pour apprendre par d'autres ce qui s'était réellement passé. Bientôt soigné, le hobbit passa tout l'après-midi - le matin avait été consacré aux herbes ramenées pour les transformer en potions de soin - pour réaliser un excellent plat cuisiné à base de champignons et d'herbes fines. Du coup, il n'y en eut que pour le nain qui trouva le plat tout à fait excellent et pardonna à son petit ami facétieux... au moins en partie. Il lui avait aussi fait signer - d'une croix, car Rob ne savait ni lire ni écrire - une reconnaissance de dette de plusieurs centaines de pièces d'or.

Drilun, de son côté, aurait bien voulu terminer la veste de cuir spécial destinée au nain, mais il n'avait pas les compétences nécessaires pour travailler un tel cuir. Par malchance, ni Bronwyn ni Atagavia n'étaient présents ce matin-là et les deux artisans susceptibles de l'aider avaient du travail par-dessus la tête et refusaient de se laisser détourner de leur labeur pour la préparation de l'effort de guerre du clan. Il occupa alors la matinée à tracer des runes sur une cape de cuir normal et la rendre plus résistante, ce dont Vif ne se plaindrait pas tant qu'elle resterait sous forme humaine. L'après-midi, le chef des Waildungs revint et Geralt et Mordin parvinrent à l'arracher quelques minutes à une discussion avec ses capitaines et lieutenants. Atagavia, soucieux de son peuple, déclara aux deux amis qu'il n'était pas sûr que s'occuper d'une veste pour le nain permettrait de sauver plus de vies que si plusieurs hommes avaient de meilleurs selles ou armures de cuir. Il consentit tout de même à parler aux artisans si les aventuriers réussissaient, sans doute le lendemain, à obtenir des quatre autres seigneurs cavaliers qu'ils consacrent le maximum de troupes à l'effort de guerre.

Trois des seigneurs arrivèrent en fin de journée voire début de nuit avec quelques dizaines de cavaliers comme escorte. Mais les aventuriers ne les virent pas, même s'ils furent prévenus de leur arrivée. L'arrivée des deux derniers était prévue pour le lendemain matin, dont Mahrcared pour qui les discussions avaient déjà eu lieu. La réunion aurait donc lieu le lendemain en cours de matinée. En revanche, Taurgil, en fin de journée, put enfin présenter à ses amis le résultat de ses recherches d'une semaine à travers les papiers ramenés de Dol Guldur. Pas qu'il ait réponse à toutes les questions qu'il se posait, et il aurait encore pu passer des semaines pour essayer de mettre bout à bout tous les éléments et d'en déduire les informations les plus utiles. Son travail, bien que pénible, s'avérait loin d'être anecdotique, et il en résuma les principaux enseignements.

11 - Sombres secrets
Du côté des espions du Nécromancien, Drilun avait déjà trouvé des listes de noms au sein des tribus des Éothraim, de même qu'à Forpays. La mention d'un indicateur au sein de la garnison de Thorontir fut à nouveau repérée par Taurgil, mais quelques nouveaux noms apparurent ailleurs, plus au nord. Pas chez les Gramuz : il avait juste trouvé que les bandits fournissaient des informations ou de l'aide, comme ceux de Dieraglir, dont l'emplacement du camp était révélé dans les papiers, non loin du site de l'embuscade subie peu auparavant. En revanche, chez les nordiques urbains des villes de Londaroth, Esgaroth ou Dale, la gangrène était bien présente : un certain Gristlung à Lacville, mais également un certain "bouffon". Sans oublier, pour cette même ville, l'aide possible des contrebandiers et de Vormenric, marchand peu scrupuleux dont Mordin avait entendu parler. Le nom de Woedwyn était cité à Londaroth avec un groupe de contrebandiers, et il semblait que le culte développé par les Maeghirrim avait une très bonne implantation au sein d'une des cinq tribus nordiques de Dale.

Ces mêmes Maeghirrim ("Seigneurs Transperçants") avaient un rôle essentiel dans le Rhovanion. Ils maintenaient un réseau d'espions au bénéfice des agents du Nécromancien, et développaient de sombres idées et le rejet de la paix au sein du Culte de la Longue Nuit. Quelques-uns d'entre eux étaient censés participer au convoi et peut-être le commander. Ils disposaient parmi eux d'un "assassin" du nom de Haed qui voyageait beaucoup pour ses sombres missions. Peut-être était-ce le sorcier empoisonneur dont les aventuriers avaient croisé la route sans le voir peu auparavant. C'est lui qui aurait ramené Narmirë à leur camp des Monts de Fer, en un lieu escarpé gardé par des fanatiques. Cette elfe, fille du chef de Celebannon, du nom d'Ohtar, semblait ne pas avoir été torturée et sacrifiée pour des raisons inconnues, ce que désapprouvait l'auteur des notes lues par Taurgil - Grimburgoth ou autre membre des Maeghirrim peut-être.

L'organisation du convoi était à peu près présentée mais il manquait des détails comme la taille exacte de ses membres. Au centre se trouvaient de nombreux chariots, de l'ordre d'une centaine au moins, entourés par de nombreux chevaux - plus de mille sans doute - autant gérés que surveillés par peut-être autant de Sagaths à cheval, vers l'extérieur du convoi. A plus grande distance encore devaient rôder orcs et loups, sans oublier des éclaireurs orientaux ou groupes de chasseurs, sans parler de quelques rôdeurs noirs dont le nom était mentionné. Le nom de Maeghirrim ou de sorciers (étaient-ce les mêmes, ou d'autres ?) apparaissaient comme les dirigeants, mais le nom d'Haed figurait parfois aussi, de même que la mention de l'assassin de Dol Guldur, qui faisaient penser à des superviseurs.

Le déplacement du convoi était prévu pour durer trois mois : un mois pour atteindre les plaines et collines entre Forêt Sombre et Montagnes Grises ; un mois pour arriver jusqu'à la haute vallée de l'Anduin et passer sous la protection des orcs de Gundabad ; et un mois pour franchir les Monts Brumeux et arriver jusqu'à Carn Dûm, capitale d'Angmar et siège du roi-sorcier. Les chariots et chevaux ne devaient circuler que de jour, sur une distance moyenne d'une vingtaine de miles chaque jour, possiblement moins en cas de terrain accidenté. L'essentiel de la nourriture pour le trajet était censé avoir été réuni avant le départ et en grande partie porté par les cavaliers sagaths eux-mêmes, ou complété au cours du trajet ; Mordin évoqua les inévitables morts de chevaux au cours du voyage.

Ce convoi géant semblait être une réponse aux attaques répétées de trois dragons : Bairanax, dragon ailé blanc-bleu et cracheur de feu, né à la fin du Premier Âge. C'était un grand amateur d'ours et de Béornides et il avait été récemment blessé suite à sa confrontation avec un dragon plus puissant. Culgor (rouge et or), petit frère de Haurnfile (gris-rouge), sa sœur aînée, étaient deux jeunes dragons sans aile ni souffle enflammé, nés au cours du Second Âge. Ils passaient leur temps à se battre suite au vol du trésor de la sœur par son frère, ce que l'aînée n'avait jamais pardonné et continuait à lui faire payer chaque fois qu'elle le pouvait. En conséquence, le petit frère avait un tempérament de couard face à sa sœur, mais en revanche il avait développé une rapidité à la course supérieure à celle des chevaux, et il savait étonnamment bien grimper aux parois rocheuses pour un ver de sa taille.

Si d'autres dragons étaient parfois évoqués, bizarrement ils ne semblaient pas s'intéresser à ce qui se passait au sud des montagnes. Mais les trois mentionnés étaient déjà bien assez suffisants pour détruire et piller plus des trois quarts des précédents convois. D'où l'idée d'un convoi exceptionnel qui serait suffisant à Angmar pour renverser l'Arthedain et envahir tout l'Eriador. Et en plus de la force de leur armée voire de leurs sorciers, peut-être insuffisants face aux trois dragons, des écailles des trois monstres avaient été recueillies. Elles avaient permis de faire des pierres d'appel, qui visaient en particulier les deux plus jeunes, qui ne pensaient qu'à se courir après ou fuir quand ils étaient en présence l'un de l'autre. Quant à Bairanax, sa pierre d'appel se doublait d'une pierre de douleur et permettait à un sorcier d'utiliser ses sorts, peut-être de manière amplifiée, sur le dragon. Pour toutes ces raisons, les pierres magiques seraient sans nul doute aux mains des sorciers ou Maeghirrim.
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Niemal
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Horselords - 38e partie : soutiens en tous genres

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1 - Cailloux et devin
Après une nuit sans histoire et un paisible petit déjeuner, un messager nordique venu de Buhr Widu se présenta à la ferme où les aventuriers avaient élu domicile. Il annonça que les derniers seigneurs étaient arrivés - l'un en milieu de nuit et l'autre au petit matin - et qu'un conseil commencerait bientôt, le temps pour le dernier arrivé - Mahrcared - de se rafraîchir un peu après une chevauchée rapide comme il aimait les faire. Les aventuriers étaient bien évidemment conviés à participer pour discuter de l'effort de guerre et des modalités de l'attaque du convoi. Ils étaient les mieux informés de tous et cette expédition militaire était à leur instigation, leur présence était donc nécessaire. Et il fallait essayer de pousser les quatre derniers seigneurs Éothraim à fournir le plus de cavaliers possible.

Geralt dormait encore, mais ses amis ne le réveillèrent pas tout de suite. Drilun souhaitait en effet interroger sa magie divinatoire à l'aide de ses cailloux avant de se présenter au conseil. Ils auraient ainsi une meilleure idée de ce qu'il faudrait dire quant aux prochaines opérations. D'autant que cette magie lui était de plus en plus facile et requérait moins d'efforts avec le temps. Ce qui ne l'empêcha pas, au cours de ses divinations, d'attraper un mal de tête carabiné : la magie était un art difficile et parfois douloureux... Par ailleurs, sonder l'avenir à travers des cailloux lancés en l'air au-dessus d'une ligne tracée au sol semblait simple en apparence, mais interpréter correctement les résultats était parfois un art périlleux, le résultat n'amenant parfois que de nouvelles questions au lieu de réponses claires.

Une série de questions concerna les pierres magiques qui permettraient d'appeler les dragons. Où seraient-elles bientôt ? Très certainement en possession de sorciers et sans doute des Maeghirrim, mais plus précisément ? Elles pouvaient être une arme formidable pour les sorciers ennemis, et il fallait vite savoir s'il était possible de les subtiliser à leurs propriétaires ou à quel moment et comment ils étaient susceptibles de s'en servir. Les cailloux furent clairs là-dessus : les pierres étaient dans les Monts de Fer, sans doute aux mains des Maeghirrim, mais elles partiraient très bientôt et seraient au sein du convoi d'ici quelques jours. Et elles y resteraient sans doute, plutôt que de voyager en possession de quelque agent à leurs trousses ou autre espion envoyé surveiller l'armée nordique. C'était une fameuse épine dans le pied des aventuriers : si jamais leur armée arrivait à temps pour bloquer la route du convoi, il serait facile aux sorciers d'appeler un voire plusieurs dragons qui trouveraient en premier les nordiques sur leur chemin.

Des questions portèrent sur les capacités guerrières des dragons et tout particulièrement de Bairanax, jugé le plus dangereux. En effet, même s'il était blessé, il pouvait voler et arriver rapidement, et cracher du feu. Quelles étaient la portée de son souffle et sa fréquence d'utilisation ? Les réponses apportées par les cailloux ne furent pas les plus simples à interpréter, ce qui fit dire à certains que les dragons étaient protégés de la magie divinatoire. Il semblait toutefois que le dragon pouvait brûler des adversaires à une distance égale à la moitié d'une portée de flèche, et qu'il pouvait utiliser cette arme magique bien plus souvent que les aventuriers n'avaient espéré. Côté points faibles, les cailloux ne permirent pas de déterminer avec certitude l'emplacement éventuel où le dragon avait une faille dans son armure. Beaucoup prédisaient que ce serait sur le dessus de la bête, ce qui serait plutôt peu commode pour des archers au sol face à la bestiole. Certains parlèrent avec humour d'utiliser une catapulte pour envoyer le hobbit au-dessus de la bête, mais aucune solution concrète ne fut avancée pour permettre une victoire facile ou au moins sûre face à un tel monstre, même blessé.

D'autres questions portèrent plutôt sur les agents chargés de leur mettre des bâtons dans les roues, comme l'assassin du Nécromancien, du nom de Sakal, ou celui des Maeghirrim, qui portait le nom de Haed dans les papiers trouvés à Dol Guldur. Combien étaient-ils, de quels modes de voyage (aériens en particulier) disposaient-ils, où se trouvaient-ils et surtout où se trouveraient-ils bientôt ? Il semblait que seul l'un d'entre eux - Sakal - disposait d'une créature ailée capable de l'emmener dans les airs. Les deux individus précités ne seraient pas forcément tout le temps collés à leurs talons, mais les cailloux suggéraient qu'ils ne seraient pas forcément très loin. Il n'était pas toujours facile de bien interpréter le résultat des cailloux, peut-être parce que l'avenir n'était pas forcément inscrit dans le marbre et que leurs adversaires essaieraient de s'adapter à eux, faisant peut-être usage des mêmes moyens qu'eux pour orienter leurs actions. Nombreux étaient les sorciers parmi eux, et Drilun n'était pas forcément le seul à pouvoir faire des divinations.

2 - Diplomatie et cavaliers
Mais le temps passait et les seigneurs allaient finir par s'impatienter. L'archer-magicien mit donc fin à ses arts magiques divinatoires pendant que ses amis réveillaient Geralt. Ils se dépêchèrent de gagner Buhr Widu et en particulier la petite salle de conseil de la longère des princes waildungs. Ils y étaient attendus, et Atagavia les invita à se présenter, non sans montrer une certaine impatience. En plus du prince des Waildungs et de ses enfants, Bronwyn et Aldoric, les cinq autres princes des plaines étaient là : Mahrcared, chef des Ailgarthas ; Fadared, chef des Algifryonds ; Driuganic, chef des Gadraughts ; Itanulf, chef des Brotharas ; et enfin Paidacer, chef des Widureiks. Chacun était accompagné d'un conseiller qui semblait être systématiquement un capitaine d'expérience. Assemblée essentiellement masculine et militaire, seules trois femmes figuraient parmi les vingt personnes présentes : la fille d'Atagavia, l'elfe et la Femme des Bois.

Tandis que chaque aventurier se présentait aux nordiques, Geralt et Vif notèrent que l'intérêt des seigneurs n'était pas le même pour tous : Mahrcared semblait réagir positivement à Geralt avant tout autre, sans doute en reconnaissance de ses talents de guerrier. Fadared, souvent en contact avec des nains, était plus attentif aux paroles de Mordin, tandis que Driuganic réagissait plus à la présentation de Drilun, dont la magie avait sauvé bien des siens. Itanulf, proche des Gondoriens, écoutait ou échangeait plus avec Taurgil ou Isilmë, alors que Paidacer faisait des signes amicaux à Vif. Personne ne se souciait du hobbit par contre, au grand dam de ce dernier qui essaya d'attirer l'attention à lui... jusqu'à ce que Vif eût menacé de le faire sortir s'il ne se taisait pas. Par la suite, le rôdeur dúnadan, considéré d'une certaine manière comme le principal représentant des ambassadeurs d'Arthedain, présenta la situation, les forces en présence et les risques possibles. Il fut parfois soutenu par Geralt entre autres, notamment lorsqu'il fallut répondre aux questions concernant les bruits au sujet de leur expédition à Dol Guldur. Cela semblait tellement invraisemblable qu'il fallut les talents oratoires du maître-assassin, et la confirmation de Bronwyn, pour faire admettre que ce n'étaient pas des racontars de taverne.

Le portrait brossé par Taurgil était assez sombre : il estimait les forces adverses à des milliers de Sagaths et autant d'orcs et de loups, ce qui rendait toute attaque sur une telle armée pratiquement suicidaire. Néanmoins, les capacités magiques ou guerrières des aventuriers, et leur assurance que la victoire était à leur portée, empêchèrent tout rejet en bloc. Sans compter qu'Atagavia et Mahrcared mettaient déjà neuf cents de leurs guerriers dans la balance. Driuganic, chef d'une tribu assez guerrière, eut néanmoins besoin de davantage d'éléments pour estimer la faisabilité d'une telle opération, tellement les risques semblaient énormes et les délais si courts - l'armée devait être prête avant une semaine ! Il fallut la persuasion de Drilun mais aussi quatre cents pièces d'or de Mordin pour emporter l'adhésion de l'homme. Sans parler d'une liste d'espions et informateurs remise à chacun des chefs. Elle montra l'étendue des moyens des aventuriers, qui avaient trouvé ces informations à Dol Guldur, et l'avancée de leurs préparatifs. Driuganic déclara alors que quatre cents cavaliers participeraient à l'effort collectif.

Fadared, chef des Algifryonds, regretta que les aventuriers n'eussent pu voir les nains des Monts de Fer afin de leur garantir du matériel de qualité pour leurs troupes. Mais il fut sensible au rappel des exploits passés des aventuriers, en particulier la prise d'Ilanin lorsqu'ils étaient passés par chez lui. L'assurance de Mordin (et son or) acheva de le convaincre que malgré les risques il avait tout intérêt à donner le maximum. Après une transaction de trois cents pièces d'or en sa faveur, il déclara qu'il ferait lui aussi le maximum en un temps aussi court. Moins nombreux et guerrier que les trois autres avant lui, son clan fournirait à peu près trois cents cavaliers dans les délais impartis. Ce qui, de ce qu'en savaient les aventuriers qui connaissaient un peu la région, était un effort tout à fait notable et aucunement une reculade par rapport aux autres.

La tribu d'Itanulf, plutôt protégée par les Gondoriens, avait une tradition encore moins martiale que celles des précédentes tribus qui venaient de fournir, à quatre, mille six cents hommes et chevaux. Malgré l'accord passé du régent Vagaig de surveiller les frontières contre d'éventuelles incursions de Sagaths ou Brygaths sur ses terres, il regretta que le Gondor ne participât pas plus activement à leur expédition. Même si leurs moyens humains étaient limités, leurs troupes et équipements étaient de qualité, et leur présence sur le champ de bataille aurait un impact non négligeable sur le moral des nordiques, qui se sentiraient soutenus. Taurgil s'engagea à aller le voir pour en discuter, et deux cents pièces d'or de Mordin achevèrent d'emporter son adhésion, même si sa participation - même maximale - serait moindre. Mais deux cents cavaliers seraient toujours une force à ne pas négliger.

Enfin, Paidacer pointa du doigt la vulnérabilité de sa tribu face aux orcs qui pourraient vite revenir. Il avait appuyé Geralt quant à ses capacités de maître ès maquillages qui avaient servi pour pénétrer Dol Guldur. En effet, ses gens qui avaient été sauvés par les aventuriers avaient pu constater par eux-mêmes à quel point le maître-assassin pouvait faire passer des vessies pour des lanternes à des orcs grâce à ses talents. Mais plus que tout, et même plus que les deux cents pièces d'or offertes par le nain après coup, ce fut d'abord le discours convaincant de Vif qui emporta son enthousiasme. Il faut dire qu'elle avait été particulièrement motivée et que Geralt ou Drilun auraient eu bien du mal à être plus convaincants qu'elle. Paidacer offrit donc les services de deux cents cavaliers, pour un total de deux mille guerriers à cheval pour l'ensemble de l'armée nordique.

3 - Aides et préparatifs de dernière minute
Le conseil allait continuer encore un moment, mais les aventuriers considérèrent vite que leur rôle était terminé. Ils avaient convaincu les seigneurs de donner le maximum, de leur faire confiance, malgré des risques énormes et peut-être pas tous bien identifiés. Le reste des discussions porterait pour l'essentiel sur des détails concrets de gestion des armées qui ne les concernaient pas vraiment. En revanche, beaucoup de choses restaient à faire avant le départ des cavaliers d'ici quelques jours, et ils s'éclipsèrent. Le temps étant compté, personne ne pensait rester inactif et tous discutèrent de la meilleure manière d'optimiser le temps qui leur restait. Ce qui n'alla pas sans débat.

Conformément à sa promesse, Atagavia demanderait sans doute bientôt à ses artisans d'aider Drilun à terminer l'armure de cuir spécial pour Mordin. De plus, comme il s'y était engagé, Taurgil comptait bien aller voir le régent du Gondor à Thorontir pour lui demander si une participation était envisageable. Problème : c'était à au moins deux cent cinquante miles au sud, ce qui prendrait bien deux jours au galop en temps normal, si le temps restait au beau. De son côté, Vif émit l'idée d'embaucher des voleurs de Forpays pour les aider à protéger l'armée des mauvaises surprises : il y avait des experts en poisons chez leurs ennemis, comme ils l'avaient déjà constaté. Des voleurs avertis et à l'œil vif pourraient peut-être éviter de futurs empoisonnements.

Tout le monde était d'accord sur l'utilité d'aller voir le régent Vagaig, mais moins sur leur capacité à faire cela dans les temps. Cela signifiait qu'il fallait partir tout de suite et galoper à bride abattue, et il n'était pas sûr que tous supporteraient la chose, en particulier Rob et Isilmë, voire Vif. Cette dernière pensait de toute manière s'arrêter en chemin - Buhr Waldlaes était sur la route qui menait à Thorontir - et laisser ses amis continuer sans elle. Elle parla néanmoins de garder les services du nain pour discuter le bout de gras avec les voleurs et obtenir un prix plus acceptable que ce qu'elle pourrait négocier. Et dans le voyage vers Thorontir, il fallait penser à du temps pour l'entretien avec Vagaig, et un retour certainement pas au triple galop.

Geralt s'emporta assez vite : ses amis parlaient d'éclater l'équipe en duos qui seraient très vulnérables face à une embuscade des assassins auxquels ils avaient déjà eu affaire. Hors de question pour lui, et puis Thorontir était trop loin, ils feraient mieux de se reposer tous pour être en forme pour le combat au nord. Quand on lui fit remarquer que les problèmes étaient au nord, il rappela que l'assassin de Dol Guldur avait été rencontré non loin de Thorontir, justement. Quelques nouveaux sorts de Drilun indiquèrent que les problèmes seraient avant tout au nord, mais un éventuel déplacement au sud n'était pas exclu également. Drilun suggéra alors de faire courir le bruit aux oreilles des espions présents qu'ils partaient vers le nord, afin de diminuer les risques. Geralt proposa aussi de les déguiser, et Vif d'emmener quelques hommes de Rult avec eux jusqu'à Forpays au moins.

Après une petite interruption du conseil des Éothraim (quitté peu auparavant) pour parler de leurs projets et de la diffusion des rumeurs aux espions, ils mirent leurs plans en pratique. Mordin, Vif, Taurgil et Geralt furent grimés et quelques mercenaires furent réquisitionnés, choisis parmi les meilleurs cavaliers des hommes de Rult. La petite troupe fut bientôt partie vers Buhr Waldmarh puis Forpays. L'archer-magicien attendit la fin du conseil pour aller enfin parler aux artisans avec la famille princière, ce qui laissa Isilmë et Rob libres de mettre en œuvre ce qu'ils avaient proposé à leurs amis. Le hobbit souhaitait retourner en forêt trouver de nouveaux dons-de-vipère voire du lichen du bûcheron. Le Dunéen avait par conséquent confié son inerenerab, la boîte enchantée remise par les Hommes des Bois, en espérant que les propriétés magiques du lichen se conserveraient dedans. L'elfe et le semi-homme se mirent en marche vers la lisière de la forêt.

4 - Voleurs et cambrioleurs
Les cavaliers avalèrent facilement les miles par le temps sec et clair dont la région jouissait depuis quelques jours. Il faisait même un peu chaud, mais cela n'avait rien d'insupportable pour les cavaliers ; les chevaux, en revanche, devaient régulièrement s'arrêter pour boire. Vers le milieu de l'après-midi, la ville des voleurs fut en vue, objectif d'une grande partie du convoi. Tandis que Geralt et Taurgil poursuivaient seuls leur route vers le sud, les hommes de Rult ainsi que Mordin et Vif entrèrent dans la ville. Le nain tempêtait avec tant d'ardeur et de conviction que les rues se dégageaient à leur approche et personne ne vint troubler leur progression. Jusqu'au moment où la Femme des Bois repéra l'un des élèves de Rillit l'Écureuil non loin dans la rue qu'ils prenaient.

Le jeune homme fut hélé et il finit bientôt par s'approcher, non sans méfiance. Vif lui demanda de porter un message à son maître : les aventuriers souhaitaient le voir au plus vite. Ce à quoi l'apprenti cambrioleur tendit la main : toute peine méritant salaire, il attendait d'être payé. L'emportement de Mordin le fit détaler au plus vite : ne pas tâter de la hache du nain semblait brusquement un paiement largement suffisant ! Les amis poursuivirent néanmoins tranquillement leur progression vers le nord de la ville, jusqu'au moment où la Femme des Bois entendit, parmi les bruits de la ville, quelques mots dans sa langue à elle, qui était aussi celle de Rillit. Levant les yeux, elle vit un signe de main à une fenêtre du deuxième étage d'un bâtiment. Sur le côté de la fenêtre, des bouts de bois étaient assemblés de manière à signifier un message que tout Homme des Bois pouvait comprendre : c'était là qu'ils étaient attendus, probablement dans cette pièce au deuxième étage.

Vif descendit de cheval et en remit les rênes à un homme de Rult, puis elle grimpa prestement à la façade comme elle avait deviné qu'on l'invitait à faire. Mordin, de son côté, pesta un moment puis il fit le tour de la maison jusqu'à en trouver la porte... fermée. Hésitant à la défoncer à coup de hache et jugeant que ce serait un mauvais début pour une transaction commerciale, il remit à son tour les rênes de son cheval aux hommes de Rult en leur disant de retourner parmi les leurs, dans le quartier des mercenaires, où il les recontacterait. Puis il se mit à grimper avec lenteur, en transpirant fort et en jurant tout bas après ces foutus cambrioleurs et Hommes de Bois. Après un long moment, beaucoup d'efforts et sans doute pas mal de paris que les spectateurs eurent le temps de prendre, il atteignit enfin la fenêtre au deuxième étage. Il se laissa tomber lourdement sur le plancher d'une petite pièce où Rillit et Vif bavardaient joyeusement dans leur langue.

Une fois le nain présent, la langue commune fut adoptée et le ton se fit plus sérieux. La Femme des Bois expliqua ce qui les amenait et le marché qu'elle souhaitait voir passer avec les voleurs de Forpays : les payer - cher - contre des hommes chargés de surveiller et protéger les vivres de l'armée nordique contre de possibles empoisonnements. Ne serait-ce pas un excellent chantier - et rémunérateur - pour les élèves de Rillit ? Mais l'Écureuil ne semblait pas très motivé par cette perspective : sans même parler des risques inhérents à toute bataille et peut-être celle-là en particulier, servir de planton n'était pas l'idée qu'il se faisait d'un cambrioleur. Mais peut-être cela intéresserait-il d'autres membres du clan des voleurs de la ville, et il accepta d'en parler à ses collègues. Après un bref coup d'œil dans la rue, il plongea par la fenêtre et s'éloigna vers la forteresse des voleurs en disant qu'il reviendrait bientôt.

Mordin se rendit bientôt compte que la pièce où ils se trouvaient était verrouillée. En fait, son amie, en écoutant les bruits d'activité dans le bâtiment où elle se trouvait, comprit après un moment qu'ils étaient dans un bâtiment d'entraînement des cambrioleurs : certains étaient occupés à ouvrir des serrures, à escalader les toits et parois, ou à se déplacer de manière très discrète... mais pas assez pour elle. Ce qui fut confirmé par le chef des cambrioleurs lorsqu'il fut de retour, toujours par la fenêtre. Plus tard, il profiterait de la présence de la Femme des Bois pour mettre ses élèves à l'épreuve en leur demandant de se cacher d'elle, mais elle les trouva tous en quelques minutes, à leur grand dam. A contrario, Rillit était trop bien caché et elle ne put le trouver, tandis que lui pouvait sans mal la repérer. Il était vraiment très doué.

Mais avant cela, il y avait des voleurs à voir. Dans la petite pièce dans laquelle il était remonté, l'Écureuil annonça que Mard et d'autres voleurs acceptaient de parler avec eux, et il les invita à le suivre. Puis il plongea à nouveau par la fenêtre. Le sol était à environ six mètres du bord de la fenêtre, et Vif n'hésita pas une seconde et fit comme le chef des cambrioleurs. Elle se réceptionna sans maîtrise particulière mais sans se faire mal non plus. Mordin hésita encore à défoncer la porte avec sa hache puis il sauta à son tour. Il se réceptionna de manière très correcte - bien plus que ce à quoi il s'attendait - mais se fit tout de même un peu mal à une cheville. Il approcha donc du quartier général des voleurs en boitant un peu.

5 - Des voleurs au nez fin
Dans une grande pièce, les deux amis furent bientôt présentés à d'autres voleurs, dont le chef des escrocs Mard Neffar, qui s'exposait cette fois-ci à la vue de tous et pas juste derrière une porte. Certains des voleurs étaient connus, comme le chef des agresseurs, Hrothgar, qui ne les portait pas dans son cœur depuis qu'il avait été humilié en public. Rillit était là aussi mais il ne participa pas vraiment à la conversion, et montra plus d'une fois son désintérêt pour cette affaire. Pour l'essentiel, le gros des échanges se fit - comme toujours - avant tout entre Mordin et Mard. Tous deux étaient des marchands accomplis qui appréciaient de s'affronter verbalement et commercialement.

Après un certain temps, Mard eut une idée qu'il souhaita proposer à ses pairs et les deux aventuriers sortirent un bref moment. La discussion reprit mais elle fut plus rapide, Mard ayant manifestement trouvé un marché avantageux à proposer contre de l'or. Même si cela restait très cher, son apparente reculade - il parlait de vingt agents des voleurs au lieu de dix, et pour le même prix - mit la puce à l'oreille du nain et de son amie. Vif demanda d'ailleurs à Rillit, comme à un ami, de lui expliquer où était l'entourloupe. Après un moment, ce dernier lui confia qu'il n'y en avait pas vraiment : les voleurs avaient vraiment d'excellents gardes particulièrement bien entraînés à reconnaître les poisons ou la nourriture douteuse. Ils étaient fiables, discrets, savaient garder les choses pour eux et n'auraient même pas besoin d'un cheval comme prévu au début : c'étaient des chiens !

Suite à quelques allusions de son amie, Mordin finit par comprendre, alors que le contrat était sur le point d'être signé, que les "agents des voleurs" n'étaient probablement pas humains. Il demanda à s'entretenir avec leur "lieutenant" et après quelques questions il comprit qu'il s'agissait d'un dresseur. Néanmoins, l'homme paraissait fiable et l'idée des chiens n'était pas mauvaise, même si cela revenait très cher pour chacun d'eux. Mard avait obtenu une prime de risque de soixante pièces d'or, payables d'avance ; un coût de "services rendus" de dix pièces d'or par semaine, sans compter le prêt d'un cheval pour le dresseur ; et des frais de décès de dix pièces d'or pour chaque "agent" tué ou perdu. Le nain avait calculé que l'ensemble risquait de coûter entre deux et trois cents pièces d'or, pour des chiens !

Mais si c'était le prix pour éviter l'empoisonnement des troupes nordiques, cela n'était pas forcément un mauvais marché, et il accepta. Après tout de même un test : Vif avait sur elle une odeur de félin que les canidés supportaient mal - les chiens aboyaient à son passage et étaient agressifs. Elle voulait voir si l'homme arriverait à les tenir, et elle alla au chenil avec lui, d'où un concert d'aboiements se fit bientôt entendre. Elle revint peu après et annonça que le test était concluant : l'homme maîtrisait bien ses chiens - d'ailleurs ils étaient issus d'un croisement entre des chiens et une louve - mais il faudrait sans doute une journée pour leur apprendre à supporter son odeur à elle. Tandis que les derniers détails furent réglés et que de l'or changeait de mains, elle retourna auprès de leur maître pour commencer leur dressage à son égard.

Les deux aventuriers furent logés par les voleurs, en ville, mais pas gratuitement, et l'entraînement se passa bien. Après une journée complète, les chiens-loups n'aboyaient plus en présence de Vif, même s'ils grognaient encore parfois. Le surlendemain le groupe se reforma : les cinq hommes de Rult repartirent avec eux, et la Femme des Bois prêta son cheval au dresseur. Elle était en effet plus légère que lui et pouvait plus facilement - pour les montures - monter en croupe de quelqu'un d'autre. Le groupe de huit personnes sur sept chevaux, accompagnés par vingt chiens, fit donc route pour Buhr Widu. Ils chevauchaient à bonne allure mais largement plus tranquille que lors de l'aller, d'autant que le dresseur était tout sauf un bon cavalier, et ils arrivèrent en fin de journée.

6 - L'aide du Gondor
Mais avant leur retour, que s'était-il passé plus au sud ? Geralt et Taurgil avaient galopé et encore galopé, s'arrêtant juste pour faire souffler et boire leurs montures. A un moment, le Dúnadan avait utilisé sa magie des soins pour évacuer la fatigue des corps fourbus de leurs chevaux, mais il ne pourrait le refaire avant un moment. Puis ils étaient repartis. Le soir était tombé, et ils avaient continué à chevaucher vers le sud. Ils avaient galopé à la lumière de la lune et des étoiles, et avaient fini par atteindre la ville de Thorontir alors que la minuit ne devait pas être loin. Mais c'était la forteresse qui était leur destination, et ils repartirent vers l'est. Après une bonne douzaine de miles (~ 20 km) ils atteignirent enfin la place-forte et siège du régent de Gondor sur les terres de Dor Rhúnen.

Après avoir vigoureusement frappé au portail fermé pour la nuit, une voix les accueillit fraîchement et leur enjoignit d'aller à la ville ou d'attendre le matin. Les aventuriers haussèrent le ton, rappelant le statut de Taurgil, noble Dúnadan du Rhudaur, et rappelèrent à l'homme qu'un des leurs, du nom de Racor, s'était fait vertement tancer pour avoir joué les petits chefs. Le garde leur répondit qu'il s'en souvenait d'autant mieux que c'était lui, l'officier Racor, qu'il appréciait peu la garde de nuit et encore moins d'être réveillé. Mais il consentit néanmoins à ouvrir le portail avec l'aide d'un garde qui lui avait l'air parfaitement réveillé. Vu le moment de leur arrivée, Racor suggéra avec un sourire qu'il valait mieux ne déranger personne et que la paille des écuries conviendrait certainement bien au seigneur Taurgil Melossë... Ce dernier, épuisé, préféra ne rien répondre et partit dormir au plus vite dans l'écurie, au-dessus des chevaux.

Le lendemain matin, Geralt fut réveillé bien trop tôt à son goût par la reprise des activités du fort au petit matin. Après avoir prévenu un garde et fait un bout de toilette, les deux hommes furent amenés devant Vagaig afin de partager son petit déjeuner. Mais avant de pouvoir pleinement parler des raisons de leur arrivée en pleine nuit, le régent leur demanda des précisions sur des échos qu'il avait eus à leur sujet : les ragots disaient en effet que Taurgil et ses amis avaient pénétré dans Dol Guldur et en étaient ressortis vivants et sains d'esprit. Personne n'y croyait vraiment, mais Vagaig voulait savoir, puisqu'il en avait l'occasion, comment et pourquoi cette histoire avait été montée. Geralt dut se montrer très persuasif pour faire comprendre au régent qu'il ne s'agissait pas de bobards, et si l'homme se montra convaincu en fin de compte, il garda peut-être quelque doute par-devers lui. Puis le cœur du sujet - la campagne contre le convoi d'Angmar - put être enfin abordé.

Vagaig ne cacha pas son incrédulité devant un pareil projet, si les estimations des armées adverses étaient justes. Et encore moins l'utilité de faire participer quelques cavaliers du Gondor à cette entreprise. Néanmoins, il se montra touché par les arguments du rôdeur dúnadan, sans parler de la dette qu'il se sentait vis-à-vis des aventuriers. Il fut sensible aussi à la réflexion de Geralt qui pointa le fait que le convoi pouvait signifier la fin de l'Arthedain - puis de tout l'Eriador - face à Angmar, et que le Gondor viendrait après. En fin de compte, face au verbe inspiré de ses interlocuteurs, il accepta d'envoyer trois escouades de cavaliers participer à cette campagne militaire. Trente cavaliers seraient mis sous les ordres de Taurgil, d'ici une journée. Mais en échange, il demandait au rôdeur de consigner par écrit le maximum d'informations concernant leur passage dans Dol Guldur. De toute manière il aurait toute la journée pour cela.

Et c'est ainsi que passa la journée : tandis que Taurgil noircissait tout un rouleau de parchemin, avec parfois l'aide de Geralt, le régent donnait des ordres et choisissait les hommes à rassembler sous la bannière (fictive) de Taurgil. Au soir, les hommes lui furent présentés. C'étaient pour l'essentiel des vétérans à l'air désabusé, plutôt râleurs et critiques, mais qui avaient l'air malgré tout fiables et compétents, sans parler de leur très bon matériel - il n'y avait qu'en Arthedain que les deux hommes avaient vu mieux. Par ailleurs, au moment de quitter les hommes pour prendre du repos avant la chevauchée du lendemain, Geralt perçut tout de même leur excitation à ce changement dans leur désespérante routine. Ils mesuraient les risques à affronter, mais ils n'en attendaient pas moins cette expérience avec plaisir.

7 - Loups et araignées
Tandis que Drilun s'apprêtait à tracer des runes magiques sur du cuir spécial et que le reste de l'équipe chevauchait vers le sud, Rob et Isilmë se dirigeaient tranquillement vers la lisière de la Forêt Sombre. Les frondaisons offrirent un contraste saisissant par rapport au grand soleil qui régnait à l'extérieur. Les deux amis s'enfoncèrent dans la forêt et le hobbit, grand connaisseur en herbes et plantes, commença à chercher lichen magique et rares vipères. Il en fut pour ses frais, d'autant qu'il avait déjà cherché à ces endroits, et il comprit qu'il faudrait aller plus profond encore. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, ils étaient de plus en plus attentifs à ne pas faire de bruit, afin de ne pas susciter la curiosité de quelque prédateur qu'ils ne voulaient pas déranger.

Ils étaient toujours bredouilles tandis que l'obscurité semblait augmenter. On ne pouvait pas dire que les ombres s'allongeaient, car de toute manière la lumière directe du soleil ne parvenait pas au sol. Le soir devait donc être en train de tomber, ou alors les nuages obscurcissaient le soleil. Mais l'estomac du hobbit lui disait que la première hypothèse était certainement la bonne. Heureusement les baies et autres denrées comestibles ne manquaient pas en cette saison, et il ne ratait pas une occasion de picorer dans ce qui l'entourait. Par contre, la guerrière elfe et lui perçurent bientôt qu'ils n'étaient plus seuls : une harde de loups - peut-être une douzaine - semblait les suivre à faible distance. Même s'ils ne faisaient pas un bruit, les animaux les suivaient à l'odeur et ils n'avaient pas besoin de les voir pour les trouver.

Les canidés sauvages n'inquiétèrent pas trop les deux amis, d'autant que Rob avait déjà rencontré une telle situation auparavant. Et puis de toute manière ils étaient trop loin pour rentrer, et il ne voulait pas rester bredouille. Il entraîna donc son amie plus loin, et, alors qu'il faisait de plus en plus sombre, il crut distinguer une faible lueur plus loin dans les bois. Tout excité, il s'approcha prudemment, tandis que les loups continuaient à les suivre. Malheureusement, au moment de repérer le tronc de l'arbre sur lequel un lichen phosphorescent luisait faiblement, il aperçut également, à faible distance, des gros fils de soie et des prédateurs à huit pattes plus haut dans les branches. Un nid d'araignées géantes s'était installé à faible distance du lichen lumineux, profitant peut-être de cette lumière qui devait bien attirer quelques animaux.

Les araignées ne semblaient pas avoir repéré les deux aventuriers, très discrets, mais en revanche elles avaient perçu l'approche des loups, et elles se déplacèrent à leur rencontre. Au grand dam du hobbit et de l'elfe, qui les eurent bientôt au-dessus de leur tête. Les loups n'étaient pas stupides néanmoins, et les araignées étant manifestement trop nombreuses, ils restèrent en retrait. Du coup, la moitié des araignées revint au nid, laissant l'autre moitié surveiller ces canidés à l'attitude si bizarre. D'autant qu'ils bougeaient parfois : dès que les deux aventuriers tentaient de s’esquiver par un côté, les loups se déplaçaient de manière à être sur leur trajet. Autrement dit, ils étaient bloqués. La proximité des araignées empêchait les loups d'attaquer, et les araignées ne les avaient pas encore découverts, mais ils ne pouvaient fuir...

En fin de compte, tant qu'à être bloqué là, Rob demanda l'inerenerab à son amie. Puis il se faufila très discrètement plus près du nid des araignées géantes, jusqu'au tronc et au lichen lumineux qu'il avait repéré. Il recueillit la plante magique et revint vers son amie sans avoir été perçu par les arachnides. En revanche, lorsque la guerrière elfe ouvrit la boîte enchantée des Hommes des Bois, elle constata que la plante ne luisait plus. L'inerenerab permettait de conserver les propriétés nutritionnelles ou curatives des plantes, entre autres, mais pas une telle magie. Tout cela n'avait servi à rien ! Pire encore, ils étaient dans un sacré pétrin, d'autant qu'ils ne pouvaient espérer de l'aide de leurs amis, au loin et surtout impossibles à prévenir.

Ce pétrin fut confirmé par un nouvel élément, tandis que la nuit était maintenant bien tombée et que Rob voyait à peine sa main quand il la tendait devant lui : un bruit faible progressait dans leur direction. Un loup essayait en effet d'arriver jusqu'à eux - et en particulier au hobbit - discrètement, sans se faire voir des araignées. Bientôt il fut assez près pour bondir hors d'un buisson, droit sur le semi-homme. Mais le petit voleur avait déjà encoché une flèche et malgré l'obscurité, il traversa la tête du prédateur avec son projectile. Le loup roula non loin de lui, mort, tandis que les araignées géantes se rendaient compte qu'elles avaient des invités qui ne s'étaient pas présentés. Et elles venaient réparer la chose, tandis que les deux amis se mettaient à courir en direction des loups qui les attendaient la gueule grande ouverte...

8 - Marchandage onirique
Les loups encerclèrent vite les deux amis qui se mirent dos à dos. Grâce à leurs réflexes et leurs armures de qualité, ils ne subirent que de petites morsures sans gravité tandis que les uns après les autres, des loups perdaient la vie. Bientôt ils fuirent, mais pas devant les aventuriers, devant les araignées géantes qui commençaient à se laisser tomber. Rob et Isilmë n'eurent pas le temps d'aller bien loin qu'ils se retrouvèrent par terre avec une ou deux araignées en train de les emberlificoter dans un solide cocon. L'elfe, qui remuait beaucoup et se montrait toujours menaçante, fut bientôt mordue par deux araignées et le poison paralysant fit son effet. Après quelques minutes, les deux amis se retrouvèrent à cinq mètres de haut, dans leur cocon. Ce dernier pendait au bout d'un gros fil d'araignée, lui-même attaché à une branche cinq mètres plus haut encore...

Isilmë était inconsciente voire morte, ou en tout cas elle ne réagissait à aucun de ses propos. Rob se tourna alors vers le seul être susceptible de les aider, comme il l'avait déjà fait par le passé. Au plus profond de sa tête, il appela le Prince des Chats à la rescousse, durant de longs moments. Sans réponse aucune. Alors qu'il commençait à désespérer, une voix amusée dans sa tête lui demanda ce qu'il désirait. Bien entendu, Tevildo, en échange de la mort des araignées et de leur libération, réclama que le semi-homme s'ouvrât à lui afin de renforcer le lien qui les unissait. Ce que fit Rob un moment, mais bientôt il réagit et refusa de laisser l'esprit venir encore plus profondément en lui et tout apprendre à son sujet. Le Prince des Chats insista un peu et Rob le laissa entrer un peu plus en lui avant de le rejeter.

En parallèle, Isilmë, dans son coma, faisait elle aussi la rencontre de l'esprit de Tevildo. Ce dernier joua sur ses peurs, non de mourir, mais de causer un énorme chagrin à Drilun. Certainement ce dernier serait-il effondré de ne pas revoir la belle elfe qu'il aimait profondément, de se douter de son funeste destin sans jamais en avoir le cœur net, d'espérer son retour et d'être éternellement déçu... L'elfe pleura dans son inconscience et son esprit fut une proie facile pour le Prince des Chats, qui obtint d'elle la même chose que ce que son petit ami avait donné. Il avait fait d'une pierre deux coups, et pénétré aussi profondément dans l'âme des deux aventuriers qu'il ne l'avait jamais fait auparavant en une seule fois ! Ces crédules créatures avaient été faciles à berner, trop faciles même, cela en gâchait presque son plaisir...

Mais il était temps de remplir sa part du contrat. Cela faisait déjà un moment que ses serviteurs s'étaient rassemblés non loin. Sur un ordre de sa part, un puma, plusieurs lynx et de nombreux chats sauvages se jetèrent sur les araignées depuis les branches des arbres où ils s'étaient cachés. Surprises et submergées sous le nombre, elles furent bientôt mises en morceaux et aucune n'en réchappa. Le bruit du bref combat s'acheva bientôt, et le hobbit entendit les félins s'éloigner, et puis plus rien. Mais il n'était pas libéré pour autant ! Par ailleurs, son arc et ses flèches, mais aussi sa dague, avaient été perdus dans le combat contre les araignées. Impossible de couper les fils de soie qui l'enserraient, ils étaient bien trop solides. Allait-il se dessécher sur place, pendant que ce maudit esprit félin se moquerait de lui ?

En désespoir de cause, il se tortilla comme jamais, tâchant de se faufiler entre les soies collantes qui composaient son cocon. Il s'acharna tant et si bien qu'à sa grande surprise, il arriva à écarter quelques soies un peu lâches et à se faufiler entièrement à travers l'ouverture dans le cocon. Avec de grands efforts dont il ne se serait jamais cru capable, il se retrouva suspendu au cocon par la force des bras, plusieurs mètres en l'air, sans même arriver à voir clairement le sol sous lui. Alors qu'il soufrait déjà de quelques petites morsures et de bleus divers causés par les araignées, qu'il avait eu une journée bien remplie et qu'il n'avait pas vraiment pris le temps de se reposer, il prit son courage - et la soie d'araignée géante - à deux mains et grimpa jusqu'à la branche plus haut. Puis il descendit de l'arbre auquel la branche était attachée, épuisé. Mais son amie était toujours en l'air, dans son cocon qu'il arrivait vaguement à distinguer.

9 - Fatigue et fils de soie
Rob s'emporta après le félin enchanté qu'il avait repéré non loin, et qui les contemplait depuis une branche éloignée. Ce dernier lui répondit alors comme s'il lui parlait dans sa tête. Il lui dit qu'il s'était engagé à les sauver des araignées - ce qui avait été fait - et à les libérer. Mais il n'avait jamais dit comment. Estimant que les deux aventuriers avaient toutes les ressources nécessaires pour se libérer sans lui, il avait arrêté là son aide. Que le hobbit ait pu s'en sortir seul était la meilleure démonstration qu'il ne s'était pas trompé. Par ailleurs, Rob pouvait s'estimer content : le Prince des Chats, en plus de le sauver, lui enseignait gratuitement une leçon et lui faisait prendre conscience de ressources insoupçonnées en lui ! Quand ils seraient dans le Grand Nord pour la mission qu'ils s'étaient engagés à faire pour lui, il n'y aurait pas à reculer à la moindre difficulté. Bref, que Rob se débrouille pour libérer son amie, il en avait les moyens.

En désespoir de cause, le petit voleur fouilla les environs dans l'obscurité et il réussit à remettre la main sur leurs affaires que les araignées avaient mises de côté, dont leurs armes et parmi elles sa dague. Alors qu'il était déjà épuisé, il grimpa à nouveau sur la branche à laquelle le cocon de l'elfe était suspendu. Il tenta alors de le couper à l'aide de sa dague, mais le fil de soie était épais et résistant, lui était épuisé et en équilibre sur une branche, et il n'y voyait goutte. Dans ses efforts il arriva même à se couper douloureusement une main ! Il réfléchit aussi que si jamais il arrivait à couper le fil de soie, son amie risquait fort de se briser le cou au sol. Elle était toujours inconsciente et la chute pouvait facilement être mortelle. Il fallait trouver de quoi amortir sa chute.

Et donc il redescendit, plus fatigué que jamais, et légèrement blessé en plus, et de sa propre main ! Il ramassa ou coupa des branchages, avec peine, dans le noir presque total du sous-bois épais d'une nuit dans la Forêt Sombre. Heure après heure, maladroitement, plus épuisé que jamais, des douleurs dans tout le corps et des vertiges par excès de fatigue, il rassembla de quoi amortir la chute prochaine d'Isilmë. Était-ce l'épuisement, la crainte d'attirer des prédateurs ou la subtile influence du Prince des Chats qui le regardait faire avec une certaine délectation ? Pas un moment il ne pensa à faire un feu pour s'éclairer et faciliter son travail ingrat. Craignait-il la venue prochaine de nouveaux prédateurs et notamment des araignées géantes ? Pas une seule fois il ne songea à piquer un roupillon, à terre ou dans un arbre. Il continuait, abruti de fatigue comme si sa vie et celle de son amie en dépendaient.

Enfin, alors que l'obscurité commençait peut-être à se lever légèrement, il estima que le coussin de branchages et de feuilles était suffisant. Il remonta dans l'arbre et jusqu'à la branche où le cocon de l'elfe était suspendu, reprit sa dague et l'entailla à nouveau. Et après encore bien des efforts, l'épais fil de soie finit par se rompre. Isilmë tomba, mais sa chute fut bien amortie par le coussin préparé par son ami, et elle ne se cassa rien. Le choc la fit même péniblement émerger de son inconscience, mais elle restait très engourdie et ne put rien faire pour se libérer seule. Juste regarder son ami redescendre, hébété de fatigue, et venir vers elle la dague à la main. Il tenta bien de la libérer ainsi, mais il avait tellement mal partout et tombait tellement de fatigue que lui-même percevait qu'il n'y arriverait pas. Et son amie ferait à présent une proie facile pour des prédateurs comme des loups...

Il réclama alors l'aide de l'esprit félin, qui, enchanté, s'approcha de lui et lécha sa blessure à la main. Blessure qui cicatrisa aussitôt, tandis que l'esprit du chat pénétrait encore plus profondément dans le corps de Rob. Puis il s'arrêta, au grand désespoir du hobbit, toujours épuisé, qui aurait maudit Tevildo s'il en avait eu la force. Il s'attaqua derechef aux soies d'araignées qui emprisonnaient son amie, et se blessa à nouveau ! Désespéré, il demanda à Tevildo de le soigner entièrement. Le lynx blanc ne se fit pas prier, et toutes les blessures et la fatigue du hobbit furent bientôt envolées, et le pouvoir de l'esprit fut plus fort et profondément ancré que jamais dans l'esprit et le corps du petit voleur. Seule Vif avait un lien plus fort avec le Prince des Chats ! Ce dernier, s'il avait été humain, en aurait éclaté de rire ou il aurait hurlé sa joie : jamais il n'avait corrompu si facilement un mortel...

Enfin, en pleine possession de ses moyens bien que profondément démoralisé, Rob reprit sa dague et il coupa bientôt les liens qui retenaient Isilmë prisonnière. Celle-ci, bien que maladroite sur ses jambes tant que le poison paralysant ne serait pas complètement éliminé, utilisa sa magie pour faire tomber Rob dans le profond sommeil dont il avait bien besoin. Complètement guérie en milieu de journée, elle réveilla son compagnon afin qu'ils retournassent à Buhr Widu sans passer une nuit de plus dans cette sinistre forêt. Rob recueillit néanmoins les glandes à venin de nombreuses araignées géantes avant leur départ, puis ils s'en retournèrent sans mal jusqu'au sentier et au-delà. Le soir tombait quand ils revinrent enfin à la ferme où ils avaient élu domicile depuis deux mois environ. Épuisés, démoralisés, avec du lichen du bûcheron vidé de sa magie mais des glandes venimeuses en pagaille. Et un lien plus fort que jamais avec le Prince des Chats.

10 - Retours
Le hobbit et l'elfe furent donc les premiers à revenir à Buhr Widu, le soir du lendemain de la journée du conseil militaire des seigneurs des Éothraim. Drilun, pendant ce temps, avait eu tout le loisir de faire ses runes magiques sur le cuir spécial pris sur les Maeghirrim tués, cuir qui avait servi à faire - avec l'aide des artisans nordiques - une veste plus solide que jamais pour le nain. Le Dunéen s'était bien inquiété un peu de ne pas revoir ses amis le premier soir, mais ce n'était pas la première fois que cela arrivait au hobbit, et cette fois-ci il n'était pas seul. Quand il apprit ce qui s'était passé, il leva les yeux au ciel sans arriver à trouver ses mots. Il aimait Isilmë, mais sa tête parfois bien vide n'était pas vraiment ce qu'il préférait en elle. Et s'il reconnaissait des tas de qualités au hobbit et l'aide parfois décisive qu'il leur avait apportée par le passé, il se demanda combien de temps encore il allait pouvoir le supporter, voire combien de temps le petit voleur mettrait pour les faire tuer tous.

Une journée après, soit le soir du surlendemain après le conseil, ce fut au tour de Mordin et Vif de revenir, sans oublier les hommes de Rult avec lesquels ils avaient fait le trajet. Ils revenaient également avec bien plus dans leurs bagages qu'une vingtaine de glandes à venin d'araignées géantes, glandes dont le hobbit avait extrait le venin en cours de journée. La Femme des Bois et le nain ramenaient avec eux vingt chiens-loups dressés pour la garde et pour repérer les odeurs étranges dans la nourriture, sans compter leur dresseur et maître. Ils firent part de l'utilité de ces chiens - mais aussi de ce que cela avait coûté - et furent partagés entre hilarité et consternation à l'énoncé des aventures de Rob et Isilmë.

Par contre, la veste de cuir spécial et magique enchanta le nain, qui rentrait parfaitement dedans. Il prit l'habitude de la mettre sous sa veste de mailles, en espérant qu'elle aurait à lui servir le moins possible. Entre Sagaths, loups et Wargs, orcs et dragons, il ne se faisait tout de même pas trop de soucis sur son utilité : il doutait que ce fût un investissement inutile. Par ailleurs, la petite troupe avait dépassé sur le chemin la deuxième partie du convoi de vivres parti de Buhr Waldlaes. La première partie était déjà arrivée peu avant le jour du conseil. Ils auraient donc très bientôt assez de vivres durables pour nourrir l'armée de deux milles cavaliers pendant deux semaines. Ce ne serait pas suffisant, mais entre ça et la nourriture que devaient leur remettre les Gramuz, ce serait un bon début.

Une journée après le retour de la rôdeuse humaine et du marchand-commandant nain, ce fut au tour de Taurgil et Geralt de faire leur retour, de façon encore plus éclatante que les autres. Les trente cavaliers qui les accompagnaient en imposaient à tous, avec leurs armes et armures de qualité, leurs montures caparaçonnées, leur taille de Dúnedain et leur allure de vieux vétérans de nombreuses guerres, d'autant qu'ils avaient tous dépassé la cinquantaine, et même le double pour deux ou trois. Il leur avait fallu deux jours pour revenir de Thorontir. Ils n'avaient pas lambiné, et les cavaliers gondoriens valaient largement les cavaliers nordiques communs. Mais d'une part, ils avaient été ralentis par un peu de pluie le premier jour ; d'autre part, les chevaux étaient lourdement chargés et ils ne pouvaient pas supporter très longtemps des galops trop rapides. Entre le caparaçon qui les protégeait et les hommes massifs et lourdement armés qui les montaient, sans parler d'équipement divers, ils portaient bien plus que la monture nordique n'avait l'habitude de transporter.

Dúnadan et maître-assassin firent la grimace aux échos des problèmes rencontrés par les membres les plus irresponsables de l'équipe. Cela dit, les deux fioles de dix doses de poison obtenues par le hobbit - une de venin mortel, une de poison paralysant - trouveraient peut-être vite leur utilité. Drilun venait également de finir une cape de cuir normal mais légère et renforcée magiquement, et le groupe se demanda à qui elle serait la plus utile. La Femme des Bois, sous sa forme humaine, était la plus vulnérable d'eux tous, mais sans doute ne resterait-elle pas longtemps ainsi. La soirée fut occupée à discuter et à préparer la journée du lendemain. Des troupes de cavaliers waildungs attendaient non loin, et leur départ était prévu pour le surlendemain en direction du nord et du gué sur la Celduin - et au-delà.

11 - Départ pour le nord
Le lendemain, Taurgil se rendit à la longère des princes des Waildungs. En effet, s'il était le commandant des forces gondoriennes, il ne serait pas tout le temps là pour les commander et il souhaitait régler ce point avant le prochain départ. En fait, il comptait remettre le commandement des Gondoriens à Mahrcared en son absence, mais ce dernier n'étant pas là, il comptait en discuter avec Atagavia ou sa fille et leur donner éventuellement délégation en attendant que les armées nordiques soient réunies. L'entretien ne posa pas de problème et Atagavia et sa fille furent d'accord pour, à l'occasion, prendre les hommes du Gondor sous leur ordre en l'absence de Mahrcared.

Au passage, après avoir reçu les félicitations du prince sur cette dernière aide à leur effort de guerre, le Dúnadan leur demanda ce qu'Atagavia avait décidé concernant la participation de ses enfants à l'attaque du convoi. Ce dernier répondit que tous trois - Bronwyn, Aldoric et lui - participeraient aux combats. En fait, ils resteraient l'essentiel du temps ensemble, et un vieux capitaine serait chargé de gérer les affaires courantes de la tribu en leur absence. En effet, vu l'intérêt du Nécromancien pour sa fille, il préférait ne pas la laisser seule et même la tenir près de lui autant que possible. Et quant à son fils, il n'était pas particulièrement doué pour gérer les affaires de la tribu, et quelque chose lui disait qu'il aurait bien du mal à tenir en place. Et Bronwyn elle-même serait plus sereine si elle l'avait auprès d'elle. Taurgil approuva et retourna auprès de ses amis, non sans avoir aussi parlé des chiens de Forpays et du rôle qu'ils joueraient.

Le groupe partit en milieu de matinée, accompagné par les cavaliers gondoriens, après avoir donné des consignes claires à Rult et ses hommes : en leur absence, ils devaient se mettre sous le commandement des Waildungs. Mais avant tout, leur mission consistait à assurer la protection des chiens des voleurs et de leur dresseur. D'une certaine manière, la sécurité des provisions devenaient de fait leur priorité. Les aventuriers furent ensuite partis pour l'est et Buhr Waldmarh, et ensuite vers le nord et le gué sur la Celduin, où les armées devaient se regrouper. Mais avant cela, vers le début de l'après-midi, ils firent halte à Buhr Ailgra, capitale des Ailgarthas et siège de Mahrcared. Ils arrivèrent à trouver le vieux chef nordique sans trop de mal, et il les accueillit avec plaisir.

Ils lui expliquèrent ce qui avait été convenu avec Atagavia concernant les Gondoriens que Vagaig lui avait confiés, et l'informèrent aussi de la présence des chiens de garde pour les provisions. En rappelant que le risque d'empoisonnement était très présent, comme eux-mêmes avaient pu le constater. Le vieux guerrier nordique reçut le commandement des hommes du Gondor qui passèrent avec succès son évaluation. Puis il proposa aux aventuriers de voyager ensemble, la moitié de ses troupes attendant au nord mais l'autre partie devant partir le lendemain. Devant le refus poli des aventuriers il s'étonna de leur départ rapide : ne devaient-ils pas tous de retrouver bientôt au nord ? Les aventuriers n'avaient pas le temps de faire une nouvelle mission en une journée, donc quel intérêt d'avoir un peu d'avance ? A moins qu'ils ne comptassent pas être là pour le rassemblement...

Ce qui fut confirmé par Taurgil : ils espéraient partir en avance sur les terres des Gramuz et au-delà. Non seulement il leur faudrait rendre une visite de courtoisie à l'un des chefs chez qui l'armée allait passer, sans parler d'éventuels achats de nourriture ; mais également, ils souhaitaient repérer le convoi d'Angmar et essayer de récupérer les pierres magiques qui permettaient d'appeler les dragons. L'objectif était éventuellement de s'en débarrasser, mais en tout cas faire en sorte qu'elles ne puissent pas servir d'armes contre eux. Accessoirement, mais cela ne fut pas dit au chef des Ailgarthas, Vif espérait bientôt trouver un endroit tranquille où se transformer en grand félin.
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Horselords - 39e partie : embuscade nocturne

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1 - Vers le nord
Une fois sortis de Buhr Ailgra, la Femme des Bois prit effectivement sa forme de grand et terrible félin. Mais cela ne se fit pas tout seul : sans bois ou forêt à proximité et de jour, en plein soleil, le chat en elle était bien faible et elle aurait eu bien du mal à l'appeler pour une telle transformation. Elle demanda donc l'aide d'Isilmë, dont la magie des soins pouvait faciliter ou compliquer la possession de son corps par l'esprit félin. Même ainsi, les conditions étant loin d'être réunies, l'elfe doutait de pouvoir permettre à son amie de prendre sa forme féline ultime, et elle demanda à Taurgil la larme de Yavanna. En effet, cette dernière facilitait grandement une telle magie, et après quelques échanges le Dúnadan la lui remit, si bien que la transformation se fit sans problème.

Le groupe repartit alors, à vive allure. Par précaution, l'équipe avait emmené plus de chevaux que nécessaire : ils étaient dix, et seuls cinq d'entre eux étaient montés. Le grand félin n'en avait pas besoin, et Rob n'était pas assez bon cavalier pour tenir longtemps seul sur un cheval à cette allure. Il chevauchait donc avec Geralt, à qui il se retenait fréquemment pour ne pas tomber, déséquilibrant un peu le maître-assassin qui devait faire plus d'efforts qu'il ne le souhaitait. Au bout d'un moment, le balafré aux cheveux blancs ne supporta plus le petit voleur et il finit par l'attacher à un autre cheval, afin de ne plus être dérangé.

La distance entre Buhr Ailgra et le gué sur la Celduin était d'environ 125 miles (~ 200 km), et elle fut couverte en environ six heures, sans compter quelques petits arrêts pour faire boire les chevaux. L'une de ces pauses fut un peu plus longue que les autres, et servit à éliminer par magie la fatigue des corps les plus fourbus, grâce aux bons soins magiques d'Isilmë. Taurgil dut également mettre la main à la pâte et se servir de ses pouvoirs de descendant de roi dúnadan, qui permettaient de faire des guérisons miraculeuses. En effet, le corps de Rob avait mal supporté le voyage, amenant son état bien au-delà de la seule fatigue : il avait plusieurs plaies et fortes douleurs causées par la chevauchée, mais n'avait pas osé ralentir ses amis. Le Dúnadan fut donc obligé de faire une infusion de précieux athelas pour que ses pouvoirs puissent agir et rapidement soigner Rob, afin qu'il puisse remonter en selle.

Le gué sur la Celduin fut atteint en fin de journée. Une armée nordique commençait à occuper les lieux, attendant le reste des troupes, mais les aventuriers ne s'arrêtèrent pas. Ils traversèrent sans mal, le félin en nageant vigoureusement, Geralt debout sur son cheval pour ne pas se tremper les jambes. Le soleil commençait seulement à se coucher et la nuit promettait d'être claire ; aussi décidèrent-ils de repartir, toujours à grande allure, sur la route des nains (Men-i-Naugrim), vers le nord-est. Mais avec la nuit qui tombait et le terrain de plus en plus escarpé, ils durent bientôt ralentir. Ils se mirent alors à la recherche d'un endroit pour passer la nuit.

Ils ne souhaitaient pas trouver une ferme habitée comme il y en avait çà et là, de peur de mettre ses habitants en péril comme la dernière fois où ils étaient passés par là. D'ailleurs, ils avaient dépassé peu auparavant la ferme même où ses occupants et eux avaient été empoisonnés. En revanche, après la Grande Peste qui avait tué jusqu'à la moitié des hommes et chevaux, quelques années auparavant, les fermes abandonnées ne manquaient pas et ils en trouvèrent une au milieu des collines, non loin de la route des nains. Le corps de ferme comportait trois bâtiments non jointifs qui formaient une espèce de U. Ils avaient été vidés de tous leurs biens utiles, et ils choisirent ce qui devait être une étable, sur un côté du U, pour y dormir aux côtés de leurs chevaux.

2 - Au feu les pompiers
Tandis que la troupe prenait possession des lieux, Vif partait chasser et ramenait bientôt un lièvre encore vivant pour abreuver le cimeterre ténébreux que Taurgil avait remis à Geralt depuis peu. Par ailleurs, il était assez gros pour faire un bon repas pour tous. Le groupe n'avait en effet pas pris de nourriture pour le voyage, comptant sur les talents des uns et des autres, et en particulier ceux de la lionne magique, sans oublier quelques aliments qui garnissaient les trois inereneraban donnés par les Hommes des Bois. Néanmoins, si la magie de ces boîtes de bois travaillé amplifiait le pouvoir nutritif de ce qui était mis dedans, elle ne pouvait rien contre l'insatisfaction d'un estomac en grande partie vide. Le lièvre fut donc apprécié, d'autant que, aidé par les pouvoirs de la larme de Yavanna, le Dúnadan sut le marier de merveilleuse manière avec diverses herbes récoltées dans les environs. Le plat les ravit tous, sauf peut-être le hobbit, vexé de perdre son statut de cuisinier en chef à cause d'un vulgaire artefact.

Avant de gagner le pays des songes, Drilun, stimulé par la belle nuit pleine d'étoiles, s'essaya à la divination stellaire à l'aide de sa magie. Il perçut bientôt comme un groupe de sept étoiles qui lui rappelait leur groupe à eux. Hélas, cette mini-constellation fut bientôt traversée par plusieurs étoiles filantes, puis occultée par un nuage noir, ce qui n'augurait rien de bon. D'autant qu'après le départ du nuage l'éclat des étoiles semblait plus terne et il avait du mal à toutes les compter... Il rentra donc dans l'étable et annonça à ses amis que leur voyage ne s'annonçait pas sous les meilleurs auspices, et qu'ils pouvaient s'attendre à des visites, et pas que de courtoisie.

A la demande du félin, toujours très éprouvé nerveusement par ses transformations, Isilmë utilisa sa magie pour le plonger dans un puissant et profond sommeil réparateur. Sommeil magique qu'elle utilisa également sur elle, tandis que les autres déclinaient son offre d'en profiter également. Taurgil décida de prendre le premier tour de garde jusqu'au réveil de l'elfe, comme bien souvent au cours des nuits. Le portail et les volets de l'étable étaient tous situés sur le même mur et tous bien fermés. Il ne pouvait donc surveiller ce qui se passait dehors, mais se reposait sur son ouïe, très fine. D'autant qu'elle était amplifiée par la magie du casque qu'il portait, casque pris au Seigneur de Guerre Ardagor, dans le Cardolan.

Le rôdeur dúnadan fut bientôt le seul être éveillé dans le grand bâtiment tout en bois qui les abritait. Rien ne venait perturber le calme de la nuit, et le début du tour de garde ne lui apporta pas d'autres bruits que des sons nocturnes naturels et les respirations plus ou moins discrètes ou bruyantes de ses compagnons. Quand brusquement, tous ses sens furent électrisés par une perception immatérielle : on faisait de la magie à proximité ! Des rais de lumière filtrèrent sous le portail de l'étable et à travers quelques fentes au niveau des volets. Entre ça et le crépitement qu'il entendit aussitôt, la vérité lui éclata à la figure : les murs de l'étable venait de s'enflammer d'un coup !

Son cri réveilla tous ses amis, à l'exception d'Isilmë trop profondément endormie à l'aide de sa magie. Vif elle-même arriva à se réveiller, tant son ouïe était exceptionnelle et encore plus sous sa forme féline. Ils perçurent vite ce qui se passait, tandis que les chevaux, inquiets, se faisaient nerveux. L'air blasé, Drilun se concentra aussitôt pour éteindre toutes les flammes dans les environs : sa magie prévalut sans mal, et les flammes furent instantanément soufflées. Mais après quelques secondes elles s'élevèrent à nouveau comme s'il n'avait rien fait. Il eut beau s'escrimer une nouvelle fois, puis une autre encore, rien n'y faisait, les flammes repartaient toujours. Il sentit une magie runique ou celle d'un rituel tout autour d'eux, qui entretenait l'incendie magiquement, qui repartirait tant que les runes ne seraient pas effacées. Et il y avait fort à parier que si l'un d'entre eux montrait le bout de sa tête, il serait abattu par une flèche ou un carreau d'arbalète.

3 - Bois, flammes et projectiles
Le félin magique ayant auparavant poussé des espèces de miaulements, l'un de ses amis avait activé la magie du tour d'oreille confectionné par Drilun pour comprendre ce que Vif voulait dire. Le groupe sut alors qu'elle avait entendu un bruit correspondant à une monstrueuse créature ailée déjà aperçue et en général montée par un excellent arbalétrier. Le bruit venait du bâtiment en face de l'étable, une espèce de grange, vers lequel toutes les ouvertures de l'étable - portail et volets - s'ouvraient. Mais elle avait également perçu, plus sur la droite et dans la direction du bâtiment central et résidence des fermiers, la présence d'un cheval, que beaucoup estimèrent appartenir à un Maeghirrim, celui-là même qui avait dû faire la magie sur le bâtiment où ils se trouvaient.

Geralt, tout en râlant après son sommeil interrompu, n'avait pas encore achevé d'enfiler son armure de peau de dragon. Mordin, de son côté, cherchait un quelconque point faible dans le bardage qui constituait les murs de l'étable afin de pouvoir aménager une sortie qui ne serait pas sous le feu d'éventuels tireurs. Il fut vite imité par Vif, qui perçut avant lui que des planches abimées avaient été remplacées à environ deux mètres de hauteur et plus, à une extrémité de l'étable et sur un mur aveugle et a priori non surveillé. De son côté, Rob essayait sans succès de réveiller Isilmë et se mettait à la recherche de gourdes d'eau pour l'aider dans sa tâche, tandis que l'archer-magicien purifiait durablement l'air autour d'eux à l'aide de sa magie.

Avant d'éteindre à nouveau les flammes, Drilun utilisa un sort destiné à le protéger des attaques et il ouvrit l'un des volets. Il eut la satisfaction de voir un carreau d'arbalète dévié par sa magie lui frôler le visage. Plus tard, Geralt ayant fini de mettre son armure, il tenta avec précaution la même expérience dans l'idée de tirer à l'arc sur leur tireur embusqué. Malheureusement, l'homme en question était sur le toit du bâtiment en face, très exactement derrière le faite du toit. On ne distinguait de lui que son arbalète et le sommet de son crâne couvert par une capuche de cuir spécial, sans parler des bords d'un manteau qui se fondait dans le décor. Avec la distance, de nuit, impossible d'abattre une telle cible sans s'exposer dangereusement et sans beaucoup de chance.

Le point faible trouvé dans le bardage bois était à l'opposé du bâtiment central où Vif avait entendu un cheval, mais partiellement sous le feu du tireur embusqué sur la grange en face. Aussi Mordin décida-t-il de faire diversion en prenant sa hache et en attaquant les planches du mur opposé, soit sur le mur le plus proche du bâtiment de résidence des fermiers. Rob, pendant ce temps, inondait le visage de l'elfe avec l'eau des gourdes qu'il avait trouvées, si bien qu'elle finit après un moment par s'étouffer, tousser et commencer à se réveiller. Quant à elle, Vif dressa son grand corps félin sur ses pattes arrière pour arriver au contact du bardage endommagé. Elle permit ainsi à Taurgil, qui lui grimpa dessus, d'accéder facilement aux planches qu'il brisa à l'aide de sa grande force. Puis il bondit dans l'ouverture, directement dans les flammes extérieures qui enveloppaient la façade.

Le Dúnadan se ramassa sans mal à l'extérieur, roulant du côté opposé à l'arbalétrier et faisant attention à rester près du mur enflammé pour ne pas s'exposer au tir de leur ennemi. Son manteau commença à prendre feu mais il fut éteint par le sort d'extinction que fit Drilun à ce moment-là. Le rôdeur put constater que de nombreux signes cabalistiques avaient été tracés tout autour de l'étable, au niveau du sol. L'homme qui avait fait cela devait être particulièrement discret car il n'avait rien entendu... Il est vrai que les signes semblaient en partie avoir été inscrits avec un liquide qui faisait penser à du sang. Magie expéditive, bien qu'efficace, mais qu'il n'était pas difficile de briser. Il s'attaqua aux runes les plus proches, et lorsque le bâtiment s'enflamma à nouveau, aucune flamme ne lécha la façade là où il avait perturbé les runes magiques.

4 - Esquive et fuite
A l'intérieur, Mordin décidait, après avoir enfoncé plusieurs planches à l'aide de sa hache magique, de continuer son travail de démolition un peu sur la droite. Il se doutait en effet qu'à force d'agrandir l'ouverture, il risquait tôt ou tard de voir apparaître un ennemi, ou du moins un de ses projectiles. De son côté, Drilun essayait maladroitement de grimper sur le corps de Vif pour accéder à l'ouverture en hauteur pratiquée par le Dúnadan. Voulant bien faire, Geralt le poussa vers le haut avec énergie, ce qui déséquilibra le Dunéen qui finit les quatre fers en l'air, à plat dos à côté de la lionne.

Du coup le maître-assassin grimpa prestement et sauta par l'ouverture. Après un roulé-boulé pour l'éloigner de la position de l'arbalétrier, il rejoignit son ami dúnadan derrière l'étable, où il continuait à défaire les runes magiques qui étaient à l'origine du départ de feu sur le bâtiment. A l'intérieur, Vif décida d'utiliser sa force de lionne pour arracher les planches contre lesquelles elle tenait, agrandissant de fait vers le bas l'ouverture par où ses deux amis étaient passés. Cela ne lui prit pas bien longtemps, et elle acheva le travail en passant elle-même dans l'ouverture qu'elle avait faite, suivie peu après par ses amis encore à l'intérieur.

La lionne perçut bien vite que leurs agresseurs ne les avaient pas attendus. La créature ailée qu'elle avait perçue, comme le cheval, étaient déjà à plusieurs portées de flèche, chacun emmenant son cavalier dans des directions légèrement différentes. Elle s'approcha alors de Geralt et lui proposa une petite course-poursuite. Lorsqu'il eut compris les propos de la lionne magique, il sauta sur son dos et elle se précipita à grande allure en direction du cavalier au loin. Le cheval allait très vite, mais elle était encore plus rapide. Restés sur place, les autres aventuriers achevèrent de détruire les runes et sortirent les chevaux pour éventuellement se mettre à la poursuite des fuyards à leur tour.

Malheureusement, le maître-assassin et la féline Femme des Bois se rendirent vite compte que la créature ailée avait viré de bord et qu'elle se dirigeait à présent sur eux. Vif ayant déjà testé les compétences d'arbalétrier du monteur de monstre, elle se mit à zigzaguer pour éviter que leur ennemi, probablement Sakal, assassin du Nécromancien, n'arrivât à ajuster son tir. Ses changements de direction très brusques eurent l'effet escompté et aucun carreau d'arbalète ne la transperça, mais en revanche ils furent trop efficaces pour les talents et la force de Geralt qui vola en l'air et roula au sol sur la moitié d'une portée de flèche. Ses talents d'acrobate lui évitèrent le pire, mais son corps avait néanmoins été meurtri par le choc, même si c'était sans gravité. En revanche, il vit la créature ailée virer au-dessus de lui et son cavalier tendre l’arbalète qu'il portait dans sa direction.

En plus de l'ombre accentuée par la magie du cimeterre, la série de bonds que fit le maître-assassin le sauva probablement d'une blessure sérieuse, le carreau ne réussissant qu'à glisser sur son armure. Il n'y eut pas d'autre tentative, le chevaucheur de créature ailée dirigeant ensuite sa monture monstrueuse en direction de Vif et du cavalier au loin. Geralt fut tenté de tirer une flèche sur la créature ou son maître, mais le temps de prendre arc et flèche il était déjà en limite de portée. Il vit la flèche glisser sur le cuir du monstre et retomber au sol : elle n'avait sans doute causé aucune réelle blessure, et maintenant Sakal et sa monture étaient trop loin. De son côté, Vif sentit le danger approcher d'elle et elle recommença à zigzaguer en tous sens, empêchant le tireur de décocher ses traits. Malheureusement, le cavalier qu'elle poursuivait prenait de plus en plus d'avance, et elle dut en fin de compte abandonner la poursuite.

Créature ailée et cheval, et les deux hommes qu'ils portaient, disparurent bientôt dans la nuit sans chercher plus à nuire aux aventuriers. Tous revinrent alors à l'étable d'où ils étaient partis, un peu dépités. Chemin faisant, Vif remarqua que les vibrations du cheval au galop étaient très faibles, et les traces qu'il laissait peu profondes, comme si ce rapide galop demandait peu d'efforts à la monture. Cheval exceptionnel ou aidé par magie ? Les aventuriers se promirent de le découvrir à l'avenir. Par ailleurs, Drilun interrogea aussi ses cailloux suite à des questions qu'ils se posèrent quant à l'identité du cavalier. Sa divination magique lui permit de confirmer que oui, le cavalier qui s'était enfui était bien Haed, assassin des Maeghirrim. Ils retournèrent se coucher et le reste de la nuit se passa sans incident.

5 - Gramhart, chef des Borgingas
Le lendemain matin, le groupe reprit la route, toujours à bonne allure. Très vite, la Route des Nains fut abandonnée pour prendre vers le nord et suivre une bande de collines et de cuestas qui devait les amener à une route en direction de Withybord. Ce village gramuz était le principal centre urbain, sorte de capitale, des Borgingas, et c'est là que devait résider leur chef Gramhart, selon Mordin qui connaissait un peu la région. Il estimait qu'ils en étaient distants d'une centaine de miles (~ 160 km). Le nain mena donc la troupe entre les fermes, champs et troupeaux, demandant parfois sa route lorsque les chevaux s'arrêtaient pour boire. En début d'après-midi, leur objectif fut en vue et ils entrèrent bientôt à Withybord.

Ils étaient en quelque sorte attendus. Brogdin, autre chef gramuz, était lui-même passé peu de jours auparavant pour parler d'eux et des accords qu'il avait passés avec les aventuriers, et par ailleurs les récits de leur victoire au concours de combat et cavalerie de Buhr Widu circulaient dans tout le Rhovanion depuis un moment déjà. Ils furent donc bien accueillis ; Gramhart était bien présent et il n'y eut pas trop besoin de lui présenter dans le détail les raisons de leur présence. Il avait convenu déjà avec Brogdin qu'il laisserait l'armée nordique passer sur ses terres. Pour ce qui était d'aider plus, par contre, il demandait à voir ou entendre ces fameux héros qui avaient réussi à convaincre le vieux renard qu'était Brogdin de prêter si facilement son concours à une entreprise militaire aussi audacieuse et risquée. Sans parler de mettre au clair ces - pour lui - ridicules racontars sur l'expédition des aventuriers à Dol Guldur : qui allait croire à de pareilles sornettes ?

A nouveau, les beaux parleurs du groupe essayèrent de convaincre du bien-fondé de leur expédition militaire et pointèrent les risques à long terme de laisser faire : les orientaux pris séparément étaient plus une épine dans le pied qu'une réelle menace, mais encadrés par le roi-sorcier d'Angmar, ils pouvaient devenir un mortel danger. Et si jamais cela suffisait pour modifier le rapport de forces en Eriador et assurer la victoire d'Angmar, Gondor ne serait pas très loin ensuite. Et les Sagaths demanderaient sûrement, comme récompense de leurs efforts, des territoires à leurs goûts et mesures... comme le Rhovanion. Les peuples libres avaient donc tout intérêt à se serrer les coudes au plus vite pour ne pas être balayés les uns après les autres devant des ennemis nombreux et organisés.

L'histoire de Dol Guldur fut plus difficile à faire passer sans les enfants d'Atagavia pour en témoigner. Du coup, Gramhart proposa quelques épreuves pour s'assurer que les aventuriers étaient bien à la hauteur de leur réputation. Geralt caracola sur son cheval dans le village, zigzaguant ou sautant par-dessus les obstacles et finissant par saluer le chef gramuz sur sa monture en équilibre sur ses pattes arrière. Puis il combattit face à trois guerriers tout autour de lui : il désarma l'un d'eux en un éclair, faisant voler l'arme du guerrier non loin des pieds de son chef, et plongea sur un côté avant que les deux autres ne puissent porter une attaque. Puis il les désarma en quelques secondes avant de saluer Gramhart et le reste du village qui l'applaudissaient chaleureusement.

Rob se proposa ensuite pour montrer ses talents d'archer, à l'étonnement de tous car ce n'était pas lui qui avait gagné le concours d'archerie et pour les Gramuz il était un parfait inconnu. Mais Gramhart ne se démonta pas et lui proposa de participer à l'épreuve... en portant un gobelet de terre sur la tête que son ami dunéen devrait faire exploser à un tiers de portée de flèche. Le hobbit se figea donc, tandis que l'archer-magicien s'éloigna de plus de deux fois la distance demandée. Puis il visa et tira, en plein dans la cible, après avoir pris son temps et affiché un petit sourire narquois à l'adresse du hobbit, qui ne se rappelait que trop à quel point il avait pu irriter ses amis dernièrement. Mais Gramhart n'en avait pas fini avec lui : il demanda s'il était prêt à échanger les rôles, ce qui était le cas, bien qu'avec une distance moindre. Drilun eut plus de mal que son petit ami à faire tenir le gobelet sur sa tête, gobelet qui vola en morceaux lorsque la flèche de Rob, envoyée depuis une trentaine de mètres, le percuta. Vif eut aussi droit à son heure de gloire, montrant qu'elle était un animal intelligent capable de comprendre ce qu'on lui disait, de compter et même d'écrire dans le sol !

Le chef des Borgingas une fois satisfait, des échanges diplomatiques ou marchands eurent lieu auxquels Mordin en particulier se prêta bien volontiers. Gramhart accepta assez vite de nourrir l'armée nordique sur son passage voire de l'aider à prendre les bons chemins. Le nain lui acheta également, pour la somme de trente pièces d'or, l'équivalent de quinze mille hommes-jours de nourriture pour l'armée, assez pour subvenir à ses besoins pendant une bonne semaine. Satisfaits, les aventuriers remercièrent leur hôte mais déclinèrent sa proposition de rester, disant qu'ils avaient encore du voyage à faire. Sans lui dire qu'ils préféraient éviter de les mettre en danger, lui et les siens, en restant trop longtemps parmi eux et notamment pour la nuit.

6 - A la croisée des chemins
Les aventuriers repartirent donc vers le nord. Ils traversèrent les terres occupées par les Borgingas avant d'arriver, le soir, à une zone de collines, sorte d'extension des Monts de Fer vers l'ouest, en direction de Dale et Erebor. Ces collines étaient traversées par une route peu fréquentée qui joignait ces deux lieux, et elle marquait également plus ou moins la limite nord actuelle des terres des Gramuz. A une autre époque les fermes s'étendaient bien au-delà, plus au nord. Mais avec le réveil des dragons, l'activité grandissante des orcs des Monts de Fer (Emyn Engrin) et des Montagnes Grises (Ered Mithrim), sans parler de l'agressivité des orientaux qui venaient jusque-là parfois, les fermes et peuplements isolés avaient été des proies faciles. La peste cinq ans auparavant avait été le point d'orgue de cet affaiblissement et les survivants étaient redescendus au sud, plus près des leurs. A partir des collines et plus au nord, ce n'était plus guère qu'un no man's land parcouru par bêtes sauvages et ennemis. Une région dangereuse où l'on était soit proie, soit prédateur.

Vif trouva les signes de présence de la route, qui par bien des endroits n'était rien de plus qu'un vulgaire sentier ponctué de cairns divers, et Mordin confirma ce qu'elle était pour la région. C'était aussi, pour eux, le moment d'un choix : fallait-il aller vers l'est et les Monts de Fer, vers les Maeghirrim et leur prisonnière, ainsi que vers le convoi et les pierres des dragons qu'il transportait ? Ou valait-il mieux se tourner vers l'ouest et diriger leurs chevaux vers la ville de Dale et les clans nordiques qui y résidaient, ou à proximité ? Le moment de l'action était-il venu pour eux, avec de l'espionnage et sans doute des confrontations diverses à la clé, ou le temps de la diplomatie ne pouvait-il encore durer pour favoriser le passage de l'armée nordique voire bénéficier de nouveaux soutiens ?

C'est la seconde option qui eut la préférence, entre autres grâce à certaines informations que Gramhart avait données. En effet, il avait parlé de divers petits conflits qui secouaient les cinq clans de la communauté nordique de Dale et de ses environs. Les chefs des différents clans n'étaient pas tous d'accord entre eux sur la manière de gérer les affaires, des problèmes de politique intérieure se posaient et des échanges vifs avaient lieu entre certains. C'était en particulier le cas entre le chef de Dale et des Krythéod, Éoder, appuyé (voire dirigé, selon certains) par son épouse Sulwyn, et Jirfelian, chef des Aldurlingas. Gramhart avait même entendu des échos d'histoires douteuses venant de Dale concernant les aventuriers ou les Éothraim. Par ailleurs, fait notable qui motivait beaucoup certains des aventuriers, Jirfelian était une femme que l'on créditait de la mort d'un dragon il y avait de cela quelques années, dans le nord. Accessoirement, elle passait pour être superbe et excellente oratrice, assez jeune et toujours célibataire ; avec néanmoins un fils de huit ans dont le père était inconnu. Toutes choses qui éveillaient la curiosité des aventuriers à son égard. Son expérience des dragons, si elle s'avérait véridique, pourrait sans doute leur servir.

Les aventuriers prirent donc vers l'ouest et la ville de Dale. Ils n'allèrent pas bien loin néanmoins : la nuit tombait et le terrain, escarpé, les empêchait d'aller vite. Ils se contentèrent donc de trouver un abri à flanc de coteau, bien dissimulé par des buissons, pour y passer la nuit. Mais il était trop petit pour abriter les chevaux, qui paissaient un peu plus loin. Or, un sort de Drilun lui apprit qu'une vingtaine de bipèdes de taille moyenne à petite étaient présents à une lieue au nord, dans une zone qui semblait bien sauvage. Bandits ou orcs ? Vif grimpa dans un frêne assez gros pour supporter son poids, non loin de l'abri, se chargeant du premier tour de garde. Ses amis, sachant qu'ils étaient bien gardés, s'endormirent aussitôt.

Ils furent réveillés peut-être deux heures après par de nombreux cris pas très éloignés. Cris de haine, de douleur et de peur, et surtout cris d'orcs, qui diminuèrent très vite en nombre. Le temps d'arriver sur place avec leurs affaires, ils virent les derniers morceaux d'orcs voler en l'air et le dernier survivant, fermement tenu dans la gueule de la lionne, jeté à leurs pieds pour interrogation. La féline Femme des Bois, après une espèce de grimace de dégoût, se mit à faire une toilette de gros chat : les orcs étaient vraiment d'immondes créatures au sens premier du terme, et en tenir un dans sa gueule était bien pire que de transporter une charogne puante - qu'il n'allait pas tarder à devenir, par ailleurs. Plus tard, Vif leur expliqua qu'elle les avait entendus venir dans leur direction, et qu'elle s'était cachée dans des buissons entre les chevaux et eux. Puis elle avait attaqué les orcs alors qu'ils étaient tout autour d'elle et qu'ils commençaient à sentir son odeur de gros félin.

L'orc parlait un infâme patois composé essentiellement de jurons et d'insultes tirés du noirparler, et seul un bon connaisseur de cette langue pouvait arriver à comprendre ce qu'il disait. Taurgil, dont c'était le cas, se chargea de l'interrogatoire. Non sans mal, car la puante créature n'était pas bien maligne et ne savait manifestement pas compter beaucoup au-delà de ses dix doigts crasseux. Il comprit tout de même que la vingtaine d'orcs présents formait un groupe de ravitaillement d'une tribu d'orcs forte de peut-être quelques centaines d'individus, plus au nord. Les aventuriers n'étaient nullement sur la liste de leurs objectifs : ces vingt-là étaient descendus plus au sud dans l'espoir de pouvoir attaquer une ferme nordique. Les orcs faisaient juste partie des armées chargées de veiller au bon passage du convoi. Après ce pénible échange et jugeant qu'il n'en tirerait rien de plus, le Dúnadan exécuta prestement la créature.

7 - Les faubourgs de Dale
Les premières heures de la matinée furent occupées à suivre la route à travers les collines, vers l'ouest. Au bout d'un moment, depuis une hauteur, le Mont Solitaire (Erebor) apparut comme planté au milieu d'une vaste plaine. Une rivière coulait depuis cette petite montagne isolée et abritait une ville dans l'un de ses méandres : Dale. La rivière continuait plus au sud et devait rejoindre le Long Lac (Annen) avec la ville d'Esgaroth en son sein. Dans la plaine autour de Dale, des signes de présence humaine, comme champs et troupeaux, se voyaient sans grand mal sous le soleil clair de cette belle journée de fin de printemps. Après ce bref aperçu, les aventuriers pressèrent leurs chevaux et ils galopèrent en direction de la ville.

Après une heure de rapide chevauchée, ils approchaient du méandre dans lequel était blotti Dale, lorsque qu'une patrouille de cavaliers nordiques armés s'interposa sur le chemin. C'étaient manifestement des gardes qui souhaitaient identifier cet étrange équipage, ou peut-être même se demandaient-ils s'ils n'étaient pas poursuivis par le gros félin qui les suivait un peu plus loin. Mais l'allure régulière bien que pressée et le manque de cris devaient sans doute leur dire qu'il ne s'agissait que de cavaliers pris par une affaire urgente. Drôles de cavaliers tout de même, composés visiblement d'au moins un Dúnadan, d'hommes et d'un nain, équipés d'armures bizarres, accompagnés de plusieurs chevaux dont l'un portait un enfant attaché, sans parler du gros félin qui les suivait tranquillement !

Le groupe ralentit puis arrêta sa course non loin des gardes, qu'ils saluèrent. Ils se présentèrent comme marchands sans marchandises, ce qui n'alla pas sans susciter quelques questions, sans parler de la présence de l'enfant et du félin. Pour le premier, ils ne semblaient pas savoir ce qu'était un semi-homme, mais ne lui prêtèrent pas beaucoup attention. Le félin en revanche les rendait plus nerveux, et leurs chevaux en particulier. Isilmë leur dit qu'il s'agissait d'un animal parfaitement dressé et contrôlé par sa magie, tout en dégageant son visage de sa capuche et en montrant clairement ses traits elfiques. Cela intimida un peu les gardes, peu habitués à côtoyer des elfes qu'on ne voyait guère qu'à Esgaroth lorsqu'ils venaient acheter divers produits comme le vin de Dorwinion. Du coup les questions concernant le félin furent taries.

Les aventuriers en profitèrent pour poser eux-mêmes des questions au sujet de la ville et ses habitants. Les gardes confirmèrent ce que Gramhart, chef des Borgingas, avait dit : des rumeurs contradictoires circulaient déjà dans la région concernant une armée nordique sanguinaire et des individus louches pratiquant la sorcellerie, possibles agents du Nécromancien de Dol Guldur. Ce qui expliquait peut-être une certaine méfiance des nordiques à qui ils faisaient face, qui ne savaient pas trop quoi penser entre les champions à la course, au combat et au tir à l'arc qu'on leur dépeignait d'un côté, et les sorciers animés de funestes intentions qu'on leur évoquait par ailleurs. Et l'attirail de certains n'était pas fait pour rassurer : entre le terrifiant casque de Taurgil et l'impressionnante armure de peau de dragon de Geralt, difficile de ne pas éveiller un sentiment de peur chez des gens méfiants.

Les gardes présentèrent néanmoins les cinq clans nordiques qui occupaient la région : Krythéod, Dalethéod, Aldurlingas, Stahnothéod et Féotlingas. Les deux premiers composaient le cœur des habitants de Dale et des environs proches, mais les trois autres avaient également des fermes et maisons à proximité, dont ils indiquèrent les directions, sans parler des territoires plus éloignés. Ils confirmèrent aussi les quelques dissensions politiques entre, essentiellement, les deux premiers clans et les trois autres. Sans s'offusquer de la chose plus que cela : le chef de Dale et des Krythéod, Éoder, était marié à Sulwyn, fille du chef des Dalethéod, donc comment ne pas interpréter certains choix comme des préférences et ne pas susciter de jalousies ? Les dissensions avaient toutefois pris une ampleur inégalée dernièrement, avec les attaques parfois très dures envers diverses personnes et Jirfelian en particulier. Mais c'était une très bonne oratrice qui n'avait pas hésité à répliquer, d'où une certaine escalade verbale.

8 - Jirfelian, tueuse de dragon
Les aventuriers remercièrent les gardes pour leurs informations, en particulier l'emplacement d'une ferme fortifiée abritant Jirfelian au sud-est de la ville. Ils se dirigèrent dans cette direction car ils avaient bien envie d'en apprendre plus sur cette tueuse de dragons, rumeur qui semblait fondée aux dires des gardes, avant de mettre plus le nez dans la politique locale. Comme ils progressaient sans se presser autant qu'auparavant, Vif put observer un curieux manège. En dehors des regards curieux qu'ils attiraient et des aboiements de chiens à son égard, elle remarqua un comportement inhabituel chez des hirondelles : plusieurs d'entre elles étaient venues voler au-dessus d'eux, comme d'autres oiseaux, puis elles s'étaient toutes dirigées vers la demeure qui était leur objectif, comme pour rendre compte de ce qu'elles avaient vu. Elle fit part de la chose à ses amis, qui se dirent que Jirfelian, si elle était bien l'utilisatrice de magie qu'ils la soupçonnaient être, devenait vraiment quelqu'un d'incontournable.

Ils arrivèrent enfin à une palissade bloquant l'accès à divers bâtiments de ferme, sans parler d'un verger et de zones non construites qu'ils distinguaient mal. La route qu'ils suivaient menait à un portail fermé que deux gardes à pied surveillaient. Ils interpelèrent les gardes et demandèrent à parler à leur chef, et commencèrent à répondre à leurs questions, quand une voix féminine se fit entendre derrière le portail, qui s'ouvrit bientôt. Une grande femme blonde accompagnée d'un jeune garçon dit aux gardes de laisser passer les aventuriers, qu'elle avait été prévenue de leur arrivée possible et qu'elle les attendait. Manifestement, ils avaient face à eux la chef des Aldurlingas, Jirfelian, et elle paraissait en savoir plus sur leur compte qu'eux à son égard.

Après avoir donné quelques ordres à d'autres personnes pour qu'ils s'occupent de leurs chevaux, elle demanda à celui qui était probablement son fils de retourner jouer seul dans le verger pendant qu'elle s'occupait de ses invités. Invités à qui elle proposa de prendre quelques rafraîchissements en privé dans la longère qui composait le bâtiment principal des lieux. Après quoi, la matinée touchant à sa fin, ils auraient l'occasion de manger ensemble avec ses gens. Néanmoins, avant d'arriver à la salle où elle pensait échanger avec le groupe, elle suggéra à ceux qui le désiraient de pouvoir se débarbouiller un peu. Ils avaient bien chevauché, sous un soleil éclatant, et ils ne s'étaient pas beaucoup lavés au cours des derniers jours. Elle les mena donc à un point d'eau où ils pourraient faire une toilette éclair et se rendre plus présentables.

Peu après, ils étaient seuls avec elle dans la salle de conseil de la longère, félin compris. L'impression qu'elle les attendait et qu'elle en savait déjà long à leur sujet s'amplifia encore et fut l'objet de questions diverses et variées. Par la suite, les aventuriers comprirent qu'elle faisait partie du réseau d'informateurs du magicien brun : elle échangeait régulièrement avec Radagast, de qui elle avait appris la magie. Cela permettait entre autres de parler aux animaux et de leur demander d'aider, comme de porter des messages ou d'en recevoir. Mais même sans cela, elle faisait partie des rares personnes de la région qui savaient parler le langage des grives, sans avoir besoin d'aucune magie pour cela. Ce qui lui avait bien servi par le passé.

Elle ne manqua pas de décrire cette occasion, à la demande des aventuriers. En effet, plusieurs voulaient savoir si les rumeurs qui courraient à son sujet étaient vraies : avait-elle réellement tué un dragon par le passé ? C'était bien le cas, d'après ce qu'elle leur dit. Son récit fut assez simple et dénué de fanfaronnades : un ver, c'est-à-dire un dragon sans aile, était venu du nord et il menaçait les siens. Son père et d'autres guerriers n'avaient pu l'arrêter et elle avait pris la tête du clan trop tôt à son goût, et avec ce problème à résoudre. Elle s'était alors rendue sur place, seule, jusqu'à la tanière du monstre au bas d'une falaise. Peu de temps après, elle était revenue vers les siens en annonçant que le dragon était mort, et elle avait monté une expédition avec plusieurs d'entre eux pour enfermer sa carcasse dans son antre et empêcher que quiconque y accède.

Elle donna plus de détails aux aventuriers sur la manière dont elle avait abattu le ver. Elle avait demandé aux grives de le surveiller et de l'étudier, et elle avait ainsi découvert qu'une zone à l'arrière et sur le dessus de son crâne était dépourvue de protection. Elle se doutait que les grives, animées par amitié et non par magie, risquaient moins d'éveiller l'attention du dragon. Puis elle avait monté un piège sur la falaise, avant d'appeler le monstre et l'inciter à sortir hors de sa tanière. Forte de ses talents oratoires, elle l'avait flatté, et, malgré sa méfiance, fait en sorte qu'il restât juste à l'endroit qu'elle avait prévu, le temps pour elle de déclencher magiquement la chute de plusieurs lances sur sa tête non protégée. Plusieurs avaient fait mouche et le dragon était mort. Ses conseils étaient donc les suivants : étudier, apprendre, flatter et tromper. En n'utilisant magie ou armes que de loin ou au dernier moment.

9 - Politique locale
Les aventuriers satisfaits et convaincus d'avoir trouvé leur meilleure alliée dans la région, la discussion reprit et porta sur la politique locale et les moyens de faire traverser la région aux troupes armées des Éothraim. Jirfelian atténua très vite les soupçons de corruption que certains aventuriers avaient pour Éoder, le chef de Dale. Selon elle, ce n'était pas quelqu'un de mauvais en soi, elle l'estimait même par certains côtés. En revanche, il écoutait trop certaines voix qui lui murmuraient constamment à l'oreille, en particulier celle de sa femme Sulwyn, qui était de loin la personne qui se montrait la plus virulente envers elle-même, Jirfelian, mais aussi envers d'autres personnes d'autres clans. En bref, elle estimait que le chef de Dale n'était pas le problème, le problème était qu'il était amoureux et trop enclin à écouter les mauvaises personnes.

Cette opinion était de plus en plus partagée par des personnes d'autres clans, voire certaines personnes parmi les Krythéod, qui restaient ses amies. Depuis la Grande Peste et les nombreux morts qui avaient endeuillé les clans, les conseils de Sulwyn auprès de son époux avaient eu de plus en plus de poids et les décisions du chef de Dale avaient été de plus en plus ouvertement en faveur de leurs deux clans, Krythéod et Dalethéod. Même Forwen, chef des Féotlingas et autrefois grand soutien d'Éoder, était choquée par certaines attaques de Sulwyn vis-à-vis de certains des siens et elle commençait à se rendre aux arguments de Jirfelian.

La chef des Aldurlingas commençait à nourrir de plus en plus de soupçons concernant Sulwyn et son père Rognachar, chef des Dalethéod ; et plus généralement de l'ensemble de leur clan, connu comme le plus mystérieux et xénophobe des cinq clans de la région de Dale. Sans aller jusqu'à les rendre responsables de tous les maux de ces dernières années, elle ne pouvait que constater les liens avec eux chaque fois qu'un problème nouveau apparaissait entre les clans. La seule chose qui faisait qu'ils n'étaient pas rapidement remis à leur place, c'était l'influence de Sulwyn auprès de son mari, d'autant plus enclin à l'écouter et à la chérir qu'ils n'avaient pas d'enfants. Néanmoins, l'attitude de Sulwyn et des siens les desservait, et avec le temps ils allaient se retrouver de plus en plus isolés. Jirfelian semblait en effet gagner de plus en plus d'influence auprès des autres clans avec le temps, ou du moins c'est ce qu'elle déclara aux aventuriers.

Tout cela ne faisait guère l'affaire de ces derniers : Taurgil et ses amis auraient bien voulu trancher dans le vif et éliminer cet abcès avant qu'il ne devienne un vrai problème, mais cela n'était pas si simple. La situation était compliquée, les gens n'étaient pas tous blancs ou noirs et les aventuriers n'avaient pas forcément le temps de trouver les squelettes dans les placards. Et une action trop directe pouvait leur mettre tous les nordiques du coin sur le dos, ou même déclencher une guerre civile. En revanche, puisque le chef de Dale, Éoder, ne semblait pas quelqu'un de mal intentionné, juste mal conseillé, passer le voir pour essayer de rectifier ce qui pouvait l'être semblait une bonne entreprise.

Côté armée des Éothraim, Jirfelian avait assuré qu'entre l'aide de son clan et les soutiens qu'elle pouvait avoir, les cavaliers nordiques pourraient passer autour de Dale sans entraîner véritablement de réaction positive ou négative. Peut-être même pouvait-elle fournir quelques vivres, mais cela serait très limité. Cela étant, peut-être que le chef de Dale se laisserait convaincre de faire plus : Taurgil et ses amis étaient curieux de voir quel poids aurait la langue de vipère de Sulwyn face aux beaux parleurs de l'équipe. La cause semblait donc entendue : le groupe se rendrait à Dale et tâcherait de voir son chef afin de lui parler en toute honnêteté de leurs projets et du prochain passage des Éothraim. Ce serait de toute manière mieux que de mettre Éoder devant le fait accompli.
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Horselords - 40e partie : une ombre dans la nuit

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1 - Derniers mots et préparatifs
Le bruit croissant dans la maison signifiait que le repas était prêt, et Jirfelian invita les aventuriers à le partager avec elle. Ce qu'ils firent tous, s'exposant à la curiosité ou aux regards intimidés des nordiques présents, même Vif qui écoutait nonchalamment les conversations dans un coin, même si elle ne mangea rien. Petit à petit les gens s'enhardirent et posèrent des questions sur les rumeurs qui circulaient au sujet des aventuriers : leurs exploits au concours donné chez les Éothraim, les aventures et combats qu'ils avaient eus au sud de la Celduin voire chez les Sagaths, les racontars insensés à propos d'une expédition à Dol Guldur... Patiemment mais non sans une certaine lassitude parfois, Geralt et ses compagnons répondirent à une partie des questions sans trop chercher à convaincre. La vie de célébrité n'avait pas que des avantages...

Après le repas, le groupe comptait se rendre à Dale pour voir Éoder, sachant que cela prendrait peut-être du temps. La maîtresse de maison prévint qu'il s'agissait du jour de marché mensuel, qui attirait beaucoup de gens des environs voire de plus loin. Il y aurait donc du monde, ce qui serait peut-être une opportunité mais plus vraisemblablement une gêne. Jirfelian donna les noms de quelques personnes qui vivaient à Dale et qui pourraient éventuellement les aider en cas de besoin. C'étaient des Aldurlingas, à l'exception d'une personne du clan Krythéod qui était son amie. Elle décrivit aussi Éoder et la lance particulière qu'il portait toujours, comme chaque thyn (chef) de Dale : une lance très ancienne et même magique, avec un fer de lance d'un métal très particulier et des incrustations d'or et d'argent. La dernière fois que le chef de la ville s'était séparé de l'arme, c'était des années auparavant, quand Jirfelian l'avait obtenue - non sans mal - pour s'en servir contre le dragon qu'elle avait tué. La magie de la lance y était sans doute pour beaucoup. La chef des Aldurlingas évoqua même, avec un sourire, qu'elle n'avait sans doute obtenu la lance que parce qu'Éoder avait toujours eu un petit faible pour elle...

Après le repas, le groupe se rendit près de la Rivière Courante (Celduin). D'abord pour y faire plus qu'un brin de toilette et se rendre les plus présentables possibles, d'autant que le soleil éclatant de cette fin de printemps fournissait des conditions idéales. Ensuite pour que Jirfelian les aide à passer de l'autre côté, avec cinq de leurs chevaux : elle demanda à une personne de sa connaissance d'utiliser une barge pour cela. En effet, la rivière, malgré la proximité de sa source, la Montagne Solitaire, était déjà large - une trentaine de mètres - et rapide, car alimentée par de nombreux cours d'eau qui descendaient de la montagne. Et vu comme la ville était insérée dans un bras de la rivière, côté rive occidentale, les gens venant de l'est devaient forcément passer la rivière d'une manière ou d'une autre avant d'entrer en ville, et il n'existait aucun pont.

Vif avait décidé de ne pas accompagner ses amis. Sa présence risquait de poser divers problèmes, avec les animaux comme chiens et chevaux, entre autres. Elle resterait donc sur le bord de la rive, là où ses amis avaient débarqué. A leur demande, Jirfelian leur avait fourni un cor pour appeler la lionne en cas de problème, et elle avait bien mémorisé la tonalité de l'instrument pour ne pas le confondre avec un autre. Jirfelian non plus ne viendrait pas. Avec les tensions entre son clan et ceux du chef de la ville et de son épouse, elle estimait que ce serait desservir les aventuriers que de s'afficher ouvertement avec eux comme s'ils étaient alliés. Ils auraient déjà bien du mal à obtenir grand-chose d'Éoder sans cela.

Le groupe rejoignit bientôt la route principale qui menait à Dale et se dirigea vers le nord. Malgré les travaux des champs, de nombreuses personnes s'arrêtaient pour les voir passer : les étrangers comme eux ne devaient pas être si nombreux. Près des fermes qu'ils longeaient parfois, des enfants ou autres personnes apparaissaient aux portes et fenêtres pour dévisager le groupe hétéroclite qu'ils formaient. Ils s'approchèrent de l'ouverture principale dans les fortifications de la ville : elles étaient composées d'un talus de la hauteur du nain sur lequel une palissade de rondins était érigée. Avant même d'arriver à l'entrée, de nombreux cris et appels enjoués et enjôleurs indiquèrent à Geralt puis à ses amis que la foire qui devait occuper le centre du bourg était en pleine effervescence.

2 - Le marché de Dale
L'entrée dans la ville était gardée par deux hommes nordiques en armes équipés entre autres d'une cotte de mailles et d'une lance. L'un d'eux leur réclama un droit de passage après avoir demandé s'ils avaient des marchandises ou hésité sur la nature du hobbit, pris pour un jeune enfant. En fin de compte, il se contenta de dix pièces de cuivre pour les cinq chevaux et les cinq "adultes", tout en se demandant ce que pouvait bien faire un gamin parmi une pareille bande... mais sans trop le dire à voix haute. A l'intérieur, les aventuriers découvrirent que la ville était assez rurale, l'essentiel de sa surface étant occupée par des prés ou cultures. Une prairie derrière l'unique auberge de la ville servait pour les animaux de bât et de selle des gens du marché et des visiteurs, sans parler de nombreux moutons, Dale étant un gros producteur de tissus. Ils y laissèrent leurs montures avant de se diriger vers le marché proche.

Quelques dizaines d'étals occupaient le centre du village, sur une vaste place de marché ou d'entraînement parfois. De nombreuses personnes circulaient là, artisans, marchands et fermiers ou éleveurs pour la plupart. Un spectacle de marionnettes avait beaucoup de succès et attirait de nombreux badauds, tandis que deux jongleurs faisaient étalage de leurs prouesses en s'échangeant des massues colorées un peu plus loin. Quelques gardes surveillaient les échanges et l'agitation depuis l'extérieur, prêts à intervenir en cas de dispute ou d'autre problème. Nombreux étaient les échanges sous forme de biens, le troc ayant toute sa place dans l'économie nordique, mais des achats à l'aide de pièces étaient aussi assez communs. D'ailleurs, Dale avait sa propre monnaie, composée de pièces de fer, de cuivre et d'argent. Mais l'argent étranger semblait aussi admis.

Les aventuriers attirèrent très vite l'attention et de nombreux regards se portèrent sur eux. Taurgil avait pris la précaution de laisser à Jirfelian l'effrayant casque d'Ardagor qu'il portait d'ordinaire. Le tintement de sa cotte de mailles et les trois épées qu'il portait au côté, sans parler de sa taille et de sa carrure, ne laissaient tout de même pas les gens indifférents. Avec sa terrible armure de peau de dragon, Geralt ne passait pas non plus inaperçu. Eut-il retiré son casque, son visage balafré et ses cheveux blancs ne l'auraient pas rendu plus attirant pour autant, sans parler de ses armes. Drilun était plus discret, mais son arc noir couvert de runes n'en agissait pas moins comme un aimant pour les regards. Même Isilmë, qui avait gardé sa capuche sur son front elfique, et Mordin, qui ne cachait nullement sa nature naine, détonnaient un peu avec leur équipement guerrier.

Seul le hobbit, malgré son arc, se faisait complètement oublier. Il est vrai que dans une foule, un petit bonhomme d'à peine plus d'un mètre de haut passait vraiment facilement inaperçu. Il en profita, stimulé par toutes les merveilles à hauteur de son visage, pour retrouver quelques bonnes - ou mauvaises - habitudes. Seul Geralt l'avait vu partir entre les jambes des gens, et il se doutait bien que ce n'était pas pour folâtrer bêtement entre les étals. Il courut après lui autant que la foule le permettait, mais au moment de le rattraper, le petit voleur avait déjà la bourse d'une autre personne en main, personne qui se retournait vers Geralt que la rumeur et les doigts poursuivaient. Tandis que le maître-assassin étouffait l'apostrophe qu'il destinait au hobbit pour ne pas les embarrasser tous, ce dernier s'éclipsa vers une future victime...

Ce petit jeu se répéta deux autres fois au cours du début de l'après-midi. Plus exactement, deux autres personnes furent délestées de leur bourse à des moments où le balafré aux cheveux blancs était occupé ailleurs. Comme il était le seul à pouvoir repérer le hobbit qui accomplissait ses méfaits, Rob eut la partie facile, d'autant que ses amis attiraient largement l'attention sur eux. Il ne fut donc aucunement inquiété et ses larcins, aidés par sa vue perçante qui le guidait vers les plus belles bourses, alourdirent confortablement la sienne sans aucune autre conséquence immédiate pour lui. Ses amis ne purent en dire autant, sans parler des relations du hobbit avec ses compagnons. Mais d'autres événements se produisirent avant tout dégât collatéral ou explication orageuse.

3 - Discussions et marchandage
Tout d'abord, le groupe était venu parler à Éoder. Les aventuriers se doutaient bien qu'en tant que chef (thyn) de Dale, il n'était pas forcément très disponible. Ils avaient repéré, juste en bordure de la place du marché, un très grand bâtiment qui devait être le grand hall de la ville et qui devait servir autant de centre culturel que de palais de justice. Son architecture faisait bien penser aux longères nordiques mais il était en pierre, comme la plupart des bâtiments de la ville. Il comportait également des vitres, comme beaucoup à Dale en raison de la présence d'un souffleur de verre, qui était d'ailleurs l'un des contacts des Aldurlingas que Jirfelian avait donnés. Comme la plupart des bâtiments importants, son toit était fait d'ardoises, tandis que beaucoup d'autres étaient couverts de chaume, voire, plus rarement, de bois. C'est là qu'ils portèrent leurs pas.

Lorsqu'ils firent part de leur requête au garde présent devant la porte fermée, celui-ci appela un supérieur présent à l'intérieur qui les questionna. Puis il dit qu'il en parlerait à son thyn qui verrait s'il était possible de faire passer le groupe à l'audience du soir. En effet, après le marché, une audience était prévue où le thyn écouterait les requêtes et contentieux et donnerait ensuite accord ou jugement. Éoder était pour l'instant chez lui, dans les quartiers des Krythéod, qui occupaient le tiers de la ville, au nord-est. Le garde partit voir son chef pour lui faire part de cette requête, en prévenant que la réponse prendrait peut-être une heure ou deux avant d'être connue.

Les aventuriers décidèrent de le suivre pour voir la demeure du thyn et surtout celle de l'herboriste qui demeurait non loin. Ils virent que le quartier des Krythéod était lui aussi entouré d'une palissade, comme une ville dans la ville. Le garde qui se tenait à l'une des deux ouvertures leur dit que l'herboriste devait avoir son étal sur le marché, comme la plupart des artisans de Dale. Ils retournèrent donc là-bas et trouvèrent effectivement la personne en question, qui possédait quelques herbes qui les intéressaient : athelas, soins divers, mais aussi trèfle de lune, fréquemment utilisé par les mineurs. Tout ce qui était intéressant fut acheté, après d'âpres discussions de la part de Mordin pour faire baisser les prix le plus possible. D'autres étals furent parcourus, en particulier ceux des fabricants d'arcs ou des forgerons. Mais la qualité des armes présentées n'avait rien d'exceptionnel, sauf peut-être celles d'une femme forgeron qui sortaient du lot. Et même ainsi, elles ne pouvaient rivaliser avec ce que le groupe avait déjà.

Geralt, en observant tout ce beau monde, se rendit compte que les saltimbanques n'étaient pas de la région, tant les jongleurs que le montreur de marionnettes et son apprenti. En fait, ils ressemblaient même beaucoup à des Hommes des Bois, même si l'apprenti du marionnettiste avait l'air un peu à part - il lui rappelait en fait certains d'entre eux qu'ils avaient vus à Forpays. Et Vif ne leur avait-elle pas dit qu'un Homme des Bois servait le Nécromancien sous la couverture d'un saltimbanque ? Ils se mirent à examiner de plus près ces individus, et en particulier les montreurs de marionnettes. Comme ils avaient beaucoup de succès, les marchands les payaient pour installer leur spectacle à proximité de leur étal afin de maintenir les badauds en vue de leurs marchandises...

De son côté, Drilun utilisa ses cailloux pour faire sa magie divinatoire et obtenir des réponses aux questions qu'ils se posaient concernant ces individus. Mais ils semblaient, à sa magie, n'être rien d'autre que ce qu'ils prétendaient. Le maître-assassin aborda alors les marionnettistes, qui le regardèrent avec méfiance au premier abord, vu son apparence. La glace fondit peu à peu face aux arts de la persuasion que Geralt maîtrisait bien, et il en apprit plus sur eux. Le montreur de marionnettes confirma que son apprenti, peu bavard, avait bien été trouvé parmi les pauvres gens de Forpays. A priori rien ne permettait de penser qu'ils étaient tous deux autre chose que des honnêtes saltimbanques. Le balafré aux cheveux blancs s'intéressa beaucoup aux marionnettes et montra qu'il avait un réel talent : sa grande dextérité couplée à sa maîtrise du théâtre et de la parole impressionnèrent beaucoup l'Homme des Bois qui avait prêté son équipement un bref moment...

Néanmoins, au cours de la conversation avec l'homme, il apprit tout de même qu'un autre Homme des Bois, un saltimbanque connu sous le nom du "bouffon", sévissait à Esgaroth. Il avait beaucoup de succès pour faire rire petits et grands et il était accueilli partout, avec ses habits colorés aux nombreuses clochettes. De nombreux soupçons se portèrent sur lui, et l'archer-magicien fit parler ses cailloux à travers sa magie. Mais il perçut comme une anomalie et recommença, pour obtenir un résultat légèrement différent. Il n'en fallait pas plus pour augmenter encore les soupçons sur ce bouffon et laisser à penser qu'il disposait de magie qui le protégeait contre un éventuel sort de divination.

4 - Soupçons et ennuis
Mais entre-temps, les larcins du hobbit commençaient à avoir des conséquences bien visibles. Dans cette ville où la plupart des gens se connaissaient, de même qu'une grande partie des visiteurs, la disparition d'une bourse pouvait éventuellement passer par pertes et profits, malchance ou la présence d'un voleur occasionnel vite parti avec son butin. Surtout quand le contenu représentait plus d'un mois de travail d'un artisan moyen. Mais quand il s'agissait de trois bourses toutes disparues au même endroit et dans la même heure, cela laissait supposer autre chose, comme la présence d'un élément indésirable. Et précisément, certains "éléments" nouveaux pour Dale avaient été aperçus sur le marché, éléments vers lesquels les soupçons des gardes se tournèrent tout naturellement...

Geralt et ses amis virent donc bientôt des hommes d'armes se diriger vers eux. Le premier à être abordé fut le maître-assassin, dont l'apparence n'inspirait pas confiance. Les gardes, méfiants, expliquèrent qu'un voleur rôdait et qu'ils se devaient de procéder à quelques... vérifications. Autrement dit, ils demandèrent à le fouiller. Ils furent agréablement surpris quand Geralt obtempéra sans mauvaise humeur ; il transforma même sa fouille en spectacle pour régaler les passants et ennuyer un peu plus les hommes qui le fouillaient. L'argent qu'il avait sur lui n'ayant rien à voir avec la monnaie locale qui avait été volée, on lui demanda d'ôter son armure pour mieux le fouiller, ce dont il profita pour exhiber ses nombreuses cicatrices et faire le récit de la manière dont il les avait reçues. Il eut donc son heure de gloire et les gardes durent vite admettre qu'ils faisaient fausse route et aller voir ailleurs.

Drilun fut le suivant sur la liste. Lui aussi se prêta au jeu, sans fioriture aucune, sans mauvaise humeur non plus, juste compréhensif et aidant. Avec le même résultat, à savoir les airs dépités des gardes voire de vagues excuses bredouillées. Taurgil fut l'objet de regards interrogateurs à son tour, de même que Mordin, mais les gardes durent sans doute se dire qu'une éventuelle fouille risquait encore moins de donner de résultats sur un nain et un Dúnadan costauds et bardés de métal, métal assez peu compatible avec du vol à la tire. Ils jugèrent donc inutile de se couvrir plus de ridicule, sans parler d'éviter de froisser l'humeur d'historiques alliés sourcilleux sur la manière dont ils étaient considérés. Ils ne furent donc pas inquiétés.

L'air mystérieux d'Isilmë et sa capuche toujours présente sur son front amenèrent les gardes devant elle pour la même raison. Mais lorsqu'ils virent qui se "cachait" sous le vêtement, ils blêmirent devant l'affront qu'ils venaient de faire à un immortel. Les elfes étaient rares dans la région, hormis à Esgaroth où ils venaient régulièrement acheter du vin de Dorwinion et d'autres biens, et personne n'aurait imaginé en accuser un de vol et risquer le courroux du roi des elfes de la forêt, dont le palais était plus proche de Dale que la ville d'Esgaroth elle-même... Cette fois-ci, les gardes arrêtèrent immédiatement leur fouille et ils s'excusèrent plus platement. La foule ne se moqua même pas d'eux, intimidée par cette présence inhabituelle. A côté de cela, personne n'avait vraiment remarqué Rob ou pensé à le soupçonner, d'autant qu'il avait jugé préférable de faire profil bas et de jeter les tissus des bourses dans des immondices pour plus de sécurité. Les personnes dérobées et les gardes en furent donc pour leurs frais, au sens propre pour les premières, et le groupe ne fut pas plus inquiété.

Plus tard, une visite au grand hall de Dale leur apprit qu'ils seraient entendus dans la soirée. Mordin se montra de fort bonne humeur et il remercia chaleureusement l'officier qui avait transmis leur requête auprès d'Éoder. Tellement chaleureusement qu'il lui transmit une pièce d'argent au cours de la poignée de mains dont il le gratifia, en disant que c'était un cadeau pour le récompenser d'avoir bien compris l'importance et l'urgence de leur mission. En laissant peut-être entendre, à demi-mot, qu'il espérait bien voir les efforts perdurer jusqu'à ce qu'ils aboutissent enfin.

Les aventuriers s'égaillèrent alors pour passer le temps jusqu'à la fin du marché chacun à leur manière. Ainsi, Geralt rejoignit Vif pour la mettre au courant de ce qui s'était passé et s'entraîner avec l'arc pris à Dieraglir, tandis que Taurgil partait chercher des herbes médicinales dans les prairies alentours, et en particulier des racines de sauve-dragon, qui permettait de résister à des feux intenses. Malgré la proximité de la ville et le climat peut-être un peu chaud pour cette plante, il arriva néanmoins, guidé par la larme de Yavanna, à en trouver deux pieds, pour son plus grand bonheur.

5 - Thyn Éoder
Le groupe, Vif excepté, se retrouva en fin de soirée sur la place du marché que vendeurs et visiteurs commençaient à déserter. Les étals étaient rangés, et le lieu retrouvait une atmosphère plus calme, alors que le soleil était encore bien présent dans le ciel pur de cette fin de printemps. Mais un certain nombre de personnes traînaient là, en particulier du côté du grand hall de la ville. Le bâtiment ouvrit bientôt ses portes alors que le chef de la ville arrivait : ce dernier tenait le symbole de son autorité en main, cette lance ancienne et sans doute magique qui avait peut-être aidé Jirfelian à tuer un dragon. Éoder était accompagné de quelques gardes et d'une belle femme qui devait être son épouse Sulwyn. Une fois installé au fond de la pièce centrale, son épouse à ses côtés, il donna un ordre et les gens entrèrent.

Les gardes, et en particulier l'officier auquel Mordin avaient fait cadeau d'une pièce d'argent, soit l'équivalent d'un mois de solde, expliquèrent que les spectateurs et curieux restaient sur les côtés de la vaste pièce, côtés délimités par les piliers qui soutenaient la structure du toit. Ceux qui désiraient parler au thyn restaient au centre, non loin de l'entrée, et ils étaient appelés les uns après les autres pour se présenter devant le chef de Dale et faire part de leurs griefs et autres demandes en tout genre. Comme la plupart des autres sessions, seuls les gens s'étant préalablement fait connaître seraient appelés, dans la mesure où les affaires ne dureraient pas trop longtemps. En comptant les aventuriers, neuf personnes ou groupes de personnes attendaient de voir le thyn, ce qui était peut-être beaucoup pour une session réduite comme celle-là : lorsque la nuit serait complètement tombée, la séance serait levée même si d'autres personnes restaient à passer. Elles seraient alors invitées à revenir le lendemain.

Les gens commencèrent à être appelés, et, au grand chagrin du nain et de ses amis (que cela ne surprenait guère), ils ne furent pas parmi les premiers à se présenter devant le chef de Dale. Ils purent donc observer comment Éoder - et son épouse - prenaient des décisions ou rendaient justice. Car il était évident que l'épouse du thyn agissait en tant que principale conseillère de son mari, chuchotant à son oreille le plus souvent. Le chef de Dale ne faisait pas pour autant penser à un vulgaire pantin, il tâchait de prendre en compte les avis de tous, et il était dans la mesure du possible mesuré dans ses jugements. Mais il était indiscutable que Sulwyn orientait ses décisions dans une certaine mesure.

Les premières affaires étaient purement locales et concernaient des conflits de personnes ou de familles, ou des demandes de droits pour des mineurs, marchands ou fermiers. Quand une seule personne était concernée le jugement pouvait être rapide, mais lorsqu'un conflit était l'objet du débat cela pouvait durer bien plus longtemps, particulièrement lorsque les parties appartenaient à des clans différents, comme cela était souvent le cas. Deux fois un conflit faisant intervenir un membre des Aldurlingas fut porté devant le thyn. La première fois contre un membre des Krythéod, à propos d'un problème de frontières, et la seconde contre des Féotlingas ou Stahnothéod pour des histoires similaires. Chaque fois, le jugement, même mesuré, était plutôt au désavantage de l'Aldurlingas, et chaque fois Sulwyn semblait particulièrement prompte à donner des conseils à son époux. Geralt, malgré son ouïe surentraînée, ne put comprendre la teneur de ses conseils ou insinuations ; il ne put que saisir quelques mots de-ci de-là, comme par exemple la mention de "famille" ou "clan"...

Mais le temps passait, la nuit commençait à tomber dehors et il restait encore deux paires de personnes et le groupe d'aventuriers. Malgré les regards noirs que Mordin avait lancés à l'officier "remercié" non loin, ils n'avaient toujours pas été appelés et le regard de l'homme lui avait fait comprendre qu'il en était peut-être le premier surpris et un peu gêné. Le nain et ses amis se doutaient, aux regards et chuchotements de Sulwyn avant chaque nouvel appel, qu'elle n'était pas pour rien dans le choix de l'ordre de passage. Trois cas restaient donc à traiter, mais il n'y aurait sans doute du temps que pour un seul, d'autant que les autres personnes étaient là pour parler de conflits, qui prenaient du temps à présenter et décortiquer. Et les aventuriers ne seraient sans doute pas le prochain choix. Sauf s'il n'y avait plus qu'eux.

En effet, à tout moment les plaignants pouvaient abandonner leur requête et se retirer, et Mordin savait que parfois des tractations pouvaient avoir lieu parmi ceux qui restaient afin que certains s'en aillent et permettent à d'autres de passer à leur place ou avant eux. Il approcha donc de deux des hommes en conflit pour s'enquérir de l'objet de leur dispute. Puis il leur proposa deux pièces de bronze à chacun pour oublier leur différent, mettant de la conviction mais aussi de la menace dans sa voix : il en dit assez pour leur faire comprendre qu'il verrait d'un mauvais œil les deux nordiques refuser son offre... ce qu'ils comprirent et acceptèrent, empochant l'argent et se retirant bientôt. Isilmë aborda les deux autres dans le même temps, parée de tout son charisme elfique. Tant et si bien que les deux hommes oublièrent vite leur querelle afin de plaire à leur "amie". Lorsque l'affaire en cours fut enfin expédiée, il ne restait plus que les aventuriers.

6 - L'aide de Dale
Pour autant, Éoder était-il prêt à les écouter ? A entendre son épouse qui avait suivi des yeux leur petit jeu avec les personnes qu'ils avaient convaincues de partir, la soirée était déjà trop avancée et il vaudrait mieux les accueillir un autre jour, demain sans doute... L'affaire dont ils étaient chargés risquait de demander du temps, la journée avait été longue... et l'inimitié de Sulwyn à l'égard des aventuriers était difficile à ne pas voir. Néanmoins, son époux ne se laissa pas démonter. Étaient-ce les arguments donnés dans l'après-midi par certains aventuriers, comme le fait de ne pas faire attendre des ambassadeurs, qui avaient trouvé l'oreille du chef de Dale ? Était-ce la présence de Taurgil, noble Dúnadan dont le peuple était l'allié traditionnel des nordiques ? Ou simplement le caractère juste du thyn de Dale ? Dans tous les cas, il refusa de céder aux injonctions de son épouse et il demanda aux aventuriers de venir présenter leur requête.

Plus exactement, il demanda à chacun de se présenter et d'exposer ses motivations avant même que Taurgil ait fini de présenter leur objectif avec l'armée des Éothraim. Le côté extrêmement hétéroclite de l'équipe en était sans doute la raison, car il n'était certainement pas évident de deviner le rôle de chacun dans cette ambassade, en particulier pour l'elfe et le hobbit. Et si les beaux parleurs du groupe n'eurent aucun mal à se présenter et à décrire ou parfois inventer leur relation avec le seigneur Taurgil Melossë, Éoder insista bien pour entendre aussi les éléments les plus discrets du groupe. Isilmë et Rob répondirent donc à sa demande avec plus ou moins de facilité, l'elfe s'attirant la dérision de l'assistance quand elle dit qu'elle représentait l'aide des elfes de Fondcombe à l'Arthedain : les immortels n'avaient donc qu'une personne à fournir pour aider le royaume dúnadan contre Angmar ?

En fait, au cours des présentations, Sulwyn faisait souvent des remarques désobligeantes, assimilant l'origine ou l'historique des aventuriers à des éléments négatifs en référence aux connaissances ou à la culture nordiques. Ainsi, le Rhudaur d'où venait le rôdeur dúnadan n'était-il pas l'allié du roi-sorcier ? Les elfes n'avaient-ils pas leurs propres objectifs, souvent très éloignés de ceux des humains qu'ils méprisaient ? Les rumeurs qui couraient au sujet du passage des aventuriers à Dol Guldur ne prouvaient-ils pas qu'ils étaient des agents du Nécromancien, qui n'avait jamais laissé partir aucune personne de chez lui, vivante et saine d'esprit, qui ne fût pas un de ses serviteurs ?

Pour sa part, le thyn de Dale, s'il semblait entendre les arguments du groupe comme par exemple la confiance des Éothraim à leur égard, avait eu des échos plutôt négatifs sur les seigneurs-cavaliers. On lui avait rapporté une agressivité grandissante de leurs cousins du sud qui cherchaient peut-être avant tout le pillage du convoi à leur seul profit, ou étancher leur soif de bataille. Et même si Atagavia et consorts avaient des motivations justes et nobles de lutte contre Angmar et leurs pareils, qu'est-ce qui prouvait qu'ils n'avaient pas été emberlificotés par les aventuriers pour précipiter l'armée nordique dans une embuscade, ce qui laisserait ensuite le Rhovanion à la merci des Sagaths ou autres orientaux, sans parler des orcs de la forêt ? Pourquoi fallait-il croire plus les aventuriers que son épouse ou certains des siens qui rapportaient des éléments troublants au sujet de ce qui se tramait ?

Les parleurs du groupe ne se privèrent pas de répondre du tac au tac, et Mordin s'échauffa même au point de demander à Éoder d'arrêter de leur faire perdre du temps à tous et de prendre une décision positive ou négative et d'assumer sa méfiance à leur égard s'il n'avait que cela à leur fournir. Hormis Rob et Isilmë qui se gardèrent bien d'entrer dans le vif du débat, les quatre autres avaient suffisamment détaillé les raisons qui pouvaient motiver les gens de Dale pour leur prêter main-forte, et qui pouvaient se résumer ainsi : les Sagaths et les gens d'Angmar étaient les ennemis des peuples libres et il fallait se serrer les coudes pour tuer dans l’œuf la menace qu'ils représentaient. Si les dissensions internes entre peuples libres l'emportaient, leurs ennemis auraient beau jeu de les éliminer les uns après les autres s'ils étaient bien organisés, ce qui était le cas. Éoder était-il prêt à prendre le risque de prêter son attention et sa confiance aux mauvaises personnes, quitte à le regretter à l'avenir quand il serait trop tard ?

Il semblait néanmoins que le chef de Dale, malgré les conseils de son épouse, était prêt à reconnaître le bien-fondé de certains des arguments qu'on lui opposait. Il avait entendu beaucoup de choses, souvent contradictoires, mais apparemment une partie de lui donnait raison aux aventuriers et non à Sulwyn. En particulier, si les aventuriers étaient vraiment des agents du Nécromancien, ils n'auraient certainement pas autant attiré l'attention sur eux. Et même si seulement le quart des histoires qui couraient à leur sujet étaient justes, il n'y avait certainement pas que du mal en eux. Aussi décida-t-il d'accéder en partie à leur requête : il accordait le passage des armées nordiques dans la région de Dale. Les moissons étaient loin d'être terminées et ils ne fourniraient pas de vivres, mais en revanche ses gens apporteraient bois de chauffage ou de cuisson, ainsi que des couvertures pour les nuits froides au pied des Montagnes Grises. Et il leva la séance.

7 - Message intercepté
A l'Auberge du Géant Endormi, où se retrouvèrent les aventuriers, les langues allèrent bon train. Le groupe ne pouvait être entièrement satisfait de ce demi-succès obtenu. A tout le moins, la soirée avait montré où le réel problème résidait dans la ville : Sulwyn et ceux auxquels elle était acoquinée, Maeghirrim ou autres. Aussi, malgré son ventre qui gargouillait, le hobbit se vit-il confier une mission dans ses cordes : espionner l'épouse du thyn et tâcher d'en savoir plus sur ses contacts. Ce serait bien le diable si elle n'allait pas rendre compte de ce qui s'était passé à quelqu'un, d'autant qu'elle n'avait pas semblé particulièrement heureuse de la décision prise par son mari. Rob se faufila donc dans l'obscurité, ombre parmi les ombres, suivant les époux et leurs gardes qui rentraient dans la partie de la ville spécifiquement occupée par les Krythéod. Il escalada sans mal la palissade et se faufila sans être vu jusqu'à la grande longère qui servait de demeure, entre autres, au thyn et à sa famille.

Pendant ce temps, Taurgil quittait l'enceinte de la ville pour aller retrouver Vif. Il souhaitait d'abord s'éloigner des habitations pour envoyer un message magique à Jirfelian grâce à un oiseau, mais aussi récupérer quelque nourriture. La lionne avait en effet chassé pour pouvoir abreuver la soif du cimeterre d'ombre et également satisfaire sa propre faim, mais elle n'avait pas mangé l'intégralité du jeune sanglier qu'elle avait attrapé, et il restait de beaux morceaux. Ainsi, le rôdeur dúnadan revint à l'auberge avec le reste de la dépouille, et il demanda et obtint la possibilité d'utiliser les cuisines pour préparer lui-même leur repas, pendant que ses amis se désaltéraient. Entre sa connaissance des plantes et la larme de Yavanna qu'il portait, le repas qu'il servit fut jugé divinement bon et il n'en resta vite rien, pas même pour le hobbit absent. L'odeur était même tellement alléchante qu'elle fit venir des gens à l'auberge ce soir-là...

Mais pendant ce temps, Rob avait réussi à identifier, depuis l'extérieur, où devait être la chambre du thyn et de son épouse, à l'étage. Il avait alors grimpé aux murs jusqu'à leur volet, comme une sombre araignée sur un mur, et avait espionné leurs conversations. Cela ne lui avait rien appris d'essentiel, sauf du moment où Sulwyn avait prétexté un appel de la nature pour descendre. Il avait alors quitté sa position inconfortable et l'avait vu sortir, puis se diriger vers un pigeonnier proche où elle était entrée. Grimpant sur le toit du bâtiment, il avait pu entendre l'épouse du chef se saisir d'un pigeon et probablement lui attacher un message à la patte. Son arc prêt, il avait alors attendu qu'une petite trappe soit ouverte par où l'oiseau avait commencé à s'éloigner. Une fois entendu le bruit de la fermeture de la trappe, il avait décoché sa flèche sur le pigeon qui filait vers le nord. Abattu en plein vol, le volatile avait fini sa course au-delà de la palissade qui faisait le tour de la ville... du côté de la rivière qui la longeait.

Alors que ses amis festoyaient, le petit voleur cherchait le pigeon messager sur les bords de la Celduin. Il fouilla un long moment, y compris plus loin sur les bords de la rivière, en espérant y voir le corps sans vie du pigeon. Sans succès, et il dut alors rendre compte de sa mission à ses amis qui avaient gagné leur chambre. Taurgil n'était pas vraiment heureux de cette occasion ratée, mais les autres aventuriers avouèrent qu'ils auraient au mieux fait comme Rob et qu'on ne pouvait lui en vouloir de la perte du message. Drilun eut alors l'idée d'aller voir les bords de l'eau et d'utiliser sa magie pour repérer la chute du pigeon et l'endroit où il devait se trouver. Ce qui fut fait discrètement et avec succès : le pigeon était tombé presque en plein milieu de la rivière et il avait dérivé loin en contrebas. L'archer-magicien dut demander l'aide de la féline Femme des Bois et utiliser encore de nombreuses fois sa magie, mais ils arrivèrent enfin, alors que la minuit était passée déjà, par retrouver le petit messager aviaire transpercé d'une flèche.

Hélas, tout ce temps dans la rivière avait complètement délavé le bout de parchemin imprégné d'eau, ne laissant que quelques traces... que le Dunéen mit aussitôt à profit. Utilisant à nouveau sa magie sur les traces, en y mettant tout son savoir magique, il arriva à voir le vol de la plume sur le parchemin. Il put ainsi reconstituer le message et le recopier sur une autre feuille de parchemin qu'il avait amenée pour l'occasion avec encre et plume. Plus tard, à l'auberge, le message serait traduit par l'un de ses amis plus expert que lui en langue nordique. Très sobrement, il annonçait que les aventuriers et l'armée de cavaliers avaient obtenu droit de passage autour de Dale, et qu'il fallait en prévenir qui de droit. Les contacts douteux de Sulwyn étaient confirmés, du moins en partie : les aventuriers ne savaient toujours pas exactement quels étaient les destinataires du message, même s'ils s'en doutaient un peu.

8 - Vers les Monts de Fer
Le lendemain matin, le groupe reprit les montures et la direction du sud, jusqu'à l'endroit de la rivière où ils avaient laissé Vif. Ils se mirent ensuite à la recherche du propriétaire de la barge qui leur avait permis de franchir la Celduin la veille, ou l'un de ses collègues, tandis que certains envisageaient de passer à la nage... ce que Mordin n'envisageait aucunement de faire. Heureusement, ils retrouvèrent vite le même homme qui s'était occupé d'eux et qui leur permit de passer sur la rive orientale. Ils souhaitaient discuter avec Jirfelian de ce qui s'était passé, mais elle les attendait déjà non loin de là où ils étaient descendus de la barge, probablement alertée par ses oiseaux.

Elle avait bien eu le message de Taurgil la veille, et ils discutèrent de la suite à donner. Taurgil et certains de ses amis auraient bien voulu nettoyer Dale de certains de ses éléments, en particulier le clan des Dalethéod et son chef Rognachar, sans parler de sa fille, Sulwyn. En effet, Jirfelian leur avait appris que les pigeons servaient souvent à relayer des messages entre la fille et son père et inversement. Ils utilisaient parfois aussi des corbeaux, mais jamais des grives, d'autant qu'Éoder parlait, comme elle, leur langue. Rob avait d'ailleurs remarqué, lorsqu'il espionnait la longère du chef de Dale, que des ouvertures sous le toit permettait à ces petits oiseaux d'aller et venir à leur guise : ils étaient vraiment considérés comme des amis des nordiques, du moins des gens comme Éoder et les siens. Bref : Sulwyn avait probablement voulu avertir son père qui devait transmettre l'information aux Maeghirrim ou autres sorciers. Probable, sans certitude néanmoins.

La chef des Aldurlingas leur déconseilla néanmoins de se lancer dans une campagne de "purification". D'une part car tous les membres du clan n'étaient sans doute pas corrompus par les sorciers et autres serviteurs du Nécromancien, et qu'il y aurait certainement des dommages collatéraux ; d'autre part car lancer une action punitive avait de fortes chances de braquer les nordiques de Dale contre eux et les Éothraim. Mieux valait lui laisser cette tâche, avec du temps et ses moyens à elle, qui connaissait les gens et saurait mieux qu'eux convaincre et séparer le bon grain de l'ivraie. Les aventuriers se rendirent à ses arguments et se dirent qu'il ne leur restait alors plus rien à faire dans la région.

Leurs efforts diplomatiques avaient globalement été couronnés de succès, mais ils n'avaient plus le temps de chercher de nouveaux alliés comme les nains ou les elfes, trop éloignés. Une visite à Esgaroth aurait bien tenté certains, désireux de chercher le fameux bouffon et probable espion du Nécromancien. Néanmoins, une autre tâche semblait prioritaire : essayer de voler les pierres magiques capables d'appeler les dragons et possédées par des sorciers présents dans le convoi pour Angmar. Après quelques sorts de Drilun, ils arrivèrent à déterminer que ce même convoi était encore loin d'arriver au nord de Dale et des environs : il était encore au nord des Monts de Fer, et c'est là qu'ils dirigèrent leurs chevaux, après avoir récupéré ceux qu'ils avaient laissés aux bons soins de Jirfelian.

Chevauchant au triple galop vers l'est, ils atteignirent vite la zone de collines et coteaux qui s'étendait entre Dale et les Monts de Fer plus à l'est. Mais la pluie arriva aussi et les força à ralentir l'allure. Ils passèrent toute la journée sous la pluie, dans ces collines, abandonnant bientôt le sentier qui se dirigeait plus au sud, tandis qu'eux remontaient plus au nord. Le soir, ils trouvèrent une grotte pour s'abriter et de quoi nourrir leurs ventres et le cimeterre des ténèbres, et ils furent repartis au matin sous un ciel dégagé. Ils longeaient les contreforts des Monts de Fer vers le nord-est quand Vif, dans l'après-midi, perçut au loin des cavaliers qui venaient à leur rencontre, et qui les avaient probablement repérés depuis une hauteur où ils surveillaient les environs. Ils devaient être une vingtaine.

Peu après, la lionne quitta ses amis pour se porter à la rencontre des cavaliers. C'était, comme elle s'y attendait, une patrouille de Sagaths qui venaient identifier ces intrus qui passaient par chez eux. Elle s'attaqua à eux et le combat fut aussi bref que sanglant, les orientaux s'éparpillant bientôt dans toutes les directions pour échapper au félin magique, moins ceux qu'elle put rattraper et éliminer. Elle revint ensuite vers ses amis avec un prisonnier légèrement blessé fermement tenu par une jambe. Mais il était malaisé de parler à cet homme qui ne connaissait presque que sa langue, et il fut bientôt exécuté le plus rapidement et "proprement" possible. Ils avaient tout de même réussi à obtenir un renseignement : le convoi serait probablement dans les parages, plus au nord, d'ici une semaine au plus.
Modifié en dernier par Niemal le 08 septembre 2015, 19:04, modifié 2 fois.
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Horselords - 41e partie : première approche

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1 - Discussions et hésitations
L'interrogatoire achevé en même temps que l'interrogé, les aventuriers débattirent de la suite à donner : comment aborder le convoi ? Bien entendu, personne ne songeait à l'attendre tranquillement sur place, d'autant qu'il était censé passer à une certaine distance plus au nord. Mais leur signalement serait sans doute donné d'ici peu. Les sept amis entraient sur des territoires contrôlés par l'ennemi, et plus ils se rapprocheraient du convoi, plus les rencontres seraient fréquentes voire les gens bien préparés. Et d'ailleurs, les pierres d'appel des dragons, qui étaient leur véritable objectif, étaient-elles toujours avec le convoi ? La chose fut confirmée par un sort de l'archer-magicien dunéen. Leur voyage était donc loin d'être terminé.

Ne fallait-il pas se déguiser dès à présent, voire lancer de fausses pistes ? Comment arriver à intégrer l'armée adverse et atteindre les Maeghirrim qui en étaient le cœur, et sans doute pas qu'un peu protégés ? Les idées fusèrent de-ci de-là, plus ou moins réalisables ou réalistes. Quelqu'un suggéra d'attacher des cadavres de Sagaths aux chevaux et de les envoyer vers le convoi... avec l'un d'eux déguisé en cadavre. Plusieurs parlèrent de prendre l'apparence de Sagaths afin de ne pas éveiller de soupçons, grâce entre autres aux habits des cavaliers que Vif venait de tuer. Malheureusement, elle n'avait pas fait dans la dentelle pour les faire passer de vie à trépas, et leurs habits ne seraient pas facilement récupérables. Et puis, comment maquiller Rob, aussi petit qu'un enfant de quelques printemps ?

Et puis tout simplement, comment aborder le convoi ? Foncer dans le tas n'était pas vraiment une option : même si certains membres se sentaient presque invulnérables physiquement face à des guerriers normaux, ils n'oubliaient pas qu'il y avait de puissants sorciers en face, sans parler d'une possible monstrueuse créature volante et de son redoutable monteur. Et Vif n'avait pas oublié non plus que des flèches spéciales avaient été faites à son attention, flèches qu'elle s'attendait à trouver face à elle tôt ou tard. Quant à la maquiller elle, cela paraissait inconcevable : la magie le permettait mais elle serait sans doute vite identifiée par les Maeghirrim. Et sur un pur plan physique, cela nécessiterait de reprendre forme humaine, ce auquel elle ne tenait pas. Comment donc pouvait-elle aider ses amis à parvenir à leur but ?

Il fut évoqué une diversion de sa part pour attirer l'attention ailleurs et favoriser l'entrée d'un espion. Voire deux diversions en même temps, avec Vif d'un côté et quelques guerriers du groupe de l'autre. Mais comment intégrer l'armée sans se faire vite reconnaître ? Les Sagaths parlaient une langue qu'aucun d'eux ne maîtrisait, et donc un déguisement de cavalier oriental ne tiendrait pas bien longtemps en jouant au sourd-muet. Geralt avait beau être doué pour se faire passer pour quelqu'un d'autre, il ne pouvait pas faire avec les Sagaths ce qu'il avait réussi par le passé avec des orcs, bien plus bêtes. Tromper l'ennemi semblait impossible, à terme. Restait peut-être la discrétion : se faufiler dans le noir, sans être vu de quiconque, pour trouver les sorciers et leurs pierres... Le petit voleur et le maître-assassin étaient les mieux taillés pour cela, mais y arriveraient-ils ?

En tout cas, il fallait déjà se rapprocher pour essayer d'en savoir plus et peut-être se faire une meilleure idée. Les cadavres des Sagaths furent dépouillés de leurs affaires afin qu'elles puissent éventuellement servir plus tard, mais les déguisements attendraient. Si d'autres rencontres avaient lieu, la lionne ferait en sorte de limiter les dégâts aux armures et habits, ce qui ferait grandement gagner au temps à Geralt. Et puis si des orcs étaient croisés, cela pourrait servir pour Rob voire d'autres. Dans tous les cas, le convoi était encore loin. Une fois les affaires ensanglantées des orientaux réunies et empaquetées, les chevaux furent montés et la galopade reprit à bonne allure, vers l'est essentiellement. Les aventuriers longeaient les contreforts et hauteurs des Monts de Fer sur leur droite, tandis que la vaste plaine défilait à leur gauche et face à eux. La journée était loin d'être terminée.

2 - Nouvelle rencontre et division
Après quelques heures à avaler les plaines au grand galop, un mouvement lointain, sur leur droite, attira l'attention de la féline Femme des Bois. Le groupe fit alors une pause, au grand plaisir du hobbit qui n'en pouvait plus, le temps que Geralt prenne la longue-vue. Comme tous s'en doutaient, il s'agissait d'une autre patrouille de cavaliers orientaux qui descendait des hauteurs. Comme la précédente équipe rencontrée quelques heures auparavant, ils avaient dû distinguer leur petite troupe depuis une hauteur, et à présent ils chevauchaient à bonne allure pour leur couper la route.

Mais d'autres mouvements attirèrent l'attention des yeux exercés du maître-assassin et de la féline rôdeuse : une demi-douzaine d'autres cavaliers les suivaient à bonne distance, probables survivants de la précédente rencontre. Après discussion, le groupe décida de se scinder en deux : Isilmë, Drilun et Vif iraient régler leur compte à leurs poursuivants, tandis que les autres iraient se mettre à l'abri en attendant l'arrivée de la nouvelle patrouille de Sagaths ou le retour de leurs amis. Vif estimait en effet avoir le temps de tuer les six cavaliers sur leurs talons et d'être revenue à temps pour participer à la moisson de vêtements et équipements orientaux qui les attendait face à eux...

Les deux archers et la lionne firent donc demi-tour. Mais dès que les six cavaliers sagaths se rendirent compte de la chose, ils se séparèrent en deux groupes de trois, l'un se dirigeant vers le nord et la plaine, et l'autre vers le sud et les hauteurs. Après un rapide débat entre Drilun, qui avait activé son tour d'oreille, et la lionne, les deux archers se précipitèrent vers le nord, laissant Vif s'occuper des cavaliers au sud. Ces derniers, voyant qu'ils étaient suivis, cravachèrent leurs montures, mais la lionne enchantée était la plus rapide. Au contraire, plus au nord, les trois Sagaths choisirent plutôt de foncer vers l'elfe et le Dunéen en poussant des cris de guerre...

Les deux archers mirent pied à terre à une vingtaine de pas l'un de l'autre et bandèrent leurs arcs. Deux flèches volèrent et deux cavaliers s'abattirent dans l'herbe, morts ou mourants. Le dernier baissa sa lance et se précipita droit vers Isilmë. Il n'était qu'à une dizaine de pas de l'archère quand la seconde flèche de Drilun s'envola, très vite suivie par celle de l'elfe. Les deux firent mouche et l'homme culbuta en arrière, mort sur le coup. Isilmë dut tout de même faire un bond de côté pour éviter le cheval qui arrivait droit sur elle, et il ne resta plus qu'à récupérer chevaux, flèches et équipement sur les cadavres.

Plus loin au sud, vif rejoignait son premier cavalier et lui bondissait dessus, de manière à pouvoir faire voler sa tête d'un coup de patte meurtrier. Mais ses deux collègues avaient choisi des trajectoires éloignées pour avoir une chance de sauver leur vie. Elle pourrait sans doute les rattraper tous les deux, mais cela lui demanderait du temps. Un œil en direction du reste du groupe au loin, et elle prit sa décision : Taurgil et compagnie n'avaient pas eu le temps de se mettre à l'abri dans un bosquet, ayant été pris de vitesse par la patrouille ennemie. Elle aurait pu les rejoindre et les aider, mais ils pouvaient bien se passer d'elle, elle avait entièrement confiance en ses amis. Et Drilun et Isilmë avaient rempli leur mission. Elle bondit alors en direction du premier des cavaliers qui s'enfuyaient.

3 - Charge sagath
Taurgil avait repéré un bosquet vers lequel il dirigea leurs chevaux. Mais les Sagaths furent plus rapides et arrivèrent droit sur eux avant que les arbres ne puissent être atteints. Et la lionne enchantée n'était pas revenue de son petit combat, elle continuait à jouer au chat et à la souris avec les derniers survivants des cavaliers qui les avaient suivis. Le Dúnadan arrêta alors le groupe et mit pied à terre, bientôt imité par Rob, couché dans l'herbe pour passer inaperçu, et Mordin, tous plus à l'aide au sol que sur un cheval. Geralt, de son côté, resta en selle et prépara son arc : il était assez bon cavalier pour que cela ne le gênât point, d'autant qu'il restait immobile.

Le grand rôdeur s'avança un peu par rapport à ses amis, d'environ une trentaine de pas. Voyant cela, et estimant sans doute qu'il était le guerrier le plus dangereux, les cavaliers ennemis formèrent une colonne de deux fois quatre lanciers dont il était l'objectif. De chaque côté de cette colonne, d'autres cavaliers sagaths, armés de lances ou d'arcs, se dirigeaient vers les autres membres du groupe, sans pour autant se priver de lancer une flèche ou deux vers le flanc plus exposé du grand combattant vêtu de mithril. Mithril qui arrêta ou dévia flèches et lances sans grand mal, laissant Taurgil libre d'attaquer à son tour.

Il éventra d'un coup d'épée le premier cheval qui passait sur sa droite. La pauvre bête s'étala au sol, vite immobile, tandis que son cavalier faisait un vol plané dans l'herbe, dont il se releva un peu plus tard, sans avoir l'air particulièrement blessé. Les Sagaths devaient avoir l'expérience de nombreuses chutes dans leur vie de cavalier. Derrière le Dúnadan, hobbit et Eriadorien aux cheveux blancs faisaient chanter leur arc et les archers adverses tombaient les uns après les autres. Mais un lancier arriva tout de même sur le nain, bien déterminé à le transpercer et à l'envoyer bouler sous les sabots de son cheval : sa monture lui fonçait droit dessus.

Mordin ne se démonta pas : déviant la lance à l'aide de son bouclier, il enfonça sa hache magique dans la tête du cheval, qui mourut sur-le-champ. Mais l'élan de la bête eut deux conséquences : d'une, le cadavre de la monture percuta Mordin sur un côté, le projetant plusieurs mètres au loin, d'où il se releva bientôt, sans réelle blessure ; de deux, sa hache lui fut arrachée de la main, restant plantée dans la tête du cheval. De son côté, le cavalier sagath privé de monture fit lui aussi un roulé-boulé dans l'herbe et se releva plus loin. Il se mit alors à courir vers les montures du groupe que certains de ses collègues commençaient à faire partir.

Car tandis que le combat se poursuivait à l'avantage net du groupe, plusieurs Sagaths passèrent sur les côtés des aventuriers en direction de leurs chevaux, et commencèrent à les faire fuir et à les emmener au loin avec eux. Après encore quelques Sagaths abattus, les survivants commencèrent à s'éloigner sans manifester l'intention de revenir pour un deuxième passage. Mordin avait trouvé plus rapide d'aller emprunter le cimeterre d'ombre au maître-assassin que de récupérer sa hache sans doute coincée dans la tête de cheval, mais ce faisant, il avait perdu du temps. Rob avait dû plonger pour éviter un cheval, puis il avait abattu un fuyard, comme Geralt également.

Le maître-assassin restant seul en selle, puisqu'il n'avait pas quitté sa monture, il se mit alors à la poursuite des Sagaths survivants qui partaient avec leurs chevaux. Il fut grandement aidé dans cette tâche par la lionne qui revenait enfin, après avoir abattu son dernier cavalier à elle. A eux deux, ils tuèrent ou dispersèrent les ennemis qui durent abandonner leurs chevaux, et Vif eut grand plaisir à les pourchasser les uns après les autres. Au bout du compte, aucun ne survécut. Les sept aventuriers furent bientôt tous réunis, à la tête d'une petite troupe de chevaux et d'un grand nombre de déguisements potentiels de cavaliers sagaths que Geralt n'aurait pas besoin de raccommoder comme les premiers qu'ils avaient récupérés...

4 - Repos et exploration visuelle
Après avoir rassemblé les affaires des Sagaths, les aventuriers se mirent à la recherche d'un coin où se reposer et passer la nuit. La journée était loin d'être terminée, mais d'une part elle avait été bien remplie, d'autre part Rob était épuisé, et il avait déjà bénéficié de la magie d'Isilmë pour lui redonner des forces. Taurgil, toujours aidé par la larme de Yavanna, finit par dénicher, plus au sud, comme une échancrure dans un escarpement peu éloigné, érosion causée par un petit ruisseau. Ce qui avait formé un espace triangulaire abrité du vent et des regards, grâce à la végétation arbustive, à défaut de protéger beaucoup de la pluie, qui heureusement n'était pas présente, malgré la formation de nuages.

Au-delà de cet abri, les aventuriers, et en particulier Geralt et Vif, n'avaient pas manqué de sonder les environs proches voire éloignés, à l'aide de la longue-vue entre autres. A proximité, même si cela représentait tout de même une distance de nombreux miles, le maître-assassin aux yeux perçants avait pu distinguer, vers le sud-est et sur les contreforts des Monts de Fer, comme une tour ou forteresse voilée par les brumes ou nuages qui s'accrochaient au relief. Mordin se rappela alors que de manière exceptionnelle, les Sagaths occupaient une ou deux forteresses vers le nord des Monts de Fer. Contrairement aux autres clans orientaux, ceux-là ne voyageaient guère en fonction des troupeaux de chevaux ou cibles de pillage qui régissaient d'habitude leurs vies. Ils formaient une espèce de clan purement militaire consacré à sécuriser le nord des Monts de Fer et à assurer le bon passage des convois d'Angmar.

Convoi que le balafré aux cheveux blancs arrivait peut-être bien à percevoir, à la limite de ses perceptions, loin vers l'est. Il lui semblait bien, en effet, voir comme un nuage bizarre dans cette direction. Mettant la longue-vue devant l’œil de la lionne, cette dernière put apporter davantage de détails, si fins étaient ses sens. Elle déclara, ce que ses amis traduisirent à l'aide des tours d'oreille de Drilun, qu'elle arrivait à voir, très loin d'eux, comme un tapis de petites silhouettes - des chevaux ? - qui soulevaient un nuage de poussière, auquel se mêlaient des nuées de petits volatiles noirs, probablement des crebain. Leur objectif était donc maintenant à portée de vue, d'une certaine manière.

Ce qui relança la discussion sur la manière d'aborder le convoi. Maintenant qu'ils avaient du temps et tout le matériel nécessaire, il valait mieux se déguiser en orientaux, d'autant qu'ils étaient sur leurs terres et qu'ils pouvaient s'attendre à en rencontrer d'autres. Autant ne pas trop annoncer à l'avance leur présence. Même si la tromperie n'empêcherait pas les Sagaths de venir voir ces cavaliers de plus près ou s'étonner des nombreux chevaux emportés par si peu de cavaliers, cela les obligerait à venir assez près pour pouvoir leur régler leur compte. Sans, bien sûr, qu'ils aient le temps d'en faire part à d'autres. Et Geralt fut bientôt à l’œuvre.

La nuit se passa le plus tranquillement possible, à peine dérangée par des hurlements de loups qui se repaissaient des cadavres laissés en arrière, et auxquels la lionne avait prélevé son écot. Taurgil avait tout de même demandé à un rapace nocturne de veiller sur eux, n'étant pas tout à fait confiant dans les perceptions de ses amis, sauf Geralt et Vif... qui étaient aussi les plus gros dormeurs du groupe. Le lendemain, le ciel était obstrué par des nuages bas voire un petit crachin, ce qui limitait la vision et les cachait en partie. Par ailleurs, selon une observation magique qu'il avait faite, le ciel devait peu à peu se découvrir en soirée. Ils furent donc tous bientôt en selle et repartirent vers l'est.

5 - Nouvelles présences
Assez vite, alors que la matinée était encore jeune, ils tombèrent sur un sentier nord-sud façonné par les traces régulières de cavaliers. Ils venaient juste de passer sur leur droite une butte dans les contreforts des Monts de Fer, qui plongeaient plus au sud. Et, adossé sur un sommet bien placé stratégiquement, la forteresse qu'ils avaient entraperçue la veille. Il s'agissait d'une grosse tour à laquelle était accolé un mur d'enceinte, et qui devait être la forteresse sagath dont Mordin avait entendu parler. Des cavaliers orientaux arrivaient d'ailleurs dans leur direction sur le sentier, depuis la forteresse, mais, grâce au ciel couvert, ils ne semblaient pas les avoir vus.

Le groupe décida de laisser passer les cavaliers sagaths sans les attaquer ou se faire voir et de filer à l'est, droit sur la plaine. Néanmoins, ils auraient bien voulu avoir une vision globale de cette région qu'ils ne connaissaient guère, et ils envoyèrent le maître-assassin et la lionne, le premier juché sur la seconde, afin d'aller explorer les environs tandis que le reste du groupe avançait. Les deux amis se dirigèrent donc vers le sud et l'est, jusqu'à retrouver des hauteurs leur permettant d'avoir une meilleure portée de vue. Vif grimpa sur un escarpement, avec son ami toujours sur son dos, jusqu'à trouver ce point de vue dégagé.

Depuis leur position surélevée, ils observèrent le paysage parfois obscurci par les brumes ou nuages bas, mais qu'un vent d'est dispersait petit à petit. En plus de leurs amis, ils virent quelques rares patrouilles de Sagaths, des troupeaux de chevaux sauvages et des hardes de loups. Mais également, vers l'est, ils virent mieux le convoi, même s'il était trop loin pour compter ses membres ou distinguer de nombreux détails. Néanmoins, ils purent distinguer un pointillé central qui devait représenter la longue file de chariots. Ces derniers progressaient probablement en colonne double, soit deux de front et non tous à la queue leu-leu. De nombreuses silhouettes de chaque côté devaient être les chevaux promis à Angmar, tandis que d'autres silhouettes similaires un peu autour étaient probablement des cavaliers Sagaths, dont quelques petits groupes d'individus parfois éloignés, sans doute des chasseurs ou éclaireurs.

Mais également, et cette fois-ci au nord, bien plus proche d'eux, dans quelques collines au milieu de la plaine, la lionne pensa voir des traces de vie et des petites silhouettes qui ne faisaient nullement penser à des cavaliers. Cela lui donnait plutôt l'impression de bandes d'orcs, d'autant que le lieu escarpé se prêtait sans doute bien à les abriter du soleil, et que leur activité diminua alors que la matinée avançait et que les nuages s'effilochaient parfois. Par ailleurs, ces quelques collines étaient toutes proches d'une espèce de ligne est-ouest qui traversait la plaine et qui était sans doute les traces de passage des précédents convois. Le lieu était donc idéal pour abriter des orcs chargés de surveiller le convoi et son arrivée.

Rôdeuse et assassin redescendirent bientôt de leur perchoir et ils tâchèrent de retrouver leurs amis en fin de matinée. Le convoi était encore loin, peut-être une cinquantaine de miles, mais les orcs étaient bien plus près. Ils étaient isolés et représentaient une source potentielle d'informations et de déguisements, en plus d'être bien placés, près du futur passage du convoi. Les aventuriers se dirent alors qu'ils allaient faire un petit détour du côté de ces collines isolées et faire un peu d'exploration et de nettoyage...

6 - Histoires d'orcs
En s'approchant, des traces récentes confirmèrent la présence d'orcs dans les environs. Des sorts de Drilun lui permirent d’appréhender la géologie de l'endroit et les cavernes et autres abris dans lesquels les créatures se protégeaient sans doute du soleil. Il n'y avait pas vraiment de vaste grotte, mais plusieurs petits renfoncements ou cavernes, de taille et de profondeur variées, qui accueillaient ces ennemis des Peuples Libres. Certains abris n'étaient occupés que par une demi-douzaine de petits guerriers, quand d'autres en hébergeaient plusieurs dizaines. Au total, le nombre d'orcs devait représenter une population de cent cinquante guerriers.

Discrètement, le groupe se faufila jusqu'à deux petits renfoncements qui se faisaient face à une portée de flèche de distance. A portée de voix, tout en restant caché derrière des rochers et après avoir pris magiquement une apparence repoussante, Drilun se mit à pérorer en noirparler en donnant l'impression qu'il était un orc qui venait de tomber sur quelque chose de délicieux à manger. L'unique garde de l'ouverture la plus proche et la plus petite demanda alors de quoi il s'agissait, et, n'obtenant pas de réponse, il alla voir directement par lui-même, aussitôt suivi par deux de ses collègues. Tous trois n'eurent pas le temps de pousser un cri lorsqu'ils tombèrent sous les coups qui d'une épée, qui d'une flèche, qui de griffes. Les trois autres orcs qui occupaient le petit abri proche, s'impatientant, arrivèrent bientôt et connurent le même sort.

Mais les orcs de l'ouverture d'en face n'avaient pas manqué de remarquer cette activité. Soupçonnant quelque aubaine que leurs collègues voulaient garder pour eux, ils arrivèrent à leur tour, plus nombreux. Ils tombèrent là encore sous les armes des aventuriers, et le second abri fut bientôt nettoyé, à l'exception d'un orc gardé en vie pour interrogation. La créature ne savait pas grand-chose de précis concernant la garde prochaine du convoi, mais il détailla les différents groupes d'orcs présents sur place : il n'existait que trois gros groupes de quelques dizaines d'individus, un dirigé par le chef et deux autres par des lieutenants. L'orc fut bientôt guéri de tous ses maux et les autres petits abris furent systématiquement nettoyés, ne laissant plus que les gros.

Geralt avait profité d'un sort de Drilun pour le faire passer pour un orc, ce qui ne l'avait pas empêché de rajouter un peu de maquillage par dessus pour davantage de précaution. Ainsi apprêté, et connaissant assez de noirparler pour se faire comprendre et traduire à peu près le parler des orcs de la région, il se dirigea sans se cacher vers l'une des cavernes qui abritait une trentaine d'orcs dirigés par un lieutenant. Comme il l'avait déjà expérimenté en Forêt Sombre, il n'eut aucun mal à se faire passer pour un guerrier orc particulièrement agressif et redoutable. Provoquant le lieutenant orc, il le combattit et l'abattit cruellement, prenant par là même sa place et défiant quiconque de l'en empêcher. Puis il galvanisa les troupes présentes avant de les emmener combattre les autres orcs présents dans les collines. Les orcs sous ses ordres furent enchantés, n'aimant rien de plus que combattre sous le commandement d'un chef redoutable comme celui-là.

En dehors de s'amuser à faire se combattre les orcs entre eux et ainsi de diminuer leur nombre, avec l'aide des autres aventuriers qui abattaient les éventuels fuyards, le maître-assassin avait une autre cible : le chef de cette bande de minables. Il l'eut bientôt à sa merci, bien vivant, tel un rival qui prend la place de son chef et qui jouit de sa suprématie en imaginant quel sort réserver au perdant. Mais en fait son objectif était avant tout de l'interroger sur le convoi et l'organisation de la surveillance par les orcs. Il apprit ainsi que ce groupe d'orcs faisait partie d'une plus vaste tribu originaire des Monts de Fer, et qu'il attendait le convoi pour le suivre un jour ou deux (plutôt la nuit en fait) avant de transmette la garde à d'autres orcs venus d'ailleurs. Leur rôle était d'abattre tout autre que les cavaliers sagaths ou les orcs, mais en dehors de cela il ne savait pas grand-chose.

Après quoi Geralt laissa un orc sans importance se défouler sur son ex-chef à l'aide d'un brandon enflammé, lequel ex-chef fit passer le goût du pain (et du reste) à ce snaga après avoir compris que le "nouveau chef" avait pris un peu de recul pour profiter du spectacle... Bref, le maître-assassin laissa la nature débridée des orcs prendre en charge la majeure partie de leur propre extermination, puis ses amis et lui intervinrent pour terminer le travail et occire les quelques créatures qui restaient. Il n'y avait plus aucun orc survivant dans les collines, et plus de la moitié étaient morts des mains mêmes d'un autre orc de leur tribu. Pris isolément, les orcs étaient vraiment stupides et faciles à manipuler.

7 - Approche et détail
A présent, il fallait passer au vif du sujet, c'est-à-dire arriver à portée de vue et de combat de ce fameux convoi. Rob, peu convaincant en Sagath d'un mètre dix, fut déguisé en petit orc, qui avait plus de chance d'être accepté des gens du convoi qu'en enfant trop jeune pour faire partie de l'expédition. Le maître-assassin cumula aussi deux déguisements d'orc et de Sagath, le second étant clairement visible mais pouvant rapidement laisser la place au premier. La lionne demanda à ce qu'on lui fabriquât un collier de petites bourses de tissu pour contenir diverses herbes utiles qu'elle pourrait facilement avaler : soins (dont un don-de-vipère), noix de l'écureuil et caméléon de nuit. En effet, elle craignait les flèches magiques fabriquées spécialement pour elle, et elle ne pourrait profiter des ressources de ses amis.

Trois ou quatre heures furent consacrées au sommeil, rendu plus profond et reposant grâce à du marchand de sable pour certains, ou un sort d'Isilmë. Cinq chevaux sagaths furent pris, tandis que les autres restaient attachés sur place, au milieu des collines proches du sentier est-ouest qu'empruntait le convoi. Et tous furent partis vers l'est, à une allure rapide mais modérée, comme un petit groupe d'éclaireurs ou de chasseurs orientaux qui revenaient de leur mission. L'objectif était d'arriver au convoi à la nuit tombante voire tombée, et de se faire passer assez longtemps pour d'authentiques Sagaths afin d'approcher suffisamment du convoi pour en apprendre le plus possible, voire saisir une éventuelle occasion pour mettre la main sur les pierres des dragons. Plan que le Dunéen trouvait bien trop léger à son goût. Il aurait bien vu quelques personnes faire diversion pendant que d'autres (voire juste un) prenaient discrètement les pierres, avec une retraite possible à grande allure avec l'aide de Vif.

Au début, cette dernière se plaça au milieu des cinq chevaux que montaient ses amis afin d'être masquée par leurs silhouettes et pouvoir se rapprocher le plus possible sans être repérée. Le groupe progressa ainsi sans rencontrer de difficulté, assez près pour, régulièrement, obtenir de nouveaux détails grâce à la longue-vue dont Geralt se servit souvent. La fin de la journée approchait, d'autant que le soleil, à l'ouest, était masqué par les nuages lointains que le vent d'est n'avait pas encore dispersés. La caravane de chariots et ceux qui l'accompagnaient changèrent de position tandis que le camp était monté pour la nuit et que de nouveaux venus apparaissaient.

En effet, les bandes de chasseurs et éclaireurs orientaux qui couvraient une zone distante de peut-être cinq miles autour du convoi revenaient vers ce dernier, remplacées peu à peu par des orcs qui occupaient la même zone, tout en laissant les Sagaths tranquilles. Ces bandes d'orientaux comprenaient une dizaine de cavaliers tandis que les orcs faisaient en général près du double, même si la taille des groupes était très hétéroclite. Des hardes de loups, en moyenne autour de dix ou douze individus, rôdaient aussi dans le même secteur et ne semblaient pas devoir le quitter. Des orcs montés sur des gros loups apparurent également. Les orcs venaient d'un peu partout et se rapprochaient du convoi, et les aventuriers en avaient déjà tout autour d'eux, bien qu'un peu distants. Ce qui rendait la position de la lionne de plus en plus délicate, d'autant que son odeur risquait de la trahir face aux nez des loups.

Le convoi lui-même devait comporter autour de deux cents chariots qui avaient formé un cercle. A l'intérieur de ce cercle qui devait bien faire une portée de flèche de rayon, peut-être trois mille chevaux sans aucun matériel étaient réunis, dont une part non négligeable de poulains. A l'extérieur du cercle, une zone d'une portée de flèche était dégagée, traversée parfois par de probables messagers orientaux. Plus à l'extérieur il était possible de distinguer des petits camps d'orientaux autour de quelques rares feux pour faire probablement cuire de la nourriture. Ces Sagaths avaient tous leurs montures à proximité, et ils n'avaient monté aucune tente, comme s'ils s'apprêtaient à dormir à la belle étoile. Ils occupaient une zone de quelques portées de flèche de large autour du convoi. Et à au plus une portée de flèche encore plus loin du convoi, une ligne de gardes sagaths - autour de deux cents peut-être, espacés de dix pas chacun - montait la garde autour du convoi et de ceux qui les accompagnaient.

Vif quitta le groupe qui continua à se rapprocher du camp ennemi. La lionne magique se roula dans l'herbe de la prairie pour masquer son odeur, mais après un moment, des loups la repérèrent et commencèrent à la pister. Puis des hurlements s'élevèrent dans la nuit pratiquement tombée lorsqu'ils furent assez près pour identifier en elle un ennemi, et la chasse fut donnée. Ce qui arrangeait un peu les aventuriers, qui avaient plus ou moins convenu d'une diversion que ferait la féline Femme des Bois, même si cette diversion intervenait un peu tôt. Et effectivement, plus ou moins entourée d'ennemis, elle ne put tous les éviter mais dut affronter loups et wargs - certains montés - et commença à en entraîner une partie au loin. Les tentatives des canidés de noyer leur ennemie sous le nombre échoua chaque fois, car elle était assez puissante pour faire éclater tout barrage d'ennemis qu'on lui opposait. Poursuivie par une centaine de loups, elle fila vers le sud à grande allure, sans moyen pour elle d'aider plus longtemps ses amis d'aucune manière.

8 - Repérés !
Les hurlements de loup n'avaient pas eu la poursuite de Vif pour seule conséquence : l'alerte avait aussi été donnée au niveau du convoi, et des guerriers avaient préparé leurs affaires, prêts à remonter en selle dès que l'ordre serait donné. Comme une troupe se formait vers le côté ouest du convoi, les six amis décidèrent de longer ce même convoi par le sud à une distance de quelques portées de flèche. Geralt, en contact avec le cimeterre d'ombre pour ne pas être gêné par le manque de lumière, continuait à utiliser la longue-vue pour espionner le convoi et essayer de distinguer l'endroit où se trouvaient les Maeghirrim et les pierres qu'ils étaient venu chercher. Hormis Isilmë, ils avaient mis du trèfle de lune dans leurs yeux pour voir aussi bien que l'elfe dans l'obscurité, mais la magie de l'arme des ténèbres permettait de voir dans le noir comme en plein midi.

Il pensa trouver leur objectif lorsqu'il distingua un charriot qui se démarquait des autres, notamment par la garde de Sagaths d'élite qui l'entourait. Il vit même un autre de ces Sagaths d'élite - il y en avait peut-être un pour dix guerriers - venir depuis les camps extérieurs au cercle de chariots et pénétrer dans ce même probable abri des chefs sorciers. Peu après, le maître-assassin vit le même oriental sortir du chariot des Maeghirrim et donner des ordres autour de lui et dans les camps des Sagaths, en particulier les plus proches de ceux où se trouvaient les aventuriers. Geralt pensait même avoir vu l'homme faire des gestes dans leur direction.

Et il n'y avait pas que des Sagaths qui se mobilisaient et commençaient à monter une expédition vers le sud, du côté où ils se trouvaient. Le balafré aux cheveux blanc distingua également trois individus dont l'accoutrement et la silhouette n'évoquaient pas des orientaux mais plutôt les rôdeurs noirs de Dol Guldur, ou ceux qu'ils avaient rencontrés du côté de Forpays. Et l'un d'eux pointa du doigt vers eux, comme s'il les percevait, ce qui était peut-être bien le cas. Une armée de près d'une centaine de cavaliers sagaths semblait sur le point de se lancer vers eux, avec Sagaths d'élite et rôdeurs noirs parmi eux. Comment avaient-ils été découverts ? Drilun fit la remarque qu'il n'était pas le seul à pouvoir lancer des sorts de divination ; et ils avaient pu constater qu'il y avait de puissants sorciers parmi leurs ennemis...

Quoi qu'il en fût, il ne fallait plus espérer prendre le convoi par surprise. Au mieux pouvait-on profiter de l'agitation présente pour aider à l'infiltration d'un d'entre eux en catimini. Mais Geralt était contre, il ne se sentait pas de prendre un tel risque : trop de monde pour passer inaperçu, pour lui, et trop d'agitation pour jouer au sourd-muet. En revanche, Rob tenait peut-être là une occasion inespérée de prouver sa valeur pour ses amis. Mais vu les risques, personne ne lui en voudrait s'il flanchait : s'il décidait de tenter de pénétrer dans le camp adverse, il serait seul, sans aucune aide possible. Sauf peut-être celle de Tevildo, pensèrent certains de ses amis...

Du côté du convoi, un cri fut donné et la centaine de cavaliers s'élança dans leur direction, bientôt suivis par d'autres. Pressé par le temps, le hobbit hésita, ne sachant quoi penser. Ils avaient déjà tous trop tardé, l'armée serait bientôt sur eux et il n'arrivait pas à se décider, tandis que Geralt le pressait de remonter sur son cheval pour pouvoir partir. Lui n'attendrait pas un instant de plus. En fin de compte, le petit voleur n'osa pas rester tout seul, et puis il se dit qu'il se ferait piétiner par les chevaux s'il restait sur place en tâchant de se faufiler dans l'ombre, invisible. Alors que ses amis commençaient à talonner leurs montures, il sauta d'un bond vers le cheval du maître-assassin qui passait près de lui. Il attrapa d'une main la couverture du cheval et de l'autre la main tendue de son ami, derrière lequel il se retrouva vite. Le cheval n'avait même pas eu besoin de ralentir. Mais le départ avait été trop tardif, et les cavaliers ennemis arrivaient à portée d'arc à présent.

Geralt resta en dernier, tout en activant la magie du cimeterre d'ombre qui accentua fortement l'obscurité sur trois mètres autour de lui. Enveloppé d'une sphère d'obscurité presque totale pour les archers derrière lui, il masquait en partie ses amis proches. Taurgil et Mordin avaient pris de l'avance, mais les chevaux de Drilun et Isilmë furent visés. La monture de cette dernière écopa d'une flèche dans la croupe, blessure non mortelle qui la fit se cabrer brutalement. L'elfe dut mettre toute son énergie pour ne pas voler en l'air et rester accrochée à sa monture. Mais le cheval de Drilun prit une flèche mortelle dans le flanc et il s'abattit. Son cavalier roula maladroitement dans l'herbe mais le choc fut en grande partie absorbé par son armure magique de peau de dragon. Il était à terre, avec une sphère d'obscurité qui arrivait sur lui - Geralt et son cheval, dernier ticket pour partir d'ici - et une armée de Sagaths cinquante mètres derrière lui. Le maître-assassin n'aurait pas le temps de s'arrêter pour lui, il faudrait monter en marche. Et le Dunéen n'était nullement acrobate, sans oublier qu'il ne voyait rien dans cette obscurité magique.
Modifié en dernier par Niemal le 22 février 2021, 21:06, modifié 3 fois.
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Horselords - 42e partie : orcs et pierres (1/2)

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1 - Le rugissement de la lionne
Les pensées défilèrent à toute allure dans la tête du Dunéen. Stimulé par la perspective d'une mort possible et même proche, son cerveau affûté fonctionnait à plein régime et imaginait toutes sortes de stratagèmes pour repousser ou se protéger des Sagaths et rôdeurs noirs qui arrivaient à grande allure. Il avait le temps de rejoindre le cadavre de son cheval pour s'en servir de bouclier partiel, ou de faire un sort rapide, peut-être même deux avec de la chance et/ou de la motivation. Ensuite les cavaliers seraient sur lui. Sauter en marche et en croupe du cheval de Geralt, déjà bien chargé avec le hobbit en plus comme passager, ne paraissait pas à sa portée dans l'obscurité magique qui entourait Geralt. Et l'assassin ne se priverait sans doute pas de cette protection, sans laquelle les archers ennemis transformeraient sans doute la monture en porc-épic. Et cela c'était sans même parler du rapide épuisement du cheval s'il arrivait à grimper sur ladite monture...

Le balafré aux cheveux blancs choisit effectivement de maintenir la magie de son cimeterre d'ombre bien active. Mais en même temps, il fit freiner son cheval de manière à pouvoir permettre à son ami magicien de monter dessus sans faire une acrobatie digne de Rob, Vif ou lui-même. Le hobbit arriva à rester en selle malgré la décélération assez brutale, en partie grâce au bras de Geralt qui l'aidait à se maintenir en place. En parallèle, plus loin devant, Taurgil, Isilmë et Mordin prenaient conscience des problèmes de Drilun et réagissaient chacun à leur manière : l'elfe et le nain ralentirent leur cheval plus ou moins vite, tandis que le Dúnadan dirigea également son cheval sur un côté de manière à mieux voir et pouvoir revenir en arrière plus vite.

Pendant ce temps, l'archer-magicien avançait à quatre pattes en direction de son cheval mort, tandis que quelques flèches tirées par les Sagaths tombaient non loin de lui. Mais surtout, aux yeux de Rob, son ami semblait être en train de se concentrer, et il devina que de la magie était à l’œuvre. C'était bien le cas, et le Dunéen avait pensé à de nombreux sorts, comme défense magique ou brume pour les masquer tous et favoriser la confusion et la fuite. Mais en fin de compte, il avait pensé aux Sagaths dont la force repose avant tout sur le nombre... et leurs chevaux. Son amie féline était loin de là, elle qui avait beaucoup d'impact sur les animaux en général. Mais il avait aussi des pouvoirs qui lui permettaient de l'imiter...

Il se concentrait donc pour donner magiquement à sa voix le même timbre que Vif sous forme féline, et la même puissance, sinon plus. Il était très doué pour ce genre d'illusions, qui lui avait par le passé permis de transformer des voix dures et puissantes de trolls de guerre en voix de fillettes timides - et avec grand succès. Alors que les ténèbres magiques qui enveloppaient Geralt et Rob et leur monture arrivaient bientôt à son contact, et que les Sagaths se rapprochaient d'eux, il cria. Modifié par sa magie, le son quitta sa bouche comme un puissant rugissement qui n'avait rien à envier à celui de son amie. Le cheval de Geralt s'arrêta net en se cabrant comme un fou, et si le maître-assassin parvint non sans mal à rester en selle, ce ne fut pas le cas de Rob qui fit un splendide vol plané par-dessus le dunéen. Ses talents de gymnaste lui permirent tout de même de rouler dans l'herbe sans subir aucune blessure.

Plus loin, c'était le chaos. Les chevaux des Sagaths tombèrent par dizaines et ils furent encore plus nombreux à fuir, avec ou sans leurs cavaliers. Bien peu furent ceux qui arrivèrent à rester en selle ou à empêcher leur cheval de fuir, et même si d'autres cavaliers plus éloignés arrivaient qui étaient moins affectés, l'élan de la charge fut brisé net. Les amis de Drilun subirent aussi les contrecoups de ce puissant rugissement : les chevaux de Mordin, Isilmë et Taurgil partirent au galop dans une direction opposée à celle de leurs amis, et Geralt eut toutes les peines du monde à empêcher son cheval de fuir.

Ils avaient gagné du temps, mais il ne fallait pas le perdre à chanter victoire trop tôt. Le Dunéen monta en croupe du cheval de l'assassin, qui le fit partir au galop. En arrivant près du hobbit, il arrêta l'obscurité magique autour de lui tout en tendant un bras en direction de son petit ami. Ce dernier bondit vers lui et, aidé par Geralt, il fut bientôt agrippé à l'encolure du cheval qui s'éloignait de plus en plus vite. Leurs amis, de leur côté, arrivaient à calmer progressivement leur monture grâce à leurs talents de cavalier ou leur magie, de manière à les faire ralentir et permettre au trio à cheval qui arrivait de les rattraper. Drilun put alors monter en croupe derrière Isilmë - au grand plaisir de cette dernière - et ils partirent tous vers l'ouest.

2 - Fuite et combat
Le groupe n'était pas sorti d'affaire pour autant. Les Sagaths avaient mis du temps mais ils avaient fini par se ressaisir et une troupe armée de belle taille s'était lancée à leur poursuite. Par ailleurs, face à eux, des loups et de nombreux orcs convergeaient, y compris quelques wargs montés. Leurs chevaux étaient pour certains bien chargés, l'un d'eux même blessé, et ils risquaient de se fatiguer vite. Jugeant que l'occasion correspondait bien à ce qui avait été convenu précédemment, Mordin sortit le cor qu'il avait pris précédemment aux orcs de la caverne où ils s'étaient installés. Il souffla dedans conformément au signal convenu avec Vif pour indiquer à leur amie qu'ils étaient en danger.

Cette dernière, toujours en train de courir, entendit leur appel et changea de direction. Ses poursuivants s'étaient peu à peu réduits, ne laissant derrière elle que quelques dizaines de loups menés par une demi-douzaine de wargs. C'étaient manifestement les plus forts et les plus intelligents : ils restaient à distance et ne cherchaient qu'à l'épuiser avant de lui tomber dessus en nombre. Moins rapides qu'elle, ils étaient néanmoins bien plus endurants et compensaient facilement leur petit handicap. Lorsqu'elle se mit à foncer dans leur direction, ils s'organisèrent de manière à la noyer sous le nombre et permettre aux wargs de planter leurs crocs dans son corps. Elle ne s'inquiétait pas des loups, trop faibles pour percer sa protection magique dans le peu de temps qu'elle allait leur laisser. Mais elle fut surprise de ressentir de la douleur après le passage des wargs, qui avaient réussi à la blesser très légèrement : ce n'étaient pas des wargs ordinaires mais des morts-vivants, et leur magie leur avait permis de la toucher.

Tandis que la lionne s'extirpait du groupe de canidés après avoir fait voler quelques têtes, puis reprenait sa course en direction de ses amis, ces derniers arrivaient au contact des premiers orcs. Lesquels orcs furent quelque peu surpris de voir des Sagaths, grâce aux déguisements réalisés par Geralt, et l'un d'eux parler leur langue et les engueuler aussi bien qu'un chef orc le ferait. Le charisme et l'autorité de leur interlocuteur les persuadèrent de lui obéir, et ils firent en sorte de les laisser passer et de se préparer à ralentir leurs poursuivants. Les loups qui les accompagnaient, assaillis d'odeurs contradictoires et moins intelligents que des wargs, ne réagirent pas et laissèrent également passer le petit groupe.

Si les orcs et loups ne furent pas une réelle menace pour les Sagaths qui arrivaient, et furent vite remis dans le droit chemin (ou éliminés) notamment par les rôdeurs noirs présents, les poursuivants furent tout de même bien ralentis par cet imprévu. Par ailleurs, même si la nuit était claire, il n'était pas facile de repérer quatre chevaux dont l'un était masqué par une obscurité impénétrable. Grâce à la magie des soins d'Isilmë, les chevaux fatigués voire blessés avaient retrouvé de l'énergie et les fuyards n'avaient jamais ralenti. Néanmoins, malgré le retard accumulé, les Sagaths reprirent leur chasse aux aventuriers. Ces derniers étaient d'ailleurs en permanence survolés par quelques dizaines de grosses chauves-souris animées par une magie noire parfois perceptible par certains membres du groupe.

Vif n'avait eu aucun mal à repérer ses amis au loin, mais derrière elle le groupe de loups et de wargs avait grossi, et ce ne serait pas un cadeau que de les faire foncer sur le reste du groupe. Elle ne pouvait pas non plus les semer. Les combattre tous - en particulier la dizaine de wargs à présent à ses trousses - représentait peut-être plus que ce qu'elle pouvait gérer. Alors, arrivée à portée de flèche de ses amis qui venaient d'arrêter leurs chevaux et de mettre pied à terre, elle se retourna et se prépara à subir le choc de plus d'une centaine de canidés ivres de son sang. Tandis que Geralt restait à distance pour garder les chevaux qui n'avaient qu'une envie, celle de fuir, Rob tirait sa première flèche en direction des plus gros loups qui assaillaient son amie et les autres aventuriers s'avançaient plus ou moins vite à la rencontre des loups.

La lionne magique fit voler les têtes et broya les corps sous son corps magique et puissant, malgré les nombreux loups qui essayaient de l'étouffer sous le nombre. Mais c'étaient surtout les wargs magiques qui lui causaient souci, car elle sentait leurs crocs qui allaient finir par l'affaiblir peu à peu. Ses amis, submergés par les loups, ne pouvaient l'aider et avaient eux-mêmes fort à faire, écopant pour certains de morsures heureusement réduites voire ignorées grâce à la qualité de leurs armures. Seul le hobbit arriva vraiment à aider Vif, blessant les wargs de ses flèches voire tuant instantanément l'un d'eux d'un trait bien inspiré. Grâce à lui, la lionne put se débarrasser des derniers wargs qui l'assaillaient et faire fuir les loups dont les chefs étaient tous morts. Leurs ennemis partis, les amis de Vif virent que cette dernière était couverte de traces de morsures et de sang, et une partie était le sien.

3 - Soins et décision
Heureusement, malgré ses nombreuses morsures, elle ne souffrait d'aucune blessure sérieuse. Elle aurait bien voulu profiter d'un peu de magie de ses amis, en particulier des mains de roi de Taurgil, afin de faire disparaître la douleur qui l'assaillait, mais les ennemis étaient encore trop proches. Ils repartirent donc tous malgré leur état d'épuisement ou leurs petites blessures, jusqu'à voir enfin la troupe adverse rebrousser chemin. Mais d'autres ennemis pouvaient être proches, comme des orcs et loups, et ils décidèrent de ne s'arrêter qu'une fois loin d'ici, en sécurité. Ils chevauchèrent donc quelques heures de plus au galop, dans la nuit, jusqu'à retrouver les collines et la caverne où ils avaient laissé chevaux et quelques affaires.

Les soigneurs se mirent au travail, avec l'aide de magie, baume orc ou athelas, dont la fragrance leur fit oublier un moment leurs soucis. Certains plongèrent dans un sommeil magique et récupérateur, Geralt préférant utiliser du marchand de sable : il serait impossible à réveiller pour trois heures environ, mais il serait ensuite en pleine forme. De toute manière, le groupe ne comptait pas rester très longtemps, d'autant que le soleil se lèverait avant eux. Le solstice d'été n'était pas très loin, les nuits étaient donc courtes, d'autant qu'ils étaient dans des terres nordiques.

Au réveil, Geralt alla faire un tour des environs avec Isilmë afin d'observer les traces d'éventuels ennemis. Des crebain les accueillirent à leur sortie de caverne et les suivirent jusqu'à un sommet dans les collines. A tout le moins, les sorciers du convoi seraient sans doute vite au courant de leur présence ici. L'un d'eux n'était d'ailleurs peut-être pas très loin : à l'aide de sa longue-vue, le maître-assassin repéra bientôt un groupe de dizaines de Sagaths menés par des hommes en noir, sans doute des rôdeurs. Ils étaient assez loin, à plusieurs miles, au-delà des collines : impossible de leur tomber dessus par surprise. Par ailleurs, ils ne semblaient pas pressés de s'approcher, ils faisaient plus penser à des éclaireurs conscients de la présence d'ennemis proches. Ce qui fut confirmé après un moment quand le balafré aux cheveux blancs vit l'un des hommes en noir parler aux crebain. Un sorcier sans doute...

Une fois de retour, lorsque tous furent réveillés, ils décidèrent de leur prochain mouvement dans leur guerre contre le convoi. Le fait d'avoir été repérés et d'avoir des petits espions en permanence au-dessus de leurs têtes était un fameux handicap pour toute action contre leurs ennemis. Ils n'avaient donc pas d'autre choix que de partir loin de là, vers l'ouest. La carte de la région qu'ils avaient emportée les aida à planifier leur prochaine étape : loin de là, aux abords de contreforts des Montagnes Grises, le chemin que devait parcourir le convoi traversait une contrée moins plate et plus escarpée, plus à même de se prêter à une embuscade ou autre coup fourré. Le convoi mettrait peut-être une semaine à y arriver, ce qui était le temps qu'il leur faudrait pour mettre en place leur nouveau plan.

Ils furent donc bientôt partis au grand galop sur des montures bien reposées, vu qu'il leur en restait dix en plus des quatre qui avaient servi la nuit. Cinq d'entre elles étaient nécessaires, Rob voyageant en général en croupe sur le cheval de Geralt et Vif n'ayant besoin de rien d'autre que ses propres pattes félines. Les crebain les suivirent, petits espions des sorciers du convoi, mais ils espéraient bien les voir partir une fois qu'ils auraient mis plus de distance avec ce dernier. Ils débattaient déjà de la manière de mettre en œuvre le plan que Mordin avait présenté à ses amis, jaugeant du caractère réaliste ou périlleux de ses propositions.

4 - Nouveau plan
La proposition du nain tenait en une idée simple : ne pas chercher à pénétrer les défenses du convoi, mais le laisser venir aux aventuriers qui l'attendraient, cachés. En pratique, cela n'était pas si évident que cela. Mordin avait pensé creuser une cachette dans le sol, cachette au-dessus de laquelle passeraient les chariots, permettant aux aventuriers les plus discrets de se trouver directement au cœur du convoi. Mais d'une part, ils n'avaient pas les outils nécessaires pour un tel projet, d'autre part de nombreux chevaux - voire les roues des chariots - risquaient de passer dessus et de mettre à mal l'édifice. Sans parler du fait que les chariots, pour ce qu'en avaient vu Geralt ou Vif à l'aide de la longue-vue, semblaient progresser sous la forme de deux colonnes. Faire en sorte de trouver l'endroit exact au-dessus duquel passerait l'une des colonnes de véhicules semblait hautement improbable, même avec de la magie.

Néanmoins, l'idée restait séduisante. Au-delà de la nature souterraine de l'abri - voilà qui était bien normal de la part d'un nain ! - la notion de cachette préparée avant l'arrivée du convoi avait ses défenseurs. A défaut de la mettre dans le sol, sur le passage des ennemis, il était peut-être possible de trouver à l'avance un des futurs sites où le convoi passerait la nuit. Si les convois avaient lieu chaque année, il y aurait sans doute des traces. De plus, avec quelques milliers de chevaux et d'hommes à faire boire, le lieu comporterait immanquablement un point d'eau conséquent. Entre ces contraintes et leur magie, cela ne devait pas être si dur à trouver. D'autant que, selon leur carte, il existait une région plus accidentée, que traverserait bientôt le convoi, qui le ralentirait et fournirait sans doute de nombreuses cachettes naturelles possibles.

A cela s'ajouta une autre idée. Lors d'une pause après deux heures de galop, Vif repéra au loin les traces d'une présence des orcs, ce qui fut confirmé par un sort. Et il y en aurait d'autres un peu partout, qui devaient se relayer pour monter la garde autour du convoi, en particulier la nuit. Or, Geralt en ayant déjà fait plusieurs fois l'expérience, il n'était pas si difficile que cela de les tromper et de prendre leur commandement, avec les bons déguisements. Et ainsi de les utiliser contre le convoi, d'une manière ou d'une autre : gêne, diversion... D'autant que plusieurs des aventuriers parlaient à présent très bien le noirparler, langue des serviteurs du Nécromancien, dont toutes les langues des orcs étaient issues et qu'ils devaient comprendre.

Un petit débat eut lieu concernant la centaine d'orcs proches, que certains voulaient déjà commencer à enrôler. Mais l'embuscade présumée aurait lieu à plusieurs jours à l'ouest à l'allure du convoi. Par conséquent, ces orcs ne seraient pas utiles car ils auraient sans doute disparu depuis un moment, laissant le soin à d'autres d'assurer la sécurité nocturne des Sagaths et de leur butin. Et supprimer les orcs proches risquait d'avertir leurs ennemis de ce qu'ils préparaient. Ils reprirent donc la route vers l'ouest à bonne allure, jusqu'à arriver avant même le milieu de la journée aux premiers contreforts des Montagnes Grises.

Même d'une année sur l'autre, les traces laissées par les précédents convois vers Angmar étaient faciles à suivre, alors même que le nombre de chevaux et chariots devait être bien moindre. Tandis que le chemin commençait à monter, les aventuriers tombèrent sur un site idéal pour faire reposer hommes et montures : au milieu des rochers, adossé à une butte pentue mais facile à escalader, un petit lac emplissait une petite partie d'une vaste cuvette, laissant assez de terre ferme tout autour pour accueillir le convoi entier. Et les traces indiquaient que c'était un site d'arrêt régulier. C'est donc ici qu'ils mettraient leur projet à l’œuvre.

5 - Histoire d'orcs
Une fouille rapide des environs indiqua à la lionne la présence de divers groupes d'orcs à proximité. Le plus gros groupe devait compter une trentaine de membres et occupait une caverne proche qu'elle décida d'aller nettoyer. Les orcs en question devaient être une troupe de guerre issue d'une tribu plus éloignée, et ils ne comportaient aucun orc spécial ou équipé d'arme magique, aucun uruk, aucun utilisateur de magie. Leur élimination ne fut pour elle qu'une formalité, mais elle garda le chef - et a priori le plus intelligent de tous, ou au moins le mieux informé - pour la bonne bouche. Ses amis eurent donc le plaisir de la voir ramener, en le traînant par une jambe un peu blessée, un orc désarmé, un peu mal en point mais pas trop, puant et hurlant. Elle le laissa aux bons soins des interrogateurs du groupe pour aller avaler quelque chose et faire passer le mauvais goût qu'elle avait dans la bouche. Puis elle revint assister aux échanges.

L'orc, peu motivé pour donner à des ennemis autre chose que du silence, des coups ou des injures (sans parler de sa persistante mauvaise odeur), trouva très vite l'inspiration et une forte baisse de son agressivité après avoir perdu un ou deux doigts dans la gueule de la lionne. Il répondit aux questions en noirparler par un sabir orc infâme que certains aventuriers arrivèrent à traduire sans trop de problème. L'apprentissage express fourni par Tevildo avait tout de même des aspects positifs non négligeables... Le groupe eut donc bientôt une assez bonne idée de l'activité des orcs dans le coin, et leurs rapports avec le convoi qui était attendu.

Les orcs tués par Vif faisaient partie d'une tribu de trois ou quatre cents guerriers dont la caverne principale était plus au nord, à deux jours - ou plutôt deux nuits - de marche de là. Leur chef avait comme nom un sobriquet qu'on pouvait traduire par "écrase-nez", qui provenait de la manière dont il était devenu chef à la place de l'ancien chef, des années auparavant, à l'aide d'un marteau de guerre ou équivalent. Cette tribu, très commune pour ne pas dire classique ou primitive, ne comportait pas d'uruk ou de sorcier. Pour l'essentiel, leur activité principale se partageait entre les conflits avec d'autres orcs ou de très rares voyageurs ou explorateurs, la chasse, et un peu de travail de la mine et de la forge.

Côté convoi, d'habitude leur seule troupe de guerre d'une trentaine d'orcs suffisait ; mais là, ils avaient eu la visite d'un sorcier monté sur une créature ailée qui avait clairement fait comprendre que toute la tribu était réquisitionnée. Bien entendu, même si la plupart des autres tribus proches devaient être pareillement mises à contribution, il ne fallait pas s'attendre à voir arriver toute la tribu, sans quoi elle risquait fort de voir la place occupée à son retour par une autre tribu ennemie. En fait elles étaient toutes ennemies, sauf celles qui étaient plus ou moins sous la domination d'une autre, en un système féodal primitif et brutal. Bref, il fallait s'attendre à voir venir du nord deux à trois cents guerriers d'ici une semaine au plus.

L'orc donna ensuite le détail des autres tribus proches susceptibles de participer à la défense du convoi. En plus de petits groupes issus de tribus plus ou moins éloignées, il voyait essentiellement quatre autres tribus susceptibles de participer : une assez grosse au sud ; une petite d'une bonne centaine d'individus à l'est, que les aventuriers pensèrent avoir repéré en chemin ; et deux autres tribus de taille moyenne au sud et à l'est ou l'ouest. Après quoi, satisfaits de ces informations, les aventuriers laissèrent l'orc à Mordin pour qu'il essaye d'apprendre la langue des orcs. Malgré toute sa bonne volonté, le nain ne put s'empêcher de fendre assez vite le crâne du prisonnier. Il faut dire que l'apprentissage d'une langue essentiellement composée d'injures ne devait pas être chose facile pour quelqu'un d'un peu voire très susceptible comme Mordin...

6 - Préparatifs
Après quoi le groupe se concerta sur la suite à donner. Comment "enrôler" les orcs pour servir contre le convoi ? Qui, parmi ceux qui pouvaient parler suffisamment l'orc ou le noirparler, allaient s'occuper d'aller voir les tribus, et lesquelles ? Quels déguisements adopter, physiques ou magiques ? Qui resterait pour préparer la cachette et où fallait-il l'installer, pour combien de personnes et lesquelles ? Quel rôle donner aux orcs ? Où installer un camp pour mettre les chevaux et aventuriers restants à l'abri des orcs et éclaireurs du convoi ? Les questions ne manquèrent pas, les avis furent parfois partagés et changèrent plus d'une fois.

En fin de compte, il fut décidé d'envoyer Geralt et Vif seuls vers la tribu des orcs du nord dont ils avaient tué la troupe de guerre. Afin de pouvoir faire cela dans les temps, le premier devrait monter sur la seconde, qui serait forcément déguisée en warg, les orcs ne montant pas d'autre monture. La tribu de l'est était trop loin pour servir, celles du sud attendraient. Car au-delà du délai pour aller les trouver, qui serait sans doute court grâce aux talents de la lionne, il fallait les ramener, et cela prendrait au moins deux jours, ou plutôt deux nuits. S'il restait assez de temps après cela, ils s'occuperaient des autres tribus, selon le succès avec la première et le temps que cela aurait pris au final.

Les déguisements furent un autre point épineux du débat. Si Drilun n'accompagnait pas le maître-assassin et la lionne, un déguisement magique n'était pas envisageable. Mais comment déguiser Vif de manière efficace et durable ? Il était bien sûr possible de recueillir des peaux de loup dans les environs, et la lionne se fit un devoir d'y contribuer les heures qui suivirent le débat. Mais au-delà du travail que cela représentait - écorcher les loups, racler et nettoyer les peaux sans avoir le temps de les sécher et encore moins les tanner - la couture allait prendre du temps et risquait de se voir, à la longue, ou de ne pas tenir. Tous faisaient confiance aux talents de Geralt pour faire quelque chose de convaincant, mais cela suffirait-il pour tromper des orcs plusieurs jours durant ?

Drilun eut alors l'idée d'utiliser sa magie runique afin de rendre le déguisement de Vif encore plus réaliste : grâce à lui, elle serait un warg géant féroce et plus vrai que nature ! Tous adoptèrent cette idée et chacun s'affaira : tandis que Vif allait chasser les loups pour fournir les peaux nécessaires, la grotte des orcs fut investie provisoirement, toujours sous l’œil des crebain, à qui l'entrée fut refusée par des flèches. Au soir, ces derniers partirent et ne furent pas remplacés - ni les jours suivants - par des chauves-souris ou autres espions. Les affaires des orcs serviraient pour les déguiser tous, et les loups ramenés par la lionne servirent pour leur peau mais aussi pour leur viande, même si certains firent les difficiles. Néanmoins, le hobbit mijota leurs chairs avec tant de talent - ce fut son plus grand chef-d’œuvre culinaire de toute sa vie - que tous se laissèrent tenter (et davantage), et le moral du groupe déborda bientôt de satisfaction, plus encore que les estomacs...

Le traitement des peaux, la couture, les déguisements d'orcs et du warg géant, et également les runes magiques, demandèrent une journée complète de travail à l'ensemble du groupe. Si le petit lac avait permis de se nettoyer un peu, les aventuriers appréhendèrent l'idée de rester plusieurs jours de suite couverts des équipements et habits puants des orcs. Pour Vif, le déguisement fut jugé excellent et les runes magiques de Drilun empêchaient de repérer les coutures ou la vraie tête féline derrière le museau lupin. En revanche, le traitement rapide des peaux ne put empêcher un début de décomposition. Le "warg géant" qu'était Vif, et qui portait le grand orc qu'était devenu Geralt, allait au fil de temps traîner avec lui une odeur de mort de plus en plus étouffante. Cela allait bien avec le déguisement - pour autant qu'il ne tomberait pas en morceaux - mais l'empêcherait bientôt de pouvoir utiliser son odorat félin. Également, le déguisement était assez lourd et la ralentirait un peu, même s'il la protègerait également un peu dans un combat.

7 - Coup d'état au nord
Le couple assassin/lionne partit en début de nuit vers le nord. Ils étaient à présent Gothmog, un orc aussi agressif que redoutable, monté sur Grunt, le plus grand warg de la Terre du Milieu. A bonne allure, ils ne mirent que quelques heures pour couvrir les dizaines de miles de terrain escarpé qui les séparaient du gros de la tribu qu'ils cherchaient. Avec leurs sens particulièrement affûtés ils n'eurent aucun mal à trouver la grande caverne qui abritait la tribu. Les gardes furent quelque peu surpris de voir ces nouveaux venus arriver face à eux. Mais lorsque le chef des gardes eut fini en lambeaux sanguinolents car il n'obéissait pas assez vite au goût (!) du warg géant, les autres comprirent vite qu'il était dans leur intérêt de laisser passer l'orc sur sa terrible monture et de les présenter au chef, qui s'en dépatouillerait bien.

La tribu occupait une très grande caverne illuminée par de nombreux feux, et les orcs apprirent vite à laisser passer Gothmog et Grunt devant leurs manières agressives. Ils arrivèrent bientôt à une zone un peu plus élevée où trônait le chef "écrase-nez" et sa garde rapprochée de guerriers forts et fidèles. Ces derniers, ainsi que leur chef, eurent bientôt leur arme en main et s'avancèrent pour remettre ces nouveaux venus agressifs et insolents à leur place, suite à un échange verbal violent et coloré. Mais ils n'en eurent jamais le temps : à peine Geralt/Gothmog était-il descendu du dos de Vif/Grunt que cette dernière plongeait sur le chef. Elle le traîna par sa jambe blessée jusqu'aux pieds de son ami, qui, menaçant, réussit à faire comprendre aux gardes d'élite qu'ils étaient manifestement surclassés...

Magnanime, après avoir tout de même appuyé du pied sur sa blessure à la jambe, le maître-assassin défia le chef en bonne et due forme, chef qui put prendre son arme et se dresser, l'air menaçant, sur sa jambe blessée. Il fut le seul à combattre, les autres orcs présents n'ayant que peu envie de goûter aux crocs sanguinolents du warg géant. Il faut dire que l'un d'eux, trop impulsif ou pas assez prudent, se retrouva tripes à l'air, ces dernières servant de jouet au monstre... Geralt trancha la main d'arme du chef en deux temps et il l'envoya par terre d'un violent coup de pied au torse. Il utilisa ensuite du baume orc sur les blessures de l'ex-chef, tant - aux yeux des autres orcs - pour l'entendre crier un peu plus (l'application du baume restant très douloureuse) que pour le garder en vie afin de l'interroger.

L'orc déblatéra autant qu'il lui fut demandé sur la défense du convoi, les richesses de la tribu et les politiques des orcs dans la région, puis Geralt prit un brandon afin de cautériser les blessures du chef. Mais il était meilleur pour tuer que pour soigner, et sa tentative ne fut pas couronnée de succès. Elle aggrava même un peu plus l'état de l'ex-chef orc, sans arriver à empêcher les saignements de se poursuivre. En revanche, le spectacle eut l'air de beaucoup plaire aux orcs de la caverne, en particulier ceux - pratiquement tous - qui avaient des choses à reprocher à leur ancien chef. Son corps fut bientôt l'objet d'autres tentatives de le "soigner" entre de nombreuses mains, et Geralt fut bien vite adopté comme nouveau chef de la tribu.

Il annonça alors sa décision d'emmener toute la tribu vers des sommets de félicité guerrière et de trésors innombrables, Vif se chargeant d'appuyer à sa manière - définitive - la question ou remarque du premier orc qui fit part des femelles et de l'abandon de la caverne. Puis, comme le jour n'allait plus tarder, les deux se firent conduire à la chambre personnelle de l'ex-chef orc, où étaient enfermées trois femelles qui furent vite mises dehors, parfois pas en un seul morceau. Geralt/Gothmog accepta divers cadeaux et mets fins - pour des orcs - mais il préféra se nourrir du chamois que son amie féline alla chasser peu après.

Un orc particulièrement audacieux et lèche-bottes eut l'heur de plaire au nouveau chef des orcs, et il en fut bien récompensé : Geralt le nomma second et chargé de diriger la tribu lors de ses futures et inévitables absences. En l'honneur de cette fonction, il lui remit les armes de l'ancien chef que l'orc lui avait apportées. Avant la nuit et peu avant leur départ, il eut un discours enflammé et particulièrement inspiré où il expliqua que le convoi qu'ils devaient protéger était en partie composé d'elfes déguisés qu'il allait falloir tuer, même si des victimes collatérales étaient à déplorer parmi les Sagaths. Ce n'étaient pas exactement ses termes, intraduisibles en langue des orcs, mais toute la tribu comprit très bien qu'elle allait beaucoup combattre et s'enivrer de sang, de bataille et de trésors, toutes choses qui lui convenaient tout à fait. Et elle laissa le soin au chef - ou son second - de s'encombrer avec les détails, manifestant son enthousiasme total par de grands hurlements de joie. Puis ils se mirent tous en route, femelles et diablotins compris, à la nuit tombée.

8 - Cachette avec vue sur lac
Tandis que lionne et assassin jouaient aux ténébreux et sanglants seigneurs des orcs, leurs amis ne restaient pas inactifs. Deux questions se posèrent très vite à eux : où installer la cachette de manière à ce qu'elle soit située au meilleur endroit lorsque le convoi s'arrêterait près du lac, d'une part ; qui s'installerait dans la cachette pour tenter ensuite de tuer les sorciers et dérober leur pierre magique d'appel des dragons, d'autre part. Sachant que les ennemis se méfieraient certainement et disposaient de magie, il ne fallait rien négliger.

L'emplacement exact de la cachette fut déterminé après pas mal d'observations et beaucoup d'intuition. Les traces des années précédentes permirent d'avoir une assez bonne idée de la manière dont le camp serait installé. Le lac étant adossé à une butte, l'espace faisait une espèce de demi-cercle autour de la butte et du lac. Il semblait que les chevaux sans cavalier étaient et probablement seraient concentrés près du lac, entourés par les chariots. Les Sagaths et leurs chevaux seraient sans doute installés un peu plus à l'écart, tant pour se reposer que pour veiller. Des gardes seraient installés tout autour du camp, y compris sur la butte.

La nature, l'emplacement et la taille de la cachette furent déduits de ces éléments. Il paraissait impossible de creuser une cachette dans le sol meuble proche du lac, et les rochers alentours seraient sans doute trop loin du cœur du convoi, les chariots, pour pouvoir servir d'abri. Avec tout de même une exception : la butte elle-même contre laquelle le lac reposait. Cette butte était en fait un dénivelé de terrain assez raide, assez facile à escalader mais très difficile à emprunter pour un cheval. Un ruisseau en coulait à partir d'une source non loin du sommet et alimentait le lac, près duquel, le long de la pente, divers arbustes et autres plantes poussaient. Cette zone pentue et foisonnante de végétation semi-ligneuse semblait tout à fait propice à l'établissement de leur embuscade...

L'emplacement de la cachette fut choisi d'après la future organisation du camp, estimée d'après les traces anciennes et la transposition à une autre échelle du convoi. Ce serait une cachette naturelle faite de buissons épineux plus ou moins déplacés et assemblés pour avoir l'air naturels et ne pas dissimuler d'espace, et sous et derrière lesquels se placeraient quelques personnes n'ayant pas froid aux yeux. Leur nombre et leur nature furent là aussi sujet à débat et changement d'avis. Taurgil en serait, de même que le hobbit, particulièrement discret. Après réflexion, Isilmë, pourtant volontaire pour participer, en fut écartée. Elle resterait avec Mordin et Drilun dans la caverne des orcs qu'ils occupaient, à environ 2 miles (~ 3 km) du lac. C'était en terrain escarpé que les Sagaths et les chevaux n'iraient sans doute pas fouiller, et les orcs seraient de leur côté. Par ailleurs, si les sorciers ennemis essayaient de les trouver par magie, autant les amener à penser que l'équipe était à une certaine distance plutôt qu'au milieu du camp...

Tandis que le nain consultait un livre du rôdeur dúnadan sur le noirparler et que l'elfe et le Dunéen parlaient soins et morphologie, Rob et Taurgil, très à l'aise en nature, participèrent à la confection de l'abri végétal. Ils ne ménagèrent pas leur peine, d'autant qu'ils avaient du temps avant l'arrivée des orcs ou du convoi et de ses espions ailés ou éclaireurs à cheval. Le produit final fut jugé très satisfaisant, sur un plan visuel tout du moins. Au niveau odeur, les équipements des orcs qu'ils portaient feraient peut-être écran, et il serait possible de prendre un morceau de loup tué dans la cachette pour masquer encore davantage l'odeur de hobbit ou de Dúnadan. Côté magie, il fallait croiser les doigts, sachant tout de même que Taurgil portait la larme de Yavanna, qui avait de nombreux pouvoirs contre les magies ténébreuses. Cela étant, la magie divinatoire n'en faisait pas partie, même si elle pouvait être utilisée par des sorciers...
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Horselords - 42e partie : orcs et pierres (2/2)

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9 - Convoi en approche
Tandis que certains jouaient aux jardiniers bâtisseurs de cachette végétale, d'autres tentaient tant bien que mal de déplacer une tribu entière d'orcs survoltés. En fait, ce ne fut pas si dur que cela : le discours de départ de Geralt avait été si inspiré que les orcs étaient prêts à le suivre n'importe où sans se poser de question - pour le moment du moins. En revanche, motivation ne rime pas forcément avec efficacité, surtout quand c'est toute la tribu qui bouge - femelles et diablotins compris - et non juste les guerriers qui se déplacent. Le voyage prenait donc plus de temps et il fallut trois nuits pour arriver aux abords du lac et future étape du convoi. Qu'à cela ne tienne, Vif et Geralt en profitèrent pour faire des crochets afin d'enrôler de force des petites troupes d'orcs qui avaient le malheur d'arriver à porter de leurs sens. A la fin du trajet, au cours de la troisième nuit, le nombre de guerriers total s'élevait ainsi à au moins cinq cents orcs !

Conscients que les débordements d'orcs étaient chose aisée et difficile à gérer une fois enclenchée, les deux amis, sur la fin du voyage, prirent un peu d'avance afin de retrouver la grotte où le reste du groupe s'était installé. L'entrée de ladite grotte avait été masquée par de la végétation, essentiellement pour en occulter le contenu, à savoir leurs chevaux ou le massacre des précédents occupants, aux yeux des orcs. Ce qui ne gêna nullement la lionne ou l'assassin. Les aventuriers s'accordèrent sur une histoire à faire avaler aux orcs afin d'éviter qu'ils ne découvrent le contenu de la grotte ou son histoire : elle servait d'enclos aux montures des elfes, lesquelles montures seraient remises au convoi après la mort de leurs propriétaires. De toute manière, Geralt avait un tel ascendant sur les orcs de la tribu après son dernier discours qu'il aurait sans doute pu leur faire avaler n'importe quoi.

La nuit n'était pas encore terminée et la tribu agrandie n'avait pas encore pris ses quartiers qu'elle eut la visite d'une petite troupe de wargs montés qui demanda à voir le chef de la tribu. Apparemment ils venaient du convoi et venaient pour transmettre des ordres d'organisation donnés par les sorciers. Le commandant de cette troupe faisait partie d'une tribu non éloignée et il fut un peu surpris de découvrir le nouveau chef ; peut-être pas de voir que ce n'était plus "écrase-nez", mais sans doute plus par le côté impressionnant du duo Gothmog (Geralt) - Grunt (Vif). Le premier accueillit les questions du commandant de la troupe avec agressivité, comme un bon chef orc, ce qui ne fit pas ciller son interlocuteur. Manifestement, c'était bien dans l'ordre des choses.

Le chef des chevaucheurs de warg transmit donc les consignes d'une voix neutre et manquant de motivation. Manifestement c'était une corvée dont il se serait passé et il avait hâte de repartir. Il était prévu que le convoi arrive au lac en fin de journée, et le chef des messagers décrivit les distances à respecter et les zones à parcourir pour veiller à ce qu'aucun ennemi ne puisse atteindre le convoi sans se faire repérer. En fin de nuit après l'arrivée du convoi il faudrait commencer à déplacer les troupes vers l'ouest afin de pouvoir assurer une veille passive en journée, voire donner un coup de main en cas de pépin. Sans parler de transmettre le flambeau aux troupes d'orcs plus à l'ouest. Les motivations étaient maigres : éviter de trop attirer l'attention des sorciers dont certains étaient capables de faire regretter à ceux qui leur avaient déplu de ne pas être morts... Puis les messagers repartirent vers l'est et leur propre tribu.

En journée, Geralt remit le commandement de ses orcs à son second, prétextant des visites à passer aux autres tribus du sud afin de faire grossir encore leurs rangs. Puis il partit sur le dos de Vif dont le déguisement, s'il était encore remarquablement efficace, sentait de plus en plus l'odeur de charogne et de mort. Ce qui n'était pas pour déplaire au duo, vu le travail qu'ils avaient à accomplir, à savoir trois tribus à "recruter" s'ils avaient le temps. Pendant ce temps, leurs amis se postèrent en hauteur et ils commencèrent à voir arriver le convoi. Ce fut d'abord comme un petit nuage noir au-dessus de la plaine, qui dénotait la présence de crebain et autres oiseaux charognards, mais aussi le nuage de poussière soulevé par les milliers de chevaux. Petit à petit, leurs silhouettes au sol se firent visibles, ainsi que la longue ligne de véhicules formée par les chariots. Enfin, les éclaireurs commencèrent à arriver sur les lieux et inspectèrent les abords du lac. Dans leur cachette, Rob et Taurgil retenaient leur souffle, même s'ils ne risquaient pas grand-chose tant que le convoi n'était pas arrivé.

10 - Nouveaux coups d'état, au sud
L'objectif du duo, plein sud, était une grosse tribu dont les guerriers avaient déjà dû s'approcher de la route du convoi et qui avait dû elle aussi avoir la visite de messagers apportant les consignes. Vif et Geralt n'eurent pas à aller très loin pour croiser la route d'une patrouille provenant de cette tribu. L'apparition de ce grand orc chevaucheur de warg géant provoqua l'étonnement, sans doute surtout en raison de sa morgue incroyable alors qu'il était seul. Un orc en moins plus tard, déchiqueté par les crocs puants de la lionne déguisée, les autres membres de la patrouille décidèrent que les désirs du nouveau venu étaient tout à fait dignes d'intérêt et ils l'amenèrent, avec sa monture, à l'entrée de la série de grottes dans laquelle la tribu avait trouvé à s'abriter.

Pas de grande caverne abritant toute la tribu ici, mais divers passages entrecoupés d'espaces plus grands. Mais "Gothmog" et sa monture "Grunt" ne firent pas tout de suite le tour du propriétaire : les orcs partis chercher le chef les firent patienter, un peu trop au goût des deux amis qui se demandèrent s'ils n'allaient pas forcer le passage. Heureusement, le chef arriva alors, sous bonne escorte, et entama la conversation avec Geralt par des questions sur ses troupes et diverses recommandations sur la nuit à venir. Deux choses alertèrent le duo de choc néanmoins : le chef orc semblait jouer un jeu trouble aux yeux de Geralt, il avait surtout l'air de vouloir gagner du temps ; en parallèle, Vif entendait clairement des orcs armés qui se déplaçaient et prenaient position à proximité, et des ordres donnés depuis un point plus éloigné. Autrement dit, cet entretien faisait surtout penser à une mascarade et au début d'un piège.

"Gothmog" joua alors lui aussi la comédie et, l'air satisfait, s'apprêta à quitter le chef des orcs avec qui il discutait. Mais au dernier moment, il descendit de "Grunt" pour faire une confidence à son interlocuteur. Ce dernier, rassuré de voir à une certaine distance le warg géant à la forte odeur de charogne, eut à peine le temps de voir le coup qui allait le décapiter. Deux autres orcs subirent les frais de la colère de "Gothmog" qui hurla son mécontentement d'être pris pour un idiot, le tout dans un vocabulaire propre au langage fleuri des orcs... Dans le même temps, Vif enfonçait les rangs des orcs et parvenait à identifier la source du réel commandement : il s'agissait d'un uruk, entouré d'une garde rapprochée de six autres uruks, et il maniait une arme bien trop belle pour avoir été fabriquée par des orcs, et en trop bon état pour être normale. Où cet uruk avait-il trouvé une arme pareille, probablement magique et d'origine elfique ?

Le combat de la lionne fut donc plus prudent qu'à l'ordinaire : elle ne fonça pas droit sur le chef mais s'attaqua d'abord à ses gardes. D'autant que Geralt arrivait non loin derrière : après avoir fait tomber deux nouvelles têtes, il avait hurlé avec tant d'agressivité que les orcs ordinaires avaient jugé préférables de le laisser passer et de laisser le chef s'en occuper directement... s'il le pouvait. "Gothmog" demanda à voix forte à "Grunt" de lui laisser le chef, ce qu'elle fit donc en partie : une fois la garde décimée, ils s'attaquèrent ensemble au chef uruk, qui ne fit pas un pli même s'il fut gardé en vie encore un moment.

Puis "Gothmog" hurla sa victoire et s'instaura comme nouveau chef. Devant leur manque d'empressement, il ressortit le beau discours qu'il avait fait pour la précédente tribu, y compris l'histoire des elfes ayant infiltré le convoi et qu'il fallait aller tuer, mais avec une efficacité moindre. Histoire d'emporter le morceau, il donna l'ancien chef en pâture aux orcs, comme une friandise, pour qu'ils l'achèvent lentement, comme ils l'avaient tous rêvé. Il offrit les armes des uruks (moins l'épée du chef) à des orcs importants et nomma l'un d'eux son second. Il lui expliqua qu'il attendait de lui qu'il mène les orcs à l'assaut du convoi lorsque le signal serait donné, et lui assura qu'il ne ferait pas de vieux os s'il oubliait qui était le véritable chef. Puis Vif et lui partirent vers de nouveaux coups d'état.

Deux autres tribus connurent un sort similaire, une à l'ouest et une à l'est de celle qu'ils venaient de quitter. Ces tribus étaient plus petites et sans uruk ou autre personnalité notable. Toutes se rangèrent derrière la personnalité charismatique et la grande agressivité de ce chef venu d'ailleurs. Au final, "Gothmog" se trouvait à la tête d'une armée d'environ mille cinq cents guerriers orcs ! Le tiers, au nord, semblait sous contrôle, alors que le reste, au sud, était plus incertain. Mais dans tous les cas, et même s'ils ne représentaient pas une réelle menace pour les Sagaths, il avait là de quoi perturber un peu la petite routine du convoi.

11 - Nuit tranquille...
Ailleurs, les autres aventuriers attendaient. Drilun, Isilmë et Mordin restaient dans leur caverne à tuer le temps depuis un moment. L'elfe donnait des cours de soins au Dunéen que l'anatomie comparée des humains et des elfes (et plus encore, des hommes et des femmes) troublait bien plus qu'il ne voulait l'admettre. Mordin vit les manœuvres des orcs, une fois la nuit tombée : contrairement aux consignes données par les chefs du convoi, Geralt avait demandé aux orcs de ne pas faire de rondes mais de se rapprocher au plus près du convoi, à plusieurs portées de flèches des premiers gardes sagaths, et de se tenir prêts à attaquer. "Gothmog" avait donné les mêmes consignes à toutes les tribus, en leur donnant l'ordre d'attaquer toutes lorsqu'elles entendraient le bruit d'un cor sonner trois fois, deux coups brefs et un long. Puis il était allé se placer au sud, à la tête de la plus grosse tribu.

Du côté du lac, Rob et Taurgil attendirent eux aussi. Ils entendirent et virent les Sagaths et le convoi arriver. Comme prévu, les chevaux non montés furent regroupés près du lac, et entourés par un demi-cercle de chariots. Ces derniers étaient en fait disposés en deux lignes concentriques espacées de quelques mètres, mais ils n'étaient pas accolés à la butte où ce cachaient le rôdeur et le petit voleur. A cet endroit-là, ainsi qu'à l'extérieur du demi-cercle des chariots, des petits camps de guerriers sagaths et leurs chevaux s'étaient installés. L'un d'eux n'était qu'à quelques mètres de la cachette, et, même s'ils ne comprenaient rien à leur langue, les deux aventuriers en embuscade pouvaient sentir une tension certaine dans les échanges entre les orientaux. Il allait certainement se passer quelque chose, et leurs ennemis seraient difficiles à surprendre.

Au début de l'installation du convoi, les deux amis avaient perçu les reniflements et grognements de gros loups qui inspectaient le site. Ils étaient passés à quelques mètres et s'étaient attardés un peu longtemps à leur goût près de la cachette, puis s'étaient éloignés sans faire plus d'histoire. Entre les affaires des orcs et le morceau de loup mort qu'ils avaient avec eux, il semblait qu'ils avaient réussi à tromper l'odorat des loups et wargs. Petit à petit, la nuit s'installa et le calme se fit au niveau du camp. Rob et Taurgil attendirent, la consigne étant d'attendre environ les deux tiers de la nuit, au moment où le sommeil est le plus lourd pour les humains, pour passer à l'action.

Pourtant, alors que le temps passait, ni l'un ni l'autre ne pouvaient se défaire de la désagréable sensation que quelque chose ne tournait pas rond. Il y avait trop de bruits proches dans le camp, pour commencer - trop de gens semblaient encore actifs et ne dormaient pas, même si les lumières des feux et torches étaient à peu près toutes éteintes. En écoutant bien, il fut vite clair que les Sagaths du camp le plus proche ne dormaient pas ; à vrai dire ils donnaient même l'impression de faire semblant de dormir... de manière imparfaite. Mais d'autres bruits plus inquiétants provenaient de la butte, comme de passages nombreux, trop nombreux pour être seulement ceux de quelques gardes. Et même, des bruits étaient perceptibles comme de rochers que l'on fait rouler ou qu'on entasse en hauteur, comme avant de les faire rouler sur des ennemis. Ce fut bientôt une évidence : l'ennemi savait qu'ils étaient là, même s'il ne savait peut-être pas de qui il s'agissait exactement, et les Sagaths et sorciers s'apprêtaient à leur tomber dessus !

Au loin, Vif et Geralt perçurent qu'il se passait quelque chose dans le camp : de la lumière brusque, des cris et hurlements de loups, de l'agitation... Par ailleurs, en dehors des propres loups et wargs que possédaient les tribus des orcs, ils n'avaient vu aucun de ceux que contrôlaient les sorciers, comme s'ils étaient affectés ailleurs qu'à la surveillance, mais plutôt à une tâche au sein même du convoi. Ils se doutèrent que leurs amis avaient été découverts, et ils donnèrent l'ordre aux orcs de sonner du cor et d'attaquer. Puis, plus rapide que tous, Vif s'élança en direction du convoi, Geralt sur le dos.

Plus loin au nord, Mordin, Isilmë et Drilun entendirent les cors et les hurlements des orcs qui s'élançaient au combat. N'était-ce pas un peu tôt pour lancer l'attaque ? Eux-mêmes étaient derrière les orcs, plus au nord, et à environ deux miles du convoi, mais ils se dépêchèrent de sortir quelques chevaux et d'avancer en direction de la zone des conflits. Mais de nuit, sur un terrain escarpé, ils n'avançaient pas vite. Par ailleurs, déguisés en orcs et montés sur des chevaux, il valait mieux faire attention à ne pas tomber sur un gros groupe d'orcs au détour d'un rocher ou autre relief, leur déguisement ne tiendrait pas longtemps, malgré le peu d'intelligence dont les orcs faisaient preuve. Ils se rendirent compte qu'ils risquaient d'arriver lorsque tout serait fini...

12 - Larme et magie noire
Dès que Taurgil avait compris la menace qui pesait sur eux, il avait commencé à sortir de la cachette, suivi par Rob. A peine avaient-ils fait quelques mètres que des ordres furent donnés non loin d'eux, dans une langue qu'ils ne comprenaient pas et qui devait être le logathig, la langue des Sagaths. Aussitôt des bruits de pierres qui roulent dans la pente se firent entendre, et ils s'éloignèrent vite du bord de la butte où les rochers allaient bientôt arriver, réduisant leur abri en confettis. Mais dans le même temps plusieurs feux s'allumèrent d'un coup autour d'eux, magiquement, les plongeant tous deux en plein lumière. Un peu plus loin, ils distinguèrent un cercle d'ennemis qui les attendaient : wargs, Sagaths armés, voire un ou deux rôdeurs noirs... Pour l'élément de surprise que leur plan était censé leur fournir, c'était plutôt râpé !

N'ayant plus le choix, Taurgil fonça en avant en direction des ennemis, suivi par son petit compagnon. Tout d'un coup, des voix envoûtantes et un peu distantes, au-delà du premier cercle d'ennemis, se firent entendre. Le Dúnadan sentit qu'il était l'objet d'une sorcellerie quelconque, et même de plusieurs sorts : les sorciers ennemis devaient concentrer leurs efforts sur lui dans l'espoir de le transformer en marionnette docile... Mais ils ne savaient pas qu'il gardait sur lui la larme de Yavanna prise à Dol Guldur, qui avait le pouvoir de purifier et de protéger de la magie des ténèbres. C'était sans doute son seul atout, si l'on exceptait son armure de mithril, et il allait en jouer. A fond.

Il arrêta donc son élan et se mit à obéir aux voix, comme subjugué. De nombreux arcs et autres armes étaient pointés dans sa direction, mais des voix ordonnèrent - sans doute - de ne pas tirer et de le laisser passer. Les rangs des ennemis s'écartèrent et il put passer en direction des voix qui provenaient de quelque part entre les chariots. Rob, comme oublié de tous, suivit son ami avec inquiétude. Les arcs étaient toujours dirigés vers son ami, mais les crocs retroussés des wargs étaient bien trop proches à son goût. Et il percevait des dizaines voire des centaines d'ennemis tout autour d'eux. Il devinait un peu ce que son ami s'apprêtait à faire, mais ensuite ? Comment sortir de là ? Les copains avaient intérêt à venir vite... Il perçut à ce moment-là des appels de cor au loin et de lointains hurlements d'orc. Mais avant qu'ils n'arrivent...

Bientôt, Taurgil passa entre deux premiers chariots, toujours suivi par Rob, comme un somnambule qui avance doucement vers une vision onirique. L'origine des voix qui le guidaient furent bientôt visibles, grâce à quelques torches qui furent allumées : trois hommes en habits amples et noirs, comme ceux qu'il avait déjà vus par le passé, se tenaient là, entourés de divers guerriers Sagaths. Pour chacun d'eux, une main restait dans les plis de leurs vêtements et l'autre lui faisait signe d'avancer. Les trois sorciers, l'air très satisfait, se disposèrent en demi-cercle autour du rôdeur dúnadan, qui s'immobilisa à un ou deux pas d'eux. Puis ils lui ordonnèrent de déposer ses armes et armure.

Lentement, Taurgil sortit du fourreau une première épée et la posa au sol. Puis il sortit une seconde, et s'apprêta à en faire autant... avant de la plonger dans le corps du sorcier en face de lui, surprenant tout le monde. Il est vrai qu'au moment de sortir de la cachette, il avait pris la précaution de manger une des toutes dernières noix de l'écureuil que le groupe avait conservées. Sa rapidité - déjà naturellement grande - était donc stimulée à un niveau complètement inhumain. Le corps du sorcier transpercé n'avait pas encore touché le sol qu'il s'était tourné sur la droite et transperçait un deuxième sorcier. De son côté, Rob, très rapide même s'il n'avait pas bénéficié d'une noix de l'écureuil, avait encoché une flèche et transpercé le troisième sorcier, à qui il faisait face, pratiquement à bout portant. Tandis que des cris s'élevèrent, de nombreuses cordes d'arc se détendirent.

13 - Pierres perdues
Alors que le corps des sorciers touchait le sol et que les flèches des Sagaths ou rôdeurs noirs étaient libérées, Taurgil réagissait déjà, grâce à la rapidité apportée par la noix. Les flèches se brisèrent sur sa cotte de mailles de mithril, sauf peut-être une seule d'entre elles qui arriva à lui faire un bleu - vite oublié - à travers son armure. Puis il se mit dos à un chariot pour faire face aux wargs ou Sagaths qui le chargeaient, tandis que les flèches continuaient à pleuvoir. Rob, plutôt oublié mais pas assez à son goût, plongea sous le chariot opposé à celui contre lequel son grand ami s'était adossé. Les deux aventuriers eurent également le temps de remarquer, du coin de l’œil, que les sorciers mourants avaient chacun une pierre dans la main qui était restée dans les amples plis de leurs vêtements, pierre qui roula à leurs pieds ou un peu plus loin tandis qu'ils tombaient au sol.

L'espace entre les chariots n'était pas si grand que cela et les archers étaient pour la plupart en enfilade, entre les chariots sur la gauche du Dúnadan. Du coup, ce dernier fut l'objet d'un nombre limité d'attaques, que ce soit par épée, crocs ou flèche. Entre sa rapidité et son armure de mithril, il put sans mal éviter les blessures, alors qu'il avait le temps d'abattre les ennemis proches presque plus vite qu'ils ne mettaient de temps à arriver à son contact. Il put même récupérer l'épée qu'il avait laissée à terre et ranger l'autre, moins mortelle pour ses adversaires. De son côté, le hobbit ne savait que faire au début : les pierres des sorciers n'étaient pas à sa portée et les jambes ou pattes ennemies étaient nombreuses à passer autour. Mais il n'était pas taillé pour le combat de mêlée, et son arc risquait surtout de rappeler aux ennemis qu'il était là...

Il se rappela tout de même qu'il avait sur lui quelques graines de ronciers magiques offertes par Radagast, graines qui provenaient d'une petite répartition faite entre les différents aventuriers un moment auparavant. Tandis que le grand rôdeur accumulait les cadavres autour de lui, le petit voleur prit la bourse contenant les graines et il en jeta une première poignée du côté des principaux archers (dont deux rôdeurs noirs), puis une deuxième un peu plus loin, et une troisième, sur un autre côté, de manière à faire un angle plus facile à défendre. Petit à petit, les graines se mirent à pousser, offrant un abri et gênant les mouvements des combattants.

Mais si trois sorciers étaient morts, il semblait qu'il y en avait d'autres : pendant que le hobbit s'occupait de jouer au jardinier, le chariot contre lequel son ami se tenait s'enflamma brusquement. Un peu plus tard, ce fut au tour de celui sous lequel Rob était réfugié qui prit feu. La lumière facilita le tir des archers, mais les flammes ne gênèrent pas Taurgil autant que ses ennemis l'avaient prévu. Il faut dire que son armure de mithril le protégeait déjà bien, et il portait également une cape elfique de très bonne qualité, empruntée à Drilun car elle aidait à la discrétion. Il était donc bien isolé, même si l'état de la cape risquait d'en souffrir un peu. Il finit par changer de place tout en continuant à combattre, mais il n'avait pas été brûlé.

De son côté, avec l'espacement des combattants et la chaleur du feu de chariot au-dessus de lui, le hobbit sortit de sa cachette en direction de la pierre des sorciers la plus proche. Mais il la regagna bien vite après avoir mis la main dessus. Tout en combattant, le Dúnadan arriva à faire place nette autour de lui assez longtemps pour expédier du pied une des pierres restantes en direction du hobbit. Par contre, il ne comprit pas trop pourquoi son petit ami gaspillait ses dernières graines en les lui jetant à ses pieds. Ce qui ne le gênait pas trop vu qu'il ne restait pas longtemps au même endroit. Entre le feu et les ronces, il devenait de plus en plus difficile de combattre, mais cela gênait plus ses ennemis que lui.

Les combattants se firent plus rares face à Taurgil, qui en profita pour se rapprocher de la troisième pierre des sorciers. Par contre, il ne vit plus le petit voleur, qui avait fui le brasier que le chariot devenait progressivement. Il s'était éloigné de lui, et, curieusement, lorsqu'il arriva à le repérer un peu plus loin, en dehors de la double rangée des chariots, il était aux côtés d'un Sagath d'élite qui semblait parler à Rob et même le protéger des autres ennemis. A dire vrai, ce Sagath d'élite n'avait pas tout à fait l'air comme les autres, ses équipements n'étaient pas tout à fait les mêmes et il ne combattait pas. Il se demanda s'il ne venait pas de trouver le sorcier manquant... ce qui fut vite confirmé : sur un mot étrange de l'homme, il sentit bientôt une onde de choc le blesser, comme s'il avait demandé à une force magique de le briser physiquement. Heureusement, bien protégé par son armure de mithril et naturellement très costaud, il put résister à cette force maléfique.

14 - Renforts
Si les combattants se faisaient de plus en plus rares autour du Dúnadan, c'était peut-être parce que les chefs du convoi avaient remarqué que de près, leur ennemi était trop rapide et trop difficile à blesser. D'autant qu'il évoluait dans un espace en partie fermé par des chariots, dont certains en flammes, des ronces magiques, des piles de corps... De plus loin, à l'arc, il pouvait être attaqué par davantage de monde et une flèche finirait bien par trouver l'ouverture dans son armure. Mais l'attention des attaquants était aussi concentrée ailleurs. En effet, si les cors et hurlements des orcs avaient été perçus et peut-être pris en compte, ce n'était sans doute pas le cas d'une obscurité impénétrable qui avait enfoncé les Sagaths par le sud, ne laissant derrière elle que des corps morts et le plus souvent en plusieurs morceaux.

Taurgil, percevant le tumulte qui se rapprochait, avait compris que ses amis en étaient la cause. Ils ne mirent pas longtemps avant de le repérer : non seulement il était au milieu d'un fameux bazar composé de flammes, de cris et de cadavres, mais également les Sagaths avaient fini par comprendre qu'il valait mieux s'écarter que de mourir pour rien dans cette obscurité magique. Rajoutons à cela les sens exceptionnels de l'assassin et de la lionne, et le fait que cette dernière avait elle aussi consommé une noix de l'écureuil. Enfin, la Femme des Bois arrivait à ressentir les émanations magiques des pierres des sorciers. Ces pierres restaient leur principal objectif, et leur magie était proche et facile à percevoir, donc Vif restait concentrée dessus.

En fait, la féline Femme des Bois sentait que toutes les pierres n'étaient pas au même endroit. Deux d'entre elles étaient très proches l'une de l'autre, probablement portées par un même individu, la troisième restant un peu à l'écart. L'arrivée de Geralt et de Vif permit au Dúnadan de récupérer la dernière pierre des sorciers. La lionne repéra les deux autres, dans un espace également occupé par le hobbit, ce qui lui fit penser qu'il les avait sur lui. Curieusement, les ennemis semblaient l'ignorer complètement et il était en train de s'éloigner d'un Sagath d'élite... dont il émanait des effluves magiques !

Tandis que Geralt descendait du dos de la lionne pour trancher les têtes des rôdeurs et meilleurs archers à l'aide de son cimeterre ténébreux, Taurgil se rapprochait du probable sorcier afin de pouvoir l'éliminer. De son côté, Vif se précipitait vers quelques guerriers derrière lequel le faux Sagath d'élite se protégeait, dans l'intention de le faire passer de vie à trépas, et avant son grand ami rôdeur : le grand félin qu'elle était voyait cela comme un grand jeu, une compétition même... Elle se croyait tellement invulnérable qu'elle fut quelque peu surprise quand elle sentit une flèche magique pénétrer sans mal son cuir de félin enchanté.

La blessure était réelle et il s'en fallut de peu que la flèche ne coupât une grosse veine et ne mette en danger la vie de la lionne. Heureusement ce ne fut pas le cas, et la flèche fut vite retirée de son cuir magique. Elle se concentra à nouveau sur sa cible, qui proférait les paroles d'un nouveau sortilège. Comme Taurgil avant elle, elle subit la force destructrice de sa sorcellerie, qui l'ébranla... un bref moment seulement. Voyant le Dúnadan bientôt arriver à portée du sorcier, elle sauta près de l'homme en bloquant le passage de son ami, pour le plus pur plaisir de tuer le magicien noir elle-même... Mais qui avait tiré la flèche précédente ? La flèche était venue dans son dos, mais elle ne voyait personne d'exceptionnel dans cette direction... sauf peut-être le hobbit, qui s'éloignait d'eux comme pour fuir la zone d'obscurité autour du cimeterre magique de Geralt. Son attitude la surprenait de plus en plus.

15 - Guérison
Le rôdeur dúnadan avait fini par rassembler les pièces du puzzle concernant son petit ami, dont l'attitude étrange aurait éventuellement pu lui rappeler l'histoire de Rob, si seulement il avait été présent à l'époque. En effet, par le passé, Rob était tombé sous le charme ténébreux d'un anneau magique très puissant, anneau pour lequel il avait mortellement blessé Isis d'une flèche. L'elfe et compagne de Narmegil avait elle-même subi la corruption de l'anneau et elle était partie avec, mais son compagnon hobbit le lui avait repris avant de partir à son tour de son côté. Plus tard il avait été soigné par Elrond à Imladris, mais il n'avait plus osé reprendre les aventures aux côtés de ses amis et en particulier d'Isis... jusqu'à ce que cette dernière décidât de prendre sa retraite d'aventurière pour se consacrer à sa famille avec son époux.

Rob avait alors rejoint l'équipe à nouveau, mais ses anciens amis ne pouvaient oublier qu'il avait une petite faiblesse pour la corruption magique. Taurgil avait constaté au cours du combat que le hobbit avait comme cherché à le gêner avec des graines de ronciers magiques, peu après avoir récupéré une première pierre des sorciers, dont la puissante magie irradiait à des lieues à la ronde. Plus tard il s'était éloigné de lui et il avait été comme protégé par le sorcier que Vif venait de tuer, sorcier qui s'était entretenu avec le petit voleur. Et si la flèche magique qui avait blessé la lionne avait été remise par le sorcier ?

Taurgil n'eut pas le temps d'expliquer cela à Vif, qui était déjà partie. En effet, même sans comprendre tout cela, et même si elle ne comprenait pas le comportement bizarre de son ami, elle savait une chose : il faudrait bientôt partir, et elle ne voulait pas laisser le hobbit à leurs ennemis. En effet, les Sagaths et leurs maîtres avaient été surpris par son arrivée et celle de Geralt, mais ils finiraient tôt ou tard par se reprendre. De plus, si elle entendait clairement les attaques des orcs en ce même instant, elle comprenait aussi que les choses ne se passaient pas pour le mieux pour eux. Malgré leur nombre, elle percevait distinctement des hurlements de peur de leur part et des cris qui s'éloignaient. Ils étaient tombés sur quelque chose qu'ils n'avaient pas l'habitude d'affronter et qui les mettait en déroute. Encore un sorcier, voire plusieurs ?

Bref, il ne fallait plus tarder à fuir, sauf à craindre d'être le prochain sujet des mauvaises surprises à la place des orcs. Geralt était en train de fouiller le corps du sorcier-faux-Sagath récemment abattu, et ils avaient trouvé les trois pierres d'appel des dragons semblait-il. En fait, la lionne sentait maintenant quatre puissantes sources de magie, l'une d'elles venant du corps sans vie que l'assassin était en train de fouiller : la dépouille portait elle aussi une pierre dont le Dúnadan sentit la magie et qu'il récupéra, se sachant protégé par la pierre de Yavanna. Il ne manquait que le petit voleur. Bien entendu, toutes ces pensées et sensations avaient traversé l'esprit de la lionne en un éclair, d'autant qu'elle subissait la fantastique stimulation de la noix de l'écureuil mangée peu auparavant...

Et c'est donc pourquoi elle avait bondi à la poursuite du hobbit. Malgré sa rapidité, Rob n'avait rien pu faire pour empêcher la lionne de refermer sa gueule sur une de ses jambes. Elle l'avait donc ramené ainsi, à la manière des chetmíg qui avaient fait de même avec le petit voleur, près de Barad Eldanar. L'histoire se répétait une nouvelle fois... Une fois qu'ils furent tous réunis, Taurgil parla de ses doutes concernant leur petit ami. Il le fouilla et trouva sur lui, dans ses habits et contre sa peau, les deux pierres des sorciers qu'il soupçonnait d'avoir fait perdre la tête à Rob. Il prit les pierres, sachant qu'il était protégé par la larme de Yavanna, et appliqua ladite larme au visage du hobbit. Lequel hobbit se mit à vomir, comme s'il était malade de ce qu'il avait fait. Bien qu'affaibli, il semblait à nouveau lui-même, maître de ses actes, et Vif ne sentait aucune magie dans son aura. Fallait-il en conclure qu'il était guéri ? C'est ce que ses amis choisirent de croire.

16 - Fuite
Le maître-assassin avait terminé de fouiller le sorcier, et ce qu'il avait trouvé lui faisait penser qu'il s'agissait bien d'un des Maeghirrim, déguisé en Sagath d'élite : il portait en effet un anneau qui ressemblait fort à ceux qu'ils avaient déjà trouvés sur ces puissants sorciers ; trouvés, et détruits. En plus d'une petite lame, d'une bourse et de poison, ses habits faisaient penser à un cuir souple fin et très solide et ils avaient été maquillés pour ressembler à une cotte de mailles. Sans parler de la pierre couverte de runes récupérée par le Dúnadan, pierre qui ressemblait beaucoup aux trois pierres que portaient les sorciers que Taurgil et Rob avaient tués au début du combat. Y avait-il quatre pierres d'appel pour quatre dragons ? Et pourquoi celle-ci n'avait-elle été perçue que tout récemment ?

Mais les réponses attendraient, d'autant que c'était Drilun le spécialiste de la magie parmi eux. Il fallait donc le retrouver au plus vite, et fuir les environs pour retrouver enfin l'armée nordique. D'autant que le solstice d'été n'était que dans une semaine, l'endroit où le choc des deux armées aurait lieu ne devait plus être très loin. Qui savait ce qui était arrivé à Atagavia, Bronwyn et leurs hommes pendant qu'ils étaient loin d'eux ? Pendant qu'ils tuaient les sorciers et affaiblissaient le convoi, peut-être certains serviteurs du Nécromancien et d'Angmar avaient pris pour cible l'armée nordique, préparée au combat mais sans doute pas à la magie noire...

Rôdeur dúnadan et rôdeuse féline s'éloignèrent pour abattre quelques ennemis, laissant le hobbit aux bons soins de Geralt. Protégés par la zone d'ombre du cimeterre, ils s'éloignèrent des chariots pour trouver un cheval sagath. L'assassin abattit à l'arc un premier cavalier mais sa monture s'éloigna trop. De plus, les Sagaths purent localiser plus précisément la zone d'ombre grâce aux nombreux feux avoisinants et ils organisèrent des charges montées aux chevaux très serrés, à la manière d'un rouleau compresseur. Vu l'impossibilité de passer entre deux montures sans se faire écraser, Geralt tira dans la tête du cheval en face de lui pour briser la charge, et il cria avec beaucoup d'agressivité sur celui qui suivait afin de l'arrêter. Profitant de la confusion, il tua un cavalier et put récupérer son cheval.

Lequel cheval était très nerveux, ce qui était normal vu les événements qui se déroulaient autour d'eux, mais le balafré aux cheveux blancs en avait vu d'autres. Il monta dessus et prit le hobbit avec lui, qui avait repris quelques couleurs et l'avait suivi. Il avait aussi pu confirmer que la flèche magique qu'il avait tirée sur la lionne provenait bien du dernier sorcier qui avait été tué, avec la demande expresse de l'abattre elle et elle seule. Taurgil, pour sa part, monta sur le dos de la lionne déguisée en warg géant, non sans avoir enlevé une partie des flèches qui hérissait le puant déguisement. Vu tout ce qu'il avait subi, il serait sans doute bientôt bon pour la retraite !

Les ennemis les entourant de tous les côtés, et comme il y avait un cheval à ménager, les quatre amis prirent le chemin le plus direct et qui leur était le plus ouvert : la butte elle-même. La pente raide fut un vrai supplice pour le cheval, mais le maître-assassin était assez bon cavalier - il lui fallut tout de même tout son talent - pour arriver à faire avaler l'obstacle à sa monture, alors même qu'elle était aveuglée par l'obscurité magique qui entourait son cavalier. Bien entendu, la pente escarpée ne fut aucunement un obstacle pour la lionne, même lourdement chargée, et elle put éliminer les quelques gardes qui garnissaient les hauteurs tandis que Geralt et Rob arrivaient.

En haut, les quatre aventuriers rencontrèrent bientôt une ligne de guerriers sagaths qui avaient dû mettre en fuite les orcs, mais apparemment sans beaucoup combattre. Ils soupçonnèrent encore une fois l’œuvre d'un sorcier, et furent tentés de lancer l'attaque sur un groupe important d'où ils devinaient que la magie avait pu venir. En fin de compte, ils préférèrent faire un détour et fuir dans les collines escarpées à la recherche de leurs compagnons. Ces derniers avaient eu la surprise de voir les orcs fuir tout autour d'eux mais ils n'avaient pas été inquiétés. Vif les repéra bientôt et ils se dirigèrent vers eux, chacun rêvant de pouvoir vite retirer le déguisement puant qu'ils supportaient depuis trop longtemps.
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Horselords - 43e partie : un lézard de 15 tonnes

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1 - Sur le chemin du retour
L'elfe, le Dunéen et le nain identifièrent bientôt leurs amis : le warg était trop grand pour être quelqu'un d'autre que leur amie féline déguisée, et il était monté par Taurgil, facilement reconnaissable depuis qu'il avait retiré son déguisement d'orc, dans la cachette près du lac. Sans parler du maître-assassin et du petit voleur à cheval un peu derrière. Ils ralentirent donc et finirent par arrêter leurs chevaux, qui se mirent à trembler. C'était souvent le cas avec Vif, peut-être plus depuis qu'elle était couverte de peaux de loup dont il émanait une infecte odeur de charogne. Mais lorsque Mordin, en tête, fut presque en contact avec ses deux amis, son cheval fut pris d'une folie furieuse aussi puissante qu'inattendue. Le nain fut vigoureusement projeté en l'air à l'occasion d'une splendide ruade, et son cheval fit demi-tour et fonça à toute allure droit devant lui, affolé... avant de se briser les pattes sur des rochers non loin.

Mordin s'était légèrement blessé en retombant sur les rochers, ce qui le gênait sans doute moins que la perte du cheval. Au prix où ils étaient... Il eut une pensée émue pour le creux correspondant dans sa bourse, puis monta derrière Isilmë. Ils allaient tous retourner à la grotte où ils avaient laissé les autres chevaux, et repartir dare-dare vers l'ouest et l'armée nordique qui ne devait plus être très loin de son objectif. En chemin, ils firent attention de maintenir Taurgil, qui gardait les pierres magiques des sorciers, à l'écart des chevaux. Ils soupçonnaient en effet ces dernières d'épouvanter leurs montures si elles s'en approchaient trop. Les chevaux furent récupérés et ils repartirent vers le sentier, en faisant un détour vers l'ouest pour ne pas tomber sur le convoi ou ses gardiens.

Ils y arrivèrent sans mal, et même si le convoi ou une troupe de Sagaths et de wargs étaient perceptibles à l'est, ils étaient trop éloignés pour les inquiéter. Ils partirent donc vers l'ouest, au milieu de la nuit, et chevauchèrent deux bonnes heures à allure modérée. Taurgil était toujours monté sur Vif, les chevaux refusant d'approcher de lui. La lionne, qui n'avait pas dormi ou pris de repos depuis un moment, commençait à accuser la fatigue, sans parler des blessures prises dans l'attaque du convoi. Le groupe arriva enfin à la fin des contreforts escarpés des Montagnes Grises. De leur hauteur, ils voyaient le sentier qui continuait vers l'ouest à travers une vaste plaine désertée. Enfin, peut-être pas si désertée que cela.

Rob fut le premier à repérer quelque chose sur le sentier qui venait dans leur direction. Quelque chose de gros, pour lequel il réclama l'aide de la longue-vue de Geralt. Il faisait encore bien nuit et il ne pouvait distinguer les couleurs ou autres détails, mais l'image lui apparut bientôt dans son éclatante vérité : un gros ver - un dragon non ailé - arrivait dans leur direction, et il serait bientôt sur eux. C'est qu'il était rapide, le bougre, et le hobbit n'aurait peut-être pas parié sur les chevaux dans une course entre eux et le nouvel arrivant. Manifestement, une des pierres qu'ils transportaient avait été activée et le dragon avait répondu à l'appel. De la description qu'en faisait le hobbit, bientôt confirmée par d'autres comme Geralt, cela faisait penser à Culgor, dont ils avaient lu la description dans les papiers pris à Dol Guldur : un jeune dragon peu costaud, mais très rapide et agile. Le côté "peu costaud" laissait songeur, vu la taille du bestiau, qui semblait tout à fait capable de manger un cheval au petit déjeuner...

Que fallait-il faire à présent ? Un dragon, si petit et dépourvu de souffle enflammé fût-il, n'était pas un adversaire à prendre à la légère. Certains demandèrent à Drilun s'il ne pouvait contrôler la bête à l'aide de la pierre qui l'avait appelé. Mais l'archer-magicien douta de la chose ou même d'avoir le temps de le trouver. La fuite était-elle possible ? L'animal semblait capable de battre les chevaux à la course, et nul ne doutait qu'il était plus endurant qu'eux. Il avait dû parcourir peut-être une centaine de miles en quelques heures, il aurait été présomptueux de penser qu'il ne pourrait pas continuer ainsi au moins autant de temps. Parlementer ? Après tout, ils n'avaient rien contre le dragon et pouvaient peut-être même trouver des intérêts communs, comme un désamour de la sœur de Culgor, autre dragon semblait-il plus puissant que lui... Certains aventuriers doutaient tout de même de la chose. En attendant, il fallait choisir vite, car dans moins d'un quart d'heure il serait sur eux !

2 - Dragon aux trousses
La fuite semblait préférable au combat ou à la discussion, dans un premier temps au moins. Mais où trouver un refuge pour les protéger de la rapidité et de l'ardeur du dragon ? Les contreforts rocailleux des Montagnes Grises, derrière eux, devaient recéler des cavernes adaptées à se protéger du ver, mais ils n'avaient pas vraiment le temps de les chercher. Sauf en faisant appel à la magie... et Drilun fut une nouvelle fois sollicité. Un sort de connaissance de la terre lui apporta bientôt l'information recherchée : à une relativement faible distance, une petite caverne - a priori à leur portée - serait capable de les abriter tous et d'empêcher le dragon d'arriver à eux... Mais elle n'était pas assez grande pour les chevaux, qui seraient alors sans doute sacrifiés. Il existait aussi une autre caverne plus éloignée, assez grande pour les chevaux également, mais l'archer-magicien doutait qu'ils puissent y arriver avant le jeune ver.

Les chevaux leur étaient nécessaires pour parcourir les vastes étendues désertiques du nord du Rhovanion. Sans même parler du coût qu'ils représentaient, au moins dans la tête de Mordin. La seconde grotte était donc nécessaire. Mais comment faire en sorte d'y arriver à temps ? Le dragon paraissait attiré par la pierre magique qui l'avait appelé. Il suffirait donc d'envoyer le porteur de la pierre dans une autre direction, pendant que le reste du groupe irait trouver refuge dans la caverne repérée magiquement par le Dunéen. Taurgil gardant les quatre pierres sur lui, et comme il était incapable de monter à cheval avec ce fardeau, il devenait évident que c'est Vif qui aurait la charge de l'emmener au loin. Elle se serait bien passée de porter son grand et lourd ami, mais comme personne ne voyait comment lui faire porter de manière sûre les quatre pierres et la larme de Yavanna au contact de sa peau, elle devrait jouer à la diligence express - une fois de plus.

Hormis les deux amis chargés de jouer au chat et à la souris avec le dragon, les autres furent vite partis avec les chevaux dans les rochers escarpés, menés par Rob et Geralt avec les indications données par Drilun sur l'emplacement de la caverne. Non sans quelques dernières consignes avant de se séparer : Le maître-assassin, une fois le groupe en sécurité, était censé souffler du cor selon un code convenu pour signifier à Vif qu'ils pouvaient les rejoindre. Elle espérait tout de même que cela ne prendrait pas trop de temps, vu son état de fatigue et la réputation du ver, très rapide et agile. Tandis que ses amis s'éloignaient vers le nord et l'est, elle resta sur le chemin par où ils étaient arrivés, en reculant lentement avec Taurgil sur le dos.

Après quelques minutes, le dragon apparut, à bonne allure, mais il s'arrêta net là où le groupe s'était séparé. Il n'était qu'à quelques portées de flèche et la lionne le voyait très bien balancer sa tête d'un côté et de l'autre : il percevait parfaitement ses amis, et s'il choisissait de les poursuivre, malheur à eux ! Mais il semblait aussi très attiré par le Dúnadan et elle, et c'est finalement dans leur direction qu'il se remit à courir. La féline Femme des Bois se mit à courir pour maintenir la distance entre le dragon et elle, jetant de temps en temps des regards en arrière et sentant aux vibrations du sol s'il approchait ou non. Le rôdeur, quand à lui, s'agrippa à elle pour ne pas tomber : le terrain était loin d'être plat et montait et descendait sans cesse, sans parler de tourner en permanence. C'était un terrain difficile pour les chevaux, heureusement bien adapté aux capacités de la lionne, mais son cavalier, bien secoué, devait faire attention à bien se tenir.

Après sans doute plus d'une demi-heure, le dragon décida d'accélérer un peu, forçant la lionne à faire de même et à se fatiguer plus vite. Leurs amis devaient être assez loin déjà, mais Vif pensait qu'elle était largement capable d'entendre le bruit d'un cor à une pareille distance. Par contre, cela tardait et elle sentait ses forces diminuer dangereusement. Petit à petit, le jour se fit, révélant les belles couleurs rouge et or du dragon derrière eux, à peut-être trois portées de flèche ; dragon qui accéléra à nouveau, avec un côté très joueur. C'était bien la première fois que le grand félin magique jouait au chat et à la souris en ayant le rôle de la seconde ! Mais elle ne pouvait plus continuer comme cela, elle n'aurait plus assez de forces pour retrouver ses amis à une pareille allure. Il fallait trouver une solution... et vite !

Bien entendu, ni Taurgil ni elle ne se sentaient de taille à combattre le jeune mais dangereux ver à deux contre lui. Il ne restait plus qu'à trouver un abri... La lionne quitta le sentier et fila dans les rochers, poursuivi par le dragon que cela ne gêna nullement et qui ne ralentit pas. Grâce à la larme de Yavanna, le rôdeur dúnadan sur le dos de la féline rôdeuse dirigea son amie vers des rochers susceptibles de leur fournir un abri convenable. Et bientôt Vif en vit un : à flanc de falaise, à plus d'une demi-douzaine de pas de haut, une profonde encoche dans la roche les invitait, juste assez haute pour elle et dans laquelle le Dúnadan devrait entrer à quatre pattes. Les pattes et l'ensemble du corps douloureux et perclus de fatigue, elle se précipita dans cette direction. Mais comment grimperaient-ils jusque-là ?

3 - Chercheurs de grotte
Auparavant, les amis de Taurgil et Vif avaient deviné que le dragon s'était lancé à la poursuite de leurs deux compagnons, et qu'il fallait dorénavant trouver la caverne salvatrice au plus vite. Cela n'était pas tout près, mais entre l'habileté du hobbit dans la nature et les talents de cavalier et d'éclaireur du balafré aux chevaux blancs, ils finirent enfin par amener le groupe à l'endroit tant recherché. Hélas, ce fut alors pour constater que l'entrée de la caverne en question était en hauteur, inaccessible aux chevaux ! Bien sûr, il serait possible de fabriquer un pont de bois à l'aide de troncs d'arbres, mais ces derniers étaient rares, et ils n'avaient qu'une hache et un seul bûcheron, et cela prendrait trop de temps. Mieux valait chercher ailleurs.

Drilun se remit au travail et profita d'un nouveau sortilège de connaissance de la terre. En essayant d'être plus précis dans sa demande, il repéra une autre grotte, toujours plus loin, qui semblait parfaitement convenir. Et donc le groupe se remit-il à errer dans le paysage semi-montagnard et à moitié désertique, essentiellement habité par des animaux sauvages comme chèvres et chamois. Des traces d'orcs étaient bien présentes, mais ils devaient se cacher - c'était le jour à présent - ou alors ils étaient partis pour l'est, pour la surveillance du convoi. Enfin, ils tombèrent sur le refuge tant espéré, en pensant à leurs amis au loin.

Avant de souffler dans le cor, Geralt inspecta la caverne : elle était assez large pour eux tous, chevaux compris, et l'entrée était à fleur de sol, et serait sans doute assez grande pour les chevaux mais pas assez pour le dragon. Il y avait des signes de présence d'orcs dans la caverne, mais elle était vide à présent et ne devait être occupée que par intermittence. Il décida alors d'y faire rentrer tout le monde, mais il n'eut pas le temps de sonner du cor qu'il lui sembla percevoir un grondement au loin, vers l'est. Comme un lointain coup de tonnerre, à part que le ciel était clair, ou une petite avalanche. Et il fut suivi par un deuxième coup dans la même direction - celle que leurs amis avaient prise - mais un peu moins fort. Il devina qu'ils étaient en mauvaise posture et qu'ils avaient sans doute besoin d'aide. Peu après, le hobbit déclara que ses perceptions magiques n'arrivaient plus à sentir que trois pierres, à la limite de ses sens, comme si une quatrième venait de s'évaporer.

Après discussion et débat, les cinq aventuriers décidèrent d'aller tous à la recherche de leurs amis. Ils prendraient quatre chevaux pour eux (Rob n'ayant pas besoin d'un cheval à lui), plus un pour Taurgil. Même si la magie des pierres des sorciers posait problème, ce serait mieux d'en avoir un en trop que de manquer d'une monture. Les autres chevaux resteraient dans la caverne, et ils prirent un peu de temps pour attacher les rênes à des rochers, en espérant que rien n'arriverait et qu'ils seraient encore là au retour. Entre la survenue d'un prédateur ou le désir d'aller brouter l'herbe ou de trouver de l'eau pour se désaltérer, les chevaux ne resteraient sans doute pas là indéfiniment. Mais ils ne pouvaient faire autrement que de compter sur la chance et un rapide retour.

Ils repartirent alors à cheval, vers le sud d'abord, afin de retrouver le sentier appelé la route de l'Est (Men Rhúnen) qu'ils avaient emprunté jusqu'ici, comme tous les convois d'Angmar chaque année. Ils s'en étaient pas mal éloignés et Geralt avait du mal à contenir son impatience : s'il était excellent cavalier et ne craignait pas de faire aller sa monture à bonne allure au milieu des rochers, ce n'était pas le cas de ses amis et il devait se réfréner de les laisser trop en arrière. Tout au plus avait-il quelques portées de flèche d'avance, ce dont il profitait pour explorer les environs à l'aide de sa longue-vue. Ils arrivèrent enfin vers le sentier, où ils purent avancer plus vite. Mais bientôt, il aperçut un étrange équipage qui venait vers eux sur ce même sentier.

4 - Discussions sous pression
Arrivée au pied de la falaise, épuisée, Vif comprit qu'elle n'avait pas vraiment le choix : son compagnon, même en bien meilleure forme qu'elle, ne pourrait pas grimper dans l'anfractuosité, là-haut, avant l'arrivée du dragon. Malgré ses membres douloureux et le poids de cette charge, c'était à elle de les amener là-haut. Elle se mit donc à escalader le rocher, avec peine. En pleine forme et sans ce handicap de poids (!), elle y serait arrivée en deux bonds. Là, elle eut juste le temps d'atteindre l'ouverture et de se faufiler au fond de la crevasse horizontale que le ver rouge et or arrivait au pied de la falaise. Pantelante, elle s'accorda enfin un peu de repos que son corps réclamait depuis plus d'une journée...

Probablement debout sur ses pattes arrière, la tête du dragon apparut bientôt devant l'ouverture, et il jaugea vite de ses possibilités : sa tête pouvait entrer dans la crevasse mais pas le reste du corps, et son cou n'était pas assez long pour atteindre sa proie, hors d'atteinte... physiquement du moins. Une aimable conversation s'engagea alors entre le ver et Taurgil, mais pleine de tensions, de questions et de sous-entendus. Contrairement à la lionne qui gardait la tête tournée sur le côté, le rôdeur affrontait le regard de la créature avec désinvolture, certain d'être protégé de ses enchantements par la larme de Yavanna qu'il portait. Et effectivement, il sentit deux fois une tentative du monstre de l'hypnotiser à l'aide de ses yeux magiques, mais sans effet aucun.

Le Dúnadan montra clairement à Culgor qu'il en savait long sur lui, de même que sur sa sœur Haurnfile, ce qui intrigua fortement le jeune ver. Ce dernier montra cependant que son odorat était tout à fait conforme aux légendes qui circulaient au sujet des dragons, perçant parfaitement à jour le déguisement de Vif et s'étonnant de ne jamais avoir senti pareille odeur de félin dans son existence. Et il rappela facilement au rôdeur dúnadan qui était en position de force et dirigeait la discussion : lorsque Taurgil choisit d'esquiver la demande de Culgor de lui fournir la pierre magique qui l'attirait tant, il frappa de sa queue le flanc de la falaise, faisant dévaler des pierres et menaçant de les ensevelir sous une avalanche. Ayant compris la leçon, le rôdeur envoya la pierre en direction de la gueule du monstre... qui la croqua sans attendre. Aux sens mystiques des deux compagnons, la magie de la pierre fut brusquement soufflée.

Satisfait d'avoir marqué un point, le dragon se fit plus enjôleur et plus patient. D'autant que le Dúnadan commençait à l'intéresser, proposant de l'aider à reprendre le trésor de sa sœur qu'elle lui avait récemment confisqué - avec intérêts et punitions physiques en prime. L'appel lancinant de la pierre ayant enfin été arrêté, il se sentait soudain plus à même de laisser son tempérament joueur et intéressé reprendre le dessus. Le grand homme déclarait pouvoir l'aider ? Pourquoi pas le laisser essayer, il serait toujours temps de le croquer plus tard. Par contre, après une si longue course depuis son refuge dans les Montagnes Grises, son estomac réclamait d'être rempli. Taurgil s'était présenté au dragon comme seigneur du Rhudaur, et Culgor déclara au seigneur Melossë que le début de leur accord serait conclu lorsqu'il lui fournirait de quoi se remplir la panse, par exemple avec un des chevaux que ses amis avaient emportés au loin. Et la tête disparut de l'ouverture, signifiant que la discussion était terminée.

Culgor attendait donc en bas de la falaise le Dúnadan et sa monture magique. Manifestement, il voulait être conduit au reste du groupe et en particulier aux chevaux. Comme il n'est pas très prudent de faire patienter un dragon et qu'il faudrait bien tôt ou tard en arriver là, Taurgil risqua le tout pour le tout et sortit à quatre pattes du fond du trou où il s'était réfugié, jusqu'au bord de la falaise. Puis il commença à descendre, lentement, lorsqu'il sentit la tête de dragon fuser dans sa direction. Il se jeta alors en arrière mais une jambe fut happée par la créature, serrant assez fort pour le blesser légèrement, malgré l'armure de mithril. Puis Culgor déposa sans ménagement le rôdeur en bas de la falaise, tout en montrant des signes d'impatience, tandis que la lionne magique bondissait du haut du perchoir et se réceptionnait sans mal au sol, malgré sa grande fatigue.

Avant de partir, le dragon s'étonna de la qualité de l'armure du Dúnadan, peut-être un trésor plus important que celui de sa détestée sœur... Apparemment, le dragon était passé un peu vite sur l'armure de mailles de mithril de Taurgil, peut-être à cause de la saleté et des restes du déguisement d'orc que Geralt avait confectionné pour son ami. Mais ses crocs et sa langue lui avaient manifestement fait repérer la nature du métal dont était composée l'armure. Brusquement, cet homme devenait de plus en plus intéressant pour ce jeune dragon sans trésor, et il se demanda quelles autres futures richesses il allait pouvoir récolter sur ses amis...

5 - Petit déjeuner et tisane
La lionne ne voulant aucunement reprendre le Dúnadan sur son dos, ce dernier se mit à marcher et il eut bientôt retrouvé le sentier qui longeait les Montagnes Grises d'est en ouest, et que pratiquaient régulièrement les convois vers Angmar. Il tourna le dos au soleil levant et se dirigea vers l'endroit où ils avaient quitté leurs amis, Vif avançant à une petite distance à sa gauche et le dragon suivant derrière. Taurgil n'ayant aucune idée de l'endroit où ses amis avaient trouvé refuge, il se demanda comment ils allaient les retrouver. Ils avaient parcouru bien du chemin à dos de lionne et Culgor ne semblait pas très patient ; il demanda donc après un moment d'accélérer, et le rôdeur se mit à courir à petites foulées.

C'est ainsi que Geralt les repéra de loin, avec sa longue-vue : un guerrier en armure de mithril qui faisait du jogging en boitant légèrement, accompagné d'un grand félin et suivi par un lézard de dix pas de long au moins... Ils étaient vivants, et c'était l'essentiel, mais la suite ne disait rien de bon au maître-assassin. Après discussion avec ses amis, ils continuèrent leur progression en direction de l'étrange trio, cordes d'arc tendues et armes prêtes à servir. Dans l'heure qui suivit, Vif repéra à son tour ses amis qui approchaient, mais le rugissement qu'elle envoya à leur attention, pour les prévenir, n'eut pas le temps d'être perçu et encore moins déchiffré par Geralt que Culgor ordonna à Taurgil de faire taire le félin.

Les deux petits groupes apparurent bientôt l'un aux yeux de l'autre, à quelques portées de flèche, mais un troisième élément se rajouta au tableau d'ensemble. Au début à peine perceptible, une grande créature volante tournait au-dessus d'eux, tout en perdant progressivement de l'altitude. Elle était similaire à celle rencontrée à Forpays et que le groupe avait surnommé avec ironie "poule géante" à cause du bruit du bec qu'elle faisait. Lorsque le dragon fut à moins d'une portée de flèche de Mordin et Isilmë, restés sur la Men Rhúnen avec le cheval en trop, la créature volante était clairement visible de tous et il était évident qu'elle portait quelqu'un, que les plus perceptifs identifiaient bien avec une arbalète à la main...

Drilun, de son côté, était au sud et à bonne distance de la route, tandis que Geralt et Rob avaient fait de même mais au nord. Ils ne se cachaient aucunement et se doutaient que le dragon les avait bien repérés. L'elfe et le nain avaient mis pied à terre et avaient du mal à contrôler les trois chevaux - les deux leurs et celui pris pour Taurgil - alors que le dragon approchait et n'était plus qu'à quelques dizaines de pas. Culgor, voyant ces proies tentantes, demanda au Dúnadan de sceller sa part du début de leur accord et de lui remettre un cheval pour lui servir de petit déjeuner. La guerrière elfe comprit de quoi il retournait et elle enleva selle et harnachement à la pauvre bête qui refusait d'avancer. Mais Taurgil s'était glissé derrière elle et lorsqu'il fut assez prêt, l'animal s'enfuit en avant, plus épouvanté par la magie qu'il sentait derrière lui que par le dragon face à lui.

Il s'arrêta à une dizaine de pas de la monstrueuse bête, mais il n'eut pas le temps d'aller plus loin. Avec une vitesse confondante pour un si gros animal, Culgor sauta sur le cheval et le tua instantanément. Puis il entreprit de le manger à grands coups de mâchoire draconique. A l'allure où il allait, son petit déjeuner n'allait pas durer très longtemps, mais les aventuriers ne restèrent pas immobiles pendant ce temps-là. La lionne réclama des soins pour ses blessures et sa fatigue, et le hobbit commença la préparation d'athelas pour utiliser avec la miraculeuse magie que Taurgil savait employer. Geralt fut mis à contribution pour aller chercher du bois, et Rob fit démarrer le feu en un tournemain avec l'aide d'un briquet. Lorsque les feuilles d'athelas furent prêtes, dans l'eau frémissante, il laissa le Dúnadan s'occuper de Vif tandis qu'il rejoignait Geralt vers le nord.

Culgor avait fini son repas avant la fin de la préparation d'athelas, et il s'approcha alors des aventuriers restés sur le sentier : Mordin était le plus proche, qui engagea la conversation avec le ver pour gagner du temps. Derrière lui, Isilmë avait son arc en main, prête à encocher une flèche, et encore derrière, Taurgil s'apprêtait à soigner la féline Femme des Bois avec ses mains de roi. Au nord, le balafré aux cheveux blancs et le hobbit se tenaient prêts, à cheval, à quelques dizaines de pas, tandis que Drilun faisait de même au sud. Plusieurs d'entre eux surveillaient la créature volante du coin de l’œil, mais elle était encore bien trop haute pour faire autre chose que les observer.

6 - Nain, dragon et morceaux
Mordin se vit donc, plus ou moins par défaut, confier la lourde tâche d'occuper le dragon un moment. Au moins jusqu'à ce que la lionne fût soignée, la suite restant à déterminer. Taurgil, qui avait mis ses amis au courant de ce qui avait été convenu avec le dragon, espérait peut-être se servir de Culgor comme allié en usant de son inimitié pour sa sœur. D'autres ne voyaient aucun avenir à un tel accord mais espéraient peut-être berner le ver rouge et or pour leur permettre de fuir, voire l'envoyer chez leurs ennemis pas si éloignés que ça. D'autres encore ne voyaient pas comment un combat pourrait être évité, et le temps gagné n'était pour eux qu'un moyen de bien se préparer. A cela s'ajoutait l'ombre de l'assassin de Dol Guldur, qui, le hasard faisant bien (ou mal) les choses, était arrivé pile-poil pour donner un coup de main au dragon pour se débarrasser d'eux.

Mordin était une grande gueule, et susceptible avec ça, et les relations entre sa race et celle des dragons avaient toujours été conflictuelles. D'ailleurs, certains des siens étaient partis explorer de riches filons dans les Montagnes Grises, dont on n'avait plus aucune nouvelle, et il était facile de blâmer les dragons qui avaient connu un pic d'activité ces dernières années. Peut-être n'était-il donc pas le meilleur des diplomates pour faire patienter Culgor. Par ailleurs, le nain portait sur lui, tenue en main même s'il ne l'avait pas levée de manière agressive, sa fameuse hache dont le manche était en os de dragon, couverte de runes inscrites par Drilun. Il avait d'ailleurs été tellement inspiré ce jour-là, en Khazad-Dûm, que sa magie lui avait un peu échappé et qu'il n'avait pas tout à fait compris ce qu'il avait fait...

Justement, au cours de l'échange tendu avec Culgor, Geralt et Vif remarquèrent que leur ami barbu avait tendance à tapoter sa jambe droite avec sa hache de manière discrète. Cela n'échappa pas non plus au dragon : à défaut du geste, ses sens le renseignèrent probablement sur la nature du manche, et il s'enquit alors de l'origine de cette arme. Et il n'y avait pas que la hache : les armures de peau de dragon de Geralt et de Drilun n’échappèrent pas non plus à ses sens redoutables, et la tension monta d'un cran dans la discussion. Culgor souhaitait examiner de près cet "héritage" de l'un des siens, réclamant qu'on les lui présentât tandis que Mordin tapotait de plus en plus lourdement et ouvertement de sa hache contre sa jambe droite.

Il faut dire que durant toute la conversation, le marchand nain des Monts de Fer avait ressenti des picotements dans le bras qui tenait la hache. Celle-ci semblait comme attirer son attention vers un endroit précis du ver rouge et or, comme si le manche de la hache avait une idée précise sur l'endroit où le fer de la hache devait être conduit. En l’occurrence, Mordin avait l'impression qu'il s'agissait de la patte avant droite, mais il avait beau écarquiller les yeux et même avancer un peu pour distinguer plus de détails, il ne voyait rien de particulier. Ce qui ne l'empêcha pas d'essayer d'avertir ses amis à sa manière...

Les aventuriers sentirent que le conflit n'était plus très loin, et ils se préparèrent au combat. Le Dúnadan venait juste de finir de soigner la lionne, qui s’éloignait du côté de Drilun, quand le ton du nain monta encore d'un cran, n'hésitant pas à provoquer et insulter le monstre. Le hobbit descendit de cheval et encocha une flèche, laissant le maître-assassin s'approcher, alors même que le dragon se préparait à bondir sur le nain. Lequel nain brandit sa hache magique en hurlant qu'elle allait bientôt goûter à sa patte droite, manière de prévenir ses amis de façon plus directe. Dans le même temps, tandis que tout bougeait très vite, Vif poussa un rugissement pour prévenir que la créature ailée au-dessus d'eux était en train de descendre en piqué, probablement pour attaquer également.

7 - Magie royale
Taurgil s'était avancé près du nain, et il sortit l'épée de roi qu'ils avaient récupérée à Dol Guldur. Stimulé par le contact de cette épée magique ancienne et de ceux qui l'avaient tenue avant lui, il se sentit investi de la puissance d'un roi, comme ses ancêtres avant lui. Lui qui maniait déjà la magie des soins ou celle de la nature, il comprit brusquement les enseignements de Narmegil lors de leur bref séjour ensemble, suite à la défaite d'Ardagor. La magie des rois était à présent à sa disposition, et il n'allait pas tarder à s'en servir, appelant à lui une protection contre Culgor, renforcée encore par l'épée qu'il tenait.

Et il fallait bien cela pour le protéger du coup qui allait suivre. En effet, Culgor avait plongé en avant pour réduire à néant l'espace qui le séparait du nain et du Dúnadan à ses côtés. Mais en fait il avait planté ses griffes à deux pas d'eux, puis il avait tordu son arrière-train de manière à balancer sa queue vers la droite, qui balaya tout sur son chemin tel un énorme rouleau compresseur. Le premier obstacle qu'elle rencontra fut Geralt à cheval. L'assassin n'eut que le temps de sauter en l'air tandis que le corps de sa monture éclatait littéralement sous le choc, laissant la queue continuer son chemin vers Taurgil. Celui-ci, de manière instinctive, mit un genou à terre et se protégea du choc avec son bouclier. A la grande surprise des spectateurs, la queue fut déviée en l'air sans le blesser, protégé qu'il était par sa magie. Il sauva ainsi Mordin qui n'eut guère qu'à baisser la tête pour éviter le coup, qui l'aurait sans cela aussi facilement démembré que le cheval de l'assassin.

Tandis que la queue du monstre repartait en arrière, le nain lui porta un coup de sa hache magique. Mais son cuir était trop épais, et l'estafilade qu'il y fit n'eut pas l'air de déranger le moins du monde Culgor, qui se prépara à le croquer. Les flèches de Rob et d'Isilmë touchèrent la patte droite du monstre mais sans plus d'effet que le coup de hache de Mordin. Geralt se releva après son saut salvateur, couvert du sang et autres fluides et morceaux de son cheval, et se précipita vers le flanc droit du dragon. Vif s'était déplacée à l'arrière de la bête, tout en surveillant de près l'attaque en piqué de la créature volante. Arrivée à portée de flèche ou de carreau d'arbalète, elle fit de grands cercles autour d'eux de manière à permettre à son maître de tirer sans craindre aucun tir venant du sol. Voyant cela, Drilun resta dans l'expectative, s'entourant par précaution d'une magie de protection contre d'éventuels coups de griffes ou carreaux d'arbalète.

Arrivé près de la patte avant droite de Culgor, Geralt chercha un quelconque point faible sans en trouver aucun sur le membre écailleux. Mais il remarqua qu'au niveau de l'aisselle de la patte, qu'il ne distinguait pas directement, il voyait moins de scintillements des rayons du soleil sur les écailles du lézard géant. Malgré les mouvements rapides du monstre en train d'attaquer le nain, il arriva à se faufiler derrière la patte pour découvrir que l'aisselle était dépourvue d'écailles, donc non protégée : il avait trouvé le point faible du monstre, et son épée allait bientôt pouvoir s'enfoncer dedans. Arriverait-il à le faire à temps ? Pendant sa manœuvre, Culgor réussissait à blesser Mordin malgré l'armure et la parade du nain, et il l'aurait croqué lors d'un nouveau et rapide coup de mâchoire si Taurgil n'avait pas poussé son ami pour bloquer l'attaque à sa place.

La lionne vit que la créature volante concentrait son vol autour de Drilun, et elle décida alors de plonger sur le dos du dragon, sans doute l'endroit le plus sûr pour ne pas être attaqué du monstre. Tout en gardant l’œil sur l'assassin de Dol Guldur et l'arbalète qu'elle arrivait à voir, dirigée vers son ami dunéen, elle progressa sur le dos de Culgor en direction de sa tête. L'archer-magicien vit la menace à son égard mais il se sentait confiant, protégé par son armure et par sa magie. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il sentit le carreau d'arbalète passer toutes ces protections et entamer ses chairs, heureusement peu profondément. Les flèches de l'elfe et du hobbit, de leur côté, n'avaient toujours pas plus d'effet.

8 - Victoire et défaite
Geralt plongea son épée dans l'aisselle non protégée du dragon, le blessant profondément et avertissant ses amis de l'emplacement du point faible. Culgor bondit alors sur le côté et resta sur la défensive un petit moment, protégeant son aisselle vulnérable et empêchant toute flèche de l'atteindre ou toute personne - et en particulier le balafré aux cheveux blancs - de s'en approcher trop. Mordin en profita pour attaquer à nouveau, sans grand effet, et Isilmë puis Rob se mirent à viser les yeux du monstre, avec davantage de succès mais un effet tout de même limité. Le Dúnadan, quant à lui, choisit de ranger son épée au fourreau et de proposer à Culgor d'être des alliés, maintenant que la preuve était faite que les aventuriers n'avaient pas peur de lui mais pouvaient servir contre sa sœur.

De son côté, Drilun choisit de faire le mort en espérant leurrer son attaquant aérien et le pousser à descendre à portée d'arc. Mais d'une part, le poison brûlant qu'il sentit dans sa blessure risquait de rendre son essai plus vrai que nature, d'autre part l'assassin de Dol Guldur devait être trop prudent car sa monture ne descendit pas d'un pouce. Par chance, endurance et ténacité, le corps du Dunéen arriva à combattre le poison violent mais peu présent dans la blessure, et il ne fut pas plus inquiété. Mais il continua à attendre son heure en faisant le mort - quoique de manière peu convaincante aux yeux de ses plus perceptifs amis - en surveillant du coin de l’œil la créature volante, allongé sur son cheval et l'arc toujours à la main.

Vif avait réussi à tenir sur le dos du dragon et elle avança alors jusqu'à la tête. Le dragon n'était pas pour autant son principal souci, mais la créature volante dont les cercles étaient à nouveau centrés sur le dragon... ou elle. Voyant l'arbalète du monteur de "poule géante" pointée dans sa direction, elle comprit qu'elle était sa prochaine cible. Elle attendit le plus possible, et lorsqu'elle perçut le moment où l'assassin allait tirer, elle bondit de la tête sur le sol. Le carreau d'arbalète se ficha dans la tête de Culgor pour le blesser un peu plus, bien que pas de manière grave. Quant au poison très violent dont il était enduit, il n'inquiéta pas un moment le lézard de quinze tonnes. Après quoi la lionne bondit à nouveau sur la tête du dragon, avec succès.

Petite blessure par petite blessure, Culgor se sentait menacé et les aventuriers confortés dans leur opinion qu'ils pouvaient le vaincre. Le hobbit et l'elfe se déplacèrent afin de pouvoir ajuster leur tir et blesser plus facilement leur grand ennemi, de même que le nain, et le maître-assassin menaçait sérieusement de planter à nouveau son épée dans le point faible du ver rouge et or. Ce qui poussa ce dernier à donner un nouveau coup de queue dans sa direction : Geralt plongea pour éviter le coup et la queue ne fit qu'accompagner son plongeon en l'envoyant un peu plus loin, mais sans le blesser. Taurgil, lui aussi sur la trajectoire de la queue et sans bouclier ou épée pour se défendre, fut projeté au loin également, mais la violence du choc fut absorbée par la magie qui le protégeait et par son armure de mithril.

Geralt essaya d'atteindre à nouveau le point faible du dragon avec son épée grâce à une feinte, mais sans réel succès, juste une entaille sans gravité. En retour, son bouclier fut broyé par la gueule du monstre et il n'eut que le temps de retirer son bras. La féline Femme des Bois avait perçu que l'assassin de Dol Guldur ne la prenait plus pour cible à présent, mais se concentrait sur l'archère elfe à la place. Archère trop concentrée sur le dragon pour percevoir le danger. Après un rugissement pour prévenir son amie mais sans succès, Vif profita du répit pour blesser cruellement le dragon au visage de ses griffes acérées. Percevant le danger pour l'archère elfe, le maître-assassin cria pour la prévenir. De son côté, Drilun se concentrait depuis un moment sur un sort qu'il voulait le plus puissant possible afin d'arracher l'arme de ses mains au tireur aérien. Mais le carreau d'arbalète partit avant son sortilège...

Isilmë, avertie par son ami aux cheveux blancs, eut juste le temps de se retourner, puis elle sentit le trait traverser son armure et son abdomen. Sous la douleur, son cœur cessa de battre et elle tomba sans un cri, comme morte. Ce qu'elle était effectivement, même si son âme ne s'était pas encore envolée vers les cavernes de Mandos. De son côté, le dragon brisa le combat et fonça devant lui avant de se rouler sur le sol pour se débarrasser de la lionne, qu'il arriva à blesser légèrement. Puis il s'enfuit vers l'ouest, à peine poursuivi par une flèche ou deux et les injures du nain. L'archer-magicien vit que la créature volante avait fait un plongeon : l'assassin de Dol Guldur avait gardé son arbalète, mais sous l'effet du sort ou de l'effort qu'il avait concédé pour garder son arme, il avait été déséquilibré et avait manqué tomber du haut de sa monture. Il avait pu rester sur son dos mais au prix d'une manœuvre qui l'emmena au loin, plus bas mais toujours hors de portée de flèche.

9 - Retour à la vie
Avant même de constater l'éloignement de leur adversaire dans les airs, Geralt se précipita vers le corps de l'elfe, bientôt suivi par Taurgil et Rob, puis les autres compagnons après quelque temps. Le maître-assassin ne se souvenait que trop bien des poisons dont ce genre de trait était enrobé, et il avait un contrepoison sur lui qu'il voulait administrer au plus vite, en espérant qu'Isilmë était encore en vie et qu'ils pouvaient l'empêcher de mourir. Il dénuda à toute allure le torse de la guerrière elfe et appliqua le contrepoison. Heureusement, le poison violent enduit sur la pointe du carreau d'arbalète n'avait pu se répandre beaucoup, le cœur ayant cessé de battre et le sang de couler.

Rob, de son côté, se rappela le moment passé seul avec son amie en Forêt Sombre pour trouver de rares herbes. Ils avaient eu bien des soucis et Tevildo les avait sauvés, au prix d'une certaine corruption de leurs âmes, mais il avait tout de même trouvé quelque chose de remarquable : du don-de-vipère, la glande d'un petit serpent qui avait des pouvoirs de guérison miraculeux. Il en prit un qu'il enfonça dans la gorge d'Isilmë en faisant attention à ne pas l'envoyer dans le mauvais conduit et l'étouffer. De son côté, Taurgil faisait un massage cardiaque pour réveiller la vie dans le corps de l'elfe avant de prendre du baume orc pour fermer la blessure. Heureusement, le carreau d'arbalète avait traversé l'abdomen et il n'y avait pas besoin de le retirer du corps.

Le contrepoison n'était pas suffisant, il ne fit que diminuer la virulence du poison. Mais avec l'aide de la magie des soins du Dúnadan, le corps d'Isilmë arriva à se débarrasser de la substance nocive et son état fut stabilisé. Par la suite, un nouveau feu fut allumé et une nouvelle dose d'athelas fut préparée afin que Taurgil pût utiliser ses mains de roi guérisseur. Entre toutes ces magies ou préparations, et le soin constant de ses amis, la guerrière elfe fut sauvée. Non seulement son état s'était-il stabilisé, mais elle se mettait à guérir à grande vitesse, et serait sans doute bientôt sur pied. Mais pour l'instant elle n'était pas consciente ni même transportable. Par expérience, comme ils l'avaient déjà expérimenté avec le hobbit, il faudrait bien une journée complète pour qu'elle soit à nouveau en état de voyager.

Aussi le groupe s'organisa-t-il en conséquence : d'autres soins furent faits, un camp fut installé, certains dormirent avec l'aide de drogues ou de la magie des soins du rôdeur dúnadan, comme Geralt et Taurgil. Ils le firent à tour de rôle, afin de pouvoir veiller le reste du temps. En effet, le convoi ennemi n'était pas si loin que cela, et dans la journée ils virent des signes lointains de son approche : nuées d'oiseaux et nuage de poussière au-dessus des chevaux et des chariots, loin à l'est mais trop près à leur goût. Heureusement ils ne furent pas inquiétés, et la créature volante ne réapparut plus.

Ils profitèrent également du temps passé sur place pour aller récupérer les chevaux qui s'étaient enfuis, ou ceux qu'ils avaient laissés au loin dans une caverne. L'archer-magicien chercha à récupérer du sang de dragon pour sa magie, mais il n'y en avait guère et souillé ; par contre des écailles furent retrouvées et mises de côté. De plus, Drilun examina les trois pierres qu'ils avaient récupérées sur des sorciers du convoi, avec la larme de Yavanna au contact de sa peau afin de bénéficier de sa protection contre la magie corruptrice des pierres. Manifestement, les pierres avaient été conçues pour effrayer les chevaux et corrompre l'âme du porteur en le faisant adorer le Mal ou l'un de ses suppôts. Mais aucune d'entre elles n'avait le moindre lien avec aucun dragon. Ce n'étaient que des leurres, et les deux autres pierres d'appel des dragons étaient certainement toujours dans le convoi !

L'anneau récupéré sur le corps du dernier sorcier abattu, celui-là même qui possédait la pierre ayant attiré Culgor, fut aussi examiné. C'était le même anneau qu'ils avaient déjà vu aux mains des puissants sorciers appelés Maeghirrim : des anneaux magiques qui accroissaient leur magie noire et permettait de communiquer, sans parler de leur pouvoir de corruption. Après un bref débat, l'archer-magicien utilisa son bâton de lumière trouvé à Dol Guldur pour briser l'anneau maléfique, ce qu'il arriva très bien à faire après plusieurs coups. Il fit de même pour les pierres magiques qui affolaient les chevaux et corrompaient leur porteur, afin d'éviter de signaler leur position aux sorciers du convoi, car ils se doutaient qu'il en restait. De la magie de l'anneau ou des pierres il ne resta bientôt plus qu'un souvenir, leur destruction juste marquée par un bref éclair de lumière du bâton des temps anciens.

10 - Armée nordique retardée
Tandis que les aventuriers achevaient de récupérer et commençaient à se préparer à partir, ils débattirent de leur prochaine destination. On les avait bien eus, les pierres avaient été bien trop faciles à obtenir, et pour cause ! Il restait toujours deux pierres d'appel de dragon, et ils n'avaient rencontré que le plus faible d'entre eux. Et même en pleine forme et avec la nouvelle magie que maîtrisait Taurgil, ils ne donnaient pas cher de leur peau face à un dragon volant et crachant le feu. Peut-être la hache de Mordin pourrait-elle permettre de trouver où était son point faible, mais à quoi cela servirait-il si c'était au sommet du crâne et qu'il restait tout le temps en l'air ? Certains étaient donc d'avis de retourner au convoi trouver les derniers sorciers et les dernières pierres.

D'autres firent remarquer que les ennemis étaient prévenus et ne se laisseraient pas aussi facilement avoir que la dernière fois, d'autant que l'assassin de Dol Guldur serait sans doute là pour les renforcer. Et puis à force de consacrer du temps à l'armée ennemie, qui sait ce que devenait leur propre armée de cavaliers nordiques ? Ralentir le convoi leur ferait une belle jambe si dans le même temps leur propre armée était retardée et ne pouvait être là au rendez-vous. Le groupe convint qu'il fallait s'en préoccuper, ne fût-ce qu'en faisant quelques sorts de divination dont Drilun avait le secret. L'intéressé se mit sur-le-champ au travail, en essayant de déterminer magiquement l'emplacement de l'armée sur la carte qu'ils avaient avec eux.

Malheureusement, la position de l'armée, si elle fut trouvée assez rapidement, correspondait bien à un retard marqué. Pire, à une question posée par l'archer-magicien, ses cailloux enchantés répondirent de manière très claire que les cavaliers nordiques étaient bloqués et qu'il faudrait l'action des aventuriers pour les tirer de la situation où ils étaient. Cela convainquit les plus réticents de leur prochaine destination : le sud. Mais par où passer ? Ils se trouvaient dans les contreforts des Montagnes Grises, et Mordin les prévint que foncer vers le sud dans un terrain rocailleux et tourmenté, et de nuit qui plus était, n'était pas la meilleure des solutions pour aller vite. Il valait mieux continuer sur la Men Rhúnen vers l'ouest, puis, lorsqu'ils auraient quitté la zone de contreforts dans laquelle ils se trouvaient, traverser les plaines vers le sud et la région de Dale.

Ce qu'ils firent, aidés par du trèfle de lune pour les aider à voir dans le noir et diriger leurs montures, car le soleil s'était couché peu après leur départ. Ils ne firent aucune mauvaise rencontre, et, aidés par la carte ou les sens exercés de la lionne, ils arrivèrent sans mal à trouver leur chemin. Vers la minuit, ils parvinrent aux environs de Dale. Après s'être fait connaître d'une patrouille, ils rejoignirent la ferme occupée par leur alliée Jirfelian et décidèrent d'y finir la nuit. Elle leur confirma ce que la patrouille avait évoqué : des bruits tout récents parlaient de problèmes avec l'armée nordique et de conflit avec les Gramuz, dont ils traversaient les terres. Ce qui interloqua quelque peu les aventuriers, qui avaient pourtant conclu de bons accords avec tous et avaient la confiance des deux peuples.

Ils repartirent vite le lendemain, passant au nord et à l'est du Long Lac qui abritait la ville marchande d'Esgaroth. Plus ils filaient vers le sud sur les terres des Gramuz, plus ces derniers confirmaient les problèmes dont il avait été question dans la nuit : Éothraim et Gramuz semblaient en conflit ouvert, les premiers étaient retranchés sur des collines et les seconds amassaient des armées pour les combattre. Seuls les efforts d'un petit nombre comme Bronwyn ou les Dúnedain du Gondor avaient permis d'éviter que trop de sang ne coulât. Ce qui ne durerait peut-être pas. Le groupe dut également convaincre de sa bonne foi et de sa capacité à apporter des solutions aux problèmes et à pouvoir recoller les morceaux. Drilun et Geralt sachant se montrer très convaincants, on leur permit de passer jusqu'au pied des collines, jusqu'à un camp où les Gramuz avaient rassemblé une partie de leurs troupes.

Ils constatèrent qu'ils avaient encore des alliés parmi les Gramuz, en la personne du vieux et respecté chef Brogdin. En fait, Bronwyn était là également car elle s'était livrée pour prouver sa bonne foi et empêcher un bain de sang de la part de ses compatriotes, plus nombreux et mieux armés. Les aventuriers furent vite conduits à eux et ils eurent bientôt le fin mot de l'histoire : en plus d'attaques de nuit sur l'armée et leurs vivres (gardées par les hommes de Rult), où les chiens des voleurs avaient bien servi (cinq en étaient morts), les cavaliers nordiques avaient tout subi : dissensions en leur sein, gardes et éclaireurs laissés morts après d'atroces tortures, puits et sources d'eau empoisonnés avant et après leur passage, guides gramuz qui les égaraient voire qui les attaquaient sans raison... Certains cavaliers nordiques avaient aussi déserté pour aller attaquer sans raison de paisibles Gramuz. Tout cela, qui sentait la magie, les poisons et drogues et de fins manipulateurs, avait contribué à monter les nordiques les uns contre les autres, Éothraim contre Gramuz, au point de les faire se combattre. Un beau sac de nœuds qu'il fallait à présent démêler avec de l'or, des belles paroles ou toute autre chose à leur disposition. Mais cela serait-il suffisant ?
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Horselords - 44e partie : magie blanche contre magie noire

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1 - État des lieux
Passés les premiers moments, qui leur permirent de comprendre ce qui s'était passé, les aventuriers essayèrent de démêler les éléments sur lesquels ils pouvaient encore jouer. Il devenait évident, à écouter leurs interlocuteurs, que des sorciers avaient envoûté des gens des deux bords pour les faire se tromper et combattre. Ce qui avait été couronné de succès. La culture nordique n'aimait pas les sorciers, mais en conséquence elle n'avait pas non plus de magicien reconnu capable d'identifier leurs méfaits ou de les soigner. Restait donc à convaincre les deux bords qu'ils avaient été bernés par magie et à calmer le jeu en essayant de réparer les dégâts.

L'inventaire des dégâts, justement, fut assez vite dressé : une trentaine de morts au total, et une centaine de blessés de chaque côté, dont une partie qui ne verraient sans doute plus beaucoup le soleil se lever. Entre la magie d'Isilmë et Taurgil et leurs herbes et remèdes, ils pouvaient réduire un peu ce sombre tableau. Encore fallait-il faire attention à la manière de s'y prendre, vu l'importance de l'honneur de ces peuplades nordiques : pas question d'aller soigner un camp puis l'autre, il faudrait faire cela en même temps. L'idéal pourrait être de regrouper tous les blessés au même endroit, neutre tant qu'à faire. Mais les tentes où les soins étaient donnés aux blessés étaient nombreuses et réparties dans les camps de chaque tribu, et un certain nombre de blessés graves n'étaient pas transportables, sauf à aggraver leur condition.

Par ailleurs, l'attitude incompréhensible de certains nordiques n'avait pas pu passer complètement inaperçue, et les fauteurs de trouble - malgré eux très certainement - avaient bien dû être identifiés. C'était sans doute vrai, mais dans la majorité des cas ils avaient été les premiers à tomber : guides gramuz qui avaient égaré l'armée puis qui avaient tendu des embuscades ; déserteurs éothraim qui avaient attaqué des fermiers nordiques ; fauteurs de troubles au sein de l'armée d'Atagavia, qui avaient cherché à faire abattre les chiens de Forpays malgré les hommes de Rult... Néanmoins, tant Brogdin que Bronwyn pensaient qu'il devait en rester quelques-uns encore vivants. En tout cas, ces rares individus avaient pu être interrogés et ils avaient tous dit qu'ils ne se rappelaient de rien et ne comprenaient pas ce qui leur avait pris.

A présent que les aventuriers étaient là, la menace d'un conflit s'éloignait : Taurgil et ses amis gardaient un certain crédit auprès des nordiques, même si certains leur en voulaient de leur absence prolongée, aux dires de Bronwyn. Et puis la fille d'Atagavia était un otage qui empêcherait son père de faire des actions irréfléchies. Par ailleurs, Brogdin semblait contrôler un peu les autres tribus gramuz et il pourrait probablement bloquer les plus agressifs parmi les siens. Sous réserve qu'un sorcier ne viendrait pas leur tourner la tête, bien entendu, mais maintenant que Vif, Geralt et les autres étaient là, tous en doutaient.

Les blessés étaient les plus urgents, il fallait aller jusqu'à eux et en sauver le plus possible. En second venaient les pions du ou des sorciers : il faudrait les guérir et essayer de leur faire retrouver la mémoire. Si possible au cours d'une réunion où les chefs des deux bords seraient présents. En effet, quelle que fût la réalité des ensorcellements, comment le prouver aux nordiques autrement que par une guérison et des "aveux" publics ? Ceux ayant perdu la mémoire pouvaient être accusés à tort ou à raison par un bord ou l'autre, mais ils seraient les premiers à contester l'idée d'avoir trahi leurs valeurs. Si brusquement ils retrouvaient la mémoire et admettaient avoir mal agi, même sans le comprendre, les "ennemis" seraient sans doute satisfaits. Surtout si cela se faisait en même temps, histoire de bien montrer que personne n'était épargné.

L'équipe fut donc divisée en deux : d'un côté, Geralt, Taurgil et Drilun resteraient chez les Gramuz. Le premier tâcherait de convaincre les chefs des fermiers nordiques de faire une réunion au sommet en terrain neutre, avec les chefs des deux bords, et les individus accusés ou soupçonnés d'avoir mal agi. Ces derniers - tant éothraim que gramuz - pourraient lever le voile sur ce qui s'était réellement passé une fois qu'ils auraient été soignés magiquement. Le Dúnadan, de son côté, avait moult soins à donner. L'archer-magicien, quant à lui, avait décidé de fabriquer une flèche tueuse de dragon avec les écailles qu'il avait pu recueillir. Les autres membres de l'équipe iraient voir les Éothraim pour faire de même avec les cavaliers nordiques : Isilmë soignerait, Mordin convaincrait, Rob aiderait comme il pourrait avec ses herbes éventuellement et Vif veillerait sur ce beau monde.

2 - Soins, herbes et remèdes
Taurgil, déjà sur place, fut le premier à l’œuvre concernant les soins aux blessés. Par tous les moyens qu'il avait à sa disposition, il donna un nouvel espoir, même à ceux dont la survie semblait définitivement compromise. Magie des soins, athelas et mains de roi, voire remèdes orcs pour les plaies les plus graves : tout y passa, et à l'issue de son travail, les chances de guérison des blessés même les plus graves étaient bonnes. Psychologiquement également, passer de râles de douleur à un paisible sommeil réparateur avait de quoi réconforter et remonter le moral de tous leurs compagnons alentour. Par contre, cela prit plusieurs heures au Dúnadan pour faire le tour des tentes servant d'hôpitaux. Et sa satisfaction du devoir accompli se doublait également d'une certaine fatigue.

Isilmë, de son côté, était montée avec Rob, Vif et Mordin au camp des Éothraim. En fin de compte, Drilun avait accompagné ses amis car il comptait récupérer du matériel laissé aux hommes de Rult avant de redescendre au camp gramuz pour faire sa magie runique. Le petit groupe, vite intercepté par les gardes, n'eut guère de mal à se faire reconnaître. Mais avant de pouvoir accéder aux blessés, les aventuriers furent conduits à une tente où les attendaient Atagavia, son fils Aldoric et quelques autres chefs. Le prince des Waildungs, furieux contre l'initiative de sa fille, tenait tout de même à avoir des nouvelles fraîches la concernant.

Aldoric fut le premier à prendre la parole et à montrer son inquiétude, puis son soulagement suite aux nouvelles apportées par les ambassadeurs d'Arthedain. Les cavaliers nordiques demandèrent à Mordin et ses amis des nouvelles quant à ce qu'ils avaient fait durant leur absence, et les récits du nain les laissèrent parfois perplexes : la gravité de son récit contrastait avec son ton confiant et la manière de présenter le combat contre le dragon comme une amusante routine pouvait faire penser à une plaisanterie. Mais en fin de compte les aventuriers furent libérés et l'elfe put prodiguer ses soins aux blessés du camp.

Comme pour le Dúnadan, la guerrière elfe disposait de magie des soins permettant d'endormir les blessés ou de fortifier leur corps pour les aider à guérir. Elle non plus n'hésita pas à user des miraculeux baumes orcs qui arrivaient à souder les plaies de manière étonnante mais également douloureuse, et avec de méchantes cicatrices. Une cicatrice était tout de même plus facile à supporter qu'un décès, et l'elfe usa de son charme elfique pour renforcer la volonté des blessés et leur éviter de trop crier et effaroucher les guerriers proches. Au bout du compte, après plusieurs heures d'intense travail, elle contempla son œuvre non sans satisfaction mais également avec une grande fatigue.

De son côté, Rob n'ayant rien de mieux à faire, il décida d'aller chercher de l'athelas dans les environs : sa douce fragrance apaisait les esprits et son ami dúnadan s'en servait pour ses soins de roi, mais sa réserve s'épuisait. Il demanda alors à Vif de le conduire dans la nature, si possible en forêt, mais les plus proches étaient trop loin de l'endroit où ils se trouvaient. Il tenta sa chance dans les plaines cultivées par les Gramuz et les petits bosquets présents çà et là, mais sans succès, et il revint les mains bredouilles - pour l'athelas tout du moins.

De son côté, l'archer-magicien dunéen avait récupéré certaines affaires et il était redescendu à une tente en bordure du camp gramuz. Il commença à préparer une flèche spéciale grâce à sa magie et les écailles de dragon trouvées sur le site du combat avec Culgor. Il souhaitait en effet réaliser une flèche capable de traverser la peau épaisse des dragons, l'armée sagath et les sorciers qui les conduisaient ayant avec eux encore deux pierres d'appel. Il y passa tout l'après-midi et la soirée, ne s'interrompant même pas pour suivre la réunion des chefs nordiques en terrain neutre. Mais cette magie, s'il la maîtrisait bien, demandait de grands talents pour travailler flèche et écailles ; et ces talents lui faisaient en partie défaut, ce qui l'obligeait à y consacrer beaucoup de temps, temps qui lui manquait : il faudrait sans doute plusieurs jours pour terminer la flèche.

3 - Guérison et entente
Mais pendant ce temps, les amis de Drilun ne restaient pas inactifs. Grâce aux plaidoyers et aux paroles convaincantes de Geralt et Mordin, les nordiques des deux camps acceptaient de dresser une grande tente à mi-chemin des deux armées. Quatre guerriers - trois côté Éothraim et un côté Gramuz - avaient été trouvés qui avaient certainement subi la magie noire d'un sorcier. Les principaux chefs des deux armées avaient donc accepté d'assister à la "guérison" de ces personnes par les mains de Taurgil.

Si les aventuriers étaient bien convaincus de l'envoûtement des hommes, la question s'était posée de la manière de convaincre les nordiques de la chose. Dire que les hommes avaient été ensorcelés ne suffisait pas, cela revenait à faire confiance à Taurgil et ses amis, rien de plus, ce qui était insuffisant. Leur redonner la mémoire et recueillir leurs "confessions" publiquement aurait plus d'impact. Il fut un moment évoqué l'idée de rajouter des effets pyrotechniques à la guérison, mais en fin de compte cela ne fut pas retenu : les nordiques n'appréciaient pas vraiment la magie, associée pour eux au Nécromancien de Dol Guldur. La sobriété était préférable.

En soirée, alors que le soleil était encore dans le ciel, une vingtaine de chefs nordiques de chaque camp se retrouvèrent sous la tente. Ils formaient deux groupes disposés à deux extrémités de l'espace circulaire, au centre duquel un feu avait été allumé. Les quatre guerriers probablement envoûtés se tenaient près du feu. Non loin d'eux se tenaient une partie des aventuriers, dont le félin magique, même s'il lui arrivait d'aller et venir comme un animal ordinaire. Vif était en réalité aux aguets, et elle put ainsi entendre, très loin au-dessus d'eux, le cri d'une créature monstrueuse que son maître devait utiliser pour surveiller les environs. Elle prévint ses amis discrètement, mais cela n'entrava pas le déroulement de la réunion sous la tente. Avant le début, Rob fit brûler une dose d'herbe à pipe dans le feu afin de parfumer agréablement l'atmosphère.

Lorsque tous furent prêts, Taurgil s'avança alors et il fit un discours expliquant ce qui s'était passé selon lui et ce qu'il allait faire : redonner la mémoire aux hommes près du feu. Il leur demanda d'attendre que tous fussent soignés avant de faire part de leurs souvenirs, et de ne pas être choqués par le fait d'avoir été ainsi envoûtés magiquement. Lui-même, Dúnadan et descendant de roi, il avait subi la même expérience par le passé et il n'avait été qu'un jouet pour des sorciers de l'Eriador. Cela étant dit, il passa auprès de chaque homme : chacun fut touché de la larme de Yavanna et bénéficia de la magie du Dúnadan. Les yeux des hommes s'écarquillèrent, ils tremblèrent aussi d'étonnement ou de dégoût, mais ils se tinrent coi.

Après quoi le rôdeur dúnadan demanda à celui qui avait le plus réagi, un guerrier éothraim, de dire ce dont il se souvenait. L'homme avait effectivement recouvré toute sa mémoire, et il décrivit le mystérieux officier blond et barbu qui était venu le voir et la manière dont ses paroles lui avaient semblé pleines de bon sens, et comme il s'était empressé d'obéir et de les appliquer... avant de tout oublier. Et l'homme était maintenant effondré de se souvenir de ce qu'il avait fait, d'une part, et d'avoir été un pion si facilement utilisé, d'autre part. Les autres hommes avaient des récits similaires, même si leur mémoire n'avait pas été aussi bien restaurée. Les chefs nordiques, s'ils s'attendaient aux confessions du ou des guerriers adverses, furent secoués d'entendre le ou les hommes de leur bord faire la même confession. Ils virent clairement la manipulation dont ils avaient fait l'objet, et à quel point certains d'entre eux avaient réagi au quart de tour, comme des gamins que l'on manipule, voire un âne qu'une carotte suffit à faire avancer...

Dans un discours très inspiré, Taurgil répéta qu'il n'y avait aucune honte à avoir été envoûté et manipulé par le ou les puissants sorciers qui s'étaient joués d'eux. Mieux encore, il donna le nom de l'homme blond et barbu qui avait été décrit et rajouta qu'il s'était déjà dressé contre les aventuriers, à qui il avait causé des difficultés. En ce moment même, ajouta le rôdeur, leur réunion faisait l'objet d'une surveillance par une créature monstrueuse et son maître. Il invita les gens à sortir et à utiliser la longue-vue de Geralt, mais même pour ce dernier, dans le crépuscule naissant, il était difficile de repérer la créature. Une personne y parvint néanmoins, et ce fut un nouvel élément pour prouver aux nordiques que les ennemis n'étaient pas ceux qu'on avait voulu leur faire croire.

4 - Ordres et préparatifs
Les guerriers qui avaient été envoûtés furent réconfortés par les paroles du Dúnadan puis par le soutien de leurs pairs. Petit à petit, les nordiques des deux bords se mélangèrent, en particulier ceux qui avaient déjà tissé des liens auparavant et qui avaient essayé de calmer les esprits, comme Mahrcared et Brogdin. Vu les propos lancés et les combats qui avaient eu lieu, avec leur cortège de morts et de blessés, il faudrait sans doute du temps avec que les relations ne retrouvent la qualité qu'elles avaient avant. Mais les hommes se séparèrent paisiblement en promettant de faire le maximum pour faire passer le message auprès de leurs troupes, qu'il leur restait à convaincre. Ce qui ne serait pas forcément simple, mais il fallait aller de l'avant.

Avec Atagavia, ses enfants, Mahrcared et d'autres chefs des Éothraim voire des Gramuz, les aventuriers discutèrent de la suite à donner. Les nordiques dirent qu'il ne servait à rien de rester plus longtemps sur place : moins les nordiques du sud de la Rivière Courante restaient sur les terres de leurs cousins du nord, mieux cela vaudrait et le plus facilement les esprits pourraient digérer ce qui venait de se passer. Brogdin annonça qu'il allait voir à ce que des guides soient fournis, comme cela avait été prévu, dès le lendemain. Atagavia annonça pour sa part que l'armée des seigneurs cavaliers reprendrait sa route au matin. Et tous s'en allèrent donner les ordres pour qu'il en fût ainsi.

Au grand dam de certains aventuriers qui attendaient cela avec impatience, il n'y eut pas d'éclat particulier entre le chef des Waildungs et sa fille. Cette dernière, intelligente, savait bien que son père ne lui pardonnait pas d'avoir pris la décision de se livrer aux Gramuz pour empêcher un bain de sang possible. Mais elle savait aussi que le moral des troupes en avait pris un coup et qu'il ne fallait surtout pas donner le mauvais exemple. La famille resterait soudée jusqu'à la fin de cette aventure, les rancœurs resteraient sous contrôle, et le règlement des différents familiaux se ferait dans l'intimité du foyer retrouvé. Par ailleurs, même si elle s'en doutait un peu, le père n'était pas peu fier de l'action de sa fille qui avait permis de sauver des vies. Il supportait mal qu'elle lui ait désobéi et mis ainsi sa vie en danger, mais Atagavia savait reconnaître qu'elle avait sans doute eu raison.

La nuit se passa sans incident, peut-être d'autant plus que Vif resta éveillée tout ce temps pour prévenir une quelconque action de leurs ennemis. Il serait bien temps de dormir en journée, dans l'un des rares chariots que comportaient leurs armées. La nuit fut courte également, car il restait moins d'une semaine avant le solstice d'été. Ce qui était pourtant assez pour arriver à temps au lieu prévu pour bloquer le convoi pour Angmar : selon Atagavia, quatre ou cinq jours suffiraient sans doute pour y amener leurs armées, même s'il faudrait un peu accélérer le pas. D'autant que le ciel, aux dires des connaisseurs, annonçait plutôt du beau temps.

Ce fut donc avec d'autant plus de surprise que les cavaliers virent le ciel se couvrir au petit matin, et la pluie commencer à tomber, de plus en plus drue. Les aventuriers les plus perceptifs comme Rob sentirent que le changement n'avait rien de naturel et risquait de ralentir sérieusement leur progression. Une nouvelle fois Drilun fut mis à contribution, lui qui avait aussi des pouvoirs magiques sur les éléments naturels. Bientôt la pluie s'arrêta autour de l'armée, même si elle continua un peu au-delà. Les cavaliers allaient avancer sur un chemin trempé, ce qui les ralentirait un peu, mais sans avoir le vent et la pluie pour les aveugler, les tremper et abimer leurs provisions. Et ils furent donc bientôt partis.

5 - Pluie et course
La plupart des Gramuz étaient déjà repartis lorsque les nombreux chevaux nordiques s'ébranlèrent. Des guides étaient néanmoins restés qui ne firent pas défaut et menèrent les Éothraim à bon port cette fois-ci, même si une certaine méfiance réciproque fut de mise. Mais tout se passa bien et la progression fut régulière, bien qu'un peu lente : les chemins étaient rendus boueux par des pluies denses qui précédaient le passage de l'armée. Rob ou Vif sentaient bien que de la magie noire était à l’œuvre, mais le contraire les aurait étonnés.

Il fallut une journée et demie pour traverser les terres restantes des fermiers nordiques. Rien de pire que la pluie ne s'abattit sur les cavaliers ou les aventuriers, y compris la nuit où Vif monta la garde, sans parler des chiens des voleurs. D'autant que ces derniers ne dormaient guère à proximité de la lionne magique. Lorsqu'ils furent au nord des terres des Gramuz, les seigneurs cavaliers empruntèrent un chemin qui menait des Monts de Fer à la région de Dale, que Taurgil et ses amis avaient déjà emprunté. Le terrain, plus rocailleux, était moins affecté par la pluie ; mais son côté accidenté empêcha l'armée d'accélérer.

A la fin du deuxième jour après leur départ, les collines escarpées laissèrent la place à des plaines plus verdoyantes et cultivées, comme la présence de fermes éparses et habitées le montrait. Çà et là, des fermes abandonnées occupaient aussi le paysage, suite à la Grande Peste, et ils avaient croisé des ruines qui étaient sans doute les conséquences d'attaques d'orcs ou autres. Mais l'armée ne risquait rien ici, dans la mesure où les gens de Dale ne leur réservaient pas quelque surprise comme avec les Gramuz. Atagavia estimait que leur objectif n'était plus distant que d'une centaine de miles (~ 160 km), qu'il se faisait fort de couvrir même par mauvais temps en deux jours tout au plus. Cela tombait bien, car il ne restait que quatre jours avant le solstice d'été.

Les aventuriers quittèrent l'armée pour aller voir Jirfelian, leur alliée au sein des peuples de Dale. Après avoir répondu aux questions d'une patrouille et confirmé que l'armée des cavaliers nordiques était là comme prévu, ils arrivèrent bientôt aux portes de la demeure de leur amie. Elle les accueillit avec plaisir et leur donna quelques nouvelles de la région : les personnes de Dale qui étaient sous l'influence probable - volontaire ou non - de leurs ennemis étaient sous surveillance et leur capacité à faire du mal était limitée. Il n'y avait a priori rien à craindre d'eux, et elle déconseilla aux aventuriers d'aller leur payer une visite : cela pourrait être pris pour une agression et modifier le délicat rapport de force qu'elle avait pu établir dernièrement. Taurgil et ses amis dormirent sous son toit pour une courte nuit.

Après avoir confié à Jirfelian le soin de veiller sur l'armée nordique qu'ils comptaient quitter bientôt, ils furent repartis avant l'aube, au grand dam de Geralt, et retrouvèrent les seigneurs cavaliers au petit matin. Ou du moins cela devait être le petit matin, mais il était difficile d'en juger : de gros nuages noirs s'étaient accumulés au-dessus de l'armée et ils déversaient à présent des torrents d'eau qui rendaient tout déplacement pénible voire hasardeux. Ce temps impitoyable était encore plus violent que celui qu'ils avaient rencontré les jours précédents. Drilun arriva à nouveau à faire une éclaircie autour de l'armée grâce à sa magie, mais les cavaliers seraient tout de même ralentis par les torrents de boue sur le chemin. L'archer-magicien utilisa à nouveau sa magie mais en contact avec la larme de Yavanna afin de pouvoir peut-être annuler la magie noire qui perturbait tant la météo locale, et petit à petit le ciel se calma. L'armée allait pouvoir partir et arriver avant le convoi des Sagaths.

Les cavaliers nordiques n'avaient a priori plus besoin de l'appui des aventuriers, même si des retards étaient encore possibles. En revanche, la course entre les deux armées n'était pas encore jouée. De précédents sorts de divination de Drilun avaient indiqué que le convoi sagath n'avait pas été ralenti par les incursions de Taurgil et ses amis. Ces derniers avaient donc mis au point un plan afin d'aller retarder magiquement le convoi grâce à quelques tempêtes levées par l'archer-magicien. Les sept amis prirent donc congé des seigneurs cavaliers et ils se précipitèrent sur le chemin qui menait aux Montagnes Grises, ou Ered Mithrin en langue elfique.

6 - A l'aveuglette
Dans un premier temps, ils ne faisaient que prendre de l'avance sur l'armée qui empruntait elle aussi cette même route, mais à vitesse plus réduite. Après quoi les aventuriers comptaient couper vers le nord pour arriver à la route de l'est (Men Rhúnen) et barrer la route au convoi pour Angmar. Ralentir voire bloquer une armée de milliers d'hommes à sept ! Mais leur progression ne fut pas aussi rapide qu'escomptée : un brouillard impénétrable monta bientôt du sol et noya tout dans une grisaille impossible à percer par la vue. Même les sons étaient atténués par l'humidité ambiante. En revanche, la signature magique de ce brouillard était bien perceptible pour ceux qui y étaient assez sensibles, et ils étaient nombreux à l'être dans l'équipe.

Le brouillard était si intense que les repères visuels avaient tous disparu : impossible de savoir où était le nord, dans quelle direction se trouvaient les montagnes - visibles par temps clair - ou même quel moment de la journée il pouvait bien être. Les repères permettant de suivre la Men Mithrin étaient noyés dans la brume et souvent invisibles hormis aux plus perceptifs des aventuriers. Les sorts que le Dunéen lança pour écarter la brume restèrent cette fois sans effet : la magie à laquelle il était confronté, et dont certains ressentaient l'origine en altitude, probablement sur une créature ailée, était d'une intensité comparable à la sienne. Ce qui lui fut confirmé plus tard par un sort de divination.

Mais les sens de la lionne magique étaient suffisants pour suivre les traces du chemin et les guider, même si l'allure ne risquait plus d'être le grand galop mais un bon trot. Le groupe progressa un moment ainsi, jusqu'à arriver à un endroit du chemin que Vif reconnut : elle distinguait encore les traces qu'ils avaient laissées il y avait de cela quelques jours, quand ils étaient revenus vers le sud après leur confrontation avec le dragon. Il était temps, à présent, de quitter le chemin pour aller vers le nord. Dans un premier temps, il suffirait de remonter leurs traces, brume ou pas brume. Par ailleurs, Drilun commença à utiliser ses dons pour marquer magiquement le terrain derrière eux, ce qui leur permettrait de se repérer.

La progression vers le probable nord fut ralentie par un terrain de plus en plus boueux : il avait dû tomber des trombes d'eau avant le passage des aventuriers, trombes d'eau qu'ils rejoignirent bientôt, et les traces au sol étaient désormais complètement effacées. En revanche, les marquages magiques que faisait l'archer-magicien permettaient de progresser à peu près en ligne droite, sans risque de tourner en rond. Ils purent aussi compter sur des sorts de divination du Dunéen, même s'il dut trouver un moyen de faire un sol moins spongieux à l'aide de couvertures : ses cailloux chargés de magie n'arrivaient plus à rouler mais plongeaient dans une boue épaisse tellement le sol était gorgé d'eau, ce qui affectait la divination. Ils continuèrent néanmoins.

Jusqu'au moment où Vif tomba sur une espèce de rivière d'eau boueuse et stagnante, peu profonde, qui leur barrait le passage. Elle ne serait pas dure à franchir et ils arrivaient à se repérer magiquement pour suivre la direction du nord, mais ses sens exercés lui indiquèrent qu'en fait cette rivière devait être le chemin qu'ils cherchaient : la Men Rhúnen, que le convoi sagath devait bientôt emprunter. Elle indiqua à ses amis qu'il était temps de changer d'orientation et ils prirent vers la droite, vers la probable direction du soleil levant. Petit à petit, les cieux se firent moins noirs et humides, et enfin ils finirent par sortir de sous les nuées orageuses. Le sol n'était plus détrempé, et l'allure se fit meilleure.

En regardant derrière eux, ils remarquèrent à quel point la pluie intense faisait comme une ligne autour du chemin qu'ils avaient suivi. S'ils avaient continué tout droit sans changer de direction, ils auraient pu poursuivre jusqu'aux montagnes, loin au nord, et rater le convoi. Convoi dont les signes avant-coureurs devenaient perceptibles devant eux, loin à l'est : un nuage de poussière et de charognards noirs qui suivaient les milliers de guerriers et chevaux. Ils pourraient y être en probablement moins d'une heure. Par contre, la créature volante et son ou ses maîtres - en une récente occasion Geralt avait cru distinguer deux cavaliers à l'aide de sa longue-vue - n'était plus au-dessus de leurs têtes. Ils étaient donc seuls pour ralentir voire bloquer le convoi, a priori avec la magie de l'archer-magicien. Mais suffirait-elle ? Il se rendait compte à présent qu'il avait affaire à forte partie...
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Horselords - 45e partie : dans la gueule du loup

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1 - Discussions et hésitations
Tandis que le groupe progressait vers l'est et leurs ennemis, des discussions s'élevèrent pour préciser leur plan et estimer leurs chances de réussite. Mordin en particulier, qui était loin de connaître tous les pouvoirs de l'archer-magicien, souhaitait en savoir plus sur ce qui allait se passer. D'autant que selon lui leurs ennemis, en particulier les sorciers chevaucheurs de monture ailée, n'allaient pas se priver de s'en prendre à leurs alliés nordiques pendant leur absence. Comme ils l'avaient déjà fait il y a peu, d'ailleurs. Ralentir le convoi était bien beau, mais ils ne l'arrêteraient pas à sept, ils avaient besoin des seigneurs cavaliers et de leur armée. Sans armée avec eux, leur quête était vouée à l'échec.

A la base, le plan reposait sur la capacité magique qu'avait Drilun de faire se lever un vent très puissant. Ce n'était pas un vent régulier mais il était composé de rafales et de turbulences assez importantes pour rendre les archers pratiquement inutiles et perturber fortement les activités physiques. Cela concernait tout particulièrement celles qui se fondaient sur l'adresse et la précision, mais aussi, dans une moindre mesure, les pures épreuves de force comme la marche ou le combat rapproché. Tout le monde serait d'ailleurs affecté de la même manière, amis comme ennemis. Le rayon d'action de cette magie serait de plusieurs miles autour du Dunéen.

Si plusieurs amis du nain étaient d'accord avec lui pour dire que ralentir le convoi pour Angmar ne suffirait pas, ils ne tenaient pas à en rester à ce tour de magie. Pour eux, ces turbulences magiques seraient l'occasion de repérer les sorciers restants dans le convoi et de leur ravir les pierres d'appel des dragons. Ce à quoi Mordin répliqua que les pierres étaient sans doute avec les monteurs de créature volante. Peut-être même étaient-ils déjà en train d'appeler à eux ces dragons qui allaient mettre en pièce l'armée nordique. Certains contestèrent cette idée, argumentant qu'ils l'auraient sans doute senti si cela avait été le cas. D'un autre côté, ils s'étaient bien éloignés de l'armée et cette tactique avait tout de même de gros avantages pour leurs ennemis. Mais pas que des avantages : la jeune dragonne non ailée, du nom de Haurnfile, était certes un instrument facile à utiliser ; mais face à l'armée nordique elle ne ferait pas long feu, même si ses capacités étaient formidables. De l'autre côté, le dragon ailé - Bairanax - était peut-être capable de mettre l'armée en pièces, mais aussi de poursuivre et tuer la créature ailée que montaient leurs ennemis.

Les discussions se poursuivirent avec divers arguments, certains tirés des lectures des papiers volés à Dol Guldur. Ainsi, certains écrits tendaient à laisser penser que la pierre de Bairanax permettait aussi de lui infliger de la douleur et donc, dans une certaine mesure, de le contrôler ou du moins de l'orienter. Ce serait sans doute une entreprise risquée, mais qu'en savaient-ils au juste ? Après divers échanges, quelqu'un proposa de se servir de la magie divinatoire de Drilun pour savoir où étaient les pierres d'appel, si elles allaient bientôt servir, etc. Certains objectèrent que les sorciers adverses pouvaient être magiquement masqués à de telles divinations. Mais en fin de compte Drilun descendit de cheval et traça une ligne dans le sol, puis il prit ses cailloux.

Il interrogea ses pierres chargées magiquement, les lançant plusieurs fois en l'air et interprétant à chaque fois la réponse à sa question selon le nombre de cailloux du côté du "oui" et ceux du côté du "non". Ce qui n'était pas toujours simple à interpréter avec un nombre impair de cailloux et une partie des deux côtés. En effet, la réponse à ces questions dépendait sans doute de certaines actions qu'eux-mêmes prendraient, ce qui rendait donc l'avenir incertain. Néanmoins, il parut tout de même que les pierres risquaient probablement de servir bientôt, ou au moins l'une d'elles, à en croire le "oui partiel" que les cailloux semblaient indiquer. En affinant ses divinations, au prix d'une fatigue croissante, Drilun arriva à déterminer que la pierre d'Haurnfile était concernée, tandis que l'utilisation de celle de Bairanax restait incertaine.

2 - Approche et turbulences
Ces éléments apportèrent un certain éclairage mais ne mirent pas fin aux discussions pour autant. Mordin voyait de moins en moins d'intérêt de se confronter au convoi et souhaitait retourner vers le sud. Ce à quoi il lui fut répondu que Jirfelian, leur alliée et magicienne nordique, était censée veiller sur l'armée. Et puis ils avaient largement le temps de s'occuper du convoi et de revenir au sein de l'armée nordique, d'autant que la dragonne n'était pas ailée et mettrait des heures avant d'arriver. Et même sans cela, Haurnfile était sans doute moins rapide que les chevaux des nordiques et elle y réfléchirait peut-être à deux fois avant de charger des centaines de nordiques capables de la blesser voire la tuer.

Le nain continua à protester de l'inutilité de leur expédition et surtout des risques encourus. Ses amis parlaient de s'attaquer - à sept - à des milliers de Sagaths et des centaines de loups ! D'autant que les vents magiquement levés par Drilun allaient très fortement affecter l'archer-magicien lui-même, mais aussi la lionne magique et l'assassin, soit leurs trois meilleurs guerriers ! Et les cavaliers ennemis n'avaient pas besoin d'avoir des guerriers d'élite ou des mages redoutables pour les abattre : il leur suffisait de serrer les rangs et de les écraser sous le nombre et les pattes de leurs chevaux. Même protégés par leurs armures magiques, ils seraient réduits en purée sous ce rouleau compresseur...

Ses amis restaient confiants malgré ses paroles, rappelant comment l'archer-magicien pouvait transformer et amplifier leur voix pour pouvoir rugir comme leur amie féline et briser ainsi la charge ennemie. Certes, certains sorciers étaient puissants et dangereux, mais ils joueraient sur la rapidité et l'effet de surprise. Au milieu de l'armée désorganisée par leur attaque et gênée par la météo, ils pourraient identifier les mages ou autres chefs, les abattre et repartir sans grand risque. Mordin bougonna qu'ils sous-estimaient leurs adversaires qui auraient peut-être bien réfléchi à une parade pour contrer ce qu'ils avaient déjà expérimenté, mais en fin de compte il accepta de suivre le reste du groupe, même si pour lui c'était vers un funeste destin.

Le groupe poursuivit donc sa route vers l'est, à allure soutenue. Geralt faisait régulièrement des pauses, après avoir pris un peu d'avance, pour observer le nuage de poussière et de crebain à l'est à l'aide de sa longue-vue. Lorsqu'ils furent en vue des groupes de loups et de chasseurs ou d'éclaireurs sagaths, ils firent une halte le temps pour Drilun de rassembler sa magie et appeler à lui un vent de tempête et de turbulences. Cela mettrait plus d'une heure à se mettre en place, temps qu'il leur faudrait encore pour atteindre leur objectif. Puis ils repartirent à allure plus réduite. D'une part car ils allaient bientôt se faire repérer par les éclaireurs adverses, d'autre part car avec le vent qui se levait, il était plus difficile de rester en selle à bonne allure.

Ils pénétrèrent donc dans la zone de contrôle de l'ennemi alors que l'après-midi n'était pas très avancé. Ils furent bien vite repérés, ce qui entraîna deux réactions opposées : d'une part, un groupe de Sagaths fit demi-tour et repartit au galop vers la caravane à l'est dès que les aventuriers furent identifiés ; d'autre part, un groupe de loups menés par un warg fila dans leur direction avec l'intention manifeste de leur faire passer un sale quart d'heure. Ils n'étaient qu'une grosse douzaine, et si leurs hurlements avaient sans doute alerté leurs congénères, Vif et ses amis estimèrent qu'il ne leur faudrait pas plus d'une demi-minute pour s'occuper d'eux, ce qui laisserait largement le temps de voir venir d'éventuels autres ennemis.

3 - Préparatifs adverses
L'inconvénient des loups restait leur impact sur leurs chevaux. En effet, si leurs montures étaient abattues par les canidés, ils seraient beaucoup plus à la merci de l'armée des Sagaths, sans parler du temps qu'il leur faudrait pour revenir auprès des nordiques. A dire vrai, tous s'attendaient à une forte mortalité dans les rangs de leurs chevaux, mais ils se consolaient en se disant que les Sagaths leur fourniraient - involontairement bien sûr - de nombreuses nouvelles montures. Ce qui ne voulait pas dire qu'il ne fallait pas essayer de les économiser.

L'équipe, à l'approche des loups, laissa partir Vif en avant, d'autant plus confiante qu'elle ne voyait qu'un seul warg dans le groupe de canidés. Il serait le premier à tomber et les autres ne feraient pas un pli contre elle. Mais le groupe se scinda en trois, et un seul se dirigea vers elle tandis que des groupes de cinq loups la dépassaient de chaque côté. Elle commença son travail en estimant que ses amis se débrouilleraient très bien, et le warg et les deux loups face à elle furent bientôt réduits à l'état de lambeaux sans vie. Derrière elle, la magie de Taurgil lui permit de faire fuir près de la moitié des loups restants et plusieurs furent tués par des flèches avant même de pouvoir sauter sur un cheval, qui était manifestement leur cible. Les derniers périrent bientôt, ayant à peine eu le temps de faire une morsure peu profonde au cheval du Dúnadan.

Le groupe repartit peu après. La longue-vue de l'assassin aux cheveux blancs lui indiqua que les loups et wargs se regroupaient à bonne distance d'eux, tandis que les éclaireurs se rassemblaient autour de la caravane qui était à présent arrêtée. En fait, le branle-bas de combat était donné et Geralt vit de nombreux guerriers se préparer au combat et former une armée de plus en plus grosse. Puis le groupe de cavaliers se détacha de la caravane pour venir dans leur direction et celle des loups qui étaient interposés entre la caravane et eux. Il devait y avoir au moins mille cavaliers, tandis que le groupe de canidés devait compter entre deux et trois cents individus, et il grossissait encore !

Alors que le vent soufflait de plus en plus fort, les aventuriers avancèrent plus lentement, jusqu'à être à une dizaine de portées de flèche des loups, derrière lesquels le gros de l'armée sagath arrivait. Les cavaliers s'arrêtèrent derrière les loups, le temps que tous fussent là, et ils commencèrent à former un groupe compact et assez large. L'Eriadorien balafré vit les cavaliers fouiller leurs fontes et prendre quelque chose de trop petit pour le distinguer à cette distance, et se pencher en avant comme pour caresser la tête de leur cheval, d'une main puis de l'autre. Ce qu'il trouva curieux et le rapporta - comme le reste - à ses amis qui attendaient.

L'information fit bondir Mordin. Pour lui, c'était évident : les Sagaths mettaient de la cire dans les oreilles de leurs chevaux, ou au moins les premiers rangs. Ainsi ils n'entendraient pas bien les rugissements de la lionne, vrais ou faux, et poursuivraient leur charge. Et les autres chevaux non protégés, mais au sein du groupe compact que formait l'armée, ne pourraient bouger d'un pouce et seraient forcés de suivre le mouvement. Entre les loups qui s'attaqueraient à leurs chevaux et le rouleau compresseur qu'allait devenir l'armée adverse, ils n'avaient aucune chance ! Geralt fut convaincu par les paroles du nain et il dit qu'il allait rebrousser chemin avec son ami barbu pendant qu'il était encore temps. Que les autres les suivent ou non...

4 - Poursuite
Alors même que certains hésitaient encore, des ordres furent donnés à l'est et l'armée ennemie s'avança vers eux, les loups d'abord, suivis par les cavaliers. Le moment n'était plus à la discussion mais à l'action, et le départ de Mordin et de Geralt - sans parler de Rob qui était en croupe de ce dernier - ne laissait pas grand monde pour faire face à l'armée. Malgré le vent violent et turbulent qui les gênait, les aventuriers partirent donc à bonne allure en espérant distancer leurs poursuivants. Les loups étaient rapides mais pas aussi endurants que leurs chevaux, et les Sagaths étaient de très bons cavaliers mais pas forcément autant qu'eux, surtout en tant qu'armée de plus de mille hommes et chevaux.

Et effectivement, après un moment au galop, l'espace entre les loups et les cavaliers sagaths commença à s'accroître derrière eux, tandis que les canidés ne semblaient pas gagner sur les aventuriers. Mais cela ne dura pas longtemps, car brusquement les loups accélérèrent et commencèrent à les rattraper. Le groupe aurait peut-être pu accélérer à son tour, mais Drilun, déjà bien fatigué par toute la magie qu'il avait faite dans la journée, prévint qu'il n'en serait pas capable. Il tiendrait peut-être un petit moment, mais cela l'épuiserait vite et il serait forcé de ralentir, et il n'aurait alors plus aucune ressource pour affronter quoi que ce fût.

Les sept amis, faute d'autre solution satisfaisante, durent donc se rendre à l'évidence : à être trop confiants, ils s'étaient fait piéger, et maintenant il ne leur restait plus qu'à organiser leur défense. Dans la plaine les cavaliers étaient les plus forts et risquaient de les déborder, il fallait donc trouver un abri en urgence... ou le créer. Ils avaient en effet encore les graines de roncier magiques données par le magicien brun, Radagast, et ils avaient encore le temps de faire pousser une mini-forteresse pour les chevaux et eux. Ils s'arrêtèrent donc, mirent pied à terre et prirent rapidement leurs réserves de graines enchantées.

Bientôt leur abri fut sorti de terre, les ronces magiques ne mettant environ qu'une minute pour atteindre leur hauteur définitive de trois mètres. Il était composé d'un mur de ronces d'un mètre d'épaisseur en forme de cercle d'une demi-douzaine de mètres de rayon au plus, ouvert à un bout sur trois ou quatre pas mais en partie fermé par un bout de mur au milieu. Cela ne laissait, pour entrer, que deux passages étroits de chaque côté du petit bout de mur au niveau de l'entrée, juste assez larges pour le passage d'un cheval. De plus, tout autour du mur circulaire, des petites extensions du mur de ronces furent développées afin de créer des recoins et permettre à d'éventuels archers de se tenir à l'extérieur, contre le mur, tout en restant protégés contre une éventuelle charge de cavalerie.

Leurs cinq chevaux furent placés dans leur abri, à l'opposé de l'entrée. Les armes furent sorties et les aventuriers se disposèrent à l'extérieur, non loin de l'entrée, afin de voir les ennemis arriver et manœuvrer. Ces derniers approchèrent tranquillement, ayant ralenti une fois qu'ils avaient compris que le groupe n'allait pas s'enfuir. Les loups, qui devaient bien être plus de trois cents, formaient un cercle autour de l'abri végétal, tandis que les cavaliers étaient placés à l'extérieur. A une portée de flèche de distance, les canidés ne risquaient aucune attaque par projectile, d'autant qu'avec les fortes turbulences même Drilun ne pouvait rien faire sauf à courte portée.

Entourés par cette marée de cavaliers, Geralt ne pouvait rien voir au-delà des premiers cercles de chevaux. Il avait bien essayé de se mettre debout sur un cheval, mais avec les rafales de vent il comprit vite que c'était presque impossible, même pour lui. De même, Rob essaya de se placer en haut du mur de ronces afin d'avoir une bonne vision de ce qui se passait et un poste idéal pour décocher ses flèches. Pour cela, Drilun utilisa la corde magique du serpent pour soulever et déposer le hobbit en haut des ronces. Mais le petit archer comprit vite que c'était une mauvaise idée : les ronces ne formaient pas de toit solide sur lequel prendre appui et permettre de tirer les flèches, d'autant que les vents violents ne lui laissaient guère la possibilité de tenir debout. Il ne récolta que des égratignures sur ses pieds nus et poilus et redescendit bien vite.

5 - Nouveau mur et première attaque
Les ennemis s’observèrent de part et d'autre. Les aventuriers repérèrent divers Sagaths d'élite mais également deux rôdeurs noirs au moins. Tous se parlaient - fort - dans une langue qu'aucun membre du groupe ne maîtrisait, et qui ressemblait au logathig, la langue de leurs ennemis. Les cavaliers étaient serrés les uns contre les autres, suivant des ordres qui visaient manifestement à faire un mur de chevaux et de lances absolument impassable. Tout au plus quelqu'un de mince comme le hobbit aurait-il pu passer entre les pattes des chevaux... à condition de passer au préalable les loups qui les attendaient. Tous semblaient tendus, prêts à agir, mais à l'écoute des ordres donnés, même les canidés que les wargs semblaient contrôler avec une intelligence humaine. Il était d'ailleurs étonnant de voir une telle proximité entre loups et chevaux, sans plus de problème, mais les bêtes avaient probablement eu déjà un mois pour s’habituer les unes aux autres.

Taurgil ne comptait pas attendre là tranquillement et laisser à leurs ennemis le temps de trouver quelque chose pour les mettre en difficulté. Aussi s'avança-t-il bientôt en direction d'eux. A quelques mètres de l'entrée de leur abri de ronces magiques, il commença à jeter de nouvelles graines à sa gauche pour créer un mur en direction des loups et cavaliers. Il attendait un peu que les ronces commencent à pousser, puis il faisait un pas et recommençait. Ainsi, il approchait de l'armée adverse tout en s'assurant d'avoir quelque chose pour empêcher les ennemis de l'attaquer par derrière. Vif l'accompagna bientôt, derrière lui, de manière à ce qu'il fasse écran vis-à-vis d'un rôdeur noir qu'elle avait repéré, et dont elle avait cru voir une flèche particulière encochée sur son arc, une flèche qu'elle devinait enchantée pour percer son cuir à elle et la blesser profondément...

Les deux amis avancèrent petit à petit. La lionne était tous les sens aux aguets, inspectant leur environnement tout autour d'eux voire au-dessus d'eux, mais aucune créature volante n'était visible. En revanche, elle remarqua plusieurs choses à partir du moment où ils étaient plus proches de leurs ennemis que de leurs amis. Tout d'abord, les loups s'étaient en partie déplacés de manière à se concentrer autour du Dúnadan et elle. Mais ce n'était pas tout : en fait, toute l'armée adverse s'était quelque peu déplacée dans leur direction, et les ennemis présents de l'autre côté de l'ouverture dans leur mur de ronces avaient avancé jusqu'à ce dernier. Ils avançaient à présent en catimini de chaque côté des murs de leur forteresse végétale, prêts à surprendre et foncer sur les aventuriers qui gardaient l'entrée de l'abri.

Tout en continuant sa progression, la lionne poussa quelques rugissements pour prévenir ses amis. Ils comprirent son avertissement après avoir activé leur tour d'oreille magique qui permettait d'interpréter le parler félin de leur amie. En s'éloignant un peu de l'entrée de leur forteresse végétale, Drilun vit effectivement les premiers rangs de loups non loin, prêts à lui bondir dessus, et des cavaliers sagaths non loin derrière. Alors que le grand rôdeur dúnadan et la féline Femme des Bois s'approchaient de plus en plus de leurs ennemis, des ordres furent donnés dans l'armée adverse et les loups se précipitèrent sur les aventuriers, suivis par les cavaliers à une certaine distance.

Taurgil et Vif se mirent dos au mur de ronces contre lequel ils avançaient, proche l'un de l'autre pour limiter le nombre d'attaques des loups sur chacun d'eux. De leur côté, leurs amis se repliaient sur l'entrée de leur mini-forteresse tout en abattant et repoussant les hordes de loups qui cherchaient à leur nuire. En fait, les canidés ne tentaient pas tant de les blesser que de leur sauter dessus et s'agripper à eux ou de chercher à les déséquilibrer en mordant et tirant sur leurs jambes et sur toute pièce d'équipement à laquelle ils pouvaient s'accrocher. Ce qui était difficile sur la lionne et son cuir enchanté, ou sur Drilun qui s'était enveloppé d'une espèce de protection magique pour dévier les attaques. Mais Taurgil et Mordin en particulier risquaient de tomber et d'être emportés au loin par leurs ennemis à quatre pattes, et le poids des canidés accrochés à eux les ralentissait.

Dans le même temps, des bruits de hache de l'autre côté du mur de ronces indiquaient que les Sagaths essayaient de percer le mur magique pour les prendre à revers. Geralt, qui gardait les chevaux inquiets, prit une poignée de graines magiques pour jeter tant bien que mal sur les adversaires de l'autre côté du mur, malgré le vent, et renforcer leur abri. Puis il alla apporter son soutien à la défense de l'entrée, avec Isilmë et Rob qui aidaient leurs amis à se débarrasser des loups. Mordin tranchait des têtes à l'aide de sa hache tandis que Drilun, après avoir utilisé son bâton magique, enflammait un loup et tentait de propager magiquement le feu aux autres à l'aide de sa magie. Plus loin, lionne et Dúnadan faisaient une retraite prudente vers la mini-forteresse, la première aidant le second en le débarrassant régulièrement de certains loups accrochés à lui. Elle-même était trop costaude et offrait trop peu de prises aux loups pour la déranger vraiment : elle arrivait sans mal à les jeter à terre.

6 - Attaques magiques
Les cadavres des loups s'amoncelaient et les attaques étaient plus faciles à repousser, quand le combat changea brusquement de nature. Les loups et cavaliers reculèrent bientôt lorsque de sinistres feux follets apparurent au-dessus des cadavres, nouant les tripes des spectateurs, pourtant aguerris. Les aventuriers avaient déjà vu cette sorcellerie à l’œuvre au village des Hommes des Bois qu'ils avaient aidé à défendre, mais ce n'était pas pour autant moins inquiétant à percevoir. Des bruits de hache se faisaient tout de même toujours entendre à l'extérieur, et Rob prit des graines pour renforcer le mur attaqué et leur donner plus de temps, même s'il savait les ronces magiques très résistantes et capables de tenir longtemps.

Une voix sinistre s'éleva justement du côté du mur qui était attaqué, et la magie qui s'en échappait visait les chevaux du groupe. A l'exception d'un seul d'entre eux, ils devinrent fous d'épouvante et commencèrent à chercher à sortir de l'abri des ronces magiques autour d'eux. Percevant tout cela et n'étant plus gênée par les loups, Vif bondit vers l'entrée en rugissant de manière à effrayer les chevaux et les empêcher de partir. En parallèle, Geralt se précipita sur son cheval, Edredon, et tenta de le calmer et de le maintenir dans la forteresse végétale.

L'assassin n'arriva pas à calmer sa monture mais il parvint néanmoins à monter dessus pour essayer de la maîtriser et la faire aller dans la bonne direction. Mais la bête, trop affolée pour obéir, sortit par l'ouverture dans le mur de ronces et se dirigea vers les loups qui l'attendaient, avec son cavalier qui s'attendait au pire, son épée à la main. Derrière lui, Vif arrivait à bloquer un cheval avec une posture agressive, si bien que la bête affolée retourna dans la mini-forteresse circulaire pour trouver une autre issue. Mais le seul autre passage était bloqué par un autre cheval : Isilmë avait en effet utilisé sa magie pour diminuer l'intensité de l'épouvante magique qui affectait la bête, et elle usa ensuite de ses compétences pour calmer la bête tremblante et l'empêcher de se précipiter vers leurs ennemis.

Un cheval était donc monté et pénétrait dans le cercle des loups, qui lui sautèrent dessus, ainsi que sur son cavalier. Les quatre autres restaient confinés dans l'abri du mur de ronces circulaires :
- un seul n'était pas affecté par la sorcellerie lancée sur lui et regardait ce qui se passait avec inquiétude
- un autre était en partie calmé par la guerrière elfe, et il obstruait un des deux seuls passages vers l'extérieur de l'abri
- un autre bloquait l'autre passage vers l'extérieur en raison de la présence de la lionne magique
- le dernier tournait en rond, fou d'épouvante sous l'effet de la sorcellerie, des rugissements de la lionne et des hurlements des loups à l'extérieur

Isilmë se précipita vers un des deux chevaux bloqués et affectés par la sorcellerie, afin de pouvoir le soigner également. Mais elle devait amener celui qu'elle avait calmé avec elle afin de l'empêcher de prendre la fuite, comme il en avait encore envie. L'autre cheval ensorcelé, quant à lui, essaya de fuir par le seul endroit qui lui semblait encore accessible : par le haut. Malgré le peu d'élan qu'il pouvait prendre, il sauta vers le haut du mur de ronces. Il passa l'avant du corps sur le sommet du mur dont les ronces lui percèrent la peau, mais l'arrière restait dans le vide et il n'arrivait pas à passer le reste du corps de l'autre côté. Il bataillait donc contre les ronces et son épouvante, tandis qu'il se mettait à saigner de plus en plus.

7 - Nouvel assaut
A l'extérieur, de nouveaux ordres étaient donnés et l'armée adverse se précipita vers les aventuriers. De son côté, le nain avait eu l'occasion, avec l'aide du hobbit, de jeter des flasques d'huile en direction des loups. Il n'avait pas été facile de les enflammer, même avec l'aide de la magie de Drilun, mais cela avait fini par se faire, sans grand effet néanmoins. Une poignée de graines de ronces magiques lancée par Mordin et l'ouverture qu'il défendait pour permettre l'accès à leur mini-forteresse fut en bonne partie sécurisée. Entre sa hache et les flèches du hobbit pour l'aider, il n'avait pas trop de problèmes pour tenir sa position. Pour l'instant.

De l'autre côté, les flammes de Drilun retenaient les loups jusqu'à présent. Mais le cheval de Geralt, ainsi que ce dernier, étaient une proie bien tentante. L'assassin avait beau trancher les têtes, il ne pouvait empêcher son cheval de se faire mordre d'un peu partout et des cavaliers adverses de s'approcher. Mordu de toutes parts et transpercé de lances, Edredon finit par s'abattre au sol, entraînant son cavalier avec lui. Geralt avait anticipé la chose et il roula en direction des flammes que son ami dunéen avait levées. Un loup lui sauta dessus mais il s'en débarrassa et entra dans les flammes, qui mirent le feu à ses vêtements. Il était protégé pour l'instant par son armure de peau de dragon et il courut vers ses amis.

Taurgil, de son côté, était dos au mur de ronces, attaqué de toutes parts par les loups qui lui sautaient dessus et montaient les uns sur les autres afin de le couvrir de leurs corps et l'entraîner au sol sous le nombre, tandis que d'autres tiraient sur ses jambes pour le faire tomber. Heureusement, la nouvelle magie qu'il avait récemment développée, fortifiée par l'épée de roi trouvée à Dol Guldur, lui permettait de résister aux assauts comme s'il était plus costaud. Néanmoins, sa position ne serait pas tenable éternellement, d'autant que des cavaliers ennemis approchaient. Supporter le poids de quelques loups de la même masse que le hobbit était une chose, un cheval jeté sur lui - trois fois la masse de la lionne - en serait sans doute une tout autre.

A l'intérieur de la mini-forteresse de ronces, Isilmë avait réussi à utiliser ses soins magiques sur un deuxième cheval afin de diminuer l'épouvante née de la sorcellerie dont il avait fait l'objet. Puis elle avait pu le calmer par des moyens plus classiques, tout comme elle l'avait fait pour le premier cheval, qu'elle tenait toujours par la bride. De son côté, la lionne avait saisi une patte du cheval enchevêtré dans les ronces puis elle s'était mise à tirer. La pauvre bête aux flancs ensanglantés retomba alors à l'intérieur du mur de ronces circulaire, où elle put être soignée magiquement par Isilmë pour calmer un peu sa peur panique. Heureusement, les ronces ne l'avaient blessée que légèrement et sa vie n'était pas en danger.

Et à présent ? Le Dúnadan risquait de se faire ensevelir sous le nombre, et l'Eriadorien balafré était couvert de flammes qu'il faudrait vite éteindre, et il n'avait plus de cheval. Un Polochon et un Edredon partis, quel serait le nom de la prochaine monture ? Si prochaine monture il y avait. Les cavaliers avançaient, très serrés, les lances formant une barrière d'épines métalliques, juste devant les nombreux loups qui restaient. Ne fallait-il pas appeler Tevildo pour les aider à partir ? Mais certains doutaient de la nécessité de faire appel à l'esprit des chats ou à une aide possible de sa part. Certainement, il devait suivre ce qui se passait de loin en se demandant comment les aventuriers allaient se sortir, sans son aide, de ce pétrin dans lequel ils s'étaient plongés tout seuls.
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Horselords - 46e partie : sang et flammes

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1 - Sauvetage
L'archer-magicien ne semblant pas trop faire attention à lui, Geralt prit donc son problème de vêtements en feu dans ses propres mains... au sens propre du terme ! En fait, seule sa cape s'était réellement enflammée : son armure de cuir de dragon était trop résistante à la chaleur pour souffrir de flammes normales, et protégeait donc sa peau et ses sous-vêtements ; et ses bottes étaient solides et ne risquaient pas de brûler rapidement. A mains nues - il se promit d'acquérir des gants de cuir fin à la première occasion - il se débarrassa de sa cape avec un minimum de petites brûlures. Puis il regarda autour de lui en étouffant les petites flammèches qui pouvaient encore courir sur sa personne.

L'attention de Drilun était clairement portée sur Taurgil. Combien de temps le descendant des rois du Rhudaur tiendrait-il contre les loups et cavaliers qui s'approchaient ? Certes, en utilisant des graines de ronciers magiques il s'était débrouillé pour avoir des ennemis uniquement face à lui, le mur de ronces protégeant ses arrières et ses côtés. Mais si jamais un cheval lui tombait dessus, il ne donnait pas cher de sa peau. Le Dunéen appela donc ses amis pour qu'ils se portent à la rescousse du Dúnadan. A l'aide de ses sorts de feu il pouvait enflammer les corps et manipuler les flammes pour accroître leur taille et repousser leurs adversaires. Au-delà des zones de combat jonchées de morts au-dessus desquels virevoltaient de sinistres feux follets, en revanche, loups et cavaliers les attendaient. Il fallait donc percer leurs défenses et créer de nouveaux cadavres qu'il pourrait facilement enflammer pour leur permettre de progresser vers leur ami.

Mordin, après avoir sécurisé son côté de la forteresse à l'aide de graines magiques et des flèches de Rob, aurait bien tenté de semer le doute parmi leurs adversaires. Il avait pensé sonner du cor pour faire comme si une armée à eux se tenait prête à intervenir, et ainsi inquiéter leurs ennemis. Mais l'effet sur les Sagaths fanatiques et sur les loups ensorcelés était très incertain, et l'archer-magicien réclamait son aide pour enfoncer l'armée adverse et accéder à leur ami dúnadan. Armé de sa hache et bien protégé par armure de cuir souple enchanté et haubert complet de mailles par-dessus, il répondit présent avec une lueur féroce dans les yeux. Les têtes allaient voler...

Le nain et l'Eriadorien balafré se jetèrent donc sur les loups qui les attendaient, côte à côte afin de limiter le nombre d'adversaires autour d'eux. Mordin avançait avec le mur de ronces magiques érigé par Taurgil à sa gauche, Geralt à sa droite, et Drilun utilisait ses flammes magiques pour empêcher les autres loups de passer derrière eux ou sur les côtés. A l'arrière, Rob avançait, l'arc à la main, mais il remarqua vite que des cavaliers approchaient derrière eux, menaçant de les couper de l'entrée de la forteresse de ronces. Il fit donc demi-tour en leur tirant dessus, de manière à protéger l'entrée de leur refuge dans lequel ne restaient plus que Vif, Isilmë et leurs quatre chevaux restants.

Le Dunéen vit aussi le danger mais il ne pouvait se concentrer devant et derrière lui pour manipuler les flammes. Il décocha tout de même une flèche en arrière pour abattre un cheval devant l'entrée de leur forteresse et aider son petit ami, avant de se retourner pour créer de nouvelles flammes et aider Mordin et Geralt. Le nain avait couru devant lui vers ses adversaires, suivi malgré lui par le maître-assassin, un peu choqué par le manque de prudence de son petit et costaud ami. Du coup, c'est lui qui eut à gérer des loups arrivant sur son côté droit. Heureusement, ils arrivèrent à gérer leurs adversaires et purent reprendre leur progression sans grand souci lorsque les flammes de l'archer-magicien furent de nouveau là pour les épauler.

2 - Sorcellerie et chute mortelle
A l'intérieur de la forteresse de ronces circulaire, l'elfe guerrière et soigneuse avait fort à faire. D'une main, elle tenait les brides de deux chevaux qui avaient été affectés par une sombre magie et qu'elle avait en partie calmés, mais qui étaient prêts à s'enfuir dès qu'elle leur en laisserait la possibilité. Un troisième cheval, fou d'épouvante, avait tenté de fuir en sautant par-dessus les ronces, sans succès, et il avait été ramené par la lionne magique qui l'avait tiré par une patte arrière grâce à sa puissante mâchoire. Sans elle, il serait reparti pour de bon.

Isilmë utilisa alors sa magie pour atténuer l'épouvante ténébreuse qui affectait le cheval, puis elle le rassura par des paroles et caresses. La pauvre bête continua à trembler mais elle accepta de rester auprès de l'elfe, tant que cette dernière tenait sa bride et continuait à avoir une attitude apaisante. Ce qui empêchait la guerrière de faire quoi que ce fût d'autre. Le quatrième cheval, celui de Taurgil, non affecté par la sorcellerie mais inquiété par les cris et hurlements des loups, restait à peu près tranquille mais il était évident qu'il suivrait les autres chevaux à la moindre occasion.

Tandis qu'Isilmë faisait ses œuvres, Vif entendit un changement de l'autre côté du mur de ronces : les coups d'épée ou de hache qui entamaient leur mur épais et solide s'étaient arrêtés. Des mouvements de personne eurent lieu, après quoi elle entendit une voix psalmodier dans une sombre langue qu'elle reconnut : un sorcier utilisait le noirparler de Dol Guldur pour incanter quelque nouveau maléfice. La monture du Dúnadan était non loin du mur où elle entendait la voix. Elle bondit sur lui, ce qui tira de lui un hennissement de frayeur, puis s'en servit de tremplin pour sauter par-dessus les ronces, juste à l'endroit où devait se trouver le sorcier.

Au-dessus des ronces, elle fut secouée par les vents magiques violents que Drilun avaient appelés sur le secteur. Avant de commencer à plonger vers ses ennemis, elle eut une rapide vision de ce qui l'attendait : une douzaine de lances plus ou moins pointées dans sa direction ; un probable sorcier déguisé en Sagath d'élite dans un renfoncement taillé dans le mur, se préparant à lancer son sortilège ; et un peu plus loin, un rôdeur noir ayant bandé une flèche spéciale à son attention. Flèche qu'il lâcha aussitôt, et qui transperça son cuir magique. Heureusement, entre les vents violents et le temps très bref qu'il avait eu pour ajuster son tir, la blessure resta superficielle et sans gravité.

Vif se laissa alors tomber vers le sol. Elle infléchit sa trajectoire en utilisant ses pattes avant sur le mur de ronces, de manière tant à éviter les pointes de lance qu'à arriver au plus près du sorcier. Malgré la présence de plusieurs Sagaths d'élite parmi les porteurs de lance, elle put se faufiler entre elles, d'autant qu'aucune n'était magique et capable de facilement percer son cuir enchanté. Le sorcier, concentré sur son sort, n'eut même pas le temps de sentir le poids imposant de la lionne lui tomber dessus. Avec de sinistres craquements, son corps s'étala sous les terribles pattes de Vif et il ne bougea plus : il était mort instantanément.

3 - Combat de routine
Tandis qu'une partie de ses amis tentaient de se frayer un chemin jusqu'à lui, Taurgil les perdit complètement de vue. En plus des nombreux loups qui lui grimpaient dessus ou tentaient de le déséquilibrer en lui tirant ou poussant les jambes, sa ligne d'horizon fut vite bouchée par de nombreux cavaliers ennemis. Derrière lui et sur les côtés, la barrière de ronces magiques qu'il avait fait s'ériger limitait son champ de vision mais aussi le nombre d'adversaires qu'il avait à combattre. Devant lui et en partie sur les côtés, les loups guidés par des wargs tentaient, avec une intelligence très humaine voire surnaturelle, de l'ensevelir sous le nombre et de le renverser. Derrière eux, dans l'espace confiné, les cavaliers ennemis avançaient lentement, poussant de côté les loups présents et les forçant à s'éloigner entre les pattes des chevaux qui ne goûtaient guère à ces familiarités et renâclaient.

Ces conditions étaient somme toute assez favorables au rôdeur dúnadan : il était trop bien protégé par son haubert de mailles de mithril et sa magie royale récemment maîtrisée pour craindre les attaques des loups. Cette même magie amplifiait sa force et sa résistance et l'empêchait de basculer sous le poids des adversaires et d'être enseveli sous le nombre. Et s'il était trop bien protégé des blessures, ses ennemis ne l'étaient pas, et les cadavres s'amoncelaient à ses pieds, percés ou tranchés par l'épée de roi trouvée à Dol Guldur qui amplifiait sa magie. Ces cadavres finissaient petit à petit par le gêner, mais ses agresseurs tout autant.

Un cavalier lancé sur lui de manière suicidaire aurait été un véritable souci, car l'armure ne faisait pas tout, et elle ne pouvait le protéger du poids d'un cheval lui tombant dessus. Et si sa magie le fortifiait, elle ne le rendait pas invincible. Mais le lieu confiné et le grand nombre de corps - vivants ou morts - de loups présents compliquait la tâche des Sagaths, qui ne pouvaient avancer que lentement. Si le terrain avait été dégagé, ils auraient pu se lancer dans une charge, mais ce n'était pas le cas. De plus, au fur et à mesure qu'ils approchaient, les loups étaient obligés de partir, et ils étaient moins nombreux à pouvoir l'attaquer. Bientôt il n'y en eu plus qu'une demi-douzaine, et leur nombre diminuait encore, quand les premières lances des cavaliers arrivèrent à sa portée.

Avec la fin des derniers loups arrivèrent donc les premiers coups de lance. Seuls trois cavaliers pouvaient se tenir dans l'espace restreint avec leurs montures, toutes arrêtées. Son armure et sa magie n'ayant aucun mal à dévier les coups de seulement trois adversaires, il passa à une offensive plus musclée. Des trois cavaliers qui lui faisaient face, celui du milieu était le plus dangereux. Vêtu de mailles, c'était manifestement un chef, un Sagath d'élite, et sa monture fut la cible de son épée. Profondément blessée, la bête resta debout, hennissant de douleur et coincée par les autres cavaliers de chaque côté d'elle. Puis elle tenta de reculer un peu malgré les efforts de son cavalier pour la maîtriser.

L'espace que cela lui apporta donna au rôdeur l'occasion de porter une attaque à un des deux autres cavaliers ennemis. Son coup puissant fit passer l'homme de vie à trépas et il chut de sa monture. Taurgil empoigna alors les rênes du cheval et l'empêcha de partir, après quoi il se débrouilla pour monter dessus. L'espace était plein de cavaliers ennemis mais il se sentait de taille à les affronter tous à lui tout seul, dans un espace confiné du moins. Si les ennemis arrivaient à lancer une charge, il n'aurait pas les mêmes facilités à les combattre. De toute manière, des cris étaient lancés, probablement en logathig, la langue des Sagaths qu'il ne comprenait pas, et les cavaliers adverses semblaient en train de rompre le combat pour se dégager et partir. Mais il comptait bien les suivre et ne pas les lâcher aussi facilement que ça.

4 - Charge suicidaire
Mais bien avant que Taurgil ne trouvât une nouvelle monture, ses amis avaient à faire face à bien des difficultés. A commencer par Drilun, Geralt et Mordin. Ils se retrouvèrent en effet face à une ligne de cavaliers sagaths, tellement serrés qu'un homme aurait du mal à passer entre eux. Et d'autres rangs de cavaliers, derrière, étaient prêts à prendre le relais. Les loups s'étaient tous éclipsés au loin, parfois entre les chevaux maintenus immobiles par leurs maîtres. Mais surtout, au bout de cette longue ligne de cavaliers immobiles et qui faisaient obstacle, lance baissée, une vingtaine de Sagaths montés lançaient leurs chevaux au galop, droit sur eux. Entre les feux de l'archer-magicien et la ligne de cavaliers immobiles l'espace était en effet assez grand pour permettre une charge, et elle venait de s'élancer.

Les Sagaths qui approchaient étaient cinq de front, assez serrés, et d'autres venaient derrière eux sur au moins deux autres lignes. C'était une charge suicidaire, pour les chevaux tout du moins : une fois emportés par leur élan, les premières montures viendraient s'écraser contre le mur de ronces magiques contre lequel les trois amis progressaient. Mais l'armure ou la magie des trois amis ne ferait pas grand-chose contre la masse et le poids d'un cheval emporté au galop. Ils n'avaient le choix qu'entre être écrasés par les corps des chevaux qui leur arrivaient dessus, ou piétinés par leurs nombreux sabots. Si du moins ils restaient sur place.

Drilun s'était entouré d'une magie qui déviait les attaques contre lui, et il s'en servit pour éviter les lances qui leur faisaient face et se glisser entre deux chevaux et leurs cavaliers. Les deux hommes firent manœuvrer leurs montures pour étouffer ou écraser leur ennemi entre les deux corps équins, mais la magie du Dunéen lui permit de résister à la pression : il était simplement coincé. Quant à Geralt, il fut assez rapide pour prendre son élan et plonger à travers les flammes des corps des loups qui se consumaient derrière eux, assez loin pour être à peu près sûr que les cavaliers ne l'y suivraient pas. Les flammes étaient trop nombreuses pour les chevaux, tandis que le chemin qu'ils suivaient pour les charger en était presque dépourvu.

Mais pas totalement, ce qui ralentit un peu la charge, les cavaliers ayant fort à faire pour faire avancer leurs montures malgré la peur des bêtes pour le feu. Mordin, qui était le plus éloigné de la charge, en profita pour faire la seule chose dont il se sentait capable : il ramassa la lance d'un adversaire défunt et la planta dans le sol pour faire face au premier cheval qui lui fonçait dessus. Motivé par la perspective d'une mort imminente, il dirigea la pointe de sa lance d'une main experte malgré son inexpérience totale dans les armes d'hast. Le cheval s'embrocha dessus, pris par son élan, mais si l'essentiel de sa charge fut stoppé, la force fut suffisante pour briser la lance, et le corps du cheval tomba sur le nain.

Il ne put éviter la masse équine qui le jeta à terre, emprisonnant le bas de son corps dans un étau de chair morte... et lui occasionnant une forte douleur à une jambe. Elle était sûrement cassée, et il ne risquait pas de se dégager de là tout seul. Les chevaux de la même ligne passèrent à côté et le cheval derrière celui qu'il avait abattu sauta par-dessus le cadavre de son congénère en prenant légèrement appui dessus, ce qui engendra une nouvelle douleur dans le corps du nain. Les premiers chevaux s'écrasèrent sur le mur de ronces tandis que les lignes suivantes étaient plus ou moins maîtrisées par leurs cavaliers. Certains Sagaths avaient pu sauter de cheval avant le choc et une partie d'entre eux allaient bientôt se relever. Mordin était vivant mais il restait coincé, blessé, et incapable de se défendre. Au moins était-il vivant pour le moment.

5 - Chevaux en moins et cadavre en plus
Du côté de la forteresse de ronces qui n'abritait plus qu'Isilmë et quatre chevaux, les cris et bruits de combat tout proches de l'entrée décidèrent l'elfe à lâcher les brides des trois chevaux affectés par la sorcellerie afin de prendre son épée et d'aller aider le hobbit. Ce dernier, en effet, tenait seul l'entrée avec son arc, aidé heureusement par le corps du cheval abattu par Drilun. Mais de nombreux cavaliers sagaths risquaient de bientôt être sur lui. Rob resta seul encore un moment, car la guerrière elfe n'eut pas le temps de rejoindre son petit ami tout de suite : une fois libérés, les trois chevaux se précipitèrent vers la sortie, suivis par le quatrième, moins enthousiasme mais qui suivait le mouvement.

L'entrée dans le cercle de ronces magiques était en partie obstruée au milieu par un bout de mur végétal autour duquel les chevaux se glissèrent. Ayant perçu le danger, le voleur hobbit se colla à cette portion de mur pour éviter d'être piétiné par les sabots. Du coup, les ennemis furent également gênés par les chevaux qui s'enfuyaient. Il ne resta en fait que le cheval de Taurgil, qui portait encore les affaires du grand rôdeur, qu'Isilmë retint juste avant qu'il ne suivît les trois autres. Les deux amis avaient donc gagné un peu de temps, mais leurs problèmes n'étaient pas pour autant réglés. Où donc était la lionne ?

Cette dernière ne tarda pas à revenir. Après avoir écrasé le sorcier, elle l'avait pris dans sa gueule pour s'en servir de bouclier et avait bousculé les ennemis qui se tenaient entre elle et le rôdeur noir qui l'avait blessé. L'homme avait lancé une seconde flèche sans succès et il était en train de préparer une dernière flèche spéciale mais il n'eut jamais le temps de la tirer : Vif laissa tomber le corps du sorcier pour se précipiter sur le rôdeur noir, qui subit une dissection brutale et sanglante du haut vers le bas sous le puissant coup de griffes de la lionne enchantée. Bref, il mourut instantanément et probablement sans avoir le temps de souffrir, sauf peut-être de voir sa fin arriver si vite.

Après quoi la féline Femme des Bois reprit dans sa gueule le corps du sorcier à terre et elle bondit au-dessus du mur de ronces, sans être inquiétée par quelques pitoyables coups de lance de la part des Sagaths à terre. Elle se laissa ensuite tomber à l'intérieur de la forteresse, où Rob venait d'entrer après le passage des chevaux, et où Isilmë retenait celui de Taurgil. La lionne, après avoir laissé le corps du sorcier à ses amis, fila alors vers l'entrée où elle se retrouva nez à nez avec les ennemis. Ces derniers avaient laissé passer les trois chevaux des aventuriers avant de s'approcher de l'entrée dans le mur végétal, quand ils durent faire face à ce nouveau gardien.

A elle toute seule, la lionne enchantée pouvait facilement bloquer le passage et les armes des ennemis ne l'inquiétaient guère. Elle fit donc bon ménage et le sang et les chairs volèrent de tout côté autour d'elle. Elle prit soin de viser les cavaliers et non leurs montures, s'assurant ainsi que des chevaux resteraient pour remplacer ceux qu'ils avaient perdus. Les Sagaths commencèrent à reculer, d'autant que des cris étaient lancés derrière eux qui ressemblaient à des ordres de repli. Même si elle était incapable de comprendre ce qu'ils disaient au juste, elle en voyait tout de même les effets, en l'occurrence une retraite généralisée. Elle les aurait bien poursuivis mais il semblait que le nain, non loin, était menacé, et que son aide ne serait pas de trop vis-à-vis des loups qui restaient. Elle laissa donc les cavaliers faire retraite et continua son nettoyage sur la gent canine.

6 - Soins et bilan
En effet, le nain s'était retrouvé peu auparavant coincé sous un cheval et incapable de s'en sortir seul : une probable fracture à la jambe risquait de s'aggraver s'il forçait trop, et des ennemis étaient proches, cavaliers sagaths avec ou sans cheval voire loups éloignés qui pouvaient vite revenir. Geralt n'était pas loin qui trancha en deux un Sagath qui se relevait pour approcher de son ami et le protéger. Sa lame fit vite du ménage autour de lui pour empêcher les ennemis de profiter de la situation. De toute manière, des cris furent bientôt lancés et le mouvement de retraite commença à se faire parmi les cavaliers, ce qui lui laissa plus de temps pour se consacrer à son ami à terre.

De son côté, Drilun enflammait magiquement la selle d'un des chevaux entre lesquels il était coincé, ce qui entraîna une réaction immédiate de la monture et donna de l'air à l'archer-magicien. Il continua par la suite à utiliser ses flammes pour faire de la place autour de lui et ses amis, jusqu'à ce que Geralt l'appelle à la rescousse, ainsi que Taurgil qui arrivait non loin. En effet, le maître-assassin avait essayé de soulever le corps du cheval en se servant d'une lance comme levier, mais elle s'était cassée. Il avait jugé alors qu'en utilisant plusieurs lances et en s'y mettant à plusieurs, le nain serait plus facilement dégagé.

Les cavaliers ennemis firent donc retraite, même si des loups restèrent en arrière pour leur faciliter la tâche et occuper un peu la lionne ou ses amis. Néanmoins Mordin ne fut pas inquiété et il fut vite libéré du corps du cheval qui le tenait prisonnier. Tandis que certains récupéraient des chevaux que la lionne empêchait de partir, Isilmë protégeait la jambe cassée du nain à l'aide d'une attelle et de ses soins magiques. Taurgil fit une infusion d'athelas - il dut s'y reprendre à deux fois et en gaspilla un peu - afin d'utiliser ses mains de roi pour soigner la blessure, dont la douleur diminua bientôt. Mordin put bientôt se lever et marcher seul, même si sa jambe n'était pas complètement guérie. Mais au moins ne risquait-elle plus de voir son état s'aggraver.

Les ennemis s'étaient éloignés de leur petite forteresse, divisés en quatre groupes à peu près équivalents. Entre les perceptions de la lionne et les talents et longue-vue du maître-assassin, ils purent estimer que chaque groupe devait comporter autour de trois cents cavaliers et au plus une cinquantaine de loups et wargs. Aucun sorcier n'était visible, et un seul rôdeur noir fut perçu, qui agissait comme chef auprès de Sagaths d'élite. Les quatre groupes étaient éloignés d'eux de deux à trois portées de flèche, ce qui était amplement suffisant pour leur permettre de lancer une charge si jamais les aventuriers quittaient la protection des murs de ronces magiques qui leur tenaient lieu de forteresse. D'une certaine manière, ils étaient en sécurité mais ils étaient coincés là.

Le soleil baissait dans le ciel, et une bande de cavaliers avaient été repérés qui s'en allaient en direction du convoi ennemi, sans doute pour prévenir de ce qui s'était passé. Peut-être aussi pour demander conseils ou renforts, car il restait encore sans doute un sorcier dans le convoi, sans parler des rôdeurs noirs et de nombreux Sagaths. La fouille du corps du sorcier par Rob n'avait rien donné de particulier : il trouva un habituel anneau magique qu'il se garda bien de toucher, du poison, du baume orc et des préparations - poudres et liquides - pour faire des rituels magiques peut-être, mais aucune pierre d'appel de dragon. Le hobbit récupéra également des flèches pour remplacer les siennes ou celles de ses amis ainsi que diverses armes de qualité qui pourraient leur servir.

En plaine, les Sagaths avaient un avantage certain et les rugissements de la lionne n'avaient pas eu grand effet : comme le soupçonnait Mordin, ils avaient dû boucher les oreilles des chevaux avec une substance ou une autre pour limiter l'impact de ses rugissements. La présence des loups les empêchait de partir en catimini, même de nuit, sauf peut-être en diminuant magiquement leur odeur à tous et en accentuant l'obscurité autour d'eux. Mais en attendant, un dragon devait être en train de filer vers leur armée, comme cela fut confirmé par un sort de divination de Drilun. Haurnfile, la dragonne non ailée, était probablement en route et rencontrerait bientôt leurs amis. La présence de Jirfelian, magicienne à qui ils avaient demandé de veiller sur les troupes nordiques, serait-elle suffisante pour éviter le pire ? Ils auraient de toute manière bien du mal à arriver à temps pour empêcher cela sans prendre de grands risques, ou sans un éclair de génie qui n'avait encore frappé aucun d'eux.
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Horselords - 47e partie : allié ou ennemi de poids

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1 - Préparatifs
La présence des loups et wargs malgré la probable absence de sorcier sur place étonna certains comme Geralt ; d'autant qu'aucune magie n'était clairement perceptible, même si Rob ressentait comme une vague impression de quelque chose d'insaisissable. Si volonté magique il y avait, elle devait venir de loin et être masquée et puissante... Après de grandes discussions qui virent le soleil commencer à se coucher, les aventuriers décidèrent d'utiliser la carte qui aurait le plus d'effet pour briser l'élan de la cavalerie ennemie : le feu. L'objectif était non seulement de désorganiser les troupes adverses, mais de pouvoir faire une percée à travers elles sans laisser personne derrière. Il n'y aurait pas de second essai, donc il fallait faire mouche du premier coup : dès que leur petit groupe serait parti, les ennemis convergeraient tous vers eux. Ils devraient donc percer l'un des quatre groupes ennemis avant que les autres ne puissent intervenir. S'ils étaient arrêtés assez longtemps pour que les trois autres puissent attaquer, leurs chevaux n'y survivraient pas et sans doute certains d'entre eux non plus.

Tout d'abord, un certain nombre de lances furent ramassées parmi les adversaires tombés au combat, et préparées : elles furent réduites à la bonne longueur et attachées à la selle de leurs chevaux de manière à leur donner des allures de hérissons. Les vêtements des cadavres furent mis à contribution pour confectionner des liens, mais aussi pour faire des boules de tissu qui furent imbibées d'huile et placées à l'extrémité des "pointes" des hérissons. Isilmë alla même jusqu'à dépecer quelques cadavres pour récupérer leur graisse et ajouter à ces futurs brûlots. Il fallait faire en sorte que l'extrémité des lances, où les tissus étaient placés, puissent brûler et gêner les ennemis sans pour autant tomber au sol et entraver la course du cheval, et cela d'autant que les vents levés par le sort du Dunéen restaient violents. Il avait désactivé la magie et les rafales diminuaient, mais il s'en faudrait encore de près d'une heure avant qu'elles ne disparussent complètement.

Un cheval eut une destinée particulière : il n'aurait pas de cavalier mais une grosse masse de tissu imbibé d'huile, et il serait allumé en dernier, lorsque le choc avec l'armée adverse serait proche. Le cheval viendrait en premier, dirigé par la lionne qui, placée juste derrière lui, veillerait à ce qu'il aille dans la bonne direction. Une fois en feu, les flammes seraient amplifiées par la magie de l'archer-magicien et modelées de manière à avoir un maximum d'effet sur les loups et les cavaliers adverses. En bref, il faudrait que cela suffise pour les faire tous s'écarter et pouvoir passer à travers eux. Le cheval n'y survivrait sans doute pas, mais les aventuriers en avaient en trop et ils n'avaient guère le choix ; il fallait juste qu'il vive assez longtemps pour leur offrir cette traversée de la cavalerie adverse.

Dans un premier temps, les préparatifs se firent à couvert, dans leur forteresse de ronces magiques, à l'abri des regards adverses. Au fur et à mesure que le chantier avançait, ils prirent conscience qu'ils étaient coincés : les chevaux, une fois transformés en porcs-épics, ne pourraient plus passer par leurs petites ouvertures, et cela prendrait trop de temps à les agrandir. Aussi firent-ils lever de nouveaux murs de ronces à l'extérieur de leur forteresse de manière à bloquer la vue de leurs ennemis ; tout en permettant de faire tous les préparatifs nécessaires et de pouvoir quitter ensuite leur abri au galop, les premières flammes déjà allumées. Ce qui fut fait, avec du temps et de l'huile de coude, malgré fatigue et moral en berne pour certains. Geralt n'était pas le seul à penser que de toute manière ils allaient tous mourir... Ce qui n'empêcha pas ce dernier de participer, y compris en utilisant les pouvoirs magiques de son ténébreux cimeterre pour les masquer encore davantage à certaines occasions.

Ils furent enfin prêts, alors que la nuit était déjà tombée. Ce qui rendrait leur spectacle pyrotechnique encore plus impressionnant, sans doute. Hormis l'elfe et la lionne, tous prirent du trèfle de lune afin de mieux voir dans le noir. Drilun modifia la voix de la lionne pour la rendre encore plus puissante et menaçante à l'aide d'un sort : cela lui servirait pour diriger le cheval de tête, dont les bouchons d'oreilles placés par les Sagaths - bouchons faits de bouts de tissu et de graisse - avaient été retirés. En revanche, les autres chevaux en portaient tous et leurs yeux furent également bandés afin de ne pas les affoler avec la vision des flammes. Il serait déjà assez dur de les diriger comme cela, leurs naseaux restant eux parfaitement ouverts aux odeurs à venir, tant des ennemis vivants que de leurs futurs corps ensanglantés ou brûlés.

2 - Charge héroïque
Les brûlots au bout des morceaux de lance furent allumés, puis les cavaliers montèrent en selle, Rob restant en croupe du cheval de Geralt. La lionne enchantée fit clairement comprendre au cheval de tête par où elle voulait qu'il aille, ce qu'il reçut cinq sur cinq : il sortit de derrière les murs de ronce magiques et se dirigea droit au sud, vers le centre d'un des groupes de loups et cavaliers ennemis. Elle resta derrière lui pour continuer à le diriger, telle un efficace chien de berger menant son troupeau à l'abattoir, tandis que ses compagnons arrivaient derrière elle, les uns derrière les autres, comme des porteurs de flambeaux un peu particuliers. Leurs chevaux étaient nerveux mais ils arrivèrent à les diriger tous sans anicroche et à faible distance de la lionne et du cheval incendiaire non encore allumé.

Les ennemis réagirent par des cris entre les différents groupes, ce qui laissa aux aventuriers le temps de couvrir le tiers de la distance. Puis les Sagaths s'élancèrent tous et prirent rapidement de la vitesse, précédés de peu par les loups et wargs. Le groupe face à eux était large mais assez compact et il comportait peut-être une demi-douzaine de rangs, voire plus. Le choc avec la ligne formée par les aventuriers ne mettrait sans doute pas plus d'une vingtaine de secondes à arriver. Les deux groupes latéraux convergèrent vers le centre et le probable point d'impact entre Sagaths et aventuriers, de manière à pouvoir les prendre sur les côtés et dans le dos, et les écraser entre eux et le groupe de face. Le dernier groupe, le plus éloigné, devait être en train de s'approcher lui aussi mais il était masqué par les murs de ronce magiques laissés en arrière, sans parler de la distance et de la nuit.

Craignant peut-être la magie de l'archer-magicien, les Sagaths n'avaient pas allumé de torches. Et ils n'en avaient certainement pas besoin pour repérer leurs adversaires. Ils virent Geralt sortir de la ligne et se rapprocher du cheval de tête, de manière à ce que les brûlots qu'il portait puissent frôler la bête apeurée et surtout la masse des tissus imbibés d'huile qu'elle portait. Bientôt ils prirent feu, attisés par les vents turbulents et l'huile généreusement utilisée. Tandis que le maître-assassin regagnait sa place au milieu de la file, l'archer-magicien utilisait sa magie pour accroître le volume des flammes et les modeler à sa guise...

Le cheval de tête fut bientôt transformé en un simulacre de dragon miniature dont le souffle enflammé se changea en une espèce de mur de flammes face aux Sagaths qui arrivaient devant eux. Les loups s'éparpillèrent de chaque côté, mais les cavaliers, emportés par leur élan, ne purent tous en faire autant. De nombreux cris s'élevèrent derrière le mur de flammes, hennissements et cris de douleur, tandis que deux colonnes de cavaliers ennemis qui avaient réussi à esquiver le feu magique passaient de chaque côté des aventuriers, à distance trop grande pour pouvoir les attaquer. Tout semblait marcher comme prévu...

Malheureusement, le dragon souffleur de mur de flammes connut une fin précoce : de nombreux cavaliers adverses n'avaient pu maîtriser leurs montures qui avaient cherché à fuir dans tous les sens, d'où un grand nombre de chutes. Les corps avaient constitué des obstacles contre lesquels les cavaliers des rangs suivants, assez serrés, étaient venus buter. La masse de corps humains et surtout équins à terre constituait une petite barrière dans laquelle le cheval de tête, épouvanté par le feu tout autour de lui, se jeta d'un bloc. Le "dragon" s'arrêta donc net, et les flammes avec lui, même si elles se propagèrent vite aux corps proches et à ce qu'elles avaient d'inflammable - crins, cheveux, couvertures, habits... Ce petit enfer et les cris des suppliciés qui y rôtissaient motivèrent encore plus le reste des Sagaths et leurs chevaux à s'en éloigner davantage. Mais les aventuriers étaient en train de foncer droit dedans.

3 - Percée
Vif, vu sa position et la qualité de ses sens, fut la première à percevoir le danger. Elle avertit ses compagnons d'un rugissement et commença à dévier sa course vers la droite, de manière à éviter les flammes mais surtout les corps entremêlés des chevaux et cavaliers sagaths qui gisaient au sol. Elle aurait pu sauter par-dessus et tout traverser sans mal, mais ses amis, et surtout leurs chevaux aveuglés, en auraient été bien incapables. Il ne restait donc qu'un espace de quelques mètres entre les flammes et les colonnes de cavaliers ennemis de chaque côté pour continuer à avancer. Espace qu'elle contribua à agrandir encore avec des rugissements puissants et des coups de griffes bien placés pour tuer ou repousser leurs ennemis.

Ses amis infléchirent à temps la course de leurs chevaux pour suivre la lionne, passant très près de leurs ennemis. La plupart étaient trop secoués par cette explosion de flammes, que Drilun manipulait toujours même si elles n'avançaient plus, pour essayer de porter des attaques. Sans parler de la lionne magique qui leur donnait une raison supplémentaire de les laisser passer. Le groupe put ainsi dépasser par la droite le mur de flammes et l'essentiel des corps ennemis qui étaient tombés devant l'obstacle. Ils purent progresser comme dans un grand U formé par leurs ennemis, sauf que le fond du U restait fermé par deux ou trois rangs de cavaliers. Et ceux-là avaient eu le temps de jauger de la situation et ne comptaient pas les laisser partir si facilement.

La résolution des Sagaths vacilla vite face aux griffes et rugissements de la lionne, plus les flammes manipulées par l'archer-magicien dunéen à partir de leurs brûlots, ou encore l'épée du maître-assassin. Mais il y eut aussi la redoutable présence de Taurgil augmentée de sa magie récemment apprise : elle le fit apparaître comme un terrible roi guerrier porteur de mort et de souffrances, et les cavaliers ennemis refluèrent en grand nombre. Mais pas tous néanmoins, et en particulier un Sagath d'élite qui fonça sur le Dúnadan. Tandis que ses compagnons fuyaient ou étaient abattus, il arriva à éviter les bouts de lance enflammés autour du cheval du grand rôdeur et à porter un coup de lance adroit.

C'est le cheval de Taurgil qui était visé, et qui fut touché. Pas mortellement, mais il écopa d'une blessure profonde à la patte avant droite, ce qui le fit trébucher. Il arriva à se redresser, même s'il boitait un peu, et le rôdeur dúnadan parvint à rester en selle, tandis que leur agresseur s'éloignait derrière eux. Les autres aventuriers n'eurent pas d'autre problème et bientôt le groupe sentit les vents turbulents les fouetter à nouveau sans être diminués par la présence des nombreux ennemis en rangs serrés tout autour d'eux : ils étaient passés, ils avaient réussi à traverser le groupe de cavaliers sagaths contre lequel ils s'étaient élancés ! Mais le cheval de Taurgil boitait et saignait et ne tiendrait peut-être pas longtemps ainsi...

Heureusement, ils avaient gagné un certain répit : en arrière, leur percée s'était accompagnée d'une grande confusion parmi les Sagaths. En effet, le groupe qu'ils avaient traversé avait été secoué et désordonné par leur attaque tant pyrotechnique que psychologique. Il s'était donc étalé sur les côtés, ce qui avait bloqué les deux autres groupes de Sagaths qui arrivaient sur leurs côtés et leurs arrières. La confusion qui s'ensuivit laissa le temps aux fuyards de prendre une petite avance avant que la poursuite ne soit reprise. C'était la nuit et les vents turbulents n'aidaient pas, mais les Sagaths étaient de bons cavaliers, en particulier leur élite en cotte de mailles et armes de qualité. Ils cravachèrent leurs montures, déjà précédées par des loups et wargs que l'obscurité et le vent gênait moins. Malgré la fatigue des aventuriers, malgré la blessure du cheval de Taurgil, il allait falloir accélérer pour ne pas être rattrapés.

4 - Fuite en soignant
D'un simple galop, les cavaliers du groupe passèrent donc à une allure plus rapide, malgré leur fatigue et les conditions d'obscurité et de vent. Mais depuis le début de leurs aventures en tant que représentants du roi d'Arthedain, ils étaient tous devenus de très bons cavaliers, passant parfois plus de temps en selle qu'à terre. Seul le hobbit, chevauchant souvent avec quelqu'un d'autre, n'était pas encore toujours à son aise, comme il le montra une fois de plus. Il glissa de sa position à l'occasion d'un écart du cheval, et n'empêcha sa chute que grâce à ses talents d'acrobate. Geralt l'aida à reprendre place comme il le faisait régulièrement, en grommelant de déplaisir d'être obligé de faire de nouveaux efforts...

Mais Rob n'était pas vraiment un problème, et le reste du voyage ne fut source d'aucune autre difficulté pour lui. En revanche, le cheval du rôdeur Dúnadan boitait et saignait et il ne tiendrait pas indéfiniment à cette allure. Il fallait vite arrêter stabiliser la blessure sans quoi il allait vite s'affaiblir. Mais les meilleurs Sagaths et les loups n'étaient pas si loin que cela derrière, si les aventuriers s'arrêtaient leurs ennemis seraient là en moins d'une minute. Comment faire pour soigner ce cheval au galop ? L'application de baume orc cautérisant semblait la meilleure des solutions, mais comment faire cela sur un cheval au galop, sur une patte qui bougeait sans cesse, et dans quelle position pour le soigneur qui devrait s'en charger ?

Taurgil fournit une solution possible, qui fut bientôt acceptée. Tandis que Geralt prenait un premier pot de baume, le grand Dúnadan s'emparait de la corde magique du serpent. Une fois sa magie activée, la corde devenait une espèce de serpent vivant aussi costaud que celui qui en tenait une extrémité en ayant prononcé le mot magique d'activation. Le rôdeur était le plus fort du groupe, Vif exceptée, et il se faisait fort de tenir en l'air le hobbit à proximité de la blessure du cheval pour qu'il puisse le soigner. Les chevaux avaient été débarrassés des lances et brûlots, il resterait juste à combattre les effets du vent, du galop, et surtout le manque d'expérience du hobbit qui était très novice dans les arts des soins...

La tâche était tout de même redoutable. Tandis que Taurgil et Geralt dirigeaient leurs chevaux en parallèle et avec la course la plus souple et sans heurt possible, Rob, tenu en l'air par la corde magique, essaya donc de tartiner la jambe blessée du cheval. Et cette jambe n'arrêtait pas de bouger et le cheval protestait de sentir cet onguent brûlant sur sa plaie. Sans oublier leurs ennemis qui étaient toujours à portée de vue et d'ouïe, prêts à massacrer quiconque chuterait ou serait laissé en arrière. Les gestes du petit voleur ne furent donc pas les meilleurs, il tartina et gaspilla beaucoup de baume, sans grand effet au début. Après avoir épuisé autour de trois pots complets - de quoi traiter une trentaine de blessures ! - il put tout de même constater que la jambe du cheval ne saignait plus. Sa tâche avait été menée à bien, et il reprit bientôt sa place derrière Geralt.

La poursuite dura peut-être une heure mais les poursuivis ne furent jamais rattrapés. Bien que fatigués, ils étaient tous de bons cavaliers et voyaient bien dans l'obscurité grâce au trèfle de lune. Leur endurance avait ses limites, même celle du nain qui était lourdement chargé par son haubert de mailles et sentait l'épuisement le gagner petit à petit, mais les Sagaths ou les loups n'étaient pas inépuisables non plus. Les orientaux furent les premiers à décrocher, s'éloignant petit à petit, jusqu'à ne plus être visibles. Et les loups et wargs, restés seuls, étaient moins nombreux qu'au départ et peut-être moins motivés par un sorcier proche ; d'autant qu'ils savaient la force des ennemis qu'ils poursuivaient, comme par exemple la lionne magique qui aurait peut-être pu tuer un grand nombre d'entre eux ou en tout cas les ralentir assez pour rendre toute poursuite vaine. Ils abandonnèrent donc peu après avoir vu disparaître leurs alliés à cheval. Les aventuriers avaient réussi à se tirer du pétrin dans lequel ils s'étaient fourrés...

5 - Nuit et brouillard
Après avoir la certitude qu'ils n'étaient plus suivis, les aventuriers ne mirent pas longtemps à s'arrêter. Certains comme le nain tombaient de fatigue et avaient les muscles douloureux ; ils auraient bien apprécié une pause un peu conséquente pour récupérer santé et moral à l'aide de la magie des soins apportée par Isilmë ou Taurgil. Mais ce dernier resta inflexible : avec Haurnfile, la sœur de Culgor, le dragon qu'ils avaient rencontré, sans doute non loin de l'armée nordique, pas question de perdre du temps. Cela se traduirait sans doute par de nombreux morts. Le groupe s'arrêta donc juste le temps d'effacer magiquement la fatigue des plus éprouvés, plus il reprit la route.

C'est Vif qui dirigeait une fois de plus leur petite troupe de cavaliers, en raison de sa capacité à se diriger en nature et de ses sens exceptionnels, en particulier la nuit. Mais ils ne savaient où l'armée nordique avait pu dresser le camp. Tandis qu'au matin eux-mêmes étaient partis vers le nord puis avaient obliqué vers l'est une fois la Route de l'Est (Men Rhúnen) atteinte, les nordiques avaient dû suivre la Route Grise (Men Mithrin) pour se rapprocher du point d'interception convenu sur la Route de l'Est. Mais difficile de savoir quelle distance ils avaient pu parcourir. De toute manière, une fois qu'ils auraient retrouvé la Route Grise, Vif pourrait facilement déterminer s'ils étaient déjà passés par là. Auquel cas il ne serait pas difficile de les suivre : deux mille cavaliers ne passaient pas sans laisser de traces !

La minuit ne devait pas être très éloignée quand la Men Mithrin fut enfin atteinte. Et il était clair qu'elle avait été parcourue par de nombreux chevaux chargés. Comme en plus le sol avait été chargé d'eau par de fortes pluies, dont ils avaient d'ailleurs fait l'expérience à l'aller, le chemin était facile à suivre. La lionne indiqua que le passage devait remonter à une demi-douzaine d'heures. Sachant qu'il fallait compter environ déjà quatre heures de nuit et que le camp devait être préparé avant la tombée de la nuit, cela voulait dire qu'ils ne devaient pas être bien loin. En fait, il était même possible pour les plus perceptifs de distinguer quelque chose à l'est. Mais ce n'était pas des feux de camp...

Geralt utilisa sa longue-vue, à laquelle s'ajoutait le pouvoir du cimeterre ténébreux qui permettait de voir dans l'obscurité comme en plein jour. Et il perçut, à peut-être une dizaine de miles (~ 16 km) de là une brume épaisse, de forme circulaire, comme un dôme de blancheur laiteuse posé juste sur le tracé de la route. De là à soupçonner qu'un sorcier avait levé une brume magique pour favoriser l'arrivée du dragon, il n'y avait qu'un pas, qui fut vite franchi. Et d'ailleurs, la féline Femme des Bois annonça qu'elle commençait à entendre des cris qui venaient de là-bas. Manifestement, la dragonne venait d'arriver, et elle faisait du dégât. Avec ses formidables perceptions elle pouvait facilement manœuvrer dans la brume et repérer ses adversaires, qui auraient beaucoup de mal à organiser une riposte. Bref, les aventuriers étaient en retard...

La cavalcade reprit donc de plus belle, cette fois vers l'ouest, en direction du banc de brume. Alors qu'ils s'en rapprochaient, les cris et hennissements devinrent perceptibles de tous, sans parler des rugissements d'une bête qui avaient de quoi faire passer Vif pour un petit joueur. Et qui devaient sans doute affoler les chevaux et perturber fortement les nordiques, qui n'avaient certainement aucune chance à pied, de nuit dans la brume, contre un pareil adversaire. Les aventuriers entrèrent enfin dans le brouillard nocturne en sonnant du cor pour prévenir de leur arrivée, ou par de grands cris proclamant la venue de Taurgil et de ses amis. Ils ne mirent pas longtemps à rencontrer les premiers guerriers nordiques désemparés par ce qu'il se passait. Manifestement, le combat ne tournait pas à leur avantage...

6 - Désolation et résistance
Tandis que les aventuriers se faisaient reconnaître et progressaient dans le camp, ils recueillaient des informations par des sources diverses. Les guerriers nordiques parlèrent de l'attaque du ver et son côté invincible, l'éparpillement des chevaux, mais aussi qu'ils n'avaient pas été pris complètement par surprise : une femme nordique était apparue qui leur avait permis de ne pas être massacrés dans la brume, et d'avoir le temps de se préparer au combat - même si ça n'avait pas eu grand effet. En fait, Vif arrivait à percevoir clairement la voix de cette femme, en qui elle reconnut Jirfelian, la magicienne de Dale. D'ailleurs, d'autres aventuriers l'entendaient assez clairement eux aussi car sa voix portait anormalement loin dans la brume : elle semblait percevoir les déplacements du ver à distance et elle tentait de guider les nordiques à l'aide de sa voix probablement amplifiée par magie.

D'autres informations furent données, qui montraient clairement l'impuissance des nordiques à faire face à ce fléau dans de pareilles conditions de mauvaise visibilité. Itanulf, chef des Brotharas, était gravement blessé. Le combat semblait principalement mené par Mahrcared, Atagavia et Bronwyn. Il était dit que les morts et blessés se comptaient déjà par centaines. Les charges de cavalerie étaient inefficaces non seulement en raison de la mauvaise visibilité, mais aussi en raison de la difficulté à maîtriser les chevaux face à un tel monstre. Et les lances semblaient impuissantes à percer son cuir...

La partie du camp que Taurgil et ses amis traversèrent au début n'avait rien de particulier, en dehors du fait qu'il était parcouru de bandes d'hommes armés voire de cavaliers qui cherchaient à s'organiser. Mais alors qu'ils se rapprochèrent des bruits du combat, le décor changea : les tentes ou autre équipement gisaient au sol, souvent en piteux état, et les premiers corps apparurent : blessés qu'on transportait, mais aussi chevaux et hommes à terre, dont certains ne se relèveraient pas. Çà et là, des torches tenues par des nordiques illuminaient la brume de l'intérieur mais ne réussissaient pas vraiment à éclairer très loin.

Des cris de combat se faisaient de plus en plus proches, même si le dragon semblait bouger rapidement. En fait, il donnait l'impression de tourner autour du même secteur, au centre duquel Vif et certains autres utilisateurs de magie arrivaient à percevoir un puissant sortilège : la pierre d'appel du dragon était bien active et elle avait dû être placée dans le camp, à la faveur de la brume, d'origine magique probablement. Le dragon, ou plutôt la dragonne, Haurnfile de son vrai nom, avait été inexorablement attirée par cette magie. Arrivée dans le camp, elle avait dû donner libre cours à sa fureur et sa soif de sang et de destruction, mais restait à proximité de ce qui l'avait amenée là.

Geralt demanda vite à Vif de le prendre sur son dos pour aller voir de plus près, et il activa le tour d'oreille magique pour la comprendre et pouvoir échanger avec elle : leurs perceptions remarquables et la rapidité de la lionne faisaient d'eux les meilleurs des éclaireurs. Et la magie qu'ils portaient à travers griffes et cimeterre, associée à leurs talents au combat, les rendait aussi efficaces qu'une petite armée. S'approchant de la dragonne qui fut bientôt à moins d'une portée de flèche de distance, ils eurent l'occasion de voir les efforts futiles des nordiques : il y eut les attaques de Bronwyn, Mahrcared et Atagavia (entre autres), tous balayés d'un coup de queue seulement en partie évitée par d'acrobatiques plongeons ; ou la charge d'une compagnie de cavaliers nordiques qui se lancèrent sur le flanc de la bête. Le rugissement qu'elle poussa fit fuir ou mit à terre tous les cavaliers sauf un. Il arriva à porter un coup qui n'eut pas l'air de faire grand-chose au monstre, qui brusquement tourna sa tête vers l'Eriadorien aux cheveux blancs et la féline Femme des Bois.

Haurnfile les avait perçus, elle et leur magie, et manifestement elle tenait à faire leur connaissance de plus près. Le maître-assassin tenta bien de lui parler, mais sans succès : elle dit qu'elle s'amusait avec les nordiques, et à présent c'était son tour. Elle leur fonça dessus, avec son corps massif long d'une douzaine de pas environ, sans compter sa queue puissante. Elle ressemblait à un énorme lézard aux pattes très musclées, aux griffes et aux crocs redoutables, le ventre distant du sol d'un petit mètre. Son poids devait être immense, plus important que celui de son frère qu'ils avaient rencontré. Lorsqu'elle marchait sur un cadavre de cheval ou d'homme, le corps était proprement broyé et à moitié enfoncé dans le sol. Là où son frère Culgor était d'un joli rouge et or, ses écailles à elle luisaient d'un rouge gris un peu terne, et manifestement elle n'avait pas le côté félin et joueur aussi développé que celui de son frère : elle était là pour tuer, pas pour discuter.

7 - Flèches et magie noire
Devant la menace, et sentant qu'ils n'étaient pas de taille à deux contre Haurnfile, Vif fit un brusque demi-tour, obligeant Geralt à s'accrocher fermement à elle pour ne pas tomber et se retrouver seul face à la dragonne. Cette dernière n'arriva pas à approcher assez près de la lionne pour l'attaquer, et le félin en fuite montra qu'il était clairement le plus rapide. Néanmoins, Haurnfile les suivait à faible distance, ce que perçurent très bien leurs amis qui approchaient. Ils se mirent alors en position de combat et préparèrent armes et magie, mettant pied à terre pour laisser filer leurs chevaux nerveux face aux odeurs de mort et aux trépidations du sol sous le poids de l'immense bête.

Vif percevait assez bien l'emplacement de la pierre d'appel du dragon, mais Haurnfile était entre la pierre et eux. Elle tenta bien de tourner autour de la dragonne pour aller dans la bonne direction, mais malgré sa taille et son poids, Haurnfile était rapide et elle dévia de manière à bloquer la trajectoire de la lionne. Du coup, cette dernière fila jusqu'à ses amis, qui attendaient le monstre de pied ferme. La dragonne, fatiguée de cette proie trop rapide, fut tout d'un coup très intéressée par la grande silhouette de Taurgil, qui s'était mis en avant, et elle laissa la féline Femme des Bois et l'Eriadorien aux cheveux blancs filer. La lionne fit alors demi-tour et déposa rapidement - en ralentissant un peu - son cavalier non loin du flanc de la bête. Le roulé-boulé que fit Geralt l'amena dans le dos de la dragonne, tandis que le félin enchanté poursuivait sa course vers la source de la magie qui avait attiré Haurnfile dans le camp nordique.

La tentative de dialogue avec le monstre instaurée par le Dúnadan ou Mordin tourna court : Haurnfile préférait l'action à la discussion, et un rugissement de sa part fit descendre le moral de certains de ses adversaires. L'héritier des rois du Rhudaur fut sa première cible, mais la magie de ce dernier arriva à le protéger de l'attaque de la dragonne. Tandis que les archers libéraient leurs flèches, le nain essayait de laisser sa hache magique, dont le manche était en os de dragon, lui indiquer où était le point faible de leur adversaire. Il semblait qu'il y en avait un, car la hache paraissait attirer son attention... sur son ventre. Il finit par estimer que le trou dans l'armure de la dragonne devait se situer au milieu du corps de la bête, sur le dessous, ce qui n'était pas l'endroit le plus facile à attaquer. Mais après tout, les dragons porteurs de points faibles faciles à attaquer étaient sans doute déjà tous morts depuis longtemps. Il transmit l'information à ses compagnons en essayant d'approcher du point névralgique, comme d'autres aventuriers le firent bientôt.

La flèche de Rob, même si elle se ficha dans le cuir épais du monstre, n'eut pas l'air de lui faire quoi que ce fût de plus que la piqûre d'une petite épine. Le trait d'Isilmë, lancé par un arc magique qui renforçait la puissance du tir et donc les dégâts, n'eut pas plus d'effet. En revanche, celle de Drilun, qui avait lui aussi un arc magique dévastateur, pris au Grimburgoth de Dol Guldur, arriva à blesser Haurnfile, même si ce n'était pas une blessure d'une quelconque gravité. Mais la dragonne marqua le coup, et elle fixa le Dunéen de son regard perçant, tandis qu'il prenait une nouvelle flèche.

Taurgil et Mordin profitèrent de ce répit pour approcher des flancs de la bête et essayer de trouver la partie non protégée que le nain avait magiquement perçue grâce à sa hache. Ils furent rejoints plus tard par Rob, qui comprit vite que son arc normal, bien que de qualité, ne risquait pas de faire grand-chose sur la dragonne. Même le tir sur ses yeux était difficile et la bête était trop résistante. Geralt, lui, était plutôt vers l'arrière du monstre, près de la queue. Un nouveau trait de Drilun blessa encore une fois Haurnfile, mais une blessure non mortelle était quelque chose de très relatif pour un animal de cette taille. Sa voix roula comme un coup de tonnerre chargé de magie droit sur l'archer-magicien dunéen. Lequel Dunéen accusa le coup, comme frappé de stupeur, et son arc pendit au bout de son bras, comme s'il n'avait plus l'énergie ou la motivation pour le bander : il était pétrifié de peur et de désespoir par la magie draconique.

8 - Queue et point faible
Pratiquement tous les amis de Drilun perçurent son nouvel état et sa grande vulnérabilité, mais aucun plus qu'Isilmë. Elle abandonna immédiatement ses tirs en direction de la dragonne pour se précipiter vers son amour affecté par la ténébreuse magie. Ses talents magiques de soigneuse pouvaient contrer pareilles ténèbres ensorcelées, mais seraient-ils assez forts ? Pendant ce temps, Haurnfile s'apprêtait à donner un violent coup de queue pour balayer Geralt, puis Mordin et Taurgil, ces deux derniers essayant tant bien que mal de donner des coups d'épée sur la zone dénudée du ventre de la bête. Ils ne tenaient pas trop à se glisser dessous car ils manquaient d'espace pour porter un coup, et si jamais la dragonne venait à se coucher sur le sol, son poids les aplatirait comme crêpe...

La guerrière elfe ne réfléchit pas vraiment mais utilisa sa magie à l'instinct : avec amour. Arrivée devant Drilun toujours hébété, sonné par la magie des ténèbres, elle infusa en lui toute la magie purificatrice qu'elle put trouver... à travers un fougueux baiser chargé de tout son amour en prime. Le résultat dépassa ses espérances et sa magie fut la plus forte qu'elle eût jamais faite ! Le sortilège de souffle noir de la dragonne vola instantanément en éclats et l'archer-magicien retrouva immédiatement ses esprits... ainsi que quelques couleurs, aux joues notamment. Les deux amis se séparèrent, non sans quelque regret, et reprirent bientôt leurs arcs et leurs flèches.

Pendant ce temps, les choses n'allaient pas si bien que cela pour Haurnfile, ce qui avait permis la guérison du Dunéen sans risque pour sa soigneuse. En effet, percevant le danger de la queue prête à les balayer, le maître-assassin avait décidé de planter dedans son cimeterre magique. Il arriva à l'enfoncer profondément une première fois, puis une deuxième, si rapide était-il au combat. La dragonne en hurla de douleur et elle fut bloquée dans son élan, incapable de porter son attaque. Ce qui laissa tout le loisir au nain et au Dúnadan de porter des coups en direction de la zone dénudée de protection sur son ventre, ce qui permit de la blesser un peu plus, bien que sans gravité cette fois. Et Rob était en train de se faufiler sous le ventre de la bête pour parvenir au point faible.

Cela étant, Haurnfile ne restait pas immobile et il n'était pas facile de suivre la zone dépourvue d'écailles tandis qu'elle se retournait pour concentrer son attention et sa colère sur Geralt et ses amis. Ce qui permit à Drilun de lui infliger une nouvelle blessure, et la plus grave qu'elle ait reçue de la nuit. En effet, l'archer-magicien, lors de la rencontre avec le frère de la dragonne quelques jours auparavant, avait pu récupérer un peu de son sang. Il s'en était servi, avec l'aide de sa magie, pour confectionner une flèche particulièrement nocive envers la gent draconique. Haurnfile s'étant tournée, elle ne perçut pas le caractère particulier du trait qui s'enfonça profondément dans ses chairs, comme s'il avait trouvé un trou entre ses robustes écailles...

Haurnfile saignait à présent abondamment, et les aventuriers continuaient sans relâche à la blesser par flèche ou par lame, sur son corps ou au niveau de son point faible. Même s'ils n'arrivaient pas à faire des blessures sérieuses, ils affaiblissaient le monstre petit à petit et l'empêchaient de répliquer avec toute sa vigueur. A un moment, Geralt se retrouva face à la dragonne, qui s'était entièrement retournée vers lui. Il perçut qu'elle s'apprêtait à lui bondir dessus, alors qu'il allait lui porter de nouveaux coups profonds à l'aide de sa lame enchantée. Mais il comprit le danger au dernier moment : si elle lui sautait dessus, elle l'écraserait dans sa chute et il mourrait, même en ayant eu le temps de porter un coup, fût-il mortel. Il choisit donc de plonger sur le côté pour éviter la trajectoire de la bête qui bondit en avant. Elle arriva dans le vide, mais ne s'en arrêta pas là : elle fonça dans la brume, fuyant ses adversaires... tout en prenant la direction de la pierre d'appel que Vif était en train d'essayer de déterrer.

9 - Drôle de chat et drôle de souris
La lionne, en effet, n'était pas restée inactive pendant tout ce temps-là. Elle était vite arrivée à une zone complètement ravagée qui avait dû être auparavant le principal lieu de stockage des provisions de l'armée nordique. Entre la dragonne qui était passée et repassée par là et quelques probables combats avec des cavaliers, il ne restait pas grand-chose en un seul morceau. Les trois quarts des réserves de nourriture de l'armée étaient sans doute perdus, et cette rapide estimation n'était probablement qu'un minimum. Et il semblait que la pierre avait été cachée là... mais où ? En suivant ses perceptions magiques et en farfouillant avec ses pattes puissantes, la lionne enchantée découvrit que non seulement un sorcier avait caché la pierre en cet endroit stratégique, mais qu'en plus il avait pris la peine de la mettre dans un trou creusé dans le sol et rebouché par la suite.

Vif commença à creuser mais ses pattes n'étaient pas celle d'un blaireau ou d'une taupe, et elle sentit vite le combat changer derrière elle : Haurnfile lui arrivait dessus à bonne allure ! D'après ses cris, elle avait dû être bien blessée par ses amis, et elle devait à présent vouloir récupérer la pierre et fuir avec. Les pattes de la lionne qui creusaient seraient-elles plus rapides que les pattes de la dragonne qui approchait ? En y mettant toute son énergie, la féline Femme des Bois arriva bientôt au caillou magique, qu'elle sortit de son trou et qu'elle agrippa dans sa gueule avec un frisson d'appréhension. Elle sentit la magie de la pierre tenter de la corrompre mais aussi qu'elle ne risquait pas d'être affectée si le contact ne durait pas longtemps. Haurnfile lui arrivait dessus et Vif fonça en avant, restant tout juste hors de sa portée. C'était moins une !

Cela étant, la dragonne n'était pas prête de lâcher sa proie. La lionne était indiscutablement la plus rapide, mais Haurnfile était sans doute la plus endurante. Et elle pouvait se permettre d'aller droit devant elle en écrasant tout sur son passage alors que Vif devait éviter les obstacles et surtout les nordiques encore vivants, présents un peu partout. Heureusement le monstre qui lui courait après était sans doute affaibli par ses blessures. Dans tous les cas, il ne fallait pas rester dans le camp au risque de faire davantage de morts ou blessés. Ses amis avaient compris la chose, de même que Jirfelian, qui criaient aux nordiques de s'écarter du passage du dragon et de la lionne devant elle. Elle perçut aussi qu'ils lui criaient quelque chose à elle aussi, sans doute pour convenir d'un point de rendez-vous, mais elle ne comprit pas ce que cela voulait dire. De toute manière, elle les percevrait bien assez facilement et les rejoindrait quand elle estimerait qu'ils seraient assez loin du camp.

Un peu de temps passa à continuer à courir en rond dans la brume, sans doute assez bref mais cela commençait à lui paraître assez long ; à dire vrai, elle en avait plein les pattes de courir jour et nuit sans dormir beaucoup ! Elle perçut enfin que ses amis sortaient du camp, en selle et accompagnés. Les chefs nordiques avaient dû leur fournir de nouvelles montures et discuter rapidement de la suite à donner. Au vu des nombreux cadavres de chevaux et d'hommes qu'elle avait pu croiser, il était clair qu'ils devaient avoir un sacré désir de revanche à assouvir ! Elle fonça donc vers eux quand elle estima qu'ils ne bougeaient plus et qu'ils l'attendaient. Elle arriva au milieu d'eux en quatrième vitesse, toujours au sein d'une épaisse brume illuminée par les torches amenées par certains. Puis elle ralentit et s'arrêta enfin, tandis que la dragonne freinait des quatre pattes et s'arrêtait non loin de Taurgil, qui s'était placé un peu en avant du groupe.

La lionne se demanda pourquoi ses amis n'attaquaient pas, et en particulier les chefs nordiques et la garde rapprochée qu'ils avaient amenée avec eux. C'étaient tous de très bons cavaliers, Haurnfile était blessée - la lionne percevait le sang qui lui coulait d'un des flancs - donc elle ne pourrait échapper à leurs attaques ou faire peur à leurs chevaux. Entre leurs armes magiques et ses griffes à elle, le monstre était vulnérable, à leur portée. Mais manifestement le noble Dúnadan avait eu une autre idée et il avait réussi à en convaincre ses alliés, ce qui n'avait pas dû être si facile que ça vu la fureur qu'elle percevait en eux. D'un autre côté, c'est Taurgil et ses amis qui avaient vraiment toutes les chances de tuer la dragonne, donc ils avaient dû se plier à sa volonté. Elle écouta alors d'abord Geralt, puis le grand rôdeur du Rhudaur parlementer avec le grand ver...

10 - Pacte avec la dragonne
Après avoir clairement établi que la vie de la dragonne ne tenait qu'à un fil, ou quelques mots, ses amis déclarèrent que ce n'était pas forcément ce qu'ils cherchaient. En effet, s'ils avaient blessé ou mis en fuite Haurnfile, c'était d'abord parce qu'elle avait attaqué leurs amis nordiques. Cela étant, leurs réels ennemis n'étaient pas la dragonne mais ceux qui l'avaient appelée. Il fut question alors du Nécromancien de Dol Guldur et de ses sorciers, du convoi pour Angmar, et du rôle que son frère et elle avaient joué. Fut également évoqué le fait que Culgor avait déjà été rencontré et qu'il n'avait pas pesé très lourd face à eux. En omettant de préciser que cela ne s'était pas passé aussi simplement que cela. Mais maintenant que Taurgil maîtrisait la magie des rois dúnedain, amplifiée par l'épée trouvée à Dol Guldur, lui et ses amis étaient nettement plus en confiance face à de telles créatures.

Et donc le maître-assassin et le rôdeur dúnadan proposèrent-ils un pacte à Haurnfile : en échange de son aide contre le convoi d'Angmar et les serviteurs du Nécromancien qui le guidaient, les aventuriers détruiraient ou remettraient la pierre d'appel à la dragonne et la laisseraient partir vivante. Mieux même, Taurgil évoqua une aide possible pour la débarrasser de son frère et lui prendre son trésor. Tout cela fit réagir le grand ver de douze pas de long : il se moqua de ces humains qui pensaient avoir quelque chose à lui proposer, même s'il ne contestait pas complètement leur capacité à lui nuire. Il tenta aussi d'envoûter Geralt au début de leur échange, mais ce dernier résista facilement. Manifestement la confiance n'était pas dans la nature de Haurnfile ni d'aucun dragon, et elle tenait surtout à savoir quelle garantie Taurgil et ses amis pouvaient apporter concernant ce pacte. Servir quelqu'un d'autre n'était pas dans sa nature, même si elle connaissait manifestement la loi du plus fort. Mais elle cherchait aussi quels intérêts elle pouvait tirer de l'affaire.

Les échanges prirent donc un côté mercantile qui était bien dans la nature des dragons. Taurgil proposa de soigner la dragonne de sa grave blessure, ce qui était d'autant plus nécessaire qu'elle l'affaiblissait et qu'un dragon affaibli ne leur servirait à rien. Haurnfile essaya de faire passer l'élimination de son frère, qu'elle détestait, en premier, mais le Dúnadan ne céda pas sur ce point. Il fut convenu que la blessure serait soignée immédiatement, afin de prouver la bonne volonté des aventuriers ; puis le convoi des Sagaths pour Angmar serait attaqué, à la suite de quoi la pierre d'appel magique changerait de propriétaire ou serait détruite. La question de la chasse au frère de la dragonne ne serait qu'un bonus possible envisageable par la suite.

A moitié contrainte et forcée, mais un peu intéressée tout de même, Haurnfile accepta le contrat. Certains comme Mordin, avec qui elle avait eu des échanges durs et clairs d'élimination des derniers dragons ou de nombreux repas de nains passés et à venir, n'avaient pas du tout confiance dans le gros lézard : à coup sûr il ne manquerait pas la première occasion de leur prendre la pierre et de les tuer. Mais Taurgil remplit sa part du contrat : aidé par sa magie, il tenta de soigner la grave blessure de la dragonne à l'aide de ses mains de roi et d'une infusion d'athelas. Ce qui fut un succès, le saignement se réduisant considérablement. Il faudrait une journée complète pour qu'elle soit à peu près fermée, ce qui posa la question de la réaction des nordiques à la vue du monstre qui avait tué tant des leurs. Haurnfile fut bientôt voilée par une brume magique, appelée cette fois par l'archer-magicien, afin de cacher sa vue aux Éothraim. En effet, la brume qui les entourait lorsqu'ils étaient arrivés était en train de disparaître, notamment suite à un vent levé avant le combat par le Dunéen. Mais cela suffirait-il ? Les nordiques sauraient tous vite ce qu'il y avait dedans...

Et effectivement, Atagavia et les siens ne comptaient pas en rester là, comme ils l'expliquèrent d'ailleurs bruyamment, et il serait peut-être difficile d'empêcher une quelconque action punitive. D'un autre côté, peut-être, comme la dragonne elle-même, attendraient-ils un moment opportun pour régler leurs comptes. Mordin utilisa d'ailleurs un argument allant dans le sens que désiraient leurs alliés nordiques : le pacte était voué à être brisé par la dragonne et il y aurait combat, et il serait bien alors temps de la tuer. Isilmë fut envoyée dans le camp nordique pour soulager les souffrances des blessés et rappeler aux nordiques qu'ils étaient bien leurs alliés et se souciaient d'eux, et ne pas perdre trop le crédit qu'ils avaient auprès d'eux. Et il y avait fort à faire, et elle y passa le reste de la nuit. Environ deux cents cavaliers étaient morts, et plus de cinq cents étaient blessés, dont certains dont elle empêcha la mort de justesse. Parmi ces blessés, certains étaient légers et pourraient reprendre la route et combattre. Mais trois cents d'entre eux n'étaient pas transportables dans l'immédiat. Autrement dit, l'armée nordique venait de perdre le quart de sa force en une nuit !

La réorganisation de l'armée et les nouveaux plans et objectifs devraient être débattus avec leurs chefs, mais pour l'instant ils étaient trop occupés à réunir leurs troupes et faire le bilan. Les pertes ne se chiffraient d'ailleurs pas qu'en hommes et chevaux : une bonne part des vivres avait été détruite, et il ne restait à l'armée qu'une semaine de nourriture. Il manquait aussi tentes et couvertures pour subvenir aux besoins tant des blessés que de ceux qui allaient rester avec eux, et les nombreux corps des chevaux et hommes devaient être gérés d'une manière ou d'une autre : au matin l'odeur commencerait à devenir insupportable et ils n'avaient ni le bois ni le temps de brûler ou d'enterrer tant de cadavres. Par ailleurs, le maître des chiens de la ville des voleurs semblait avoir péri, ainsi que la plupart de ses chiens avec lui. Des témoins rapportaient tout de même en avoir vu quelques-uns s'enfuir au loin, qu'on ne risquait sans doute pas de revoir... Enfin, après examen, Drilun découvrit que l'activation de la pierre magique d'appel ne pouvait pas être arrêté... sauf définitivement. Et sa magie était perceptible de loin.
Modifié en dernier par Niemal le 15 septembre 2015, 19:10, modifié 2 fois.
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Horselords - 48e partie : gros ennuis ailés en approche

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1 - Repos et préparatifs
Tandis que Vif, Rob, Geralt et Mordin allèrent bientôt prendre un repos qu'ils estimaient mérité, d'autres restèrent actifs encore un moment. En plus d'Isilmë qui soignait à tour de bras, Drilun et Taurgil ne tenaient pas à se coucher tout de suite. Alors que les chefs nordiques faisaient le bilan dans leur coin, le Dúnadan échangea avec eux sur la suite des événements puis il partit soigner à son tour, quand il ne surveillait pas la dragonne au repos. Quant au Dunéen, il passa un bon moment à fouiller les scènes du combat contre le grand ver pour y trouver des morceaux d'écaille qui pourraient servir pour sa magie. Il ne tenait pas trop à se servir directement sur la bête encore vivante...

Lorsque le matin arriva, l'archer-magicien profita de la magie de l'elfe pour pouvoir dormir plus profondément, comme ses amis d'ailleurs : tous avaient beaucoup donné physiquement mais encore plus nerveusement, et ils avaient tous, à des niveaux divers, un sérieux besoin de retrouver des forces internes. Du marchand de sable fut également utilisé par Geralt de manière à être frais et dispo plus rapidement, ce qui fut le cas en début de matinée, et pouvoir prendre la relève de ses amis restés debout. Puis, petit à petit, chacun se réveilla et trouva à s'occuper selon ses goûts et capacités. Sans oublier de débattre longuement de la suite à venir : le convoi pour Angmar ne devait plus être si loin au nord, et il fallait absolument arriver avant lui aux premiers contreforts des Montagnes Grises.

Mais avant cela, l'armée était plus ou moins immobilisée pour une journée et une nuit entière. D'une part, il fallait attendre que la dragonne guérisse de sa plus sérieuse blessure, soignée magiquement par Taurgil. D'autre part, les corps étaient nombreux dont il fallait s'occuper : deux cents guerriers nordiques avaient trouvé la mort, mais aussi quatre cents chevaux. Si une partie pouvait servir de nourriture, il y en avait bien trop, et en au plus trois jours rien de ce qui resterait ne serait consommable. Impossible aussi de fumer la viande, ils manquaient cruellement de bois pour cela : la Forêt Sombre constituait les plus proches peuplements boisés, et elle était à un jour à pied de là. Même à cheval, aller là-bas et ramener du bois - censé être gardé par les elfes en plus - n'était pas vraiment envisageable.

L'odeur qui commença bientôt à émaner de tous les cadavres fut dissipée par un sort de l'archer-magicien, sort qu'il dut renouveler régulièrement. Il augmenta également la température de l'air autour du camp de manière à empêcher que le moral des troupes ne continuât son inexorable descente : en effet, la nuit était fraîche et vu le nombre de tentes et couvertures détruites par la dragonne, sans compter les besoins destinés aux blessés, de nombreux guerriers n'avaient pas d'autre choix que de grelotter pour passer la nuit, en attendant de devoir manier la pelle au matin pour enterrer leurs amis. Car faute de bois pour brûler les corps ou de pierres pour les ensevelir, seul l'enterrement restait possible, et cela demanderait du travail...

Vif joua au croque-mort dans plusieurs sens du terme : en se servant tout d'abord de belles portions de viande de cheval, puis en amenant plusieurs carcasses à la dragonne qui sembla apprécier le déjeuner servi au lit. Par la suite, elle aida à déplacer les cadavres des chevaux à l'écart, du moins pour ceux qui ne devaient pas finir dans une marmite. Marmite devant laquelle officièrent le Dúnadan et le hobbit. Tous deux purent utiliser leurs connaissances des herbes, parfois augmentées par la larme de Yavanna, afin d'arriver à tirer de leurs ressources et de la viande disponible les meilleurs repas possibles et faire remonter un peu le moral des nordiques. Et Drilun se mit rapidement à la confection de flèches magiques particulièrement mortelles pour les dragons, après avoir essayé sans succès d'obtenir des informations de la part de Haurnfile.

La dragonne fut également soignée davantage par le rôdeur dúnadan avant qu'il n'embrassât son rôle de cuistot : il avait en effet établi un bilan de santé de leur adversaire de la nuit et constaté qu'elle était assez mal en point, avec d'autres blessures sérieuses en plus de la flèche magique que Drilun avait profondément enfoncée dans ses chairs. Son point faible, notamment, avait été touché plus d'une fois et il saignait encore. Le descendant des rois du Rhudaur avait dû convaincre la dragonne de se laisser faire et de ne pas l’aplatir comme crêpe, afin de pouvoir la rendre en meilleure santé. Il ne s'occupa en revanche pas des nombreuses blessures légères qu'elle avait reçues et qui l'affaiblissaient sérieusement. Il ne tenait tout de même pas à tenter le diable en lui donnant une trop bonne forme, juste à s'assurer qu'elle serait une alliée de poids contre leurs ennemis.

2 - Plan et inquiétudes
Les discussions avec les chefs nordiques et en particulier Atagavia avaient permis de dégager une ligne d'action pour le lendemain : pour arrêter les Sagaths dans les premiers contreforts des montagnes, il fallait les bloquer sur le chemin et les attaquer au plus vite avec l'aide de Haurnfile, dans les deux jours tout au plus. La position du convoi fut estimée, et plus ou moins confirmée plus tard par des observations indirectes de Geralt et sa longue-vue des nuées de charognards qui suivaient l'énorme convoi. Le prince des Waildungs estima que l'armée pourrait partir dès le lendemain matin et arriver au premier passage dans les contreforts en une demi-journée sans forcer. Si leurs blessés légers étaient laissés en arrière pour s'occuper des blessés plus sérieux et du camp provisoire, il resterait tout de même mille trois cents cavaliers prêts à en découdre - un tiers de moins qu'avant le passage de la dragonne. Cela suffirait-il face aux milliers de Sagaths, sans compter les loups et wargs, non plus que les orcs ? Il faudrait bien.

Bien entendu, la dragonne pouvait être un allié de poids, mais pour les nordiques elle représentait une menace et une sérieuse inconnue plus qu'autre chose. Sans parler de l'autre dragon, plus puissant, qui était susceptible de montrer le bout de sa queue - et le reste - à tout moment. Les aventuriers avaient justement utilisé cette possibilité comme argument pour aller au plus vite à la rencontre de leurs ennemis : une fois au corps à corps, appeler le dragon ailé desservirait autant les Sagaths que les nordiques, ils y réfléchiraient à deux fois. En tout cas, et Atagavia et consorts se le firent bien garantir et plutôt deux fois qu'une, les aventuriers jurèrent leurs grands dieux qu'ils ne quitteraient plus l'armée nordique. Si dragon il y avait, ils s'en occuperaient. Eventualité qui leur pendait au nez en permanence : si jamais au cours de la journée ou de la nuit les sorciers ennemis appelaient Bairanax, le dragon ailé, il leur faudrait foncer sur ces sorciers au plus vite pour prendre la pierre et la détruire (ou l'emmener ailleurs) avant que le dragon ne soit là...

Il fallut tout de même les paroles convaincantes de Geralt et Drilun pour faire taire les plus grosses inquiétudes des nordiques. Car les chefs commençaient à avoir assez de détails pour s'inquiéter de la légèreté du plan des aventuriers. Après tout, comment mettre la main sur une pierre magique à dos de féroce ailé ? Inquiétudes que certains aventuriers eux-mêmes partageaient : la pierre une fois activée, il n'était pas nécessaire d'attendre que le dragon la rejoigne et soit éventuellement maîtrisé par magie pour nuire aux nordiques : il suffisait de détruire la pierre au moment où le monstre serait proche de l'armée. Privé de but, il ne lui resterait plus que deux objectifs : se laisser guider par la magie de l'autre pierre d'appel, possédée par Taurgil, ou se donner du plaisir en attaquant les nordiques...

Et puis certains éléments manquaient dans le tableau d'ensemble sur lequel ils faisaient leurs prévisions. Par exemple, où donc était passée Jirfelian ? Après le combat contre la dragonne, où elle avait donné de la voix pour aider les nordiques en attendant l'arrivée des aventuriers, elle avait complètement disparu. Aucune trace d'elle en cours de journée. Également, d'autres éléments nouveaux s'ajoutaient à ce tableau sans qu'il fût possible de dire ce qu'ils signifiaient. Ainsi, Geralt, qui surveillait à la longue-vue le nord-ouest d'où le dragon pouvait venir, avait vu au loin beaucoup d'oiseaux, en nombre inhabituel, trop loin pour pouvoir les identifier ou comprendre ce qui les attirait. Juste que ce n'étaient pas tous les mêmes et qu'ils couvraient pratiquement toute la zone entre la forêt et les contreforts des montagnes...

En surveillant constamment ce secteur, il observa aussi, dans l'après-midi, une nouvelle chose : une petite partie des oiseaux s'approchaient d'eux depuis la forêt. Au sol, à la verticale des oiseaux, des petites silhouettes bougeaient en direction de l'armée. Les formes au loin étaient trop peu nombreuses - au plus une centaine - pour représenter une réelle menace ; mais de qui s'agissait-il ? Petit à petit, il observa de nouveaux détails : une seule des silhouettes semblait avoir une monture, les autres étaient à pied, pourtant ils progressaient vite, comme s'ils couraient à petite foulée ou s'ils marchaient très vite. Au bout d'un moment, Vif commença à percevoir au loin comme des chants, et le maître-assassin vit que la monture était un cerf, sur lequel était montée une femme nordique. Manifestement, Jirfelian revenait vers eux depuis la Forêt Sombre, et elle ramenait avec elle une compagnie d'elfes des bois...

3 - Nouveaux arrivants et cadeau
L'arrivée de ces nouveaux venus n'aida pas peu à remonter le moral de tous, aventuriers compris : ils se sentaient moins seuls à présent, d'autant plus qu'ils amenaient des soigneurs en nombre avec leurs herbes et leur magie, afin de compléter celles de Taurgil et Isilmë. Mais également, ils apportaient un peu de bois, des couvertures de très bonne qualité, et d'autres choses précieuses pour des blessés ou simplement pour des survivants un peu affectés par une attaque de dragon. L'idée aussi d'avoir ces excellents veilleurs et combattants les réconfortait tous : les sorciers adverses y regarderaient à deux fois avant de tenter une quelconque action contre eux, à présent... Même le dragon ailé paraissait moins menaçant à présent.

Jirfelian, qui arrivait avec la petite troupe, fut chaudement félicitée par Taurgil et ses amis. Mais elle leur répondit qu'elle n'y était pour rien en fait : elle était allée voir Radagast, et c'est de lui que venait cette initiative. D'autant plus que les aventuriers avaient déjà été en contact par le passé avec les elfes de la forêt, et ils avaient déjà sollicité leur aide. Des elfes s'étaient donc préparés à cela, et le magicien brun n'avait pas eu besoin de faire beaucoup pression pour motiver les elfes à prendre une part active dans l'expédition des aventuriers. Part tout de même limitée : ils n'étaient pas là pour combattre, juste pour soigner et aider les hommes ou apporter leurs compétences de magie et leurs perceptions à l'effort de guerre.

En fait, Radagast semblait prendre une part assez prononcée dans la quête des aventuriers. Selon Jirfelian, c'est lui qui avait demandé aux oiseaux de surveiller les contreforts des montagnes pour prévenir de l'arrivée possible du dragon. Une dizaine d'elfes pouvaient échanger avec des rapaces qui volaient au-dessus d'eux et pourraient repérer les signes avant-coureurs de l'arrivée du monstre chez leurs cousins présents là-bas. Mais ce n'était pas la seule action du magicien en leur faveur, ni la première, et de loin. La magicienne nordique prit également à part les aventuriers présents et disponibles pour leur faire part d'un cadeau de son mentor à leur attention...

Jirfelian remit aux aventuriers une plume de faucon - de faucon pèlerin, précisa-t-elle. C'était un animal extrêmement rapide, sans doute au moins autant voire plus qu'un dragon ou une féroce ailée, et muni de serres redoutables. La plume était magique et permettait à son porteur, lorsqu'il prononçait un mot de commande qu'elle leur apprit, de se transformer en un tel faucon, équipement compris. Mais cette magie ne pourrait servir qu'une seule fois, et sa durée était limitée - moins d'un millier de battements de cœur. Ce qui pourrait être suffisant pour éventuellement atteindre l'un de leurs ennemis ailés, comme le monteur de féroce ailée ou le dragon... La transformation était réversible à tout moment, mais là encore une seule fois.

Cette plume magique était un formidable outil pour les aventuriers, qui avaient enfin un moyen concret de prendre la pierre d'appel du dragon une fois repérée, et ce même si elle était dans les airs. Et en un temps record, puisque le faucon était bien plus rapide que Vif elle-même. Mais comment s'en servir, et à qui la donner ? Vif fut vite écartée car il fallait être sous forme humaine pour utiliser la plume. Restaient deux très bons combattants capables de forcer un sorcier à céder sa pierre quelque part dans les airs ou attaquer un dragon volant, sans forcément tomber tout de suite : Geralt et Taurgil. Chacun avait ses avantages, comme les talents d'assassin et les perceptions du premier, ou la magie du second. En fin de compte, ils tirèrent au sort, et la plume échut au Dúnadan.

4 - Le plan se précise
Avec les elfes et les chefs nordiques, le planning du lendemain put être affiné. Pour commencer, les elfes se chargeraient du camp et des blessés graves, et ainsi les blessés légers pourraient se joindre à l'expédition sur le convoi sagath. Ils seraient donc mille cinq cents nordiques environ plutôt que mille trois cents. Une partie des elfes accompagneraient l'armée afin de bénéficier de leurs perceptions ou celles des animaux avec qui ils avaient des liens magiques. Il faudrait fournir des chevaux à certains d'entre eux, mais il y en avait largement pour tous les elfes présents s'ils avaient choisi de les accompagner. Ceux qui viendraient resteraient à part, ils n'obéiraient qu'à eux-mêmes, mais ils feraient profiter toute l'armée de leur présence. Sans parler du fait qu'il était plus rassurant d'imaginer l'attaque d'un dragon avec quelques elfes à proximité que sans eux.

Au petit matin, l'armée partirait directement au nord avec la dragonne et elle engagerait le combat dès que possible. Le rapport de force n'était peut-être pas favorable aux nordiques si l'on ne comptait que le nombre de cavaliers des deux côtés et les loups de l'autre. Mais la présence des aventuriers ferait certainement pencher fortement la balance du bon côté, et c'était aussi la garantie que Haurnfile ne se retournerait pas contre son camp, même si cette allégeance était provisoire. De cela, ni Mordin, qui avait clairement fait entendre son point de vue, ni les nordiques, qui l'avaient parfaitement entendu, n'étaient convaincus, mais en tout cas ils semblaient tous prêts à faire confiance à Taurgil et ses amis. Les elfes non plus ne semblaient pas espérer grand-chose de bien de la présence du ver près d'eux, mais ils laissaient le soin à leurs alliés d'assumer leurs choix.

La question du dragon ailé restait le point délicat de cette entreprise, comme Bronwyn le fit remarquer : une fois actif, le dragon ne repartirait pas chez lui avant d'avoir trouvé qui l'avait appelé ou satisfait sa soif de destruction - ou sa faim. Et les elfes parmi les plus anciens confirmèrent que faute d'autre élément, le dragon choisirait la cible la plus importante (et tentante) à proximité pour se défouler. Il fallait donc s'emparer de la pierre d'appel avant qu'il n'arrive en vue de l'armée nordique ou en tout cas avant que la magie de la pierre soit éteinte : à choisir entre passer ses nerfs sur l'armée nordique et répondre à l'appel de la pierre, le dragon ferait très certainement le second choix. Ce qui ne voulait pas dire qu'il ne ferait aucun dégât au passage...

Les aventuriers seraient donc chargés d'intercepter la pierre et son porteur dès son activation. Aussitôt qu'elle serait détectée, Taurgil devrait se rendre sur les lieux occupés par le sorcier et lui prendre la pierre sous forme de faucon, ou au moins arriver à lui sous cette forme très rapide. Ce qui nécessitait de ne pas être trop loin, le faucon pouvant difficilement parcourir plus d'une dizaine de miles (~ 16 km) avant de se retransformer. Selon comment les choses se présenteraient, d'autres aventuriers rapides comme Vif ou Geralt seraient mis à contribution. Dans la mesure où Taurgil conservait sur lui l'autre pierre d'appel, celle de Haurnfile, cette dernière viendrait très certainement aussi. Et la magie attirerait le dragon ailé même si sa pierre à lui était détruite, donc c'était un élément de plus en faveur de l'armée nordique.

Alors que la nuit s'étendait autour d'eux, les gens se séparèrent et allèrent se reposer ou vaquèrent à leurs occupations. Il restait encore bien des points de détail en suspens, mais les gens étaient à présent plus confiants qu'avant l'arrivée des elfes et le cadeau de Radagast. Les elfes choisirent de monter la garde toute la nuit, et certains partirent vers le nord pour jouer les éclaireurs, si bien que tous les nordiques et les aventuriers purent se reposer tout leur content. Tous, sauf Drilun qui choisit la courte nuit - le solstice d'été était dans moins de trois jours - pour forger deux nouvelles flèches spécifiquement destinées à blesser Haurnfile : il ne pouvait avoir confiance en elle, mais il ferait en sorte de ne pas la craindre non plus. Quant au sommeil, il comptait sur la magie d'Isilmë pour le faire dormir au début de la cavalcade.

5 - Départ et révélation
La nuit se passa sans nouvel incident, ni du côté de la dragonne ni du côté des sorciers ennemis. Ou en tout cas personne n'avait rien perçu. A l'aube, l'armée nordique se prépara et monta en selle. L'archer-magicien dunéen ayant juste eu le temps de finir ses flèches magiques, il fut attaché à l'arrière du cheval de Geralt et endormi magiquement pour pouvoir récupérer au cours de leur voyage vers le nord. De toute manière il leur faudrait plusieurs heures avant d'atteindre leurs ennemis, repérés à l'aide d'oiseaux ou de la longue-vue de Geralt. Ils se trouvaient plein nord, mais l'armée prit légèrement vers l'ouest afin d'anticiper le déplacement du convoi.

Avec les cavaliers nordiques venaient donc les aventuriers, un peu devant ou à l'écart, avec une dizaine d'elfes et Jirfelian, ainsi que les hommes du Gondor et ceux de Rult, ou du moins ceux qui avaient survécu : quelques-uns étaient morts en essayant de défendre le maître des chiens de Forpays et ses animaux des déprédations de la dragonne. Un peu plus à l'écart encore, la silhouette massive de cette dernière suivait à même allure qu'eux. Ses blessures les plus graves étaient toutes guéries, ce qui n'était pas sans inquiéter certains. De toute manière, elle était attirée par la magie toujours active de la pierre d'appel portée par Taurgil, cela resterait toujours son principal objectif. Mordin la voyait très bien attaquer son ami au plus fort de l'assaut contre le convoi sagath. L'allure était celle d'un petit galop : il ne risquait pas d'épuiser hommes et bêtes et suffirait largement pour atteindre leur objectif.

L'armée chevauchait depuis une heure environ quand les magiciens du groupe perçurent qu'une magie puissante était à l’œuvre : sans aucun doute, la pierre d'appel de Bairanax venait d'être activée. L'arrivée du dragon ailé cracheur de feu n'était donc plus qu'une question de temps. D'où venait cet appel ? De derrière eux, plus ou moins de l'endroit qu'ils avaient quitté : le camp des blessés, ou en tout cas ses environs proches. Elfes et aventuriers se rapprochèrent pour discuter entre eux, montrant des signes d'inquiétude qui n'échappèrent pas à certains nordiques. La nouvelle n'allait pas tarder à se répandre...

Que fallait-il faire ? Tandis que leur galop se poursuivait, les aventuriers exprimaient leur étonnement et débattaient de la suite à donner : revenir en arrière serait mettre en péril leur plan et laisser la possibilité au convoi ennemi de poursuivre vers l'ouest et Angmar. Pouvait-on pour autant laisser massacrer les blessés ? Et si les sorciers étaient si proches, les elfes ne pourraient-ils pas s'occuper d'eux, avec leurs compétences et leur magie ? Comment n'avaient-ils pas perçu leurs ennemis s'ils étaient si proches ? De toute manière, une nouvelle information leur évita de devoir faire le choix de revenir en arrière : tous ceux capables de percevoir la magie sentirent bientôt que la pierre d'appel du dragon ailé se déplaçait derrière eux. Elle ne venait pas vraiment dans leur direction mais elle était orientée plutôt vers le nord-est. Et elle devait progresser plus vite qu'eux car elle gagnait vers le nord par rapport à eux, tout en maintenant un écart qui devait être d'environ une douzaine de miles.

Ce qui fut bientôt confirmé par les oiseaux magiquement alliés aux elfes : une grande créature ailée était perceptible au sud et un peu à l'est, avec un homme sur son dos. Une autre nouvelle arriva bientôt, du nord-ouest cette fois : les oiseaux là-bas s'éparpillaient, quelque chose issu des Montagnes Grises devait arriver dont ils souhaitaient s'écarter, et dont la nature n'était pas bien difficile à imaginer. Deux plus deux font en général quatre et certains aventuriers firent vite l'opération dans leur tête : un dragon qui vient du nord-ouest et une pierre d'appel qui vient progressivement au sud-est de l'armée. Le dragon passerait immanquablement au-dessus ou à relativement courte portée de l'armée nordique. Que la magie qui l'attirait disparaisse, et il se ferait un plaisir de se défouler...

6 - Perspectives difficiles
Bronwyn vint se joindre à eux, qui avait bien deviné ce qui était en train de se passer. Les aventuriers ne devaient-ils pas s'occuper des sorciers et/ou du dragon ? Mais en fait le groupe était pris de vitesse : le ou les sorciers étaient trop loin pour utiliser la plume magique de Radagast afin de les atteindre rapidement. Il faudrait d'abord se rapprocher d'eux, ce qui donnerait le temps au dragon d'être assez près de l'armée pour être tenté par un carnage. Sans compter que celui d'entre eux qui avait le plus de chance de faire du mal au dragon était en train de roupiller consciencieusement... Et le réveiller, alors qu'il n'était pas au mieux de sa forme, ne serait pas un grand cadeau à lui faire. Mais vu tous les maux possibles...

Ils n'avaient pas le choix, il fallait foncer au plus vite sur le possesseur de la pierre d'appel du dragon et la lui enlever avant qu'il ne soit une menace, ou au minimum maintenir la pierre en activité pour que Bairanax ne s'arrête pas pour détruire toute l'armée. Taurgil monta donc sur Vif qui se prépara à partir vers le sud-est à grande allure. Mais pourrait-elle supporter un pareil effort physique ? En parallèle, les autres aventuriers se demandèrent qui pouvait ou devait les accompagner. Geralt était tout indiqué, mais il n'allait pas y aller avec Drilun inconscient derrière lui. Il fallait le réveiller ou le faire changer de monture.

Et ainsi fut-il fait : le corps endormi de Drilun fut placé à l'arrière du cheval monté par le chef des elfes, sous l’œil un peu jaloux d'Isilmë qui aurait bien voulu être à sa place. Les consignes furent données aux nordiques de continuer à galoper vers le nord, et sans ralentir, tandis que les trois amis iraient s'occuper de la pierre, emmenant aussi avec eux celle de la dragonne, qui ne manquerait pas de les suivre à son tour. Tous se doutaient qu'elle ne risquait pas d'être une menace pour Bairanax, mais ils ne pouvaient la tuer en cet instant ni l'empêcher de venir, et ils ne pouvaient détruire sa pierre d'appel à elle sans perdre tout pouvoir sur elle. Avant de partir, une nouvelle information donnée par les oiseaux leur indiqua que le dragon ailé venait de passer au-dessus des contreforts des Montagnes Grises : il arrivait dans leur direction, et vite !

La lionne enchantée partit donc à toute allure vers le sud-ouest, le rôdeur dúnadan sur son dos, suivie par Geralt à cheval puis par Haurnfile. Les deux amis de la Femme des Bois pouvaient discuter avec leur amie par magie, ce qu'ils ne manquèrent pas de faire devant la nouvelle tournure que prirent les événements après un moment : le ou les sorciers avaient manifestement perçu leur approche et ils filaient plus franchement vers l'est pour s'éloigner d'eux. Autrement dit, il fallait accélérer. Vif força donc l'allure, non sans commencer à tirer une langue jusqu'au sol, mais cette vitesse était impossible à suivre pour le maître-assassin à cheval et la dragonne. Geralt en profita pour faire comme si la fatigue le forçait à ralentir, laissant Haurnfile les dépasser à une certaine distance pour pouvoir se replacer non loin derrière elle ensuite.

En arrière, tandis qu'il devenait presque inévitable que le dragon ailé passât non loin au-dessus d'eux, Bronwyn proposa de disperser l'armée ou du moins de la diviser en six. Son raisonnement était que si le dragon, comme l'avait expliqué le chef des elfes, était d'autant plus tenté par une destruction aveugle que cette dernière serait grande, séparer l'armée en plus petits groupes limiterait le potentiel de destruction qu'il pouvait causer, et donc sa motivation à s'arrêter. L'idée fut adoptée et les six tribus nordiques se séparèrent, aventuriers et elfes restant proches de la plus grosse, celle d'Atagavia et de sa fille. Aldoric, pour sa part, était resté avec les blessés suite à des fractures reçues contre le dragon et que les aventuriers s'étaient bien gardés de soigner trop vite...

7 - Duel aérien
Cela faisait un moment déjà que Vif supportait le poids de son ami dúnadan, et elle ne tiendrait pas éternellement à l'allure actuelle. Haurnfile et Geralt n'étaient déjà plus visibles derrière elle, mais en revanche elle commençait à percevoir tant magiquement que physiquement que celui ou ceux qu'ils poursuivaient n'étaient plus si loin que cela. Et c'était même plutôt un pluriel dont il s'agissait : en plus de la créature ailée montée par un sombre cavalier, un cheval semblait la suivre, lui aussi monté par quelqu'un, juste en dessous. Elle gagnait sur eux progressivement, mais arriverait-elle à tenir jusque-là ? Heureusement, ce ne serait pas forcément nécessaire : elle mit son compagnon au courant de ce qu'elle percevait, et Taurgil utilisa la plume de faucon magique pour se transformer.

Le Dúnadan une fois changé en faucon pèlerin, la lionne ralentit tandis que le rapace prenait de l'altitude et accélérait de toute la puissance de ses ailes robustes, à une vitesse que même la féline Femme des Bois était incapable d'atteindre. C'était encore loin d'égaler la vitesse des martinets que les elfes utilisaient parfois pour transmettre des messages, mais ces grands coureurs du ciel étaient loin d'avoir la force et les perceptions du faucon pèlerin. Par contre, la transformation n'avait pas été parfaite : la larme de Yavanna que portait le rôdeur n'avait pas été englobée dans la transformation, et faucon comme lionne virent l'objet tomber à terre. Tant pis, pas le temps de s'arrêter pour cela, se dit Taurgil, tandis que la féline Femme des Bois poussait un rugissement à l'attention de Geralt pour l'inviter à récupérer l'artefact.

La consigne fut perçue par le maître-assassin malgré la distance. Tout en surveillant la dragonne, il suivit les traces de ses compagnons pour repérer plus facilement l'objet enchanté. Par chance, Haurnfile ne passa pas dessus et il le repéra sans trop de difficulté, le moment venu. Histoire de gagner du temps, et vu le bon cavalier et acrobate qu'il était, il n'estima même pas nécessaire de ralentir son cheval : il se pencha et réussit à prendre au sol la lanière à laquelle la larme était suspendue, puis à se remettre en selle. Pendant ce temps-là, Taurgil approchait rapidement de sa cible. La magie qu'il percevait provenait non pas du cheval à terre mais de la féroce ailée, c'est donc là qu'il dirigea sa course.

Le cavalier à terre était un nordique qu'ils avaient déjà rencontré de loin et qui était un puissant sorcier doublé d'un excellent cavalier et d'un bon archer. Manifestement, il était aussi très perceptif et il repéra - magiquement ou non - l'arrivée du faucon enchanté, ce dont il en prévint son compagnon dans les airs. Lequel compagnon prit tout de suite une arbalète de poing dont le rôdeur avait déjà fait connaissance par le passé. Mais à l'époque il ne maîtrisait pas la magie des rois d'antan, et il avait pris la précaution de s'entourer d'une aura magique pour être plus difficile à toucher. Par ailleurs, même s'il n'était plus qu'un petit faucon sans rien d'autre que ses plumes comme seule armure, il sentait sur lui comme l'encombrement de son armure de mithril, comme le reste du matériel également. Il espérait donc que la protection de l'armure était aussi conférée au faucon.

Il eut rapidement l'occasion de le vérifier : l'homme en l'air était un excellent arbalétrier, et son carreau d'arbalète toucha le faucon, malgré la magie défensive. Mais au lieu d'être embroché par le trait, le carreau fit voler quelques plumes et le Dúnadan transformé ne sentit rien. Bientôt il se posa derrière le cavalier des airs, sur une selle manifestement prévue pour accueillir un deuxième cavalier. Puis il mit fin à la magie qui l'avait transformé en faucon et il commença à reprendre forme humaine. L'homme devant lui, qui devait être le soi-disant "assassin de Dol Guldur", était grand et costaud et il essaya de le désarçonner. Mais ses mains étaient prises par l'arbalète et une espèce de rêne, sans parler de la mauvaise position. En raison de cela et de la force de Taurgil qui s'agrippait à lui, sa tentative fut un échec.

L'homme fit alors faire des manœuvres rapides à sa monture ailée pour jeter l'intrus derrière lui hors de sa selle, mais là encore sans succès. En dernier recours, il fit foncer la féroce créature ailée vers le sol et lui fit faire un virage brusque à quelques mètres du plancher des vaches. Taurgil vida les étriers cette fois, mais il emmena avec lui le cavalier des airs auquel il s'agrippait trop bien. Tous deux chutèrent d'une hauteur de cinq pas environ, sans compter l'élan donné par le vol de la créature. Le choc pouvait être rude voire mortel s'il n'était pas atténué par une préparation acrobatique afin de tomber dans la meilleure position possible, et l'assassin comptait sans doute sur cela pour faire lâcher prise à Taurgil. Mais ce dernier, protégé par magie et armure de mithril, décida de prendre le risque et de continuer à lutter dans leur chute de manière à rester agrippé à son adversaire. Ils percutèrent le sol ainsi, accrochés l'un à l'autre, chacun essayant de placer l'autre sous lui pour absorber l'essentiel du choc.

8 - Grosse menace à l'horizon
Loin de là, l'armée nordique vit approcher d'elle une imposante forme ailée : le dragon Bairanax, aux écailles couleur blanc et bleu, allait très bientôt les survoler. Et il n'avait pas besoin de pousser un rugissement pour leur faire peur, et les cavaliers durent vite contenir la panique qui menaçait de saisir leurs montures... ou vider leurs intestins. Le dragon passa au-dessus d'une des six armées nordiques en jetant un œil mauvais et intéressé à la fois, mais il continua sa route vers l'est sans se soucier d'eux pour l'instant. Néanmoins, au passage, les plus perceptifs des aventuriers, elfes ou nordiques, purent voir que la bête avait souffert de récents dégâts. Il avait été blessé à plusieurs endroits, comme d'ailleurs cela avait été rapporté dans des écrits trouvés à Dol Guldur, et les plaies non parfaitement cicatrisées pouvaient être des points faibles intéressants à viser avec leurs armes...

Plus près des duellistes en train de chuter, Geralt avançait au galop, toujours derrière la dragonne qu'il suivait avec précaution. Il écoutait aussi les rugissements lointains mais puissants de la lionne qui le tenaient au courant de ce qu'elle percevait : voyant le début du combat entre son ami et le chevaucheur de créature ailée, elle avait à nouveau forcé l'allure pour arriver au plus vite près des deux protagonistes et de l'autre cavalier à terre. Elle serait sur eux d'ici moins d'une minute, en espérant que son ami dúnadan tiendrait le coup et ne se romprait pas trop les os dans la chute qu'elle arriva à percevoir de loin. Elle poussa encore un rugissement, adressé à Geralt, pour lui dire de s'occuper de Haurnfile tout seul. Le descendant des rois du Rhudaur et elle-même auraient bientôt un plat autrement plus indigeste à avaler...

Grâce à sa cotte de mithril et à la protection magique qui l'entourait, Taurgil supporta assez bien la chute, avec juste quelques petites plaies et des bleus sans importance. Ce qui n'était sûrement pas le cas de son adversaire, d'après les quelques craquements qu'il avait pu percevoir. Il profita de ce que l'homme était sonné et à terre pour se dresser sur lui et lui mettre son épée sur la gorge. Il ne lui proposa pas de se rendre, et malgré les tentatives maladroites de son adversaire de se soustraire à lui, il lui ouvrit la gorge. Après un gargouillis ou deux l'homme arrêta de bouger, mort ou mourant. L'assassin de Dol Guldur ne tuerait plus personne.

En regardant autour de lui, le Dúnadan vit le cavalier nordique qui accompagnait l'assassin éperonner sa monture et s'enfuir. Il était trop loin pour l'en empêcher et l'arbalète de son adversaire à terre n'était pas à portée, non plus que des carreaux qu'il ne percevait nulle part. Au-dessus du cavalier qui s'éloignait, un corbeau poussait de nombreux cris, et Taurgil soupçonna fort l'animal d'être très intelligent et de pouvoir échanger avec le cavalier plus bas. Il avait sans doute eu son utilité pour prévenir l'assassin et le sorcier de la position de l'armée nordique et permettre de trouver le meilleur moment où activer la pierre. Pierre qui gisait à présent à côté de lui, sur le corps de l'homme à terre.

La lionne le prévint de loin, alors qu'elle se rapprochait, que leurs ennuis étaient loin d'être achevés, et même qu'ils grossissaient à l'horizon : elle commençait à percevoir l'arrivée prochaine du dragon ailé, même s'il était encore loin, sans parler de la dragonne qui arrivait sur eux elle aussi. En gros, ils seraient trois contre deux dragons, dont un qui pouvait les griller sur place sans qu'ils puissent faire grand-chose. Si le Dúnadan comptait sur sa magie pour le protéger, au moins un peu, en revanche la lionne ne voyait pas ce qu'elle pouvait faire pour menacer un tant soit peu le monstre ailé. Et il était de toute manière trop rapide pour lui échapper. Et Haurnfile en profiterait sans doute pour essayer de récupérer sa pierre à elle, ou en tout cas elle ne ferait sûrement rien contre un pareil adversaire.
Modifié en dernier par Niemal le 15 septembre 2015, 20:06, modifié 1 fois.
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Niemal
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Horselords - 49e partie : chute de têtes

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1 - Courtes minutes
Tandis que la lionne approchait de lui, le Dúnadan se tourna vers la créature ailée à moins d'une portée de flèche dans les airs. Les aventuriers l'appelaient entre eux la "poupoule" depuis le jour où ils l'avaient entendue claquer du bec, ce qui avait fait penser tout d'abord à un bruit de poule géante, au château de Forpays. Et donc Taurgil s'adressa-t-il à la "poupoule" en noirparler, la langue des serviteurs du Nécromancien de Dol Guldur, afin de la faire revenir et se poser. Les mémoires de Caran Carach lui avaient donné l'impression que ces monstres obéissaient à un rapport de domination qui se développait entre cavaliers réguliers et monture ailée. Ladite monture revint vers le grand rôdeur, tournant autour de lui à bonne hauteur, comme intriguée ou hésitante sur la suite à donner. Tandis qu'elle faisait cela, Taurgil se mit à fouiller le corps de son adversaire tombé à la recherche d'un appeau ou quelque chose d'équivalent.

Lorsque la lionne enchantée fut arrivée, le Dúnadan n'avait rien trouvé d'autre que la pierre magique d'appel de dragon, l'épée de l'assassin, couverte de runes et à la conception particulière pour favoriser l'utilisation du poison, et deux clés. Il avait aussi récupéré l'arbalète de poing manifestement magique, sans trouver aucun carreau nulle part. L'homme portait une armure de cuir souple mais épais et très solide, à l'odeur et à la texture spéciales qui n'étaient pas sans rappeler les habits de cuir légers trouvés sur des sorciers précédemment rencontrés. L'armure semblait encore utilisable, et son propriétaire avait peu ou prou le même gabarit que lui ; il la lui ôta donc avec l'idée de s'en servir. Cela fait, il jeta le corps un peu plus loin et appela à nouveau la "poupoule" pour voir si le cadavre allait l'inciter à descendre pour le manger. Taurgil ne pensa pas à interroger à nouveau les mémoires du loup-garou, qui lui auraient apporté un détail important : ces créatures volantes pouvaient manger la chair fraîche mais elles consommaient par-dessus tout des charognes en état avancé de putréfaction. Elle montra un certain intérêt, mais n'en descendit pas pour autant, d'autant qu'un autre arrivant pointait le bout de son nez et l'incitait à partir, ce qu'elle fit bientôt.

Le dragon ailé approchait en effet à bonne allure. Il passa plus ou moins au-dessus de Geralt et Haurnfile, en jetant un regard distrait à cette dernière mais sans dévier de sa route. Le maître-assassin poussa des cris comme pour convaincre Bairanax que la dragonne à terre était l'alliée des aventuriers et qu'elle était disposée à combattre le cracheur de feu, mais sans conséquence visible, en dehors d'un regard mauvais que ladite dragonne lui jeta. Jouer le rôle d'un serviteur n'était pas dans sa nature... En fait elle ralentit un peu et Geralt se prépara à la combattre, lorsqu'il vit qu'elle fixait désormais son cheval. Soupçonnant quelque sorcellerie, il s'éloigna d'elle au moment où sa monture fit une brusque ruade, comme piquée par quelque gros insecte, avant de filer à toutes jambes le plus loin possible de la dragonne en hennissant de terreur.

L'Eriadorien aux cheveux blancs arriva à rester sur la monture, se doutant que s'il vidait les étriers quelqu'un de pas très bien intentionné à son égard serait là pour le cueillir au vol ou à terre. Tandis qu'il s'éloignait vers le sud, il vit la dragonne continuer vers l'est à allure réduite, vers l'autre dragon et ses deux amis. Il utilisa la larme de Yavanna qu'il avait ramassée peu auparavant, la mettant en contact avec le corps du cheval, ce qui le calma aussitôt : cet artefact avait vraiment des pouvoirs puissants de soin et de lutte contre la magie noire. Puis il fit reprendre à sa monture le chemin de l'est, vers les deux dragons et ses amis. De là où il était, il pouvait voir le dragon ailé perdre de l'altitude et accélérer vers un objectif au sol qu'il pouvait facilement deviner.

L'objectif en question, à savoir Taurgil avec la pierre magique qu'il portait, avait tout de même eu un peu de temps pour s'activer avant la fatale rencontre. Son plan initial avait été d'enlever sa cotte de mithril pour enfiler l'armure de cuir de son adversaire et remettre le haubert de mailles par-dessus, si c'était possible. Mais Vif lui avait fait comprendre que le temps lui manquait et il avait laissé cela à plus tard. Prenant des poignées de graines de ronces magiques, il s'était alors appliqué à semer lesdites graines de manière à voir pousser une vingtaine de petits piliers de ronces, d'environ un pas de diamètre, autour de lui. Certains étaient encore en train de pousser lorsque le cracheur de feu commença à descendre vers lui, avec une attitude qui n'augurait rien de bon...

2 - Grillades et boucherie
Lorsque le dragon amorça sa descente, le descendant des rois du Rhudaur se tenait devant ses "parterres" de ronces, en essayant de montrer qu'il était ouvert au dialogue. Il avait tout de même à la main gauche son bouclier et la pierre d'appel de Bairanax, et dans l'autre une poignée de graines magiques, et il avait pris la précaution d'utiliser sa magie de roi pour augmenter sa protection. Lorsqu'il vit le cracheur de feu arriver sur lui en ouvrant la gueule comme pour lui cracher des obscénités brûlantes, il se précipita derrière le pilier de ronces juste derrière lui afin de lui servir d'abri. Vif, quant à elle, était depuis longtemps cachée derrière d'autres ronces, le plus loin possible de Taurgil et de la trajectoire du dragon.

Ce dernier resta à une trentaine de pas du sol et cracha son feu draconique en une langue de flammes centrée sur le Dúnadan et large de plus de vingt pas. Les ronces magiques furent réduites en cendres, tandis que Taurgil se faisait tout petit derrière son bouclier et que la lionne enchantée plongeait hors de la trajectoire des flammes. Elle fut complètement épargnée par le feu du dragon et vit le monstre remonter un peu et commencer à virer sur l'aile pour probablement revenir vers son ami. Prudemment, elle se déplaça de manière à ne pas être en face de Bairanax mais plutôt sur son côté voire dans son dos. Il la perçut certainement car elle n'avait nulle part où se cacher, mais manifestement il ne faisait pas attention à elle : de la magie l'avait forcé à venir ici, présente dans la main d'un homme, et il entendait bien faire payer cet affront.

Si Taurgil était encore vivant et bien content de l'être, il avait connu des jours meilleurs : son sac et ses bourses à herbes étaient partis en fumée avec leur contenu ; ses armes et son armure - métalliques - étaient brûlantes, ce qu'il ressentait d'autant mieux que ses vêtements avaient été réduits en haillons noircis dans lesquels couraient de nombreuses flammèches. Il était brûlé de partout et couvert de cloques, et même ses cheveux étaient grillés, malgré son casque. Sans son bouclier, l'abri partiel des ronces et sa magie, il n'aurait plus été en vie... Vite, il se roula dans la terre pleine de cendres fumantes pour éteindre les flammes qui consumaient encore ses vêtements et refroidir son armure de mailles qui le blessait par la chaleur qui s'en dégageait.

Lorsqu'il se releva, toujours avec bouclier et pierre magique à la main, il vit le dragon arriver droit sur lui, bien plus bas qu'avant. Il avait eu le temps de virer et de revenir et à présent il était très près du sol, prêt à se poser devant lui... après avoir porté un coup de sa puissante queue capable d'abattre une tour de pierre. A nouveau, le Dúnadan se réfugia derrière son bouclier ; protégé par sa magie qui dévia le coup, il fut néanmoins soulevé de terre avec une partie du sol autour de lui et projeté à une dizaine de pas de là, où il se reçut sans mal. Bairanax était à présent au sol et il s'apprêtait à fondre sur Taurgil pour le croquer, lui et la pierre magique, quand quelque chose détourna son attention. Le rôdeur en profita pour se relever et tirer une de ses épées, écopant de nouvelles cloques à la main en raison de la poignée encore brûlante.

Vif avait en effet joué son va-tout et au moment où le dragon avait atterri, elle était déjà en train de courir dans son dos. Comme elle s'y attendait, Bairanax ne l'avait estimée que comme quantité négligeable, ce dont elle comptait bien profiter. D'un bond elle grimpa sur le dos de la bête et arriva entre les deux ailes, où elle s'agrippa fortement. Les soubresauts que fit le dragon pour se débarrasser d'elle furent sans effet, et elle vit ce qu'elle cherchait, que les écrits récupérés à Dol Guldur avaient signalé : à la base du crâne, sous une collerette osseuse, la peau du dragon était dénuée d'écailles protectrices. Un nouveau bond et elle fut sur le cou du dragon où elle planta ses griffes puissantes, non pour le blesser mais pour empêcher d'être éjectée par le dragon qui se secouait de plus belle.

Au sol, Taurgil se précipita vers le monstre : il avait repéré les traces d'anciennes blessures dans l'armure de Bairanax et il entendait bien y mettre son épée. Mais il n'en eut pas le temps : le dragon se figea brusquement et s'abattit sans un bruit, tandis que Vif sautait à terre sur le côté. Une de ses pattes avant ne comportait plus aucun poil et elle saignait : le sang corrosif du dragon l'avait blessée lorsqu'elle avait enfoncé ses griffes profondément dans les chairs et la tête de Bairanax, le tuant instantanément. Elle s'approcha de son ami boursoufflé et couvert de cloques en montrant sa patte blessée, et réclamant des soins. Mais elle avait les yeux brillants de la fierté d'avoir ajouté un dragon ailé cracheur de feu à son tableau de chasse !

3 - Changement de cap
Haurnfile fut bientôt sur place, ayant perdu tout sentiment d'agressivité devant le spectacle du corps sans vie de Bairanax. Ce qui ne l’empêcha pas d’essayer d’envoûter la lionne enchantée – sans succès – et de passer ses nerfs sur le sol. Lorsque Geralt arriva à son tour, ses moqueries joyeuses à son égard éveillèrent une nouvelle lueur au fond de ses yeux. Le maître-assassin était à présent certainement encore plus haï que le frère de la dragonne... Mais cette dernière se contenta de se reposer sans faire d'autre commentaire, tandis que Taurgil s'occupait de leurs blessures et enfilait l'armure de cuir du chevaucheur de créature ailée, qui lui allait parfaitement. L'armure de mailles de mithril avait été enfilée par-dessus, non sans une certaine gêne, mais la combinaison des deux armures lui donnait le sentiment d'être aussi protégé des blessures que le plus ancien des dragons !

Il devint vite évident que la mort du cracheur de feu avait eu de nombreux témoins : le ciel fut vite rempli d'ailes et de cris, tant de crebain qui filèrent vers le nord et de probables sorciers du convoi d'Angmar, que de martinets qui partirent vers le nord-ouest et leurs maîtres elfes. Le Dúnadan appela l'un d'eux magiquement pour porter un message aux elfes qui accompagnaient l'armée : cette dernière ne devait pas ralentir, ses amis et lui - et la dragonne - se débrouilleraient pour rattraper les nordiques et leurs amis. La priorité restait le convoi pour Angmar qu'il fallait intercepter au plus vite. Et le petit messager fut parti.

Au loin, du côté de ladite armée, divers oiseaux avaient déjà renseigné les elfes sur le sort de Bairanax. Les aventuriers restés avec les cavaliers nordiques furent prévenus, ainsi que les chefs des six tribus, et bientôt la nouvelle se répandit parmi les guerriers, qui l'accueillirent avec de grands cris de joie. Les six tribus se réunirent à nouveau en une unique armée, dont les chefs discutèrent de la suite à donner avec elfes et aventuriers. Foncer vers le convoi sagath n'avait été que la réponse à la menace d'une attaque de dragon ailé. Lui mort, il n'y avait plus autant de hâte à avoir : foncer sur l'armée des orientaux c'était s'exposer à un combat où leurs ennemis étaient deux fois plus nombreux qu'eux, combat délicat à mener et qui serait coûteux en nombre de vies.

L'objectif n'était pas de supprimer l'armée d'orientaux à tout prix, mais bien d'empêcher le convoi d'arriver en Angmar avec un minimum de pertes pour les nordiques. Il fut donc décidé de ne pas attaquer le convoi de front, tout de suite, mais de les attendre en amont, dans les contreforts des montagnes, depuis une position surélevée facile à défendre et donnant un avantage pour attaquer également. La route empruntée par le convoi, Men Rhúnen dans le langage des elfes ou Route de l'Est dans celui des hommes, devait passer par un petit col qui serait facile à tenir. C'est là que l'armée nordique attendrait ses adversaires, et il était encore largement temps d'y arriver avant leurs ennemis. L'armée changea alors de cap et se dirigea vers l'ouest et le nord.

Ils contournèrent donc le convoi pour Angmar et ses éclaireurs par le sud et l'ouest. Çà et là, des groupes d'elfes furent rencontrés qui étaient partis la nuit précédente et avaient contribué à "nettoyer" les abords de l'armée adverse des orcs venus là pour prêter main-forte. Mais ils ne s'étaient pas approchés des Sagaths ou des loups qui gardaient le convoi de plus près et n'étaient pas affectés par la lumière du soleil. L'armée nordique atteignit donc les contreforts des Montagnes Grises sans faire de mauvaise rencontre, laissant leurs ennemis à distance. Le col, autour duquel l'armée s'installa, fut atteint dans l'après-midi. Il ne restait plus qu'à attendre en se préparant au futur combat.

4 - Campement et menaces
En fin de journée, l'armée nordique était bien installée et prête à recevoir les Sagaths. La route serpentait jusqu'au col dans un relief assez escarpé et très facile à défendre : les cavaliers ennemis seraient obligés de les attaquer dans le mauvais sens de la pente, et l'espace était trop exigu pour laisser le passage à beaucoup de chevaux. Et les bords de la route étaient trop pentus ou accidentés pour laisser passer chevaux ou chariots. En revanche, ils regorgeaient de positions surélevées d'où des archers pouvaient se poster et tirer sur l'armée plus bas ou bloquer des grimpeurs à pied qui voudraient contourner l'armée nordique. C'est d'ailleurs là que de nombreux elfes s'installèrent : ils n'étaient nullement disposés à participer à une attaque frontale mais ils disposaient d'assez de positions imprenables pour gêner fortement les Sagaths, en particulier dans d'éventuelles manœuvres de contournement.

Le convoi pour Angmar, d'après les perceptions des oiseaux, était encore à bonne distance en fin de journée, à peut-être une petite vingtaine de miles (~ 30 km) ; il n'était pas attendu avant la fin du lendemain au plus tôt. Dans la mesure où une partie de la route n'était plus en plaine mais dans les contreforts des montagnes, l'allure serait certainement plus lente, et en pratique il était plutôt attendu pour le surlendemain. D'un autre côté, les Sagaths pouvaient se permettre de patienter, ils avaient de vastes réserves de nourriture et encore le temps d'arriver aux Monts Brumeux et de les franchir avant l'arrivée de l'automne. L'armée nordique, quant à elle, n'avait que quelques jours de réserve de nourriture en stock.

Mais avant les Sagaths, c'est un bien étrange équipage qui parvint jusqu'au col tenu par les nordiques. Le soir vit en effet l'arrivée de Geralt, sur son cheval, accompagné de Taurgil et Vif... sur le dos de la dragonne. Cette dernière avait été forcée à servir de monture par la menace, qui avait porté, même si cela n'avait pas été suffisant pour la faire aller très vite, d'autant qu'elle était toujours blessée. Elle resta un peu à l'écart dans des rochers, soigneusement surveillée tant par les nordiques que par les elfes. Dans la nuit, Taurgil alla chasser un peu - non sans mal - et il lui offrit le fruit de sa chasse. Il espérait peut-être l'amadouer un peu, mais il comprit assez vite qu'elle n'était pas d'humeur à être très serviable : seul un rapport de force la maintenait dans son présent état de servitude...

Au cours de la nuit, tandis que certains dormaient, une partie des elfes partirent chercher des provisions et de l'athelas à la demande du rôdeur dúnadan. D'autres, restés à surveiller, firent part de nombreux mouvements d'orcs ; ils étaient à bonne distance mais ils commencèrent à se rapprocher dans la nuit. Ce qui poussa plus tard Geralt et Vif à une expédition dans le relief montagneux. Néanmoins, ils déchantèrent assez vite : les orcs étaient très nombreux - plus de mille - et bien éparpillés, si bien qu'il était plus fatigant de parvenir jusqu'à eux que de les combattre. Ils arrivèrent néanmoins à en tuer ou faire fuir une ou deux centaines, vite remplacés par d'autres venus de plus loin. Vif, lasse de porter le maître-assassin, menaça de le laisser rentrer seul, à pied dans les contreforts montagneux et accidentés, si bien qu'il accepta de s'arrêter de combattre et de rentrer avec la lionne enchantée. Mais en chemin, trouvant un nouveau souffle, elle reprit les attaques et le balafré aux cheveux blancs dut la supplier d'arrêter tellement l'effort de continuer finit par lui être pénible.

Néanmoins, ils en avaient vu assez pour imaginer la suite : les orcs s'étaient assez rapprochés pour pouvoir sans doute lancer des attaques concertées la nuit suivante, et ils étaient accompagnés de nombreux loups. De plus, les elfes avaient repéré durant la même nuit une monstrueuse créature volante servir de monture à un probable sorcier qui fit le tour des groupes et tribus d'orcs. Les chefs du convoi pour Angmar tenaient à passer et les orcs les aideraient sans doute à tenter de forcer le passage. Si les cavaliers sagaths n'avaient sans doute aucune chance de gagner seuls le col, leurs alliés, orcs et loups, étaient une réelle menace. Peut-être même qu'ils n'attaqueraient pas tout de suite mais attendraient d'être encore plus nombreux, avec les Sagaths assez près pour lancer une attaque concertée.

5 - Nuit et brouillard
La journée qui suivit confirma deux choses : d'abord que les Sagaths n'arriveraient pas au col dans la journée mais au plus tôt le lendemain seulement ; ensuite que les loups et orcs étaient de plus en plus nombreux à converger vers le col, profitant - pour les orcs - d'un temps couvert qui masquait le soleil. Les préparatifs de la future bataille allaient bon train, y compris parmi les aventuriers qui se préparaient chacun à leur manière : en se reposant comme Geralt et Vif, ou en confectionnant des runes de protection magiques autour du camp, comme Drilun. Mais l'archer-magicien fut limité dans sa tâche par le mauvais temps : la pluie qui tombait ou risquait de tomber pouvait ruiner des runes inscrites dans le sol, et les graver dans la pierre n'était pas aussi rapide...

Il prit également le temps d'examiner l'arbalète magique couverte de runes que maniait l'assassin de Dol Guldur avec une fabuleuse dextérité et une rapidité encore plus étonnante. Il arriva à déterminer les effets de la magie très puissante qui en faisait une arme exceptionnelle. En plus de renforcer magiquement la force et la précision des carreaux qu'elle lançait, une simple pensée permettait à des carreaux magiques de voler à leur place sur l'arbalète automatiquement réarmée. Encore fallait-il qu'ils soient assez près, soit une dizaine de pas au plus. Certains comme Vif se souvinrent alors avoir remarqué sur la créature ailée qui s'était enfuie du matériel accroché à la selle, avec probablement des carreaux magiques en réserve. L'archer-magicien avait récupéré par le passé deux de ces carreaux, et il put vérifier qu'ils fonctionnaient bien ainsi. Dans un premier temps il choisit de les laisser au camp nordique, malgré la demande de Rob d’utiliser ce fabuleux matériel.

En fin de journée, Geralt arriva difficilement à distinguer les Sagaths à l'aide de sa longue-vue, en raison du temps. Ils avaient monté le camp dans le début des contreforts, à une distance comprise entre une demi-douzaine et une dizaine de miles (10-16 km). Il ne voyait pas bien les détails mais il semblait que leurs ennemis avaient érigé des fortifications sur la route qui menait au col. Ils s'attendaient peut-être à avoir des visites pendant la nuit... et ils avaient raison ! En effet, Taurgil et ses amis avaient décidé de monter une expédition de nuit jusqu'au convoi pour Angmar. Leur objectif : avec l'aide de la dragonne, éliminer les derniers sorciers et autres têtes pensantes chez leurs ennemis. Après quoi il n'y aurait plus de mauvaise surprise possible et leur victoire serait assurée.

Ils se préparèrent donc à partir quand la nuit fut bien tombée. Drilun fit se lever magiquement un épais brouillard qui les masquerait aux yeux d'éventuels espions. Et ils avaient tous vu à quel point la dragonne était dangereuse dans un pareil contexte. Le brouillard suivrait le magicien et les nordiques n'en seraient bientôt plus affectés, ce qui permettrait de repousser d'éventuels - et probables - attaques de loups et d'orcs. Mais a priori les nordiques étaient confiants quant à leurs capacités à gérer cette menace, d'autant que les elfes du royaume de Thranduil restaient avec eux, sans parler aussi des cavaliers gondoriens qui avaient accompagné l'armée depuis le début.

Se posa aussi la question du mode de déplacement. Haurnfile, malgré toute sa mauvaise volonté, fut choisie comme monture à nouveau. La démonstration de force vis-à-vis de Bairanax semblait suffisante à la plupart des aventuriers pour la croire amadouée. Néanmoins, Geralt préféra garder un cheval, avec le hobbit en croupe, et Mordin refusa tout naturellement de monter sur une pareille bête tant qu'elle ne serait pas morte et découpée en morceaux. Quatre chevaux furent donc pris, pour lesquels Isilmë obtint des Gondoriens qu'ils leur prêtassent les armures dont leurs montures étaient équipées. En promettant bien de les rendre au retour, ce qui ne manqua pas de laisser le lieutenant gondorien quelque peu dubitatif, malgré le charme magique dont l'elfe s'était entourée.

Ils partirent donc tous les sept avant le milieu de la nuit, plus la dragonne qui portait Drilun, Vif, Taurgil et Isilmë. Geralt finit par ne plus supporter le hobbit qui monta lui aussi sur le monstrueux lézard. Deux des chevaux étaient sans cavalier et furent laissés sur la route, aux trois quarts du chemin, pour éventuellement servir au retour. Avec le brouillard l'obscurité était totale, si bien qu'ils prirent du trèfle de lune pour améliorer leur vision nocturne et y voir un minimum dans le noir ; sauf l'Eriadorien, auquel le cimeterre ténébreux conférait une vision parfaite dans l'obscurité, et la lionne et l'elfe, naturellement nyctalopes. Ils progressèrent petit à petit, toujours masqués par le brouillard, sans chercher particulièrement à être discrets : ce n'était pas dans la nature du dragon qui les portait... Au bout d'un moment, les plus perceptifs sentirent qu'ils approchaient du camp, et qu'ils étaient attendus : de nombreux loups semblaient massés sur le chemin, même s'ils ne le bloquaient pas complètement mais faisaient comme un U pour mieux laisser les aventuriers y entrer et fondre sur eux ensuite. Et les bruits de chevaux et cavaliers plus lointains indiquaient clairement que les Sagaths savaient à quoi s'attendre...

6 - Traîtrise
Puisque les loups semblaient - à juste titre - craindre la dragonne, les aventuriers lui dirent de poursuivre sur la portion de chemin qui restait dégagée, vers les cavaliers sagaths. Les chevaux de Geralt et de Mordin suivaient vers l'arrière de Haurnfile, assez près du grand lézard pour ne pas craindre une éventuelle attaque de loup. Ils progressèrent ainsi un petit moment, au milieu des loups qui se retenaient bien d'attaquer, mais qui laissaient passer l'étrange équipée puis la suivaient à distance. C'était un bien étrange passeport qu'ils utilisaient là et qui leur permettait d'approcher l'armée ennemie, qui ne devait plus être trop loin.

C'était donc l'endroit idéal pour mettre les aventuriers en difficulté, ou du moins ce dut être ce que pensa Haurnfile. Au moment où des canidés plus entreprenants tentèrent une attaque qui força Geralt à se rapprocher du nain et elle, elle se mit à se rouler vers eux, sans s’attaquer aux loups pourtant à portée. Elle espérait pouvoir écraser quelques-uns de ses "cavaliers", mais surtout Geralt qu'elle détestait tout particulièrement. Et puis les loups seraient ravis d'avoir quelque chose à croquer, ce qui voulait aussi dire que Taurgil et compagnie auraient vite bien assez à gérer pour s'occuper sérieusement de la dragonne. C'était le bon moment pour se venger des affronts qu'elle avait subis, et des moqueries et blessures du maître-assassin en particulier. La pierre magique que portait le Dúnadan pourrait attendre un peu, de toute manière lui et les autres ne risquaient pas de quitter les lieux très rapidement.

Malheureusement pour Haurnfile, les choses ne se passèrent pas si simplement. D'abord parce que les aventuriers s'attendaient peut-être un peu à cela, et ils réagirent vite, et d'autant plus facilement qu'elle était blessée : tous ceux qu'elle portait sautèrent vers la droite de manière à ne pas être écrasés par le grand ver. Au cours de leurs aventures, ils avaient eu leur content de chutes et autres acrobaties et ils se ramassèrent au sol sans grand mal, sauf Isilmë qui écopa d'une petite fracture à un bras, avant de voir les loups leur arriver dessus en grande hâte, tous leurs crocs dehors. L'attaque de la dragonne fut fatale pour le cheval de Mordin mais elle ne put blesser son cavalier qui se retrouva à terre. Quant à Geralt, excellent cavalier et très rapide, il arriva à esquiver l'attaque puis à tirer sur le grand ver avec une flèche magique préparée par son ami dunéen spécialement contre lui. Mais il ne fit qu'une blessure légère et dut lancer son cheval au galop hors de portée des coups du monstre, droit sur les loups qui lui faisaient face dans le brouillard.

Tandis que le maître-assassin prenait son épée et taillait dans les ennemis à quatre pattes qui tentaient de faire un sort à son cheval ou sa propre personne, Haurnfile se jetait à ses trousses pour finir le travail. Ce qui eut aussi comme effet secondaire d'inciter les loups à s'écarter et donc à moins prêter attention au cavalier qu'elle pourchassait. Mais la lionne elle-même ne tenait pas non plus à laisser la dragonne s'en tirer comme cela, et elle la poursuivit de toute la rapidité de son puissant corps félin avant de remonter sur son dos où elle resta agrippée. Mordin, après s’être relevé, empoigna sa hache pour combattre les loups qui arrivaient, tout en se rapprochant de ses autres compagnons.

Ces derniers se regroupèrent tout en tirant des flèches ou en donnant des coups d'épée. Drilun, Taurgil, Isilmë et Mordin firent une espèce de carré, en se tenant dos aux autres, avec Rob au milieu d'eux tous qui continuait à tirer à l'arc pour soulager ses compagnons des attaques qu'ils subissaient. Attaques qui se raréfièrent lorsque l'archer-magicien utilisa ses sorts pour lever et maîtriser un feu qui blessa ou fit fuir les canidés. Certains aventuriers écopèrent peut-être de quelques morsures, mais entre leurs armures d'excellente qualité voire magiques, sans parler des sorts de certains, et leur robuste constitution, cela ne les dérangea guère.

7 - Mauvaise surprise
Non loin de là, la dragonne récoltait ce qu'elle avait semé. Si elle n'était plus fiable comme alliée, elle devait donc être abattue. Plus simple à dire qu'à faire ? Elle avait déjà subi de nombreuses blessures et Vif ne risquait pas de la lâcher malgré ses roulades, la cinglant sans cesse de ses énormes griffes, assez fort pour la blesser. Du coup, Geralt profita de ce que son amie occupait Haurnfile pour l'attaquer et la blesser à son tour à l'aide de son cimeterre magique. Ils l'affaiblirent de plus en plus jusqu'à ce qu'elle rebrousse chemin, droit vers Taurgil et la pierre magique qu'il portait. Mais elle n'arriva pas jusque lui, arrêtée par le maître-assassin qui arriva au ventre du monstre et y planta profondément son arme. La dragonne hurla de douleur et s'affaissa sur le côté, pas encore morte mais vaincue. Et la gravité de la blessure rendait ses chances de survie assez négligeables.

Mais cette même blessure fut aussi la perte du cheval de Geralt : en retirant son arme profondément enfoncée, un flot de sang brûlant en jaillit. Protégé par son armure de peau de dragon, l'homme aux cheveux blancs s'en sortit avec quelques légères brûlures, mais ce ne fut pas le cas de sa monture, mortellement atteinte par le poison brûlant malgré l'armure dont elle disposait. Le regard de Haurnfile se fixa sur son bourreau et elle tenta de l'envoûter pour lui faire accomplit Eru savait quelle action suicidaire, mais le maître-assassin repoussa la volonté chancelante du monstre avec une étonnante facilité. L'Eriadorien fut ensuite obligé de rejoindre ses amis à pied, bientôt accompagné par Vif qui faisait voler les têtes et les corps des canidés avec grand plaisir. Si les loups ne l'aimaient pas, elle le leur rendait bien et s'en donnait à cœur joie !

L'équipe poursuivit donc vers le bas, en laissant derrière elle le corps encore vivant de la dragonne qui se vidait de son sang. Les loups étaient tenus en respect par magie, armes et griffes, et rien ne semblait devoir arrêter les aventuriers. Progressivement, ils arrivèrent à l'une voire la principale des fortifications que Geralt avait cru distinguer de loin à l'aide de sa longue-vue : un passage un peu étroit avait été renforcé de nombreux rochers pour le rendre encore plus étroit et facile à contrôler, tandis que les abords rocheux avaient été un peu surélevés et surtout occupés par de nombreux archers dont les torches commençaient à apparaître à travers la brume nocturne. Une voix ténébreuse provenant de la gauche et du haut leur montra que tous les sorciers n'étaient pas morts et que l'un d'eux se tenait parmi les archers, sans qu'ils puissent le distinguer. La vague de panique magique que sa voix amena passa sur eux sans trop les affecter, et ils poursuivirent en avant.

Le passage faisait moins de vingt pas de large et la terre avait été travaillée comme si des pièges voire des sortilèges avaient été préparés. Par ailleurs, en plus des archers disposés plus haut, des hommes se tenaient manifestement prêts à lancer des rochers sur quiconque essaierait de forcer le passage dix ou vingt pas plus bas. Protégé par sa magie et se sentant invulnérable, Taurgil se mit à courir vers le passage, un peu en avance du reste du groupe. Il espérait ainsi attirer flèches et rochers sur lui qui ne lui feraient pas plus de mal qu'à un dragon en pleine forme. Les cavaliers sagaths semblaient disposés non loin de là, de l'autre côté du passage, et il avait hâte de les combattre et de trouver leurs chefs.

Mais sa course s'arrêta au milieu du passage. Lorsqu'il fut là, de la magie s'activa partout là où le sol avait été remué, le transformant en sables mouvants. Le Dúnadan, lourdement chargé, s'enfonça jusqu'à la poitrine et continua sa rapide descente vers le bas. Ses amis, heureusement, s'arrêtèrent en bordure du piège et ne connurent pas le même sort. Les projectiles leur pleuvaient dessus - d'autant que l'aura elfique dont Isilmë était entourée pour mieux voir dans le noir faisait d'eux des cibles bien visibles - et ils durent s'abriter tant bien que mal, certains écopant parfois de blessures minimes par la suite. Vif identifia aussi un rôdeur noir qui la visait avec une flèche spéciale vers la droite. Elle se précipita vers les rochers et ceux qui y étaient installés et les prenaient pour cible, laissant le soin à ses amis de sauver leur grand rôdeur héritier des rois du Rhudaur de la noyade.

8 - Attaques multiples
Sauver le Dúnadan, c'était bien beau, mais comment ? La seule solution évidente était de lui lancer une corde avant qu'il ne sombrât complètement dans les sables mouvants, mais c'était plus facile à dire qu'à faire. D'abord parce que les cordes ne poussaient pas sur le sol et que prendre l'une des rares qui reposaient au fond d'un sac n'était pas si évident que ça à faire sous une pluie de flèches. Ensuite parce que le grand rôdeur s'enfonçait rapidement, chargé comme il était d'armes et armures et autre équipement. L'elfe s'avança autant qu'elle put sur le bord des sables mouvants, en direction de son ami, tout en maintenant son aura elfique. Cela facilitait le travail des archers et lui valut de recevoir plusieurs flèches, heureusement arrêtées par son armure, même si c'était parfois douloureux. Taurgil était encore à plus d'une demi-douzaine de pas, et seule sa tête dépassait de la surface semi-liquide.

De son côté, la lionne était concentrée sur le rôdeur et sa flèche spéciale et probablement enchantée pour tuer les félins comme elle. Bondissant de rocher en rocher tout en zigzagant, elle ne tenait pas à offrir une cible trop facile, même si la tâche n'était déjà pas aisée pour son ennemi : entre la brume, l'obscurité, la présence d'autres archers et la diversion que ses amis faisaient plus bas, le rôdeur noir n'était pas dans les meilleures conditions pour se concentrer. Quoi qu'il en fût, le plus rapide de tous fut Geralt : lui aussi avait repéré le rôdeur noir et lui aussi disposait d'un arc, dont il savait fort bien se servir. D'autant qu'il connaissait particulièrement bien la morphologie humaine et ses points vitaux. Le rôdeur fut donc abattu d'une flèche du maître-assassin avant même que Vif n'arrivât sur lui.

Néanmoins, ses perceptions furent attirées par un nouvel élément. Si les attaques des archers avaient peu d'effet sur eux tous, tant ils étaient bien équipés, certaines créatures ou personnages étaient bien plus capables de les blesser. Et précisément, elle commençait à percevoir l'arrivée rapide d'une de ces créatures, probablement montée par un des personnages qu'ils étaient venu tuer. Autrement dit, une créature ailée comme celle que montait l'assassin de Dol Guldur, et qui s'était enfuie devant le dragon cracheur de feu, était en train de foncer sur ses amis depuis l'arrière. Elle était invisible car complètement masquée par la brume, mais elle serait bientôt là. Comment elle arrivait à se diriger dans une telle obscurité doublée d'une épaisse purée de pois, c'était un mystère. Mais entre les sens particuliers de la créature, qui était plutôt nocturne, et les perceptions magiques du probable sorcier qui la montait, les moyens devaient pouvoir se trouver. D'autant que Taurgil portait toujours sur lui la pierre d'appel de la dragonne, qui était comme un phare pour les utilisateurs de magie.

En bas, les amis de Vif furent dérangés dans leur tâche de sauvegarde du potentiel noyé par le rugissement de la lionne. Ceux qui avaient activé le tour d'oreille magique pour la comprendre entendirent son avertissement et eurent le temps de regarder en arrière ce qui leur fonçait dessus. Rob avait même perçu le danger avant les autres et il s'était déjà retourné pour encocher une flèche en direction du nouveau venu. Ou plus exactement des nouveaux venus, car il s'agissait bien d'une monstrueuse créature ailée, une "poupoule", sorte de mélange d'oiseau et de dragon ; et elle était montée et dirigée par un homme vêtu de cuir noir, difficile à distinguer dans l'obscurité, et probable sorcier comme ceux qu'ils avaient déjà rencontrés... et abattus.

Pour sa part, Isilmë n'avait pas compris l'avertissement de son amie ni perçu l'arrivée de la créature. Elle était toujours en train de s'abriter des flèches en regardant la tête du Dúnadan disparaître sous la surface des sables mouvants. Lequel Dúnadan avait d'autres soucis pour le moment, ayant eu le temps de retenir sa respiration avant de ne plus rien voir du tout. A quelle profondeur finirait-il ? Plus haut, la créature ailée arrivait à grande allure mais elle freinait avec ses ailes, serres en avant et bien écartées, pas très loin au-dessus du sol. Manifestement, son objectif était d'attraper une proie ou deux pour l'emmener dans les airs. A quoi bon leur serviraient leurs armures magiques impénétrables lors d'une chute de grande hauteur sur les rochers ?

9 - Balayage
Vif, avec ses sens exercés et sa position dominante, percevait très bien la trajectoire de la "poupoule". Sans trop se soucier des Sagaths qui essayaient toujours vainement de la blesser, elle prit un peu d'élan au bon moment et ses puissantes pattes la projetèrent devant elle, dans le vide... et vers le bas, juste devant l'endroit où se trouvaient ses amis. La flèche de Rob, elle, fut plus rapide : elle s'enfonça profondément dans les chairs de la créature nauséabonde - la faute à un régime composé surtout de chairs putréfiées - sans néanmoins la tuer. La douleur de la blessure étourdit la créature, juste avant de recevoir le poids massif d'un grand félin chutant de plus d'une dizaine de pas sur son dos, toutes griffes dehors. Les deux combinés furent de trop pour la "poupoule", qui perdit conscience un bref instant et s'écrasa au sol... à l'endroit où se trouvaient les aventuriers.

Malgré la chute de Vif sur son dos, la créature avait encore une grande inertie et elle ne pouvait être arrêtée si facilement. La trajectoire en courbe censée se finir en une belle remontée, serres pleine d'aventuriers, devint simplement une ligne droite oblique, brisée au moment de l'impact avec le sol et continuant parallèlement à lui. Le corps de la "poupoule" heurta puis racla le sol, tandis que ses ailes inertes balayaient l'espace derrière elle et sur les côtés. Et emmenant avec elle diverses silhouettes humaines qui n'avaient pas eu le bon goût de s'écarter assez vite - et il y en eu plusieurs - avant de s'arrêter enfin au beau milieu de la zone des sables mouvants, son élan brisé. Juste au-dessus de l'endroit où Taurgil avait été vu pour la dernière fois.

Le cavalier sur le dos de la monture ailée avait subi le choc de l'arrivée de la lionne et du contact avec le sol de plein fouet. Lui aussi finit dans les sables mouvants, probablement bien étourdi voire assommé, et les aventuriers n'entendirent plus parler de lui. Quelle ironie que de voir le créateur des sables mouvants magiques périr de l'œuvre dont il était si fier... La lionne qui avait été en partie la raison de cette chute, pour sa part, choisit de sauter au bas de la créature avant de finir engloutie, et elle se reçut sans mal sur le sol grâce à ses pattes puissantes et son sens de l'équilibre exercé même pour un félin. Taurgil, pour sa part, sentit un poids important s'abattre sur lui et l'enfoncer davantage vers le sol ferme sous les sables mouvants. Heureusement, ces derniers avaient absorbé l'énergie de la créature en mouvement et il ne perdit même pas son souffle devant la faiblesse du choc.

Plus haut, les choses étaient assez mitigées selon les personnes. Geralt, rompu à ce genre d'exercice, avait plongé assez loin pour éviter le corps ou les ailes de la "poupoule". Rob, pour sa part, en avait fait autant grâce à une dépense d'énergie supplémentaire, mais il avait senti passer le corps de plus près. Mordin et Drilun évitèrent le corps raclant le sol mais pas les ailes, et ils furent balayés en direction des sables mouvants. Le nain s'arrêta dans la vase, juste sur le bord, tandis que le Dunéen finissait avec le haut du corps à sec et le reste dans la boue, prêt à mesurer la profondeur des sables mouvants sur le bord de la zone magique. Quant à Isilmë, qui n'avait rien vu venir, elle subit le choc de l'arrivée de la créature de plein fouet et finit elle aussi dans les sables mouvants, complètement étourdie voire assommée.

Les archers en hauteur s'étaient arrêtés de tirer pour distinguer ce qui pouvait l'être dans la brume et l'obscurité après l'écrasement de la créature montée. Les premiers ennemis à réagir furent les loups amassés aux alentours : ils n'avaient pas besoin d'y voir beaucoup pour sentir que des ennemis vivants étaient encore là, y compris un félin dont ils abhorraient l'odeur. Ils se précipitèrent en hurlant vers les survivants. Tandis que l'archer-magicien se hissait sur le bord des sables et que le marchand nain, moulu, se faisait tirer hors du liquide par la lionne, le maître-assassin et le petit voleur se mirent à courir vers la droite, sur le bord de la zone des sables mouvants, en direction des rochers proches d'où les archers ennemis recommençaient à leur tirer dessus. C'est à ce moment-là qu'une voix sinistre se fit à nouveau entendre.

10 - Problèmes
S'il est quelqu'un à qui la voix ne fit pas grand-chose, ce fut Taurgil. D'abord parce qu'il avait les oreilles un peu pleines, ensuite parce qu'il n'était pas la cible de ladite voix, et enfin parce qu'il avait autre chose à faire, commencée dès qu'il avait pensé à retenir sa respiration : prendre la corde magique du serpent, qui se trouvait être dans son sac. Par chance, elle n'y était pas quand il était parti pour son funeste rendez-vous avec Bairanax, car sinon il ne l'aurait pas eu au moment présent - son sac avait fini en cendres, de même que son contenu - et elle allait bien lui servir. Il réussit à la sortir de son sac et à la tenir par un bout, et alors que la créature ailée plongeait dans les sables mouvants, sérieusement blessée, il prononça le mot magique - malgré le liquide autour de sa bouche - qui en activa la magie.

Du coup, la corde devint comme un serpent, une extension de lui-même à l'extrémité de laquelle il pouvait voir. Ce qui lui permit de comprendre rapidement ce qui s'était passé lorsque le bout de la corde qu'il ne tenait pas fut hors de l'eau. Il repéra aussi le corps de l'elfe, apparemment inconsciente, en train de couler. La corde pouvait s'animer comme un serpent aussi costaud que lui, ce qui lui permit de se hisser au-dessus de la surface en prenant appui sur la "poupoule" prise dans les sables mouvants. Elle semblait reprendre conscience et essayait de se dépêtrer un peu de la vase dans laquelle elle nageait, sans grand succès. Tandis que le rôdeur revenait à l'air libre et reprenait sa respiration, une flèche du maître-assassin donna une nouvelle raison au monstre ailé pour rester là où il était.

Ailleurs, les choses n'allaient pas si bien que ça. Si Geralt avait pu atteindre les rochers en faisant le vide autour de lui avant de reprendre son arc, ce ne fut pas le cas de Rob : alors qu'il allait rejoindre son ami aux cheveux blancs, un loup le mordit au mollet et y resta accroché, l'empêchant d'atteindre la partie rocailleuse qui allait lui permettre de passer de l'autre côté du passage bloqué par les sables mouvants. Il lui fallut une contorsion acrobatique et un saut en partie dans la vase pour se dégager, et il put enfin suivre le maître-assassin qui cherchait d'où venait la voix pour l'abattre. Mais tous deux trouvèrent que l'autre côté du passage était déjà bien encombré par des Sagaths à pied prêts à en découdre. Geralt reprit son cimeterre avec lequel il fit de grands moulinets pour repousser les ennemis, tout en avançant près du bord des sables mouvants pour limiter le nombre de combattants sur lui.

Drilun, de son côté, entendit parfaitement la voix. Elle provenait du même sorcier qu'ils avaient perçu peu auparavant, et elle était plus menaçante que jamais. Il était en fait la cible de la magie noire dont elle était emplie, et qu'il reçut brutalement. Malgré sa forte volonté et la protection dont il bénéficiait grâce à une breloque magique qu'il avait fabriquée, il ne put empêcher le désespoir de trouver chemin jusqu'à son cœur. Hébété, il observa sans vraiment réagir des loups courir dans sa direction. Quand le premier lui arriva dessus, le choc le fit basculer en arrière... dans les sables mouvants. Ce qui empêcha le loup de perpétuer son attaque, car il était alors trop occupé à essayer de se sortir de là.

Mordin, pour sa part, était bien assez occupé avec les flèches ou les loups qui lui arrivaient dessus pour jouer au sauveteur. A dire vrai, il se sentait un peu seul dans son coin, tous ses amis ayant déserté le rivage des sables mouvants où il se trouvait. Le Dunéen, l'elfe et le Dúnadan étaient dans la zone des sables, tandis que le hobbit et l'Eriadorien étaient passés de l'autre côté. Quant à la lionne, elle avait bondi dans les rochers de gauche d'où venait la voix qui s'était fait entendre. Elle avait repéré un sorcier blond et barbu, là-haut, à moitié caché derrière des archers sagaths, et elle se souvenait de lui et de son cheval très rapide. Et elle ne comptait pas le laisser s'en tirer comme les autres fois.

11 - Sauvetages et dénouements
Taurgil, une fois qu'il put respirer, accroché à la créature volante au milieu des sables mouvants, se dépêcha d'utiliser sa corde magique pour repêcher Isilmë qui se noyait. Elle n'était plus à la surface du liquide mais il utilisa la corde magique comme une sonde pour tâtonner et arriver à la trouver. Il ne lui resta plus qu'à la ramener en surface et à lui faire reprendre sa respiration grâce à ses compétences de soigneur et l'aide de la larme de Yavanna. L'elfe était très gravement blessée par le choc qu'elle avait subi ; mais une fois sa conscience revenue, elle se rappela du don-de-vipère qu'elle portait et elle farfouilla dans ses affaires jusqu'à trouver la glande séchée qui pourrait la sauver. Par la suite, avant même de se mettre plus au sec, le rôdeur dúnadan put utiliser encore sa corde pour aider d'autres amis à le rejoindre. Et ces derniers ne manquèrent pas...

Il y eut Drilun tout d'abord, tellement affecté par la magie noire dont il avait été victime qu'il aurait pu mourir noyé sans rien faire. Heureusement, suite à son rapatriement par la corde magique, le contact de la larme permit de le guérir de cette affection et de reprendre ses esprits. Pendant ce temps-là, de l'autre côté, la voix d'un Sagath roulait et devait exhorter les cavaliers à un quelconque sacrifice, car ils s'ébranlèrent. Leur cible était nul autre que Geralt : entre les ténèbres accrues par la magie de son cimeterre, l'armure - ou plutôt les armures - qu'il portait et sa maîtrise du combat rapproché, il était presque intouchable face aux guerriers à pied qu'il avait autour de lui. Mais lorsqu'il vit les chevaux s'ébranler, à une vingtaine de pas de lui, il comprit son problème : il était dos aux sables mouvants et trop loin des zones des rochers pour pouvoir y retourner et se protéger de la charge de cavalerie. Et même s'il plongeait dans la vase derrière lui, les chevaux allaient lui passer dessus car les Sagaths étaient assez fous pour se lancer dedans avec leurs chevaux...

Le maître-assassin ne vit alors qu'une issue possible à son problème : il fonça vers les chevaux qui arrivaient sur lui. Il put ainsi atteindre les premiers avant qu'ils ne prennent assez de vitesse pour l'empêcher de mettre une audacieuse manœuvre à exécution : il plongea sur l'encolure du premier cheval et en fit chuter son cavalier après une brève lutte, lui permettant ainsi de prendre sa place. Lorsque la charge de cavalerie acheva sa course dans les sables mouvants, il était sur un cheval et non sous la marée de corps qui se déversait dedans. Et grâce à l'aide de la corde magique du rôdeur dúnadan, dont il n'était pas très loin de toute manière, il put rejoindre ses amis sans craindre de finir au fond du trou plein de vase.

Le petit voleur hobbit ne tarda pas à les rejoindre. Lorsqu'il avait perçu le départ de la cavalerie ennemie, il était plus proche que Geralt d'une des zones de rochers qui bordaient le site des sables mouvants. Il avait pu rejoindre ladite zone dont il était venu, mais pour la trouver trop pleine d'ennemis à son goût. En effet, si les cavaliers ne pouvaient monter dans les rochers mais juste s'écraser dedans ou finir dans les sables mouvants, il y avait aussi des Sagaths à pied ainsi que des loups qui pouvaient occuper l'endroit, et que le hobbit n'effrayait nullement. Après une brève hésitation et l'encouragement de ses amis, il s'était jeté à l'eau - ou plutôt dans la vase - et avait pu être secouru à son tour par la corde magique.

Vif, pour sa part, avait vu le sorcier blond et barbu prendre son arc et une flèche spéciale dont elle ne tenait pas à faire les frais. Aussi prit-elle soin de commencer par se faire un bouclier avec un malheureux archer qui se tenait non loin d'elle, qu'elle tua et qu'elle empoigna dans sa gueule. Malgré la gêne pour la vue, elle avait les sens assez développés pour repérer sa proie qui visait tranquillement la lionne. Lorsque la flèche couverte de poison quitta l'arc, elle écopa d'une blessure légère ; le poison ne pénétra pas assez profondément pour inquiéter son corps résistant, et elle abandonna son bouclier humain pour foncer sur le sorcier. Ses griffes déchirèrent son armure et sa cavité abdominale, ainsi que de nombreux organes vitaux, et l'homme mourut sur-le-champ. La féline Femme des Bois empoigna alors le corps du sorcier et elle redescendit vers ses amis, qu'elle atteignit d'un bond.

Le nain était là aussi, qui avait dû bénéficier à son tour de la corde. D'après le décompte des aventuriers, il ne restait plus aucun sorcier aux alentours, ils avaient tué les deux derniers du convoi, ou du moins ceux qu'ils avaient remarqués et dont ils se souvenaient. Ce qui ne voulait pas dire que d'autres n'existaient pas. Il ne leur restait plus qu'à prendre congé, tandis que les flèches continuaient à pleuvoir sur eux qui se tenaient sur un cadavre de "poupoule" qui s'enfonçait petit à petit dans les sables mouvants, même si elle devait toucher en partie le fond. Sur le bord, entre de nombreux cavaliers d'un côté et les loups de l'autre, les ennemis ne manquaient pas. Il ne restait plus qu'à "emprunter" quelques chevaux et à se frayer un chemin dans tout cela pour revenir au camp de l'armée nordique, qui n'aurait aucun mal à affronter l'armée de Sagaths le lendemain. Simple, non ?
Modifié en dernier par Niemal le 15 septembre 2015, 20:39, modifié 2 fois.
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Niemal
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Horselords - 50e partie : tout n'est pas fini

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1 - Position inconfortable
Si certains comme Taurgil ou Geralt disposaient d'armures tellement résistantes que les flèches n'avaient aucune chance de les percer, ce n'était pas le cas de tous. Et en particulier d'Isilmë, mortellement blessée et intransportable. Son état avait été stabilisé par l'ingestion du don-de-vipère, mais sa guérison complète prendrait une heure de repos ou du moins de relative immobilisation. Comme ils l'avaient expérimenté auparavant à Dol Guldur sur le hobbit, le contact de la larme de Yavanna devait accélérer encore la vitesse de la guérison. Restait que tenir dix minutes sous des pluies de flèches, il y avait de quoi se transformer en porc-épic et venir à bout même d'armures de mailles naines ou équivalentes. Aussi Taurgil se coucha-t-il sur l'elfe pour la protéger de son corps et de sa cotte de mithril, qui ne craignait rien de tel.

Allongé lui aussi, Mordin avait pris deux boucliers sous lesquels couvrir à peu près entièrement son corps et celui de Rob. Même sans lumière pour les trahir, malgré l'obscurité et la brume, les archers sagaths envoyaient tellement de flèches au jugé, dans leur direction, que certaines arrivaient à trouver leur objectif et venaient se ficher dans ses boucliers, qui se faisaient plus lourds avec le temps. Geralt connaissait un peu la même chose : son armure de peau de dragon était trop solide pour se laisser percer par de tels projectiles, et l'armure de mystérieux cuir souple qu'il portait en dessous amortissait bien les chocs. Mais il lui fallait régulièrement enlever les projectiles de son armure, qui sinon l'alourdissaient et le gênaient.

Drilun était protégé magiquement, et même deux fois : son armure de peau de dragon avait été renforcée par des runes magiques, et un sort à lui déviait les flèches, si bien qu'il était l'un de ceux qui craignaient le moins les projectiles. Pour sa part, Vif était une créature enchantée que les armes non magiques affectaient difficilement. Néanmoins, si la plupart des traits ennemis ne faisaient que la picoter, certains étaient un peu plus douloureux, et à force pouvaient la blesser. Jugeant qu'une aile de la créature sur laquelle ils se tenaient tous était faite d'un cuir solide et qu'elle permettrait de tous les couvrir, elle se précipita vers une jointure, avant qu'elle ne fût immergée, et commença à amputer le monstre ailé d'un membre qui de toute manière ne lui servirait plus. Avec l'aide de Geralt, la tâche fut bientôt achevée et un nouveau bouclier les recouvrit tous.

Mais ou bien les flèches venaient à manquer, ou bien des Sagaths avaient réussi à percevoir que leurs efforts n'avaient guère d'effet. Aussi commencèrent-ils à utiliser d'autres projectiles, comme les nombreuses pierres qui gisaient aux pieds de ceux qui étaient au-dessus d'eux, sur les positions surélevées qui bordaient le piège de sable mouvant dans lequel ils se tenaient. Lancées d'une hauteur de dix pas vers la tête ou les membres des aventuriers, les plus grosses d'entre elles avaient suffisamment d'énergie pour meurtrir quelqu'un qui les recevait même à travers bouclier et armure. Attendre passivement que la guerrière elfe soit en mesure de reprendre le voyage n'était plus une option viable, il fallait réagir d'une manière ou d'une autre. Sans parler du fait que le corps de la créature sur laquelle ils se tenaient s'enfonçait progressivement dans la vase...

A l'aide de sa corde magique, le rôdeur dúnadan permit au balafré aux cheveux blancs de franchir les sables mouvants jusqu'aux archers sagaths qui avaient pris position sur leur bord, côté cavalerie. Auréolé de la magie d'obscurité du cimeterre ténébreux, il était comme invisible, sauf à proximité des torches ou autres lumières. Et à l'aide de son arme magique, il fit bientôt le vide autour de lui. De son côté, Vif avait facilement bondi sur le bord du piège et elle s'attaquait à présent aux archers en hauteur, grimpant sans mal sur les rochers sur lesquels ils se tenaient. Ils ne pouvaient tenir longtemps contre elle, mais en revanche de nombreux loups vinrent compliquer sa tâche, la forçant à bouger sans cesse. Et avec le temps et l'aide de la corde magique, ses autres amis quittèrent leur refuge précaire pour rejoindre la terre ferme... et les ennuis.

2 - Nouvelle forteresse végétale
L'objectif était d'utiliser à nouveau les graines de roncier magiques données par Radagast, afin d'établir pour eux une nouvelle forteresse facile en défendre. Ainsi, la guerrière elfe pourrait se remettre de sa blessure mortelle sans pour autant mettre toute l'équipe en danger : une petite ouverture pouvait être tenue par un guerrier aguerri et bien équipé contre une armée presque infinie, et plusieurs aventuriers correspondant à ces critères étaient là qui pouvaient se relayer : Taurgil, Geralt, Vif, voire Drilun et sa magie, ou bien encore Mordin, mais de manière peut-être plus limitée. Seul Rob n'était pas taillé pour le combat de mêlée, et Isilmë n'était ni en état ni assez bien équipée. Le seul véritable facteur limitant était l'endurante physique ou psychique des combattants.

Mais si les ennemis n'avaient plus de sorcier pour compliquer le travail des aventuriers, ils avaient tout de même le nombre pour eux. Et ils n'étaient pas non plus complètement idiots, et arrivaient à renouveler leurs attaques pour essayer de trouver des modes d'agression efficaces contre les formidables combattants qu'ils devaient affronter. Ainsi, les nombreux loups présents ne pouvaient percer de leurs mâchoires des armures de mailles de mithril ou de peau de dragon enchantée, voire d'autres à l'origine encore plus exotique et en fait inconnue. Aussi cherchèrent-ils à agripper et faire chuter leurs adversaires sur deux pattes, ou à les noyer sous leur poids et le nombre, afin de pouvoir les immobiliser et avoir accès à leurs points faibles pour les blesser. Et les Sagaths, à défaut d'être assez compétents ou bien équipés, pouvaient tout de même user l'énergie du groupe petit à petit.

En-dehors du maître-assassin qui combattait en solitaire du côté de la cavalerie sagath, les autres combattants valides du groupe firent appel à un moment ou l'autre à tous leurs talents pour faire de la place sur un sommet d'où les archers les bombardaient de projectiles. Les rochers furent bientôt noirs du sang ennemi et couverts de membres et cadavres déchirés, transpercés, brûlés ou découpés. Ceux de Sagaths d'abord, mais très rapidement les loups prirent leur place, en particulier autour de la lionne enchantée, leur ennemie jurée. A tel point qu'elle était obligée de courir sans cesse dans les rochers pour éviter d'être noyée sous le nombre. Elle était en effet plus agile qu'eux dans un pareil environnement, et elle ne craignait donc rien. Mais ils étaient encore très nombreux et endurants, et avec le temps la fatigue se faisait sentir dans ses membres.

De son côté, le rôdeur dúnadan utilisait son épée magique pour accroître sa magie royale et devenir invulnérable - ou presque - face à ses ennemis. L'archer-magicien en faisait autant avec sa magie, capable de dévier projectiles et coups, ce qui lui permettait de prendre le bâton magique de lumière et d'économiser ses flèches, quand il n'était pas en train d'enflammer les fourrures des loups pour les blesser et les repousser. A l'occasion, le marchand et meneur nain utilisa aussi sa hache magique pour découper les ennemis en rondelles. Et le petit voleur hobbit récupérait les flèches de ses adversaires, qui utilisaient des arcs courts comme lui, pour larder sans interruption loups et Sagaths avec ses traits précis. Tous étaient très endurants, et à court terme ils ne craignaient pas de faiblir, même s'ils ne se voyaient pas tenir tout le reste de la nuit comme cela.

Enfin, après de nombreux combats et petites péripéties, le sommet sur lequel ils se tenaient fut dégagé d'ennemis à quatre ou deux pattes, les graines furent semées et la forteresse végétale fut érigée. Elle avait la forme d'une pièce circulaire avec une entrée étroite et elle-même protégée des projectiles par d'autres ronces à courte distance. Ils purent ensuite s'y réfugier, pour certains, et surtout y amener Isilmë pour veiller sur elle et lui procurer davantage de soins. Car tout cela avait pris du temps et nécessité des efforts, et son état ne s'était pas amélioré. Elle était encore consciente et capable de quelques efforts, mais sa faiblesse était telle que ses capacités étaient assez limitées.

3 - Un Sagath ne sachant pas parler
De son côté, le maître-assassin progressait en direction de voix et de lumières qui lui semblaient provenir des chefs de la cavalerie ennemie. Son objectif était simple : supprimer le plus possible de Sagaths d'élite, les dirigeants restants de l'expédition, et en particulier du ou des individus qui devaient dominer les autres. Une fois ces individus éliminés, les Sagaths, naturellement guerroyeurs y compris dans leurs propres rangs, ne seraient plus une vraie menace. Et le combat contre l'armée nordique bien organisée en serait grandement facilité. Peut-être même qu'une partie des ennemis, privés de chefs, seraient poussés à déserter... Le moral des Sagaths serait fortement affecté et la bataille finale ne serait qu'une formalité. Et bien moins meurtrière en termes de vies nordiques.

Malheureusement pour lui, le fanatisme des Sagaths ne l'aidait pas dans sa tâche. L'aura de magie qui accentuait l'obscurité autour de lui, au milieu de la brume faiblement éclairée par des torches proches, apparaissait de manière assez visible aux archers sagaths. Du coup, ils criblaient de flèches la zone en question, sans se soucier d'alliés ou ennemis. Geralt était trop bien équipé pour craindre grand-chose : il lui suffisait de se protéger les yeux et le visage et de brosser régulièrement son armure des flèches qui s'y plantaient. Mais ceux qu'il approchait - ennemis et chevaux de même - étaient abattus, poussant les autres à s'écarter, et le vide se fit vite autour de lui. En face, il vit un groupe de guerriers d'élite se préparer à lancer une attaque contre lui. Or son armure ne le protégerait pas complètement d'une pareille charge de cavalerie, et notamment du piétinement des chevaux.

Son métier d'assassin et son expérience d'aventurier lui avaient aussi enseigné les bienfaits de la tromperie et la discrétion. Il se laissa alors tomber au milieu des cadavres et fit le mort, tout en annulant la magie du cimeterre qui l'entourait de ténèbres plus profondes. Les Sagaths s'arrêtèrent de tirer, cherchant en vain où leur ennemi était passé, tandis que ce dernier prenait discrètement aux cadavres quelques affaires pour passer pour l'un d'eux. Progressivement, un Sagath blessé se mit debout, comme quelques autres d'ailleurs, et tenta en titubant de rejoindre les blessés sans chevaux sur les bords de la petite vallée, tout en laissant le centre aux chefs pour qu'ils puissent lancer leur charge. Chefs qui n'en firent rien vu l'absence de cible clairement identifiée.

Mais si le déguisement du maître-assassin était très bon, surtout dans cette profonde obscurité doublée de brume épaisse juste entrecoupée par la lumière des torches pas toutes proches, ses connaissances de la langue étaient très limitées, pour ne pas dire nulles. Le premier cavalier sagath qui s'adressa à lui avec agressivité en perdit vite la tête, faute d'une meilleure réponse à apporter. D'autres Sagaths s'en mêlèrent et le pot-aux-roses fut bientôt découvert. Sans même comprendre le logathig que parlaient les Sagaths, il était clair pour Geralt que sa supercherie était dénoncée, et il dut bien vite éperonner le cheval qu'il venait de voler à son défunt cavalier pour prendre la poudre d'escampette. Il aurait bien voulu utiliser son arc pour abattre un maximum de guerriers d'élite, mais il dut se rendre à l'évidence : la charge serait bientôt sur lui et ses affaires risquaient de vite sentir le roussi.

Il lui fallut donc fuir en direction de la zone de contact entre les sables mouvants, à présent désertés, et l'éperon rocheux sur lequel ses amis s'étaient réfugiés. Cavalier émérite, il fit bondir son cheval par-dessus les rochers les plus bas, laissant un obstacle presque infranchissable à ses poursuivants derrière lui. L'un d'eux tenta bien la même manœuvre, mais avec moins de succès, et sa monture se brisa les pattes et il finit par terre. Les autres cavaliers furent obligés de mettre pied à terre pour commencer à escalader les rochers, perdant l'avantage de leur monture et de leur élan. Cela étant, le balafré aux cheveux blancs avait déjà largement de quoi faire, car il était arrivé au milieu d'une nuée de loups qui n'étaient pas tous en train de combattre ses amis et en particulier la lionne. Il se fit vite sauter dessus de tous les côtés, et Vif dut dévier un peu sa course erratique dans les rochers, poursuivie par des hordes de canidés sauvages, pour aller lui prêter main-forte et lui permettre de monter auprès de ses amis.

4 - Soins, fouille et magie noire
Tandis que les combats s'intensifiaient autour de la forteresse de ronces enchantées, à l'intérieur, tout était relativement calme. Tout au plus Mordin dut-il couvrir de son bouclier le petit hobbit qui préparait de l'infusion d'athelas pour Taurgil. En effet, faute de pouvoir les atteindre par des flèches désormais, les Sagaths ne se privaient pas de leur envoyer des pierres par-dessus le mur de ronces. Et la faiblesse de l'elfe était telle qu'il fallait la soigner un peu plus qu'avec le seul don-de-vipère pour lui permettre de suivre ses amis qui ne tenaient pas à rester là plus que nécessaire. Après un moment, le Dúnadan remplaça le hobbit au foyer afin de terminer la préparation. Il utilisa alors sa magie et ses mains de roi guérisseur - héritier de roi en fait - pour améliorer l'état d'Isilmë voire soigner quelques petits bobos reçus par ses amis.

Lequel héritier des rois du Rhudaur avait aussi fait une petite excursion au niveau des sables mouvants. En effet, deux sorciers avaient été récemment abattus. L'un d'eux avait subi l'ablation de divers organes vitaux grâce à la patte de Vif, puis avait été ramené sur la créature ensablée quand le groupe l'occupait encore, où il avait été fouillé. En plus d'un anneau magique ressemblant furieusement à ceux d'autres sorciers précédemment rencontrés, et manifestement magique et actif, diverses affaires avaient été récupérées sur lui, comme une arme, une bourse à herbes un peu malmenée et une bourse avec entre autres un peu d'or. Lorsque la lionne était partie s'occuper d'autre chose, elle avait laissé le corps choir dans l'eau, anneau compris. En souhaitant bien du plaisir à qui voudrait le récupérer, d'autant que la magie qui avait fait apparaître les sables mouvants n'était sans doute pas éternelle.

Mais un autre sorcier avait précédemment été abattu : l'homme (ou était-ce une femme ?) qui montait la féroce créature volante abattue par le hobbit et la lionne. Il avait plongé dans les sables mouvants à la suite de sa monstrueuse monture et s'y était probablement noyé, car personne n'avait plus entendu parler de lui. Mais qui savait s'il ne portait pas des équipements ou informations intéressantes ? Aussi le Dúnadan avait-il profité d'une occasion ou l'autre, après l'établissement de leur abri de ronces magiques, pour aller à la pêche au sorcier à l'aide de sa corde magique. A la manière d'une canne d'aveugle, il avait sondé les fonds du lac de vase jusqu'à trouver le corps qu'il recherchait - c'était bien celui d'un homme. Puis il l'avait ramené jusqu'à leur abri, malgré les ennemis intimidés ou gênés par sa magie, pour une fouille minutieuse.

Laquelle fouille n'avait rien apporté d'extraordinaire : une dague, un vêtement de cuir sombre léger, épais et résistant, une bourse à herbes quelque peu trempée et dont le contenu - de probables poisons - était en grande partie inutilisable, et une bourse contenant un peu d'or et deux clés dont ils ne trouveraient sans doute jamais les serrures. Et encore un anneau, que les plus perceptifs de l'équipe ne pouvaient ignorer : il était porteur d'une manifeste magie, et même d'une forte volonté maléfique, comme si un puissant sorcier était en train de contacter le défunt possesseur de l'anneau ou d'essayer de percevoir les environs pour un prochain lancement de quelque ténébreux sortilège. Lorsqu'il fut au courant de la chose, Geralt, alors revenu de son expédition parmi la cavalerie sagath, sortit son cimeterre ténébreux - et magique - pour briser l'anneau du sorcier, comme il l'avait déjà fait par le passé.

Il frappa l'anneau qui fut instantanément brisé. Mais autre chose se passa : la magie active au sein de l'anneau se propagea au ténébreux cimeterre magique du maître-assassin. Cimeterre qui explosa en mille morceaux ! L'Eriadorien était légèrement à l'écart et lui seul fut touché. Si son armure arrêta l'essentiel des débris, en revanche son visage fut lardé de bouts de métal. Il n'y perdit pas les yeux, mais le nez, les joues, la bouche et le menton étaient en sang. Méprisant les conséquences que cela aurait sur lui, il réclama à Isilmë à présent en meilleure forme qu'elle lui enduise le visage de baume orc cicatrisant. Ce qu'elle fit, non sans hésitation : les cicatrices provoquées par l'onguent étaient douloureuses et surtout elles laissaient de terribles traces. Geralt était déjà balafré, mais là il serait complètement défiguré et ne serait sans doute pas beau à regarder. Mais l'intéressé répondit que cela l'aiderait à intimider ses adversaires, et il saurait toujours se refaire une beauté, lorsque nécessaire, avec une bonne trousse de maquillage. Et ainsi fut-il fait selon ses désirs...

5 - Départ et retour
Au bout d'un moment, il semblait que tous étaient prêts pour revenir auprès des nordiques. Les blessés étaient en grande partis guéris, les guerriers étaient fatigués de combattre, et même les rangs des ennemis s'amenuisaient. Les cadavres d'au moins deux cents loups jonchaient les rochers ou le sol du chemin qu'ils avaient emprunté, qui montait dans les contreforts des Montagnes Grises. Sans parler de nombreux Sagaths, dont une vingtaine de guerriers d'élite. Les archers ou lanceurs de pierre restaient à présent à bonne distance, tandis que les cavaliers s'étaient éloignés et restaient du côté du convoi, qu'ils protégeaient toujours. Les loups restants, de l'autre côté des sables mouvants, n'étaient plus que quelques dizaines, et assez échaudés par la férocité qu'ils avaient rencontrée. Les aventuriers ne savaient d'ailleurs plus vraiment ce qui les motivait : il ne semblait plus y avoir de wargs pour les commander, ils devaient être partis combattre les nordiques, et les sorciers avaient tous disparu... Restait tout de même leur haine pour la lionne magique : ils se concentraient presque exclusivement sur elle, ce dont elle avait profité pour soulager ses amis lorsque c'était nécessaire.

Drilun utilisa sa magie pour percevoir au loin les sons apportés par le sol et les interpréter. Il ne put que constater ce que Geralt ou Vif percevaient plus naturellement : une armée d'orientaux plutôt en retrait, pas vraiment motivée par une poursuite des hostilités à leur égard, dans cette nuit brumeuse ; et des loups en petit nombre, et probablement incapables de constituer une menace sérieuse désormais. C'était donc sans doute le moment idéal pour vider les lieux. Un dernier son grave et puissant attira néanmoins son attention, qui provenait du haut du chemin, plus loin en amont. Manifestement, la dragonne du nom de Haurnfile était encore vivante, et active : elle semblait creuser quelque chose au niveau du chemin. Était-elle en train de s'enterrer pour se soigner ?

Après un rapide débat, les aventuriers prirent leurs cliques et leur claques et ils quittèrent leur abri enchanté. Les rochers étaient tellement couverts de sang et de cadavres que la lionne dut aider plusieurs de ses amis pour éviter une mauvaise chute. Il y eut peut-être encore quelques flèches envoyées, depuis l'autre éperon rocheux, mais sans grande conséquence car il était difficile de les percevoir dans la nuit brumeuse : seuls les hurlements des loups autour d'eux - manifestement adressés à Vif et sa féline odeur qui leur était insupportable - devaient trahir leur déplacement, et les canidés eux-mêmes ne s'approchaient guère mais préféraient rester à une petite distance en arrière.

Ils commencèrent donc à monter la pente boueuse des pluies récentes et du passage des chevaux de l'armée nordique, sans être plus inquiétés que cela. Leur fatigue et leurs petites blessures restantes étaient des fardeaux déjà bien assez lourds, d'autant qu'ils avaient du chemin à faire, et en montant encore : peut-être huit miles (~ 13 km) avant de retrouver l'armée nordique. Pour sûr, ils avaient laissé deux chevaux en chemin. Mais si une armée de loups et de wargs était passée en sens inverse pour attaquer l'armée nordique, pouvoir récupérer les montures paraissait un pari plutôt hasardeux, sur lequel peu d'entre eux auraient été prêts à mettre de l'argent !

Et puis, alors qu'ils montaient, Vif entendit de manière de plus en plus distincte les efforts de terrassier de la dragonne. Manifestement, elle creusait et transportait quelque chose sur le chemin, au-dessus d'eux, comme si elle avait dressé une barrière dans la grosse demi-heure depuis qu'ils l'avaient quittée. Elle entendait aussi sa respiration laborieuse, comme celle d'un gigantesque animal gravement blessé. Que pouvait-elle être en train de faire ? Mais la créature avait dû les percevoir à son tour, malgré ses travaux et ses blessures, car la lionne l'entendit s'arrêter. Elle s'éloigna même un peu... avant de foncer en avant dans leur direction. Elle percuta de tout son corps le monticule de terre et de rochers qu'elle avait patiemment érigé à leur attention, distant d'une portée de flèche d'eux. Le choc mit les rochers et la terre en mouvement, produisant une petite avalanche qui avala le chemin en direction du groupe.

6 - Avalanche
Si la lionne fut la première à percevoir ce qui se passait, le Dunéen comprit très vite la nature du danger. Tandis que Vif prenait une jambe du hobbit dans sa gueule puissante et fonçait vers les bords relevés du chemin où ils se trouvaient, l'archer-magicien dressait autour de lui une protection magique pour le protéger des coups. Mais cela suffirait-il face à une avalanche ? En tout cas, il ne perdit pas beaucoup de temps sur ses amis qui avaient vite saisi l'inconfort de leur position et qui tentaient de courir comme jamais avant d'être broyés et ensevelis. Il avait tout de même pris un certain retard pour lancer son sortilège, et il se demanda si sa magie serait suffisante pour compenser ce retard, qui sinon risquait de devenir définitif. Car la boue et les rochers qui apparurent vite dans la brume avaient manifestement un pouvoir destructeur qui donna des ailes aux chevilles des aventuriers !

Le féline Femme des Bois, de par la puissance de ses pattes rapides et musclées, fut bientôt en dehors de la zone de danger. Elle put déposer le petit voleur qui avait tout juste pu s'agripper à son cou pour rendre le court voyage un peu moins inconfortable. Malgré la brume, ils purent plus ou moins distinguer quelques-uns de leurs amis. Geralt, toujours très rapide, parmi les premiers, mais aussi Mordin juste devant lui. C'était toujours une merveille de voir ce grand nain courir aussi vite : où avait-il acquis une telle aisance dans ses courtes jambes ? Son métier de marchand et meneur de troupes naines l'avait certes préparé à marcher beaucoup, mais courir comme cela ? Et en plus ce n'était pas vraiment un fuyard, et même le contraire... Mais peut-être sa vie antérieure, avant qu'il ne rejoigne le groupe, recelait-elle quelques succulents secrets ?

Dans tous les cas, si le nain et l'Eriadorien défiguré ne purent pas éviter toute l'avalanche, ils ne furent inquiétés que par de petites pierres qui les heurtèrent sans grand mal, grâce à leurs armures de qualité. Ils s'en sortiraient avec quelques bleus bien vite ignorés. On ne pouvait en dire autant des trois autres amis, qui n'arrivèrent pas à sortir assez vite de la brume et du chemin encaissé parcouru par l'avalanche. L'oreille de Vif arriva néanmoins à repérer leur position au moment où ils furent emportés. Sur les derniers instants ils avaient donné un fameux coup de collier, en particulier Isilmë et Drilun, mais cela n'avait pas été suffisant. Heureusement ils avaient évité le gros de l'avalanche et n'avaient pas été emportés trop loin, car elle arrivait à percevoir deux d'entre eux au moins.

Les quatre aventuriers qui n'avaient pas été ensevelis se portèrent vite à la rescousse de leurs amis en partie enterrés. Dúnadan et Dunéen ne s'en étaient pas trop mal sortis, protégés par leurs magie et armures. La guerrière elfe, en revanche, avait subi l'attaque de plus gros rochers et elle avait été emportée un peu plus loin. Tous étaient encore conscients, mais Isilmë ne pourrait peut-être pas respirer bien longtemps. Heureusement, entre leur force, leurs talents de contorsionniste et l'aide de leurs amis, ils purent bientôt être dégagés, avant même de commencer à manquer d'air. L'avalanche avait aussi eu un à-côté très positif : plusieurs loups qui les suivaient d'un peu trop près avaient été complètement ensevelis, et ceux qui avaient survécu se désintéressaient à présent totalement d'eux et s'éloignaient.

Les côtes cassées de la guerrière elfe furent bandées et de nouveaux soins magiques furent faits. Décidément, suivre Drilun, son amour, était loin d'être un fleuve tranquille, et elle se demandait parfois si elle n'était pas un boulet pour lui et ses amis... De son côté, Vif ne percevait plus aucun son de la part de Haurnfile. Manifestement, le dernier effort de la dragonne lui avait été fatal : elle s'était tuée pour tenter de leur nuire, si grande était sa haine à leur égard, et en particulier Geralt qui l'avait maintes fois moquée. La nouvelle fit bondir le nain : non seulement il n'avait pu donner le coup de grâce à cet ancestral ennemi de son peuple, mais en plus il ne pourrait plus mettre la main sur son trésor ! Il maudit une nouvelle fois le monstre pour ne pas avoir attendu le bon moment pour mourir...

7 - Nouvelles des nordiques
Malgré le passage de l'avalanche, la route put être reprise sans plus aucune mauvaise surprise cette fois-ci. A l'endroit où les chevaux avaient été laissées, plus aucune monture n'était présente, mais ce n'était pas vraiment une surprise. Il fallut donc trois bonnes heures de marche pour rejoindre le camp nordique, sans compter, en chemin, un petit combat avec des wargs montés qui allaient dans l'autre sens. Manifestement, l'armée nordique avait bien été attaquée, et manifestement, ça ne s'était pas si bien passé que ça pour les attaquants, sinon les gros loups et leurs cavaliers orcs seraient en train de festoyer. Voyant ce petit groupe de sept personnes (en comptant Vif), alors qu'eux étaient une vingtaine et peu blessés, ils eurent la mauvaise idée - fatale pour une partie d'entre eux - de réajuster les compteurs en leur faveur...

Enfin, alors que la nuit tirait à sa fin, le petit col où l'armée nordique s'était installée fut atteint. Des traces de combat étaient manifestes, avec nombre de cadavres d'orcs et de loups, et plutôt récentes puisque tous les guerriers étaient debout et que le nettoyage n'avait pas encore été terminé. Les aventuriers furent bien accueillis et vite amenés à une tente où les chefs nordiques conversaient. Des informations furent échangées, qui permirent à Taurgil et ses amis d'apprendre qu'une centaine de guerriers nordiques avaient été gravement blessés voire pire, contre au moins un millier de morts chez l'ennemi. Les nordiques comptaient encore à peu près mille quatre cents hommes valides, et les Sagaths autour du double, même si la forte diminution de leurs élites n'était pas à négliger.

L'action des aventuriers fut saluée, sans parler de leurs manifestes épreuves, comme le visage de Geralt l'attestait. Mais elle entraîna de sombres réflexions de la part de Bronwyn en particulier : si effectivement les Sagaths étaient livrés à eux-mêmes, sans aucun sorcier pour les diriger mais seulement une élite fanatique, ils risquaient de radicaliser leur action. Les sorciers tenaient avant tout à ce que le convoi arrivât en Angmar, mais les Sagaths ? Ils préféreraient sans doute la mort et la destruction - leur mort (en emportant un maximum d'ennemis avec eux) et la destruction du convoi - plutôt que la fuite, la honte de la défaite et la prise du convoi par leurs ennemis.

Après réflexion, tous se rangèrent à cette idée : sans aucun doute les Sagaths tenteraient un baroud d'honneur en journée, pour franchir le col et abattre leurs ennemis nordiques. Mais les charriots et les chevaux non montés ne pourraient suivre, ils gêneraient les guerriers. Pratiquement tout le monde à la table était prêt à parier que les hommes qui seraient laissés en arrière - et les Sagaths disposaient de jeunes peu aptes au combat à qui ce rôle collerait bien - auraient des consignes pour détruire tous les chariots et tuer tous les chevaux qu'ils pourraient si la bataille tournait mal. S'ils arrivaient à mettre ce plan à exécution, même s'ils étaient vaincus, d'une certaine manière les Sagaths - et surtout leurs maîtres - auraient en partie gagné : les nordiques auraient été fortement affaiblis sans rien gagner en échange. Et Taurgil et ses amis n'auraient plus espoir de ramener beaucoup de chevaux en Arthedain...

Et donc, à peine les aventuriers revenus, il devenait clair qu'un appel du pied leur était lancé pour les voir repartir immédiatement. Les nordiques avaient une position avantageuse et un meilleur équipement ; sans loups, orcs ou sorcellerie pour leur apporter de nouveaux atouts, les Sagaths n'avaient pas une chance de l'emporter. La question serait surtout de minimiser les pertes en vies humaines ou chevalines. En revanche, comment s'assurer que le butin serait toujours là, sauf en comptant sur les aventuriers pour déjouer les plans de l'ennemi ? Dans l'idéal, Taurgil et ses amis devaient reprendre la route tout de suite pour être au plus tôt auprès du convoi, tout en évitant l'armée orientale qui prendrait sans doute le chemin dès le matin. Matin qui n'était plus très loin, ce qui signifiait repartir sans même prendre de repos. Les aventuriers s'en sentaient-ils le courage ?

8 - Séparation et mauvaise blessure
Ce n'était pas le cas de la lionne, dont l'endurance avait ses limites. Elle alla de ce pas se mettre en boule dans un coin pour dormir, après avoir demandé à quelqu'un de lui préparer du marchand de sable pour avoir un sommeil bref mais récupérateur. Les deux heures de repos que cela lui apporterait en vaudraient huit, et elle pourrait tout à fait voyager ensuite et retrouver sur place ses amis partis avant elle - ce qu'elle leur annonça avant de s'isoler. Sans surprise, Geralt décida d'en faire autant, de même que Rob, après le refus des elfes de les emmener sur place, drogués pour pouvoir dormir, sur des chevaux. Les autres acceptèrent de partir sur-le-champ, après avoir récupéré des montures. Les trois absents se débrouilleraient pour retrouver les quatre partis en avance. Dans la mesure où maître-assassin et lionne enchantée étaient les plus perceptifs du groupe, et le hobbit était loin d'être ridicule, cela ne venait à l'esprit de personne que cela pût leur poser une quelconque difficulté.

Taurgil, Mordin, Drilun et Isilmë se mirent donc en route après avoir trouvé des montures. Ils prirent le chemin, à présent dégagé de la brume, tandis que le ciel s'éclaircissait légèrement vers l'est, même s'il était difficile de s'en apercevoir en raison des nuages d'altitude. Ils comptaient aller le plus loin possible avant d'abandonner les chevaux et de prendre des chemins détournés et discrets, car la cavalerie ennemie emprunterait tôt ou tard la même voie, et le relief escarpé de chaque côté de la route n'était pas vraiment praticable pour leurs montures. Le trèfle de lune qu'ils avaient pris en début de nuit ne faisait plus guère effet, aussi le Dunéen utilisa-t-il sa magie pour créer une douce lumière autour d'eux, comme un paysage fantomatique qui diminuait quelque peu l'obscurité aux alentours.

Mais cette lumière devait aussi les rendre plus visibles aux yeux d'éventuels guetteurs. Isilmë, dont les sens elfiques lui permettaient de voir à une plus grande distance, crut percevoir quelque chose à un angle de la route auquel ils allaient bientôt parvenir. Soupçonnant des guetteurs en embuscade, ils approchèrent un peu, puis Taurgil mit pied à terre avant de s'avancer au milieu de la voie, seul et protégé par sa magie. Mordin le suivit à courte distance, sur le côté, en restant caché à la vue d'éventuels guetteurs grâce aux rochers qu'il longeait. Plus en arrière, la guerrière elfe avait mis pied à terre, bandé son arc et encoché une flèche, tandis que l'archer-magicien faisait de même tout en restant sur sa monture. Comme prévu, une vingtaine de cavaliers sagaths sortirent de derrière le tournant dans le chemin pour charger Taurgil et ses trois amis.

Nullement pris au dépourvu, le rôdeur esquiva facilement les lances ou les chevaux, blessant au passage l'un des cavaliers. Mordin se rapprocha peu après par le côté et découpa à l'aide de sa hache le flanc d'un cheval qui passait devant lui, envoyant la bête et son cavalier - bientôt achevé - au tapis. Plus loin, l'elfe abattit un premier cavalier avant de subir les premières attaques sur sa personne. Elle vit au dernier moment que la lance du premier cavalier allait bel et bien l'embrocher comme un lapin, et elle se jeta sur le côté pour l'éviter. La lance l'épargna, mais pas le cheval qui la bouscula et l'envoya à terre, où elle offrit une cible facile pour le Sagath qui venait derrière. Sa lance traversa l'armure et le corps de l'elfe, qui, déjà blessée, s'effondra et ne bougea plus. Après avoir abattu un cavalier d'une flèche, Drilun, très inquiet pour l'elfe qui occupait une place importante dans son cœur (même s'il maudissait l'imprudence dont elle avait fait preuve), amena son cheval à côté du corps de l'elfe à terre, immobile, pour tenter de le protéger.

Si les Sagaths étaient ravis de ce début de leur attaque, la suite ne fut pas vraiment du même tonneau. Les trois aventuriers restants esquivèrent les coups et les rendirent largement, mettant à terre cavalier après cavalier. Les survivants comprirent bien assez tôt qu'ils feraient mieux de rebrousser chemin et rejoindre deux guetteurs plus éloignés qui attendaient pour éventuellement aller chercher de l'aide ou au moins faire part à l'armée de ce qui s'était passé. Ce qu'ils firent donc, profitant de ce que le corps de l'elfe accaparait l'attention de leurs adversaires qui n'avaient pas le cœur à les poursuivre et les abattre tous. Les cavaliers sagaths s'éloignèrent donc dans la nuit, vers l'est et leur campement, tandis que trois personnes se penchaient sur le corps d'Isilmë.

Il était vite apparu qu'elle était encore vivante, mais sa blessure saignait beaucoup et son état allait vite empirer. Il fallut retirer l'armure trouée et la déshabiller pour permettre d'enduire la blessure de baume orc cicatrisant. Ceci fait, il restait à bander la plaie et utiliser la magie dont Taurgil était capable, augmentée par la larme de Yavanna qu'il portait, afin d'améliorer le plus possible l'état de l'elfe mal en point. Restait que tout cela prendrait du temps et qu'elle ne serait pas sur pied avant un moment. A tout le moins, elle reprit progressivement conscience, et les questions affluèrent : combien de temps disposaient-ils avant que d'autres Sagaths n'arrivassent, voire l'armée toute entière ? Comment mettre la guerrière en sûreté pour lui permettre de récupérer sans aggraver son état ? Pouvaient-ils encore mener leur mission à bien avec ce nouveau délai qui leur était imposé ? A nouveau, Isilmë eut le sentiment d'être un boulet pour ses amis. La nuit qui s'achevait ne figurerait certainement pas parmi ses bons souvenirs...
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Horselords - 51e partie : bluff d'enfer

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1 - Obstacles
Si l'état de santé d'Isilmë s'améliorait vite grâce aux magies et onguent cicatrisant qui furent appliqués, cela ne résolvait pas un problème qui ne devait rien à son état. En effet, même sans le retard pris et l'annonce de leur arrivée, l'armée adverse ne tarderait pas à prendre le chemin sur lequel ils se trouvaient, la Men Rhúnen ou "Route de l'Est". Il fallait donc le quitter tôt ou tard. Or le relief était montagneux et tourmenté, donc rejoindre le camp des Sagaths posait un réel problème. En effet, s'ils mettaient trop de temps, le combat pourrait être terminé - a priori en faveur des nordiques - avant même que les quatre amis fussent en vue de leur objectif ! Ce qui voulait dire qu'ils arriveraient peut-être trop tard pour éviter d'éventuelles représailles sur les marchandises du convoi et surtout sur les chevaux qui l'accompagnaient. Chevaux qui, s'ils manquaient à Angmar, manqueraient aussi à l'Arthedain. Et ils étaient venus pour eux.

Dès que l'état de l'elfe le permit, ils remontèrent en selle et s'apprêtèrent à reprendre leur chemin vers l'est. Mais auparavant, ils se dirent qu'un obstacle sur le chemin de l'armée ennemie leur laisserait un peu plus de temps. A l'aide des graines de ronciers magiques données par Radagast, ils érigèrent une barrière végétale infranchissable de trois pas de large sur toute la largeur du chemin, là où il était le plus étroit. Voilà qui ralentirait un certain temps l'armée, d'autant qu'il ne restait plus de sorciers pour brûler magiquement les ronces ou faire des tours de passe-passe similaires. Puis ils poursuivirent leur descente vers le convoi pour Angmar, avec précaution. Bientôt ils virent les signes d'une présence ennemie et ils surent qu'il fallait abandonner le chemin. Fallait-il aussi abandonner les montures et continuer à pied ?

En fin de compte, ils arrivèrent à trouver des passages en dehors du chemin, grâce entre autres à l'aide de la larme de Yavanna qui créait une remarquable harmonie entre son possesseur et le milieu naturel. Ils furent tout de même obligés de mettre pied à terre et les nombreux détours qu'il fallut prendre pour permettre aux chevaux d'avancer sans trop de risque les ralentirent beaucoup. Après un moment, alors qu'un jour couvert et humide pointait le bout de son nez, ils entendirent même, au-dessus d'eux, le déplacement de nombreux chevaux. Manifestement, l'armée ennemie n'avait pas perdu de temps et les premiers cavaliers avaient dû partir dès l'aube. D'un autre côté, ils ne devaient plus être trop loin du camp, même si les détours qu'ils faisaient et l'allure très réduite qu'ils avaient rendait leur progression extrêmement lente, sans parler de la fatigue...

Des volutes de fumée les guidèrent alors qu'ils approchaient. De loin, les plus perceptifs virent qu'il s'agissait de la forteresse végétale qu'ils avaient occupée pendant la nuit. Les Sagaths avaient dû y mettre le feu en la bourrant de combustible pour arriver à faire un bûcher pareil. Il s'avéra plus tard qu'ils avaient utilisé, entre autres, les nombreuses peaux des loups qu'ils avaient tués. Mais il y avait d'autres colonnes de fumée plus éloignées et bien plus petites qui devaient correspondre à l'emplacement du convoi. Elles étaient trop loin pour déterminer à quelle distance elles se trouvaient et ils repartirent. Il leur fallut faire encore un nouveau détour, d'autant que des guetteurs étaient visibles sur les hauteurs, sans parler de l'armée qui continuait à avancer et qui était loin d'avoir vu passer tous ses guerriers.

En fin de compte, en raison de la fatigue de certains et du côté peu discret des chevaux, ils firent un camp à l'écart. Isilmë s'endormit alors, gardée par Drilun qui veillait aussi sur leurs chevaux, tandis que Mordin et Taurgil partaient en reconnaissance, à pied, pour voir le convoi d'un peu plus près. Il leur avait fallu une bonne heure pour arriver là depuis qu'ils avaient quitté la route, et il fallut encore une heure aux deux amis pour se rapprocher assez du convoi. Ils se débrouillaient pour mettre toujours la végétation et le terrain entre eux et les guetteurs qu'ils percevaient de plus en plus près au fur et à mesure qu'ils s'approchaient d'eux. Car les Sagaths n'étaient pas tous partis en laissant les chariots et chevaux seuls derrière, mais ils avaient laissé certains d'entre eux. Et au vu de ce qu'ils voyaient, les deux aventuriers n'avaient guère de doute sur le fait que des consignes avaient été données pour détruire et tuer le maximum de marchandises et de chevaux en cas de pépin ou de mauvaise fortune du combat contre les nordiques.

2 - Voyage et réunion
A moins d'une dizaine de miles de là, plus en hauteur, l'armée nordique se préparait à recevoir l'assaut des cavaliers sagaths avec l'aide de leurs alliés : elfes, cavaliers dúnedain du Gondor, mercenaires (hommes de Rult)... et aventuriers. Trois d'entre eux finissaient leur courte nuit avec l'aide de marchand de sable, ce puissant somnifère qui permettait d'avoir un sommeil très récupérateur. Deux d'entre eux se réveillèrent peu après l'aube, à savoir Geralt et Vif. Ils n'avaient dormi que deux heures, mais ils se sentaient aussi bien que s'ils étaient restés dans les bras de Morphée toute une demi-journée. En revanche, Rob dormait encore et il ne semblait pas prêt de se réveiller. Pourtant il fallait partir rejoindre les amis sans tarder. Fallait-il le laisser là aux bons soins des nordiques ?

Avant cela, les elfes furent consultés, de même que la longue-vue de Geralt. Les rapaces que la magie des elfes avait appelés n'avaient rien vu du côté de la Forêt Sombre : pas de nouvelle monstruosité ailée venue de là et en particulier de Dol Guldur pour porter secours aux gens du convoi. Du côté du convoi, justement, les crebain et autres oiseaux charognards étaient en train de se déplacer, probablement en même temps que l'armée des cavaliers orientaux. Il ne fallait donc pas tarder à rejoindre les quatre aventuriers déjà partis. Mais que faire du hobbit ? Il ne servirait à rien de spécial au cours du combat au col, même si c'était un très bon archer. Alors que là-bas, près du convoi, sa taille et sa discrétion (entre autres talents) pourraient être davantage mises à contribution éventuellement...

Dès qu'il eut trouvé une monture, le maître-assassin demanda aux hommes de Rult d'attacher le hobbit au cheval comme un vulgaire sac de patates. Il repassa derrière pour l'arrimer encore mieux et éviter qu'il ne tombât en route, puis il fut parti avec la lionne enchantée. Ils descendirent très tôt du chemin dans le relief accidenté qui le bordait. La féline Femme des Bois n'en était pas beaucoup ralentie, mais elle sut trouver des passages que le cheval de son ami pourrait emprunter. Et comme lui-même était un excellent cavalier, il n'eut même pas besoin de descendre de cheval. Ils passèrent l'endroit où, plus haut, l'armée des orientaux était bloquée par des murs de ronces, et ils notèrent de loin ce que leurs amis avaient fait, et à quel point l'obstacle était efficace.

Un peu plus loin, la lionne trouva les traces de leurs amis, qui furent faciles à suivre. Lorsqu'ils arrivèrent à proximité du goulet où ils avaient livré bataille dans la nuit, ils constatèrent que les cavaliers n'étaient pas encore tous partis. Mais au son, il ne devait pas en rester beaucoup. Puis ils continuèrent jusqu'au camp de fortune établi par Taurgil et les autres. Vif, partie un peu en avance, se débrouilla pour se glisser discrètement à proximité du Dunéen qui veillait sur sa belle, mais pas assez bien pour la repérer, elle, dans cet environnement tourmenté et plein de cachettes. Heureusement, Drilun avait l'habitude des farces de son amie et il ne s'offusqua pas de l'entendre grogner près de lui sans s'annoncer...

Après quelques échanges pour mettre les nouveaux venus au courant des derniers événements, Vif et Geralt repartirent en direction du convoi de chariots et de chevaux non montés. Grâce aux traces qu'ils avaient laissées, ils purent trouver sans mal Taurgil et Mordin, qui n'avaient pas bougé mais attendaient précisément leurs amis. Discrets comme ils étaient, les guetteurs ennemis ne les virent pas plus que les autres et tous purent observer sous toutes les coutures le camp ennemi et les préparatifs qu'ils y faisaient. Avec l'aide de la longue-vue, Geralt vit de nombreux détails que les autres n'avaient pu remarquer. Certains comme la lionne se déplacèrent même à différents endroits pour mieux couvrir la scène et les positions des troupes restées sur place. Puis ils firent demi-tour et rejoignirent leur camp provisoire et les trois amis qu'ils avaient laissés là-bas, dont deux endormis.

3 - État des lieux
Le hobbit et l'elfe s'étaient réveillés et ils furent rapidement mis au courant des observations. Les chariots et chevaux non montés étaient installés dans un camp circulaire distant d'un demi-mile (~ 800 m) à un mile (~ 1,6 km) à l'est de l'endroit où ils avaient combattus dans la nuit. Il était constitué des nombreux chariots - autour de deux cents - disposés en cercle, et au milieu desquels les chevaux, peut-être deux ou trois mille, étaient parqués, serrés. L'espace entre les chariots - aucun n'était attelé - était largement suffisant pour que des chevaux puissent passer, mais il était en parti encombré par divers équipements tirés des chariots eux-mêmes.

Autour des véhicules s'affairaient de nombreux Sagaths, en général assez jeunes, qui sortaient certaines affaires à l'extérieur, où elles étaient triées. Geralt avait pu voir avec sa longue-vue que ce qui était non combustible comme la nourriture ou des outils métalliques était plutôt installé dans l'espace entre les chariots afin de bloquer le passage des chevaux. En revanche, les objets de cuir, de tissu ou de bois étaient remis à l'intérieur. Des petits feux étaient régulièrement disposés à proximité des chariots, et le maître-assassin avait pu distinguer aussi des torchères préparées à proximité, prêtes à être allumées pour mettre le feu aux véhicules, probablement.

A l'extérieur du cercle des chariots et des Sagaths qui s'y affairaient, d'autres jeunes Sagaths, montés et arborant fièrement des armes, tournaient en permanence dans le même sens. Ils surveillaient les environs et s'arrêtaient juste pour laisser passer çà et là d'autres jeunes partis ramener des branchages récoltés non loin du camp. Branchages qui étaient disposés sous les chariots le plus souvent. Il s'agissait de bois vert, qui n'aiderait pas beaucoup à démarrer un feu, mais avec de l'huile de lanterne cela pouvait changer les choses. Au final, Geralt estimait le nombre de jeunes Sagaths à peut-être cinq cents. Ils étaient faciles à repérer car mal équipés pour la guerre : leur seule armure était le plus souvent une veste de cuir souple.

Tout cela faisait énormément penser à la préparation d'un gigantesque incendie. Et comme les chevaux étaient serrés et que les Sagaths disposaient tous d'arcs, il serait facile de leur tirer dessus, même sans viser, et d'en tuer un grand nombre. De plus, même si les bêtes avaient l'idée d'essayer de fuir dans les ouvertures entres les chariots, elles ne pourraient le faire très rapidement vu les espaces limités. Cela, plus la peur liée aux flammes ou aux hennissements de douleur, garantissait une panique des bêtes assez facilement. Cette seule panique entraînerait sans doute des heurts et de nombreuses blessures comme des pattes cassées, fatales à terme pour les chevaux.

Ailleurs, donnant des ordres aux jeunes ou guettant les environs depuis des positions élevées, des Sagaths moins jeunes étaient présents. Ils étaient peut-être une centaine, certains fixes et d'autres toujours en mouvement. Il ne semblait pas y avoir de guerrier d'élite sur place, même si un chef manifeste se faisait entendre depuis un endroit à l'abri du regard. Après avoir longtemps guetté, l'homme en question apparut un bref moment. Vêtu de mailles et d'un meilleur équipement que les autres, il faisait manifestement partie de l'élite. Ces Sagaths adultes étaient à peu près tous, à des degrés divers, porteurs de blessures qui expliquaient sans doute le choix de les laisser en arrière. Et tout ce beau monde, fût-il jeune ou adulte expérimenté, à pied ou à cheval, fixe ou immobile, se parlait ou s'invectivait en permanence dans la langue des Sagaths, le logathig. Il était évident que l'ordre avait été donné d'échanger constamment dans une langue que leurs ennemis ne parlaient pas afin de pouvoir repérer d'éventuels faux Sagaths. Les maquillages passés de Geralt n'avaient pas été oubliés...

4 - Ralentissement et approche
La logique qui sous-tendait ces préparatifs était bien celle d'un fanatisme absolu : les Sagaths lançaient leur dernière carte, faite de destruction et de mort. Sans doute que dans leur esprit, mourir en combattant et en ne laissant que des cendres derrière eux était préférable à la fuite en laissant du butin aux ennemis ; fuite qui serait probablement synonyme d'une vie honteuse et contraire à leurs principes. Donc, d'un côté ils lançaient toutes leurs forces dans une attaque désespérée, de l'autre ils se préparaient à détruire l'intégralité du convoi. Avec sans doute la promesse d'un quelconque paradis après cela, dans la mesure où les dégâts effectués seraient assez importants. Et manifestement, ils avaient pris en compte les capacités dont les aventuriers avaient fait preuve par le passé...

A défaut de trouver une solution facile pour récupérer le plus de chevaux et de butin possible, il était déjà possible de gagner du temps en ralentissant l'armée. Aussi l'équipe fit-elle appel à une technique déjà éprouvée : un harnais fut installé sur la lionne pour permettre au hobbit de bien s'accrocher. Après avoir pris ce qu'il fallait de graines de ronciers magiques, le petit voleur s'installa sur son amie, non sans avoir laissé derrière lui une partie de son matériel pour ne pas trop l'alourdir et la fatiguer. Puis ils partirent à grande allure, toujours dans le terrain tourmenté que traversait la Men Rhúnen - la Route de l'Est dans la langue des hommes - dans ces premiers contreforts des Montagnes Grises. Leur objectif : dépasser l'armée adverse et trouver un site propice à bloquer encore le passage à l'aide d'un mur végétal magique.

La féline Femme des Bois, très à l'aise dans ce terrain accidenté, rattrapa bientôt l'armée, toujours bloquée derrière la première barrière végétale. En effet, les ronces créées par la magie de Radagast étaient difficiles à couper avec des épées, pour ne rien dire de l'inutilité des lances. Les cavaliers ennemis furent dépassés, puis la route fut reprise pour gagner du temps. A moins d'un mile du col et de l'armée nordique qui y était installée, Vif trouva un endroit où le chemin était étroit et où un obstacle était impossible à contourner facilement - et rapidement - par un côté. Rob sortit alors les graines de ses poches et la lionne et lui se transformèrent en semeurs. Après quelques minutes, le chemin était complètement bloqué par un mur de trois pas d'épaisseur de ronces magiques. Leur travail était accompli, ils pouvaient maintenant rejoindre leurs amis qui n'avaient pas dû les attendre pour s'approcher du convoi. Peut-être même avaient-ils déjà lancé une action ?

Mais si les cinq autres aventuriers avaient en effet progressé pour arriver à proximité des guetteurs du camp ennemi, non loin des chariots et chevaux, la suite des opérations restait à préciser. Néanmoins, après de multiples discussions, Drilun avait appelé à lui une pluie battante. Un brouillard épais risquait de rappeler de mauvais souvenirs aux Sagaths et peut-être de déclencher un ordre d'incendie. Tandis que la pluie était relativement naturelle avec le temps couvert, et elle rendrait tout départ de feu difficile. Au minimum elle réduirait considérablement l'incendie des chariots et l'impact du feu sur les chevaux. Et elle leur laisserait donc plus de temps pour intervenir. Et effectivement, les Sagaths eurent bien du mal à maintenir quelques rares feux allumés, sans doute à l'aide d'un peu d'huile, comme Geralt le confirma à une occasion.

Au-delà de ce premier point, restait à se débarrasser de tous ces fichus guerriers fanatiques sans risquer la vie des chevaux. Et là, les idées fusèrent mais toutes furent vite repoussées. Une attaque en catimini quelque part, à l'aide d'un maquillage, serait bien vite découverte, et le camp était trop grand pour espérer tuer rapidement tous les archers. Et même avec des vents violents, la densité des chevaux était telle que les dégâts seraient vite importants. Si Vif arrivait à se glisser parmi les chevaux et les poussait à fuir au-delà du cercle des chariots, ce serait vite la panique et cela ferait plus de mal que de bien. Un (faux) guerrier sagath blessé à la gorge, s'il avait une bonne excuse pour ne pas parler, ne comprendrait pas les ordres qui lui seraient donnés... Comment faire pour mettre hors d'état de nuire des centaines de cavaliers assez vite pour qu'ils ne puissent pas affoler ou tuer les chevaux, ou les inciter à changer leurs plans alors qu'on ne parlait pas leur langue ?

5 - Les envoyés du "Noir"
Ce problème de la langue était crucial, car dans les souvenirs hérités de Caran Carach, grâce aux bons soins de Tevildo, il était clair que l'influence de Dol Guldur sur les Sagaths se faisait grâce à des intermédiaires (assassin, sorciers ou rôdeurs noirs) qui parlaient le logathig. Le côté superstitieux de ces orientaux guerroyeurs avait ensuite été facile à pervertir en un culte à la gloire d'une entité maléfique appelée le "Noir", qui récompensait la destruction et la violence tellement présentes dans la culture des Sagaths. Ce qui amena petit à petit à une idée : si les aventuriers ne pouvaient pas se faire passer pour des Sagaths, pouvaient-ils se faire passer pour des alliés serviteurs du "Noir" ?

D'idée en idée, un plan commença à se former qui séduisit le groupe, même si Geralt répétait à l'envi que ça n'allait pas marcher, qu'ils allaient échouer, etc. Plusieurs aventuriers parlaient le noirparler, la langue de Dol Guldur et de l'élite des orcs, des rôdeurs noirs et des sorciers. De plus ils portaient, pour certains, les cuirs sombres pris à ces mêmes rôdeurs ou sorciers. Ils avaient donc déjà des facilités pour se faire passer pour ces serviteurs du "Noir" et alliés des Sagaths. Seul le problème de la langue restait, mais était-il possible de trouver une bonne raison de ne pas la parler, ainsi que des garanties à présenter pour prouver qu'ils étaient du même côté que les Sagaths ? Était-il possible de faire un tel coup de bluff sur les orientaux qui restaient ?

Les garanties pouvaient se trouver sous la forme des têtes coupées des aventuriers : l'ennemi de mon ennemi n'est-il pas mon ami ? En se présentant aux Sagaths avec des têtes coupées maquillées - éventuellement magiquement - pour ressembler aux leurs, quel meilleur moyen de tromper les Sagaths qui verraient ainsi les nouveaux venus en alliés voire sauveurs ? Et la barrière de la langue pouvait peut-être s'expliquer ainsi : avant la mort récente des derniers sorciers au sein des orientaux, de l'aide avait été réclamée au "Noir". Cette aide arrivait sous la forme de terribles guerriers qui parlaient avant tout la langue de l'élite, pas le logathig. Et il était facile d'inventer une histoire d'interprètes tués en chemin lors d'une confrontation avec des elfes ou autres ennemis des orientaux...

Le plan fut donc adopté. Vif et Rob étant trop reconnaissables sur un plan physique pour être maquillés, ils resteraient à l'écart. Les autres firent en sorte de coller le plus possible à l'image de serviteurs du "Noir" : armures de cuir noir uniquement (les cottes de mailles furent retirées), traces de combat récent (blessures éventuellement), attitude dominatrice et méprisante... Des têtes de Sagaths furent récupérées, maquillées pour ressembler à celles des aventuriers ; la lionne partit en chasse et ramena un cerf dont la tête servirait pour un enchantement de Drilun, afin de la faire ressembler à une grosse tête de félin... Bien sûr, les ennemis n'avaient pas tous vu leurs têtes de près, et en général pas dans les meilleures des conditions ; mais entre la tête de l'elfe et celle de la lionne, les Sagaths n'auraient pas grand effort à faire pour saisir à qui elles appartenaient.

Après quoi le groupe - moins le hobbit et la Femme des Bois - s'éloignèrent en catimini avec leurs chevaux de manière à arriver ensuite sur le lieu du camp ennemi depuis l'est et le sud. Ce qu'ils firent peu après, au petit galop, sans chercher à se cacher, comme des voyageurs qui savent parfaitement où ils vont et dont le convoi pour Angmar est la destination. Chacun d'eux avait une tête sanglante accrochée à la selle, comme preuve de récents exploits, et des traces de combat voire de blessures sur leur équipement ou leur corps. Ils furent vite repérés par les Sagaths qui donnèrent l'alerte et attendirent les nouveaux venus de pied ferme. C'est maintenant qu'il allait falloir être convaincants, même sans parler le logathig...

6 - Coup de bluff
Les jeunes Sagaths qui travaillaient autour du cercle de chariots ne se précipitèrent pas vers eux l'arme au poing, ce qui était une première chose. Mais ils avaient cessé leur travail, et, sans s'éloigner des véhicules dont ils avaient la charge, ils se rapprochaient de là d'où venaient les aventuriers, manifestement indécis ou même inquiets. Il est vrai que l'apparence donnée par les maquillages du maître-assassin leur conférait une aura de peur qui faisait manifestement son effet, ou en tout cas qui collait bien à ce que les adolescents orientaux devaient imaginer concernant les serviteurs du "Noir"... Visuellement, donc, tout collait bien.

Lorsqu'ils furent à portée d'arc ils ralentirent de manière à arriver au contact des Sagaths avec une attitude d'assurance dominatrice, méprisante même, mais pas ouvertement agressive. Les armes restèrent sagement rangées, comme si elles n'étaient pas nécessaires. Face à eux, les jeunes attendaient de voir comment allait réagir un guerrier plus âgé qui arrivait pour gérer les étrangers, mais Geralt pouvait déjà percevoir que les adolescents étaient favorablement impressionnés. Ils le furent encore plus quand le maître-assassin déguisé - qui avait laissé visibles voire accentué ses blessures au visage - envoya bouler une tête d'elfe devant lui, au sol. Elle s'arrêta au pied du chef sagath qui venait d'arriver et qui les avait invectivés dans sa langue, que l'Eriadorien ne comprenait pas.

Face aux questions dont ils ne percevaient le sens, les aventuriers - du moins les plus doués en théâtre ou en intimidation, tels Geralt ou Mordin - répondaient de manière agressive ou impatiente, comme des chefs qui apprécient peu de perdre leur temps. Mais ceux qui étaient perceptifs ne manquaient de percevoir l'enthousiasme grandissant de certains jeunes qui avaient manifestement identifié la tête coupée comme celle d'un ennemi. Dans la tentative d'établir un dialogue avec le chef, le maître-assassin essaya plusieurs langues autres que le logathig ; dont le fornen, sorte d'espéranto des langues nordiques parlées dans le Rhovanion, et que manifestement l'homme qui leur faisait face maîtrisait un peu car il lui répondit dans ce parler nordique.

Tandis que ses compagnons montraient des signes d'impatience, Geralt jouait son jeu de grand guerrier du "Noir" appelé à la rescousse par feu les sorciers du convoi. Il réclama de parler au chef dudit convoi ou au moins à un bon interprète, le sien ayant été tué lors d'un combat avec des elfes et autres ennemis des Sagaths. Son jeu d'acteur eut manifestement du succès, même si son interlocuteur restait quelque peu méfiant. Les cinq aventuriers ne furent pas inquiétés mais furent bientôt conduits au chef des Sagaths restés sur place, un guerrier d'élite en partie blessé. Avant même de lui adresser la parole, les aventuriers envoyèrent au pied de son cheval la tête de cerf magiquement transformée pour ressembler à celle de Vif, et l'homme ne put s'empêcher de sourire. L'hameçon semblait avoir pris...

Le guerrier d'élite comprenant le ouistrain, le dialogue fut un peu plus facile avec l'ensemble des aventuriers déguisés. Les Sagaths, fanatiques convaincus de suivre les préceptes de leur divinité maléfique, avalèrent sans mal l'idée d'avoir l'aide de fabuleux guerriers qui venaient leur prêter main-forte à point nommé. Les cris de joie commencèrent à fuser de toutes parts : les têtes rapportées étaient la preuve de la défaite de leurs ennemis, et avec des alliés tels que les cinq étrangers qui venaient d'arriver, les nordiques n'avaient qu'à bien se tenir ! Bientôt ils allaient sentir sur eux toute la force de leur dieu et ils seraient balayés. Le convoi pourrait arriver à son terme, les Sagaths tout auréolés de gloire, prêts à pourfendre les nouveaux ennemis qu'on leur avait promis...

Il restait encore à faire partir le plus de monde se faire tuer au loin. Taurgil fit mine de s'énerver de la lenteur des Sagaths encore présents ou du respect d'ordres qui n'avaient plus lieu d'être. Avec agressivité, il commanda au chef de rassembler sur-le-champ tous les hommes capables de monter en selle et de partir immédiatement au combat. Il allait lui-même mener l'attaque contre l'armée nordique qui serait balayée avant la fin de la matinée. Avec enthousiasme, le guerrier d'élite donna de nouveaux ordres et presque tous les Sagaths restants suivirent avec ardeur le Dúnadan déguisé, en particulier les jeunes : ils allaient enfin participer à une vraie bataille et pouvoir prouver leur valeur guerrière, et aux côtés d'un envoyé du "Noir" par-dessus le marché ! Comment ne pas être fou de joie et vouloir rester en arrière ?

7 - Remise en état et nettoyage
De fait, très peu de Sagaths restèrent en arrière. Certains ne partirent pas car ils manquaient de force, et d'autres tout simplement... parce que Geralt leur avait ordonné ! Le grand flemmard avait en effet fait comprendre, parfois en fornen, qu'il fallait remettre les chariots en état de marche au plus vite. Pour les Sagaths, il s'agissait de pouvoir repartir bientôt, une fois l'armée nordique balayée ; pour les aventuriers, il s'agissait plutôt de désamorcer le piège dans lequel se trouvaient les chevaux et faire en sorte d'occuper les ennemis le plus possible. Ils seraient alors d'autant plus faciles à mettre hors d'état de nuire.

Taurgil partit donc avec plus des neuf dixièmes des Sagaths restants, tandis que ses amis restaient tous derrière pour harasser les derniers et les épuiser à la tâche. Il en restait peut-être une cinquantaine, dont quelques guetteurs, et ce n'étaient pas les mieux en point. Les jeunes furent vite rudoyés - comme ils s'attendaient sans doute à l'être venant de guerriers si supérieurs à eux - et ils commencèrent à évacuer les affaires et les premiers chariots. Mais à une certaine distance, Vif s'approcha avec Rob des quelques guetteurs encore présents à l'endroit où les sables mouvants étaient apparus, la nuit. Avant de la quitter, Drilun avait pris soin de lui donner magiquement l'apparence d'un grand cerf, mais elle n'en était pas moins difficile à repérer pour autant. Une sentinelle se dressait sur chaque éperon rocheux qui bordait la zone étroite dont le sol était redevenu solide, tandis que trois autres patrouillaient cette même zone, en bas.

La lionne magique fit comprendre au petit archer ce qu'elle attendait de lui, et il prépara son arc, visant soigneusement. Discrète et aidée par la pluie toujours battante, la féline Femme des Bois s'approcha sans se faire voir du guetteur en haut des rochers où elle se trouvait. Sans même utiliser ses griffes, elle projeta l'homme déjà blessé d'un puissant coup de patte sur des rochers plus bas, simulant une chute accidentelle quoique bien brutale. Sur l'éperon rocheux qui leur faisait face, l'autre guetteur vit une flèche s'enfoncer dans sa poitrine et il tomba à terre. Puis la lionne descendit à la rencontre des trois guetteurs au sol qui s'approchaient du Sagath qu'elle venait de faire tomber. Il y eut bientôt trois morts de plus, même s'ils eurent le temps de prévenir leurs congénères de cette attaque surprise...

Blessés et fatigués, les Sagaths restants furent néanmoins poussés par les serviteurs du "Noir" récemment arrivés à prendre les armes et à aller affronter ce grand cerf qui était manifestement un allié des elfes. Même s'il avait l'air redoutable et si ses coups de sabots faisaient anormalement gicler le sang, il ne serait sans doute pas dur de l'abattre avec l'aide des nouveaux venus. Vif eut donc l'occasion, avec l'aide des flèches discrètes du hobbit, de faire tomber encore une trentaine de ces pitoyables guerriers. Puis elle fit mine de s'enfuir devant le courroux des Mordin, Geralt, Drilun et Isilmë déguisés, qui crièrent bientôt victoire. Puis ils retournèrent auprès des quelques Sagaths qui ne s'étaient pas interrompus de travailler ou de surveiller les environs pour combattre.

Que dire de plus ? Qu'auraient pu faire une quinzaine de Sagaths jeunes et/ou blessés, fatigués, face à une demi-douzaine de redoutables aventuriers expérimentés bardés d'équipements enchantés et de puissante magie ? Les premiers furent mis en pièces avant de comprendre ce qui se passait, et ceux qui restèrent, sans saisir très bien pourquoi, surent très vite que leurs instants étaient comptés. Rapidement, les six amis se retrouvèrent pour se féliciter et savourer leur victoire : la totalité du convoi était entre leurs mains : le contenu d'environ deux cents chariots et autour de deux ou trois mille chevaux leur appartenaient. Du moins, une partie leur appartiendrait certainement après avoir vu avec les nordiques la répartition du butin...

8 - Assaut sur les nordiques
Pendant ce temps-là, plus loin, Taurgil chevauchait sur le chemin qui menait au col où l'armée nordique était installée, comme le nouveau seigneur de guerre qu'il était devenu. Son charisme et sa présence motivaient les Sagaths qui l'accompagnaient, et ils eurent bientôt rejoint le gros de leur armée partie combattre les nordiques. La première barrière végétale, semée à l'initiative du Dúnadan lui-même, avait mis du temps pour être percée, fautes des outils appropriés, et elle avait aussi limité le flux des cavaliers. Ces derniers avaient ensuite été bloqués par la seconde barrière de ronces magiques semée par le hobbit et la lionne, et ils venaient à peine de la percer. Une bonne partie des Sagaths n'avaient pas encore fini de la franchir. L'assaut n'avait pas vraiment débuté, même si des archers elfes et nordiques avaient déjà prélevé leur écot.

Grâce au guerrier d'élite auprès de qui il chevauchait, le faux envoyé du "Noir" vit s'écarter les rangs des cavaliers sagaths pour lui permettre d'accéder aux commandants, groupe de guerriers d'élite vêtus de mailles et portant des armes de qualité. L'un d'eux, un guerrier plus grand et imposant que les autres, semblait diriger le groupe et à travers lui toute l'armée. Taurgil lui fut bientôt présenté et la mort des ennemis des Sagaths, dont la tête avait été tranchée, fut rapportée. Là encore, l'apparence et le charisme du grand rôdeur, ainsi que le fanatisme de ses interlocuteurs, permirent de faire avaler le morceau qu'il présenta à nouveau : il était venu les aider à balayer leurs ennemis elfes et nordiques. Avec lui à leurs côtés, ils allaient tous monter en première ligne et enfoncer le front de l'armée ennemie. Cette dernière serait alors submergée sous le nombre et ne ferait pas un pli.

Son discours de commandement toucha la fibre guerrière des Sagaths qui répondirent avec enthousiasme, et il se retrouva à galoper en première ligne au milieu des autres Sagaths d'élite, à côté de leur chef. Il avait si bien "chauffé" les orientaux qu'il les sentait motivés comme jamais, et s'ils arrivaient aux nordiques dans cet état-là, les Éothraim risquaient bien d'être facilement enfoncés, malgré les flèches des elfes et les fortifications établies près du col. Lorsqu'ils arrivèrent à portée des archers elfes, le déluge de traits mortels fit un massacre dans l'élite de l'armée sagath mais cela ne les ralentit pas le moins du monde. Curieusement, aucune flèche ne le visa, mais le Dúnadan savait que son amie féline était bien capable d'avoir contourné l'armée et prévenu ses vrais alliés...

Il fallait néanmoins briser l'élan des Sagaths avant d'arriver au contact, à présent imminent. Il prit son épée et la plongea dans la tête du cheval du chef, qui chuta instantanément. Le moment de confusion qui s'ensuivit fut de courte durée et les guerriers d'élite comprirent vite que le prétendu serviteur du "Noir" était un imposteur et un ennemi qui les combattait à présent ouvertement. Si Taurgil ne craignait pas trop les attaques adverses grâce à sa magie, ce n'était pas le cas de son cheval qui fut bientôt abattu. Une fois à terre, il fut malmené par les sabots des cavaliers, d'autant qu'il n'avait plus son haubert de mailles de mithril pour le protéger. La charge avait été en partie bloquée, mais il risquait à présent d'être piétiné à mort...

Heureusement, comme il s'y attendait, un nouveau venu perturba encore un peu plus la charge ennemie en attirant l'attention sur lui : un très grand cerf venait d'apparaître sur le chemin. Ce n'était pas un cerf très ordinaire car il rugissait avec la voix d'une lionne et affolait les chevaux proches, et le Dúnadan n'eut pas de mal à reconnaître son amie sous la magie de Drilun. Massacrant hommes et bêtes, elle arriva jusqu'à son compagnon à terre qui put monter sur son dos. Puis ils s'enfuirent de l'armée sagath momentanément immobilisée, d'autant que son chef avait été abattu avec un grand nombre d'autres guerriers d'élite. Ils franchirent sans mal le front de l'armée nordique, où ils furent accueillis avec des cris de joie. Puis les nordiques se tournèrent vers les cavaliers orientaux.

Profitant de la confusion des Sagaths et préparés à cette éventualité depuis l'arrivée de Vif peu auparavant, les nordiques chargèrent leurs ennemis orientaux confus voire démoralisés. Avec l'aide de Taurgil, qui avait récupéré un cheval, et de la lionne enchantée, l'armée sagath fut battue à plate couture et ses cavaliers renversés hors du chemin, poussés dans les rochers sur lesquels hommes et bêtes se blessèrent et ne furent plus une menace. Les Sagaths, en général trop fiers pour se rendre ou fuir, furent presque tous massacrés, et la lionne fit en sorte que de nombreux fuyards fassent la joie - voire l'indigestion - des charognards. En milieu de journée, la victoire avait été totale et les pertes très minimes. C'était le jour du solstice d'été, un jour de fête pour de nombreuses peuplades. Si les Sagaths survivants n'avaient pas le cœur à la fête, en revanche les nordiques l'avaient largement assez pour eux : avec cette écrasante victoire, ils venaient probablement de garantir la paix pour eux et les leurs pour de nombreuses années.

9 - Butin et magie
Lorsque des cavaliers nordiques arrivèrent au convoi de chariots conquis par les aventuriers, ils ne purent que louer l'ingéniosité de ces derniers. Ce dont lesdits aventuriers se fichaient pas mal pour le moment, tellement ils étaient occupés à fouiller les marchandises du convoi en quête d'objets magiques ou exceptionnels. A l'aide de la magie divinatoire du Dunéen, ils avaient pu déterminer que quelque chose de cette nature était présent dans au moins l'un des deux cents chariots du convoi. En fait ils recherchaient tout particulièrement deux sortes d'objets : les carreaux d'arbalète magiques utilisés par l'assassin de Dol Guldur, et des fers à cheval probablement enchantés utilisés par le dernier sorcier abattu. En effet, par le passé, Vif avait constaté que le cheval qu'il montait allait particulièrement vite, ou tenait une allure rapide particulièrement longtemps, et que ses traces étaient anormalement légères...

Drilun fut obligé d'interroger de nombreuses fois sa magie pour arriver à déterminer dans quel chariot se trouvaient les artefacts enchantés qu'ils cherchaient. Puis il avait fallu fouiller les nombreux articles de cuir, dont des selles et sacoches, jusqu'à mettre la main sur une série de onze carreaux d'arbalète en tout point similaires aux deux qu'ils possédaient déjà : ils avaient enfin trouvé les traits magiques recherchés. De la même manière, l'archer-magicien put déterminer que le cheval équipé des fers magiques était mort au combat. Après de nombreuses tentatives, ils finirent enfin par mettre la main dessus, ou plutôt la patte (et la mâchoire) de Vif, en l’occurrence. D'une certaine manière, ils étaient comblés.

Comblés, vraiment ? Pas tout à fait, car ils pensaient à une carcasse de dragon qui attirerait certainement du monde avant peu, et dont ils pouvaient tirer de fabuleux ingrédients pour en faire, entre autres, des armes et armures magiques. Certains d'entre eux se relayèrent donc nuit et jour pour découper et retirer certaines parties du corps de Haurnfile : cuir tout d'abord, mais aussi cornes, griffes, dents... Le groupe s'était approprié un chariot pour entreposer leur encombrant et dangereux butin. Il l'était d'autant plus que le sang de dragon, très corrosif, pouvait encore blesser ou tuer, et seules des armes exceptionnelles - magiques - pouvaient supporter sans mal un contact prolongé avec de telles substances... Ils firent aussi des essais un peu malheureux comme avec le bâton magique de lumière qui avait tendance à faire éclater les os et tissus, au risque de recevoir quelques projections...

Après plus d'une journée et deux nuits sur place, l'armée nordique avait déjà commencé à prendre le chemin du retour que les aventuriers traînaient encore en arrière. Les blessés les plus graves voyageaient en chariot, confortablement installés au milieu des tissus et cuirs transportés par le convoi. Les chevaux étaient bien encadrés et feraient l'objet de transactions ultérieures pour déterminer la part à attribuer à chacun en fonction de ses besoins et d'accords antérieurs. Le contenu des chariots avait été inventorié et comprenait de nombreuses provisions et beaucoup de matières premières, certaines de qualité, essentiellement tournées vers les artisanats et la guerre. Peu de choses précieuses avaient été découvertes, à l'exception de quelques bijoux et d'un peu d'or.

Un moment, le groupe - et en particulier Mordin - avait caressé l'idée voire bruyamment manifesté l'envie d'aller récolter le trésor des deux dragons abattus. Mais certains, dont Taurgil, avaient douché l'enthousiasme de leurs compagnons et en particulier celui du nain : ils n'avaient pas le temps de s'en occuper, sans parler de s'exposer à Eru savait quelles nouvelles complications. Leur priorité était à présent les chevaux et le retour vers l'Arthedain, et les nordiques ne les attendraient pas s'ils traînaient en arrière. Et ils avaient besoin d'eux, car à sept ils se voyaient mal ramener un millier de chevaux voire plus. Sans compter qu'ils revenaient aussi avec un chariot plein de cuir et autres parties de dragon qui pouvaient exciter la convoitise et qui risquait de les ralentir...

Ils suivirent donc les nordiques vers le sud, sans aller chercher les antres des dragons des Montagnes Grises, mais en se rappelant de se rendre utiles avec des soins aux blessés. Les talents de négociateur de Mordin allaient bientôt servir car au-delà des accords passés, chacun voyait à sa porte ses propres efforts accomplis et ses besoins. Certes, l'action des aventuriers avait été déterminante dans la résolution du conflit et la suppression de la menace sagath dans la région. Mais seuls ils n'auraient pas pu faire grand-chose, et de nombreuses familles nordiques avaient à présent à déplorer la perte d'êtres chers ou le retour de blessés voire d'infirmes parmi eux. Chacun avait donc à cœur de trouver une juste compensation pour ses efforts, et le mal des dragons n'était pas loin : à trop avoir on avait parfois du mal à partager...
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Horselords - 52e partie : détours

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1 - Carcasse visitée
L'allure de l'armée était ralentie par les chariots, bien moins rapides que les cavaliers nordiques, sans parler des milliers de chevaux non domestiqués à ramener et faire manger ou boire. Si la prairie ne manquait pas pour les sustenter, les points d'eau capables d'abreuver autant de bêtes n'étaient pas monnaie courante. Et il valait mieux prévenir à l'avance les nordiques urbains et fermiers chez qui l'armée allait passer, sauf à risquer des problèmes diplomatiques. Et prévenir ne serait sans doute pas suffisant, car l'eau et l'herbe n'étaient pas forcément gratuits sur les terres nordiques les plus densément peuplées. Les aventuriers laissèrent volontiers cette tâche à Atagavia et consorts, tandis qu'ils se concentraient sur d'autres tâches.

L'une d'elles était les blessés : Taurgil et Isilmë continuèrent à officier de manière à favoriser leur guérison grâce à leurs soins, éventuellement - et même souvent - magiques. Ce qui était aussi une manière d'améliorer le bilan de cette expédition guerrière et de pouvoir obtenir davantage de chevaux à ramener en Arthedain en fin de compte. Mais quelques ambassadeurs de ce lointain pays choisirent également de prendre une autre route qui les ferait passer un peu plus à l'est de celle qui menait vers Dale. En effet, une autre carcasse de dragon, celle de Bairanax, devait toujours être là où le monstre était mort, et certains espéraient en ramener quelques parties voire remplir un deuxième chariot avec des morceaux de la dépouille.

Les quelques aventuriers, menés par la lionne enchantée, retrouvèrent assez facilement le cadavre du monstre. Des traces manifestes indiquaient que quelqu'un était déjà passé avant eux et qu'il avait prélevé quelques morceaux choisis comme des griffes ou dents, quelques cornes ou morceaux, voire les yeux. Et sans doute un certain nombre d'écailles voire de peau. Quelqu'un dont la monture était assez lourde et qui pouvait passer par les airs. Autrement dit, un serviteur du Nécromancien était venu peu auparavant sur une monstrueuse créature ailée faisant office de monture, comme celles qu'ils avaient déjà vues par le passé. Les traces étaient assez récentes, à un jour près ils auraient peut-être pu rencontrer le cavalier amateur de dépouille de dragon...

Geralt, maître dans l'art de trancher toutes sortes de choses vivantes ou mortes, fut bientôt chargé de découper des morceaux de dragon. Malheureusement il n'avait plus son cimeterre ténébreux dont la magie le protégeait sans doute de l'acidité des chairs et du sang de dragon. Il put récupérer certaines parties mais la dague de qualité qu'il utilisait se rompit au bout d'un moment, le métal ayant été trop corrodé par les chairs draconiques trop acides. Une préalable discussion avec les elfes qui étaient restés avec l'armée n'avait pas permis d'identifier des parties plus précieuses que d'autres, sans doute parce que les elfes ne possédaient pas une telle information. A leurs yeux, dents, griffes et os pouvaient servir pour des armes, le cuir avait de l'usage comme armure, et le reste pouvait servir d'ingrédients dans divers rituels magiques probablement.

Les aventuriers partis à l'est revinrent vers l'armée nordique après une journée, avec un butin plutôt réduit. L'armée avait peu progressé et il faudrait certainement encore plusieurs jours avant d'arriver à Dale, sans parler des tractations et pourparlers qu'il faudrait pour traverser la région. Par la suite les nordiques prendraient par l'est puis le sud, par là même d'où ils étaient venus. Ils repasseraient donc par les terres des nordiques fermiers, les Gramuz, à qui ils devaient faire preuve de générosité pour l'aide auparavant obtenue. Sans parler de négocier pour un nouveau passage de l'armée renforcée par de nombreux chevaux, et sans oublier les chariots. Il restait donc du temps pour envisager une autre expédition pour des aventuriers rapides et décidés à nettoyer la région de tous les serviteurs du Nécromancien qu'ils pourraient trouver... et à récupérer leurs précieuses possessions éventuellement.

2 - Elfe à sauver
Lors de leur passage par Dol Guldur, les sept héros avaient notamment recueilli divers papiers concernant un groupe secret au sein des Monts de Fer, le Culte de la Longue Nuit. Cette cabale d'une dizaine de puissants sorciers avait de nombreux liens avec le Nécromancien. Ses membres, qui se nommaient les "Seigneurs Transperçants" (Maeghirrim), étaient en grande partie responsables de l'agressivité des Sagaths envers les autres peuples libres. Sous couvert de cultes religieux vantant l'état d'esprit guerrier et nomade de ces orientaux, ils en avaient fait, pour une bonne part, des fanatiques faciles à influencer et à contrôler...

L'un de ces sorciers, pour une obscure raison, avait fait l'acquisition d'une elfe du royaume de Thranduil capturée par une bande d'humains. La disparition de cette elfe avait été confirmée par ses compatriotes lorsque des aventuriers avaient pu échanger avec eux. Ceux qui étaient venus prêter main-forte aux nordiques purent apporter ou rappeler quelques précisions : l'elfe enlevée s'appelait Narmirë et elle était la fille du chef des gardes de Celebannon, un village des elfes des bois qui contrôlait le trafic des tonneaux avec les humains. Pour autant, les elfes présents n'étaient pas forcément disposés à aller rechercher Narmirë sur un terrain qu'ils ne connaissaient pas et face à des adversaires inconnus mais a priori redoutables.

L'armée nordique était lente et n'avait pas besoin d'eux. Les aventuriers, grâce aux papiers qu'ils avaient rassemblés et qui étaient transportés par les hommes de Rult, étaient en mesure de trouver le repaire du Culte de la Longue Nuit dans une sinistre vallée du nom de Nan Morsereg, la "Vallée du Sang Noir". Les papiers en question furent récupérés et étudiés, et tous les éléments nécessaires au voyage purent être réunis. A l'aide des indications précises pour arriver jusqu'au lieu de culte secret, les aventuriers se faisaient fort de débarrasser les Monts de Fer de cette pustule maléfique que représentait le culte, et sauver par la même occasion une elfe sylvestre si elle était encore en vie. Ce qui semblait bien être le cas d'après un sort de divination lancé par Drilun.

Les aventuriers partirent donc tous dès le lendemain, sauf Isilmë qui fit le choix de rester avec l'armée pour continuer inlassablement à soigner et aider les blessés à guérir à l'aide de sa magie. Les chevaux galopèrent toute la journée et amenèrent le groupe au nord des Monts de Fer, non loin d'une forteresse des Sagaths qu'ils avaient déjà vue de loin. Ils ne rencontrèrent aucun ennemi cette fois-ci, et ils commencèrent à s'enfoncer dans les montagnes basses qui hébergeaient le Culte de la Longue Nuit, sans parler d'orcs mais aussi des nains des Monts de Fer d'où provenait Mordin. La nuit finit par tomber et le groupe choisit de faire halte et de monter un camp, d'autant qu'il pleuvait. Mais l'abri monté par Rob les protégea correctement de l'humidité. Confiants dans les capacités de la féline Femme des Bois, les aventuriers ne montèrent pas de garde pour la nuit. Drilun était magiquement endormi pour lui procurer un profond sommeil récupérateur, dont il avait bien besoin pour toute la magie qu'il avait faite.

Inévitablement, Vif fut réveillée par l'arrivée d'une trentaine d'orcs qui avaient manifestement repéré ses amis et elle et comptaient bien leur tomber dessus par surprise. Jugeant la menace bien trop faible pour réveiller ses compagnons, elle approcha discrètement le groupe armé et commença à en faire de la chair à pâtée. Mais, gardant un œil sur ses amis, elle avisa une silhouette furtive qui s'approchait de ses compagnons et qui avait échappé à ses perceptions initiales. Un puissant rugissement permit de réveiller les autres aventuriers à distance - Drilun excepté - et d'empêcher la mort rapide du nain. Il fut tout de même blessé par l'attaque du rôdeur noir qui s'approchait de lui, mais l'homme n'eut pas le temps de porter un second coup que Geralt le fit passer de vie à trépas...

3 - Nahald Kûdan
Le nain fut en partie guéri par du baume cicatrisant et le reste de la nuit se déroula sans autre incident. Le lendemain, le chemin fut repris et suivi au mieux des indications données dans les papiers trouvés à Dol Guldur. Par ailleurs, quelques discrets signes de passage témoignèrent d'une présence humaine régulière. Enfin, après plusieurs heures passées à négocier des chemins tortueux dans un environnement escarpé et dangereux pour les montures, les six aventuriers parvinrent en vue de leur objectif : Nahald Kûdan, ou "Trous Secrets" dans la langue nordique couramment employée dans le Rhovanion, fut repéré par les sens exercés de Vif et Geralt alors qu'ils en étaient encore éloignés.

Le groupe resta à bonne distance, sous le couvert des arbres d'un petit bois, afin de ne pas être repéré. De plus, il était plus facile d'inspecter le repaire du Culte de la Longue Nuit à distance car il était en hauteur, sur un escarpement rocheux à flanc de falaise. La longue-vue du maître-assassin fut bien employée et ramena de nombreux détails, même s'il n'était pas possible de distinguer trop de choses depuis une position inférieure. Il fut néanmoins aisé de distinguer le petit et étroit chemin d'accès qui menait de la base de la falaise au repaire en altitude, à au moins une portée de flèche de hauteur. Dénué de tout couvert, passant sous l'œil vigilant de quelques guetteurs placés au-dessus, il rendait toute approche discrète concrètement impossible. Et l'étroitesse du chemin, guère praticable par plus gros qu'une mule, permettait de le défendre facilement.

Un sort de divination de l'archer-magicien dunéen, plus tard, précisa qu'il n'y avait pas d'autre chemin d'accès. Hormis les êtres pouvant accéder à la voie des airs, seul un excellent grimpeur pouvait envisager d'arriver là-haut autrement que par l'étroit sentier dénudé. Et il aurait facilement été repéré par les guetteurs, même de nuit. Sauf à prendre une voie d'escalade encore plus longue et difficile. Un oiseau appelé par Taurgil confirma que l'elfe qu'ils recherchaient avait bien été vue là-haut, et de nouveaux sorts de Drilun certifièrent qu'elle était toujours là et encore vivante. Mais où, et comment la rejoindre, voilà des questions qui ne trouvaient pas encore de réponse.

D'autres détails attirèrent l'attention : le repaire du Culte était en fait divisé en deux parties. Le chemin permettait d'arriver à un premier escarpement relativement étroit occupé en partie par trois constructions, en forme de dôme de pierre, qui devaient servir d'habitation. Un petit chemin montait depuis ce premier palier jusqu'à un deuxième escarpement plus large et occupé par davantage d'habitations en forme de dôme, dont deux structures plus grandes que les autres, qui semblaient s'appuyer sur le flanc de la montagne derrière elles. L'ouïe incroyablement fine de la lionne arrivait à distinguer quelques bruits de vie courante, dont des poules, et la longue-vue de Geralt avait permis d'identifier une dizaine de guetteurs répartis en deux endroits, à deux hauteurs. Mais vu la taille du lieu et la douzaine de dômes de pierre présents, il pouvait y avoir beaucoup de monde.

Tandis que certains réfléchissaient à la meilleure manière d'atteindre leur objectif, d'autres profitèrent de leur inactivité forcée pour profiter du milieu naturel, comme la recherche d'athelas pour le Dúnadan, ou pour se reposer. Il y avait sans doute encore des sorciers dans le repaire des Maeghirrim, il fallait donc être prudent et ne pas trop claironner leur présence avec de la magie, même si les gens là-haut s'attendaient sans doute un peu à leur arrivée. D'un autre côté, comment emprunter le chemin sans subir un déluge de flèches ou de cailloux lancés par les gardes ? Et vu l'étroitesse et la hauteur du sentier, une chute serait fatale pour n'importe lequel d'entre eux.

4 - Approche multiple
L'approche discrète par un bon grimpeur, de nuit, était difficilement envisageable... sauf peut-être pour le hobbit. Il était assez bon en escalade pour tenter une telle ascension, et il s'était beaucoup endurci ces derniers mois, si bien que la longueur du trajet n'était pas un problème. Sa petite taille lui donnait également un avantage certain pour ne pas être repéré. Une fois là-haut, il était assez discret pour passer inaperçu et assez passe-partout et perceptif pour trouver l'endroit où l'elfe était tenue en captivité, sans trop se mettre en danger. D'autant que ses perceptions pour d'éventuels sortilèges étaient les plus affûtées du groupe. C'était donc un excellent éclaireur et il fut convenu qu'il tenterait l'ascension au milieu de la nuit, qui s'annonçait couverte. Il serait aidé par du trèfle de lune pour bien voir dans l'obscurité, tandis que les gardes seraient gênés par le manque de lumière.

Mais Rob ne pourrait sans doute pas libérer l'elfe seul, tout au plus pouvait-il préparer la venue de ses amis. Mais lesquels, et comment les faire arriver là-haut sans encombre ? La solution était assez simple pour Vif : il leur restait encore un peu de caméléon de nuit, ce champignon qui donnait de remarquables pouvoirs de camouflage au corps nu... dans l'obscurité seulement. Comme elle n'avait aucun besoin de matériel sur elle, elle avalerait ce champignon et pourrait ainsi passer à la barbe des guetteurs, au plus profond de la nuit, sans se faire repérer. Et elle était assez discrète pour ne pas faire de bruit qui pourrait éveiller leurs soupçons. Une fois là-haut, elle était capable de résister à une petite armée, mais aussi de rester discrète et de trouver l'elfe ou le hobbit grâce à ses sens félins incomparables.

Taurgil fut également partant pour accompagner la lionne. Grâce à la magie de la nature apprise par les elfes, il pouvait non seulement appeler des animaux et converser avec eux, ou prévoir le temps à venir, mais également être particulièrement difficile à percevoir. Il ne porterait pas son haubert de mailles de mithril afin d'être plus discret et de ne pas fatiguer plus son amie, qui le transporterait sur son dos. Et surtout, le cuir qu'il portait sous ses mailles, pris à un sorcier rencontré dans le Rhovanion, était sombre et rendait son porteur très difficile à percevoir dans l'obscurité. Il faudrait bien cela car il savait que la magie qu'il allait utiliser s'affaiblissait à proximité des constructions, hormis celles en parfaite harmonie avec la nature. Il y avait donc un risque d'être découvert lorsqu'ils passeraient au plus près des gardes...

Geralt serait aussi de la partie, même si sa décision fut prise au dernier moment. D'une part il était l'un des plus discrets du groupe, d'autre part il serait aidé par Drilun à l'aide d'un sort permettant d'accentuer l'obscurité autour de lui. Il ne serait donc rien de plus qu'une ombre dans l'obscurité aux yeux des guetteurs. Et, bien entendu, ses compétences de combattant et ses perceptions le rendaient presque indispensable. Ce qui ne garantissait pas non plus qu'il parviendrait à passer l'œil attentif des gardes, mais il restait confiant. Et puis il s'était bien reposé, et il avait hâte de revenir auprès des nordiques et de retrouver un bon lit.

Resterait Mordin et Drilun, jugés peu discrets en comparaison de leurs amis. Ils se tiendraient non loin de la falaise - les chevaux seraient laissés à eux-mêmes dans le petit bois où ils avaient monté le camp - et se tiendraient prêts à intervenir en cas de besoin. Le Dunéen s'était déjà rendu bien utile avec sa magie, et peut-être cette dernière servirait-elle encore une fois les ennemis éliminés. Le nain, pour sa part, rongeait son frein à l'idée de n'être que la cinquième roue du char, même si ses idées étaient loin d'être les dernières à servir. Il se consola en pensant qu'il ne lui faudrait pas beaucoup de temps pour avaler le sentier et venir épauler ses amis quand les choses commenceraient à chauffer.

5 - Escalade et bruit
Au cœur de la sombre nuit, les aventuriers laissèrent leurs montures en arrière et quittèrent le couvert des arbres où ils avaient trouvé refuge pour un temps. Profitant des nombreux rochers, ils arrivèrent à deux ou trois portées de flèche du début du sentier qui grimpait à flanc de falaise, sans manifestement alerter les gardes plus haut. Tous ceux qui en avaient besoin avaient pris du trèfle de lune pour devenir nyctalopes. Puis le petit voleur partit seul en direction de la falaise, après avoir soigneusement examiné les différentes voies possibles pour arriver tout en haut sans trop être exposé au regard des gardes.

Il arriva sans mal à la falaise qu'il commença à grimper avec son aisance habituelle. Il faisait lentement, tant pour s'économiser et assurer ses prises que pour rester discret. Pourtant, arrivé à environ un tiers de la hauteur, il ne put empêcher quelques cailloux de rouler et tomber, délogés par son passage. Le bruit attira immédiatement l'attention des guetteurs, qui étaient clairement sur leurs gardes. Plusieurs d'entre eux s'approchèrent de l'endroit où ils avaient entendu le bruit, tout en allumant quelques torches pour essayer de mieux repérer quelque chose à flanc de falaise. Le hobbit s'immobilisa, espérant que son cuir sombre et sa petite taille seraient suffisants pour le masquer. Après un moment à tenter de distinguer quoi que ce fût, les gardes conclurent à une fausse alerte et revinrent à leur première position.

Rob reprit son ascension, mais la même mésaventure se produisit - pierres délogées qui attirent l'attention des guetteurs - aux deux tiers de son ascension. Cette fois-ci il était bien plus proche des gardes qui se rapprochaient, et ces derniers avaient décidé d'allumer une lanterne pour mieux éclairer la paroi rocheuse où ils avaient entendu du bruit. Vu sa situation extrêmement délicate, le hobbit chercha autour de lui jusqu'à distinguer un petit surplomb rocheux non éloigné sous lequel il pourrait s'abriter. Il quitta alors la voie qu'il avait déterminée pour arriver en haut, afin de se protéger des regards d'en haut sous ce petit abri. Là encore, les gardes en furent pour leurs frais, même s'ils cherchèrent avec insistance à découvrir l'origine du bruit.

Vif et Taurgil profitèrent de ces moments pour tenter l'escalade par le chemin, suivis peu après par Geralt à faible distance. Plusieurs gardes étaient occupés par la diversion créée - involontairement - par le hobbit, donc l'occasion semblait idéale pour tenter de passer inaperçu au nez et à la barbe des guetteurs qui restaient. La lionne et le rôdeur dúnadan, sur son dos, étaient comme invisibles dans l'obscurité, et même leurs amis auraient eu bien du mal à les distinguer à quelques pas de distance. Et peu après, le maître-assassin était comme une ombre dans la nuit, complètement silencieux et impossible à repérer sauf par les yeux les plus exercés. Et ainsi commencèrent-ils à monter sur l'étroit sentier en zigzags.

Pendant ce temps, Rob écoutait les gardes chercher puis s'éloigner après leur infructueuse inspection des parois de la falaise. Il put alors revenir - non sans peine - dans la voie d'escalade qu'il avait repérée et reprendre son ascension. Par la suite il n'y eut pas d'autre pierre délogée, pas d'autre bruit pour trahir sa présence. Peut-être une heure après le début de son ascension, il parvint enfin à l'escarpement supérieur qui servait de repaire aux Maeghirrim et à leurs serviteurs. Quelques guetteurs étaient postés non loin qui observaient le chemin et le bas de la falaise, mais aucun n'était conscient de sa présence. Il observa les lieux en se demandant où l'elfe qu'ils étaient venus délivrer pouvait bien se trouver.

6 - Piège magique
Geralt avançait doucement le long du sentier qui montait, sans faire aucun bruit ni geste brusque qui pourrait alerter les guetteurs de sa présence. Ses deux amis partis peu avant lui, Taurgil et Vif, étaient impossibles à distinguer dans l'obscurité grâce à la magie ou au champignon particulier que l'un et l'autre avaient utilisés. Il pensait donc les suivre à une certaine distance, quand il lui sembla distinguer un mouvement flou non loin devant lui, peu après avoir franchi le milieu du chemin en hauteur. Comme si quelque chose d'impossible à distinguer nettement était en train de frotter la surface du bord du chemin, sur lequel des signes et courbes bizarres se révélaient peu à peu à sa vue...

La lionne enchantée, qui était à l'origine du mouvement, avait entendu le maître-assassin approcher, sa respiration - quoique douce et maîtrisée - l'ayant trahi. Elle s'exprima tout doucement pour le prévenir, sans alerter les guetteurs plus haut. L'Eriadorien balafré comprit bientôt la raison de l'arrêt de ses amis : ils étaient arrivés à une portion du sentier entièrement couverte de signes cabalistiques manifestement magiques et qui n'auguraient rien de bon. Le sentier était ainsi recouvert sur près d'une dizaine de pas de ces inscriptions enchantées faites de substances diverses comprenant - entre autres - du sang dans leur composition. Inutile de dire que les aventuriers n'attendaient rien de bon à marcher sur ces runes magiques.

C'est pourquoi Vif avait choisi de commencer à les effacer à l'aide de ses pattes félines, tout en restant attentive à leurs émanations magiques. Tout effacer leur prendrait trop de temps, aussi avait-elle choisi de ne faire disparaître qu'une étroite bande en bordure du chemin, au bord de l'à-pic, de manière à pouvoir avancer dessus à la manière d'un funambule, avec le Dúnadan sur son dos. Les trois amis furent donc retardés un bon moment, la lionne avançant très lentement sur l'extrême bord du sentier tout en faisant disparaître les traces devant elle. Elle percevait toujours la magie du piège, certes atténuée mais encore prête à se déclencher. Derrière elle et son fardeau humain, Geralt suivait, habitué lui aussi à jouer aux équilibristes.

Alors qu'il ne restait qu'un ou deux pas à franchir avant d'atteindre une zone dépourvue des signes magiques, des bruits se firent entendre plus haut. Bruits de cor et cris humains indiquèrent aux trois amis, sans compter les deux restés plus bas, que le hobbit avait peut-être des problèmes ou qu'en tout cas il n'était pas resté parfaitement inaperçu. La lionne se ramassa alors et franchit le reste de l'obstacle magique d'un bond, puis poursuivit discrètement mais avec plus de hâte. Derrière elle, le maître-assassin en fit autant et lui non plus ne déclencha pas la magie probablement inscrite à leur attention vu son caractère récent. En tout cas, le bruit avait réveillé du monde. Avec de la chance, les guetteurs, semblait-il un peu moins nombreux à présent, seraient un peu distraits par ce qui se passait dans leur dos et vers lequel des hommes d'armes se dirigeaient bruyamment...

Plus bas, nain et Dunéen se concertèrent : que devaient-ils faire devant ce fameux remue-ménage, ces cris et les lumières allumées là-haut ? Pour le peu qu'ils arrivaient à distinguer, il y avait encore des guetteurs au bord de la falaise qui se feraient un plaisir de les apercevoir et de les flécher s'ils s'essayaient à monter. Drilun était donc peu partisan d'une action irréfléchie et hésitait sur la suite à donner, tandis que Mordin trépignait et tentait de convaincre son compagnon de faire quelque chose. Et puis il finit par ne plus y tenir et il se mit à courir vers le bas de la falaise et le départ de l'étroit sentier, bientôt rattrapé par l'archer-magicien.

7 - Fouille et indiscrétion
Pendant ce temps-là, alors que ses amis étaient bloqués par le piège magique sur le sentier, Rob avait commencé à faire le tour du propriétaire. Il avait ainsi distingué dix petits dômes de pierre et deux gros, avec des signes de vie autour de chacun d'eux. Mais à flanc de falaise, sur l'escarpement le plus haut, deux renfoncements rocheux laissaient place au départ de deux souterrains complètement invisibles depuis le plancher des vaches où ils avaient fait leurs premières observations. Il s'approcha de l'ouverture la plus au nord et la plus éloignée du sentier et des guetteurs qui le surveillaient.

Le renfoncement arriva bientôt à une solide porte en bois, verrouillée, qui bloquait l'accès à ce qu'il y avait derrière. Mais les sens du petit hobbit lui indiquaient qu'il y avait quelque chose ou quelqu'un de vivant non loin derrière, aussi ne se laissa-t-il pas arrêter par cet obstacle. Il y avait longtemps de cela il avait récupéré des outils de crochetage magiques qui, une fois par jour, pouvaient déverrouiller une serrure pas trop complexe par eux-mêmes. La magie ou l'utilisation des objets magiques n'étaient pas son fort, mais il arriva à prononcer correctement le mot de commande et la porte fut bientôt ouverte. Il entra alors dans une vaste pièce creusée dans la roche qui devait servir tout autant de lieu de stockage que d'atelier, et qui comportait quatre portes. Et de la lumière filtrait sous l'une d'elles.

Malgré le manque de lumière, et grâce au trèfle de lune, il arrivait à distinguer les objets qui encombraient la pièce et à se mouvoir sans faire de bruit. Son odorat lui apprit que les trois portes non éclairées devaient probablement amener à des ateliers divers tels que forge ou laboratoire d'apothicaire. Mais bien entendu, c'est la porte qui comportait un rai de lumière qui concentra toute son attention. Au bruit, une personne se trouvait derrière qui faisait parfois des allées et venues, comme un garde. Mais de manière très discrète, il lui sembla percevoir également comme la délicate respiration d'une autre personne un peu plus loin, peut-être endormie...

La porte en question devait s'ouvrir vers lui, mais elle ne comportait aucune serrure visible ni même quoi que ce fût pour la tirer ou la faire pivoter. Comme si seule la ou les personnes qui étaient derrière étaient capables de donner accès à l'espace qu'elle bloquait. Comment faire pour passer, alors ? Il avait déjà utilisé la magie de ses outils enchantés, la porte semblait solide - bois cerclé de métal - et d'un seul tenant, sans ouverture. Il n'arrivait pas non plus à regarder dessous. Il prépara alors son arc et une flèche et s'approcha de la porte. Puis il frappa le bois comme pour demander à passer et se recula, l'arc bandé, en espérant bien voir le passage s'ouvrir pour lui permettre de ficher une flèche entre les yeux du probable garde qui devait se trouver derrière.

Malheureusement, ledit garde devait avoir des consignes très claires et une voix s'éleva de derrière la porte, demandant quelque chose dans une langue nordique que le hobbit ne comprenait pas. Probablement un mot de passe, mais cela faisait de toute manière une belle jambe au petit voleur qui n'aurait pas su quoi répondre, sans parler d'être trahi par le son de sa voix. La voix de l'homme derrière la porte se répéta, plus insistante, à laquelle Rob ne répondit rien, se contentant d'attendre la suite des événements tout en se demandant comment franchir cette fichue porte. Enfin, l'homme se mit à sonner du cor et à crier pour attirer l'attention de ses collègues en dehors de la caverne. Le hobbit entendit bientôt des cris et de nombreux pas se rapprocher de la pièce troglodyte dans laquelle il se trouvait...

8 - Multiples fronts
Le petit voleur chercha rapidement autour de lui la cachette idéale, et il trouva bientôt quelque chose qui pouvait en tenir lieu : un coffret juste assez grand pour permettre à un petit hobbit tel que lui, et de surcroît assez souple et doué en contorsions, de se faufiler dedans. Personne n'imaginerait fouiller un pareil endroit, et cela lui avait déjà permis d'échapper à des poursuites par le passé, dans la Comté. Il ouvrit donc rapidement le coffret, qui n'était pas verrouillé, mais qui n'était pas vide non plus : il était en partie empli de flacons et fioles de verre, vides. Il n'avait pas le temps de vider ces objets et il essaya désespérément de partager la place avec eux en se faisant tout petit, mais il n'arrivait pas à fermer le couvercle sur lui et les pas se rapprochaient. Il brisa alors les flacons de verre sous son corps pour permettre de rentrer complètement et de refermer le couvercle du coffret sur lui.

De nombreux cris et échanges se firent alors entendre tandis que des guerriers nordiques, à leur voix, entraient dans la pièce et échangeaient avec le garde qui surveillait la porte fermée. Une fouille eut bientôt lieu, dedans comme dehors, mais personne effectivement ne pensa à ouvrir la cachette du hobbit et à le découvrir dans la fâcheuse posture dans laquelle il s'était fourré. Ou en tout cas les guerriers n'eurent pas le temps d'arriver jusqu'à lui, car de nouveaux cris se firent entendre à l'extérieur, bientôt doublés du bruit de cordes d'arc que l'on tire, puis de combat à l'épée et de cris de douleur. Les copains arrivaient, et la diversion qu'ils faisaient fit bientôt se vider la pièce où Rob était caché.

En effet, non loin de là, les choses se précipitaient. Vif était complètement invisible et pratiquement inaudible, même si ce n'était pas le cas de son compagnon juché sur son dos. Sa magie vacillait, atténuée par la proximité de constructions non naturelles, et il n'était guère camouflé que par son cuir spécial et l'obscurité. Néanmoins, par chance ou grâce à la diversion involontaire opérée par le hobbit, les deux amis arrivèrent à passer sous le regard des quelques guetteurs postés plus haut sans leur faire bouger le moindre cil. Ils arrivèrent alors à la partie basse du repaire des Maeghirrim.

Malheureusement pour Geralt, son passage ne se fit pas aussi facilement. Alors qu'il passait un lacet à la verticale de la position de trois guetteurs, l'un d'eux distingua l'ombre qu'il faisait dans la nuit et il donna l'alerte. Des cris fusèrent, bientôt suivis de flèches, et le maître-assassin courut et esquiva sur le sentier de manière à arriver au sommet sans ressembler à un porc-épic. Heureusement, il était assez haut désormais pour ne pas risquer de prendre un rocher sur le coin du crâne, et ses armures de qualité - cuir souple d'origine inconnu sous une armure de peau de dragon - le protégèrent d'une blessure sérieuse, même si elles ne purent empêcher quelques traits de lui piquer les reins par la suite.

Taurgil et Vif, toujours inaperçus, durent laisser passer un flux de guerriers en direction de leur ami, et ils ne purent prendre le deuxième sentier qui permettait d'atteindre la partie supérieure de l'escarpement. La lionne choisit alors de grimper un peu plus loin pour arriver au même endroit, discrètement, profitant de ce que l'attention des guerriers était occupée ailleurs. Parvenue tout en haut, le Dúnadan et elle se séparèrent pour fouiller les lieux et trouver hobbit et elfe à sauver, en espérant que l'Eriadorien aux cheveux blancs s'en sortirait bien tout seul. L'héritier des rois du Rhudaur choisit de diriger ses pas vers le sud de l'escarpement, d'autant qu'il distinguait des hommes en bordure de falaise qui lui tournaient le dos ; tandis que la féline Femme des Bois choisissait de concentrer son attention plus au nord, et en particulier près d'une caverne que quelques guerriers achevaient de quitter.

Plus bas, Mordin et Drilun progressaient rapidement mais tout de même discrètement, pour autant qu'il leur était possible. Après un moment, ils entendirent de nouveaux bruits plus proches qui correspondaient à la découverte de leur ami Geralt par les guetteurs. Alors qu'ils s'approchaient de la zone du piège magique, ils entendirent le maître-assassin crier quelques mots à leur égard concernant ledit piège. Nain et Dunéen ne comprirent pas tous ses propos, mais ils ralentirent l'allure, ayant saisi l'essentiel et s'attendant à quelque traîtrise sur le sentier. Ils finirent par identifier le problème et l'archer-magicien découvrit que les runes inscrites au sol, si elles étaient déclenchées, modifieraient la nature de la surface du sol... et il ne tenait pas trop à découvrir l'effet engendré. Mais comment passer ? Ni lui ni son plus petit mais large ami n'étaient capables de jouer les funambules comme les autres l'avaient fait auparavant pour franchir l'obstacle magique...

9 - Flèches, épées et porte
Le maître-assassin rencontra bientôt ses premiers épéistes, mais ces derniers découvrirent vite qu'ils étaient largement surclassés. Par la suite, la plupart des guerriers du Culte de la Longue Nuit préférèrent garder leurs distances et se contenter de tirer sur Geralt, qui sentit plusieurs pointes lui caresser les côtes, heureusement stoppées ou du moins freinées par ses armures. Il était tout de même en position délicate et essaya un moment de fuir par le sentier, pour revenir bientôt quand il s'aperçut qu'il offrait une cible encore plus facile, et de dos. Et par ailleurs, plus haut, un probable sorcier commençait à entamer un sortilège qui lui était manifestement destiné. Aussi préféra-t-il remonter, hors de vue du sorcier et d'une partie des archers plus haut, pour combattre avec ses armes. L'arbalète qu'il avait prise à l'assassin de Dol Guldur, et qui se rechargeait automatiquement, faisait merveille et les archers qui lui tiraient dessus se firent de moins en moins nombreux...

De son côté, le rôdeur dúnadan avait repéré également le sorcier au milieu de divers guerriers, sur le bord de la falaise. Il s'approcha discrètement pour tenter une attaque surprise, mais c'est le moment que choisit son ami balafré pour s'esquiver à la vue de ses agresseurs. Du coup, guerriers et sorcier se retournèrent pour aller jusqu'au sentier qui permettait de descendre à l'escarpement inférieur... et ils se retrouvèrent face à Taurgil qui était en pleine vue, sans rien pour se cacher. Il fut bientôt assailli de toutes parts et dut se mettre dos à un dôme de pierre pour limiter les attaques sur lui. Heureusement, sa magie de roi dúnadan le rendait difficile à toucher par ses adversaires qui étaient intimidés par son charisme enchanté.

Du coup, Mordin et Drilun eurent les coudées franches pour commencer à effacer les runes magiques qui les empêchaient de progresser sur le sentier étroit. Mais c'était un travail de longue haleine et ils se doutaient bien que tout serait fini avant qu'ils ne puissent passer. Mais que pouvaient-ils faire d'autre ? Rob, pendant ce temps, avait pu ressortir de son étroite cachette. Le verre brisé sous lui n'avait heureusement pu pénétrer l'armure de cuir souple mais très solide qu'il portait, il n'avait pas pris une égratignure. Entendant des bruits de combat dehors, et l'éternelle présence d'un garde derrière une porte toujours fermée, il s'estima libre de trouver un moyen d'abattre ce fichu obstacle qui, il en était presque sûr, l'amènerait à l'elfe qu'ils recherchaient.

Vif, de son côté, entra tranquillement dans la caverne occupée par le hobbit, sans que ce dernier ne la remarquât. En fait, elle le trouva dans la pièce attenante qui servait de laboratoire d'apothicaire, à chercher - et trouver - du combustible tel que des alcools. Il avait allumé une bougie pour faciliter sa recherche et il essaya bientôt de faire brûler la porte qu'il voulait passer, s'attirant une fois de plus l'attention du garde et ses coups de cor ou ses cris. La lionne enchantée évalua la situation : la porte était solide, elle s'ouvrait de son côté, mais une porte peut toujours s'enfoncer pourvu qu'on y mette la force nécessaire... Et la pièce était assez grande, suffisamment pour lui permettre de prendre son élan. Elle s'éloigna le plus possible, puis fonça en avant en l'espace de quelques bonds.

Les guerriers occupés à combattre rôdeur et assassin ne réagirent pas immédiatement aux appels de cor de leur collègue dans la caverne. Les quelques-uns qui s'en approchèrent enfin entendirent bientôt le bruit d'une solide porte qui vole en éclat sous le poids d'un félin enchanté de bonne taille. Le garde qui se tenait non loin derrière la porte fut tué sous le choc de la lionne qui le percuta violemment. Cette dernière était tout de même blessée par son effort, ayant écopé d'une probable fracture, mais elle se contenta de fouiller l'homme et d'essayer de prendre dans sa gueule l'anneau à son côté, auquel étaient attachées quelques clés qui devaient permettre d'ouvrir les probables cellules qu'elle distinguait dans la petite pièce où elle avait pénétré. Car elle était bien arrivée à une espèce de prison, et l'une des cellules était manifestement occupée par quelqu'un de drogué, endormi ou dans le coma, à la respiration très douce, comme elfique...

10 - Fin d'un culte
Dehors les choses se passaient plutôt bien pour les aventuriers. Malgré quelques blessures mineures, rôdeur et maître-assassin faisaient tomber adversaire après adversaire, sorcier compris. Du coup, les survivants se dirent que la partie étaient trop inégale et ils tentèrent de fuir par le sentier qui descendait de la falaise... pour se retrouver devant le piège magique et surtout le nain et l'archer-magicien. Les runes magiques ne semblèrent pas gêner les hommes, qui après s'être concertés énoncèrent un mot de passe qui neutralisa la magie. Ils s'avancèrent ensuite à la queue leu-leu pour attaquer Mordin, mais les flèches de Drilun leur firent comprendre qu'ils avaient peut-être mieux à faire plus haut... où ils retrouvèrent Geralt qui n'avait plus d'adversaire.

Ailleurs, le rôdeur dúnadan faisait aussi fuir les derniers guerriers sur lui, qui n'avaient d'autre choix que de passer Geralt ou essayer de se terrer quelque part pour éviter une mort qui les frappa bientôt. Dans la caverne, le hobbit prit les clés de la gueule de son amie, ses mains à lui étant plus adaptées à leur utilisation. De toute manière elle avait largement de quoi faire car des guerriers arrivaient dans la caverne. Malgré sa blessure, elle bloqua l'entrée de la prison dont elle avait fait voler la porte en éclats, et commença à faire de même avec ses agresseurs, de manière plus traditionnelle : ses griffes et ses crocs firent voler les chairs et le sang de ses ennemis, et bientôt il n'y eut plus aucun adversaire vivant à proximité.

Mordin et Drilun purent franchir le piège magique qui avait été désamorcé et atteindre enfin l'escarpement rocheux où commençait la demeure des Maeghirrim - ou ce qui restait de ces derniers, c'est-à-dire pas grand-chose. Ils purent aider le Dúnadan et l'Eriadorien à finir de nettoyer l'emplacement du Culte de la Longue Nuit de tous ses occupants. Une seule personne fut gardée en vie pour pouvoir l'interroger, et par la suite l'endroit fut fouillé sans révéler rien d'extraordinaire, même si une bibliothèque bien fournie et de nombreux papiers écrits dans la même langue que celle utilisée à Dol Guldur apporteraient peut-être des informations intéressantes.

Mais cela viendrait après, car un autre problème posait souci aux aventuriers : lorsqu'il était entré dans la petite prison, le hobbit avait vite senti que la cellule d'où provenait un faible bruit de respiration comportait de la magie. En cherchant bien il avait fini par trouver la clé qui permettrait d'ouvrir la porte de la cellule, mais lorsqu'il l'avait insérée il avait senti qu'un palier magique était franchi et qu'il risquait de déclencher quelque chose de peu agréable. Quelqu'un était venu, un puissant magicien, qui se doutait bien que les aventuriers ne se laisseraient pas intimider par les survivants du Culte. Et il avait laissé des choses à leur intention...

Des sorts permirent à Drilun, peu après, d'identifier la personne en question : un elfe aux cheveux argent, manifestement une personne importante de Dol Guldur qu'il avait déjà vue par divination. Un utilisateur de magie qui le surclassait très largement, ayant probablement eu des milliers d'années pour affiner son art. L'elfe en question n'était pas non plus dénué d'un certain humour : lors de la fouille des bâtiments et de l'autre caverne, les aventuriers découvrirent que les trésors du Culte avaient tous été subtilisés récemment par quelqu'un qui avait laissé des messages moqueurs ou menaçants derrière lui.

11 - Bombe magique
Lorsque les combats se terminèrent faute de combattants, l'archer-magicien put se porter au secours de Rob qui n'osait plus toucher à la clé qu'il avait laissée dans la serrure. Analysant finement le piège qui avait été préparé, il vit bientôt l'effet qu'aurait eu un geste inconsidéré : la cellule et son occupante, voire plus, auraient été englouties dans une explosion de feu dévastatrice. Peut-être même que la structure de la caverne en aurait été fragilisée, un éboulement meurtrier n'était pas à exclure... A l'aide d'autres sorts, il confirma que Narmirë reposait bien derrière la porte. Également, il semblait que la magie destructrice était déclenchée par la pénétration de quoi que ce fût dans le périmètre de la magie. En revanche, ce qui était dedans pouvait facilement en sortir.

Vif mit cette information en application en arrachant la porte de ses gonds à l'aide de ses griffes puissantes et de sa force de lionne. Derrière le seuil quelque peu massacré, une petite cellule contenait une paillasse sur laquelle reposait une belle elfe inconsciente, sur le dos, les pieds vers la porte mais à un bon pas de cette dernière. Des signes cabalistiques magiques parsemaient la pièce et se terminaient au ras de la porte, et précisément à sa serrure maintenant retirée. Inutile de dire que Narmirë, car il s'agissait bien de celle dont on leur avait fait la description, ne réagit aucunement à leurs appels.

Les runes enchantées avaient été en parties creusées dans le rocher de la pièce et en partie inscrites avec une poussière brillante. Le sort avait pris, selon Drilun, des heures de préparation à un grand magicien elfe, et il n'avait aucun espoir de pouvoir annuler cette magie très supérieure à ce qu'il pouvait faire. De même, ses cailloux divinatoires indiquèrent clairement que la larme de Yavanna n'aurait pas le temps d'annuler la magie si elle était lancée dans la pièce. La déflagration serait garantie. Il fallait trouver autre chose pour sortie l'elfe de là.

Diverses idées fusèrent, mais aucune ne donna satisfaction : hormis un fil très fin ou quelques gouttes d'eau, ou un peu d'air en déplacement, tout ce qui entrait dans la pièce signerait la fin de l'elfe prisonnière - voire de ceux qui se tiendraient trop près. Même à l'aide de la magie de l'archer-magicien, il était impossible de tirer l'elfe comateuse hors de la pièce à l'aide d'un quelconque subterfuge, comme en tirant magiquement sur la paillasse ou elle se trouvait, ou du moins certains de ses éléments. Réveiller l'elfe était également voué à l'échec, et le Dunéen détermina qu'elle resterait dans son état présent encore au moins une journée. Trop pour attendre là sans rien faire, d'autant que rien ne garantissait qu'elle se réveillerait un jour.

Après divinations diverses et propositions en tout genre, sans parler de l'interrogation du prisonnier (qui ne savait rien sauf que le sorcier abattu était le seul qui aurait pu aider), Drilun arriva tout de même à déterminer que la magie pouvait être désactivée par un mot de passe. Mot qui était en fait une phrase dans le parler de Dol Guldur. L'archer-magicien envisagea alors de trouver cette phrase à l'aide de nombreuses divinations portant sur les lettres qui composaient chaque mot de la phrase. Mais la tâche se révélerait vite épuisante pour lui et nécessiterait du repos entre les étapes de la découverte de la phrase-clé. Dans tous les cas, ils étaient coincés là pour un moment, sans parler des risques que quelque chose parte de travers, ou autre mauvaise surprise...
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Horselords - 53e partie : voyage et fin... provisoire

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1 - Nouveau piège
L'archer-magicien se mit tout de même à la tâche, nonobstant la fatigue que cela ne manquerait pas de lui causer et le temps qu'il s'apprêtait à y consacrer. Grâce à ses cailloux et à sa magie divinatoire, il progressait petit à petit, lettre par lettre, dans la découverte de la phrase qui permettrait de désactiver la magie qui retenait l'elfe prisonnière. Il essaya des techniques pour aller plus vite, comme de sauter une lettre sur deux. Mais la structure particulière du noir parler de Dol Guldur, la structure composée des verbes et le petit nombre de voyelles, ne facilitèrent pas la tâche. Malgré l'aide de Taurgil qui maîtrisait très bien la langue lui aussi, ils ne progressèrent que lentement.

Néanmoins, après plus d'une douzaine d'heures de dur labeur, le Dunéen vit sa dernière divination magique prendre un tour particulier. En plus de deviner la nature d'une nouvelle lettre, il comprit que la magie qu'il cherchait à annuler comportait un piège resté caché jusque-là. Lorsque le hobbit avait mis la clé dans la serrure, il avait enclenché un compte à rebours magique pour le déclenchement d'une nouvelle magie. Où se trouvait-elle et que faisait-elle ? De cela il n'avait pas la moindre idée, même s'il se doutait qu'à coup sûr cela signifierait l'explosion de flammes magiques dans la prison, la mort de l'elfe et peut-être l'éboulement des souterrains. Et le temps était compté, il n'avait pas le temps de trouver la fin de la phrase qu'il cherchait.

Un débat eut bientôt lieu entre les aventuriers : ils étaient en danger, il fallait abandonner l'elfe à son triste sort et sauver leur peau à eux. C'est en tout cas ce que pensaient certains, tandis que les autres ne voyaient pas quoi d'autre proposer. Rob, très sensible aux émanations magiques, prit tout de même le temps de faire le tour du repaire pour essayer de détecter de nouvelles émanations de magie active. Il finit par trouver assez vite, mais avec des efforts certains de sa part, que quelque chose se trouvait en fait au-dessus d'eux, du côté des sommets rocheux qui surplombaient les cavernes et escarpements rocheux où ils se trouvaient. Un endroit accessible uniquement par la voie des airs... ou en grimpant le long de la paroi rocheuse, comme seul un grimpeur très doué pouvait le faire. Quelqu'un comme lui...

Restaient tout de même deux problèmes : aurait-il le temps d'arriver là-haut avant que la magie ne s'active, d'une part ; et ensuite, que faire une fois là-haut, pour lui qui ne connaissait rien à la magie ? Il faudrait que Drilun puisse monter examiner la chose, pas lui. La fouille des lieux avait permis de découvrir, dans l'équipement assemblé par les Maeghirrim, de nombreux rouleaux de corde ainsi que du matériel d'escalade ou ce qui pouvait en tenir lieu. Autrement dit, le hobbit avait de quoi l'aider à monter et surtout assez de cordes et de pitons pour faire un chemin de cordes jusqu'au sommet. Ce qui permettrait peut-être d'arriver assez vite et surtout d'amener l'archer-magicien là-haut avec un effort et des compétences d'escalade bien inférieurs à ce dont le petit voleur allait devoir faire preuve. Se posait aussi le problème du poids de toutes ces cordes pour la frêle carrure du hobbit, qui allait être bien gêné. Heureusement, l'équipe avait aussi des cordes de bonne qualité et légères, et le complément apporté par les rouleaux pris sur place amena à une gêne supportable. L'ascension pourrait donc avoir lieu dans de bonnes conditions.

Et elle se déroula sans anicroche : Rob arriva en une vingtaine de minutes, en donnant le maximum de lui-même, à un endroit où une grande créature volante avait pu se poser. Un endroit un peu plat et couvert de runes magiques inscrites récemment par quelqu'un de doué... Drilun arriva à monter là-haut à l'aide des cordes, et il put vite déterminer la nature de la magie qui était sur le point de se déclencher : le sort inscrit dans la pierre allait faire trembler la montagne. Sans doute pas au point de faire des dégâts quelconques voire de créer une avalanche, comme ses amis et lui l'avaient craint un moment. Mais sans doute assez peut-être pour faire tomber quelques pierres dans les souterrains. Ce qui serait sans doute assez pour activer la magie destructrice de la prison et causer sa déflagration...

2 - Libération
Les runes n'étaient pas protégées d'une quelconque manière, néanmoins. Hobbit et Dunéen s'évertuèrent à les effacer ou les abîmer, et bientôt leur magie ne fut plus que souvenir. La montagne ne tremblerait plus, et Drilun avait à présent tout loisir de reprendre ses divinations sans craindre de voir le ciel lui tomber sur la tête. Restait tout de même d'abord à descendre, archer-magicien en premier, tandis que le petit voleur récupérait les cordes à sa suite. Ils n'étaient qu'un peu fatigués par leur escalade. Cela ne gêna guère Rob qui put ensuite se reposer, au contraire de Drilun qui se remit à l'ouvrage afin de libérer au plus vite leur elfe prisonnière.

En soirée, après moult sorts de divinations, il pensa enfin avoir trouvé la phrase complète qu'il recherchait. Sa traduction en langue commune donnait quelque chose comme "un feu pour les amener tous et dans les ténèbres les lier". Maîtrisant parfaitement la langue de Dol Guldur après avoir bénéficié des connaissances du loup-garou Caran Carach avec l'aide de Tevildo, il la prononça sans erreur et il sentit la magie disparaître. Le piège magique était inactif à présent, plus aucune déflagration n'était à craindre. Les aventuriers pénétrèrent tout de même dans la cellule occupée avec précaution, attentifs à d'autres pièges plus classiques, mais rien ne se produisit. Ils transportèrent le corps de l'elfe au dehors pour tenter de la ranimer.

Avec l'aide de magie et du contact de la larme de Yavanna, Narmirë put enfin ouvrir les yeux. Elle voulut prévenir d'un danger, mais Taurgil et ses amis lui dirent qu'elle était en sécurité, que les pièges avaient été désamorcés. Elle expliqua qu'un elfe aux cheveux argentés s'était vanté du vilain tour magique qu'il préparait, alors qu'elle était déjà paralysée et sombrait peu à peu dans l'inconscience. Elle était restée droguée et parfaitement immobile plus de deux jours, et il lui fallut un peu de temps, d'eau et de nourriture pour pouvoir se lever et retrouver une vie un peu normale. Entretemps, des explications furent données et elle se réjouit de bientôt retrouver les siens. Cela faisait des années qu'elle était prisonnière ici, et les aventuriers s'étonnèrent qu'elle n'ait pas été tuée. Il semblait en fait que celui qui l'avait amenée là, un nordique barbu dont Vif se souvint, était tombé un peu amoureux d'elle...

Restait, enfin, à quitter les lieux. L'elfe sylvestre n'était pas en mesure, si tôt, de descendre par elle-même le long de l'étroit sentier qui menait au bas de la falaise. Du coup elle fit le voyage sur le dos de la lionne enchantée, après avoir été rassurée sur sa nature. Narmirë et les six amis purent retrouver leur camp dans les bois ainsi que les chevaux restés en arrière. Bénéficiant de quelques heures de soleil avant la tombée de la nuit, ils progressèrent un peu dans le relief tourmenté des Monts de Fer le long du sentier utilisé par les membres du Culte de la Longue Nuit. Narmirë n'étant pas une cavalière émérite comme ses compagnons, elle chevaucha derrière Geralt tandis que Rob montait seul le cheval surnuméraire amené pour l'occasion.

La nuit venue, un camp fut fait et de la nourriture fut cueillie et préparée par le hobbit tandis que la lionne allait chasser. Le balafré aux cheveux blancs monta la garde pendant la nuit mais rien ne se passa et tous purent dormir profondément, avec l'aide de magie éventuellement pour regagner davantage de force. Au matin ils purent tous sortir des Monts de Fer et chevaucher à plus vive allure vers l'ouest et les armées nordiques, qu'ils rejoignirent en fin de journée. Narmirë put retrouver des gens de chez elle parmi ceux qui restaient encore avec les cavaliers. Elle fut bientôt à pied d’œuvre parmi les blessés dont elle s'occupa, car elle était soigneuse. Elle avait d'ailleurs été capturée non loin de la lisière de la forêt, alors qu'elle cherchait des herbes médicinales.

3 - Retour aux Monts de Fer
Le convoi de chevaux et chariots arriva peu de temps après aux environs de Dale. Taurgil et ses amis auraient bien voulu discuter du partage des chevaux et chariots entre tous et de la part qui leur reviendrait. Ils comprirent néanmoins assez vite que ce n'était pas encore à l'ordre du jour : l'armée allait passer par les territoires des Gramuz, les nordiques fermiers qui les avaient soutenus à l'aller. Victorieux, les Éothraim se devaient de payer leurs alliés en retour. D'une part il faudrait - c'était bien le moins - compenser leur passage à l'aller et au retour par des dons de nourriture ou équipements équivalents à ce qu'ils avaient consommé. D'autre part, pour la bonne santé des relations diplomatiques et commerciales entre nordiques, il convenait aussi d'offrir plus, et en particulier des chevaux. C'était à la fois une manière de récompenser des risques pris vis-à-vis de possibles représailles des Sagaths, et une façon de favoriser un fructueux commerce à l'avenir...

Bref, le "butin" ramené par l'armée risquait de diminuer avec le temps, sans parler de la nourriture consommée par les nordiques eux-mêmes. Le véritable partage n'aurait donc lieu, d'après les chefs des six tribus nordiques, qu'une fois leurs terres retrouvées, à savoir après le franchissement de la Celduin, la "Rivière Courante". A l'allure où le convoi se traînait, il faudrait bien deux semaines avant d'en arriver là, selon les estimations de Mordin ou des nordiques eux-mêmes. N'y avait-il pas mieux à faire que de traîner avec l'armée pendant tout ce temps ? Les blessés étaient bien soignés, même si les derniers elfes furent bientôt partis, Narmirë comprise. Mais il restait un chariot rempli de bouts de dragon à valoriser. N'était-il pas temps d'aller voir les nains des Monts de Fer, à Azanulinbar-Dûm, pour profiter de leurs compétences en la matière ?

Le voyage fut effectivement décidé. Il faudrait une semaine pour arriver là-bas, peut-être moins en forçant les chevaux. Le train d'attelage fut porté à quatre chevaux, plus deux chevaux de plus à l'arrière pour faire une rotation et reposer les bêtes. Cela permettrait aussi éventuellement de laisser le chariot là-bas et de revenir plus vite, les montures en trop chargées des produits finis ou des cuirs et autres parties brutes qui ne seraient ni transformés ni monnayés. Ce qui laissait un peu moins d'une semaine pour faire des affaires là-bas et acheter du matériel ou le service des meilleurs artisans nains.

Le chariot rempli de morceaux de cuir, os, dents et cornes de dragon quitta donc les nordiques un matin pour retourner vers les Monts de Fer, mais par le sud cette fois-ci. Geralt conduisait l’attelage et les autres suivaient à cheval. Vif reprit forme humaine afin de ne pas poser problème aux nains et pouvoir pénétrer dans leurs cavernes, ce qui ne l'enchantait guère. Il fallut un peu moins de six jours pour arriver là-bas, près des sources de la rivière appelée l'Eau Rouge (Carnen) où les nains avaient établi leur demeure souterraine. Cette rivière prenait son nom de la coloration rougeâtre que lui donnaient les gisements de fer des environs, gisements qui avaient justement incité les nains à venir ici.

Mordin échangea bientôt avec ses congénères, avant même d'arriver à la demeure des nains, puis aux portes de cette dernière. Les échos de la victoire des nordiques et de la défaite des Sagaths étaient déjà parvenus jusqu'ici et ils avaient stimulé le commerce : les orientaux, privés de leurs éléments les plus agressifs et dangereux, n'étaient plus considérés comme une menace sérieuse. Après la Peste et les raids des orientaux, les besoins étaient grands d'échanger des biens de toute sorte. Le rôle des aventuriers dans le Rhovanion n'était pas passé inaperçu, et le nain du groupe dut confirmer voire préciser nombre d'informations concernant leurs aventures ou eux-mêmes. Il en profita parfois, comme tout nain qui se respecte, pour obtenir quelques faveurs ou informations. Enfin, ils purent tous entrer, même Isilmë, malgré les regards désapprobateurs des gardes qui les laissèrent passer.

4 - Transformations
Le soir même de leur arrivée à Azanulinbar-Dûm, un messager était envoyé au roi des nains des Monts de Fer afin d'obtenir une entrevue et pouvoir discuter des besoins et désirs des aventuriers. Il faudrait sans doute un peu de temps avant d'obtenir une réponse, mais au moins Mordin avait-il l'assurance, grâce à ses contacts et à sa verve (ou son argent), que la demande parviendrait vite à destination. En parallèle, il fila voir les maîtres-artisans pour essayer de faire affaire avec eux. Entre le cuir, les cornes et l'os de dragon apportés, le travail ne manquerait pas pour leur faire faire des armes et armures. Encore fallait-il avoir le temps de les fabriquer.

Il arriva à voir deux des maîtres-artisans qu'il voulait voir le soir de leur arrivée, et le troisième le lendemain matin. A chacun il leur proposa de travailler ce fabuleux matériau tiré du corps des ennemis jurés des nains, les dragons, afin d'en faire ce dont ils auraient bien vite besoin : des armures, arcs et armes blanches non métalliques. En effet, dans le Grand Nord où Tevildo comptait les emmener bientôt, le froid glacial de l'hiver avait la réputation de transformer les armes et armures métalliques en cadeaux empoisonnés. Le contact avec un objet de métal était le plus sûr moyen de perdre un bout de peau voire un membre, et une armure de métal, en plus d'être cassante par des froids extrêmes, absorbait trop facilement la chaleur du corps pour être une réelle option.

Les artisans se montrèrent très intéressés par le matériau qu'on leur proposait : c'était un défi pour les meilleurs d'entre eux, qui n'avaient jamais travaillé pareille matière, vue seulement sur de rares artefacts. En revanche, ils étaient peu nombreux à pouvoir la travailler, et ils avaient d'autres contrats à honorer. Les talents de négociateur de Mordin n'étaient plus à démontrer, et ils suffirent. De l'or ou des bouts de dragon bruts pouvaient servir de monnaie d'échange, et ils n'en manquaient pas, ce ne fut pas un réel problème. Par contre, le temps nécessaire pour faire ces transformations manquait : le groupe n'était là que pour six jours, ce qui limitait très fortement les possibilités des artisans. A moins de faire une livraison ultérieure à Fornost Erain, mais seraient-ils longtemps là-bas ? Et un convoi ne risquait-il pas d'être intercepté ?

La question était particulièrement délicate pour tout ce qui concernait le cuir de dragon. Sa préparation nécessitait plusieurs semaines pour le rendre apte à un travail soigné ensuite. Cela, plus la fabrication d'une demi-douzaine d'armures, demanderait un délai estimé à trois mois par le chef des armuriers spécialisés dans le travail du cuir. Même en bloquant le travail des meilleurs artisans par des promesses d'or et d'une partie importante du cuir brut de dragon, Mordin ne put faire mieux que diviser ce délai par deux. Ils ne pouvaient donc repartir d'ici avec des armures prêtes à affronter tant le froid du Grand Nord que la chaleur d'autres dragons. Or ils s'attendaient bien à rencontrer les deux dans un futur pas si éloigné que cela... D'un autre côté, ne pas traiter le cuir de dragon l'amènerait vite à se détériorer. Même en y consacrant du temps en route, il y aurait sûrement de la perte.

Pour les armes, il en allait autrement. Une corne commença très vite à être transformée en un arc court dont le hobbit serait bientôt l'heureux possesseur. En même temps qu'il prenait forme, Mordin avait obtenu que Drilun pût suivre la fabrication de l'arme en y apposant ses runes magiques, afin de réaliser un arc digne des temps anciens. L'archer-magicien avait à présent une telle maîtrise de cet art qu'il s'en sentait parfaitement capable, aidé par ses outils et divers parchemins qui pouvaient l'aider à une telle conception. Egalement, sa magie serait renforcée par le matériau exceptionnel qui servirait de base à l'arme. La semaine serait bien remplie pour lui.

Restait aussi à fabriquer des épées ou autres armes de contact en ivoire. L'os, la corne ou la dent de dragon, extrêmement solides, pouvaient en effet se transformer en manches voire pointes ou lames d'une solidité ou d'un tranchant équivalant à ceux des meilleurs aciers. Par contre, le Dunéen était déjà trop pris par l'arc destiné à Rob pour apposer des runes magiques sur d'autres armes. Et si les nains comportaient des artisans exceptionnels, ceux de l'Arthedain étaient pratiquement aussi bons. Par ailleurs, les nains n'avaient pas le temps de réaliser grand-chose en quelques jours. Le groupe décida alors de voir plus tard, à Fornost Erain, à transformer ce matériau avec l'aide des artisans du roi.

5 - Rêves et discussions
Les premiers jours passèrent, à se reposer pour certains, à écrire des runes magiques (et faire baver les artisans nains) pour un autre, et d'autres choses encore. Mais la convocation à voir le roi n'arrivait toujours pas. En revanche, les problèmes des délais et possibles livraisons d'armes et armures faites en cuir ou corne de dragon se faisaient chaque jour plus aigus. Si bien que le groupe sentit le besoin de contacter Tevildo pour en avoir le cœur net : combien de temps cet esprit des temps anciens leur laisserait à Fornost pour se préparer à affronter les rigueurs du Grand Nord ? Ces derniers temps, les aventuriers ayant bénéficié des enchantements de Tevildo, guérison ou apprentissages rapides, et qui avaient donc un lien magique avec cet être, avaient cru déceler comme une certaine impatience. Les forcerait-il à le suivre plus tôt que prévu ?

Le premier, Rob essaya, une nuit, de rentrer en contact avec cet esprit désincarné qui possédait le corps d'une guérisseuse du nom de Tina, sous la forme enchantée d'un lynx blanc. Le hobbit avait été soigné de nombreuses fois par Tevildo et son lien avec lui était très fort. Aussi l'être lui apparut-il bientôt en rêve. Le petit voleur lui posa maintes questions tout en tâchant - et réussissant tant bien que mal - à empêcher l'emprise que l'esprit avait sur lui de se renforcer. Le sentiment d'urgence fut confirmé et ses causes en partie expliquées. Ce qui ne préjugeait pas de la capacité de Tevildo à être franc avec le hobbit, ou au contraire à le manipuler.

Lorsqu'il se réveilla, Rob parla à ses amis de cet entretien onirique. Amis qui ne comprirent pas complètement le petit voleur, même s'il semblait brusquement motivé pour ne pas perdre de temps et aller vite au nord. Il était question de menaces à éviter en partant au plus vite, mais la seule date butoir avancée était la nouvelle année, ce qui laissait plus de cinq mois - largement assez pour rentrer en Arthedain et se préparer tranquillement. Taurgil pensa alors que la date butoir correspondait peut-être à leur arrivée quelque part dans le Grand Nord, sans savoir combien de temps il faudrait pour y parvenir...

En tout cas, le récit de Rob amenait davantage de questions que de réponses, et Isilmë tenta à son tour, à la nuit suivante, de contacter Tevildo. Le Prince des Chats répondit présent et, s'il n'arriva pas plus à gagner en influence dans l'âme de l'archère elfe, cette dernière, comme son petit ami, ressortit de l'entretien elle aussi avec un sentiment d'urgence. Les éléments qu'elle rapporta à ses compagnons étaient plus faciles à comprendre, également : le Maia lui avait dit que le Nécromancien mais aussi le Roi-Sorcier d'Angmar étaient à présent fort courroucés vis-à-vis des aventuriers. Des individus très spéciaux étaient en route pour régler leur compte définitivement, et la fuite dans le Grand Nord était le meilleur moyen de ne pas leur faciliter la tâche...

L'entretien s'était interrompu un peu brutalement. En effet, au tout début, Drilun avait usé d'un sort pour partager le rêve que faisait son amie elfe. Mais dès l'arrivée de Tevildo, sa magie avait été rompue et il avait été proprement éjecté de l'esprit d'Isilmë. Le Dunéen était alors allé chercher la larme de Yavanna afin de lui garantir une protection sans faille contre la magie du Prince des Chats. Malheureusement, cela avait eu pour principale conséquence de faire fuir ce dernier. L'archer-magicien n'avait rien pu constater par lui-même, ce qui de toute manière ne changeait rien : les éléments avancés par Isilmë se tenaient bien, et ils devaient à présent payer leur exploit d'avoir pu entrer et ressortir de Dol Guldur. Ce qui était aussi valable pour Bronwyn, fille d'Atagavia, tirée des geôles du Nécromancien. Tevildo suggéra d'ailleurs qu'elle partît de chez elle pour accompagner chevaux et aventuriers jusqu'à Fornost... voire au-delà ?

Drilun n'en resta pas là et il fit par la suite, et même au cours du voyage vers l'Arthedain qui suivrait, des divinations magiques ou rêves prémonitoires réguliers. Il en tira comme enseignements que trois êtres au moins étaient en route pour leur faire passer un mauvais quart d'heure, destiné à être leur dernier quart d'heure en fait. Et l'un d'entre eux n'était autre que le démon du froid qu'ils avaient vu lors de leur sortie de Dol Guldur. Cet être n'avait fait qu'une bouchée d'eux l'unique fois où ils l'avaient combattu, et ils seraient sans doute morts ou prisonniers du Nécromancien si Radagast n'était pas arrivé à point nommé pour les sauver de la créature. D'ailleurs, l'archer-magicien voyait aussi dans ses visions deux personnages les protéger, personnages qu'il assimila facilement aux magiciens gris et brun. Mais ils ne seraient sans doute pas derrière eux tout le temps.

6 - Entretien avec le roi des nains
L'information arriva à la fin du troisième jour sur place : Fulla III, roi des nains des Monts de Fer, accordait une audience à Mordin et ses amis le surlendemain, très tôt dans la matinée. Même si la forteresse était essentiellement souterraine, l'alternance entre jour et nuit était respecté grâce à un système de cloches qui rythmaient la vie sous terre, comme d'ailleurs chez les nains des Monts Brumeux, à Khazad-Dûm. Après discussion entre eux, les aventuriers décidèrent de se présenter à quatre. La présence d'une elfe ne serait pas forcément vue d'un très bon œil donc il valait mieux laisser Isilmë à l'écart ; Rob était présenté comme un cuisinier et passait facilement pour un enfant, ce qui ferait un peu déplacé face au roi ; et Vif, en plus d'être mal à l'aise dans cette forteresse de pierre et sans vie, faisait un peu trop jeune paysanne fruste pour bien s'intégrer à une mission diplomatique.

Mordin se présenta donc devant le roi accompagné de Taurgil, noble Dúnadan, et de Drilun et Geralt, qui passaient pour ses gardes du corps. Les talents du Dunéen et les nombreuses cicatrices du balafré aux cheveux blancs ne pouvaient déplaire aux nains, redoutables guerriers et artisans. Les présentations furent faites, et le roi montra qu'il avait beaucoup entendu parler de Mordin et de ses amis récemment. Même le récent combat des nordiques contre les Sagaths était parvenu jusqu'à lui, comme en attestait d'ailleurs le nombre récent de missions commerciales à avoir quitté Azanulinbar-Dûm. Le marchand nain savait bien qu'au retour d'une expédition dans le monde extérieur, les nains se faisaient fort de renseigner leurs pairs sur ce qu'ils avaient vu et entendu dans le vaste monde. Il suffisait à son roi d'être bien à l'écoute de ses sujets pour rester bien informé. Peut-être aussi avait-il un réseau d'artisans nains installés dans les villes humaines qui lui faisaient passer des informations d'une manière ou d'une autre.

Fulla III, donc, avait apparemment suivi avec intérêt les périples de la troupe qui s'était présentée aux nordiques comme des ambassadeurs d'Arthedain. Il avait l'air d'en savoir beaucoup sur leurs aventures passées, au point de remarquer l'absence d'un grand félin ou de s'étonner de la présence d'une elfe et d'un semi-homme dans cette équipe vraiment très bigarrée. Mordin donna des arguments pour expliquer l'utilité du hobbit, dont la capacité à se faire oublier leur servait beaucoup, et d'Isilmë, très bonne soigneuse. Surprenant ses amis présents, il avoua aussi que Vif et la lionne enchantée, soi-disant appelée par la magie des elfes, étaient toutes deux le même être. Devinant que le roi ne voyait peut-être pas d'un très bon œil la présence d'une sorcière chez lui, il expliqua qu'elle était en fait l'assistante ou l'héritière de la magie du magicien brun, Radagast, qui semblait connu du roi.

Drilun eut droit aussi à sa part de questions : les artisans nains avaient manifestement rapporté à quel point il était doué dans un art où pratiquement seuls les nains et les elfes se faisaient concurrence. Le roi était donc très curieux quant à l'origine de ses compétences magiques, se demandant si les elfes n'y étaient pas pour quelque chose. Drilun éluda la question en focalisant son histoire sur son passage à Khazad-Dûm et la hache magique qu'il y avait réalisée pour son compagnon nain, et le roi sembla s'en accommoder. Même si son étonnement était bien palpable de voir un si jeune homme damer le pion à ses meilleurs artisans, concernant une discipline considérée comme secrète, du moins dans sa mise en œuvre. Taurgil et Geralt eurent également l'occasion de parler d'eux et d'expliquer leur raison d'être dans la région. Le Dúnadan était fidèle à son image, mais en revanche le balafré aux cheveux blancs était plus un mystère pour le roi nain. Il s'étonna de voir un si féroce guerrier avoir reçu autant de cicatrices... et y avoir survécu.

Après ces présentations, Mordin aborda le cœur de l'objet de leur visite : il expliqua à quel point les missions de son équipe avaient un impact positif sur l'équilibre politico-économique de la région, ce que son roi ne chercha pas à contester. Effectivement, le passage des sept aventuriers s'était traduit par une pacification du Rhovanion et une relance très récente de l'économie comme personne ne s'y attendait. Le nain du groupe poursuivit son récit avec l'idée que leur mission n'était pas terminée : au-delà des sorciers et Sagaths vaincus et des chevaux qu'ils allaient rapporter, il restait d'autres ennemis qui continuaient à tirer les ficelles. Le Nécromancien et le Roi-Sorcier d'Angmar ne s'en arrêteraient pas là, et pour continuer à les combattre ses amis et lui devaient aller prochainement dans le Grand Nord et ils avaient besoin du meilleur matériel possible. Qui d'autre que les nains pouvait le leur fournir en un temps si limité ?

Fulla III acquiesça et dit qu'il ne voyait pas d'objection à aider comme il pouvait le groupe d'aventuriers. Mais ses ressources étaient tout de même limitées : les nains des Monts de Fer étaient surtout spécialisés dans les équipements métalliques, comme l'abondance du fer dans la région le laissait supposer. S'ils avaient de très bons artisans pour le travail du cuir, du bois voire de l'os ou la corne, ce n'était pas pour autant qu'ils avaient des armes ou armures exceptionnelles à fournir dans ces matériaux, particulièrement pour des tailles non naines. Les armures d'exception, en particulier, étaient toutes réservées à des seigneurs nains, et elles étaient pour la plupart en métal. Le roi finit l'entretien en disant qu'il donnerait des ordres aux artisans et verrait auprès de ses gens de manière à aider au mieux Mordin et ses amis.

7 - Derniers achats et tractations
Satisfaits du déroulement de l'entretien, les quatre amis quittèrent le roi pour bientôt aller voir les maîtres-artisans à qui ils avaient déjà eu affaire. S'ils comprenaient bien, ils avaient à présent l'appui politique du roi, ce qui se traduirait par la prise en compte de leurs besoins en priorité. Et peut-être même auraient-il accès à de l'équipement qu'on ne proposait d'ordinaire pas à d'autres qu'à des seigneurs nains ou des rois d'autres contrées. Néanmoins, cet appui ne faisait pas tout. D'une part, les nains ne pouvaient réaliser n'importe quoi dans la journée et demie qu'il leur restait ; d'autre part, la négociation faisait partie de la culture naine et les talents de Mordin seraient sans doute encore mis à contribution. Et l'or ou autres valeurs pouvaient apporter davantage de motivation, et donc de qualité au final, pour la réalisation d'un produit fini.

Malheureusement, les paroles du roi avaient été justes également sur un autre point : contrairement aux elfes qui privilégiaient la légèreté, les nains favorisaient la résistance, quitte à la marier avec du poids. Et en particulier avec du métal. Toutes choses qui ne faisaient pas bon ménage dans le Grand Nord, où il faudrait combiner les matériaux les plus isolants possibles avec un encombrement minimal pour ne pas s'épuiser face à ce qui les attendait. Et si les nains avaient leurs propres artisans capables de manier les runes magiques, comme l'archer-magicien, ils les réservaient en général aux meilleures armures, ce qui pour eux voulait dire les armures métalliques...

Le groupe obtint tout de même une aide précieuse de la part des artisans. Plusieurs de leurs armures avaient été endommagées lors de divers combats : armures de cuir comme celle d'Isilmë, mais aussi le haubert de mailles de mithril du Dúnadan. Le cuir spécial dont étaient faites les vestes prises aux sorciers du Rhovanion laissèrent perplexes les nains quant à leur origine. Ils s'accordèrent néanmoins à dire qu'elles étaient d'une incroyable solidité, mais pas au point de les mettre en échec. Et ainsi tout fut-il réparé et comme neuf, après au plus une journée. L'armure de mithril fit des envieux, car le mithril était originaire des Monts Brumeux uniquement et de tels objets étaient rares dans les Monts de Fer...

Pour le reste, les nains présentèrent ce qu'ils pouvaient proposer de mieux aux aventuriers dans les matériaux demandés, mais cela restait limité. Mordin, ayant le bon gabarit, obtint ainsi une armure de cuir rigide de fabrication naine digne d'un grand seigneur. C'était même sans doute une armure destinée voire déjà portée par un seigneur local, et qui remplacerait avantageusement son armure de mailles. Pour les autres, ils ne trouvèrent presque rien qu'ils n'eussent déjà. Taurgil bénéficia de gants de cuir de grande qualité, et Isilmë fut équipée d'une cape de cuir très résistante et protectrice également. Hormis cela, et l'arc en corne de dragon destiné au hobbit, les nains n'avaient pas ce que les aventuriers recherchaient.

En revanche, après des tractations presque trop faciles, Mordin obtint la garantie qu'ils traiteraient les cuirs de dragon en échange d'une partie d'entre eux. Le marchand nain négocia du maître-artisan qu'il se contentât de 15 % des cuirs bruts, pour son propre usage, en échange de la préparation de l'ensemble des cuirs qu'ils avaient apportés sur place. Ce qui comprenait aussi leur envoi à Fornost Erain, où l'équipe, à défaut de pouvoir s'en servir, savait que les artisans du roi Argeleb II trouveraient à en faire bon usage dans leur guerre contre Angmar. Le reste des morceaux de dragon, essentiellement sous forme de morceaux de cornes, repartirait avec eux. Ils ne risquaient pas de s'abîmer et ils auraient plus de temps pour en faire des armes une fois qu'ils seraient de retour à Fornost Erain.

8 - Nouvelles tractations
Restait à présent à rejoindre l'armée nordique qui ne les attendrait sans doute pas pour partager chevaux et autre butin. En effet, selon leurs calculs, les Éothraim devaient être sur le point de franchir la Celduin qui marquait la frontière entre les terres des Gramuz et les leurs. Après quoi les armées des différents clans se sépareraient, non sans avoir partagé entre eux ce qu'ils avaient pris aux Sagaths. Or il faudrait bien près de deux jours pour rejoindre le gué sur la "Rivière Courante", et les ambassadeurs d'Arthedain ne tenaient pas à ce que les tractations se passent sans eux. Une fois mis devant le fait accompli, même s'ils savaient qu'ils seraient défendus par Bronwyn voire d'autres, il serait difficile de faire valoir leurs arguments.

Ils partirent donc au matin du septième jour à compter du début de leur séjour chez les nains. Leur chariot fut gracieusement laissé sur place, même si d'une certaine manière il servait en partie à payer le futur transport des cuirs de dragon à Fornost. Auparavant, Vif avait quitté la demeure des nains un peu avant ses amis afin de reprendre forme féline et pouvoir se reposer de sa transformation. Le contenu du chariot qu'ils conservaient fut réparti entre les six chevaux qui s'étaient relayés pour tirer le véhicule à l'aller. Et ils partirent vers le sud-ouest.

Le paysage fila vite, d'autant qu'ils n'hésitèrent pas à forcer un peu l'allure. Le temps restait au beau fixe, chaud sans l'être trop, les chevaux n'étaient pas très chargés, et Geralt était assez doué pour diriger correctement et rapidement tous leurs animaux de bât. Si bien qu'ils mirent un peu plus d'une journée et demie pour arriver au gué sur la Celduin. L'armée nordique l'avait franchie la veille, avec l'ensemble du convoi, moins ce qu'ils avaient donné comme paiement ou cadeaux aux Gramuz chez qui ils étaient passés. Cela représentait environ dix pour cent de leurs "gains", si bien qu'il ne restait plus qu'un peu moins de deux mille chevaux à se partager, sans compter le contenu des chariots, eux aussi moins nombreux. Et une partie non négligeable des provisions transportées avait été consommée par l'armée.

Les six chefs de clan avaient déjà commencé les tractations entre eux, aidés par leurs plus proches aides et conseillers, comme Bronwyn par exemple. Taurgil et ses amis arrivèrent à temps pour faire valoir leurs demandes, donc. Avec une difficulté de taille, qui était de comparer des choses très différentes entre gens ayant des échelles de valeur bien distinctes. Comment évaluer le rôle des aventuriers face aux morts subies dans l'armée nordique ? Combien valait un guerrier nordique disparu, ou un guerrier handicapé à vie ? Comment chiffrer le prix de la paix retrouvée dans le Rhovanion ? Et puis au-delà du partage des chevaux et autres biens, les aventuriers savaient qu'ils avaient besoin des nordiques pour ramener ces chevaux dans l'Arthedain.

Les tractations durèrent longtemps. Elles furent tendues parfois, mais globalement cordiales, en raison notamment du capital de sympathie dont bénéficiait le groupe, et du soutien sans faille de Bronwyn entre autres. Mordin mit l'accent sur la nécessité de penser à l'avenir et pas juste aux bénéfices immédiats : il recommanda de ne pas en exiger trop, mais de profiter du regain économique des nordiques pour favoriser des liens commerciaux ultérieurs avec eux. Mieux valait demander moins de chevaux tout de suite mais davantage à l'avenir. Ils en auraient bien assez tout de suite par rapport à ce qui avait été prévu voire espéré, et ce serait encore mieux si de nouveaux convois venaient renforcer régulièrement, dans les années à suivre, les haras des Dúnedain. Si les Éothraim bénéficiaient plus du partage que ce que Taurgil ou ses amis auraient voulu, ils se sentiraient davantage obligés de rendre la pareille à l'avenir, ce qui profiterait à tous.

9 - Accord final
Petit à petit, le partage des chevaux et autres possessions tirées du convoi finit par se dessiner, sans oublier l'aide nécessaire pour aider à tout rapporter en Arthedain. Si Taurgil et d'autres aventuriers avaient commencé à tenir la comptabilité précise des gains et pertes de part et d'autre pour servir d'arguments, cette approche mercantile finit par s'effacer devant la bonne volonté de tous. Les Éothraim étaient conscients du travail fantastique que le groupe avait prodigué et ils étaient prêts à faire des concessions. Les ambassadeurs d'Arthedain, de leur côté, pouvaient comprendre les difficultés issues des morts de cette courte guerre et de la Peste avant cela. Entre court terme et long terme, entre les intérêts du Rhovanion et ceux de l'Arthedain, entre la politique et le quotidien des gens, un compromis fut trouvé.

Au final, mille chevaux partiraient pour l'Arthedain, sans compter ceux qui seraient montés par les nordiques qui accompagneraient le convoi. Cela représentait plus de la moitié des équidés non montés pris aux Sagaths à arriver sur les terres des Éothraim. Bien qu'en fait le compte n'était pas parfaitement juste, car cela comprenait aussi les chevaux promis par les différents clans des cavaliers lorsque l'équipe avait fait le tour de la région pour les aider tous et les rallier à leur cause. C'était tout de même énorme, même si le Dúnadan n'était qu'à moitié satisfait et en aurait voulu plus.

D'autant que tout cela n'était pas gratuit : pour obtenir autant de chevaux, Mordin dut au final se séparer de mille six cents pièces d'or : une pièce d'or par cheval, puis, plus tard, six cents pièces d'or pour ceux qui les accompagneraient. Mais cet or permettrait aux nordiques de ne manquer de rien et cet afflux de valeurs stimulerait notablement le commerce dans les années à venir. Et comparé au prix moyen d'un cheval après la Peste, qui avoisinait les trente pièces d'or, ce n'était pas grand-chose. Qui plus est, même après cela le groupe restait riche et les poches bien remplies : entre les mille pièces d'or remises par le roi d'Arthedain et les mille deux cents pièces d'or apportées par Narmegil, il en restait encore six cents. Et c'était sans compter l'or pris aux sorciers çà et là, même si la majeure partie avait servi pour financer l'effort de guerre. Bref, ils allaient rendre de l'argent au roi Argeleb II, qui en plus comptait au départ sur trois cents chevaux...

Les nordiques comptaient garder l'ensemble des chariots et leur contenu, arguant du fait que les ambassadeurs n'en avaient pas vraiment besoin et qu'ils repartaient avec plus de chevaux que quiconque. Mais ils acceptèrent sans mal de faire trois exceptions : les vivres nécessaires au voyage seraient prises sur les réserves confisquées aux Sagaths, d'une part. L'équipement des nordiques qui accompagneraient le groupe en Arthedain serait complété par celui présent dans les chariots, de manière raisonnable. Enfin, Taurgil et ses compagnons avaient une dette envers les voleurs de Forpays, et s'ils ne comptaient pas la payer avec des espèces sonnantes et trébuchantes, ils tenaient tout de même à laisser quelques chariots divers et leur contenu pour apaiser les demandes des voleurs et ne plus avoir affaire à eux.

Restaient les frais du voyage et de ceux qui les accompagneraient. Le convoi pour l'Arthedain traverserait des terres habitées et il aurait un impact physique sur les champs et pâtures, qui n'étaient pas à la disposition de tous gratuitement. Un peu d'or aiderait à accommoder leurs recommandations et le poids politique qu'ils représentaient. Et les nordiques prêts à les accompagner seraient d'autant plus nombreux et motivés que les perspectives de refaire une vie comme éleveurs ou mercenaires dans l'Eriador s'accompagnaient d'une somme non négligeable pour faire face à de nouveaux frais. Ce qui ne fut pas toujours facile à avaler pour Mordin, à qui certains de ses amis firent remarquer qu'ils étaient riches au-delà de leurs besoins ; et de toute manière, à quoi leur servirait tout cet or dans le Grand Nord ?

10 - Discours et enrôlement
Maintenant que le nombre de chevaux à ramener était connu, restait à trouver les nordiques pour les aider dans cette tâche. Pour encadrer mille équidés, Taurgil et ses amis auraient bien vu une centaine de cavaliers les accompagner. Était-ce envisageable ? Bronwyn fit remarquer que d'une part, les aventuriers bénéficiaient d'un fort capital de sympathie auprès des jeunes qui rêvaient d'aventure. De plus, une partie d'entre eux, en particulier chez les Gadraughts, avaient vécu de terribles expériences qui les mettaient à part et les empêchaient de s'intégrer correctement aux leurs. Sans parler de ceux qui avaient perdu des êtres chers au cours des conflits contre les Sagaths et pour qui l'éloignement aiderait à oublier. Bref, il y avait certainement là un potentiel.

Un autre élément qui pouvait jouer était la personne qui serait mise à la tête de cette troupe. En dehors des aventuriers eux-mêmes, les nordiques apprécieraient de se voir donner des ordres par l'un d'entre eux. Encore fallait-il trouver quelqu'un qui fasse l'unanimité et qui ne ravive pas des tensions inévitables entre clans. Or il existait une telle personne, reconnue et appréciée de tous : Bronwyn. Ce qui n'était pas sans rappeler certains conseils de Tevildo la concernant : le Maia n'avait-il pas dit en rêve à Rob et Isilmë que la fille d'Atagavia serait plus en sécurité loin de chez elle ? Mais souhaiterait-elle partir, et son père l'accepterait-il ?

Le mieux était de sonder le terrain, ce qui fut fait. Que la fougueuse princesse cavalière des Waildungs fût tentée d'aller voir du pays, cela ne surprenait pas vraiment les aventuriers. Pour l'avoir côtoyée un bon moment, ils avaient pu jauger de son côté aventureux, prêt à prendre des risques et à côtoyer de nouveaux individus. En revanche, la réaction du père en surprit plus d'un. Atagavia était en effet plutôt favorable à voir sa fille prendre un peu de distance. Il faut dire qu'il avait compris que le Nécromancien avait des visées particulières sur sa fille, d'autant qu'elle faisait désormais partie des rares personnes des peuples libres à avoir vu l'intérieur de Dol Guldur sans avoir perdu la vie ou la raison - contrairement à son frère, qui n'avait pas vraiment gardé mémoire de l'événement. Et apparemment, le prince des Waildungs avait aussi eu vent de mouvements de troupes et de combats en forêt, pendant qu'ils étaient partis guerroyer. Il se disait donc que la proximité des aventuriers était peut-être préférable à la sienne pour la garder en bonne santé...

Au final, Bronwyn conseilla aux aventuriers de s'adresser directement aux guerriers des clans qui avaient combattu, avec l'aval des chefs de clan. La paix étant amenée à prendre ses droits dans le Rhovanion, les perspectives de combat seraient limitées et le désir d'aventure et de bataille contre les armées d'Angmar - qui comportaient de nombreux orientaux - pouvait attirer du monde. Taurgil, sans doute le personnage le plus charismatique du groupe avec Drilun, décida de faire un discours aux hommes encore présents. Il n'eut pas de mal à obtenir l'accord des six chefs de clan, et il se présenta au matin aux armées réunies, avant leur séparation.

La voix amplifiée magiquement par l'archer-magicien, le Dúnadan fit un discours inspiré où il mit beaucoup de son énergie et de sa motivation. Il parla de rapprochement entre les peuples libres, de refaire une vie comme mercenaire ou éleveur reconnu dans un pays qui en avait bien besoin, de bon matériel à piocher dans les affaires prises aux Sagaths, de deux pièces d'or pour aider à se faire une nouvelle vie... Sans oublier de parler de Bronwyn qui les accompagnerait, ou encore d'allers-retours réguliers dans le Rhovanion suite aux échanges renforcés entre les deux peuples, et de nouveaux chevaux à aller chercher et rapporter en Arthedain.

Le succès dépassa l'espérance des aventuriers, qui avaient oublié peut-être à quel point leur statut de héros était important : n'avaient-ils pas sauvé de nombreuses vies nordiques et pacifié la région en détruisant sorciers et armées d'orientaux ? N'avaient-ils pas combattu et tué des dragons ? N'avaient-ils pas sauvé Bronwyn des geôles de Dol Guldur, même si beaucoup avaient du mal à le croire ? Au final, trois cents Éothraim décidèrent de changer de vie ou au moins d'accompagner les ambassadeurs d'Arthedain jusqu'à Fornost Erain. Trois cents cavaliers ! Si Mordin manqua de s'étouffer devant l'argent à donner, en revanche un pareil nombre garantissait que le millier de chevaux dont ils auraient la garde serait bien encadré. Par contre, les chefs de clan, même s'ils respectaient le choix de leurs sujets, faisaient un peu la grimace à l'idée d'autant de départs de leurs rangs...

11 - Début de voyage et nouvelles
Les armées se séparèrent ensuite, certains comme Taurgil et ses amis prenant la route du sud alors que d'autres allaient vers l'est. Les aventuriers dirent donc adieu aux Algifryonds et aux Gadraughts, moins ceux - et ils étaient nombreux - qui viendraient avec eux jusqu'en Eriador. Puis ce fut le tour des Ailgarthas de les quitter, non sans un hommage appuyé de leur chef, Mahrcared. Après quoi les terres des Waildungs furent atteintes, qui vit le départ d'Atagavia et des siens. Bronwyn quitta donc son père et son frère, non sans bonne raison : plus les armées longeaient la Forêt Sombre, plus leur parvenaient des échos de combats en son sein. Pendant que nordiques et aventuriers combattaient orientaux et dragons, les orcs de la forêt avaient semblait-il lancé des opérations en direction des lisières. Mais les elfes de Thranduil les attendaient au passage et leur avaient tendu des embuscades. Ce qui ne voulait pas dire que de futures opérations ne seraient pas reconduites...

C'est aussi le moment que choisit Mordin pour s'écarter un peu du groupe, après avoir sollicité une entrevue avec le magicien brun auprès des gens susceptibles d'être en contact avec lui. Manifestement son appel avait été entendu car il était parti vers la forêt, bien décidé à discuter avec Radagast de choses concernant leur future mission dans le Grand Nord. Car lui seul, de toute l'équipe, n'avait pas subi de corruption de la part de Tevildo, et il s'alarmait des conséquences que leur prochaine quête pourrait avoir sur les peuples libres. Il avait pu constater à quel point cet esprit des temps anciens était puissant et ses amis de plus en plus sous son contrôle. Quels buts poursuivait-il, et Vif et les autres étaient-ils autre chose que des pions bientôt opposés aux peuples libres ? Il revint en partie rasséréné : il n'était pas le seul à se poser des questions et il avait eu l'assurance de trouver plus d'amis dans le Grand Nord qu'il l'avait escompté...

Plus tard, les troupes restantes passèrent les abords de Forpays, où ils ne s'arrêtèrent pas. A proximité de la ville, Taurgil et ses amis laissèrent quelques chariots de matériel et une note adressée aux voleurs de la ville afin de régler leur dette envers eux. En effet, ces derniers avaient participé à leur manière au combat dans le nord grâce à des chiens entraînés. La plupart avaient trouvé la mort, ainsi que leur maître, sous les griffes ou dents d'un dragon, mais ils avaient néanmoins bien servi et évité un probable empoisonnement de l'armée en cours de route. Selon un contrat passé avec les voleurs, Mordin aurait dû encore débourser une somme importante, mais ses amis et lui avaient choisi de laisser quelques chariots pris aux Sagaths, avec leur contenu de tissus, peaux et autres biens, aux bons soins des voleurs qui en tireraient certainement un très bon prix. De toute manière ils ne risquaient rien avec les armées qui les entouraient, et bientôt ils seraient loin et l'influence des voleurs de la ville serait très limitée...

A cette occasion, les hommes de Rult - ceux qui avaient survécu - quittèrent eux aussi les aventuriers, satisfaits de leur passage auprès d'eux. Ils n'avaient pas gagné beaucoup d'or, certes, mais ils avaient pu bénéficier d'excellent matériel pris aux Sagaths d'élite que Taurgil et ses amis avaient combattus. Enfin vinrent les adieux aux Widureiks et aux Brotharas, sans oublier les cavaliers dúnedain envoyés par le régent Vagaig, et les ambassadeurs d'Arthedain se retrouvèrent seuls avec le fruit de leur mission : mille chevaux dirigés par une petite armée de trois cents cavaliers nordiques menés par Bronwyn. Les terres des Éothraim furent bientôt laissées en arrière et la troupe se prépara à franchir le gué sur l'Anduin et à passer sur les terres de Gondor, en l'occurrence la province du Calenardhon.

Au fur et à mesure qu'ils progressaient, à bonne allure malgré la taille et l'importance de la troupe, les terres avoisinantes se faisaient moins sauvages, les villages plus nombreux, les droits de passage et autres contraintes plus fréquents aussi. Ils s'étaient d'ailleurs posé la question du chemin à prendre mais avaient finalement choisi de s'en tenir à la route principale qu'ils avaient suivie à l'aller. Dol Guldur était encore trop proche pour oser s'aventurer sur des chemins de traverse et sortir des sentiers les plus battus. Ce sentiment était d'autant plus partagé que les prémonitions magiques de Drilun laissaient clairement entendre qu'ils étaient le centre d'une attention soutenue de forces tant négatives que positives, sans oublier Tevildo pour compléter le tableau. Ils avaient donc tout intérêt à rester au plus près des populations civilisées comme celle du Gondor, loin des possibles excursions d'orcs ou autres créatures du Rhovanion ou des Monts Brumeux.

12 - Incidents de parcours
La route qui allait de Minas Anor, capitale du Gondor, à Fornost Erain, capitale de l'Arthedain, fut donc rejointe et suivie dès que possible, malgré la gêne que pouvait poser un équipage fort de plus de trois cents personnes et leurs montures et un troupeau de plus de mille chevaux. Les aventuriers et l'objet ne leur quête ne passèrent pas inaperçus, non, mais ils n'eurent pas d'autres problèmes que les peccadilles liées aux droits de passage et à la réparation des dégâts causés par une troupe de cette taille. Tout se passa donc au mieux, à l'exception de la bourse de l'équipe gérée par Mordin, et la progression fut rapide. Deux exceptions ternirent très légèrement ce constat, néanmoins.

Le premier se produisit après le passage de la trouée du Calenardhon, à savoir l'espace entre les Monts Brumeux au nord et les Montagnes Blanches au sud. Le troupeau de chevaux et l'armée nordiques entrèrent alors dans l'Eriador et ils longèrent le pays de Dun, que Drilun connaissait bien de réputation même s'il n'y avait jamais vécu. Les siens, les Dunéens, y étaient divisés en différents clans plus ou moins guerroyeurs et en général peu ouverts aux étrangers. Si la plupart des clans ne posaient aucun problème aux voyageurs, il existait tout de même une faction particulièrement xénophobe qui n'hésitait pas à s'en prendre aux cibles faciles ou peu attentives. Il convenait donc de rester prudent.

Une nuit passée à proximité d'un de ces clans montra que ce côté caricatural était avéré. Un groupe de jeunes guerriers approcha du camp en catimini, une nuit, sans doute avec l'espoir de voler quelques chevaux. Mais ils ne le firent pas assez discrètement pour échapper aux sens exacerbés des aventuriers et de la lionne enchantée en particulier. Blesser ou tuer ces voleurs aurait été une déclaration de guerre en bonne et due forme au clan tout entier voire à l'ensemble de la faction xénophobe du pays de Dun. Vif se contenta donc de surprendre les jeunes Dunéens et de jouer avec eux avant de les laisser filer. Ils en furent quittes pour des vêtements à changer et une bonne humiliation qu'ils ne seraient pas près d'oublier. Et il n'y eut pas d'autre problème de ce côté-là.

Peu après, plus au nord-ouest, le convoi arriva à la ville de Tharbad, passage obligé dans la mesure où il comportait le seul pont sur le fleuve Gwathló, mot elfique signifiant "Flot-Gris" dans la langue des hommes. En tant que chef des assassins de la ville, Geralt y avait ses entrées et ses appuis... à condition de voir sa position respectée. Il se déguisa donc, avec Drilun et Taurgil, pour avoir une idée claire de la situation des assassins, dont il avait confié le commandement à son ami Eskel. Un passage chez Dirhavel l'alchimiste lui apprit que les choses avaient quelque peu changé, mais son ami était encore vivant et il put le retrouver. Il apprit ainsi que le chef des assassins par intérim s'était vu démettre de ses fonctions des mois après le départ de Geralt, quand manifestement ce dernier était loin de la région et ne risquait pas de rentrer de sitôt. Eskel avait dû faire profil bas pour rester en vie, espérant bien le retour de son ami et savourant à l'avance ce qui allait se passer...

Le maître-assassin s'employa donc à remettre les points sur les i. Après avoir rossé quelques hommes au service du nouveau patron, il se présenta au bordel où ce dernier prenait ses aises. Le visage plus couturé que jamais et les intentions très claires, Geralt vit les occupant(e)s du bordel s'écarter devant lui et personne ne fit mine de soutenir l'assassin qui avait pris sa place. Ce dernier, sentant le vent tourner, sauta par la fenêtre de la chambre qu'il occupait et chercha à s'enfuir, mais pas assez vite : après une brève course-poursuite dans la ville, l'homme fut rattrapé, publiquement humilié et exécuté. Eskel reprit son poste de chef par intérim, et le lendemain quelques pattes furent graissées afin de limiter les taxes pour le passage du convoi de chevaux et cavaliers...

13 - Fin de la mission
Le reste du voyage se déroula sans incident. Le Cardolan fut traversé sans plus de difficulté que des taxes à payer, et bientôt les abords des Galgals furent atteints. Le convoi passa très vite à l'ombre des collines dont les sépultures, plus à l'ouest, hébergeaient de nombreux spectres depuis l'époque de la Grande Peste. L'endroit était désert, peu rassurant, mais au moins rien ne s'opposait à leur passage rapide sur les bords de la Vieille Route du Nord, ou Iaur Men Formen en langue elfique. De rares voyageurs et convois de marchandises furent croisés mais les aventuriers ne s'arrêtèrent pas.

Le convoi arriva ensuite à Bree, en Arthedain. D'une certaine manière Taurgil et ses amis commençaient à se sentir chez eux, et Vif se souvint que c'était là que les aventures avaient réellement commencé et que le groupe d'aventuriers s'était formé pour la première fois. De ce groupe originel il ne restait plus qu'elle, tous les autres étaient partis et avaient été remplacés. Elle avait rempli la mission qui avait vu son départ de la ville des Hommes des Bois, à savoir la mort du loup-garou Caran Carach. Mais quelle était sa mission à présent, servir Tevildo avec ses compagnons ? Après l'aide qu'il leur avait apporté il fallait lui régler son dû, mais quelles en seraient les conséquences ?

La troupe ne s'attarda pas et fila vers le nord. Enfin, Fornost Erain, capitale de l'Arthedain, fut atteinte. Depuis qu'ils avaient quitté les terres des Éothraim, il ne s'était déroulé qu'un mois. L'été était bien avancé mais il s'en fallait encore d'un mois avant l'arrivée de l'automne. Même s'il faudrait encore du temps avant d'atteindre le Grand Nord, surtout s'ils partaient à pied, ils pouvaient espérer passer un peu de temps à la capitale pour se préparer, sans trop attirer assassins et démons sur leurs têtes ou laisser le temps à l'hiver d'arriver sur les contrées inhospitalières plus au nord. Ils avaient un peu de marge et estimaient qu'ils pouvaient profiter des bienfaits de la civilisation avant de repartir vers de nouvelles missions dont personne ne connaissait la finalité.

Le convoi avait été repéré bien avant d'arriver à la capitale et les chevaux et nordiques furent laissés dans une pâture en vue de la colline qui abritait la forteresse des Dúnedain du Nord, en accord avec les autorités. L'équipe entra dans la ville et retrouva avec plaisir Narmegil et sa famille, qui leur firent bon accueil, même si une certaine gêne demeurait vis-à-vis de Rob. Isis avait le ventre bien arrondi qui annonçait l'arrivée prochaine d'un frère ou d'une sœur à Míriel. Cette dernière avait déjà plus de deux ans, l'air vif et espiègle, intelligente comme une enfant elfe de son âge. Et aussi curieuse et joueuse qu'un chaton...

Mais si certains n'eurent pas de plus pressé désir que de goûter aux charmes indéfinissables d'un lit et d'un édredon moelleux, d'autres pensaient déjà à leur future mission dans le Grand Nord. Taurgil demanda à voir le roi et ses conseillers en personne pour faire un rapport sur le succès de leur mission, mais aussi pour préparer leur prochain voyage : entre les artisans dont ils avaient besoin pour les aider à travailler les bouts de dragon qu'ils rapportaient, et les précieuses connaissances à glaner dans la grande bibliothèque royale, le descendant des rois du Rhudaur ne se sentait pas vraiment en vacances. Le temps allait vite leur filer entre les doigts, et il n'oubliait pas que plus longtemps ils resteraient, plus vite leurs poursuivants - et l'hiver - les rattraperaient. Et ils ne savaient même pas où ils devaient partir, ni ne connaissaient le pays qu'ils allaient parcourir. Ni quels objectifs réels poursuivait Tevildo. Il leur faudrait apprendre tout cela au plus vite s'ils voulaient avoir une chance de revenir un jour des terres glacées du Nord. Après tout, elles représentaient l'héritage de l'ancien royaume de Morgoth au Premier Âge. Si le Noir Ennemi du Monde avait été définitivement banni de la Terre du Milieu, peut-être ne pouvait-on en dire autant de ses anciens serviteurs...
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Niemal
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Grand Nord - 1re partie : préparatifs

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1 - Question de temps et d'objectif
Après un repos bien mérité et des discussions avec Narmegil et sa famille ou avec des membres de la famille royale, la première question qui se posa au groupe d'aventuriers fut la suivante : combien de temps resteraient-ils à Fornost Erain ? La question sous-entendue était de connaître les conséquences d'une pause d'un jour, une semaine, un mois ou plus : pouvaient-ils se permettre de prendre tout leur temps pour préparer au mieux leur prochaine expédition dans le Grand Nord, dans les terres que Dúnedain et elfes nommaient Forodwaith ? C'était un très vaste territoire allant de la Baie de Forochel jusqu'à la Désolation Glacée au nord des Montagnes Grises, et au-delà jusqu'à l'est de la Terre du Milieu. Reste de l'ancien territoire de Morgoth au Premier Âge, c'était avant tout un désert froid parcouru par certains de ses anciens serviteurs et créatures, selon les légendes...

Mais avant d'en savoir plus sur cette vaste étendue, il fallait en savoir plus sur leurs poursuivants et les objectifs de Tevildo. Car oui, au cours du voyage du retour, les divinations magiques de Drilun - entre autres - avaient clairement révélé que le groupe faisait l'objet d'une "attention particulière" de la part de trois puissants voyageurs. Pas qu'ils risquaient grand-chose tant qu'ils restaient à Fornost Erain, nom elfique désignant le "Norchâteau des Rois" - capitale de l'Arthedain - en langue commune, le ouistrain. Néanmoins, ils ne resteraient pas ici éternellement et ils reprendraient tôt ou tard la route pour accomplir les desseins du Prince des Chats, desseins qui restaient à préciser. Et à ce sujet, ledit prince ne se montrait guère bavard...

Ce qui poussa Geralt à essayer de le contacter : après tout, autant demander directement à la source, d'autant que rester dans un lit moelleux était sa conception du travail idéal. En effet, en raison du lien magique qui liait les aventuriers - Mordin excepté - à Tevildo, ce dernier pouvait facilement leur parler en songe et partager - ou espionner à leur insu - leurs pensées. Le paresseux maître-assassin s'installa confortablement et, tandis que sa conscience descendait les premières marches du sommeil, il appela le Prince des Chats pour lui poser quelques questions sur leur avenir. Le lien avec le puissant esprit des temps anciens était fort, et ce dernier ne mit pas longtemps à répondre.

Pour autant, il ne répondit pas à toutes les questions du balafré aux cheveux blancs : Geralt obtint parfois la réponse à certaines de ses interrogations, mais le plus souvent il fut laissé dans le vague, un peu comme si l'esprit jouait avec lui comme avec une souris. Oui, lors de leurs précédentes aventures, le groupe s'était fait de puissants ennemis, et à présent certains venaient s'occuper d'eux. Le plus longtemps les aventuriers resteraient à Fornost Erain, le plus de temps leurs poursuivants auraient, leur permettant d'arriver, de réunir des serviteurs et alliés, et de préparer un accueil à leur attention. Le mieux était de partir immédiatement, de toute manière il serait possible de s'équiper sur place selon Tevildo.

Mais pour aller où exactement ? Cette question resta finalement sans réponse, le Prince des Chats l'esquivant par une pirouette. Il avait constaté par le passé que les aventuriers avaient parfois d'excellentes initiatives et il dit qu'il ne tenait pas trop à les prendre par la main mais à leur laisser la bride sur le cou. Tout au plus se contenta-t-il de dire que de précédents aventuriers avaient été envoyés dans le Grand Nord, en bateau, mais ce dernier s'était échoué et il y avait du matériel à récupérer. Sur quelles côtes, dans quelle direction aller ? Mais Tevildo répondit que le bateau ne s'était pas échoué sur des côtes mais à l'intérieur des terres, dans un endroit parcouru par un vent glacial et puissant, un vent démoniaque. Un endroit où personne ne voulait aller car personne n'en revenait...

2 - Dette réglée
Après son "entretien", Geralt mit ses compagnons au courant de l'échange. Ils discutèrent de ces nouveaux éléments, des anciens qu'ils connaissaient déjà, et de ceux qui leur manquaient. Avec l'aide de Narmegil et de la famille royale, ils espéraient bien bénéficier de certaines ressources particulières de l'Arthedain ; comme par exemple ses voyants qui pouvaient voir à travers espace et temps dans les palantíri (ou "pierres de vue") possédés par la couronne. Restait encore à interpréter les visions tirées de ces pierres de vision magiques, dont certaines ne se réalisaient jamais ; mais les aventuriers se faisaient fort d'en tirer de précieux renseignements. Néanmoins, bien d'autres ressources royales risquaient d'être sollicitées, comme les meilleurs artisans de l'armée, la bibliothèque royale, et tous ceux capables de renseigner le groupe sur les terres du Grand Nord...

Tous avaient donc du pain sur la planche, et chaque membre du groupe trouva bientôt de quoi s'occuper. Taurgil avait une visite à faire à une ancienne connaissance aux frontières du Rhudaur, ce qui prendrait peut-être une demi-douzaine de jours de voyage aller et retour. A condition de ne pas avoir trop de problèmes en chemin, car ce dernier traversait essentiellement un no man's land parcouru par les ennemis - loups, orcs, cavaliers orientaux... - et que la vitesse primait sur la discrétion. Mais avec l'aide de la féline Femme des Bois sous sa forme de lionne magique, il espérait bien que le voyage ne serait qu'une formalité. Vif refusa de le prendre sur son dos, il dut donc prendre un bon cheval aux écuries, et ils furent partis tandis que leurs amis vaquaient à leurs tâches respectives.

Le cheval du Dúnadan filait vers l'est au simple galop, précédé par la lionne qui repérait facilement les cairns de l'ancien chemin qui menait à Nothva Rhaglaw. Ils trouvèrent bien des ennemis sur leur passage, effectivement, tant de journée que de nuit. Les premiers furent une bande de cavaliers orientaux que Vif dispersa avec un puissant rugissement, avant de terminer le travail à l'aide de ses griffes. Et il y eu aussi des loups et des orcs, certains montés. A chaque fois la lionne ouvrait le passage pour éliminer la menace et empêcher toute attaque sur le cheval de son compagnon. Sa constitution magique et ses puissantes griffes ne laissaient aucun espoir à ses adversaires, et elle n'écopait au mieux que d'égratignures vite oubliées. Et ils allaient trop vite pour que les ennemis puissent organiser une force qui puisse les inquiéter vraiment. La féline devait néanmoins se reposer, comme le cheval du rôdeur, mais les deux amis étaient très doués pour trouver des lieux de repos où ils ne seraient pas dérangés.

Ils arrivèrent donc à Nothva Rhaglaw dans l'après-midi du troisième jour. Vif se fit discrète, d'autant qu'elle sentait la magie qui protégeait les environs et qui ne la considérait pas vraiment comme une amie : le lien avec Tevildo était bien plus fort qu'à son précédent passage et elle n'était plus la bienvenue. Taurgil fit le tour de ses connaissances et échangea avec les uns et les autres, donnant des nouvelles aussi rapidement que possible. Puis il quitta la ville pour se diriger vers le Tateshalla, ce grand hall nordique qui abritait la dépouille d'un ancien roi auprès de qui il avait une dette. Il remit à son propriétaire l'équipement qu'il lui avait emprunté, et qui lui avait bien servi. Mais il ne serait plus nécessaire dans le Grand Nord, car le métal, même magique, n'y était pas adapté aux grands froids.

Avant de partir, l'esprit du roi chuchota quelques conseils à Taurgil, concernant des ennemis qu'il aurait à affronter à l'avenir. Le Dúnadan retourna à la ville où il passa la nuit, puis il retrouva sa compagne le lendemain. Tous deux prirent le chemin inverse en direction de l'Arthedain, chemin qu'ils avalèrent sans plus de difficulté qu'à l'aller. Ils retrouvèrent donc leurs amis avant le soir du sixième jour après leur départ de la capitale. Le Dúnadan avait réglé sa dette à l'égard du roi nordique qui protégeait la vallée aux frontières du Rhudaur, il pouvait maintenant se consacrer entièrement à leur prochain voyage dans le Forodwaith.

3 - Herbes et remèdes
Mais pendant ce temps-là, que faisaient les amis des deux rôdeurs ? Plusieurs d'entre eux essayaient tant bien que mal de trouver des marchands ou habitués des terres nordiques, mais sans succès : en ce début d'Ivanneth, huitième mois de l'année et dernier de l'été, c'était la pleine saison de la chasse, pêche ou des échanges avec ou entre les autochtones, et elle ne durait pas longtemps. Tous étaient donc là-bas pour en profiter avant l'arrivée du froid et de la neige en automne, qui bloquait vite tant les terres émergées que les étendues d'eau qui gelaient et piégeaient les bateaux - baleiniers en particulier - qui s'attardaient trop longtemps dans les eaux froides de la baie de Forochel. Bref, les habitués du Grand Nord étaient tous là-bas.

Ce qui n'empêchait pas de faire diverses recherches et emplettes à partir des quelques informations glanées çà et là auprès de quelques connaisseurs ou à travers des rapports de rôdeurs et érudits. Les terres du nord étaient couvertes de neige et de glace plus de la moitié de l'année, et la plupart des prédateurs naturels - loup blanc, ours polaire, panthère des neiges - s'habillaient de blanc ? Le corps félin de Vif risquait d'être trop visible avec ses belles couleurs fauves ? Le hobbit s'empressa d'aller chercher dans la nature herbes et autres ingrédients naturels, qu'il rapporta en grands volumes, afin de pouvoir préparer poudres et maquillages blancs en assez grande quantité pour donner une couleur très nordique à la lionne magique...

De la même manière, Mordin, en bon marchand (expert !) nain qu'il était, ne ménagea pas sa peine pour acheter au meilleur prix plantes et remèdes qui pourraient leur être utiles dans le Forodwaith. Il fut aidé en cela par les efforts de Narmegil et un décret royal qui donnèrent au groupe accès aux ressources du royaume, du moins en quantité raisonnable. De la même manière, les artisans d'Arthedain, tant civils que militaires, se devaient d'accorder une importance particulière aux requêtes des aventuriers. Autrement dit, dans la mesure où cela ne mettait pas en péril le fonctionnement de leur entreprise ou du royaume, Mordin et ses amis devaient être traités en priorité.

Certains de ces artisans furent un peu irrités par ces aventuriers pour qui rien d'autre n'existait que leur quête et leur voyage prochain pour le Forodwaith, sans aucune considération pour leur travail en cours ou leur vie personnelle. Néanmoins, le peuple d'Arthedain était soudé et obéissant à son roi, et les aventuriers étaient connus pour avoir grandement aidé le royaume par le passé. L'irritation fut donc réduite au minimum et les gens s'exécutèrent pour aider du mieux qu'ils pouvaient ce groupe d'individus exceptionnels pressés par le temps. Mordin put ainsi avoir accès à une grande quantité d'herbes médicinales de l'armée d'Arthedain, complétée par des visites auprès des apothicaires du royaume.

Ce qui ne voulait pas dire qu'il pouvait prendre n'importe quoi. Néanmoins il fut plus que tenté par de l'athelas, la "feuille de roi", même si cette dernière ne restait pas fraîche très longtemps. D'autres plantes médicinales furent également embarquées ou achetées, comme un peu de bonneherbe ; en insistant un peu, tellement les stocks de ce stimulant étaient faibles et utiles. Les cataplasmes déjà préparés furent laissés de côté car trop sensibles au froid, tandis que les baumes de soin, à base de graisse résistante au froid, eurent sa préférence. En plus d'une éventuelle utilisation, ils pouvaient être un élément important pour du troc avec les Lossoth, le peuple du Forodwaith. En effet, ces derniers n'utilisaient pas vraiment de système de monnaie mais le troc de biens et services. Et côté biens, étaient en grande demande ceux qui aidaient à la survie dans le Grand Nord : nourriture, vêtements chauds et isolants, soins et remèdes... entre autres choses.

4 - Autres emplettes et fabrications
Les apothicaires ne furent pas les seuls à être mis à contribution, loin de là. Le principal danger du Grand Nord, c'était le froid, et il fallait s'en protéger de plusieurs manières. En plus de manger une nourriture plus riche, avec notamment davantage de graisses, la protection contre le froid revêtait dans les terres nordiques une importance primordiale. Même les elfes, là-bas, risquaient de mourir d'hypothermie s'ils n'étaient pas suffisamment couverts. Il fallait donc couvrir l'essentiel du corps avec des vêtements bien isolants, y compris les extrémités comme pieds, mains et oreilles.

Vêtements isolants ? Ils étaient par exemple faits de peau de phoque ou de fourrures diverses, entre autres matériaux. Les fourrures les plus accessibles étaient celle des lièvres blancs ou lièvres des neiges, relativement communs dans le sud du Grand Nord, ou encore celle des loups blancs, peut-être le prédateur le plus courant de la région. Gros comme un warg et aussi dangereux, il était réputé pour sa férocité, sa faim éternelle et sa grande intelligence dans ses techniques de chasse. D'autres fourrures étaient encore plus réputées, comme celles de l'ours blanc ou de la panthère des neiges. Mais tant la rareté des animaux que les risques associés à leur chasse faisaient qu'ils n'étaient aucunement disponibles à Fornost Erain.

Tandis que Rob se faisait confectionner des bottes en peau de phoque, Mordin acheta des vêtements de fourrure de loup blanc pour toute l'équipe, Vif exceptée : la féline Femme des Bois pensait rester essentiellement sous sa forme animale, plus adaptée au froid que sa forme humaine. Si des félins comme les panthères des neiges pouvaient vivre sans mal dans les terres nordiques, la lionne enchantée ne devrait pas avoir de problème. Du coup elle donna son armure de peau résistante, trouvée sur des sorciers combattus dans l'Est, afin de servir aux autres membres de l'équipe. Un très bon artisan fut mis à contribution pour réaliser deux cagoules et paires de gants, auxquels Drilun ajouta parfois quelques runes magiques pour aider à la protection contre le froid. En effet, comment voulez-vous tirer à l'arc avec de grosses paires de moufles ?

L'archer-magicien ne se limita pas seulement aux vêtements : il utilisa ses runes pour insuffler de la magie dans une épée fabriquée à partir de corne de dragon qu'ils avaient rapportée du Rhovanion. Les artisans de l'armée d'Arthedain comptaient parmi les meilleurs, seulement dépassés par les nains et les elfes, et certains d'entre eux pouvaient travailler un tel matériau - et encore plus à l'aide des outils enchantés prêtés par Drilun. Les armes métalliques, dans le grand froid, risquaient de casser au moindre choc, sans parler du danger qu'elles représentaient : conducteur, le métal transmettait le froid comme aucun autre matériau - eau exceptée - et il absorbait toute chaleur environnante au risque de créer engelures et amputations (armes), ou hypothermie et mort (armures).

Au bout du compte, Geralt fit donc l'acquisition d'une épée magique en corne de dragon, aussi solide que le meilleur acier, et qui ne risquait pas de lui geler la main ou de se briser en morceaux chaque fois qu'il s'en servirait. L'ensemble du groupe mit de côté armes, armures et outils de métal, laissés à Narmegil et sa famille, pour s'équiper avec leur équivalent en bois, cuir, os, corne ou arête chaque fois que c'était possible. Et en s'en passant chaque fois que cela ne l'était pas : seules des armures de cuir seraient portées, ou des boucliers en os, bois et cuir. Mais l'équipe était déjà bien pourvue. Les arcs composites númenóréens, traditionnellement en métal, furent également mis de côté, comme la plupart des épées.

5 - Recherches en bibliothèque
Mais l'endroit dans lequel les aventuriers passèrent peut-être le plus de temps fut la bibliothèque royale. Même si elle ne pouvait se comparer à la grande bibliothèque d'Annúminas ou à celle d'Imladris ("Fondcombe"), elle représentait quand même l'un des plus importants recueils d'ouvrages du nord-ouest de la Terre du Milieu. Ce qui représentait aussi un défi de taille pour classer toute l'information qui y était stockée mais aussi pour la retrouver. Même avec l'aide de nombreux érudits formés à l'entretien, le classement et l'utilisation des parchemins et livres de la bibliothèque, trouver la bonne information ou juste l'information essentielle risquait de prendre du temps.

Heureusement, Narmegil avait pu rapidement obtenir, tandis que ses amis se reposaient du voyage, un outil essentiel pour leur future expédition : une carte détaillée du Grand Nord, mise à jour en permanence par les meilleurs rôdeurs et érudits du royaume. Le groupe d'aventuriers découvrit avec quelque surprise que les terres qu'ils allaient parcourir étaient bien plus vastes que ce à quoi ils s'attendaient. Au nord d'Arthedain se trouvait une vaste baie, dont les rivages plus à l'est laissaient place à de grandes plaines au nord des Montagnes Grises, plaines qui allaient jusqu'à l'est de la Terre du Milieu. Plus au nord se trouvaient des chaînes de montagnes, héritières des Montagnes de Fer érigées autrefois par Morgoth, mais aussi une région de lacs et de forêts résineuses. Et encore plus au nord, après un petit bras de mer souvent pris par les glaces, des étendues blanches dépourvues de vie que personne ne parcourait.

Tous n'avaient pas forcément la fibre d'un érudit et l'habitude de lire parchemins et autres supports écrits. Mais plusieurs y firent des recherches régulières, en s'appuyant sur le travail des bibliothécaires et des copistes pour les aider à trouver l'information recherchée et à leur faire un résumé sur des rouleaux ou parchemins. Drilun y consacra une partie non négligeable de son temps, même s'il était limité par la fabrication d'objets magiques divers pour l'ensemble du groupe. Il étudia la carte et en réalisa une copie, tout en recherchant des informations sur les symboles ou les noms qui y étaient inscrits. Et il était parfois aidé dans sa tâche par Geralt, qui tentait de retrouver les lieux évoqués en rêve par Tevildo.

Isilmë, pour sa part, fit des recherches sur les montagnes du Grand Nord et tout ce qu'elle pouvait trouver à ce sujet concernant leur possible escalade. En effet, d'après les renseignements fournis par l'entretien du maître-assassin avec le Prince des Chats et les visions des voyants d'Arthedain qui n'allaient pas tarder à suivre, il semblait bien que l'ascension de certaines montagnes ferait partie de leur séjour nordique. Manifestement, ils auraient à y trouver l'équipement des aventuriers partis avant eux, mais aussi un terrible ennemi qui portait le nom d'Eloeklo. Démon du froid et du vent, tout en lui faisait penser à un des anciens et puissants serviteurs de Morgoth, le "Noir Ennemi du Monde".

Mais après un moment, l'elfe avait changé de sujet de recherche et elle avait demandé la confection d'un lexique ouistrain-labba : ce dernier était la langue couramment parlée par les peuples humains qui occupaient les terres nordiques, que les elfes et Dúnedain appelaient les Lossoth, le "peuple des neiges". Elle s'était vite rendu compte que ces étranges nordiques adaptés à la vie dans le Grand Nord seraient leurs principaux interlocuteurs. Et qu'ils ne parlaient que leur langue à eux. De même, Vif rejoignit bientôt l'archère elfe après son voyage aux frontières du Rhudaur : elle aussi avait compris l'importance de connaître le plus de choses sur les Lossoth, leur culture et mode de vie, afin de s'en faire des amis et d'obtenir leur aide précieuse.

6 - Un peu d'histoire
Il serait vain de vouloir condenser en quelques phrases tout ce que les aventuriers lurent ou se firent résumer par les érudits d'Arthedain. Ou ce que leur dirent quelques contacts qu'ils purent trouver çà et là dans la capitale, car ils ne désespérèrent jamais de trouver des visiteurs du Grand Nord auprès de qui se renseigner. Par ailleurs, ils connaissaient certaines choses que même les érudits ignoraient, car ils les tenaient de sources sûres telles que le magicien Radagast. Ils se firent décrire des visions que les voyants d'Arthedain avaient perçues dans les palantíri, et auxquelles se rajoutèrent des divinations magiques de Drilun. De tout cela, il ressortait tout de même une certaine vue d'ensemble.

Et la première était que le Grand Nord était, à l'origine, la source du plus grand mal qui vit jamais le jour sur la Terre du Milieu : Morgoth, le Noir Ennemi du Monde, y résidait en effet par le passé. Il avait pour cela érigé de puissantes montagnes, les Montagnes de Fer (ou Ered Engrim en sindarin), dont les plus hauts sommets étaient trois montagnes volcaniques appelées Thangorodrim ("montagnes d'oppression"). Dans ces montagnes Morgoth avait bâti sa forteresse, Angband ("prison de fer"), dont le volcanisme lui permettait de donner l'énergie nécessaire à ses forges. Là furent réalisées nombre de créations destinées à apporter la mort et la destruction sur les peuples libres, et pas seulement des armes plus terribles les unes que les autres : parfois Angband vomissait de la lave sur ses ennemis, ou bien encore les dragons, créés en son sein.

Mais, comme tous les historiens le savent, le règne de Morgoth prit fin lors de la Guerre de la Colère. Les armées de Valinor affrontèrent celles du Noir Ennemi du Monde à la fin du Premier Âge dans un déchaînement de fureur et d'énergie. Ni les myriades de serviteurs ni ses plus terribles lieutenants, les "Démons de Puissance" (Balrog), ne sauvèrent Morgoth du courroux des Valar. Les trois pics du Thangorodrim furent brisés par la chute d'Ancalagon le Noir, le premier dragon ailé et le plus puissant de tous, abattu par les forces combinées d'Eärendil et de Thorondor. Angband fut détruite, de même qu'une partie des Montagnes de Fer, et les flots envahirent une partie des terres. Si terribles furent les forces libérées là que la face de la Terre du Milieu en fut changée à jamais.

Pour autant, même si Morgoth fut vaincu, le mal qu'il avait répandu n'avait pas pour autant été anéanti. Nombre de ses serviteurs s'étaient enfuis ou cachés dans les sombres tunnels qui parcouraient les profondeurs des montagnes, et dont ils se servaient pour voyager à l'abri du soleil et des espions ailés des Valar et de leurs alliés. Le froid glacial dont le Noir Ennemi du Monde avait empli son royaume perdurait, et la vie en était toujours absente. A tel point que la Valië Yavanna, nom quenya qui signifie la "pourvoyeuse de fruits", en versa de nombreuses larmes. Mais les aventuriers savaient que ces larmes, dont ils portaient un exemplaire, avaient un grand pouvoir de guérison et seraient un jour amenées à purifier le Nord et ses habitants...

Quoi qu'il en fût, tous partirent à l'issue de la Guerre de la Colère, hormis les serviteurs de Morgoth qui s'étaient cachés dans son ancien royaume. Petit à petit, la vie commença à reprendre ses droits et à coloniser ces terres, et avec elle les hommes arrivèrent. Au Second Âge, les armées de Sauron poursuivirent là un groupe d'elfes d'Eregion, qui virent leurs rangs réduits tant par les rigueurs de l'environnement que par certains des anciens serviteurs du Noir Ennemi du Monde. Mais les survivants finirent par trouver asile dans une région éternellement enveloppée de brouillard, surveillés de près par des dragons.

La chute de Númenor et la courbure du monde qui en résulta affecta certainement les terres nordiques, mais de manière mineure. Et comme personne ne se souciait d'elles, les peuplades qui les occupaient continuèrent à se développer. Arriva la Guerre de la Dernière Alliance, et avec elle la chute de Sauron et la fin du Second Âge. Elles n'eurent aucune conséquence pour le Forodwaith, sauf peut-être un verdissement plus rapide. En revanche, lorsque Angmar vit le jour, le froid se fit plus vif et les difficultés plus grandes pour les Lossoth et autres peuples qui occupaient la région. Par ailleurs, les anciens serviteurs de Morgoth se firent plus actifs. En parallèle, des récits nouveaux virent le jour qui parlèrent de la corruption d'objets magiques anciens utilisés par les Lossoth, et d'une épidémie de morts-vivants. Et si Angmar ne se souciait guère des terres nordiques, il ne les oubliait pas complètement et y envoyait régulièrement espions et hordes de guerriers sanguinaires.

7 - Géographie, faune et flore
Lors de la chute de Morgoth à la fin de la Guerre de la Colère, les terres subirent de grands bouleversements. Les anciennes Montagnes de Fer furent par endroit rasées, et la mer pénétra loin à l'intérieur des terres, formant ainsi la baie de Forochel. Et la carte que Narmegil avait trouvée montrait qu'elle était loin d'être ridicule en taille : du nord au sud ou d'est ou ouest, elle avait une longueur d'environ quatre cents miles (~ 640 km), avec des côtes très irrégulières. Au nord de la baie se trouvaient encore les restes des anciennes montagnes de Morgoth, elles-mêmes surmontées plus au nord par un étroit bras de mer. Mais la plupart du temps, ce bras de mer était pris par les glaces et il était possible de marcher jusqu'aux glaces éternelles qui composaient le pôle nord de la Terre du Milieu.

La baie de Forochel elle-même était en grande partie prise par les glaces de la fin de l'automne aux débuts du printemps. Ses eaux étaient riches en poissons divers et les mammifères marins qui s'en délectaient : phoques, morses et baleines, abondamment chassés par les Lossoth comme les baleiniers du Cardolan. Les poissons eux-mêmes nourrissaient également nombre d'oiseaux et certains remontaient les rivières qui se déversaient dans la baie pour frayer, ce dont profitaient divers prédateurs à quatre ou deux pattes. La vie restait liée à la présence d'eau liquide, et celle-ci abondait dans la région.

Jusqu'à un certain point : le sud et l'est de la baie formaient des toundras, grandes étendues herbeuses occupées par des troupeaux de rennes et d'élans, entre autres ongulés. Mais avec la distance, plus loin à l'est, l'eau se faisait plus rare et le climat plus froid : les sols restaient gelés en permanence et aucune plante ne poussait. En hiver, les troupeaux d'ongulés descendaient dans le sud, en Eriador ou dans les vallées abritées des Monts Brumeux voire des Montagnes Grises. Certains restaient plus au nord, à l'est des anciennes montagnes et forteresses de Morgoth, dans une région de lacs couverte en grande partie par des forêts de conifères.

Les prédateurs ne manquaient pas. Si certains, au sud, étaient communs à l'Eriador, comme les loups gris ou l'ours noir, d'autres étaient spécifiques au Forodwaith : ours blancs qui n'hibernaient jamais et se nourrissaient de poissons, de phoques, de bouquetins et de baies en été ; loups blancs qui poursuivaient les troupeaux des toundras et dont la fourrure était très recherchée, mais qui étaient aussi très craints : avec eux, on ne savait jamais qui était le chasseur et qui était la proie. On trouvait également, en montagne, la panthère des neiges, tellement discrète et agile qu'on ne voyait en général d'elle que ses traces...

Difficile aussi de ne pas citer, en été, les myriades de moustiques et autres parasites ailés qui profitaient de la belle - et courte - saison pour se gorger du sang des mammifères à deux ou quatre pattes. De tout cela profitaient aussi divers oiseaux et rongeurs, les plus petits arrivant à continuer à vivre sous la neige en hiver tandis que d'autres préféraient hiberner. Les montagnes abritaient aussi quelques aigles qui profitaient de ces rongeurs ou des plus petits ongulés. Quelques loutres ou visons occupaient également la région des lacs, de même que quelques grosses corneilles peu appréciées des populations locales.

8 - Peuples et cultures
Là où la vie prospère, même de manière limitée, des peuples peuvent s'installer. Dès le Second Âge, des humains arrivèrent dans les terres nordiques. Les elfes ou les Dúnedain leur donnèrent le nom de Lossoth, ou "Hommes des Neiges", mais dans leur langue, le labba, ils s'appelaient les Ystävät Talven, les "Amis de l'Hiver". Ils se développèrent sur les côtes de la baie de Forochel, à pêcher et chasser le phoque, la baleine, l'élan et le renne, et plus à l'intérieur des terres en suivant les populations d'ongulés. Ils colonisèrent ainsi les côtes du sud à l'est de la baie, ainsi qu'une partie des toundras et jusqu'à la région des lacs. Certains disent que les Lossoth venaient de l'Est et fuyaient un peuple de guerriers belliqueux.

Quoi qu'il en fût, le développement pacifique des Lossoth attira bientôt ces fameux barbares qui ne connaissaient pas d'autre loi que celle du plus fort. Ils se déplaçaient sur des bouts de bois ou d'os qui glissaient sur la neige, les skis, ou dans des traineaux tirés par des ours blancs affamés, et un chef terrible semblait les pousser par ici. Les Lossoth fuirent ou se cachèrent, et une partie d'entre eux émigra autour des montagnes du nord de la baie, notamment les Ered Rhívamar, ou "Montagnes du Bord du Monde". Privés des troupeaux d'élans et de rennes, ces peuplades dépendaient davantage de la mer et de la chasse aux phoques et aux baleines. Les hordes aux traineaux repartirent dans l'Est mais les Lossoth restèrent, plus ou moins divisés en deux peuples assez proches. Ces hordes de guerriers sanguinaires refirent néanmoins leur apparition lorsque le royaume d'Angmar fut fondé par son roi-sorcier.

Dans les montagnes, les Lossoth découvrirent qu'ils n'étaient pas seuls. Des elfes habitaient une vallée cachée par la brume, un lieu plus chaud et où des arbres arrivaient à pousser comme nulle part ailleurs. Il s'agissait sans doute des réfugiés d'Eregion chassés là par les troupes de Sauron au Second Âge, mais les contacts avec eux furent très limités : des dragons occupaient également les montagnes et cherchaient à entrer dans la vallée cachée, ou à défaut se défoulaient sur ceux qui s'en approchaient trop. S'il n'y avait pas eu d'autres références à ces réfugiés noldor, la présence de ces elfes aurait pu n'être qu'une quelconque légende, d'autant qu'il en existe d'autres qui parlent d'êtres semblables à des elfes aux cheveux blancs et qui supportent des températures que même les elfes du sud n'arrivent pas à endurer. Une légende des Lossoth raconte même que ces "elfes des neiges" auraient appris aux hommes des neiges à parler leur langue chantante, le labba.

Elfes des neiges ou Noldor réfugiés dans la vallée des brumes éternelles, difficile de savoir ce qu'il en était vraiment avec la présence des dragons. D'autant qu'ils n'étaient pas les seuls rescapés des anciennes armées de Morgoth : plusieurs tribus d'orcs habitaient toujours certaines parties des montagnes du nord de la baie. Heureusement, les Lossoth, très dispersés et peu actifs durant le long hiver pendant lequel les orcs s'activaient, ne représentaient pas une cible attrayante ou très facile à atteindre. Et ces orcs passaient plus de temps à se combattre entre eux qu'à chercher noise aux autres peuples de la région. Bien qu'il semblât que cela ait changé dernièrement, suite à l'émergence d'un chef orc ayant réussi à unifier la plupart des tribus.

A cela il faudrait aussi rajouter des trolls et des géants de glace dans les montagnes, heureusement rares et que la chaleur et le soleil font fuir ou endorment. Il semblait aussi que les nains aient depuis longtemps fouillé la région voire se soient installés sur place : deux peuplements d'Umli, comme ils s'appellent eux-mêmes, étaient présents dans les côtes sud-est de la baie et dans la région des lacs. Enfin, un clan de grands hommes nordiques apparentés aux Béornides s'installa brièvement sur les côtes sud-est de la baie. Malheureusement, ils refusèrent de verser un tribut aux forces d'Angmar et une armée les força à fuir après de lourdes pertes. Ils finirent néanmoins par former un nouveau campement dans la région des lacs, loin d'Angmar et de ses sbires.

Le tableau ne serait pas totalement complet si l'on ne parlait pas de certaines légendes dont chacun sait qu'elles reposent en général sur un fond de vérité. Rappelons les elfes des neiges dont certains disent qu'ils vivent dans une cité lumineuse au beau milieu des glaces éternelles du pôle nord de la Terre du Milieu. Et d'ailleurs, nul ne conteste la véracité des rubans colorés qui ondulent parfois dans le ciel nordique des longs mois d'hiver. Une autre légende parle de Lossoth ayant choisi de vivre non pas sur les côtes de la baie mais dans des montagnes de glace flottant sur l'eau, les icebergs. Enfin, divers esprits rôderaient çà et là dans les terres ou mers nordiques, comme par exemple Eloeklo, un esprit de vent et de glace qui habiterait les plus hautes montagnes ; ou Jäänainen, une femme splendide que le froid n'affecte pas, et qui séduit les hommes qu'on retrouve plus tard gelés dans la neige et le froid. Et des histoires récentes parlent d'une invasion de morts-vivants dans le nord de la baie...

9 - Mode de vie des Lossoth
Le petit condensé sur les Lossoth réalisé par des bibliothécaires à la demande de Vif comprenait de nombreux points sur leur mode de vie particulier. Ce qui en ressortait avant tout était que la nécessité de survie dans le Grand Nord demandait un grand recul vis-à-vis des choses personnelles, et cela pouvait facilement choquer les visiteurs. En bref, les conflits ou les manifestations d'un trop grand égoïsme pouvaient mettre en danger le groupe entier. Et cet "égoïsme" commençait lorsqu'un individu profitait du groupe sans rien donner en retour, et il allait parfois très loin. Une personne inutile menaçait l'équilibre du groupe par la simple consommation de précieuse nourriture qui pouvait manquer pendant la mauvaise saison...

Mais les visiteurs des terres nordiques voyaient autre chose en premier : un peuple timide mais ouvert aux étrangers qui montraient leurs intentions pacifiques et leur capacité à accepter la vie et l'entraide communautaire et égalitaire qui étaient à la base de la vie des Lossoth. Les conflits, en particulier, n'avaient pas lieu d'être et menaçaient la communauté. S'ils étaient inévitables, ils devaient être réglés au plus vite, par exemple par un duel de chant. Il s'agissait plutôt d'un affrontement en prose, éventuellement en chanson, dont la communauté se faisait juge. Une fois le vainqueur désigné par les applaudissements de la communauté, la question était réglée et on n'y revenait plus. Sans quoi la ou les sources du conflit se voyaient vite isolées voire expulsées du groupe.

La vie des Lossoth était beaucoup rythmée par les saisons et la recherche de nourriture. De nature nomade, le peuple des neiges suivait en été les sources de nourriture - élans et rennes, mais aussi mammifères marins et toute autre source de provende animale comme végétale - dans des camps de tentes de peau. Le court été était l'occasion de se gorger de nourriture et de préparer la mauvaise saison en constituant des stocks de viande ou poisson séchés voire fumés. Sans oublier de faire ou réparer de nouveaux vêtements chauds, armes pour la chasse ou la pêche, bateaux, etc. En hiver, les peaux disparaissaient au profit d'une maison de glace faite à partir de neige tassée et découpée en blocs disposés de manière à constituer de petits dômes étroits pour chaque famille, plus un ou deux plus grands que les autres pour accueillir la communauté entière dans les nombreux épisodes de mauvais temps où tous restaient bloqués à réparer, bricoler, fabriquer des petits objets d'artisanat (sculpture, couture...), chanter et raconter des histoires.

Car la culture des Lossoth était avant tout orale : ils ne disposaient pas de système d'écriture, même s'ils utilisaient parfois des runes pour désigner des concepts et idées. En revanche, ils se sentaient en communion permanente avec l'environnement et un soi-disant monde des esprits qui se manifestait par des signes les plus divers, que certains d'entre eux savaient interpréter. Il n'existait pas vraiment de chefs parmi eux mais certains étaient des "sages" - souvent des femmes - qui percevaient l'équilibre entre la vie et la mort et savaient quelle voie menait à l'un ou à l'autre ; souvent ces personnes étaient des soigneurs et célébraient les rites de passage (mariage, naissance, mort...). D'autres étaient des "nommeurs d'esprit" - toutes des femmes - qui savaient communiquer avec ces derniers et éviter de provoquer leur courroux, voire solliciter leur aide. Certains leur attribuaient des pouvoirs magiques, et en général ils bénéficiaient des meilleurs équipements.

L'effacement de l'individu derrière le groupe pouvait souvent choquer les visiteurs. Ainsi, des personnes âgées qui ne pouvaient plus rien apporter à leur sept (famille élargie voyageant et vivant ensemble) ou leur clan (désigné par un animal totémique) par leur travail ou leur savoir, décidaient souvent d'eux-mêmes de quitter les leurs pour aller dans le monde des esprits ; autrement dit, de se suicider, le plus souvent en mourant de froid loin des leurs. A l'inverse, le partage et l'hospitalité des Lossoth pouvait aller très loin. Ainsi, lorsqu'une famille partageait son repas avec des (rares) invités, il était de coutume de partager aussi son lit : même si les femmes étaient parfaitement libres de se refuser à quiconque (mari compris), elles ne le faisaient que rarement et le mari en tirait même de l'estime. Les enfants pouvaient être de pères différents mais ils faisaient naturellement partie de la famille, du sept (en particulier en cas de mort précoce des parents) ou du clan.

La lecture des présages et signes envoyés par les esprits était d'une grande importance, et la mort faisait partie du quotidien. Les morts étaient envoyés à leur sort sur des bateaux ou radeaux sur les rivières, ou immergés en mer, ou recouverts de pierres à l'intérieur des terres. Après quoi les survivants tâchaient de ne garder d'eux que de bons souvenirs et la vie reprenait son cours, avec de nouveaux mariages et de nouvelles naissances. Tout ce qui nuisait à l'harmonie du monde - orcs, trolls, dragons... - devait être éliminé ou fui. Ainsi, les Lossoth pouvaient parfois être soumis par la contrainte, notamment aux armées d'Angmar, mais rares étaient ceux qui acceptaient volontairement de les servir. D'où les échecs répétés du roi-sorcier pour en faire ses serviteurs ou esclaves. A contrario, de tous les peuples libres, les hobbits, bien que très rares, semblaient les préférés des Lossoth : leur nature joviale et pacifique et leur maîtrise de la nourriture comptaient sans doute pour beaucoup.

10 - Visions - poursuites et menaces
Néanmoins, en plus de l'apprentissage de la vie dans le Grand Nord et de ses habitants, une partie importante de la discussion entre les aventuriers tourna autour des visions et des divinations magiques apportées par les voyants d'Arthedain (à travers les palantíri) ou Drilun lui-même, à travers ses sortilèges. Narmegil, et les actions passées des aventuriers au bénéfice de la couronne, leur avaient obtenu un accès à ce que le royaume d'Arthedain possédait de plus précieux : pouvoir interroger les pierres de vue magiques venues de Númenor et au-delà, cadeau des elfes aux ancêtres des Dúnedain.

Mais si l'accès aux pierres était possible, grâce aux voyants spécifiquement entraînés à leur utilisation, la maîtrise des visions et leur interprétation en était une autre. Rares étaient ceux capables de sélectionner et orienter ce qu'ils pouvaient voir à travers les pierres, plutôt qu'une vision complètement aléatoire. Il fallait du temps et de l'énergie pour cela, et il n'était pas possible de vagabonder dans le temps et l'espace à trouver des solutions à tous les problèmes des aventuriers. En bref, les voyants pouvaient s'engager à chercher chaque jour des visions se rapportant à un sujet précis, et à en rapporter la description au groupe. L'interprétation qu'ils en feraient restait à leur discrétion. Et certaines des visions rapportées pouvaient ne jamais se réaliser, disait-on.

Les visions qui furent demandées concernaient des sujets différents mais plusieurs revenaient sans cesse. Parmi ceux-ci figuraient les poursuivants du groupe. Trois puissants personnages avaient pris les aventuriers en chasse, le groupe voulait en savoir plus à leur sujet, et plusieurs requêtes furent faites aux voyants pour en apprendre davantage. L'une de ces visions rapporta la vue nocturne de deux cavaliers en habits noirs, dont les traits étaient impossibles à distinguer, chevauchant non loin d'un grand fleuve avec des montagnes lointaines sur leur gauche et la lisière d'une vaste forêt loin à droite. Ce qui n'était pas sans rappeler la vallée de l'Anduin, entre les Monts Brumeux à gauche et la Forêt Sombre à droite, donc un trajet vers le nord. Au-dessus d'eux cheminait une silhouette humaine portée par de grandes ailes, et de tous se dégageait une impression de puissance et de peur...

A l'aide de divers détails fournis par le voyant ayant réalisé la vision, ainsi que des sorts divinatoires du Dunéen du groupe, le trio fut relativement facile à identifier : la créature volante était le démon du froid Andalonil, puissant lieutenant de Dol Guldur qui avait par le passé battu le groupe sans grand mal, groupe sauvé par l'intervention de Radagast. Les deux autres étaient sûrement des personnes magiques et puissantes comme le Grimburgoth, qui lui aussi avait terrassé les aventuriers sans le moindre effort, et qui lui aussi avait été mis en échec grâce au magicien brun. Un trio de choc que le groupe ne pouvait pas espérer combattre de manière équitable et victorieuse.

Diverses discussions portèrent sur leurs intentions et leurs moyens, mais une chose semblait sûre : s'ils ne viendraient certainement pas au sein de l'Arthedain pour combattre Taurgil et ses amis, ils avaient tout loisir de rassembler des serviteurs en Angmar ou plus au nord pour les aider à attendre, trouver ou piéger les aventuriers dans le Forodwaith. Une autre vision, qui remua fortement les entrailles du voyant qui la fit, montra des hordes de guerriers barbares en train d'attaquer et de détruire de manière particulièrement cruelle et sanglante un village de probables Lossoth. Autrement dit, le trio de poursuivants, s'il n'arrivait pas à débusquer les aventuriers, s'en prendrait indirectement aux Lossoth pour faire réagir Vif et compagnie... et leur tomber dessus. Drilun se fit la réflexion que ses amis et lui étaient donc une menace pour tous ceux qu'ils devaient bientôt côtoyer, même de loin...

11 - Eloeklo et aventuriers
Plusieurs visions concernèrent un vaste sujet du nom d'Eloeklo. Il semblait que le groupe serait amené à le rencontrer, et ce pour plusieurs raisons. D'une part car c'était la volonté de Tevildo : l'être en question avait paraît-il anéanti des aventuriers partis pour le Grand Nord et qui avaient un lien avec le Prince des Chats. Et ils avaient avec eux de puissants objets magiques qui auraient sûrement leur utilité, à condition de pouvoir les récupérer. Mais en dehors de Tevildo, Taurgil lui-même avait été prévenu par le fantôme d'un ancien roi que cet être des temps anciens serait tôt ou tard sur sa route et qu'il fallait s'en méfier. Il semblait d'ailleurs qu'il était aveugle et que le combat n'était peut-être pas la seule manière de l'aborder...

Certaines des visions que fit le voyant dédié à servir les aventuriers étaient clairement des images du passé : Eloeklo était certainement un ancien et puissant serviteur de Morgoth qui défendait les montagnes de son maître. Il avait été vaincu par de puissants sortilèges qui avaient détruit sa forme physique et l'emprisonnaient dans le Nord, à tout le moins sa conscience et une partie de ses pouvoirs. Il n'était guère autre chose à présent qu'un nuage de vents violents et glacials, prisonnier des hauteurs des montagnes de Forodwaith. Mais ce nuage avait eu des interactions avec de nombreuses personnes. En plus de figurer dans les légendes des Lossoth, il avait manifestement croisé le chemin des réfugiés noldor d'Eregion lorsqu'ils fuyaient les troupes de Sauron, au Second Âge. Et il avait aussi anéanti un vaisseau volant plein d'aventuriers dans leur voyage pour le Grand Nord.

Le lien avec les aventuriers était d'ailleurs assez complexe, car il semblait qu'à défaut de forme physique stable, Eloeklo avait fini par posséder le corps de quelqu'un d'autre : une jeune et superbe elfe qui avait de grands pouvoirs magiques comme celui - prêté par le démon ou propre à la magicienne - de manipuler les éléments. Certains des aventuriers avaient vaguement entendu parler d'eux à Fondcombe ou ailleurs, et Vif savait qu'un de ses anciens amis de chez elle faisait partie de cette ancienne équipe. En tout cas, une vision montrait assez clairement que le funeste destin et l'échouage du bateau en montagne était le fait de la magicienne elfe et non directement d'une attaque d'Eloeklo. Même si cela ne faisait guère de différence : l'elfe n'était sans doute qu'une marionnette manipulée par le puissant esprit.

D'autres visions s'attardèrent sur les membres de l'équipage. Tous n'avaient pas péri, même si de la plupart il ne restait plus que des morceaux de corps glacés et perdus dans les flancs inhospitaliers d'une montagne du Nord, que Drilun pensa avoir cernée grâce à ses sorts divinatoires. L'un d'eux était une petite femme blanche aux yeux rouges, une albinos naine et dont le corps était transformé en lynx blanc sous le contrôle du Prince des Chats, Tevildo. De la magicienne elfe possédée par le démon du froid il a déjà été question. Mais un autre membre de l'équipe avait survécu, l'ancien ami de la féline Femme des Bois et Homme des Bois lui-même : Dwimfa, car c'était son nom, avait été éjecté du bateau (ou avait-il sauté quand il avait senti le vent tourner ?) avant sa chute et son éparpillement. Comment il avait pu survivre à une telle chute et retrouver la civilisation, c'était un mystère. En tout cas une vision le montrait clairement vivant et hôte d'une espèce de caverne de glace aux côtés de probables Lossoth.

D'autres visions montrèrent qu'Eloeklo ne connaissait que la destruction comme mode opératoire et motivation. Sans doute qu'il ne rêvait de rien de plus que d'être libéré de sa prison et de partir se venger et détruire le monde. Et sa puissance était presque incommensurable : Andalonil, lui-même démon du froid, était manifestement un pion en comparaison du maître du froid et des tempêtes. En revanche, une vision montra que la discrétion était peut-être son point faible : dans cette dernière, un petit être discret accédait aux débris du vaisseau sans se faire repérer par le puissant et proche nuage de glace tourbillonnante et démoniaque.

12 - Serpent de feu et gardien de lave
Un autre habitant des terres glacées que le groupe serait sans doute amené à rencontrer, d'après le fantôme du roi auprès de qui Taurgil avait une dette maintenant réglée, était un être similaire à Eloeklo, mais fait de feu. En fait, lui aussi semblait être un ancien lieutenant de Morgoth emprisonné sur les terres de son ancien maître, et pas n'importe où. En effet, la destruction du Thangorodrim, cette immense montagne aux trois pics volcaniques, n'avait pas eu pour seule conséquence la destruction de l'ancienne forteresse d'Angband. A sa place le sol était désormais creusé sur plusieurs miles, et au fond de la dépression reposait un lac de lave qui émettait en permanence des fumées nauséabondes et toxiques.

L'endroit était connu des érudits et portait même un nom, Eithel Morgoth ("Puits de Morgoth"). La lumière et la chaleur qui s'en dégageaient en faisaient parfois un moyen de repère commode car visible à de nombreux miles à la ronde quand le ciel était clair, en particulier en hiver. Des légendes courraient même à propos de la vie qui florissait aux abords du lac de lave, plutôt côté nord car les vapeurs toxiques portées par le vent du nord rendaient la vie difficile au sud de la dépression. Les érudits mentionnaient des herbes miraculeuses qui ne poussaient que là-bas. Mais ces légendes entraient en conflit avec d'autres qui prétendaient que personne ne revenait d'un voyage dans ce sinistre puits...

Quoi qu'il en fût, le voyant fut particulièrement choqué par la vision qu'il fit de ce fameux serpent de feu dont on lui avait parlé. Non seulement il avait vu le Puits de Morgoth et son lac de lave, mais il avait réussi à distinguer une espèce d'énorme serpent qui dormait dans la roche en fusion. Mais ne dormait que d'un œil : le serpent en question, se sentant observé à travers le palantír, s'était brusquement réveillé et il avait comme plongé vers le voyant tandis que le lac de lave entrait en éruption ! La vision avait été brutalement interrompue et le voyant d'Arthedain, après avoir attendu un moment que son cœur se calme un peu, n'avait pu que constater qu'il n'avait pas réussi à maîtriser ses sphincters...

Au moins une autre vision fut essayée pour tenter de trouver un moyen de combattre l'être de feu qui semblait prisonnier du lac de lave et qui ne rêvait que de libération et de destruction. Mais ou bien le voyant n'avait pas su ou pu mener à bien ce qui lui avait été demandé, ou bien la conclusion était tout autre : il n'était tout simplement pas possible de combattre ce probable ancien lieutenant de Morgoth. Cet esprit des temps anciens faisait d'ailleurs beaucoup penser aux "démons de puissance" au service du Noir Ennemi du Monde, démons dont l'appellation en langue elfique n'était autre que Balrog. Un bref moment, le voyant avait peut-être eu la vision d'un être non avec une forme de serpent mais celle d'un immense démon ailé fait de feu et d'obscurité...

Dans tous les cas, cela faisait de ce démon du feu un nouvel adversaire qu'il n'était sans doute pas possible de combattre. Et pourtant l'équipe serait sans doute amenée à le rencontrer ! Quelles en étaient les raisons, les aventuriers ne pouvaient guère faire que des conjonctures. Mais l'une d'elles était que cet endroit correspondait aux anciennes forges d'Angband, où de nombreux objets avaient été forgés. Peut-être que l'un d'eux était l'amulette qui avait pu emprisonner le Prince des Chats, Tevildo. Et peut-être que le seul moyen de le libérer était de détruire l'amulette à l'endroit même où elle avait été créée...

13 - Secrets et derniers préparatifs
Une vision fut également posée au voyant, mais seul un membre du groupe se vit décrire ce que la personne avait vu dans le palantír. En effet, la vision portait sur Tevildo, Prince des Chats, et la manière de se débarrasser de lui. Malheureusement, il avait un tel lien avec les membres du groupe, ils étaient déjà tellement corrompus par sa magie, qu'il pouvait sans mal lire dans leurs pensées en permanence. Sauf Mordin, qui n'avait jamais accepté quoi que ce fût de la part du Maia, et qui donc ne pouvait être espionné de manière aussi aisée qu'avec les autres. La vision fut donc partagée avec lui seul. A l'issue de l'entretien, l'air sombre, il partit en ville faire quelque achat et revint avec une bouteille de vin d'un cru rare et cher, probablement de Dorwinion. Avec une bonne et une mauvaise nouvelle : la mauvaise était qu'il n'était pas possible de se débarrasser de Tevildo. La bonne était qu'il avait acheté - cher ! - la présente bouteille de vin pour la partager avec eux et profiter du moment plutôt que de déprimer quant à leurs épreuves à venir...

Mordin et son exceptionnelle générosité étonnèrent certains de ses amis, et le maître-assassin, expert en mensonges, eut un sourire troublé. De son côté, Drilun ne put s'empêcher de consulter ses cailloux magiques pour en savoir plus. Le voyant qui utilisait le palantír, comme d'autres fois auparavant, avait été en contact avec la larme de Yavanna de l'équipe pour éviter toute tentative d'espionnage magique de la part du Prince des Chats. Mais si certains membres de l'équipe en savaient plus sur les réelles intentions du nain, qui sait comment Tevildo allait réagir ? Quoi qu'il en fût, le mal était fait et chacun vaqua à ses occupations avant le prochain départ.

Car ils ne tarderaient plus longtemps. Ils étaient restés deux semaines à Fornost Erain et ils avaient conclu qu'il fallait désormais bouger, faute de quoi les mauvaises surprises seraient plus nombreuses à les attendre dans le Grand Nord. Geralt avait enfin pu rencontrer le capitaine de la garde royale, Halmir Eketta : malgré son appartenance à l'agressive famille Eketta, le maître-assassin avait entière confiance en l'homme, fidèle au roi et à sa famille, comme de précédentes aventures l'avaient montré. Le balafré aux cheveux blancs souhaitait en effet en apprendre plus sur Inhael Eketta, un vieux rôdeur de plus de deux siècles d'âge et le plus grand spécialiste du Grand Nord en Arthedain. Halmir le rassura sur son parent, qui détestait la politique et était tombé amoureux du Forodwaith. En revanche, il y passait l'essentiel de sa vie, sauf parfois le cœur de l'hiver, et il n'était donc pas possible de l'attendre ici. Par ailleurs il bougeait beaucoup, voyageant de village en village, et il ne serait sans doute pas facile à trouver sans l'aide des Lossoth.

Mais si les principaux connaisseurs du Grand Nord, marchands, chasseurs, herboristes et rôdeurs, étaient tous partis là-bas pour profiter de la courte et belle saison, toute aide n'était pas impossible. Le groupe obtint de pouvoir être guidé à travers le nord de l'Arthedain jusqu'aux premières côtes du sud de la baie de Forochel. Le trajet représentait autour de trois cents miles (~ 480 km) dans des terres essentiellement sauvages. Une partie pourrait se faire à cheval jusqu'aux tours de garde les plus au nord de la région. Au-delà ce n'était que collines désertes essentiellement parcourues par des orcs, des rôdeurs et des aventuriers.

Deux (principaux) chemins étaient d'ailleurs possibles : aller directement au nord en traversant des territoires contrôlés par l'ennemi, et notamment une importante tribu d'orcs ; ou passer plus à l'ouest pour les éviter, au risque de rallonger le temps de trajet d'une bonne semaine peut-être. Dans le premier cas la discrétion serait problématique car les orcs étaient nombreux et possédaient de nombreux wargs ; au minimum des combats seraient à prévoir, à moins de traverser lentement et avec moult précautions. Dans le second cas, Angmar ou ses alliés auraient du mal à percevoir le passage des aventuriers, mais ils auraient plus de temps pour leur tendre une embuscade ou installer des espions plus au nord et à l'est.
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Niemal
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Grand Nord - 2e partie : tractations et épreuve de force

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1 - Destination et mode de transport
Au bout du compte, après divers échanges et comparaisons du pour et du contre, une majorité d'aventuriers pencha pour rester groupé. Par ailleurs, après consultation de cartes militaires obtenues par Narmegil où la présence des tribus orcs était indiquée, le chemin choisi passerait par l'ouest et remonterait la rivière Lhûn, non loin des Montagnes Bleues : le secteur était jugé sûr de bout en bout, relativement sauvage et occupé par les Hommes des Rivières. C'était un peuple nomade qui parcourait la rivière et ses affluents pour transporter diverses marchandises entre les peuplades naines et humaines comme les Lossoth ou les Dúnedain d'Arthedain. Les orcs ne venaient jamais aussi loin depuis Angmar, et les elfes et les nains avaient depuis longtemps éliminés ceux des Montagnes Bleues.

Autre avantage possible : la rapidité. En effet, même s'il n'y avait pas ou peu de routes qui remontaient le cours du fleuve, essentiellement des sentiers, il serait possible d'utiliser des chevaux. Ces derniers seraient remis à la garde des rôdeurs qui accompagneraient l'équipe lorsque le Grand Nord serait atteint et que l'utilité des chevaux deviendrait discutable. De cette manière, le groupe pouvait espérer atteindre assez vite Mulkan, un village de Lossoth du sud-ouest du Grand Nord habitués aux marchands, trappeurs et aventuriers qui s'aventuraient par chez eux. Le village était donc bien pourvu en marchandises et équipement divers pour affronter les rigueurs du pays.

Dans un premier temps, la route de l'ouest serait prise jusqu'à l'ancienne capitale en ruines, Annúminas, sur les rives du lac Nenuial. Prise par les forces d'Angmar en 1409, elle n'avait jamais été reconstruite et était à l'abandon. Après quoi la route poursuivrait plus à l'ouest à travers les terres des grandes maisons nobles d'Arthedain comme Tarma et Orros, avant d'arriver à Caras Celairnen, au confluent de la rivière Lhûn et d'un de ses affluents. Le lieu hébergeait un centre de formation des rôdeurs du royaume où le groupe pourrait reposer. Après quoi il faudrait longer la rivière côté occidental ou oriental, le choix de prendre des embarcations pour remonter la rivière ayant été rejeté.

Les avantages et inconvénients des deux rives de la rivière furent débattus : la rive ouest était la plus usitée par marchands nains et autres voyageurs à terre, un peu plus facile à suivre hormis pour franchir les nombreux affluents de la rivière qui descendaient des montagnes. Côté est, la rive était plus sauvage, le relief plus escarpé, les chemins moins nombreux. Un peu plus dur pour des chevaux mais globalement plus discret, la région ne connaissant aucun centre urbain ; tout au plus y aurait-il quelques hameaux d'Hommes des Rivières où leurs bateaux pouvaient faire halte et où demeuraient en permanence certaines personnes âgées ou de jeunes enfants et leurs mères.

L'équipe était donc fin prête pour partir au milieu du mois d'Ivanneth, le dernier de l'été. Trois rôdeurs accompagneraient le groupe qui avait pu bénéficier du prêt de très bons chevaux de la couronne pour cette équipée. Des vivres en bonne quantité avaient été achetés, sans parler de moult équipement adapté à la vie dans le Grand Nord, même si certains resteraient à acheter sur place. Mais le matin du départ de l'expédition, un imprévu obligea à revoir le calendrier du départ : Mordin semblait atteint d'un mal de dos carabiné qui, selon ses dires, ne lui permettait pas de voyager à cheval. Il faudrait donc patienter quelques jours de plus jusqu'à ce qu'il se sente capable de voyager.

2 - Mal de dos nain
Certains des personnages se trouvèrent un peu dans l'embarras vis-à-vis des rôdeurs d'Arthedain qui devaient les accompagner. Vif, de son côté, s'était déjà éclipsée la veille avec Taurgil pour bénéficier de ses compétences : grâce à son aide, elle avait pu se transformer dans un bosquet proche de la ville fortifiée. Puis elle avait bénéficié d'un sort afin de l'aider à se reposer après cette transformation qui lui demandait toujours beaucoup d'énergie. Mais ses amis ne s'en faisaient pas pour elle, ils savaient qu'elle se débrouillerait et les attendrait. Et puis Drilun profita de l'occasion pour commencer de nouveaux objets magiques qui leur serviraient. Bref, chacun fit contre mauvaise fortune bon cœur.

Pas tous néanmoins : Geralt était quelque peu irrité par son ami, car ses compétences lui disaient assez clairement que le réel problème ne venait pas du dos du nain. D'ailleurs, Mordin n'avait pas vraiment laissé les soigneurs de l'équipe l'examiner ou tenter de le soigner, avançant des prétextes liés à sa condition de nain, prétextes qui ne l'avaient pas du tout convaincu ! Manifestement, le nain faisait semblant d'avoir mal et il voulait rester plus longtemps. Pour qui et pourquoi, ce n'était pas très clair et il en voulait à son ami de ne pas leur en avoir parlé. D'autant que les conséquences n'étaient pas anodines : pendant ce temps-là, leurs ennemis ne se reposaient pas...

Et cela ne s'en arrêta pas là : Mordin remit le couvert le lendemain, malgré une embellie l'après-midi du premier jour. En effet, après une sieste plus ou moins partagée par certains, Rob avait confié à son ami barbu que les conditions étaient remplies pour voir leur voyage commencer. Après quoi ledit barbu avait demandé à ses amis soigneurs et magiciens d'examiner les membres du groupe, ce qui permit de révéler que, aux perceptions magiques de certains, le lien qui unissait le hobbit à Tevildo - son degré de "corruption" en quelque sorte - avait semblait-il baissé légèrement. Mais cela n'était aucunement le cas pour les autres...

Par ailleurs, avant leur départ mais aussi après le début de leur délai, le marchand nain s'était éclipsé plus d'une fois sans parler de ce qu'il avait fait. Comme d'ailleurs Vif, sur un laps de temps à peu près similaire. De là à penser que Mordin tentait de marchander avec Tevildo pour obtenir Eru savait quoi, il y avait un pas que le maître-assassin franchit vite et qui l'inquiéta plus qu'un peu : il savait à quel point le nain pouvait être têtu et opiniâtre, mais son compagnon savait-il à quel point il risquait d'irriter le Prince des Chats, et surtout comprenait-il les conséquences que cela pouvait avoir sur les Lossoth, sur eux et sur bien d'autres ?

Et il en eut un exemple très parlant lors d'une nouvelle sieste, le second jour où Mordin prétextait son mal de dos pour retarder le départ du groupe : un cauchemar bien éprouvant comme il avait déjà connu par le passé lui rappela combien Tevildo pouvait pourrir la vie de ses serviteurs qui lui déplaisaient. Bien sûr, ils avaient toujours une larme de Yavanna pour protéger certains d'entre eux des influences du Maia, mais c'était bien insuffisant pour tout le groupe. L'irritation de l'esprit des temps anciens se fit davantage perceptible et Geralt eut la vision d'un autre être avec qui ils partageaient l'influence de Tevildo... et la présente habitation : Míriel, fille demi-elfe d'Isis et Narmegil, risquait de faire les frais de l'entêtement du nain !

3 - Tractations et pression félines
Le ton monta entre l'humain aux nombreuses balafres et son compère à la longue barbe. Si Geralt comprenait très bien que Mordin ne souhaitait pas les mettre dans la confidence à cause du lien qu'ils partageaient tous - lui excepté - avec Tevildo, il n'était pas du tout d'accord avec les risques qu'il faisait courir non seulement au groupe mais à beaucoup d'autres. Et il lui cita en vrac : les Lossoth qui risquaient de souffrir davantage de leur retard ; la fille d'Isis qui ne pouvait vivre en permanence avec la larme de Yavanna accrochée au bras ou ailleurs ; la réaction d'Isis qui risquait de les rôtir vif si elle apprenait qu'on jouait avec le bien-être de sa fille dans des tractations avec Tevildo ; la réaction possible des elfes et des Dúnedain s'ils savaient que la possible future reine ou ascendante d'un roi du royaume, que certains voyants avaient vu en Míriel, voyait sa santé menacée par les agissements des aventuriers...

Toujours aussi opiniâtre, Mordin ne lâcha pas le morceau et ne détailla toujours pas ses motivations, même s'il reconnaissait jouer à un jeu dangereux. Mais pour lui le temps jouait en sa faveur : le Prince des Chats ne pouvait se permettre de laisser trop de retard s'accumuler, cela mettait en péril ses beaux jouets que les aventuriers représentaient pour lui - les meilleurs qu'il ait jamais eus ! Il finirait tôt ou tard par céder quelque chose. Et puis, de toute manière, il était impensable de ne pas lui résister : une fois ses objectifs atteints, Mordin et ses amis ne seraient que quantité négligeable et ils ne survivraient pas au Maia s'il recouvrait tous ses pouvoirs !

Son instinct de nain marchand lui disait qu'il pouvait obtenir mieux. Il se rappela le premier contact où il avait invoqué Tevildo à travers des chats, sans en parler au groupe ; tout cela pour avoir la surprise de voir arriver Vif, chargée de servir d'intermédiaire en communication féline ! Il n'avait obtenu de l'esprit des temps anciens que des belles paroles et des promesses sans rien de concret, alors que lui avait besoin de plus : la libération de ses amis de l'influence du Maia, ou à tout le moins une nette diminution de son influence. En montrant qu'il était prêt à retarder le groupe et donc de les mettre tous en péril, il avait obtenu un début avec un petit mieux concernant le hobbit. Mais le côté somme toute ridicule de ce geste ne l'avait pas convaincu, il voulait plus et mieux ! Par ailleurs, le Prince des Chats avait montré son intérêt - à travers Vif - pour la vision demandée aux voyants concernant les moyens de lutter contre lui, vision décrite au nain et à lui seul.

Les amis de Mordin étaient tous d'accord qu'on ne pouvait laisser Tevildo faire comme il voulait. Mais Drilun rappela bien que Elrond lui-même pensait que l'influence grandissante du Maia au sein du groupe était aussi sa plus grande faiblesse et qu'une occasion pourrait se présenter de le mettre en péril. D'autres membres de l'équipe appuyèrent en ce sens, à savoir que plus l'esprit se dispersait en tentant de les influencer, moins il était fort. Affronter de face le Prince des Chats était un jeu dangereux et il avait trop de moyens de pression. L'opportunisme et l'affaiblissement progressif de Tevildo semblaient être une voie plus facile...

En fin de compte, Geralt menaça son compagnon de tout raconter à Isis s'il n'en disait pas plus, et d'en supporter ensuite les conséquences. Poussé par le maître-assassin, Mordin le fit patienter en disant qu'il attendait un message, sans détailler - même si ses amis s'en doutaient - qu'il avait eu un échange avec Vif en dehors de la ville et qu'elle lui ferait savoir dès que possible la réaction de son maître. Elle lui fit effectivement savoir que Tevildo n'avait cédé en rien aux exigences du nain, sous la forme d'une brindille d'une forme particulière portée par un chat depuis l'extérieur de la ville. Chat qui trouva le chemin de la maison Eldanar où ils résidaient tous, et où il se fit connaître. Chat dont la brindille fut rapidement saisie par le nain et brisée en morceaux après avoir compris le message. Après quoi Mordin fit comme si tout allait bien, esquivant les demandes de précision de son compagnon aux cheveux blancs et refusant de détailler la nature du message ou des tractations qu'il tentait de faire aboutir...

4 - Cris et départ
Non loin de la ville, Vif se prélassait dans un arbre tandis que le soir tombait. Suite à ses échanges secrets avec le nain, elle avait pressenti l'arrivée des ennuis, même si elle respectait ses tentatives et sa volonté d'essayer de faire avancer les choses. Aussi avait-elle bien dormi en journée, au cas fort probable où le Prince des Chats finirait par s'énerver. Il ne fut d'ailleurs pas le premier, et la féline Femme des Bois ne fut aucunement surprise d'entendre un cri perçant parvenir de la forteresse où résidaient ses amis. Son ouïe était en effet assez fine pour identifier ce bruit malgré le bruit de fond de la ville et la distance. Isis poussait une gueulante, et il était facile de deviner pourquoi : elle venait d'apprendre le jeu dangereux que jouait Mordin (quelqu'un avait dû l'en informer qui n'aimait pas les méthodes du nain...) et l'impact possible sur sa fille.

Le cri finit par disparaître et la féline rôdeuse visualisa très bien les voisins de la famille Eldanar, alertés par les bruits, accourir vers la maison de Míriel, Isis, Narmegil et son grand-père Tarcandil. Elle imagina sans mal ses amis, et en particulier Geralt, réussir à calmer ces mêmes voisins par quelques belles paroles. Apaiser l'elfe bouillonnante qu'était la mère de Míriel, par contre, avait dû être plus difficile ; mais sans doute Geralt avait-il su la convaincre - il savait être vraiment persuasif - qu'il ferait tout pour protéger la petite demi-elfe. Par contre, Tevildo allait certainement mettre ses menaces à exécution et la nuit promettait d'être longue...

Et c'est bien ce qui arriva : le maître-assassin s'était engagé à veiller toute la nuit pour que la fille d'Isis et Narmegil, par ailleurs filleule de Drilun et Vif, puisse dormir protégée du Maia à l'aide de la larme de Yavanna. Ses parents veillèrent également, de même que Taurgil qui avait senti le vent venir et qui s'était lui aussi bien reposé en journée. Ne parlons même pas d'Isilmë qui n'avait pas besoin de se reposer autant que les autres et qui préféra aussi rester éveillée. Quant aux derniers, à part Mordin qui n'avait pas de lien avec Tevildo et dont le sommeil ne fut pas troublé, ils connurent les affres de cauchemars particulièrement réalistes. Au bout du compte, le hobbit et le Dunéen en sortirent encore plus fatigués qu'après une nuit blanche ! Vif préféra veiller elle aussi, bien entendu.

Si le nain aurait bien voulu prolonger le rapport de force et obtenir davantage du Prince des Chats, il n'en eut pas vraiment l'occasion. L'équipe se retrouva bientôt à la rue, poussée dehors par une elfe qui voulait les voir partir le plus loin de sa fille et le plus vite possible ! Peut-être que cela voulait dire que la larme de Yavanna ne serait plus là pour protéger Míriel, mais Isis n'en avait cure : elle imaginait assez bien que Tevildo se calmerait une fois ses anciens amis partis pour leur destin dans le Grand Nord. Sans oublier que son mari avait des compétences certaines dans les soins magiques et qu'elle pouvait espérer de lui de pouvoir protéger sa fille mieux que quiconque ou presque, avec l'appui de la famille royale d'Arthedain au besoin - et elle avait déjà eu preuve de leurs capacités par le passé.

Le groupe retrouva donc rôdeurs et chevaux, qui, ordre dúnadan oblige, avaient patiemment attendu le bon vouloir des aventuriers. Une fois hors de la ville ils retrouvèrent Vif sous sa forme de grand félin. Les rôdeurs avaient été prévenus et ne firent pas trop de commentaires, d'autant qu'ils eurent fort à faire, au début, pour maîtriser les chevaux qu'ils montaient et qui auraient bien voulu aller dans une autre direction. Mais c'étaient de bonnes bêtes, obéissantes comme un peu tout le monde dans ce royaume. Tous prirent la route de l'ouest ; comme le soleil était de la partie et que la route était bonne, le galop fut adopté afin d'avaler le plus de distance et ne plus accumuler de retard.

5 - Vers l'ouest et le nord
La route fut donc avalée sans mal, chacun ayant son cheval sauf Rob qui montait en croupe de la monture de Geralt. L'automne approchait et de nombreuses personnes qui travaillaient aux champs les virent passer, mais l'équipe ne s'arrêta pas. En milieu de matinée la ville de Rood fut atteinte et dépassée, et la rivière que les hobbits nommaient Brandevin (Baranduin/"Rivière Brune" en langue elfique) fut longée jusqu'à sa source, le lac Nenuial ou "Lac du Crépuscule" en langue elfique. C'est là que reposaient les ruines d'Annúminas, ancienne capitale d'Arnor puis d'Arthedain. Mais le groupe ne s'attarda pas et profita de la lumière pour poursuivre la route le long du sud du lac.

Ce n'était plus la route pavée qui joignait l'ancienne et la nouvelle capitale, mais tout de même un chemin bien visible et régulièrement emprunté. L'allure diminua un peu, et en soirée les cavaliers s'arrêtèrent dans un hameau où ils reçurent l'hospitalité. En tant qu'envoyés de la couronne, comme l'attestaient les rôdeurs qui les accompagnaient, ils pouvaient s'attendre à un bon accueil partout où ils allaient. Pour autant, ils ne s'attardèrent pas pour des mondanités, et le lendemain ils traversèrent les terres des seigneurs Orros et Tarma sans présenter leurs hommages. Certains aperçurent peut-être la tour de Tarmabar au loin mais personne ne tenait vraiment à faire un détour.

Après avoir laissé les Collines du Crépuscule (Emyn Uial en sindarin) au nord et derrière eux, les aventuriers et leurs guides se rapprochèrent de l'embouchure de la rivière Lhûn, mais leur objectif n'était pas les Havres Gris. A un moment ils tournèrent vers le nord pour atteindre la rivière à l'endroit où l'un de ses affluents, la Rivière du Crépuscule (Uialduin), se jetait dedans. La confluence des deux rivières abritait Caras Celairnen sur un éperon rocheux entouré de marécages. C'était la ville d'Arthedain la plus à l'ouest du royaume, et elle hébergeait un centre de formation des rôdeurs de la couronne où ils firent halte avant de repartir dès le lendemain.

L'allure se fit plus lente, d'autant qu'il fallait tout d'abord franchir les zones marécageuses qui protégeaient la ville sur de nombreux miles. Le sentier étroit fut donc parcouru au pas, et lorsque le sol se fit plus sec une allure plus rapide put être reprise. Un sentier continuait à longer la rivière vers le nord mais il était peu employé : la plupart des voyageurs, et en particulier les marchands nains, prenaient plutôt la rive occidentale, voire utilisaient les services des Hommes des Rivières qui remontaient ou descendaient la rivière Lhûn et ses affluents dans de petites embarcations qu'ils dirigeaient essentiellement à la rame.

Au cours des jours qui suivirent, Taurgil et ses amis rencontrèrent régulièrement cette peuplade assez rustre. Ou bien ils voyaient certains sur la rivière avec leurs embarcations, ou bien ils longeaient ou traversaient de petits hameaux où les bateaux pouvaient faire halte. Ces minuscules bourgades sans réelle échoppe ou quelconque commerce pouvaient néanmoins abriter des voyageurs, mais elles servaient avant tout aux nomades les plus vieux ou jeunes, ou malades, qui ne pouvaient pas ou plus voyager comme les autres membres de leur culture. Globalement c'étaient des gens peu bavards ou enclins à communiquer, ce qui convenait parfaitement aux aventuriers qui recherchaient avant tout rapidité et discrétion.

Les premiers jours furent calmes et l'allure relativement soutenue : même si la chevauchée se faisait hors des sentiers battus, sur un terrain parfois un peu escarpé, tous étaient d'assez bons voire très bons cavaliers et les montures étaient de qualité. Le temps n'était pas toujours le meilleur et les chevaux devaient parfois ralentir, mais sinon le voyage était loin d'être exténuant. En soirée les sorts de Drilun permettaient parfois de trouver une grotte pour s'abriter, même si la configuration (hauteur parfois !) demandait quelquefois des efforts et ne permettait pas toujours d'en faire profiter les chevaux. Cela laissait même parfois assez de temps pour aller chercher des herbes, recherche facilitée par la larme de Yavanna. Sans parler de Vif qui chassait de temps en temps le gibier sous sa forme féline, gibier qu'elle partageait et que Rob préparait ensuite pour le plus grand plaisir de ses compagnons.

6 - Neige précoce
Mais une nuit, alors que tant les rôdeurs d'Arthedain que le Dúnadan du groupe s'attendaient à du beau temps, ils durent au contraire affronter une tempête de neige, à la fin de l'été ! Même si les températures avaient baissé avec la proximité des montagnes et le voyage vers le nord, c'était un temps plus qu'exceptionnel et inattendu. L'origine magique et même maléfique était manifeste et assez facile à percevoir pour les gens compétents, ainsi que le fait que les éléments hivernaux semblaient affecter un secteur relativement petit... et centré sur le groupe. Le phénomène semblait puissant et venir de loin à l'est. Le roi-sorcier d'Angmar était-il à l'origine de cette perturbation, ou l'un de ses sbires ? Et si oui, comment leur présence avait-elle été perçue ?

Cette question pouvait avoir de multiples réponses : entre la présence de Vif à leurs côtés, les sorts parfois utilisés par le magicien du groupe ou la trace magique (ou autre...) de certains de leurs objets, les suivre ne semblait pas si difficile que cela à un sorcier chevronné. Encore fallait-il pouvoir le faire sur une vaste distance... En tout cas, Drilun répondit à la magie dont ils semblaient la cible par la sienne : il apaisa quelque peu les éléments autour du groupe, si bien que la neige était moins drue autour d'eux et les chevaux moins gênés. Il fallut en effet repartir trouver un meilleur abri avant que le temps et les conditions n'empirassent.

L'archer-magicien dunéen repéra une belle caverne à distance modérée grâce à sa magie. Mais, arrivés sur place, ils virent qu'il fallait un peu d'escalade pour y parvenir et il fallut faire un abri pour les chevaux, abri que ces derniers partagèrent avec Isilmë. En fait, la caverne en question n'était pas inoccupée : avant même d'y arriver, les sens exceptionnellement fins de la lionne magique lui avaient indiqué que des hommes y résidaient. La plupart dormaient mais deux d'entre eux veillaient autour d'un feu, d'après les bruits qu'elle seule arrivait à percevoir. Pourtant le bruit de la rivière toute proche aurait dû couvrir de tels sons, mais les oreilles de la féline Femme des Bois étaient particulièrement sensibles cette nuit-là.

En fait, cette caverne était cachée et essentiellement accessible depuis la rivière alors qu'elle contournait un gros éperon rocheux. Elle avait été découverte par des Hommes des Rivières qui en avaient fait une halte secrète invisible des quelconques voyageurs à terre. En escaladant le rocher il était tout de même possible d'y entrer mais non sans mal, et encore plus de nuit et avec une paroi en partie balayée par le vent et la neige ! Après s'être fait connaître des occupants, le groupe s'invita dans ce très bon abri, parfois avec l'aide de la lionne pour ceux - comme le nain - qui avaient du mal avec les compétences d'escalade.

Les Hommes des Rivières ne virent pas d'un très bon œil ces nouveaux venus violer le secret de leur abri. Mais ils firent contre mauvaise fortune bon cœur, d'autant que les aventuriers et leurs guides semblaient des gens importants et non agressifs, et surtout pressés par le mauvais temps. Et puis ces nouveaux arrivants promirent de ne pas dévoiler l'emplacement du site, et plusieurs membres du groupe avaient l'habitude et le bagout nécessaire pour calmer les esprits. Ce fut une occasion de plus de discuter avec les gens du cru, comme avec les rôdeurs d'ailleurs, concernant ce phénomène inhabituel ou d'autres histoires au sujet du Grand Nord.

Les aventuriers repartirent le lendemain, toujours avec l'aide de la magie de Drilun. Le groupe put progresser dans une neige plus ou moins épaisse, même à vitesse réduite, et rien de plus fâcheux que ce mauvais temps n'advint aux sept compagnons et à leurs guides rôdeurs, ainsi qu'aux chevaux. Le principal problème concernait surtout ces derniers, à savoir que la neige recouvrait l'herbe dont ils avaient besoin pour se nourrir, d'où des pauses plus longues pour utiliser les pelles à neige dont certains s'étaient équipés. Mais après une journée un peu difficile, le temps reprit une allure plus normale et la neige, le vent et le froid disparurent. Le groupe put alors progresser plusieurs jours sans nouvelle anicroche, et les frontières de l'Arthedain furent bientôt franchies. Un soir, l'équipe fit halte dans un hameau d'Hommes des Rivières sur un petit affluent de la rivière Lhûn, rivière qu'ils avaient quittée pour se diriger plein nord. Ils entreraient bientôt, dès le lendemain, sur les premières terres de Forodwaith.

7 - Histoires et précisions
Les habitants de la minuscule bourgade où ils s'étaient arrêtés avaient l'habitude d'aventuriers de tout poil partis explorer les terres nordiques, parfois sans l'équipement adéquat. Ce fut donc l'occasion de troquer des raquettes, entre autres choses, contre des pierres semi-précieuses ou de bonnes histoires. Le groupe avait décidé de garder les chevaux jusqu'à Mulkan, un proche village des Lossoth et point de départ de nombreux explorateurs du Grand Nord. Une neige précoce recouvrait les terres qui les séparaient des "Hommes des Neiges", mais pas assez pour mettre en péril leurs montures. Ils pouvaient donc se permettre de se charger un peu plus, car ce n'est qu'à partir de Mulkan que leurs guides repartiraient avec leurs chevaux pour revenir au sud.

Avant d'entrer dans le Grand Nord, les aventuriers purent faire le point des histoires entendues çà et là au cours du voyage et des questions que cela posait parfois. Ils avaient entendu dire que depuis l'arrivée du roi-sorcier d'Angmar à Carn Dûm, sa capitale, les Lossoth mais aussi les gens de l'Arthedain se plaignaient que le temps devenait plus froid et imprévisible, au point même de menacer les peuples qui vivaient dans le Forodwaith et qui étaient pourtant rompus à ses caprices. Suite à leur épisode neigeux le groupe ne pouvait que compatir et se demander à quoi une tempête pouvait vraiment ressembler au pays de l'hiver, comme on appelait parfois le Grand Nord.

D'autres récits avaient porté sur les fameux guerriers venus de l'Est et qui se déplaçaient à ski ou sur des traineaux tirés par des ours polaires. Leur férocité et leur cruauté ne semblaient avoir aucune limite, et certains Hommes des Rivières firent part d'histoires que les Lossoth leur avaient racontées. Ainsi, lorsque les hordes des traineaux conquéraient un village de Lossoth, ils ne tuaient pas tout le monde mais faisaient des prisonniers. Puis une grande fosse était creusée dans laquelle un ours polaire était placé et excité jusqu'à l'enragement par des petites piques de lance et autres amabilités. Les prisonniers étaient alors jetés en pâture à l'ours et les spectateurs pariaient sur le déroulement de la boucherie. Si par un hasard extraordinaire un prisonnier arrivait à rester en vie, il était jugé digne de servir d'esclave à la horde, sort tout aussi funeste mais bien plus long que de périr par la griffe ou les crocs d'un ours polaire enragé !

Les aventuriers prêtèrent une grande attention aux moyens de locomotion dans le Grand Nord et en particulier à partir de Mulkan. Selon les conditions météorologiques en vigueur, le mois d'Ivanneth, qui était le dernier de l'été, correspondait déjà au bref automne du Grand Nord, pour ne rien dire des neiges précoces qui faisaient déjà leur apparition. Les eaux de la baie de Forochel étaient encore liquides, mais les baleiniers et autres vaisseaux allaient vite rentrer car les glaces commençaient déjà à s'étendre depuis le nord du pays. Mulkan était un petit village côtier, même s'il bougeait d'année en année et de saison en saison. C'était un village de pêcheurs et des embarcations du Cardolan mouillaient parfois à proximité avant de repartir vers le sud. Passer par des voies navigables ne représentait-il pas une alternative à des voies enneigées et facilement surveillées par les espions d'Angmar ?

Mais si cela restait possible, l'avis des Hommes des Rivières était assez nuancé : à partir de l'automne - qui était court - les glaces pouvaient parfois prendre très vite. De plus, sur les côtes, les premières glaces étaient dangereuses : d'une part elles empêchaient les bateaux de trop s'approcher des terres, d'autre part elles étaient trop fines pour pouvoir marcher dessus. Sans parler du danger des glaces couvertes de neige que les étrangers prenaient pour de la solide terre ferme enneigée... avant de faire un plongeon dans l'eau glacée ! Ce qui était en général synonyme de mort rapide si l'on ne pouvait faire un feu pour faire sécher ses vêtements et se protéger du froid. Sans même parler de ceux qui n'avaient même pas le temps de sortir de l'eau et qui mouraient de noyade ou d'hypothermie...
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Niemal
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Grand Nord - 3e partie : marais et mauvais esprits

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1 - Accueil frileux
Le lendemain, les aventuriers et les trois rôdeurs prirent une nouvelle fois leurs montures. Ils longèrent l'affluent de la rivière Lhûn vers son amont, en direction du nord. Au fur et à mesure que le groupe montait dans des collines basses, la rivière se faisait plus petite. La source fut bientôt franchie et la petite troupe arriva à un sommet qui marquait la limite de partage des eaux entre Eriador et Forodwaith. Au loin, malgré le temps plutôt couvert, certains pensèrent distinguer une ligne bleutée qui devait correspondre aux eaux de la baie glaciale de Forochel. Le chemin qu'ils suivaient se prolongeait et ils poursuivirent vers le nord. Ils longèrent bientôt une forêt et décidèrent de faire une pause pour, entre autres choses, rechercher des herbes rares et utiles comme la noix de l'écureuil.

Ils n'étaient pas non plus seuls. Ils avaient rejoint une nouvelle rivière qui allait dans la même direction qu'eux. Elle se jetait dans les eaux de la baie et le village de Mulkan était traditionnellement disposé près de son embouchure, même s'il changeait régulièrement de place. Des Hommes des Rivières étaient également présents, mais aussi des petits groupes de chasseurs lossoth. Les premiers semblaient avoir de bons contacts avec les Hommes des Neiges, traduction de "Lossoth", avec qui ils faisaient régulièrement du commerce. Quant aux seconds, ils profitaient des terres sauvages et giboyeuses pour faire leurs réserves pour l'hiver. De nombreux rennes vivaient dans les environs, de même que des élans, sans parler de la faune plus classique comme chevreuils, lièvres, renards et bien d'autres.

Tandis que Taurgil partait en quête de leur fantastique stimulant, avec un certain succès, Vif se mettait en chasse et revenait bientôt avec un cadavre de renne. Pour le plus grand plaisir de Rob qui se mettrait bientôt aux fourneaux, et le plus grand plaisir des papilles du groupe qui pourrait bientôt se délecter de la nouvelle viande. Et pas seulement, car d'autres membres de l'équipée, tels qu'Isilmë, entrèrent en contact avec les autochtones, entre autres pour les inviter. Ou du moins ils essayèrent : si cela ne posait aucun problème aux Hommes des Rivières qui campaient là de partager un repas et de discuter, les quelques Lossoth présents semblaient plutôt timides, ce qui étonna même leurs amis friands d'embarcation. Les Hommes des Neiges semblaient intimidés par les aventuriers, comme s'ils reconnaissaient en eux quelque chose dont ils avaient entendu parler, et pas qu'en bien. Et les rôdeurs qui accompagnaient le groupe ne recevaient pas une attention similaire, il s'agissait bien de quelque chose propre aux sept aventuriers.

Pourtant Geralt essayait de cacher sa mine balafrée et tous évitaient de mettre leurs armes en avant. Bien sûr, Mordin ne pouvait éviter de faire chanter un peu les anneaux de sa cotte de mailles qu'il portait encore sur lui. Vif évitait de se montrer, et elle était d'ailleurs repartie en chasse ; elle reviendrait un peu plus tard non loin du campement avec le corps d'un élan qui pourrait servir de troc avec les autochtones. Même Rob, s'il ne provoquait pas autant que ses compagnons des mines inquiètes chez les Lossoth, ne semblait guère attirer ces derniers. Les hobbits avaient pourtant bonne réputation parmi eux, entre autres à cause de leurs talents culinaires. D'ailleurs le semi-homme du groupe allait vite prouver qu'il méritait largement cette réputation ! Mais il y avait bien autre chose...

Entre le succulent plat du hobbit et les efforts des uns ou des autres pour dérider leurs compagnons de hasard, telles les pitreries de Geralt qui se moquait de ses compagnons, les Hommes des Neiges se déridèrent après un moment et ils acceptèrent plus facilement de parler. Certains comprenaient très bien le ouistrain, ce qui facilita les échanges. Et effectivement, il semblait que la réputation des aventuriers les précédait, comme cela fut confirmé de nombreuses fois par la suite. Les héros de l'Eriador ou du Rhovanion apprirent bientôt, le soir même ou au cours des jours qui suivirent, que deux histoires couraient à leur sujet, associées à une description assez fidèle de leurs personnes. En fait ils entendirent de nombreuses histoires différentes mais elles se rapportaient toujours plus ou moins à deux principaux récits.

Le premier avait pour origine prétendue des attaques des Hordes des Traineaux qui semblaient chercher les aventuriers et qui se disaient prêts à tuer (très) douloureusement tous ceux qui aideraient Taurgil et ses amis. Le second venait des Lossoth eux-mêmes : il semblait que le monde des esprits, qui avait pour eux une grande importance, avait prévenu par le biais de certains shamans que les aventuriers seraient bientôt là et qu'ils attiraient mauvais esprits, malchance et funeste destin, pour ne pas dire plus. En bref, pour la bonne santé de tous, il fallait les éviter comme la peste ! Certains crurent que leurs ennemis répandaient des racontars à leur sujet pour faire fuir de potentiels alliés ; mais d'autres, Taurgil en tête, pensèrent que tout cela était la stricte vérité : les Lossoth qu'ils allaient côtoyer étaient en danger de mort et le moins ils approcheraient le groupe, le mieux cela valait pour eux...

2 - Inconscience et arrivée
Au petit matin, les quelques Hommes des Neige avec qui les aventuriers avaient échangé n'étaient plus là : ils avaient déguerpi très tôt, laissant même sur place la viande d'élan qui leur avait été offerte. Les traces dans le sol indiquaient qu'ils étaient descendus dans la direction de Mulkan, la destination du groupe. Ils seraient donc rejoints sans doute rapidement sur la route ou dans le village même des Lossoth, qui n'était distant que de quelques heures de marche selon les rôdeurs ou les Hommes des Rivières. La viande d'élan fut emballée avec l'idée que ce serait une marchandise précieuse auprès des autochtones, et chacun se prépara à partir. Pourtant, une personne manquait à l'appel alors que tous étaient prêts : où donc était passée Isilmë ?

Elle s'était isolée peu auparavant et elle gisait non loin de là, sur le sol, inconsciente. Aucun des soigneurs du groupe ne trouva la moindre blessure ou contusion sur son corps : rien ne laissait penser qu'elle avait été attaquée. Par ailleurs, Vif, qui rôdait dans les environs et dont la qualité des perceptions n'était plus à démontrer, n'avait rien perçu d'anormal. Restait que la belle elfe était dans un coma dont les efforts de ses amis pour la réveiller demeurèrent vains, même avec l'aide du contact de la larme de Yavanna. Ce qui indiquait seulement qu'elle n'avait pas été la cible d'un ténébreux sortilège.

En désespoir de cause, la guerrière elfe fut disposée sur le travois qui avait déjà été préparé pour le transport de la viande, qui serait placée sur le cheval vacant. Puis la troupe se mit en route et suivit la rivière qui les mènerait bientôt à Mulkan, leur premier objectif. Au cours de la matinée, de nouveaux petits groupes de chasseurs lossoth furent rencontrés, qui se montrèrent prudents voire distants, et peu bavards. Certains d'entre eux étaient accompagnés de chiens qui aidaient à la chasse et qui se lancèrent parfois à la poursuite de la lionne magique une fois qu'ils eurent croisé son odeur. Cela arriva plus d'une fois au cours des jours à venir, mais la lionne les distança toujours sans mal. En une occasion, près des marais proches de Mulkan, elle vint même à la rescousse d'un des chiens qui avait fini dans des sables mouvants...

Les eaux proches de la baie de Forochel furent bientôt visibles et la physionomie des environs changea : les aventuriers étaient passés d'une zone de collines à un terrain plus plat où la rivière faisait de nombreux méandres et où les zones humides voire marécageuses étaient plus nombreuses. Au grand bénéfice de la flore et de la faune qui semblaient toutes deux assez riches. Enfin, les aventuriers distinguèrent un groupe de petites habitations près de l'embouchure de la rivière qu'ils suivaient. Ce n'étaient guère plus que des cabanes de terre, de bois et de peaux sans doute faciles à monter ou démonter, et c'était le village de Mulkan. Ses habitants vivaient de pêche et de chasse et faisaient le commerce de fourrures avec les Hommes des Rivières. Ce qui leur permettait d'acquérir de nombreux outils et objets de métal qui pouvaient leur servir et faisaient parfois des envieux auprès d'autres Lossoth, qui ne pouvaient en faire autant. D'autant que l'usage du métal posait problème ailleurs que dans le sud de Forodwaith, lorsque le climat était plus froid.

Il n'y avait guère plus d'une vingtaine de huttes, mais un certain attroupement réunissait quelques dizaines de personnes au milieu du village. Les chasseurs rencontrés la veille semblaient le centre de l'attention des villageois, et il n'était pas difficile, même sans parler la langue ou sans être trop près pour bien entendre, de comprendre quel était le sujet de la conversation. D'ailleurs, l'arrivée du groupe s'accompagna de nombreux regards dans leur direction puis par une évacuation rapide des villageois soudain bien occupés à vaquer à leurs affaires loin des aventuriers. Il n'y avait aucune manifestation d'hostilité à leur égard, mais manifestement on ne souhaitait pas les voir rester plus longtemps que nécessaire, voire même moins !

3 - Soins et autres échanges
Malgré la fraîcheur de cet accueil, les aventuriers tentèrent de s'intégrer tant bien que mal et de nouer des contacts avec les habitants de Mulkan. Hormis Vif, qui préféra rester à l'écart du village pour éviter de provoquer l'effarouchement ou l'émoi des êtres à deux ou quatre pattes. En effet, en plus des Hommes des Neiges eux-mêmes qui n'avaient jamais vu un tel félin de leur vie, deux espèces d'animaux partageaient la vie des Lossoth : tout d'abord des rennes domestiques, qui leur servaient d'animaux de trait ou de bât voire de monte, que l'odeur du formidable prédateur rendait nerveux. Mais également des chiens utilisés pour aider à la chasse, pour tirer des traîneaux voire porter des petites charges. L'odeur de Vif était nouvelle pour eux, ils ne l'aimaient pas, et lorsqu'ils la croisaient ils ne pouvaient s'empêcher de lui donner la chasse.

Les rennes, par contre, intéressèrent vite certains des membres du groupe. A défaut de cheval - ceux avec qui ils étaient venus allaient repartir avec les rôdeurs d'Arthedain - ces cervidés pouvaient rendre de multiples services similaires. Les mâles étaient d'un poids et d'une force similaires à ceux d'un poney, et les femelles, presque deux fois plus légères, pouvaient néanmoins porter leur part de charges diverses et variées. Et ils étaient parfaitement adaptés à la vie dans le Grand Nord, ce auquel la plupart des aventuriers ne pouvaient pas (encore) prétendre. Bref, Mordin ayant repéré quelques animaux dans un enclos, il alla de ce pas en quête du ou des propriétaires pour opérer une transaction dont il avait le secret.

Pendant ce temps-là, Drilun voyait s'approcher de lui - et du corps inanimé d'Isilmë - une femme âgée à l'air bienveillant, que l'état de la guerrière elfe semblait intriguer. Sa maîtrise du ouistrain était bien suffisante pour interroger le Dunéen à propos de l'état de son amie. Devant son incompétence à lui expliquer l'origine de l'inconscience de l'elfe, elle lui proposa d'aller soigner cette dernière. C'était en effet une viisas, terme qui correspond à une "sage" chez les Lossoth, sage qui préside aux rituels liés à la vie et à la mort. En plus d'être écoutées de tous, ces viisat étaient avant tout des soigneuses, voire des soigneurs pour une petite partie. L'archer-magicien du groupe se laissa guider par la vieille femme jusqu'à sa demeure, où elle les fit pénétrer.

Avec l'aide d'un des membres de sa famille, elle s'occupa du corps de l'elfe d'une manière shamanique, avec des chants destinés à apaiser des esprits, mais aussi l'incinération d'une mousse et une infusion réalisée avec une petite racine, infusion qu'elle fit avaler à la belle endormie. Drilun, qui regardait tout cela, n'arrivait pas à percevoir si de la magie était utilisée ou non. Néanmoins, l'efficacité du traitement fut bientôt avérée, et Isilmë finit par ouvrir les yeux. Ils semblaient un peu vitreux et l'amie du Dunéen avait manifestement du mal à percevoir clairement les images, les sons et les odeurs. Mais d'après la viisas, l'infusion ingérée l'aiderait à recouvrer ses sens. L'elfe expliqua que sa condition avait été causée par le lancement d'un sort qui ne s'était pas bien passé, mais qui n'aurait pas d'autre conséquence.

Le couple d'aventuriers remercia leur bienfaitrice et échangea avec elle sur les plantes du Grand Nord mais aussi concernant la présence de leurs amis et eux dans la région. Il semblait bien que les "esprits" avec lesquels les Lossoth construisaient leur vie avaient parlé de la venue du groupe, et pas en des termes toujours positifs, même si leur bonne volonté ne posait pas de problème. Mais ils représentaient des aimants à ennuis, pour ne pas dire plus, et ils allaient avoir du mal à apaiser les esprits négatifs qui les tourmentaient. Auquel cas ils conserveraient malchance et sort funeste pour eux et ceux qu'ils contacteraient ! Elle confirma aussi que le bruit avait couru récemment que des membres des Hordes des Traîneaux semblaient s'intéresser à eux et menaçaient ceux qui les aideraient...

4 - Commerce et départ
De son côté, Mordin avait fort à faire avec la manière dont les Lossoth faisaient commerce. Peut-être que son côté un peu guerrier les effrayait un peu, car même s'il ne les portait pas ouvertement, il avait tout de même sur lui des équipements bien guerriers comme une hache et une cotte de mailles. Si l'on rajoutait les bruits de mauvais esprits qui couraient à l'attention de ses amis et lui, il partait déjà avec un handicap. Le fait que les Hommes des Neiges ne fassent que du troc et n'utilisent pas de pièces de monnaie, il pouvait faire avec. Mais leur côté très terre-à-terre, pragmatique et peu commerçant, avait de quoi le déstabiliser...

Il avait donc pu rencontrer le propriétaire de quelques rennes, non loin de l'enclos où ils étaient parqués. Arriver à combler la distance manifeste avec lequel l'homme lui parlait avait déjà été une première chose. Mais surtout, et cela se répéta plus d'une fois, il eut beaucoup de mal à découvrir de quoi son interlocuteur pourrait avoir besoin. Il aurait bien voulu que l'homme lui dît de lui-même ce qu'il aurait aimé posséder, mais il ne sentit jamais, au cours de ce premier entretien comme ceux qui suivirent, la moindre volonté d'aller dans ce sens. Après tout, c'est Mordin qui tenait à faire un échange et acquérir une possession - un renne - que son propriétaire ne souhaitait pas vraiment échanger. Au nain de se débrouiller pour proposer quelque chose d'intéressant qui justifierait pareil échange...

Le marchand nain ne partait pas sans quelques éléments tout de même : il savait que les Lossoth faisaient des réserves de nourriture, peaux et autres pour l'hiver. Or ils avaient apporté avec eux une bonne part de la dépouille de l'élan que Vif avait chassé. Cela représentait une sacré quantité de viande, de cuir et d'os, et l'homme fut assez heureux d'échanger un de ses trois rennes - il pouvait se permettre d'en abandonner un - contre un poids plus grand de nourriture et de matériau utile. Et puis, d'une certaine manière, cela permettait aussi de mettre fin à un entretien qui durait un peu trop à son goût !

Ce côté un peu repoussoir finit par servir le nain et ses amis qui purent parfois obtenir ce qu'ils voulaient contre la promesse de partir au plus vite, sans même rester la nuit dans le village. Il fallut tout de même se séparer de petits bijoux, de trousses de soin et autres remèdes, et se gratter la tête pour trouver mieux. La féline Femme des Bois se prêta aussi aux échanges en aidant ses amis à acquérir davantage de choses à troquer sous la forme de butin de chasse. Ainsi un renne vivant put-il être échangé contre un autre mort plus quelques petits ajouts. Non sans quelques parties de course avec certains chiens parfois...

En fin de compte, les aventuriers réussirent en fin de journée à être les heureux possesseurs de trois rennes capables de servir d'animaux de bât ou de monte. Ils laissèrent donc les rôdeurs d'Arthedain et leurs chevaux à leurs affaires après quelques derniers échanges. Puis ils quittèrent Mulkan vers l'est en suivant la côte de la Baie Glacée, un petit bras de mer en partie fermé qui donnait sur la plus grande baie de Forochel. Ils avaient fini par décider d'éviter de prendre un bateau mais de passer par la terre. Ils cherchaient toujours le célèbre rôdeur d'Arthedain Inhael Eketta, grand spécialiste du Grand Nord, mais n'avaient rien pu apprendre sur sa localisation, sauf qu'il devait probablement être beaucoup plus au nord et à l'est.

5 - Voyage, échanges et histoires
Le groupe longea donc les rives de la baie un moment avant de devoir trouver un abri pour la nuit. L'habituel sort de divination de l'archer-magicien dunéen lui apporta pour toute information qu'il n'y avait aucune grotte proche pour faire office d'abri, zone marécageuse oblige. Mais même s'il gelait la nuit, l'équipe comportait ses habitués de la débrouillardise en extérieur, et une cabane de branchages assez grande pour tous fut bien vite érigée qui les protégerait suffisamment. Vif, en gros félin qu'elle était, dut tout de même se trouver sa propre couche sous des végétaux. Quant aux rennes, ils furent attachés non loin de l'abri.

Au matin, lesdits rennes n'étaient plus là, mais les traces qui furent suivies montrèrent qu'ils n'étaient pas allés bien loin : ils s'étaient juste éloignés un peu pour trouver une zone riche en lichen, leur met principal et favori. Puis le groupe reprit sa progression vers l'est, plus lente que ce que certains avaient escompté. En plus de suivre un tracé de côte qui était tout sauf rectiligne, le terrain assez marécageux gênait la progression des aventuriers. Les moins habiles à placer les pieds où il fallait, les plus lents, se retrouvèrent vite à cheval sur les rênes histoire de ne pas ralentir le groupe ou ménager leur santé physique et morale.

Au cours de la journée, des petits groupes voire des familles de Lossoth furent croisés et divers petits échanges purent être tentés. Les Hommes des Neiges étaient en général assez timides et peu causants au premier abord, d'autant qu'ils voyaient dans ces étrangers des porteurs de malchance et d'ennuis, d'après les histoires qui couraient à leur sujet. Et tous ne parlaient pas très bien le ouistrain, même si beaucoup le comprenaient dans une certaine mesure. Ce fut aussi l'occasion de pratiquer le labba, la langue des autochtones, pour les aventuriers les plus courageux. En tout cas, malgré le statut imposé par leur réputation sulfureuse, sans parler des chiens qui partaient sur les traces de Vif, les amis de cette dernière purent en apprendre plus sur les Lossoth et l'endroit où ils vivaient.

Pour l'essentiel, les habitants de la région vivaient surtout de la chasse et de la pêche, qu'ils pratiquaient avec assiduité avant l'arrivée de la mauvaise saison : le poisson abondait, sans parler des nombreux oiseaux (et leurs œufs !) qui nichaient à proximité, marécages oblige. Divers mammifères étaient également présents, et les phoques se prélassaient au soleil dès qu'il y avait le moindre rocher. Malgré l'abondance de la faune et les bateaux qu'ils possédaient, les Lossoth ne pénétraient pas très loin à l'intérieur des marais mais se cantonnaient à la zone côtière. La principale raison qui fut donnée fut une histoire de trolls et de mauvaise réputation des marais, ce qui allait toujours de pair, chez les Hommes des Neiges, avec la présence de mauvais esprits.

La présence de trolls à proximité, qui sortaient parfois des marais, expliquait pourquoi les habitants des environs pouvaient parfois être si rapides à embarquer sur leurs embarcations pour se réfugier à distance. Les aventuriers eux-mêmes en firent plus tard l'expérience. Néanmoins, cela leur donna aussi des idées : les trolls ne leur faisaient aucunement peur, ils avaient l'habitude d'en combattre, et les éliminer pouvait apporter plusieurs choses positives : améliorer leur réputation auprès des locaux et peut-être leur fournir du butin intéressant - quel aventurier ne rêve pas de trésors magiques exceptionnels trouvés dans le trésor d'un troll ? - ou en tout cas digne d'intérêt (donc de troc) pour des Lossoth. Et ainsi fut-il décidé de régler leur compte aux trolls s'il était possible de les trouver.

6 - Mauvaise surprise et mort rapide
En fait, les trouver ne posait pas tant de problème que cela : à l'aide d'un sort, le magicien dunéen du groupe sut qu'il existait une espèce de grotte à une certaine distance dans les marais. L'endroit rêvé pour abriter des créatures qui ne supportent pas le soleil, pensèrent les aventuriers. La réelle difficulté était bien d'arriver là-bas : les marais étaient parcourus par de nombreux petits cours d'eau et le terrain sec et stable n'était pas une denrée très commune. Marcher dans ces conditions, même en sachant où aller, était déjà difficile. Rajoutons une eau glaciale capable de faire rapidement tomber en hypothermie même un grand costaud comme le Dúnadan, et le tableau devenait plus noir.

Néanmoins, les membres du groupe étaient débrouillards. En comptant sur les plus perceptifs d'entre eux d'une part, et sur les rennes qui pouvaient porter les moins dégourdis d'autre part, le trajet jusqu'à la grotte fut estimé à trois heures. Ce ne serait pas une simple balade de santé et tous n'étaient pas forcément très enthousiastes à l'idée des efforts à accomplir, mais néanmoins le groupe se mit en marche. Les deux rôdeurs - Vif et Taurgil - ouvraient la marche, et les autres suivaient, avec Geralt, Isilmë et Drilun à dos de renne. Rob avait le pied léger et l'habitude des terrains de ce genre, et Mordin était un expert en déplacement en environnement extérieur, contrairement à beaucoup d'autres de sa race.

Les aventuriers progressèrent donc sans trop de mal, malgré la tombée de la nuit, jusqu'à une zone qui devait abriter la grotte perçue magiquement, mais où ne figurait aucun rocher visible. Tout au plus y avait-il une espèce de monticule de végétaux divers formant comme une île ou presqu'île sur un petit plan d'eau. Où certains - lionne la première mais également hobbit et homme balafré - perçurent un faible bruit de plongeon dans l'eau du plan, sans en voir la source. En revanche, des vaguelettes montrèrent aux plus perceptifs qu'il devait y avoir une grosse masse qui progressait vers eux et en particulier le Dúnadan. Masse qui fit penser, lorsqu'elle fut visible, à une anguille ou serpent, mais de la taille d'un petit dragon ! Pas vraiment les trolls qui étaient attendus...

Lorsque la bête fantastique émergea de l'eau pour se jeter sur le grand rôdeur, elle fut reçue avec les amabilités attendues : Taurgil mit tout son poids dans une attaque de la créature et la lionne se jeta au sommet de son corps pour s'y agripper, tandis que deux flèches volaient et que Geralt se rapprochait sur son renne, suivi non loin par le nain. Las ! L'épée du rôdeur rebondit sur la carapace du monstre, ne causant qu'une grosse égratignure qui ne l'affecta aucunement. Les deux flèches ne firent pas mieux - Drilun, qui était descendu de renne pour mieux tirer, avait bien du mal à ajuster son tir sur le terrain instable qui était sous ses pieds - et les griffes de la lionne ne firent qu'une blessure légère au serpent qui ne sembla pas s'en soucier outre mesure. A contrario, la tête monstrueuse se referma sur le rôdeur dúnadan et le transperça de part en part, malgré ses protections d'excellente qualité. La douleur était telle que son cœur faillit s'arrêter... mais il tint bon et se débrouilla pour rester debout. Mais combien de temps pourrait-il tenir ainsi ?

Heureusement, Geralt put arriver sur son renne, qu'il avait eu bien du mal à empêcher de fuir comme les autres. Armé de son épée magique, par un coup bien inspiré qui l'étonna lui-même (sans parler de ses compagnons), il transperça la tête du monstre qui relâcha sa prise sur son ami et plongea dans l'eau dans un soubresaut de mort. Le corps sembla alors se dissiper de lui-même et il ne resta bientôt plus qu'une trace lumineuse qui fila dans les eaux jusqu'à pénétrer le monticule végétal au milieu du plan d'eau. Juste comme trois formes humanoïdes géantes finissaient de sortir de sous la boue et les végétaux - deux non loin derrière le groupe et une sur le monticule - avec des bruits et une attitude pas véritablement amicales. Trois trolls venaient d'apparaître, et ils allaient passer à l'attaque, même si le combat contre l'espèce de serpent géant n'avait duré qu'une quinzaine de battements de cœur. Mais peut-être les trolls n'avaient-ils pas eu le temps de s'en rendre compte.

Aussi bêtes que lents, les trois créatures, malgré leur force, ne constituaient aucunement une menace pour les aventuriers. Entre les flèches de certains, les griffes d'une autre et la haine et la hache magique d'un dernier, les trois monstres furent bientôt laissés sans vie et parfois en plus d'un morceau. Par contre, de cette rencontre il restait que Taurgil était mortellement blessé et qu'il saignait abondamment, tandis que plusieurs de ses amis avaient pris un bain plus ou moins forcé dans de l'eau glaciale. Et que cela pouvait être plus mortel que l'arme la mieux maniée : Mordin avait perdu l'équilibre en tuant l'un des monstres, et le plongeon dans l'eau glacée avait été tel que son cœur s'en était arrêté. Isilmë avait juste eu le temps de le tirer de là avec l'aide de ses amis et de lui faire un massage cardiaque pour redonner vie à son ami barbu. Ami nain qui fut rouge de honte d'apprendre qu'il devait la vie à une elfe. Il fallut donc rapidement traiter la blessure du Dúnadan et sécher et réchauffer la majeure partie de l'équipe. Sans parler de retrouver deux rennes qui s'étaient enfuis.

7 - Soins et trésors
Tandis que certains enlevaient leurs vêtements trempés et s'apprêtaient à faire un feu, que le magicien du groupe augmentait magiquement la température environnante, que les soigneurs restants du groupe - essentiellement Isilmë - se pressaient autour du grand guerrier pour arrêter le saignement voire plus, et que l'assassin du groupe partait à la recherche des montures qui s'étaient enfuies, la lionne magique inspectait les environs. Elle avait distinctement perçu que le serpent géant qui les avait attaqués s'était dissous dans l'eau pour ne laisser qu'une trainée de lumière, trainée qu'elle avait vu pénétrer dans le monticule végétal qui leur faisait face. Après inspection plus détaillée, il lui sembla percevoir comme une ouverture sous le niveau de l'eau, d'où une faible lueur était à peine visible.

Forte et endurante au-delà des humains normaux et bien protégée par sa fourrure enchantée, Vif, après s'être rapprochée le plus possible de l'ouverture, plongea dans l'eau. Elle arriva sans mal à se glisser dans le tunnel immergé et à le suivre jusqu'à une sorte de caverne sous-marine sous l'île végétale, caverne dont une partie était au sec, et d'où venait la lueur. Plus exactement, une petite statuette en forme de serpent émettait une assez vive lumière, suffisante pour éclairer les environs. En plus des odeurs de trolls, de décompositions végétales et animales diverses, elle put donc mieux percevoir le probable repaire des trolls et de l'entité serpentine qui les avait attaqués. Et des diverses babioles qu'il recélait. Mais elle put également repérer une espèce de tunnel à moitié masqué et encombré de végétaux en décomposition, végétaux qu'elle dut repousser en partie pour arriver à s'extraire du tunnel émergé menant au repaire des monstres.

Elle rejoignit ensuite ses amis non loin, leur faisant part de sa découverte grâce à la magie qui permettait à certains de comprendre les animaux comme elle. Les aventuriers grelottants ou blessés avaient été au moins en partie réconfortés, mais Taurgil, dont la blessure mettrait un peu de temps à se fermer, ne pourrait guère voyager beaucoup. Aussi l'équipe trouva-t-elle bientôt refuge dans la caverne découverte par la Femme des Bois. Entre le don-de-vipère ingéré et les soins magiques reçus, le rôdeur serait vite sur pied mais il lui fallait tout de même une nuit de repos avant de pouvoir repartir. La caverne était donc tout indiquée, et l'inventaire des possessions présentes fut bientôt réalisé.

Si l'argent était totalement absent du butin trouvé là, il était remplacé par quelques armes et armures des Hommes des Neiges, mais aussi des babioles et bijoux divers en ivoire, qui pourraient sans doute faire l'objet d'un troc avantageux avec les Lossoth. Par ailleurs, en plus de la statuette susmentionnée et manifestement magique, plusieurs objets présentant diverses runes à leur surface attirèrent les aventuriers : un couteau en ivoire et cinq perles de céramique. Drilun, expert en runes, confirma que ces objets étaient eux aussi magiques, et il entreprit d'en découvrir la nature et l'utilité grâce à ses compétences et quelques divinations magiques, sans oublier la statuette.

Cette dernière semblait héberger un puissant esprit maléfique qui ne resterait pas éternellement dans la statuette et que les membres du groupe ne tenaient pas trop à affronter à nouveau. Il fut vite décidé d'anéantir l'objet maudit, ce qui put être fait sans danger grâce à l'action combinée du Pourfendeur d'Obscurité (Krisfuin), ce bâton récupéré à Dol Guldur et utilisé par le Dunéen, et de la larme de Yavanna. Privé de fana (forme physique) et trop faible pour s'attaquer à quelqu'un, l'esprit ancien et la lumière qui dénotait sa présence s'évaporèrent, sans doute pour ne plus jamais revenir sur la Terre du Milieu. Certains eurent une pensée pour Sîralassë, qui les accompagnait autrefois, et qui devait éliminer de tels êtres pour pouvoir retrouver les siens à Valinor...

Le couteau runique, qui était une arme courante auprès des shamans lossoth, semblait protéger son porteur de la chaleur et du froid. C'était donc un objet bien utile qui serait vite mis à contribution. Quant aux perles, trois d'entre elles étaient manifestement corrompues par un pouvoir très probablement proche d'Angmar, et elles furent bientôt réduites en morceaux. Elles donnaient certes confiance et pouvoir à leurs porteurs mais elles finiraient vite par les transformer en morts-vivants, ce dont les aventuriers avaient déjà eu des échos concernant certains habitants du Forodwaith. Les deux autres apportaient à leur porteur, pour l'une, une aide à détecter mensonge et tromperies ; pour l'autre, à faire les bons choix.

8 - Passage de rivière
Au petit matin, la blessure de Taurgil était globalement guérie. Aussi le groupe put-il reprendre sa route après s'être extrait de la caverne humide et malodorante. Quelques heures furent nécessaires pour quitter les marais et retrouver la côte de la baie aux eaux glacées. Le voyage vers l'est fut alors repris, qui devait durer encore plusieurs jours. En fait, la côte ne fut pas suivie éternellement : les aventuriers longeaient en effet les rives de la "Baie Glaciale" (Hûb Helchui en langue elfique), qui n'était qu'une petite partie de la baie de Forochel. Lorsque le trait de côte commença à tourner vers le nord et que les terres marécageuses firent place à une terre plus rocailleuse, les sept amis se tournèrent vers l'est et prirent un sentier marqué par des cairns et sensé les amener à Homela, une ville des Lossoth sur les rives de la "Baie de la Glace Craquante", ou Jäänaisen Koti dans la langue locale.

Mais avant cela, ils firent diverses rencontres et apprirent à mieux connaître les Hommes des Neiges, même si cela ne fut pas toujours facile. En plus d'une occasion ils firent fuir les autochtones, qui pouvaient facilement se mettre hors de leur portée dans leurs embarcations. Ils faillèrent même causer indirectement la mort d'un pêcheur à la suite de plusieurs maladresses. Il faut dire qu'ils étaient arrivés à une assez grande rivière qui sortait des marais. Les eaux étaient toujours glaciales, et si la lionne magique ne se priva pas de traverser à la nage sans grande conséquence, ses amis ne se voyaient pas en faire autant, même à dos de renne. Même les cavaliers auraient été en majeure partie trempés par l'eau glaciale, et ils ne tenaient pas à tester les limites de leur résistance au froid.

Ils appelèrent donc deux pêcheurs qui officiaient non loin dans leur embarcation. Mais ces derniers, une fois arrivés plus près, ne montrèrent aucun empressement à venir aider les aventuriers : leur barque restait à distance prudente de la rive, et Taurgil et ses amis n'arrivaient pas à trouver quelque chose qui les motiverait à leur prêter main-forte. Isilmë utilisa alors ses charmes elfiques et l'un des deux pêcheurs, subjugué, vit en elle une très bonne amie et oublia complètement les histoires inquiétantes envoyées par les bons esprits à la femme du clan qui pouvait converser avec eux, histoires qui portaient sur les individus présents...

Quand le pêcheur charmé se mit à pagayer pour approcher de la rive, son compagnon, effaré, se rendit compte que de la magie était à l'œuvre. Aussi prit-il sa rame et en assena-t-il un grand coup à l'arrière du crâne de l'autre Lossadan. Malheureusement, son ami, s'il perdit bien conscience comme souhaité, passa par-dessus le bord du frêle esquif et plongea dans l'eau. Tout cela sous les regards effarés de celui qui avait manié la rame, mais aussi ceux des aventuriers. Ils ne réfléchirent pas longtemps et trois d'entre eux se précipitèrent dans l'eau glacée. Geralt fut le premier à remonter le corps du pêcheur assommé à la surface de l'eau glaciale. Aidé par ses compagnons, il put regagner la rive tandis que d'autres commençaient à préparer un feu. Lequel feu, ajouté à des soins physiques et magiques, permirent au Lossadan de ne pas perdre la vie ou aux aventuriers trempés et glacés de pouvoir se sécher sans plus de conséquence.

Mais l'incident avait fini par attirer du monde, et ainsi, la preuve de leur bonne volonté ayant été plus qu'apportée, les six amis purent-ils enfin être abordés de près par les Lossoth présents. Ces derniers acceptèrent de partager un repas avec eux - les plats du hobbit avaient toujours beaucoup de succès - et de discuter de choses et d'autres. Bien entendu, les autochtones acceptèrent en fin de compte d'aider Taurgil et ses amis à traverser la rivière, et ce d'autant plus qu'ils le faisaient rapidement et ne s'attarderaient pas dans les environs. Cela permit au groupe, une fois la rivière franchie, de repartir avec les indications nécessaires pour aller dans la bonne direction sans se tromper. Et quelques jours après, ils arrivèrent à la ville de Homela.

9 - Echanges et nouvelles diverses
Le nom de la ville signifiait "Lieu du Lichen" en labba, la langue des Lossoth. Il faut dire qu'il n'y poussait pas grand-chose d'autre : ce gros village - le plus gros de la région, plus d'une centaine d'habitations - était situé sur un promontoire rocheux, extension d'un petit massif de basses montagnes qui protégeait le secteur des incursions d'Angmar, situé de l'autre côté du relief. Le village était situé sur les rives de la Baie de la Glace Craquante, petite alcôve dans la grande baie de Forochel, à l'extrémité ouest de Talath Uichel ("Plaine du Froid Eternel" en langue elfique). Un endroit glacé et aride qui n'était guère parcouru que par des troupeaux de rennes, des loups et autres prédateurs, mais aussi parfois par les armées d'Angmar ou les Hordes des Traîneaux.

En fait, ce qui sauvait les villages lossoth de l'intérêt d'Angmar tenait en peu de choses. Il y avait déjà une certaine distance et la difficulté à organiser l'envoi et le ravitaillement de troupes par ici, vu le manque d'officiers compétents dans les armées d'Angmar pour les expéditions dans le Grand Nord. Il y avait tout de même eu quelques essais en ce sens, car la baie où se trouvait le village, ainsi que d'autres, était un bon mouillage pour les baleiniers du Cardolan. Mais ces derniers, par calcul ou par altruisme, avaient toujours soutenu les Hommes des Neiges chaque fois qu'ils avaient été menacés. Par ailleurs, une peuplade naine résidait également sur les rives de la baie et ils n'avaient jamais, eux non plus, ménagé leurs efforts contre les peuples d'Angmar.

Même si Homela n'était pas le meilleur endroit pour accueillir les bateaux du Cardolan (le meilleur était le village de Ruskea Vene, à l'embouchure de la rivière Everhir), l'un d'eux était tout de même présent à une petite distance du village. Le lieu semblait assez cosmopolite et habitué aux étrangers, et les aventuriers remarquèrent moins de signes de peur voire de fuite à leur égard ; même si les réactions des Lossoth restaient dans le cadre d'une timidité bien prononcée. Néanmoins, Geralt eut la surprise de voir un habitant du Cardolan, et membre important du baleinier présent, le reconnaître et l'interpeler de manière très positive.

Apparemment, l'homme avait pu identifier le maître-assassin voire ses amis, même s'il n'avait pas eu l'occasion par le passé de les voir de très près. Mais il raconta qu'il devait une part importante de sa bonne fortune comme membre d'un baleinier prospère à l'héroïsme passé des aventuriers. En effet, leurs actions contre Ardagor, entre autres choses, avaient favorisé le commerce récent et permis l'investissement dans un nouveau bateau dans lequel il avait pu prendre place. Cela étonnait un peu le maître-assassin de se faire accoster de manière si positive, habitué qu'il était à se faire reconnaître en tant que membre important de la guilde des voleurs de Tharbad, chef de ses assassins. L'homme échangea avec plaisir avec le groupe, expliquant notamment que son bateau allait bientôt rejoindre le sud - l'été venait de s'achever et l'automne débutait à peine - avant que les glaces ne deviennent trop menaçantes. Et la saison de pêche avait été très bonne.

Entre l'homme du Cardolan et d'autres sources plus locales, les aventuriers apprirent diverses choses, même s'ils savaient déjà l'essentiel, par exemple en ce qui concernait les bruits à leur égard. Mais ils sentirent également la présence non loin d'Angmar, dont on pouvait s'attendre à trouver des représentants - masqués ou non - assez facilement dans les villages des environs. Voire même leurs armées non loin, ou les Hordes des Traîneaux plus à l'est. Par ailleurs, le maître-rôdeur de l'Arthedain et expert du Grand Nord, Inhael Eketta, n'avait toujours pas été rencontré. Néanmoins, plusieurs personnes avec qui Taurgil et ses amis parlèrent le connaissaient au moins de loin et il avait été possible de mieux cerner où il pouvait être. Restait à poursuivre la route vers l'est ou le nord, éventuellement après avoir recueilli davantage de renseignements. Voire en sollicitant l'aide locale, certains Hommes des Neiges pouvant peut-être servir de guide.
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Niemal
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Grand Nord - 4e partie : guerre contre Angmar

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1 - Recherche, échanges et socialisation
Avant de quitter l'homme du Cardolan, Geralt lui demanda de faire des recherches pour le compte du groupe. En effet, il avait bien senti par le passé que les Lossoth étaient un peu réticents à leur parler, avec les histoires de mauvais esprits qui couraient à leur sujet. Utiliser une tierce personne comme ce baleinier, qui manifestement connaissait la ville et ses habitants et pouvait discuter avec eux, semblait une bonne chose. Histoire de motiver l'homme davantage, il lui donna une bonne pièce avec la promesse d'en obtenir une deuxième à l'issue de ses recherches. Elles devaient concerner le maître-rôdeur déjà cité et sa localisation dans le Grand Nord. Peut-être l'homme pourrait-il apprendre quelques nouveaux détails intéressants ?

Tandis que la journée s'écoulait et que les aventuriers vaquaient à leurs affaires, comme de faire quelques derniers échanges commerciaux pour Mordin, le baleinier fut croisé plus d'une fois en grande conversation avec les habitants de la ville ou ses visiteurs. Mais sans grand succès, manifestement. Une partie du groupe se rendit en soirée à la salle de vie commune de la ville, sorte de grande tente où une bonne partie des habitants ou des voyageurs venaient se détendre et échanger les uns avec les autres. D'une certaine manière cela pouvait faire penser à une taverne ou auberge, hormis le fait qu'il n'y avait pas de tenancier ni de débit de boisson, ce qui n'empêchait pas certaines personnes d'amener et proposer des choses gratuitement.

Ainsi certains jouaient de la musique ou chantaient, de manière relativement improvisée. D'autres racontaient des histoires et concentraient beaucoup l'attention. Manifestement les Hommes des Neiges avaient une riche culture orale et les histoires y tenaient une place importante. Mais en attendant de parler mieux leur langue et de pouvoir échanger plus facilement de cette manière, Isilmë décida de tenter sa chance sur un plan musical. Très inspirée ce soir-là, elle entama un morceau de musique, avec l'aide de Drilun, qui attira très vite l'attention. Assez rapidement, malgré les regards parfois nerveux de certains à l'adresse des aventuriers, un petit groupe de musiciens se forma autour de l'elfe et du Dunéen pour jouer de nombreux morceaux, et ce jusque assez tard dans la nuit...

Tandis que de nouvelles musiques s'élevaient qui mêlaient les rythmes elfiques avec ceux des Hommes des Neiges, les conversations ne s'arrêtaient pas pour autant. Le baleinier du Cardolan était là qui parlait avec divers voyageurs comme des trappeurs qui venaient du nord. Isilmë elle-même, à la suite ou entre deux morceaux de musique, s'imprégnait de la langue locale et posait des questions sur la vie locale, profitant d'un contact plus facile avec les autochtones. D'une certaine manière, si les gens du coin avaient des réticences à leur parler, il fallait aussi leur proposer autre chose que des menaces à leur sujet.

La guerrière elfe apprit ainsi des choses concernant une légende locale, la Dame du Froid ou la Sirène de Glace. Ce semblait être un esprit maléfique qui hantait les environs de la Baie de la Glace Craquante ; elle portait aussi le nom de Jäänainen. Cet esprit apparaissait toujours sous les traits d'une femme merveilleusement belle et très légèrement vêtue, malgré les conditions météorologiques très difficiles dans lesquelles elle choisissait de se faire connaître. Elle avait un don particulier pour rendre les hommes fous amoureux d'elle, hommes qui, s'ils n'étaient pas maintenus de force, répondaient à son appel - en combattant violemment leurs proches au besoin - pour ne jamais revenir vivants...

Geralt finit par discuter avec l'homme du Cardolan sur ce qu'il avait récolté comme information. Il lui versa la pièce promise, même si ce qu'il avait pu apprendre restait limité. Il semblait que le rôdeur de l'Arthedain profitait le plus possible de la belle saison pour aller dans la partie nord de la baie, auprès d'une peuplade lossoth qui se désignait comme les "Hommes des Glaces". Ils vivaient plus de la pêche (au phoque, à la baleine) que de la chasse, les régions où ils vivaient étant moins riches en troupeaux de rennes ou d'élan. Sans parler de quelques orcs ou autres dans les montagnes proches, ce qui faisait qu'ils restaient proches de la mer.

Mais parfois le rôdeur passait du temps dans des forêts du nord-est avec de nombreux lacs, une zone de taïga appelée Järvimaa ou "Terre des Lacs". Les Lossoth, peut-être apeurés par les formes tordues des petits pins et sapins qui luttaient contre le vent et le froid, n'allaient pas souvent par là-bas. Ou peut-être étaient-ce les histoires de serpents ou dragons qui vivaient dans les profondeurs de certains de ces lacs glacés. En revanche, les Berninga, ce peuple nordique très amateur d'ours, s'étaient réfugiés là-bas après avoir été chassés par Angmar de leur précédente demeure le long de la rivière Everhir. Ils y avaient construit un village fortifié du nom de Ligr Wodaize Berne. Et l'homme d'Arthedain allait parfois leur rendre visite.

2 - Ruskea Vene
Le lendemain, le groupe reprit sa route le long des rives de la Baie de la Glace Craquante, en direction de la rivière Everhir. Le plan restait de trouver Inhael Eketta, rôdeur d'Arthedain, qui devait se trouver plus au nord, parmi les Hommes des Glaces ou les Berninga, avant que la mauvaise saison ne le fasse redescendre. Malgré l'aridité du lieu, les végétaux se faisant bien rares (lichen excepté), les aventuriers purent croiser régulièrement des petits groupes d'Hommes des Neiges. Mais la plupart étaient occupés à pêcher et ils prenaient grand soin de maintenir une distance prudente avec ces étrangers qu'ils ne connaissaient pas, et encore plus lorsqu'ils voyaient leur air un peu trop martial à leur goût. Et encore davantage lorsqu'ils faisaient le lien avec des bruits qui couraient concernant des étrangers porteurs de malchance, qui attiraient mauvais esprits et destin funeste.

Le voyage sans incident porta les pas de Taurgil et de ses compagnons, sans oublier les pattes de Vif et celles des rennes qui leur servaient de monture, jusqu'à l'embouchure d'une rivière de bonne taille dont les eaux se jetaient dans la baie. Côté sud de la rivière, une petite ville de Lossoth - presque aussi grande que Homela - semblait fourmiller d'activité et comportait des quais et pontons. Deux grands vaisseaux du sud, probablement des baleiniers du Cardolan, mouillaient contre une jetée de pierre située de l'autre côté, au nord de la rivière. Là-bas, d'autres habitations des Hommes des Neiges étaient également présentes, mais aussi des constructions différentes dont la majeure partie semblait creusées dans les flancs de la rivière. Des fumées assez nombreuses s'échappaient d'ouvertures dans le sol ou de cheminées. Tout cela, tant au niveau de l'architecture que de l'activité, dénotait par rapport à ce que les aventuriers connaissaient des Lossoth.

Mais ce n'était pas tout. Le long de la rivière, plus en amont, les plus perceptifs dans le groupe pouvaient percevoir de nombreux petits groupes de Lossoth qui progressaient en direction de la ville. D'autres petits groupes, moins nombreux peut-être, quittaient la ville, essentiellement en direction de l'ouest, voire du nord. Au vu des nombreuses affaires qu'ils portaient avec eux, ces familles d'Hommes des Neiges ne semblaient pas être en train de chercher de la nourriture - chasse, pêche ou cueillette - mais plutôt de déménager avec toutes leurs possessions. Pourtant, même si l'été était terminé et que le court automne venait de commencer, cela ne semblait pas être la meilleure période pour bouger et prendre les quartiers d'hiver. Et sur la ville planait comme une aura d'inquiétude qui transparaissait dans le visage des personnes qui quittaient la ville, voire dans les attroupements et le ton plutôt fort et aigu des conversations. Comme si la ville avait peur...

Geralt et Taurgil, vu leur allure un peu trop martiale voire inquiétante, choisirent de rester à l'écart et laisser le reste du groupe - moins Vif, bien entendu - prendre contact. Pour une fois, les aventuriers ne furent pas la cible de l'attention des Lossoth lorsqu'ils arrivèrent, même si la réserve habituelle à leur égard restait toujours un peu présente, quoique bien diminuée. Pour une fois, mauvais esprits et destin funeste n'avaient pas attendu l'arrivée du groupe pour s'annoncer. En effet, l'elfe, le nain, le hobbit et le Dunéen apprirent bientôt ce qui se tramait dans Ruskea Vene : une armée d'Angmar était annoncée qui descendait le long de la rivière. Composée d'au moins un millier d'hommes et d'orcs, dont certains étaient montés, elle était la plus importante force armée qui s'attaquait aux peuplades locales, de mémoire d'homme. Des groupes de cavaliers orientaux les précédaient et tuaient tout sur leur passage, même s'ils prenaient soin de laisser parfois quelques survivants partir pour répandre la terreur.

En s'approchant des habitations, les quatre aventuriers se rendirent compte qu'une réunion importante devait avoir lieu dans une espèce de grande salle commune - pour des Lossoth - près de laquelle convergeait beaucoup de monde et d'où émanaient les bruits de nombreuses conversations. Ils comprirent également qu'ils étaient en présence de deux villes en fait : les habitations de ce côté-ci de la rivière représentait le village de Ruskea Vene, où habitaient de nombreux Lossoth ; de l'autre côté de la rivière, les maisons creusées dans le sol servaient de demeure à l''une des rares communautés naines du Grand Nord, formant une petite ville du nom de Puolimisten Satama, soit le "Port des Demi-Hommes" en labba. Le nom faisait référence au ponton de pierre que les nains avaient fabriqué pour l'amarrage de bateaux.

3 - Présentation et informations
Lorsqu'ils arrivèrent près de la grande structure faite de peaux et de bois et qui servait de salle commune au village, un bref coup d'œil montra la gravité de la situation : il y avait tellement de monde que la salle était trop petite pour les contenir tous, d'une part. D'autre part, de nombreux Lossoth avaient manifestement laissé de côté leur pêche ou leur chasse, ou autre occupation, pour venir en apprendre plus sur les événements récents et à venir. Malgré tout, les quatre aventuriers arrivèrent à se faufiler sans grand mal à l'intérieur, où avaient lieu des débats nourris entre des Lossoth importants, assez âgés, mais aussi des nains de la ville voisine ainsi que des membres dirigeants des bateaux baleiniers du Cardolan.

Même si les échanges se faisaient essentiellement en labba, que les aventuriers ne maîtrisaient guère, ils comprirent assez vite que le fond des échanges portait surtout sur la manière de fuir, sachant que les nains comptaient bien rester sur place. Isilmë et ses amis intervinrent vite dans la discussion, tant pour échanger dans une langue qu'ils comprenaient que pour proposer rien de moins que l'anéantissement prochaine de l'armée d'Angmar. Ils rencontrèrent néanmoins beaucoup d'incrédulité de la part de leurs interlocuteurs. En effet, quand bien même les nouveaux venus pourraient prouver leurs formidables capacités guerrières, ce qui restait à voir, qui étaient-ils pour dire aux Lossoth et à leurs amis ce qu'ils devaient faire ?

Devant la méfiance affichée et bien compréhensible, le groupe décida de faire appel à l'ensemble de ses membres afin de montrer la partie la plus martiale du groupe et mieux marquer les esprits. L'arrivée de Taurgil, dont la présence et le physique dominaient assez largement les autres personnes présentes, et de Geralt, dont les cicatrices en disaient plus long qu'aucune parole, donnèrent plus de poids aux paroles des aventuriers. Mais pas assez néanmoins : même si des gens du Cardolan reconnurent Geralt et vantèrent la qualité et la bravoure de l'équipe qui avait aidé à vaincre le seigneur de guerre Ardagor par la passé, le scepticisme était encore bien présent. Mener des armées entraînées à la bataille, c'était une chose ; affronter une armée d'Angmar en position de très grande infériorité numérique, c'était autre chose !

Car face au millier de guerriers adverses, et encore cela n'était-il qu'une estimation, les défenseurs avaient peu à offrir : entre cent et deux cents nains au maximum, qu'on pouvait espérer bons combattants ; quelques dizaines de marins du Cardolan qui savaient tenir une arme ; et quelques centaines de Lossoth dont les capacités guerrières étaient pour la plupart proches de zéro. Non pas qu'ils ne savaient pas manier une arme, mais affronter un phoque, un loup voire un ours, ce n'était pas du tout la même chose que de participer à une bataille rangée. Sans parler du fait que les armées d'Angmar avaient une mauvaise réputation quant aux mauvais esprits (ou sorciers) qui les accompagnaient. Et les armées étaient souvent précédées ou suivies par des loups qui pouvaient facilement anéantir les chiens des autochtones. En bref, sans raison vraiment valable de croire à une victoire, les Lossoth ne risquaient pas de rester très longtemps sur le champ de bataille.

Heureusement, le groupe pouvait aussi montrer que Geralt et ses amis avaient plus que des capacités guerrières ordinaires. Ils appelèrent donc le dernier membre du groupe, celui à quatre pattes, membre qui entendit l'appel et qui se mit en route de plus en plus vite. Il faut dire que dès qu'ils eurent flairé son odeur, les chiens des Lossoth devinrent comme fous et tentèrent de lui faire un mauvais sort. La féline Femme des Bois parvint néanmoins à arriver jusqu'à ses amis en faisant un minimum de dégâts, le temps que l'archer-magicien du groupe jette un sort pour masquer son odeur et calmer des animaux des Lossoth. Mais à tout le moins, l'arrivée de Vif avait fait son effet, plus par le côté magique qu'elle inspirait à travers sa maîtrise et son intelligence, que par ses capacités physiques manifestes.

4 - Premier plan et changement
Interpelés par les extraordinaires capacités des aventuriers, sans rien dire de leur assurance, de leur bagout, les Lossoth acceptèrent de mettre leur vie entre les mains des nouveaux arrivants. Taurgil et ses amis se faisaient fort, en effet, de réduire l'armée d'Angmar à néant tout en minimisant les pertes des Lossoth et de leurs amis. En leur fort, ils croyaient même pouvoir régler à eux sept l'essentiel des combats, même si le nain leur rappela que par le passé aussi ils avaient cru pouvoir s'attaquer à une grosse armée sans l'aide de personne, et ils avaient eu des mauvaises surprises. Quoi qu'il en fût, les aventuriers commencèrent à discuter tactique et stratégie afin de bien préparer les futurs combats contre Angmar.

Un premier point de divergence émergea assez vite : celui de partager le groupe en deux. Il était tentant d'envoyer une équipe de choc régler leur compte aux cavaliers sagath et autres éclaireurs à deux et quatre pattes. D'un autre côté, comme cela fut vite confirmé par un sort de Drilun, des assaillants pouvaient aussi arriver par le terrain montagneux au sud et non par la vallée de l'Everhir, la rivière qui se jetait dans la baie. Il fallait donc maintenir une force sur place pour d'éventuels coups durs. Mais diviser c'était aussi affaiblir le groupe, et si certains des aventuriers paraissaient invulnérables face au commun des mortels, il n'en était pas de même contre des individus exceptionnels dotés de capacités ou d'équipements magiques.

Or c'était précisément une description assez exacte de trois individus venus de Dol Guldur et lancés à la recherche des aventuriers. Trois individus dont l'un d'eux, le démon du froid qui portait le nom d'Andalónil, avait réussi à mettre la pâtée à l'équipe entière à lui tout seul, sur son terrain. Bien sûr, il n'était pas chez lui ici. Mais le terrain froid et aride des environs n'était pas vraiment fait pour le handicaper beaucoup. Et par ailleurs il était accompagné de deux personnages que tout désignait comme des adversaires d'un niveau similaire. Autrement dit, l'équipe n'avait aucune chance de remporter la victoire dans un affrontement direct, régulier, face à ces trois adversaires. Contre un seul des trois c'était peut-être envisageable, deux c'était pratiquement hors de question, alors les trois...

Il devint donc évident qu'il fallait en savoir plus sur les positions et intentions de ce trio maléfique. Les divinations magiques de Drilun furent donc une nouvelle fois mises à contribution. A force de les utiliser, la maîtrise qu'il en avait grandissait et cette magie lui coûtait de moins en moins. Il pouvait donc en faire davantage, ce qui ne voulait pas dire que l'interprétation des signes qui lui étaient envoyés restait facile. Mais à tout le moins, l'envoi de cailloux en l'air qui permettaient de répondre par oui ou non à une question précise, bien réfléchie, apportait beaucoup et comportait peu de risques de mauvaise interprétation.

Et donc les questions fusèrent. Mais au fur et à mesure que les cailloux tombaient et que les réponses aux questions - certaines très claires mais d'autres non - arrivaient, les aventuriers comprirent dans quel piège ils s'apprêtaient à tomber. Leurs adversaires étaient bien là et ils allaient profiter de l'occasion pour leur régler leur compte. Alors bien sûr, les trois personnages auxquels ils faisaient face n'avaient pas exactement les mêmes objectifs, ils n'étaient pas parfaitement coordonnés, ni même ensemble. Mais ils représentaient un danger mortel trop sérieux pour être pris à la légère.

Taurgil en particulier pensa avoir très bien compris le fonctionnement du démon du froid. Ce dernier avait échoué à les tuer ou capturer lors de leur précédente rencontre, il avait été humilié, voire plus. A présent il en faisait une affaire personnelle : il mettrait toute son énergie et sa volonté pour faire en sorte de ne pas trop aider ses compagnons de route, mais d'intervenir juste au bon moment pour que ce fût lui et lui seul qui assurerait la victoire sur les aventuriers. Il pouvait arriver facilement à tout moment, depuis les airs ; face à d'autres adversaires importants, Taurgil et ses amis seraient une proie facile pour lui. Il aurait à la fois la tête de Vif et ses compagnons, les lauriers de la gloire, et sans doute le pardon pour son précédent échec.

5 - Nouveau plan et réflexion
A la surprise de nombreuses personnes, Geralt annonça donc qu'en fin de compte les plans étaient modifiés : il fallait organiser la fuite des habitants de la ville et de ses environs. Il expliqua que cela était dû à de nouvelles informations et que certaines personnes chez les adversaires étaient trop puissantes pour pouvoir les combattre. Certaines familles d'Hommes des Neige avaient déjà commencé à fuir, il fallait organiser cela et faire en sorte de limiter au maximum les pertes possibles. Autrement dit, était-il possible de faire fuir plusieurs centaines de personnes en moins de deux jours tout en les mettant hors de portée des cavaliers ennemis ?

Du côté des Lossoth, habitués à bouger et ne rien avoir de plus que ce qu'ils pouvaient emporter, cela n'était pas trop dur : en quelques heures ils pouvaient démonter leurs maisons et embarquer toutes leurs possessions sur des travois, des rennes, des chiens ou leurs dos. Le réel problème était plutôt qu'en fuyant, ils perdaient un temps précieux pour parfaire leurs stocks de nourriture pour l'hiver. Et donc la mauvaise saison serait plus risquée pour eux. Pour les baleiniers du Cardolan, l'ancre pouvait être levée en quelques heures, ce n'était nullement un problème. Pour les nains, par contre, même s'ils avaient l'habitude de voyager beaucoup, ils ne comptaient pas laisser leurs forges à la portée du premier ennemi venu. Pour eux, s'ils ne pouvaient combattre aux côtés des Lossoth ou d'autres, ils s'emmureraient chez eux et laisseraient le temps - et les ennemis - passer. Ce qui, comme pour les Lossoth, posait le problème de leur ravitaillement hivernal, d'autant que les Hommes des Neiges qui les ravitaillaient auraient plus de mal à leur fournir de la nourriture une fois les armées reparties.

Au départ les aventuriers comptaient accompagner les Lossoth, les protéger d'éventuels assaillants. Mais après quelques réflexions et divinations pour confirmer la chose, il semblait bien que ce fût une erreur. Bien sûr, les aventuriers pouvaient protéger les autochtones des cavaliers sagaths, des hommes ou des orcs d'Angmar, ou des loups. Mais probablement pas d'Andalónil ou des deux personnes qui l'accompagnaient. La véritable cible de cette démonstration de force, c'était eux, et ils mettraient en péril tous ceux qui les accompagneraient. Pour sûr, si l'armée d'Angmar ne rencontrait aucune résistance, elle se ferait un plaisir de tout détruire sur son passage. Si les autochtones étaient hors de sa portée, en revanche, elle serait vite obligée de rebrousser chemin.

D'une certaine manière, il fallait combiner la fuite des aventuriers d'un certain côté, de manière à attirer leurs trois principaux poursuivants ; et mettre les Lossoth et les autres hors de portée de l'armée adverse, et loin de Taurgil et ses amis. Avec en plus la difficulté de penser aux nains qui resteraient sur place et aux problèmes d'approvisionnement. Vif et ses compagnons comptaient aller vers le nord, et cette destination fut maintenue : ils traverseraient la toundra des troupeaux (Everdalf en sindarin) vers le nord, jusqu'à la côte de la baie qui les amènerait plus au nord et à l'est. Après quoi ils pourraient choisir d'aller plus à l'ouest vers les Hommes des Glaces ou vers l'est et les Berninga. Et ils seraient loin des armées d'Angmar, même s'ils ne s'attendaient pas à voir leurs trois principaux poursuivants lâcher prise facilement.

Côté Lossoth, la plupart partiraient sur les baleiniers du Cardolan, qui pouvaient sans grand mal se permettre de prendre quelques jours en mer pour les transporter plus à l'ouest, hors de portée des cavaliers ennemis, sans parler des autres. En fait seul Andalónil pouvait leur poser problème, et il serait plutôt à la poursuite des aventuriers. Ces mêmes baleiniers furent d'autant plus motivés pour agir ainsi que, en plus d'aider des peuples qui leur prêtaient main-forte dans leurs expéditions maritimes, Mordin - avec quelques difficultés, il est vrai - leur versait une importante somme d'or. En effet, il avait acheté une partie de la cargaison des vaisseaux pour servir de réserve de nourriture aux nains du village voisin. Ainsi, ils pouvaient facilement s'enfermer et la mauvaise saison ne serait pas un problème, même sans le soutien des Lossoth. Peut-être Andalónil et ses compagnons étaient-ils en mesure de forcer leurs défenses, mais là encore, ce n'était pas leur objectif, donc les nains seraient probablement en sécurité.

6 - Organisation et départ
Sitôt le dernier plan arrêté, les détails pratiques furent communiqués aux Lossoth, nains et hommes du Cardolan. De l'or changea de mains, ce qui ne manqua pas de faire s'étrangler un peu Mordin : il avait beau savoir que c'était dans leur intérêt à tous, il avait toujours du mal à jouer au bienfaiteur lorsque la bourse du groupe en pâtissait sans espoir de retour direct. Bon, en fait ce n'était pas totalement vrai car le groupe obtint, en échange de leurs bons et loyaux services (et de leur or) quelques équipements de qualité : armes et armures, quelques barques pour traverser les rivières et cordes pour aider à cela. Il est vrai aussi que les aventuriers avaient déjà un tellement bon équipement qu'ils profitèrent assez peu de l'ensemble des cadeaux proposés.

Chacun partit informer son peuple et commencer les préparatifs du départ. La nuit fut active pour beaucoup et la proximité des ennemis empêcha certains de se reposer pleinement. Au matin, certains Hommes des Neiges étaient déjà partis de leur côté avec famille, armes et bagages, mais la plupart furent embarqués dans les vaisseaux baleiniers du Cardolan, allégés par le transfert d'une partie importante de leur cargaison de viande de baleine au bénéfice des nains du Port des Demi-Hommes, ou Puolimisten Satama dans la langue locale. D'une certaine manière les gens du Cardolan avaient déjà vendu - et à bon prix - une partie de leurs marchandises, en échange de quoi ils offraient un service au risque mesuré. Tout en garantissant des liens encore plus étroits pour l'avenir et donc de nouvelles économies ou opportunités commerciales. Ou tout simplement la garantie de trouver quelqu'un sur place avec qui échanger lors de leur prochaine campagne de pêche à la baleine.

Des familles de Lossoth continuaient à arriver le long de la rivière Everhir, apportant des mauvaises nouvelles de l'amont, même s'il était facile de les imaginer. Les aventuriers connaissaient les mœurs des Sagaths ou de leurs maîtres, et les méthodes employées pour briser la volonté de leurs adversaires. Au fur et à mesure que ces clans lossoth arrivaient, chassés par la peur des armées d'Angmar, ils étaient informés des choix qui s'offraient à eux pour continuer à fuir, par terre ou par mer. Puis, au bout d'un moment, les nains furent bien retranchés dans leurs habitats souterrains, le village de Ruskea Vene avait comme disparu de son emplacement initial, les baleiniers étaient prêts à partir, et le flux des réfugiés s'était tari.

Chacun partit alors de son côté : les vaisseaux du Cardolan levèrent l'ancre et se dirigèrent vers l'ouest. Ils déposeraient leurs amis Hommes des Neiges assez près des Montagnes Bleues, par exemple du côté de Mulkan, là où les armées d'Angmar ne risquaient pas d'arriver faute de provisions suffisantes, sans parler de la proximité des nains des Montagnes Bleues ou des elfes du Lindon. Les nains restés dans leur habitat troglodyte sur les rives nord de la rivière Everhir scellèrent leurs entrées et attendirent confortablement l'armée ennemie, prêts à soutenir un siège qui de toute manière ne pourrait s'éterniser longtemps. La plupart des Lossoth présents sur les bateaux regardèrent les rives s'éloigner, tout en se promettant de revenir vite dès que la menace se serait éloignée. Certains avaient d'ailleurs choisi de partir par la terre, à l'intérieur des terres escarpées où les chevaux des Sagath ne risquaient pas de venir les embêter, d'autant que la mauvaise saison allait vite arriver.

Et Vif, Taurgil, Geralt, Drilun, Mordin, Isilmë et Rob franchirent la rivière Everhir pour se diriger vers le nord, à travers la vaste plaine appelée Toundra des Troupeaux, ou Everdalf en sindarin, ou encore Hyvämetsästyksen Maa en labba, la langue locale. Mais à ce stade de leur apprentissage, la plupart des aventuriers préféraient en rester au ouistrain ou au sindarin. Ils savaient surtout que la plaine hébergeait de nombreux troupeaux d'élans et de rennes, voire d'autres ongulés du nord de l'Eriador comme quelques chevreuils et moutons sauvages. Et que les seuls prédateurs étaient, pour l'essentiel, les loups gris qu'ils connaissaient déjà - les terribles loups blancs descendaient rarement autant au sud, en tout cas pas en cette saison - ainsi que des groupes de wargs venus d'Angmar. Rien de bien méchant. En tout cas, ce n'était pas ce qui inquiétait le plus les aventuriers.

7 - Everdalf
Menée par les deux rôdeurs du groupe à deux et quatre pattes, l'équipe se dirigea vers le nord, ou plutôt le nord-nord-est, à travers la vaste plaine qui portait le nom de Toundra des Troupeaux. Et les sept compagnons comprirent vite pourquoi : par endroit, ils pouvaient voir comme une mer de fourrures tellement les troupeaux d'élans et surtout de rennes étaient gros et serrés. Certains des troupeaux de rennes devaient comporter au bas mot quelques milliers de têtes, et ils étaient si serrés qu'au loin il était impossible de voir la couleur du sol. Ce n'était qu'une vaste tache brune sur l'horizon, tache souvent en mouvement. Et les troupeaux étaient nombreux. Ce qui n'empêchait pas de trouver de vastes espaces vides dans lesquels avancer, car si les troupeaux étaient de grande taille, la morne plaine qu'ils parcouraient l'était encore plus.

Le groupe progressait donc sans mal, même si les points de repère manquaient dans cet univers plat et sans aucun arbre ou arbuste, juste couvert de touffes d'herbe et de lichens. Heureusement, les capacités de Vif et Taurgil laissaient peu de place à l'erreur, du moins dans la mesure où le temps restait clément. Lorsque la longue nuit viendrait sur le Grand Nord, ou la neige tant sur le sol que dans le ciel, ce serait sans doute une autre histoire. Mais pour l'instant il n'y avait rien de tout cela et les aventuriers étaient bien équipés : avec les derniers rennes obtenus par Mordin et ce qui leur avait été offert, l'expédition avait tous les airs d'une petite caravane, avec des barques portées par les animaux de bât, entre autres choses.

Le groupe se dirigeait vers le nord-nord-est plutôt que le plein nord, car selon la carte qu'ils avaient copiée en Arthedain, ils atteindraient tôt ou tard un trait de côte qui se dirigeait vers le nord-est. Après quoi ils trouveraient de nouvelles terres au nord, la côte plongeant plus vers l'ouest. Ils auraient alors le choix entre longer divers massifs montagneux au nord et à l'ouest, et trouver sur les côtes de la baie les peuplades d'Hommes des Glaces et peut-être Inhael Eketta. Ou alors aller plus à l'est et au nord, sur des territoires occupés par une taïga et de nombreux lacs, voire une toundra au-delà. Et il semblait qu'encore plus au nord il y avait de nouveaux bras de mer séparant les terres du Grand Nord d'une banquise de glace éternelle déserte et sans vie. Encore que des légendes suggéraient que des êtres magiques y vivaient, qui étaient à l'origine de lumières surnaturelles visibles dans le ciel pendant la longue nuit de l'hiver nordique.

Mais qui disait troupeaux disait aussi prédateurs. En journée, quelques groupes de loups gris avaient bien été repérés à distance, mais sans jamais poser aucun problème. Il faut dire que la nourriture était abondante en cette saison, même si avec autant de guetteurs à quatre pattes et si peu d'endroits où se cacher, il devait être difficile pour les loups d'approcher de leurs proies. En journée du moins, car la nuit c'était une autre histoire. D'autant qu'avec la chute des températures l'odorat des animaux n'était peut-être pas tout à fait aussi efficace. En tout cas, l'ouïe de Vif, elle, n'était absolument pas affectée par les conditions actuelles, et une nuit elle perçut très bien l'arrivée en catimini de prédateurs à quatre pattes de l'espèce des canidés.

Pour elle, il ne s'agissait rien de plus que d'une bonne excuse pour se dégourdir les pattes. Accompagnée par Drilun qui souhaitait continuer à s'entraîner au maniement de son fameux bâton magique trouvé dans les trésors de Dol Guldur, elle alla à la rencontre des loups sans guère de stratégie en tête. Le combat fut bref et sanglant, même si certains des canidés en réchappèrent, ayant très bien compris que rester groupés n'était pas une bonne chose face à la lionne enchantée. L'archer-magicien manieur de bâton et la féline Femme des Bois aux griffes acérées et ensanglantées revinrent donc bientôt avec la satisfaction du devoir accompli, et l'impression d'avoir fait un peu d'exercice. Sans parler de pouvoir offrir un bon dîner à la lionne dont l'appétit restait conséquent.

8 - Panique sur la plaine
Le voyage se poursuivit sur la morne plaine battue par les vents froids et les troupeaux. De temps en temps les plus perceptifs parvenaient à distinguer la présence de groupes de chasseurs lossoth au loin, et un jour leurs pas les amenèrent sur le chemin de quelques habitations des Hommes des Neiges. Il y avait là moins d'une dizaine de tentes de peaux et de bois, occupées par quelques familles prises par divers travaux manuels ou des soins à des jeunes enfants, tandis que les chasseurs étaient au loin, en train de vaquer à leurs affaires. D'immenses troupeaux de rennes étaient d'ailleurs visibles à quelque distance.

Le contact entre autochtones et aventuriers se fit avec prudence et une certaine timidité, mais Taurgil et ses amis commençaient à avoir l'habitude et ils rassurèrent les Lossoth : malgré leur apparence, ils n'avaient pas d'intention belliqueuse. La présence de Vif était plus difficile à expliquer, mais elle tâcha de se faire discrète. Néanmoins, les interactions furent bientôt interrompues par les regards alarmés de Rob et Drilun : de la magie noire était à l'œuvre à faible distance. Et bientôt, même les moins perceptifs sentirent la terre trembler, tandis que les autres voyaient les grands troupeaux proches approcher rapidement dans leur direction. Manifestement, sans doute à l'aide de la magie, quelqu'un - qui n'était pas difficile à imaginer - avait rendu les troupeaux de rennes fous de terreur, de manière à les faire galoper dans la direction des aventuriers, de leurs rennes, et des gens qui avaient la malchance de se trouver auprès d'eux...

Même avec les meilleurs des combattants, il était impossible de briser la charge de milliers de rennes affolés. Quant à fuir, le temps manquait pour mettre tout le monde hors de portée de l'immense troupeau en déplacement. Et puis si le camp des Lossoth était réduit en morceaux, ils n'avaient presque aucune chance de reconstituer provisions et équipement pour passer l'hiver. Il fallait donc tenir sur place et se débrouiller pour faire dévier les rennes paniqués qui arrivaient à toute allure dans leur direction. Et si possible tout en calmant les propres rennes du groupe, les aventuriers ne tenant pas trop à porter les barques et autre équipement à dos d'homme (ou de femme) pour le reste de leur long voyage !

Les habitations et possessions des Lossoth, ainsi que leurs habitants, furent réunis aussi proches que possible les uns des autres. Face aux rennes, devant le camp des Hommes des Neiges, fut rapidement érigé un triangle défensif, comme une pointe de flèche faite des barques des aventuriers avec les archers et leurs armes. A la pointe de la flèche, la lionne enchantée se tenait, menaçante, la voix rendue magiquement plus puissante. Lorsque les rennes furent à portée de flèche, Vif poussa un terrible rugissement perceptible à au moins une lieue de distance. Les rennes les plus proches paniquèrent encore plus et cherchèrent à éviter ce nouveau danger, provoquant une bousculade accentuée encore par les flèches des archers. Sans parler des griffes de la féline Femme des Bois qui continuait à rugir tout en découpant en morceaux les rennes qui finissaient trop près d'elle.

Il y eut bientôt une double barrière de cadavres de rennes de part et d'autre des aventuriers, suffisante pour dévier le troupeau de chaque côté et lui faire éviter le camp lossoth. A l'arrière, les autres membres du groupe avaient fort à faire pour maîtriser leurs propres rennes, avec l'aide de la magie et des compétences d'Isilmë et de Geralt en particulier. Mais bientôt la vague d'animaux sauvages prit fin : le camp était intact, ses habitants - et le groupe d'aventuriers - étaient sauvés. Des chasseurs partis en matinée il n'y avait pas trace, mais à tout le moins la nourriture ne manquerait pas : avec tous les corps de rennes disponibles, il y avait de quoi nourrir des clans entiers d'Hommes des Neiges pendant toute la mauvaise saison, si la viande pouvait être conservée.

Taurgil et ses compagnons avaient donc passé avec succès cette première épreuve, s'il s'agissait bien de survivre à un troupeau paniqué. D'un autre côté, si l'objectif de leurs ennemis était plutôt - ou aussi - de leur coller une très mauvaise réputation, les poursuivants de Dol Guldur avaient sans doute également réussi : sans parler de la perte possible et même probable des chasseurs lossoth, les survivants répandraient vite autour d'eux la rumeur - fondée - comme quoi la présence du groupe était vraiment source de danger mortel. Les aventuriers avaient besoin de l'aide des Lossoth, ne fût-ce que pour trouver Inhael Eketta voire d'autres objectifs. Mais comment combiner cela avec le danger de mort qu'ils représentaient pour les Hommes des Neiges ? Ils n'avaient sans doute pas fini de se poser la question.
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